Articles du Vendredi : Sélection du 13 janvier 2017

Associations et syndicats défendent la création d’« un million d’emplois pour le climat »

Rémi Barroux
www.lemonde.fr/planete/article/2017/01/12/associations-et-syndicats-defendent-la-creation-d-un-million-d-emplois-pour-le-climat_5061596_3244.html

Deux fois plus de dividendes que d’investissements

Christian Chavagneux
http://www.alterecoplus.fr/plus-de-dividendes-dinvestissements/00012943

Le biomimétisme ne doit pas servir au productivisme

Gauthier Chapelle et Pablo Servigne
https://reporterre.net/Le-biomimetisme-ne-doit-pas-servir-au-productivisme

Le revenu universel s’incruste dans le débat de la primaire à gauche… et divise tout le monde

Anne-Sophie Jacques
www.arretsurimages.net/articles/2017-01-12/Le-revenu-universel-s-incruste-dans-le-debat-de-la-primaire-a-gauche-id9453

Jon Palais : Les deux faces de la non-violence

Pascal Greboval
www.kaizen-magazine.com/jon-palais-les-deux-faces-de-la-non-violence/

La finance, nos banques… c’est le climat ! Alors à Dax, nous aussi, on sera là !

Alternatiba
https://alternatiba.eu/2017/01/finance-nos-banques-cest-climat-a-dax-on-sera/

Associations et syndicats défendent la création d’« un million d’emplois pour le climat »

Rémi Barroux
www.lemonde.fr/planete/article/2017/01/12/associations-et-syndicats-defendent-la-creation-d-un-million-d-emplois-pour-le-climat_5061596_3244.html

Conjuguer la lutte contre le réchauffement climatique et celle contre le chômage est possible et nécessaire, argumentent des associations environnementales, de chômeurs, des syndicats dans un rapport.  Créer un million d’emplois d’ici 2020, par la mise en œuvre de la transition écologique, par la lutte contre les émissions des gaz à effets de serre, c’est possible et souhaitable. Tel est le constat que livrent, dans un rapport publié jeudi 12 janvier, plusieurs associations – ATTAC, Réseau action climat (RAC), Les Amis de la Terre, Ligue des droits de l’Homme (LDH), Alternatiba, Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), etc. – et syndicats – Solidaires, FSU, Confédération paysanne.

A quelques mois de l’élection présidentielle, ce « million d’emplois pour le climat » résonne comme un slogan, mais le rapport est d’abord issu d’un travail approfondi, réalisé secteur par secteur, et reprenant les nombreuses études déjà réalisées sur les emplois verts, ou le poids économique et social de la transition écologique.

Ainsi, l’Organisation internationale du travail (OIT) chiffrait à 60 millions d’emplois le gain apporté par « la transition vers l’économie verte », dans un rapport publié en 2012. En France, le chercheur au Cired Philippe Quirion a réalisé en 2013 une évaluation du scénario négaWatt, pronostiquant « 632 000 emplois nets en 2030 ». Et, en 2016, l’Ademe livrait une « analyse de l’étude 100 % énergie renouvelable », tablant sur « 896 000 emplois en 2050 ».

Les organisations, cosignataires du rapport, se situent dans la droite ligne de l’Accord de Paris, signé en décembre 2015, à l’issue de la conférence sur le climat, la COP21 : il y a urgence à investir dans la transition, car le réchauffement menace l’activité économique. Nicholas Stern, ancien vice-président de la Banque mondiale estimait en 2006, dans un rapport, que le réchauffement climatique pourrait coûter jusqu’à 5 500 milliards d’euros et détruire des dizaines de millions d’emplois si les gouvernements ne prenaient pas des mesures radicales.

Zéro chômeur climatique

Mais pour pouvoir accélérer la lutte contre les changements climatiques, les auteurs du rapport rappellent la nécessité de la prise en compte des impératifs sociaux et économiques, ainsi que le précise d’ailleurs le préambule de l’Accord de Paris. Car, si la mise en œuvre de cette transition est génératrice d’emplois, elle va aussi en détruire. « Il ne doit pas y avoir de chômeur climatique, que ce soient des personnes qui perdent leur emploi à cause des dérèglements climatiques, catastrophes, etc., ou que ce soient des chômeurs provenant de secteurs en voie de disparition du fait de la transition, comme les énergies fossiles », explique Maxime Combes, d’Attac.

« Un salarié d’une centrale à charbon qui perd son emploi dans le Nord ne pourra pas travailler le lendemain en tant qu’installateur de panneaux photovoltaïques à Marseille », expliquent les auteurs du rapport. Il y a donc urgence, selon les ONG, à préparer et à organiser les transformations et reconversions, d’autant plus complexes en période de crise économique.

L’enjeu de cette « transition juste » est capital car sans prise en compte du volet social il n’y aura pas d’adhésion aux politiques de réduction des émissions de gaz à effets de serre. « Il va y avoir une perte d’emplois liée à la diminution des activités polluantes et pour éviter les blocages dans la mise en œuvre de la transition écologique, il faut prendre en compte, en amont, ses impacts sociaux », avance Meike Fink, du RAC, l’une des auteurs du rapport. Autrement dit par Naomi Klein : « si nous conjuguons justice sociale et action pour le climat, les gens se battront pour cet avenir ».

Sept mesures pour un million d’emplois

Reprenant la campagne lancée au Royaume-Uni, en 2014, One million climate jobs, par un mouvement citoyen, Campaign Against Climate Change – reprise dans d’autres pays, Afrique du Sud, Portugal, Canada, Norvège, etc. –, les associations françaises ont fait leurs calculs. Elles présentent sept mesures qui permettraient de créer un million d’emplois, dont 100 000 emplois dans le service public, 250 000 emplois aidés labellisés « transition écologique » et 650 000 dans les secteurs privés de la transition écologique. Elles ont chiffré l’effort financier d’investissement à 104,7 milliards d’euros par an.

