Semaine test pour l’ambition climatique d’Emmanuel Macron en Europe
RAC
https://reseauactionclimat.org/test-ambition-macron-europe/
Laure Noualhat : «Les climatosceptiques se moquent de la vérité scientifique» par Sciences Critiques
Propos recueillis par Anne Cagan
https://sciences-critiques.fr/laure-noualhat-les-climatosceptiques-se-moquent-de-la-verite-scientifique
“La connaissance avance, mais l’ignorance avance plus vite”
Romain Jeanticou
www.telerama.fr/idees/la-connaissance-avance,-mais-lignorance-avance-plus-vite,n5255825.php
Semaine test pour l’ambition climatique d’Emmanuel Macron en Europe
RAC
https://reseauactionclimat.org/test-ambition-macron-europe/
Cette semaine est un moment test pour Emmanuel Macron et Nicolas Hulot : vont-ils porter l’Accord de Paris sur le climat au sein de l’Union européenne ou lui tourner le dos ?
Le Réseau Action Climat demande au Président de la République de mettre en cohérence l’action de la France sur la scène européenne avec son discours volontariste sur le climat. L’adoption des piliers de la politique climatique européenne est l’unique opportunité pour affirmer le leadership climatique de la France en Europe.
Le Président de la République a affiché sa volonté de mettre la question climatique au centre de sa politique et surtout au cœur de la refondation de l’Europe. Pourtant, la voix de la France sur les dossiers européens n’a guère changé depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée : elle est parfois illisible, souvent peu ambitieuse.
La question de la cohérence se pose aujourd’hui car trois importantes lois européennes fixant les objectifs européens de réduction des gaz à effet de serre pour l’horizon 2030 sont sur le point d’aboutir : la réforme du marché carbone discutée le 12 octobre, le partage de l’effort climatique entre les Etats membres de l’Union européenne et l’usage des terres qui seront à l’agenda du Conseil des ministres de l’environnement européen le 13 octobre.
Ces législations sont des outils essentiels pour permettre à l’Union européenne et ses Etats membres d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, à savoir contenir l’élévation de la température de la planète nettement en dessous de 2°C. Ces textes aujourd’hui discutés sont très loin du compte. En plus de l’insuffisance de l’objectif européen de réduction de gaz à effet de serre de 40 % pour 2030, les règles du jeu pour atteindre cet objectif sont floues, laissant libre jeu aux Etats membres de continuer à polluer, sans les inciter à investir dans la transition climatique.
Si Emmanuel Macron souhaite affirmer son leadership climatique en Europe et dans le Monde, il doit tout faire pour élever la contribution climatique de l’Union européenne dès maintenant.
Réformer le marché carbone européen pour appliquer le principe pollueur-payeur
Le marché carbone européen (ETS) fixe les règles du jeu pour inciter les industries fortement émettrices en gaz à effet de serre à réduire leurs impacts sur le climat et à investir dans la transition écologique. Cette législation couvre environ 40 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne.
Depuis 2010, le marché carbone européen s’est effondré, fixant la tonne de CO2 au modeste prix de 5€, alors qu’il faudrait qu’elle soit à 100€ afin de réellement avoir un effet positif sur les entreprises et sur le climat. Le faible prix carbone est principalement dû aux surplus de quotas qui se sont accumulés sur la période 2010-2020 et aux nombreux quotas gratuits qui ont été offerts aux industries les plus polluantes en Europe afin d’éviter qu’elles ne délocalisent leurs productions. L’accumulation de permis à polluer en Europe a rendu le marché carbone européen défaillant et incapable d’envoyer un signal prix significatif pour inciter à investir dans la transition écologique.
Afin de mettre fin aux failles du système ETS en Europe, les Etats de l’Union européenne et le Parlement européen discutent de sa réforme. Malheureusement, les Etats les plus conservateurs comme la Pologne ainsi que les industries polluantes ont imprimé leurs visions sur la réforme, éloignant un peu plus l’Union européenne de la trajectoire de l’Accord de Paris.
Dans cette dernière ligne droite avant l’adoption définitive du texte, la France peut encore jouer un rôle pivot et rehausser l’ambition du marché carbone. Certains éléments du texte sont gagnables.
Le Réseau Action Climat appelle le Président de la République à ne plus attendre avant de traduire son ambition climatique en action au niveau européen. La France doit impérativement :
- Soutenir la réduction rapide et définitive des surplus de quotas afin que le marché carbone puisse être effectif ;
- S’opposer aux quotas gratuits offerts aux industries les plus polluantes, car ce sont des permis à polluer inacceptables qui font reposer le coût climatique sur la société ;
- Refuser la possibilité d’utiliser le fonds de modernisation prévu par le marché carbone pour financer des centrales à charbon.
