Articles du Vendredi : Sélection du 28 février 2020


Les petits pas ne suffiront pas
Txetx Etcheverry
www.enbata.info/articles/les-petits-pas-ne-suffiront-pas

Des perspectives climatiques mondiales…

Les scientifiques nous décrivent de manière détaillée et chiffrée les réductions d’émissions de gaz à effet de serre indispensables si l’on veut contenir le réchauffement planétaire en dessous de +2°C voire de +1,5°, et ce depuis le 4ème rapport du GIEC en 2007. 2007 ! 13 ans d’absence de politiques structurelles pour garder une chance de ne pas franchir des seuils d’impact majeur pour l’humanité ! Or, moins on agit à temps, et plus les efforts à fournir pour contenir le bouleversement du climat sont importants dans la décennie suivante.

Après 13 ans d’action insuffisante à ce niveau, pour maintenir le réchauffement à 1,5°C, il faudrait désormais réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 7,6 % par an ! Et pour le maintenir à 2°C, les réduire de 2,7 % par an dans la prochaine décennie, alors qu’elles ont augmenté de 1,5 % par an en moyenne dans la décennie actuelle. Nous avons perdu 13 ans à ne rien faire et dans quelle situation sommes nous aujourd’hui de ce fait ? La teneur en CO2 dans l’atmosphère est comparable à celle qu’il y avait il y 4 millions d’années. Cela produisait alors une planète avec un niveau de la mer supérieur de 10 à 20 mètres au niveau actuel !

Le tableau ci-dessous résume à lui seul la situation dans laquelle nous sommes :

La trajectoire rouge est la courbe actuelle des émissions mondiales de gaz à effet de serre si nous continuons à ne rien faire, ou quasiment rien. Les 2 trajectoires vertes sont celles correspondant à une situation où TOUS les États du monde voudraient respecter COMPLÈTEMENT leurs engagements de réduction de gaz à effet de serre pris en 2015, dans la perspective de la COP21 et de l’Accord de Paris. Dans ce cas là, la température moyenne de la planète actuelle augmenterait quand même de +3,2°C d’ici 2100 ! On voit que les engagements pris dans le cadre de la COP21 et les modèles actuels de transition écologique sont nettement insuffisants pour éviter le pire.
Le tracé en pointillé et bleu foncé est la trajectoire de réduction nécessaire pour rester en dessous de +2°C. Celui qui est bleu clair est la trajectoire de réduction nécessaire pour rester en dessous de +1,5°C.

Il faudrait en fait tripler le niveau des engagements de 2015 pour ne pas dépasser les + 2°C. Il faudrait les multiplier par 5 pour rester en dessous de +1,5°C !

….aux municipales 2020 en Pays Basque

On entend ici et là des listes se présentant aux municipales de mars 2020 qu’elles ne signeront pas le Pacte de métamorphose écologique de Bizi parce qu’elles le trouvent maximaliste. « Ils en demandent trop, ils veulent tout changer et tout de suite ».

Certaines ne donnent même pas d’explications et ne comptent prendre aucune mesure forte au niveau écologie et climat. Cynisme ? Ignorance du problème ? Elles contribueront à la trajectoire rouge, en continuant à fonctionner comme dans le passé, ou presque, comme des petits Trump ou Bolsonaro locaux.

D’autres listes préfèrent reprendre à leur compte des démarches et engagements moins exigeants, dans lesquels on peut piocher des mesures, ou mesurettes, à la carte. Elles feront « des choses » pour l’environnement, parfois une ou deux initiatives fortes dans tel ou tel domaine. Elles se situent dans la logique générale actuelle, celle qui nous mènent à un monde à +3,2°C, soit un monde au climat déstabilisé, aux migrations et pénuries massives, livré au chaos et à la guerre : la fameuse « étuve » que les petits pas ne suffiront pas à empêcher.

Ceux qui signent le Pacte de métamorphose écologique proposé par Bizi, et comptent le respecter, ne s’engagent pas sur une démarche maximaliste. Ils ne s’inscrivent même pas dans la trajectoire bleue clair, celle qui seraient cohérente avec une volonté générale de contenir le réchauffement en dessous de + 1,5°C (*).

Ils signent juste ainsi leur volonté de contribuer à un monde essayant de rester en dessous du seuil de +2°C, seuil proclamé comme objectif essentiel par la communauté scientifique et par tous les États du monde en 2015.