En fait, expliquent les auteurs du rapport, il faut aussi prendre en compte la destruction d’emplois, qui atteindrait le chiffre de 446 000, notamment dans les secteurs de l’automobile (85 000), du bâtiment (124 000), des produits pétroliers (25 000), liés aussi à l’abandon du nucléaire (76 000), du fret routier (31 000) ou encore de l’agriculture traditionnelle (30 000).

Mais ces pertes seraient largement compensées par les créations nettes d’emploi dans un grand nombre de secteurs : bâtiment et rénovation (350 000 emplois), énergies renouvelables (330 000), action sociale (230 000), réparation de biens domestiques, recyclage (130 000), fabrication industrielle dans des secteurs compatibles avec la transition (110 000), agriculture paysanne bio (50 000).

Certes, l’approche est macroéconomique, reconnaissent les auteurs du rapport, et il peut donc y avoir surestimation ou sous-estimation des réalités de terrain. Mais l’ordre de grandeur et les méthodes de calcul sont conformes au travail qu’avait réalisé M. Quirion sur l’impact de la transition énergétique sur l’emploi, le scénario négaWatt.

Manque de volonté politique

La transition écologique rapporte plus, économiquement, qu’elle ne coûte. Mais il manque la volonté politique et la force de conviction, expliquent les organisations coproductrices du rapport. « Il ne suffit pas de fonder des entreprises qui construisent des éoliennes si personne ne veut les installer sur son territoire. Il ne suffit pas de créer des infrastructures de vélo si l’utilisation du vélo est considérée comme dangereuse par une majorité de personnes. (…) Il faut construire des éoliennes et des trains, il faut rénover des “passoires énergétiques” mais il faut aussi aller voir les gens là où ils sont », plaident-elles.

L’argent pour financer cette transition et la création du « million d’emplois » existe. Les niches fiscales en faveur des énergies fossiles représenteraient 10 milliards d’euros par an, l’évasion et la fraude fiscale, de 30 milliards à 160 milliards d’euros, le coût de la privation d’emploi, 36 milliards, etc. Le financement de ces emplois est donc possible.

Les associations et syndicats à l’origine de ce rapport veulent aussi montrer qu’« une transition écologique riche en emplois de bonne qualité est possible ». Ils espèrent que, dans le cadre notamment de l’élection présidentielle, le débat s’ouvrira, territoire par territoire, secteur par secteur.

Deux fois plus de dividendes que d’investissements

Christian Chavagneux
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Notre confrère Les Echos annonce que les entreprises du CAC40 ont distribué 56 milliards d’euros de dividendes en 2016. Il y a certes matière à se réjouir de ce résultat car il signifie que dans un environnement de croissance mitigée, nos champions arrivent à tirer leur épingle du jeu. Pourtant, ce niveau est élevé : il atteint presque les 57 milliards de 2007 distribués au plus haut de la bulle financière. Dans une économie qui croît peu, cela suggère que les détenteurs d’actions reçoivent une part importante de la richesse produite.

 

La situation au-delà du CAC40

Surtout, ce niveau est trop élevé au regard des investissements. Guillaume Maujean, éditorialiste aux Echos, indique que si l’on met de côté le versement exceptionnel de Vivendi, nos champions du CAC distribuent la moitié de leurs profits aux actionnaires et conservent l’autre moitié. Si l’on prend en compte l’ensemble des sociétés cotées, la distribution de dividendes revient à 30 % des bénéfices. Nos entreprises arriveraient ainsi à concilier rémunération du capital et pérennité à long terme.

Pourtant, un regard sur l’ensemble de toutes les entreprises françaises donne une autre image. A partir des résultats des trois premiers trimestres, on peut estimer que les sociétés non financières ont distribué l’an dernier autour de 246 milliards de dividendes. Mais comme certaines entreprises sont actionnaires les unes des autres, elles en ont aussi reçu environ 168 milliards, soit, au final, un versement net de 78 milliards d’euros.

Les entreprises distribuent deux fois plus de dividendes qu’elles ne réalisent de nouveaux investissements

Dans le même temps, les nouveaux investissements de ces entreprises, c’est-à-dire ceux qui permettent de renouveler l’appareil productif et non pas seulement d’entretenir les anciens investissements, se sont élevés à 41 milliards. Le résultat est clair : les entreprises non financières distribuent deux fois plus de dividendes qu’elles ne réalisent de nouveaux investissements. Une proportion complètement inversée par rapport au début des années 1980 où elles investissaient deux fois plus qu’elles ne distribuaient de dividendes.

Seuls les dividendes déclarés sont taxés

Un dernier point : Guillaume Maujean souligne que la fiscalité du capital a progressé ces dernières décennies, suggérant ainsi qu’une partie des dividendes versés par les entreprises repart dans les caisses de l’Etat. C’est vrai pour les dividendes déclarés. Or, les stratégies d’optimisation fiscale agressive des plus riches leur permet d’y échapper.

Un élément permet d’en avoir une idée : selon les travaux de Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez, moins de 15 % des revenus financiers se retrouvent dans la base d’imposition. A un point tel que les allocations chômages déclarées sont supérieures aux revenus financiers, comme si les chômeurs accumulaient chaque année plus de richesses que les actionnaires !

Le biomimétisme ne doit pas servir au productivisme

Gauthier Chapelle et Pablo Servigne
https://reporterre.net/Le-biomimetisme-ne-doit-pas-servir-au-productivisme

Le biomimétisme connait un regain d’intérêt grâce au talent pédagogique d’Idriss Aberkane. Mais cette direction technique n’a de sens que si elle reste dans les principes du vivant plutôt qu’à maintenir le système industriel actuel. Gauthier Chapelle est coauteur du livre Le Vivant comme modèle (Albin Michel, 2015), préfacé par Nicolas Hulot et Jean-Marie Pelt. Pablo Servigne, est coauteur de Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (Seuil, 2015), et du Petit traité de résilience locale (ECLM, 2015).

 

Les poissons à hélice, ça n’existe pas. Partant de cette simple constatation, Jean-Baptiste Drevet a conçu en 2013 une nouvelle façon de produire de l’électricité à partir des courants marins. Pour cela, il a fabriqué une membrane qui suit le mouvement ondulatoire de la raie, portée par les courants. Il n’a pas copié, mais il a observé, tiré les principes, et innové. Voilà ce qu’est le biomimétisme. Un truc qui rend les inventions beaucoup plus durables, efficaces, efficientes, et dans ce cas, sans risque pour les poissons ou les cétacés [1].