Assurer la transition écologique : le partage de l’effort climatique
Le règlement du partage de l’effort climatique (ESR) vise à réduire les émissions des secteurs des transports, de l’agriculture, du bâtiment, des déchets notamment. Ces secteurs représentent plus de 60 % des émissions européennes.
L’ESR fixe l’objectif de réduire ces émissions de 30 % d’ici à 2030 et partage cette ambition entre les Etats membres de l’UE tout en leur laissant le soin de mettre en place des mesures pour accompagner ces secteurs vers la transition écologique d’ici à 2030. Cette législation peut accélérer la transformation de notre modèle économique en incitant les acteurs à investir dans la transition vers des transports plus doux pour le climat, et une agriculture plus respectueuse de l’environnement et de la santé des consommateurs.
Pourtant, le texte actuellement discuté est bien en dessous de l’ambition nécessaire pour réaliser les engagements de Paris. Les Etats peuvent utiliser un grand nombre de flexibilités afin d’échapper à leurs responsabilités de réduire les émissions de ces secteurs. Par ailleurs, la Commission européenne, en surévaluant le point de départ de la trajectoire de réduction, a artificiellement gonflé le budget carbone des Etats, c’est-à-dire leurs droits à polluer, au détriment du climat et des citoyens.
Alors que l’objectif de réduction de 30 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 est loin d’être suffisamment ambitieux, les règles du jeu pour atteindre l’objectif sont donc faussées : l’objectif sur le papier de 30 % de réduction de gaz à effet de serre équivaut, dans les faits, à une réduction réelle de 23 % d’ici à 2030.
Le Réseau Action Climat appelle Emmanuel Macron et Nicolas Hulot à rehausser l’ambition climatique de ce texte lors du Conseil du 13 octobre prochain. La France doit :
- Soutenir et porter avec la coalition d’Etats-membres progressistes une amélioration du point de départ des trajectoires de réduction des émissions pour 2030.
- S’opposer aux flexibilités offertes aux Etats-membres qui affaiblissent l’ambition du texte et n’incitent pas à contribuer pour le climat.
Préserver les forêts et l’usage des sols : comptabilisation honnête des émissions
Les Etats membres de l’Union européenne vont discuter du sujet technique, mais extrêmement sensible, des émissions issues du secteur des terres et des forêts. Les forêts constituent le premier puits de carbone, dépassant désormais les océans. D’après la Commission européenne, l’augmentation des récoltes pour faire face à la demande en bois va faire diminuer ces puits carbones et pourrait accélérer les changements climatiques.
L’objectif de la législation européenne est donc d’obliger les États intensifiant l’exploitation de leurs forêts à compenser en réduisant les émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs des terres. Cela devrait inciter à une gestion durable des sols et des forêts en Europe afin de préserver les puits carbones.
Or les Etats se sont mis d’accord pour minimiser l’impact de l’exploitation des forêts sur leurs budgets carbones, c’est-à-dire leurs droits à polluer. Ils pourront accroître la déforestation sans pour autant avoir besoin de compenser en réduisant les émissions. Par ailleurs, par un jeu comptable, les émissions liées à la déforestation ne seront pas nécessairement comptabilisées, en particulier lorsqu’il s’agit de déforestation importée d’autres régions du monde comme le Brésil ou l’Indonésie.
Afin de respecter et défendre l’Accord de Paris en Europe, la France doit :
- Soutenir une comptabilisation fiable et transparente des émissions de gaz à effet de serre issues du secteur des terres et des forêts, en particulier celles de la déforestation ;
- Renforcer le mécanisme de compensation pour éviter que l’exploitation forestière intensive soit récompensée en Europe ;
- Promouvoir des forêts plus résilientes et diversifiées, véritables puits carbones.
Laure Noualhat : «Les climatosceptiques se moquent de la vérité scientifique» par Sciences Critiques
Propos recueillis par Anne Cagan
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Journaliste, spécialiste de l’environnement – passée durant 15 ans par Libération –, Laure Noualhat a co-écrit et co-réalisé le documentaire Climatosceptiques : la guerre du climat. Une plongée passionnante – et déroutante – au coeur d’un groupe d’agitateurs politiques dont les visées dépassent allègrement les seules questions scientifiques.
Sciences Critiques – D’où est venue l’idée de ce documentaire ?