Se regarder dans un miroir

Je n’ai aucune leçon à donner à personne. Personnellement, je suis guidé dans mon militantisme quotidien par une motivation bien particulière. Celle de pouvoir me regarder sans honte dans un miroir d’ici une quinzaine d’années, quand divers seuils irréversibles en matière climatique auront été franchis ou non, du fait du niveau d’action que chaque région du monde, que chaque territoire de ces régions, que chaque commune de ces territoires, que chaque responsable, militant.e, citoyen.ne de ces communes aura pu enclencher ou non dans les quelques années qui viennent. Chacune et chacun fera alors son propre examen de conscience.

D’ici là, les élus seront soumis à des interpellations citoyennes bien plus fortes que par le passé, du fait de la prise de conscience et de la mobilisation citoyenne grandissantes. Les choses ne sont plus comme avant. Celles et ceux qui ne font rien, ou pas assez, seront de plus en plus tenus responsables, par les générations actuelles et celles qui viennent, des catastrophes climatiques qui vont se multiplier ou des victimes de l’absence de politiques d’accompagnement des évolutions actuelles.

Pour ne prendre qu’un seul exemple, de plus en plus de citoyens se déplacent de manière volontariste en vélo, voire amènent ainsi leurs enfants à l’école, malgré le manque cruel d’aménagements cyclables sécurisés. Ils prennent de tels risques pour ne pas contribuer à la déstabilisation du climat et à l’enfer que celle ci prépare sur terre. L’opinion publique de demain tiendra bien évidemment responsables les élus des accidents, voir des drames, qu’une absence de politiques cyclables engendrera inévitablement. A tous les niveaux, l’action nécessaire en matière de climat et d’écologie est complexe et coûteuse à mettre en œuvre. Mais il est certain que l’inaction dans ces domaines coûtera beaucoup, beaucoup plus cher, humainement, économiquement et politiquement.

(*) Pour cela, il faudrait des programmes en phase avec le rapport « Comment s’aligner avec une trajectoire compatible avec les 1,5°C ? » du cabinet d’études B&L Evolution, consultable en ligne : http://www.bl-evolution.com/Docs/181208_BLevolution_Etude-Trajectoire-rapport-special-GIEC-V1.pdf On voit là une ampleur et une rapidité des mesures à prendre qui dépassent largement celles du Pacte porté par Bizi.

 

‘Lutter contre l’ultralibéralisme, c’est lutter pour le climat’
Collectif
www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/27/lutter-contre-l-ultraliberalisme-c-est-lutter-pour-le-climat_6031046_3232.html

Un collectif de professeurs de collège, de lycée et de l’université répond à une récente tribune signée par des étudiants et des lycéens appelant leurs enseignants à ne pas s’engager seulement contre la réforme des retraites, mais aussi contre le réchauffement climatique.

Tribune. Chères étudiantes, chers étudiants, nous avons lu votre tribune (« Chers professeurs, pourquoi ne faites-vous pas massivement grève pour le climat ? », Le Monde du 12 février) et entendu votre cri de colère, qui est aussi un cri de ralliement : vous appelez toute une génération, la nôtre, à s’engager dans la lutte contre le dérèglement climatique avec la même détermination que celle dont nous faisons preuve aujourd’hui dans notre lutte contre la réforme des retraites.

Vous avez raison de nous rappeler à la nécessité du combat contre le dérèglement climatique. Ne laissons cependant pas s’installer l’idée d’une guerre des perspectives ou celle, stérile, d’une guerre des générations. Joignons au contraire nos forces et oeuvrons à la convergence des générations. Car en luttant contre les réformes ultralibérales, nous luttons pour la même chose que vous.

Il n’y a ni cécité, comme vous le supposez, ni déni de réalité dans la génération qui vous précède.

Nous sommes déjà, pour bon nombre d’entre nous, présents dans les marches pour le climat et engagés dans les luttes écologiques.