L’exercice de s’inspirer de la nature n’est pas nouveau — il remonte à l’Antiquité, et passe par la Renaissance — mais il a pris de l’envergure dans les années 1990 [2], où il a permis d’apporter une réponse potentiellement radicale aux agressions de notre civilisation industrielle. Côté grand public, cette posture rencontre un succès grandissant [3]. Côté université, malgré les réticences de quelques vieux professeurs, des étudiants n’ont cessé de le réclamer comme nouvelle discipline. Mais côté industrie, c’est la déception. Malgré le foisonnement d’idées originales, peu d’innovations significatives ont vu le jour : elles sont jugées trop radicales car elles rendent obsolètes les technologies précédentes, ce qui représente un risque économique trop important pour la plupart des industriels [4].

Une vidéo d’Idriss Aberkane, en faisant le buzz sur les réseaux sociaux, a ramené les projecteurs sur le biomimétisme. Et c’est tant mieux ! Mais malgré quelques propos bien intentionnés (notamment son appel à une économie sans déchet, comme dans les forêts), l’essentiel de son discours nous a mis plus que mal à l’aise [5]. Trois aspects nous ont particulièrement frappé.

L’éthique. Quel est le sens de s’inspirer de la nature s’il s’agit de créer toujours plus de puces électroniques, de peintures contenant des biocides, de revêtements d’avion ou un nouveau blindage de char ?

Les objectifs. Quel est l’intérêt d’exploiter mieux la nature si c’est pour tendre vers toujours plus d’industrialisme high-tech et de croissance économique ? Idriss ne fait que servir une bonne vieille soupe, avec des manières fort agréables et un talent certain. Pour faire passer la pilule, il s’extasie sur une croissance « dématérialisée », celle de la connaissance. C’est louable, mais c’est oublier un troisième point :

Une incompatibilité totale avec le fonctionnement du système-Terre. Car les connaissances qu’il encense ne peuvent prendre de la valeur économique qu’une fois traduites en technologie, et donc en générant forcément à leur tour des nouveaux besoins en matériaux et en énergie (rarement renouvelable, pour autant que cela existe). Et cela sans compter sur le gigantesque coût en matière et en énergie pour produire et stocker toute cette connaissance. De même, lorsqu’on développe, par exemple, des microrobots pollinisateurs bio-inspirés des insectes, en quoi cela est-il un gage de durabilité ? Ils sont infiniment moins durables, ils consomment bien plus d’énergie et de matériaux à la fabrication que les bonnes vieilles abeilles, leurs cadavres polluent, ils ne peuvent même pas être mangés par les oiseaux, et ils ne font pas de miel ! Il y a dans ces discours high-tech une totale absence de conscience des enjeux de l’anthropocène.

Revenir dans le cadre des principes du vivant

Il faut se rendre à l’évidence, le biomimétisme industriel high-tech ne va pas suffire. Bien au contraire. Il précipite l’effondrement de notre société en nourrissant le tourbillon de croissance, d’agitation et de pollutions.
Le biomimétisme qui est proposé dans le livre Le Vivant pour modèle (de Gauthier Chapelle & Michèle Decoust) va bien au-delà de ces fantasmes techno-béats. Il invite à s’inspirer d’un maximum de principes du vivant simultanément (pas seulement un seul à la fois), et d’aller vers de l’innovation des modes d’organisation (pas seulement des matériaux). Vivre grâce à ces principes n’est pas une lubie passagère de bobos en mal d’inspiration, c’est un moyen d’apprendre à nous « réinsérer gracieusement dans la biosphère » [6]. Traduction pour les cyniques : c’est un moyen de survivre.

La plupart des espèces (hormis la nôtre) transforment l’énergie solaire avec efficience (oui, manger des végétaux, c’est du solaire), s’approvisionnent localement, évitent les substances toxiques persistantes (nous en produisons chaque jour de nouvelles !), utilisent les rejets des autres espèces comme des ressources (dans une forêt, il n’y a pas de déchet), et n’hésitent pas à traverser tempêtes et pénuries en s’appuyant sur la diversité et la coopération. La simplicité de cette grille n’a d’égale que son exigence, et malheureusement, bien rares sont les innovations qui s’en inspirent…

Il est beaucoup trop tard pour faire de l’innovation « sparadrap » ou pour repeindre la mégamachine en vert [7]. On la voit aujourd’hui toussoter, crachant ses dernières fumées avant son extinction. Au passage, elle aura été à l’origine d’un bouleversement brutal du climat et de l’une des plus grandes crises d’extinction que la Terre ait connue. En bref, elle est incapable de survivre sur notre planète.

Le biomimétisme qui nous inspire (celui du XXIe siècle !) n’a pour autre but que de nous préparer à la sortie totale et définitive des combustibles fossiles et nucléaires, c’est-à-dire à nous faire revenir dans le cadre bien délimité des principes du vivant, duquel la modernité et l’industrialisme nous ont fait sortir. Il participe à la métamorphose culturelle dont nous avons besoin : revisiter notre rapport aux êtres vivants (les « autres qu’humains ») afin de comprendre et de vivre profondément notre interdépendance radicale avec la toile du vivant, celle dont nous faisons partie et qui se tisse depuis la nuit des temps. C’est le seul gage de survie que nous voyons.

Il est important non seulement d’arrêter de nuire, mais aussi et surtout de réparer et de régénérer notre habitat. Nous sommes persuadés que seules les sociétés qui en prennent la voie auront une chance de perdurer au delà du XXIe siècle. Mais encore faut-il que ce dernier objectif soit partagé par tous… ce qui est apparemment loin d’être le cas.

[1] Une innovation en développement, prête aujourd’hui pour les premiers essais en mer.

[2] À la suite du livre Biomimétisme de Janine Benyus (Rue de l’échiquier, 2011), celle qui a conceptualisé le biomimétisme « orienté soutenabilité » dès 1997, date de sa parution en anglais.