Laure Noualhat – Elle n’est pas de moi mais de José Bourgarel, un autre réalisateur qui, pour des raisons personnelles, n’a pas pu aller au bout. Je suis arrivée sur le projet alors qu’il était déjà vendu à France 5, plus précisément à Hervé Guérin qui s’occupe de la case scientifique, et notamment des rapports entre sciences et société, sciences et environnement, etc. Ce projet a été livré il y a un an, en novembre 2014, mais France Télévisions a préféré attendre la COP21 [la 21ème Conférence des Parties de la Convention-Cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques, qui aura lieu au Parc des Expositions de Paris-Le Bourget du 30 novembre au 11 décembre prochain, NDLR] pour le diffuser. Les climatosceptiques américains n’ont de toute façon pas changé.
Qui sont les climatosceptiques et quelles sont leurs motivations ?
Les climatosceptiques que nous avons rencontrés sont principalement des Anglo-Saxons qui associent les environnementalistes à une nouvelle « menace rouge ». Leurs convictions sont très imprégnées de l’histoire américaine par rapport au Maccarthysme et à la lutte contre le communisme. Pour eux, les écolos sont des « pastèques » : vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur. En règle générale, les climatosceptiques refusent toute intervention de l’État, dans quelque domaine que ce soit. On trouve dans leurs rangs beaucoup de conservateurs américains mais aussi des libertariens. Ces derniers sont encore plus vindicatifs vis-à-vis de l’État et ont des positions assez extrêmes. Selon eux, il ne faudrait même pas réguler le marché de la drogue car les gens devraient avoir le droit de faire ce qu’ils veulent. Peu importe les conséquences sur le collectif…
Les climatosceptiques associent les environnementalistes à une nouvelle « menace rouge ». Pour eux, les écolos sont des « pastèques » : vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur.
Finalement, il leur importe peu que le climat se réchauffe : ils se moquent de la vérité scientifique. Ils essaient tant bien que mal de s’agripper à quelques études et à quelques chercheurs, qui n’ont aucune validité scientifique d’ailleurs, mais leur objectif est avant tout de lutter contre l’interventionnisme étatique. Or, le rôle de l’État est déterminant concernant les questions climatiques. Sans l’État, on ne peut pas faire baisser les émissions de CO2 d’une société, d’un pays, d’une région. Certains financeurs des climatosceptiques, à l’instar des frères Koch, ont bâti leur fortune grâce à l’exploitation des énergies fossiles [le pétrole, le gaz et le charbon, NDLR]. Tant qu’il y aura des sables bitumineux en Alberta, du gaz de schiste en Oklahoma, du pétrole et du charbon, ils iront l’extraire pour l’acheminer dans les centres de consommation. Ils sont donc opposés à tout ce qui peut s’apparenter à une régulation de l’exploitation des fossiles. Ils financent à coup de millions de dollars tous ces mouvements, ces think-tanks, qui instillent le doute dans la population.
Les climatosceptiques ont-ils tous le même profil ?
Aux Etats-Unis, oui. Nous nous sommes concentrés sur ce pays car nous avons considéré qu’en France, les climatosceptiques n’avaient aucun pouvoir. Le mouvement a perdu sa tête de proue, Claude Allègre, celui-ci ayant dû faire face à des soucis de santé. Selon nous, le climatoscepticisme est vraiment un mouvement anglo-saxon, présent au Canada, en Australie, en Angleterre et aux Etats-Unis. En Australie, Tony Abbott [Tony Abbott a démissionné de son poste de Premier ministre le 15 septembre dernier, NDLR] affirmait que le lien entre activité humaine et réchauffement climatique était « une connerie absolue. »
En Australie, l’ex-Premier ministre affirmait que le lien entre activité humaine et réchauffement climatique était « une connerie absolue. »
Aux Etats-Unis, les climatosceptiques ont réussi à obtenir des postes importants. Depuis le tournage du documentaire, le sénateur républicain de l’Oklahoma, James Inhofe, est devenu le président de la Commission environnement du Sénat alors qu’il est l’auteur d’un livre dont le titre est Le plus grand des canulars : comment la conspiration du réchauffement climatique menace votre futur ! N’oublions pas non plus que 70% des sénateurs républicains américains sont climatosceptiques. En réalité, il y a différentes familles de climatosceptiques. Il y a les personnes qui ne croient pas qu’il y ait un changement climatique. Mais il y a aussi celles qui ne croient pas que ce changement soit dû à l’homme. Et aujourd’hui, ce sont aussi ceux qui pensent que l’homme peut inverser la tendance grâce à la géo-ingénierie.