Bien sûr, notre génération a découvert tardivement la réalité du réchauffement climatique et a dû progressivement s’éveiller à la conscience du processus de destruction de la biosphère ; vous êtes nés avec et votre conscience du monde s’est structurée d’emblée de manière écologique ; vous faites maintenant le chemin vers les causes politiques de la destruction. Notre conscience générationnelle s’est structurée de manière essentiellement politique et notre cheminement de pensée va des causes politiques aux effets écologiques. Surproduction et surexploitation Nous avons grandi pendant les décennies où la mondialisation ultralibérale déferlait sur la planète. Nous avons progressivement pris conscience que la mondialisation, qu’on nous présentait comme un bienfait pour l’humanité, signifiait en réalité la mondialisation d’un régime de croissance économique continue, nourri par la surproduction, et reposant sur la surexploitation des êtres humains comme des ressources naturelles de la planète. Nous avons vu se produire la subversion mondiale des Etats par le marché, nous avons vu des Etats mis au pas et sommés de servir d’outil à la libéralisation, autorisant la dérégulation généralisée des services – santé, justice, transports, éducation, énergie.

Ne laissons donc pas les points de vue générationnels se heurter.

Nous disons et nous voulons la même chose.

Faisons un pas les uns en direction des autres

Nous avons vu la puissance de l’Etat tout entière mise au service de la destruction de l’espace public, le marché organiser le discrédit du politique et l’Etat lui-même créer partout les conditions de la désaffection pour le politique, livrant les peuples à une dépolitisation généralisée. Nous avons vu enfin comment ce régime vient à bout de l’espérance politique des peuples, détruit l’idée même du parlementarisme, et promeut de nouvelles formes d’autoritarisme, sous couvert de forme constitutionnelle de l’Etat de droit, devenue pure coquille vide.

Nous luttons donc contre cette réforme des retraites, comme nous luttons contre toutes les expressions de l’ultralibéralisme, comme nous avons lutté récemment contre la destruction du droit du travail ou de l’assurance-chômage, contre la destruction de l’hôpital, contre le démantèlement de la justice, ou celui de l’éducation nationale.

Lutter contre la retraite à points, c’est lutter contre l’ultralibéralisme ; c’est lutter pour le climat.

Nos points de départ sont différents : vous partez de la destruction du climat, vous organisez vos luttes autour de l’urgence écologique. Mais la conclusion inhérente à toute pensée écologique, c’est que l’économie actuelle est néfaste pour la planète, car une économie mondiale de la croissance continue exige l’équivalent des ressources de quatre planètes, et que nous n’en avons qu’une à notre disposition.

« La conclusion inhérente à toute pensée écologique, c’est que l’économie actuelle est néfaste pour la planète, car une économie mondiale de la croissance continue exige l’équivalent des ressources de quatre planètes, et que nous n’en avons qu’une à notre disposition. »  

Un régime politique autoritaire planétaire

Vous répétez, et vous avez raison, que nous n’avons pas de planète B. En bonne logique, vous devriez arriver à la conclusion qu’il faut combattre le régime ultralibéral, car c’est ce régime qui exige l’hyperproduction débridée, et c’est encore ce régime qui entrave toute action publique et s’oppose à toute loi freinant les appétits du monde de l’entreprise. Un plan B pour la planète implique une profonde critique du système économique actuel. Votre lutte vous conduit naturellement de l’écologie au politique.

Notre point de départ est autre : nous partons du politique, et allons vers l’écologie : vouloir produire plus, c’est détruire toujours plus. Vouloir travailler plus et plus longtemps, c’est continuer à piller nos ressources, à détruire le vivant en dépit de toute raison. Nous aboutissons à la conclusion que la mondialisation de ce régime économique nous fait entrer dans la dernière phase du capitalisme ; que cette dernière phase équivaut à la globalisation d’un régime qui cherchera à se pérenniser par tous les moyens, légitimera et défendra la surexploitation des hommes et des ressources de la planète.

Nous en venons à la conclusion que nous sommes potentiellement face à un régime politique autoritaire d’un nouveau type, dont l’ampleur est planétaire. Que ce régime autorise et organise un écocide planétaire. En bonne logique, notre lutte nous conduit du politique à l’écologie ; la lutte contre l’ultralibéralisme conduit à la défense de la biosphère.