[3] Les mouvements comme la permaculture ou l’agroécologie, même s’ils ne se raccrochent pas officiellement au biomimétisme tel que décrit par Janine Benyus, sont pourtant des manières de comprendre et d’exposer les principes du vivant de manière accessible afin de s’en inspirer au quotidien.

[4] Par exemple, l’unique éolienne améliorée par les formes des nageoires de la baleine à bosse attend toujours un partenaire commercial…

[5] Pour des raisons expliquées ici, ici, ici et .

[6] L’expression est de Janine Benyus.

[7] Une longue expérience de conseil en entreprises (de Gauthier Chapelle) a permis de constater que la grande majorité des entreprises ne sont pas prêtes à développer les innovations « de rupture » que propose le biomimétisme, ni à s’inspirer de tous les principes du vivant simultanément, essentiellement parce qu’elles ont peur du changement (de mourir) et qu’elles n’ont aucune incitation économique pour le faire.

Le revenu universel s’incruste dans le débat de la primaire à gauche… et divise tout le monde

Anne-Sophie Jacques
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« C’est l’une des seules idées neuves de cette campagne présidentielle » selon Patrick Cohen qui recevait mercredi 11 janvier au micro de France Inter l’économiste Daniel Cohen venu défendre le revenu universel. C’est surtout le sujet sur lequel se déchirent les candidats socialistes à la primaire organisée par le PS. Sur quoi s’opposent-ils, au juste ?

 

« Je ne comprends pas grand-chose au salaire de base mais ça a l’air bien » lance une militante aux candidats à la présidentielle venus participer à la table ronde sur l’évasion fiscale organisée le 9 janvier à Dax à l’occasion du procès du faucheur de chaises Jon Palais. On compatit bien volontiers : le salaire de base – ou revenu de base ou universel ou inconditionnel ou d’existence ou social – est un concept nébuleux à la fois économique, philosophique, fiscal et moral comme nous le racontions dans cet article, il y a deux ans. Une nébuleuse et ses mystères mis en lumière lors de notre émission en compagnie de Bernard Friot, Baptiste Mylondo et Michel Husson. Une nébuleuse naguère qualifiée d’utopie, mais qui vient de faire une percée fulgurante, depuis quelques semaines, dans les médias mainstream.

Et c’est la primaire organisée par le PS qui a ramené le sujet à la Une. Selon Patrick Cohen, qui invitait mercredi 11 janvier au micro de France Inter l’économiste Daniel Cohen, « c’est l’une des seules idées neuves de cette campagne présidentielle« . Ainsi, à heure de grande écoute, un économiste archi-médiatisé entreprend la défense du revenu universel – autrement dit un revenu pour tous de la naissance à la mort sans aucune condition.

Résumé de l’affaire, donc, pour les auditeurs qui le découvrent. Après avoir rappelé que ce concept était aussi bien défendu par la droite que par la gauche, Cohen distingue néanmoins « l’adhésion de droite » qui considère ce revenu comme solde de tout compte (entendez : un revenu minimum et rien d’autre, avec lequel tu te débrouilles et ne viens pas nous réclamer ensuite les minima sociaux) et « l’adhésion de gauche » qui promeut un revenu s’ajoutant à certains autres (les allocations chômage par exemple). Épousant l’adhésion de gauche, l’économiste, pour sa part, limiterait néanmoins ce revenu aux personnes qui touchent moins de 2 000 euros. Où l’on voit que la notion de « sans condition » est malléable.

De la douce utopie à la quasi-réalité

Pour autant, le revenu universel sort ces jours-ci du tiroir des douces utopies. Et les médias relaient à l’envi les différentes initiatives pouvant laisser croire que ce concept a de l’avenir. Si les Suisses ont finalement renoncé à l’instaurer à l’échelle du pays en juin dernier, c’est aujourd’hui la Finlande qui fait office de précurseur en expérimentant le revenu universel depuis le début de l’année. Expérience minimale puisqu’elle consiste, selon Le Figaro, à verser 560 euros à 2 000 demandeurs d’emploi de 25 à 58 ans choisis au hasard. Mais bon, c’est un début.

En France, les sénateurs ont également potassé le sujet. Dans un rapport publié en octobre dernier et relayé par L’Obs, les parlementaires proposent « une expérimentation dans des territoires volontaires. Ils suggèrent de distribuer sans contrepartie 500 euros à un échantillon d’au moins 25 000 personnes pendant au moins trois ans ». Là encore, ne nous emballons pas : d’abord cette proposition nécessitera une loi et, souligne L’Obs, elle restera « limitée dans le temps » et concernera « les 18-25 ans et les 50-65 ans » seulement. De son côté, le département de la Gironde a également annoncé sa volonté d’entamer une expérimentation pour 2018. La région Aquitaine-Limousin-Poitou Charentes a déjà lancé ses réflexions, nous explique Rue89 Bordeaux. Le revenu universel est dans la place. Même le directeur de Libé Laurent Joffrin lui a consacré en début d’année un long pavé dans Libération.

 

 

Hamon pour le revenu universel

C’est donc assez naturellement que le candidat socialiste Benoît Hamon s’est prononcé pour le revenu universel, et notamment dans un entretien accordé au Monde le 4 janvier. Sur son site de campagne, l’ancien ministre annonce vouloir « mettre en place un revenu universel d’existence pour éradiquer la grande précarité et contribuer à définir un nouveau rapport au travail et au temps libre pour les Français.e.s. » Et de préciser ses modalités : « cette révolution sociale se fera en 3 étapes : dès 2017, le RSA sera augmenté de 10% à hauteur de 600€. Il sera versé automatiquement à tous les ayant-droits ainsi qu’à tous les jeunes de 18 à 25 ans quel que soit leur niveau de ressources. Ce revenu sera ensuite étendu à l’ensemble de la population. A terme, il atteindra la somme de 750 euros. »

Présent à la table ronde de Dax, le candidat Europe Ecologie Les Verts Yannick Jadot s’est dit en phase avec cette proposition même si, regrettait-t-il, « à chaque fois qu’on met un chiffre sur le sujet, on casse le débat ». Et Jadot ne sort pas cette phrase par hasard : depuis que Hamon a brandi sa mesure-phare, les trois autres candidats socialistes à la primaire lui sont tombés dessus, fustigeant notamment sur son coût.