Le courant climatosceptique existe-t-il ailleurs que dans les pays anglo-saxons ? Quelle est la situation en Chine, par exemple ? Et en France ?
Les autorités chinoises ne laissent aucun doute sur le fait qu’elles sont très actives et qu’elles ont compris qu’il fallait « décarboner » les points de croissance. A quelques mois de la COP21, elles ont cependant demandé très clairement qu’on les laisse faire progresser leurs émissions de CO2 jusqu’en 2030. Avec la promesse de stabiliser ces émissions puis de les réduire ensuite. Personnellement, je crois que nous n’avons pas le temps de nous permettre ça mais c’est tout ce qu’ils peuvent faire apparemment… En ce qui concerne la France, un sondage de 2013 indiquait que 22% des Français pensent que les activités humaines ne sont pas responsables du changement climatique et 13% doutent de la réalité même de ce dernier.
Comment les climatosceptiques procèdent-ils pour faire valoir leur point de vue ?
D’une manière générale, dès que l’on creuse un peu, on s’aperçoit qu’ils s’appuient peu sur des données scientifiques. C’est bien ce qui est délirant. Ou alors ils les tronquent. Je pense notamment aux courbes de températures qu’ils isolent sur des épisodes de temps très courts et non significatifs.
S’engager sur les questions climatiques, c’est forcément signer la mort des industries fossiles.
Nous retrouvons, en outre, les arguments récurrents de la rhétorique négatrice : l’influence du soleil, le ralentissement des augmentations de températures, la confusion météo-climat, etc. Ce grand classique fonctionne à merveille sur le grand public. Jim Inhofe, un des sénateurs les plus virulents sur le sujet, s’est ainsi amusé, un hiver, à construire un igloo avec ses petits-enfants à Washington, prouvant par là qu’il faisait bien froid… Ils n’ont pas franchement besoin de données scientifiques pour instiller le doute. Ils ont tout de même des soutiens parmi quelques chercheurs. L’astrophysicien Willie Soon a, par exemple, beaucoup travaillé sur le rôle du soleil. Ces travaux ont été financé par l’industrie de l’énergie fossile et il a touché plus d’un million de dollars depuis 2002 de la part de multinationales, comme Exxon, American Petroleum Institute, etc. Selon lui, ses recherches démontrent que le changement climatique en Arctique est lié au soleil. Inutile de dire qu’il est discrédité de par le monde.
En général, les climatosceptiques ne s’appuient sur rien de tangible. Ils font des affirmations qu’il nous est impossible de recouper mais qui font leur petit effet. Quand ils se rendent à des conférences sur le climat avec un stand climatosceptique pour provoquer, c’est un succès garanti. Et c’est ce qu’ils veulent : provoquer, provoquer le débat, jusqu’à se faire insulter même. Et s’ils parviennent à toucher une personne, ils sont très contents. Ils veulent signaler qu’ils sont là, qu’ils existent. Et ces stands ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Ce qui est, me semble-t-il, beaucoup plus puissant et moins visible, ce sont ceux qui sont au Sénat. Récemment, quand le Pape François est allé au Sénat américain, certains ont refusé de le voir – bien qu’ils soient en général très croyants – car ils le considèrent comme un pape « gauchiste ». Ils n’apprécient pas qu’il les enjoigne à s’engager dans la lutte contre les changements climatiques. Généralement, les climatosceptiques ne font pas la preuve de ce qu’ils avancent. Nous, en revanche, nous parvenons à faire la preuve de leurs accointances avec l’industrie fossile. Or, s’engager sur les questions climatiques, c’est forcément signer la mort des industries fossiles.
Quelle influence ont les climatosceptiques ?
Même s’ils n’étayent pas leurs affirmations sur le plan scientifique, ils parviennent à instiller le doute. Des émissions comme « 28 Minutes », sur Arte, m’ont appelée pour me demander quels climatosceptiques inviter sur leur plateau. Je leur ai conseillé d’arrêter de leur donner la parole et surtout d’arrêter de les mettre au même niveau que les scientifiques du GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, NDLR]. Mais on me répond systématiquement qu’il faut un « pour » et un « contre », « un débat », pour que cela équilibre le plateau… J’en veux beaucoup à mes confrères, qui ne connaissent que moyennement le dossier, de donner le même temps de parole à deux courants n’ayant pas du tout la même légitimité sur le plan scientifique.
Quel traitement journalistique auriez-vous préféré ?