Ne laissons donc pas les points de vue générationnels se heurter. Nous disons et nous voulons la même chose. Faisons un pas les uns en direction des autres : nous rejoignons aujourd’hui vos luttes écologiques, puisque nous luttons contre l’ultralibéralisme entré dans sa phase globale, et bientôt, nous descendrons dans la rue sous vos bannières ; nous vous invitons en retour à rejoindre nos luttes politiques, puisqu’il n’y a pas de pensée écologique qui ne mène finalement à la critique du système ultralibéral, cause de la déréglementation économique globale et partant, du dérèglement climatique. Nous pouvons tous adopter la même perspective, agir localement, penser globalement ; c’est tous ensemble qu’il faut lutter.

Les instigateurs de cette tribune sont : Caela Gillespie, professeure de philosophie, CPGE ; Laure Canali, professeure de lettres classiques ; Marina Poisson, CPGE, lycée Lakanal, Sceaux (Hauts-de-Seine) ; Valérie Batal, professeure de géographie, CPGE, Lycée Lakanal, Sceaux ; Cécile Gnahoré, professeure de géographie, CPGE, lycée Lakanal, Sceaux.

Nous sommes toutes des «petites connes»
Les invités de Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/240220/nous-sommes-toutes-des-petites-connes

Après les insultes du député UDI Meyer Habib, qui a qualifié des parlementaires de «petites connes» suite à leur participation à une danse pour dénoncer l’impact de la réforme des retraites sur les femmes, un collectif d’élues et militantes affirme que «les “petites connes” n’ont pas fini de faire enrager les sexistes de tout poil». Elles appellent à «faire du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, la meilleure réponse qui soit». 

« Indigence », « ridicule », « pitreries », « harpies » … ces derniers jours, des hommes, internautes, animateurs d’émission ou politiques, s’en sont donnés à cœur joie pour exprimer en toute décomplexion leur sexisme, jusque dans des émissions grand public. Le comble est atteint quand le député UDI Meyer Habib déclare en plein hémicycle que quelques parlementaires, Clémentine Autain, Elsa Faucillon, Esther Benbassa, Manon Aubry, sont de « petites connes » parce qu’elles ont osé chanter et danser pour dénoncer l’impact de la réforme des retraites sur les femmes.

Face à une réforme des retraites qui va aggraver les  inégalités entre femmes et hommes, refuser de céder au désespoir et s’attaquer par l’humour et la parodie au pouvoir apparaît comme insupportable pour toute la phallocratie. La majorité ne ferait-elle mieux pas de s’émouvoir du fait que syndicalistes, universitaires, expertes de l’égalité femmes/hommes, alertent depuis des mois, arguments et chiffres à l’appui, sur le danger que représente la réforme des retraites pour l’autonomie économique des femmes ?

Depuis des mois, les femmes sont au cœur des mobilisations sociales. Elles ont été nombreuses à enfiler un gilet jaune pour enfin être visibles et entendues. Elles sont de nombreuses soignantes à dénoncer l’agonie de l’hôpital public. Et depuis plusieurs semaines, les femmes se lèvent face au projet de réforme des retraites du gouvernement. La chorégraphie « à cause de Macron » a joué un rôle de catalyseur, reprise dans près d’une centaine de villes, par des femmes de tous horizons, toutes générations, dans les cortèges, devant les hôpitaux, les universités, les gares ou avec les travailleuses en grève de l’hôtel Ibis Clichy-Batignolles.

Déguisées en « Rosie la Riveteuse », avec bleu de travail, fichu rouge, gants jaunes, elles dénoncent, avec cette icône internationale devenue un symbole féministe, les conditions de vie et de travail des femmes, bien moins payées en moyenne que leurs homologues masculins. Elles exigent le retrait d’un projet de loi qui diminuera d’autant plus leurs pensions, parce qu’elles cumulent bien plus que les hommes « les petits jobs en pointillés » et les interruptions d’activité. Dans un système à points prenant en compte désormais toute la carrière, elles seront les « grandes perdantes », contrairement à ce qu’a affirmé Edouard Philippe.

Des femmes parlementaires ont eu le courage de les rejoindre et tant mieux. Si elles sont des « petites connes », alors nous le sommes aussi et nous en sommes fières. Les « petites connes » n’ont pas fini de faire enrager les sexistes de tout poil, à la télévision comme à l’Assemblée,  à refuser le mépris et à exiger le retrait d’une réforme profondément injuste.

Ils détestent notre joie car elle est communicative et nous donne l’énergie de lutter contre l’avenir morose qu’ils veulent nous imposer. Alors nous, « petites connes », continuerons de danser partout où nous le voudrons et appelons à faire du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, la meilleure réponse qui soit.