 

Valls pour un revenu décent

A commencer par Manuel Valls. L’ancien premier ministre défend non pas un revenu universel mais un « revenu décent ». Sur son site de campagne, il explique vouloir fusionner dix minimas sociaux pour créer ce nouveau revenu qui « sera attribué, sous conditions de ressources, à toute personne âgée de plus de 18 ans résidant régulièrement sur le territoire national ». Il faut dire que Valls est un peu coincé sur ce sujet : en avril dernier, il avait, en tant que premier ministre, promis l’ouverture d’un chantier de réflexion – nous le racontions ici. Coincé mais pas incohérent : il écartait déjà l’idée « d’une allocation versée à tous, y compris à ceux qui disposent de revenus suffisants – cela serait coûteux, et n’aurait aucun sens » et privilégiait « une allocation ciblée, versée à tous ceux qui en ont vraiment besoin ».

Argument massue censé dézinguer Hamon : son « revenu décent » ne coûte que 8 milliards tandis que le revenu universel est chiffré à plus de 300 milliards comme il le disait au micro de France Info le 10 janvier dernier. Histoire de bien marquer sa position, Valls a conclu en assurant qu’il n’était pas pour « une société de l’assistanat ou du farniente. »

Montebourg opposé aujourd’hui (mais peut-être favorable demain)

La question du financement est également soulevée par Arnaud Montebourg. Invité le 3 janvier sur RTL, l’ancien ministre du redressement productif rejette l’idée d’un revenu universel qui coûterait « l’équivalent du budget de l’Etat » : « cela me paraît irréalisable » claironne-t-il.

Montebourg est donc opposé ? Son nom est pourtant souvent associé aux partisans du revenu universel (à commencer par notre article cité plus haut). En juin dernier encore, selon le site de 20 minutes, « parmi les ténors du parti, seul Arnaud Montebourg avait réellement pris position en faveur du revenu universel« . Ce revirement n’a pas échappé aux soutiens de Hamon, et notamment au député Pascal Cherki qui, sur Twitter, balance un extrait du livre de Montebourg, L’Antimanuel de politique publié en 2012, dans lequel ce dernier semblait faire l’apologie d’un revenu d’existence.

Or – comme le fait très justement remarquer la journaliste de Libération Kim Hullot-Guiot qui a relu les passages du livre en question – si Montebourg a bien loué le concept de « capital d’existence », il n’en réfutait pas moins un projet « encore utopique à ce jour, encore irréalisable ». Le candidat ne dit pas autre chose au micro de RTL en assurant que « c’est une solution pour après-demain ». Celui qui se réfère (se compare ?) à Victor Hugo, préfère croire « à la société du travail parce que c’est l’outil de la dignité« .

Peillon contre tout court

Travail et dignité : ces deux mots sont également ceux de Vincent Peillon, qui lui aussi s’en prend au coût de la proposition. Interrogé par Jean-Jacques Bourdin sur RMC/BFM le 2 janvier, le candidat de dernière minute – qui assure ne pas « vouloir en faire qu’une histoire d’argent » – explique que le projet de revenu universel équivaut à « quinze fois ce que l’on donne aujourd’hui pour les minima sociaux donc ça n’a aucun sens du point de vue financier« . Verdict pour Peillon : le revenu défendu par son concurrent Hamon est « impraticable ».

Alors, quid du financement ? Comment Hamon compte-t-il trouver les centaines de milliards nécessaires ? Sommé par Libération de répondre aux arguments des candidats concurrents, Hamon fait le parallèle avec la Sécurité sociale (qui n’a plus de secret pour vous) et raconte cette anecdote : « un journaliste me disait, surpris, que Carlos Ghosn [PDG de Renault, ndlr] recevrait la même allocation que lui. On rembourse bien la grippe de monsieur Ghosn comme la grippe de n’importe qui ici ! » Pour trouver l’argent, ajoute-t-il, « nous allons donc construire des formes de redistribution permettant progressivement de financer le revenu universel« . Selon Le Monde, qui liste les pistes évoquées par Hamon, il s’agirait pêle-mêle de mettre en place « l’individualisation de l’impôt sur le revenu («pour un gain immédiat de l’ordre de 24 milliards d’euros ») » ou de supprimer des niches fiscales « injustes et inefficaces » mais aussi de lutter contre l’évasion et l’optimisation fiscales. Vastes chantiers.

La gauche divisée

On le voit : les candidats socialistes divergent sur la question, et de nombreux articles – Libération, Marianne ou encore Les décodeurs du Monde – tentent de faire le tri dans leurs propositions.

Pour autant, leurs divergences traduisent bien celles de la gauche dans sa globalité. Selon Le Monde, « la gauche radicale préfère mener le combat du plein-emploi plutôt que celui d’un revenu universel« . A commencer par le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), le Parti communiste ou La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Et le quotidien de citer Guillaume Etievant, co-rédacteur du programme de Mélenchon : « dans le discours de ceux qui défendent le revenu de base revient l’idée qu’on n’arrivera jamais à retrouver une véritable diminution du chômage. » Même son de cloche pour Jean-Claude Laumonier du NPA, là encore cité par Le Monde : « les partisans du revenu universel adoptent une position extrêmement fataliste face au chômage. […] Même avec un revenu universel, il y aura toujours un rapport de force entre les gens qui possèdent les moyens de production et les autres. Pour nous ce n’est pas une démarche individuelle qui résoudra la question. »

De son côté, Thomas Piketty préfère « le salaire juste » au revenu de base. Rappelons également que Bernard Friot s’y oppose et invite « au salaire à vie » (comme il le disait dans notre émission et plus récemment dans cette vidéo). Quant à Gérard Filoche, il en appelle à la réduction du temps de travail. Sur son blog, il s’oppose vivement à la position de Hamon et souligne cette ironie : quand le site de La Tribune publie un article sur le revenu universel défendu par un think tank libéral, la photo de Hamon se retrouve en pleine page sans même que l’article ne fasse référence à son programme. Ce qui fait dire à Filoche que « les médias dominants en profitent pour avancer sous la même appellation de «revenu universel» un tout autre contenu que ce que propose Hamon« .