Je pense que le lieu du débat scientifique n’est pas dans les médias. C’est d’ailleurs ce que disent Stéphane Foucart 1, Sylvestre Huet et beaucoup d’autres journalistes scientifiques. Le débat scientifique a lieu ailleurs : dans des instances comme le GIEC, les Académies des sciences américaine, française, etc. Pas dans les médias. Ou alors, il ne faut pas dire que c’est un débat scientifique, mais simplement qu’il y a des opinions différentes.
Le lieu du débat scientifique n’est pas dans les médias.
Est-ce que l’on invite des économistes qui racontent n’importe quoi ? Est-ce que les journalistes invitent sur leurs plateaux des économistes qui affirment que deux et deux font cinq ? Les climatosceptiques, c’est un peu de ce niveau-là… Et concernant les sujets scientifiques et environnementaux, certains journalistes manquent cruellement de formation, quand ce n’est pas un manque d’intérêt pour ces sujets.
Quels problèmes le climatoscepticisme pose-t-il selon vous ?
Les climatosceptiques nous ont fait perdre du temps. Ils ont réussi à infiltrer les cerveaux et ont donné des raisons valables à tous ceux qui ne veulent pas changer, qui préfèrent penser que les choses vont se résorber d’elles-mêmes ou que le réchauffement climatique n’existe pas. Or, on parle tout de même d’un phénomène absolument inédit dans l’histoire de la société humaine. Cela fait 12 000 ans que les conditions de vie sur Terre sont stables. Cette situation a permis à l’Homme de passer de son champ agricole à la Lune. Et ces conditions sont en train de basculer.
D’une certaine façon, nous sommes tous des climatosceptiques.
Les climatosceptiques nous ont donc fait perdre du temps. Mais nous sommes un peu tous responsables. Et, d’une certaine façon, nous sommes tous des climatosceptiques. C’est d’ailleurs ce que nous disons à la fin du documentaire. La société doit faire un deuil : le deuil du XXème siècle, le siècle des énergies fossiles à tout crin, le siècle où tout était possible. Le processus de deuil est valable dans tout : la sidération, le déni, la schizophrénie, la dépression, etc. Et pour l’instant, nous sommes encore dans le déni et la schizophrénie. Personne n’a envie de renoncer à son confort et de changer son mode de vie, sauf les gens extrêmement conscients de cet état de fait, mais ils restent une minorité. Bien sûr, il y a les politiques publiques, la recherche, etc. Mais le changement passe aussi par chacun d’entre nous. Et la victoire des climatosceptiques se situe là.
Que faudrait-il faire selon vous ?
Il faudrait montrer que le changement peut être agréable. Dans son livre L’Espèce fabulatrice, Nancy Huston écrit que l’espèce humaine adore adhérer à des récits. Le récit auquel nous avons adhéré, c’est celui de la croissance, du progrès. Ce récit était désirable. Il faut désormais rendre désirable un autre récit : celui de la résilience, de la collaboration, de la sobriété. Je ne vais pas commencer à dire qu’il faudrait un gouvernement plus écolo, des politiques publiques plus fermes, etc. Bien sûr qu’il faudrait du courage politique pour maintenir l’écotaxe lorsque les bonnets rouges sont dans la rue, par exemple. Bien sûr, qu’il faut fermer une centrale nucléaire quand on promet de le faire. Mais il n’y a pas que ça. Il faut aussi que chacun fasse sa part, sa révolution. Mais vite, parce que nous manquons de temps.
Comment s’est passé le tournage du documentaire ?
Quand on passe un certain temps immergé au milieu des climatosceptiques, on finit par se demander si ce n’est pas nous qui sommes fous… Ils sont tellement convaincus de ce qu’ils avancent que toute personne normalement constituée ne peut que douter à un moment donné. C’était une gymnastique psychique permanente pour ne pas se laisser entraîner dans leurs raisonnements. Raisonnements qui, en fait, on le voit très vite, ne sont que des raisonnements idéologiques et politiques, et pas du tout des raisonnements scientifiques. Même les pseudo-scientifiques que nous avons rencontrés finissent à un moment par aborder les questions de liberté individuelle…
La situation a-t-elle évolué depuis votre enquête ?
Je pense que la situation a évolué dans le mauvais sens. A côté des négateurs du climat, facilement identifiables et à la limite de la caricature, un autre scepticisme est né : le climate-washing. Il suffit de regarder qui finance des événements comme la COP21 pour comprendre. On y trouve des industriels et des entreprises qui ne remettent toujours pas en cause notre rapport aux énergies fossiles, ni à la consommation, ou qui financent des projets d’extraction dans le monde.