Naomi Klein : ‘Nous assistons aux prémices de l’ère de la barbarie climatique’ – Par Natalie Hanman
The Guardian, Natalie Hanman
www.les-crises.fr/naomi-klein-nous-assistons-aux-premices-de-l-ere-de-la-barbarie-climatique-par-natalie-hanman

L’auteur de No logo envisage les solutions à la crise climatique, parle de Greta Thunberg, de la grève des ventres et de ses raisons d’espérer

Samedi 14 septembre 2019

Pourquoi publier ce livre maintenant ? [interview à l’occasion de la sortie du livre On Fire : The Burning Case for a Green New Deal NdT]

J’ai toujours le sentiment que la manière dont nous parlons du changement climatique est trop cloisonnée, comme dissociée des autres crises auxquelles nous sommes confrontés. Un des fils conducteurs du livre c’est le lien entre, d’un côté, la crise climatique et, de l’autre, la montée du suprémacisme Blanc, les différentes formes de nationalisme alors même que tant de gens sont contraints de quitter leur pays, et la guerre menée pour distraire notre attention de ces sujets. Or ces crises se recoupent et s’entrecroisent, voilà pourquoi les solutions doivent aussi l’être.

Le livre rassemble des textes de la dernière décennie, avez-vous changé d’avis sur un de ces sujets ?

Quand je regarde en arrière, je ne pense pas avoir mis suffisamment l’accent sur le défi que pose le changement climatique à la gauche. Il est plus facile de voir comment la crise climatique remet en question une vision dominatrice du monde qui prédomine à droite, et le culte d’un centrisme rigoureux qui est toujours à la recherche de compromis, s’interdisant ce qui pourrait être ambitieux, tout en essayant toujours de nier les différences. Mais c’est aussi un défi pour une vision du monde de gauche qui ne s’intéresse essentiellement qu’à redistribuer le gâteau de l’extractivisme [le processus d’extraction des ressources naturelles de la terre] et non à tenir compte des limites de la consommation illimitée.

Qu’est-ce qui empêche la gauche de faire ce travail ?

Dans le contexte nord-américain, admettre qu’il va y avoir des limites est le plus grand des tabous. Il suffit de voir comment Fox News s’en est pris au Green New Deal – ils s’en prennent à vos hamburgers ! Cela touche au cœur du rêve américain – chaque génération reçoit plus que la précédente, il y a toujours une nouvelle frontière à atteindre [L’expression « Nouvelle Frontière » a été utilisée par le président américain démocrate John Fitzgerald Kennedy dans un discours d’acceptation de l’investiture à la Convention du Parti démocrate, le 15 juillet 1960, NdT], c’est l’essence même de nations colonialistes comme la nôtre. Quand quelqu’un arrive et dit, en fait, il y a des limites, nous avons des décisions difficiles à prendre, nous devons trouver comment gérer ce qui reste, nous devons partager équitablement – c’est une attaque psychique [Une attaque psychique est l’envoi d’énergie négative avec l’intention consciente ou inconsciente d’infliger un préjudice à une personne, NdT]. La réponse [à gauche] a donc été l’évitement, et de dire non, non, non, nous ne venons pas vous priver de vos biens, il va y avoir toutes sortes de bénéfices. Et il y aura des avantages : nos villes seront plus habitables, notre air sera moins pollué, nous passerons moins de temps coincés dans les embouteillages, nos vies seront plus heureuses, plus riches de bien des façons. Mais nous allons devoir restreindre notre consommation illimitée du tout jetable.

Les discussions sur un New Deal Vert vous encouragent-elles ?

Je suis à la fois profondément ravie et soulagée que nous parlions enfin de solutions à la hauteur de la crise à laquelle nous sommes confrontés. Que nous ne discutions pas d’une petite taxe sur le carbone ou d’un système de plafonnement des émissions et d’échange de droits d’émission comme d’une solution miracle.