Jon Palais : Les deux faces de la non-violence

Pascal Greboval
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Jon Palais est l’un des porte-parole d’Alternatiba et d’ANV-COP211 (Action non‑violente COP21). Il manie l’énergie des propositions et la force de l’opposition comme le yin et le yang pour préserver notre planète et construire une autre société. La non-violence est au cœur de cette double démarche. Rencontre avec un enragé de nature.

Pascal Greboval : Comment devient-on l’un des porte-parole d’Alternatiba et d’ANV-COP21 ?

Jon Palais : C’est la conjugaison d’un parcours personnel et politique. Je me suis toujours senti proche de la nature et j’ai très vite été inquiété par la disparition de certaines espèces. J’ai commencé à militer à Greenpeace en 2006. À la même époque, j’ai revu le film de Richard Attenborough sur Gandhi [Gandhi, 1982], qui m’a convaincu de la légitimité de l’action non violente. Les actions directes non violentes créent des situations de confrontation : on s’interpose pour bloquer un convoi ou un chantier, par exemple, ce qui engendre un conflit. Mais le conflit n’est pas la violence : c’est la façon dont il se déroule qui peut dégénérer en violence, ou a contrario évoluer de manière positive. Si on désamorce la tension et la violence, si on capte l’attention, alors le dialogue peut s’installer. À partir de 2011, j’ai milité aussi auprès de l’association altermondialiste Bizi !, au Pays basque. C’est à ce moment que j’ai compris que la bataille du climat était centrale. Cette lutte conditionne non seulement les enjeux environnementaux et de justice sociale, mais aussi les enjeux de démocratie, de paix, et même de survie de l’humanité. C’est en comprenant cela que j’ai participé, avec Bizi !, au lancement d’Alternatiba, puis d’ANV-COP21, deux dynamiques de mobilisation citoyenne pour le climat.

En parallèle, en 2009, alors âgé de 30 ans, j’ai commencé à avoir des crises de spondylarthrite ankylosante, une maladie auto-immune que les médecins m’expliquaient chaque fois d’une manière différente. Mon état empirait, j’avais de plus en plus de mal à marcher : ma vie prenait un tournant radical. Le déclic est venu d’un médecin revenu d’Inde, où il avait étudié la médecine ayurvédique. Il ne parlait pas de « maladie », car il s’agit de notre propre organisme qui se met à produire des anticorps qui se retournent contre lui. Selon ce médecin, si le corps et l’esprit sont capables de créer ce dysfonctionnement, ils sont aussi capables de faire l’inverse. Il m’a dit qu’il fallait comprendre les raisons pour lesquelles mon corps avait déclenché cela. J’ai pris conscience que je reproduisais dans mon propre organisme ce que j’observais et que je ne supportais pas : l’être humain détruisant la nature dont il fait partie. J’ai quitté la ville, adopté une alimentation spécifique [régime hypotoxique] et, peu à peu, je me suis rétabli, contre les pronostics de la plupart des médecins que j’avais consultés.

Quelles ont été vos motivations pour créer Alternatiba ?

L’idée est née en 2012 au sein de l’association Bizi !. Nous nous sommes demandé comment nous pourrions lancer un rassemblement citoyen pour le climat dans la perspective de la COP21. La difficulté à mobiliser sur ce sujet tenait à la manière dont on en parlait. Les explications scientifiques suscitaient soit de l’indifférence, soit un sentiment d’impuissance, qui ne débouchaient pas sur l’engagement et l’action. Avec le projet Alternatiba [« alternative » en basque], on a voulu aborder la question du dérèglement climatique non pas sous l’angle des problèmes, mais sous celui des réponses, dans tous les domaines de la vie quotidienne : transports, alimentation et agriculture, économie, énergie, habitat… En octobre 2013 est alors né le Village des alternatives, à Bayonne. Le temps d’une journée, on a transformé les places, parkings et rues en lieux d’exposition où l’on pouvait découvrir toutes ces solutions dans des espaces thématiques. Dans les deux ans qui ont suivi, 107 Villages des alternatives ont été organisés en France et en Europe !

Comment s’articulent les propositions de solutions concrètes d’Alternatiba et la force d’opposition d’ANV-COP21 ?

Nous appelons ça « les deux jambes » : les alternatives et la résistance sont liées. On ne peut pas se contenter d’empêcher la construction de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, l’exploitation du gaz de schiste ou le développement de l’énergie nucléaire, sans mettre en même temps en avant des solutions, car il ne s’agit pas seulement de stopper un modèle, il s’agit de le remplacer par quelque chose ! À l’inverse, on ne peut pas non plus se contenter de développer des alternatives, parce que le système capitaliste détruit notre planète très rapidement. Dans l’action non violente, la dimension constructive et la dimension d’opposition ne sont pas fondamentalement différentes. Même une action d’interposition, qui exerce une certaine forme de contrainte, est une action positive et constructive, puisqu’elle permet de se faire reconnaître comme interlocuteur, de favoriser les conditions du dialogue, d’agir dans le respect des personnes et de chercher à faire changer les états d’esprit. Ce n’est pas une idée nouvelle : Gandhi marchait déjà sur ces « deux jambes »… Prenons l’exemple des actions qu’il avait impulsées contre le tissu industriel britannique. Il y avait d’un côté le boycott, qui visait à saper les sources financières de l’Empire britannique en Inde. Et, d’un autre côté, Gandhi appelait les Indiens à reprendre l’usage du rouet, instrument traditionnel indien pour filer le coton. Cet objet ancien est ainsi devenu un symbole de résistance, de fierté et de réappropriation de l’économie indienne. Gandhi avait compris qu’il ne fallait pas seulement combattre le pouvoir britannique, mais aussi reconstruire l’Inde.

Quel regard portez-vous sur les mouvements qui ne proposent que l’une ou l’autre de ces formes d’action ?