Ce qui se passe est pire encore : le système ne change pas.
Pour moi, ce qui se passe est pire encore : le système ne change pas, les discours sont plus que jamais vains, les engagements des uns et des autres sont seulement « volontaires ». Personne ne s’offusque que la Chine ait annoncé une progression de ses émissions jusqu’en 2030. Au contraire, cette annonce a été accueillie comme une bonne nouvelle alors qu’il y a urgence à agir dès maintenant. Pendant ce temps, les émissions de CO2 continuent d’augmenter et les multinationales s’offrent une « éco-virginité » pour pas grand chose.
Les informations erronées, ou trompeuses, sont-elles aujourd’hui plus fréquentes qu’auparavant ?
J’aurais tendance à dire que cela a toujours existé. Les journalistes ont de plus en plus de mal à prendre le temps de vérifier les informations, à enquêter. Avec les nouveaux médias et l’information continue, nous sommes tous pressés. C’est la course à l’échalote. La même information est traitée partout.
Notre rôle de journaliste est d’aller au-delà de ce que nous voyons.
Selon moi, notre rôle de journaliste est d’aller au-delà de ce que nous voyons, et d’investiguer. J’ai toutefois l’impression que les journalistes ont de moins en moins de temps pour ça. J’ai passé 15 ans à Libération. Je vois bien comment sont les articles désormais. Il y a 80 journalistes en moins depuis un an. Ils sont tous sur les rotules. Ils n’ont pas forcément le temps, ni les moyens, d’aller enquêter. Cela devient très compliqué. Et si les journalistes ne le font pas, qui le fera ? Il y a les Organisations non gouvernementales, bien sûr. Certaines d’entre elles travaillent d’ailleurs très bien et sont très utiles. Même si j’y crois un peu moins, il y a aussi les contre-pouvoirs et les contrefeux dans l’administration. Finalement, j’ai l’impression que nous sommes à la fois dans l’ère du fact-checking [la vérification d’informations et d’affirmations par les faits, NDLR], où tout se voit et où tout se sait, mais que nous sommes également dans l’ère de l’« enfuming ».
Que pensez-vous de la façon dont les questions scientifiques sont traitées dans les médias ?
Je dirais qu’elles sont assez « maltraitées ». Je m’intéresse davantage aux questions environnementales, qui ne sont pas uniquement des questions scientifiques. Mais les médias ne font pas grand cas de ces sujets. Ce n’est pas vrai partout toutefois. France 5 ou Arte ont de vraies cases scientifiques, par exemple.
Dans les rédactions des journaux, la situation est quelque peu différente. Libération, par exemple, que j’ai quitté il y a un an, est passé d’une page « Terre », quotidienne en 2003, à rien, mis à part quelques informations sporadiques. Cela montre le peu d’intérêt de nos chefs pour ces questions et le déficit des formations des journalistes sur ces sujets. Dans les rédactions, la plupart des responsables ont fait Sciences Po. Ils s’intéressent aux questions politiques et économiques, mais pas vraiment aux problématiques environnementales et scientifiques.
Dans votre documentaire, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et président de la COP21, dit qu’il ne faut pas que le climatoscepticisme soit remplacé par le « climato-fatalisme ». Partagez-vous son avis ?
Il est dans son rôle de ministre en affichant cet espoir. Mais regardons les chiffres : nous dépasserons probablement les trois voire les quatre degrés à la fin de ce siècle, car les émissions de CO2 explosent. Rien ne montre, de façon concrète, que cette tendance s’inversera à court ou moyen terme. Nous sommes très loin du compte. Et ce n’est pas du fatalisme mais de la lucidité que de le dire.
Il faut arrêter de prétendre que nous allons limiter le réchauffement climatique à deux degrés. Il est déjà trop tard et il faudrait désormais commencer à se préparer à des hausses de quatre, cinq ou six degrés. Je n’ai pas l’impression que le monde se soit mis en ordre de marche pour limiter quoi que ce soit. Laurent Fabius est dans l’action et dans l’image politique, parce qu’il faut que la COP21 soit un succès.