Nous parlons de révolutionner notre économie. De toute façon, ce système laisse tomber la majorité de la population, ce qui explique pourquoi nous nous trouvons dans une période de déstabilisation politique si profonde – ce qui nous donne les Trumps et les Brexits, et aussi tous ces dirigeants musclés – alors pourquoi ne pas réfléchir à la façon de tout changer de fond en comble, et le faire d’une manière qui réponde à toutes ces autres crises en même temps ? Il y a de grandes chances que nous rations le coche, mais chaque fraction de degré de réchauffement que nous réussissons à retarder est une victoire et chaque mesure que nous réussissons à faire adopter pour humaniser nos sociétés, nous permettra de faire face aux secousses et tempêtes qui sont inévitables sans tomber dans le piège de la barbarie. Parce que ce qui me terrorise vraiment, c’est ce qui se passe à nos frontières en Europe, en Amérique du Nord et en Australie – je ne pense pas que ce soit par hasard si les États colonisateurs et les pays qui sont les moteurs du colonialisme sont sur le devant de la scène. Nous assistons aux prémices de l’ère de la barbarie climatique. Nous l’avons vu à Christchurch, nous l’avons vu à El Paso, là où s’unissent la violence suprémaciste blanche et le racisme haineux anti-immigrant.

Ce sont les pages les plus effrayantes de votre livre : Je pense que c’est un lien que beaucoup de gens n’ont pas fait.

Cela fait longtemps que cette logique est claire. La doctrine de la suprématie blanche est apparue non seulement parce que les gens avaient envie de faire naître des idées qui allaient se solder par la mort de nombreuses victimes, mais parce que cela permettait de perpétrer des actes barbares mais très lucratifs. L’ère du racisme scientifique commence en parallèle de la traite négrière transatlantique, c’est une des justifications de la brutalité de ce phénomène. Si nous voulons faire face au changement climatique en renforçant nos frontières, alors les théories qui le justifieraient, qui créeraient ces hiérarchies de l’humanité, vont bien sûr revenir en force. Depuis des années, on en voit les signes, mais il est de plus en plus difficile de le contester alors même que des assassins le revendiquent depuis les toits des immeubles.

Un des reproches que l’on peut faire au mouvement écologiste, c’est qu’il soit dominé par les Blancs. Qu’en pensez-vous ?

Lorsqu’un mouvement est majoritairement représentatif de la frange la plus privilégiée de la société, alors l’approche vis-à-vis du changement est beaucoup plus timorée, parce que ceux qui ont beaucoup à perdre ont tendance à redouter le changement alors que ceux qui ont beaucoup à y gagner sont plus susceptibles d’être déterminés dans leur lutte. Voilà le grand avantage que présente une approche des changements climatiques qui les lie à ce qu’on appelle les questions de pain quotidien : comment allons-nous obtenir des emplois mieux rémunérés, des logements abordables, la possibilité pour les gens de prendre soin de leurs familles ? J’ai eu de nombreux échanges avec des environnementalistes au fil des ans et ils me semblent croire réellement que le fait de lier la lutte contre les changements climatiques à la lutte contre la pauvreté ou la lutte pour la justice raciale va compliquer la tâche, la rendant plus ardue. Nous devons sortir de cette impasse « ma crise est plus grave que la vôtre : il faut d’abord sauver la planète avant de nous attaquer à la pauvreté, au racisme et à la violence contre les femmes ». Ça ne marche pas. Cela ne fait que décourager les gens qui se battraient le plus énergiquement pour le changement. Aux États-Unis, ce débat a beaucoup évolué parce que le radicalisme du mouvement en faveur de la justice climatique est porté par les femmes de couleur du Congrès qui défendent le Green New Deal. Alexandria Ocasio-Cortez, Ilhan Omar, Ayanna Pressley et Rashida Tlaib viennent de communautés qui ont tellement souffert pendant les années du néolibéralisme et depuis plus longtemps encore, et elles sont déterminées à représenter, vraiment représenter les intérêts des communautés. Elles ne craignent pas les changements radicaux parce que leurs communautés en ont désespérément besoin.

« Les décisions individuelles que nous prenons, même additionnées, ne seront pas à la hauteur de l’ampleur du changement dont nous avons besoin »

Dans le livre, vous écrivez : « La vérité cruelle est que la réponse à la question “Que puis-je faire, en tant qu’individu, pour arrêter le changement climatique ?” est : rien ». Vous le pensez toujours ?

Pour ce qui est du bilan carbone, même en conjuguant nos décisions individuelles, nous n’obtiendrons pas le niveau de changement qu’il nous faut.