Je n’ai pas l’impression qu’il y en ait beaucoup à ne proposer que l’une ou l’autre. Quand j’écoute Pierre Rabhi, par exemple, j’entends un message qui ne fait pas l’économie d’un diagnostic sur le manque de sens du modèle qui nous est proposé. Il regarde les choses en face, il dénonce la destruction de l’environnement et la perte de sens dans nos vies. Et pourtant, on ne reçoit pas ce message de manière négative, car il parle aussi de ce qui est positif et de ce que nous pouvons faire, et, surtout, l’ensemble est mis dans une perspective de changement. De même, à Notre-Dame-des-Landes, la lutte est très marquée par l’opposition au projet d’aéroport, mais il y a aussi beaucoup de projets qui sont développés sur place et qui sont mis en avant. Il y a une critique systémique contre l’aéroport et son monde, mais il y a bien aussi la proposition d’un autre monde.

Vous parlez de la nécessité de mettre en place des solutions radicales, mais comment concilier un mouvement populaire avec la radicalité ?

Nous devons changer nos modes de vie et nos modes de production radicalement, à l’échelle planétaire et dans un délai extrêmement court. Il va donc falloir que tout le monde change, et c’est pour cela que nous pensons que c’est un mouvement citoyen de masse, populaire, qui doit relever ce défi, et pas seulement des activistes écologistes. La dimension populaire et la dimension radicale peuvent être en contradiction, mais il faut justement trouver un moyen de les concilier. Car si on propose des changements radicaux sans se soucier de la manière dont ils peuvent être acceptés par la population, on ne pourra pas enclencher de mouvement de masse. À l’inverse, si on ne dit que ce que la plupart des gens veulent entendre, on peut éventuellement susciter une large adhésion populaire, mais qui ne pourra pas aboutir aux changements radicaux dont on a besoin pour empêcher le chaos climatique. Prétendre par exemple qu’on peut remplacer toute l’énergie des combustibles fossiles et nucléaires par des énergies renouvelables, sans revoir notre mode de consommation, c’est mentir. Il faut donc expliquer en quoi la sobriété heureuse permettra de vivre bien, et même mieux avec moins d’énergie.

Il y a une forme d’injonction dans le « il faut », qui peut rebuter. On réagit mieux et plus vite à une invitation au plaisir de faire les choses. Comment concilier cette injonction et un engagement individuel déclenché par le plaisir ?

Chez Alternatiba comme chez ANV-COP21, on n’a jamais pris de gants pour poser le diagnostic très grave de la situation. Mais notre message s’accompagne de propositions d’actions très concrètes qui font sens et qui suscitent l’espoir. Alors le choc du diagnostic se transforme en réaction positive et en engagement. Ensuite, c’est la dimension collective de l’action qui renforce la motivation. Le sentiment d’impuissance et le fatalisme ambiants tiennent en partie au fait que les propositions de changement à l’échelle individuelle apparaissent vite comme des gestes contraignants et surtout dérisoires par rapport à la situation globale. Alors que dans une démarche collective, ces actions sont beaucoup plus motivantes, enrichissantes et épanouissantes. Prenez le covoiturage ou les Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne).

Les actions non violentes d’opposition fonctionnent de la même manière. On ne peut pas affronter seul tout un système, mais notre détermination est multipliée quand on voit qu’un grand nombre de personnes s’engagent dans la même action que nous.

Comment concilier radicalité et démocratie ? Par exemple, le consensus est-il utilisé au sein d’un mouvement comme Alternatiba ?

Alternatiba essaie d’allier la démocratie et l’efficacité dans ses prises de décision. Plus un fonctionnement est démocratique, et plus il requiert de la méthode ; et plus une méthode est complexe, plus elle requiert de la discipline ! Les réunions d’Alternatiba sont donc marquées par la méthode et la discipline : elles commencent et se terminent à l’heure, les points des ordres du jour sont minutés, les participants demandent la parole et attendent leur tour avant de s’exprimer, ils utilisent des signes visuels comme ceux des Indignés espagnols ou de Nuit debout pour fluidifier les discussions, etc. Le mode de prise de décision au consensus est celui qui permet le plus la construction d’une vision commune, mais c’est aussi celui qui demande le plus de temps. Si on utilisait ce mode de fonctionnement pour toutes les décisions, y compris la police de caractères à utiliser sur une affiche, on tuerait la démocratie, car on n’aurait alors plus le temps d’approfondir les questions qui ont une réelle importance politique et stratégique. Or la démocratie sert aussi à ce que chacun puisse s’approprier les enjeux d’une décision, et cela prend du temps, surtout pour un mouvement comme Alternatiba, dans lequel il y a beaucoup de personnes qui vivent leur première expérience militante. Il convient donc d’utiliser des modes de décision plus rapides – comme le consentement ou le vote – pour les sujets moins importants. Il n’y a donc pas de système de décision parfait dans l’absolu. La démocratie est toujours à construire, et son art est de savoir adapter les modes de prise de décision à différentes situations.

Y a-t-il des frontières morales, philosophiques ou citoyennes au-delà desquelles on peut recourir à la désobéissance civile ?

La désobéissance civile repose sur une conception du rôle du citoyen, dans une démocratie, qui consiste non pas à obéir aux lois de manière aveugle, mais à faire ce qui est juste. Or les lois ne sont pas toujours justes, ou suffisantes pour garantir la justice. On l’a vu à propos des OGM : les lois ne permettaient pas de nous protéger de la contamination génétique ; on le voit sur l’évasion fiscale : les lois ne permettent pas de combattre ce fléau de manière efficace. Face à de telles situations, la désobéissance civile consiste à mener des actions illégales, non pas pour rejeter le principe de la loi, mais au contraire pour demander que la loi soit plus juste. Mais ce qui semble juste aux uns peut sembler injuste à d’autres. C’est pourquoi les actions de désobéissance civile doivent susciter un débat et aller dans le sens de la démocratie, notamment en étant menées de manière non violente.