“La connaissance avance, mais l’ignorance avance plus vite”
Romain Jeanticou
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On connaît l’épistémologie, étude de la connaissance, mais l’ignorance s’étudie aussi ! C’est le travail de l’agnotologie, à laquelle une table ronde était consacrée aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois. Elle examine comment négationnistes, complotistes ou lobbies industriels entravent notre accès aux faits et produisent de l’ignorance. La publication de nouveaux documents internes à Monsanto a révélé que le géant américain de l’agriculture chimique avait payé des scientifiques de renommée mondiale pour discréditer les rapports évoquant la toxicité de son désherbant. Une équipe dédiée serait chargée, au sein de la compagnie, de rédiger des articles favorables aux produits de Monsanto qui sont ensuite repris à leur compte par ces scientifiques. Une criante production de désinformation, qui est loin de s’arrêter à la barrière des champs d’OGM.
La science qui étudie ce phénomène se nomme l’agnotologie. Elle était l’objet d’une table ronde, aux Rendez-vous de l’Histoire qui se tenaient jusqu’au dimanche 8 octobre à Blois. Elle examine les mécanismes de production, de diffusion et d’entretien de l’ignorance. On doit ce terme à Robert N. Proctor, historien des sciences américain. Ce professeur de Stanford avait été interpellé par l’énorme décalage temporaire qui séparait la découverte des premiers liens entre consommation de cigarettes et cancer du poumon par des médecins allemands et autrichiens dans les années 1920 et la même prise de conscience aux Etats-Unis… plus de cinquante ans plus tard.
En étudiant ce cas d’ignorance flagrant, il découvre que les cigarettiers américains ont tout fait, pendant des décennies, pour empêcher que ces mêmes conclusions éclatent au grand jour dans leur pays. « Le doute est notre produit », disait un mémo interne de la compagnie de tabac Brown & Williamson. Du travail de dissimulation des industriels du tabac à la fabrication de flou par Monsanto, le principe est le même : empêcher l’accès au savoir pour protéger ses intérêts.
Saper la solidité d’un savoir
L’historien et journaliste scientifique Nicolas Chevassus-au-Louis a décortiqué ces procédés et opère un rapprochement entre négationnisme, théories du complot et agnotologie dans le domaine scientifique. Ils partagent selon lui un même mécanisme théorique, qui commence toujours par « saper la solidité d’un savoir en semant le doute » : « Ils vont tous insister sur les incohérences, les contradictions et les désaccords, analyse ce docteur en biologie. Un négationniste comme Robert Faurisson s’est appuyé sur les faux témoignages de personnes qui avaient prétendu avoir survécu à la Shoah pour nier tout entier le génocide des Juifs. Les complotistes, eux, vont soulever des interrogations sur la capacité d’une vingtaine de terroristes à passer les portiques de sécurité des aéroports le 11 Septembre. Enfin, les climato-sceptiques vont avancer que la température terrestre est plutôt stable depuis 1998 en occultant les analyses à long terme. »
La deuxième étape relève du précepte cui prodest ?, « à qui profite le crime ? ». Il est difficile de nier que la Shoah a accéléré la création de l’Etat d’Israël, que les vaccins ramènent de l’argent à l’industrie pharmaceutique ou que le réchauffement climatique apporte des voix aux partis écologistes. Pour autant, en faire les instigateurs de ces phénomènes ne relève d’aucune logique – c’est néanmoins ce que font les agnologues.
“Si quelqu’un de reconnu pense comme moi, c’est que c’est vrai”
C’est à partir de là qu’est proposée une « version alternative » : les chambres à gaz auraient seulement servi à désinfecter les détenus, le World Trade Center aurait été détruit par des explosifs installés par les services secrets américians et le réchauffement climatique ne serait que la conséquence des variations naturelles de l’activité du soleil… « Les auteurs de ces récits vont alors tout faire pour renforcer cette version alternative », poursuit Nicolas Chevassus-au-Louis.