Et je pense que le fait que pour tant de gens, il soit tellement plus confortable de parler de sa propre consommation personnelle plutôt que de parler de changement systémique est une conséquence du néolibéralisme, parce que nous avons été habitués à nous voir avant tout comme des consommateurs. À mes yeux, c’est justement le grand avantage de faire le parallèle avec ces analogies historiques que sont le New Deal ou le Plan Marshall – cela nous ramène à une époque où nous avons pu envisager des changements de cette ampleur. Parce qu’on nous a conduit à envisager les choses par le petit bout de la lorgnette. Le fait que Greta Thunberg en ait fait l’urgence vitale de sa vie est d’une importance capitale.

Oui, pour se rendre au sommet de l’ONU sur le climat à New York elle a pris la mer sur un yacht zéro carbone…

Tout à fait. Mais il ne s’agit pas de ce que Greta fait en tant qu’individu. Il s’agit de ce que Greta transmet par les choix qu’elle fait en tant que militante, et c’est cela que je respecte sans réserve. Je trouve ça magnifique. Elle utilise le pouvoir dont elle dispose pour faire admettre qu’il s’agit d’une situation d’urgence et elle essaie de convaincre les politiciens d’en faire de même. Je pense que personne ne peut se dispenser de revoir ses propres décisions et comportements, mais je pense que nous risquerions cependant de trop insister sur les choix individuels. J’ai fait un choix – et je m’y tiens depuis que j’ai écrit No Logo, on a commencé à me poser ces questions « que devrais-je acheter, où devrais-je faire mes achats, quels vêtements sont les plus éthiques ». Ma réponse continue d’être que je ne suis pas une conseillère en mode de vie, que je ne suis le gourou de personne dans le domaine du shopping et que je prends ces décisions dans ma propre vie sans me faire la moindre illusion sur leur portée réelle.

Certaines personnes choisissent de faire la grève du ventre, de ne pas avoir d’enfants, qu’en pensez-vous ?

Je suis contente que ce débat arrive dans le domaine public au lieu d’être de ces sujets qu’on aborde de façon furtive et dont nous avons peur de parler. Cela a été extrêmement perturbant pour ces personnes qui se sentaient bien seules. Cela a certainement été le cas pour moi. Une des raisons pour lesquelles j’ai attendu si longtemps avant d’essayer d’avoir un enfant, et c’est ce que je disais toujours à mon partenaire – quoi, tu voudrais qu’on ait un Mad Max qui aurait à combattre ses amis pour avoir eau et nourriture ? Ce n’est que lorsque j’ai fait partie du mouvement pour la justice climatique et que j’ai pu imaginer une voie d’avenir que j’ai pu, ne serait-ce qu’imaginer avoir un enfant. Mais je ne dirai jamais à personne comment répondre à cette question des plus intimes. En tant que féministe je connais l’histoire brutale qui entoure les stérilisations forcées et la façon dont les corps des femmes deviennent des champs de bataille quand les décideurs politiques décident d’essayer de contrôler la population, je pense que l’idée qu’il puisse exister des biais législatifs pour choisir ou non de faire des enfants est dramatiquement contraire au sens de l’histoire. C’est ensemble que nous devons affronter notre désarroi et nos craintes climatiques, et cela, quelle que soit la décision que nous prendrons, mais la discussion que nous devons avoir, c’est comment construire un monde dans lequel ces enfants pourront mener une vie prospère et sans carbone.

Au cours de l’été, vous avez encouragé les gens à lire le roman de Richard Powers, L’Arbre Monde [The Overstory, NdT]. Pourquoi ?

Ce livre a été incroyablement important pour moi et je suis heureuse que tant de gens m’aient écrit depuis. Ce que Powers écrit sur les arbres, c’est que les arbres vivent en communauté, qu’ils sont en communication, qu’ils élaborent des projets et réagissent de concert, et notre façon de les voir est complètement erronée. C’est exactement la même chose qui se joue lorsque nous débattons pour savoir si nous allons résoudre le problème en tant qu’individus ou si nous allons sauver la planète en tant que groupe. Il est rare aussi, dans une bonne fiction, de valoriser l’activisme, de le traiter avec un réel respect, en prenant en compte les échecs, de reconnaître l’héroïsme de ceux qui mettent leur vie en jeu. Selon moi, c’est exactement ce que Powers a fait, d’une manière tout à fait extraordinaire.