Il pourra s’agir d’user de l’argument d’autorité : si quelqu’un de reconnu pense comme moi, c’est que c’est vrai. « Robert Faurisson a beaucoup mis en avant le fait qu’il était professeur, et Claude Allègre, climatosceptique, qu’il était scientifique. Mille cinq cents scientifiques ont par ailleurs signé une pétition demandant la réouverture de l’enquête sur le 11 Septembre. » La volonté de persuasion peut aller jusqu’à la manipulation des mécanismes scientifiques. « Une revue de chimie a publié une étude montrant que les débris des tours du 11 Septembre contenaient des résidus de nanothermite, un composite intermoléculaire que l’on trouve dans les explosifs, raconte l’historien. Ce fait a été exploité par les complotistes. En réalité, la nanothermite est produite par le chauffage à au moins 1 200 degrés de la peinture. On a là une fraude totale sur l’interprétation de données scientifiques. »
Ce genre de manipulation est, dans l’imaginaire collectif, imprégné de nombreux exemples, l’apanage des grands industriels. Une conception que nuance Nicolas Chevassus-au-Louis. « On pense forcément aux “méchants” comme Philip Morris et Monsanto, mais des associations de la société civile usent des mêmes pratiques. » L’historien cite l’affaire Gilles-Eric Séralini, ce biologiste français qui tira en 2012 la conclusion selon laquelle les rats nourris au maïs génétiquement modifié développaient des tumeurs. « Le retentissement médiatique et politique fut énorme, mais l’article qu’il a publié ne permettait absolument pas de conclure à un caractère cancérigène des OGM. Il s’agissait d’une publication à but idéologique : c’est la première fois qu’un défenseur de l’environnement utilisait les mécanismes de l’agnotologie pour instituer un doute. »
La production non intentionnelle de l’ignorance
Le mensonge et la falsification ne sont pas les seules façons de saper la connaissance. La sociologue de la santé Emmanuelle Fillion s’est intéressée à ce qu’elle appelle la « zone grise » entre ce que l’on sait et ce que l’on ignore : les oublis ou la négligence. « L’ignorance n’est pas seulement le résultat d’une production active, elle est aussi parfois la conséquence d’un flou entretenu par les autorités sans intention de falsifier des savoirs, affirme-t-elle. Ne pas faire ou ne pas chercher à savoir provoque aussi des catastrophes sanitaires. »
Ses recherches se sont portées sur l’affaire du Distilbène, la première hormone synthétisée à la fin des années 1930 et exploitée par l’industrie pharmaceutique, notamment contre les risques de fausses couches chez les femmes enceintes. Des tests montrent son inefficacité, mais l’hormone est tout de même prescrite à des centaines de milliers de femmes à travers le monde. « Dès 1971, un obstétricien de Boston remarque que six jeunes patientes ayant développé un cancer ont toute une mère qui a pris du Distilbène, raconte Emmanuelle Fillion. Petit à petit, le médicament est interdit aux femmes enceintes. Puis en 1991, des scientifiques identifient le Distilbène comme le premier perturbateur endocrinien [substance chimique étrangère à l’organisme et potentiellement néfaste, ndlr], concept alors nouveau. Pourtant, le dossier est marginalisé et les autorités publiques refusent de produire des connaissances ! Il faut attendre 2010 pour qu’un programme national de recherche soit ouvert en France, mais là encore c’est pour s’entendre dire que l’on n’a rien trouvé. »
Emmanuelle Fillion y voit à l’œuvre deux postures idéologiques : « Le “c’est déjà passé, s’il y avait quelque chose de grave, ça se saurait” et le “l’information est dangereuse pour les malades” que l’on retrouve aussi dans l’affaire du sang contaminé. » Selon la sociologue, les risques émergents et les pathologies rares n’entrent pas dans les outillages scientifiques, car « s’il y a trop peu de cas, cela ne vaut rien au niveau scientifique, alors qu’au niveau sanitaire, c’est important ». « Pour éviter cette production d’ignorance non intentionnelle à l’intérieur même de la science et malgré une rigueur justifiée, il faut s’appuyer sur des formes d’interdisciplinarité et moins sur la pureté disciplinaire. »
Une chaîne du froid pour les faits
Il paraît évident, au regard des découvertes scientifiques et des avancées technologiques, que la connaissance progresse. Cette croissance du savoir ne se traduirait pourtant pas, comme dans un système de vases communicants, par une réduction de l’ignorance – bien au contraire. « Je pense plutôt que si la connaissance avance l’ignorance avance aussi, et elle avance d’ailleurs plus vite, soutient le philosophe des sciences Daniel Andler. La connaissance avance de manière à peu près linéaire, en résolvant les questions l’une après l’autre. Pour les résoudre, on développe de nouveaux concepts. Le problème, c’est que si l’on développe cinq concepts pour une seule question, cela engendre un éventail de nouvelles questions qui va avancer de façon exponentielle – et non linéaire comme le fait la connaissance. »
Que faire alors, dans ces circonstances, pour freiner l’agnotologie galopante ? « Il n’y a pas de remède, répond le philosophe, qui fut d’abord mathématicien. Mais il y a peut-être, à défaut, une hygiène à trouver : les faits doivent circuler, de leur production à leur diffusion, en étant entourés d’une protection. Les tenir à l’abri de ceux qui utilisent leur incertitude et de ceux qui payent des gens pour les mettre en cause. En fait, il faut créer l’équivalent de la chaîne du froid, avec les faits à la place du lait. »