 

Et que pensez-vous de ce que Extinction Rebellion est en train de réussir ?

Ce qu’ils ont remarquablement bien réussi est de nous sortir de ce modèle classique de campagne militante dans lequel nous nous trouvons depuis si longtemps, ce schéma par lequel vous dites à quelqu’un quelque chose qui fait peur, vous lui demandez de cliquer sur un bouton pour agir, vous évitez toute la phase où c’est ensemble que nous devons vivre le deuil, ressentir les émotions, et gérer ce que nous venons de voir. Parce que ce que j’entends souvent dire c’est que, OK, à l’époque, dans les années 30 ou 40, les gens pouvaient peut-être s’organiser par quartiers, par lieux de travail, et que ça nous ne pourrions pas le faire. Nous avons l’impression que notre espèce est tombée si bas que nous en sommes incapables. La seule chose qui va changer cette opinion, c’est de nous retrouver en tête à tête, ensemble, dans notre milieu, de vivre des expériences, loin de nos écrans, dans la rue et dans la nature, que nous allons connaître des victoires et prendre conscience de tout ce pouvoir.

Vous parlez d’énergie dans votre livre. Qu’est ce qui vous pousse à continuer ? Êtes-vous optimiste ?

En ce qui concerne la question de l’espoir, j’ai des sentiments assez complexes. Il ne se passe pas un jour sans que je ne traverse un moment de panique pure et simple, de terreur totale, de conviction entière que nous sommes condamnés, et puis je me reprends. Cette nouvelle génération si déterminée, si forte me redonne courage. Leur détermination à s’engager électoralement en politique me galvanise, parce qu’à leur âge, quand nous avions entre 20 et 30 ans, nous étions tellement méfiants de peur de nous salir les mains avec la politique électorale que nous avons perdu beaucoup de temps avant nous lancer, nous avons gâché des chances. Ce qui me donne le plus d’espoir en ce moment, c’est que nous avons enfin la vision de ce par quoi nous voulons remplacer l’existant, ou du moins nous en connaissons la première esquisse. C’est la première fois de ma vie que cela se produit. Et puis, j’ai décidé d’avoir des enfants. J’ai un enfant de sept ans qui est absolument fasciné par la nature, il en est amoureux. Quand je pense à lui, après que nous ayons passé tout un été à parler du rôle du saumon dans l’alimentation des forêts où il est né en Colombie-Britannique et de la façon dont ils sont reliés à la santé des arbres et du sol, et des ours et des orques, et à tout ce magnifique écosystème, et je pense à ce qui arriverait si nous devions lui dire que les saumons ont disparu, cela me tue. Voilà, c’est cela qui me motive. Et fait aussi mon désespoir.

Source : The Guardian, Natalie Hanman, 14-09-2019

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Australiako suteek herrialdeko basoen %20 suntsitu dute
Argia
www.argia.eus/albistea/australiako-suteek-herrialdeko-basoen-20-suntsitu-dute

Australian 2019ko amaieran hasitako suteak kontrolpean daude, batzuek piztuta jarraitzen duten arren. Beste gai batzuek hartu dituzte informatiboetako lehen postuak. Suteen eragina, ordea, handia izan da eta urtetan nabarituko da.

Astelehen honetan Nature Climate Change-n argitaratutako ikerketa batek ez du zalantzarako tarte handirik uzten: Australiako basoen %20 suntsitu da suteen ondorioz. 5,8 milioi hektarea baino gehiago. Hegoaldeko Gales Berria eta Victoria estatua izan dira kalte handienak jasan dituzten guneak.

Zientzialariek baieztatu dutenez, inoiz erregistratu diren suterik suntsitzaileenak izan dira, izan ere, batez besteko gisa, Australiako basoen %2 inguruk hartzen baitzuen sua joan den bi hilabeteetako desastrearen aurretik.

Suteen kalteak neurtu dituztenek diotenez, gainera, euren ikerketak emandako emaitzak segur aski baxuagoak dira benetan izandako suntsiketarekin konparatuz. Datuetan ez dute Tasmania kontuan hartu, adibidez, eta han erretako basoak gehituz gero are handiagoa izango litzateke hondamendia.