En 2015, quarante actions de réquisition citoyenne de chaises ont été menées dans des banques impliquées dans le système de l’évasion fiscale, par des mouvements comme Bizi !, Attac, Les Amis de la Terre, ANV-COP21 et les Jedi for Climate. Bien sûr, c’est illégal, mais cela permet de révéler une situation d’injustice qui concerne l’ensemble de la société. Chaque année, en France, 60 à 80 milliards d’euros sont détournés des finances publiques à cause de l’évasion fiscale. Nous sommes à un moment de l’histoire de l’humanité où nous devons révolutionner notre mode de vie à l’échelle planétaire en quelques années. Cela demande l’engagement de tout le monde, de l’inventivité, de la coopération, de la solidarité et des moyens financiers. Or les grandes banques qui organisent l’évasion fiscale font exactement l’inverse : elles permettent aux plus grandes fortunes et aux plus puissantes entreprises de ne pas participer à l’effort collectif, renforcent le chacun pour soi et nous privent de l’argent qui pourrait financer la transition sociale et écologique. Dans ces conditions, prendre quelques chaises dans les agences pour exprimer notre refus de cette situation, c’est certes une action illégale, mais légitime, et responsable. Suite à l’une de ces actions et à une plainte de la BNP, je suis convoqué au tribunal de Dax, le 9 janvier 2017, pour « vol en réunion ». Je serai défendu par Eva Joly, qui sera mon avocate, et l’objectif sera de faire valoir la légitimité de l’action et le fait qu’elle a été menée pour l’intérêt général. Des organisations associatives et syndicales appellent à se mobiliser massivement à Dax ce jour-là pour organiser un autre procès en parallèle : celui de l’évasion fiscale !

On voit souvent que les manifestations, les rassemblements de masse, sont propices à des formes d’excitation ou de laisser-aller. Comment se prémunir d’éventuels dérapages ? La méditation est-elle un outil utilisé dans les groupes ?

C’est une question qu’on s’est posée avant la COP21. On savait qu’il y aurait des rassemblements massifs, et on avait vu lors de la manifestation contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes à Nantes en février 2014 que la situation pouvait dégénérer en affrontements entre des activistes qui avaient choisi l’action violente et les forces de l’ordre. La violence à Sivens était allée jusqu’à faire un mort [Rémi Fraisse] parmi des militants pacifiques en octobre 2014. On redoutait que cette mécanique se renouvelle à l’occasion des mobilisations autour de la COP21. Il suffit qu’un petit nombre de personnes utilisent la violence pour que la dimension non violente de l’ensemble de l’action soit compromise. Nous avons lancé le mouvement ANV-COP21 pour organiser des actions non violentes pendant la COP21, mais surtout pour poser les bases d’un mouvement à la Martin Luther King. Un mouvement citoyen de masse, à la fois radical et populaire, non violent et déterminé, qu’on pourrait continuer de construire après la COP21. La première chose nécessaire était d’affirmer notre ligne stratégique 100 % non violente. En France, cela suscite beaucoup de réticences. On l’a vu à l’occasion des Nuits debout, où certains étaient pour la non-violence, et d’autres pour l’action violente. Une sorte de compromis est alors souvent appliqué : chacun fait comme il le souhaite. Sauf que si l’action violente n’est pas compromise par l’action non violente, l’inverse n’est pas vrai ! La deuxième chose importante, c’est que la non-violence demande de la formation. Dans une situation où l’on subit de la violence, il est spontané d’y répondre par la violence ; il faut donc se préparer. Cela demande aussi de définir précisément des critères d’action, car chacun a sa propre appréciation de ce qui est violent ou pas. ANV-COP21 définit ainsi un ensemble de critères qui permettent de situer quel type d’action va être mené, qui exclut notamment la violence physique, mais aussi la violence verbale, ainsi que les dégradations matérielles qui ne seraient pas décidées collectivement et assumées publiquement. ANV-COP21 ne prétend pas que c’est une définition universelle de la non-violence, mais une proposition de cadre pour mener une action de manière collective. Enfin, il faut s’être préparé à réagir au cas où, malgré tout, des personnes rejoindraient l’action dans l’objectif d’utiliser la violence, sans l’adhésion des organisateurs ni des autres participants. Si un tel cas se présentait, on tenterait d’abord de les dissuader d’intervenir par la discussion, en expliquant que le mouvement auquel elles participent a choisi la stratégie de l’action non-violente. Si des actions violentes ont néanmoins lieu, il s’agirait alors de s’en dissocier, en s’éloignant et en levant les mains en signe de non-violence. À ce stade, il faut éviter que sur les images l’action non violente puisse être confondue avec les actions violentes. En utilisant cette méthode, ANV-COP21 a impulsé trois jours d’actions non violentes pour perturber un sommet de pétroliers à Pau en avril 2016. Un millier de personnes ont participé à des actions très diversifiées, comme une chaîne humaine dans laquelle les enfants étaient les bienvenus, un die-in géant, un concert sauvage, ainsi que des actions directes d’interposition pour empêcher physiquement la tenue du sommet. Le résultat a été très étonnant, car on pouvait voir à la fois des centaines de personnes renversant des barrières de sécurité et débordant des lignes de police avec des boucliers en mousse, sans blesser personne, mais aussi, en pleine perturbation du sommet, des discussions entre les activistes et les policiers, et entre les activistes et les pétroliers. C’est un bon exemple de la capacité de l’action non violente à rassembler différents publics.

Dans le contexte d’urgence où nous sommes, ne serait-il pas plus efficace d’agréger davantage les mouvements disparates pour avoir plus de voix et d’impact dans les actions menées ?

Cela fait partie de nos préoccupations, tant à Alternatiba qu’à ANV-COP21 : comment faire en sorte que nos mouvements n’apportent pas encore un peu plus de division en s’ajoutant aux autres, comment être un élément complémentaire qui vienne poursuivre les actions déjà menées ? Ce sont des questions sur lesquelles on avance au fur et à mesure, en rencontrant les autres associations, en voyant avec elles quels types d’actions il est possible de mener ensemble. À l’origine, l’objectif d’Alternatiba était de rassembler tous les acteurs qui agissaient déjà dans chaque thème, de fédérer les mouvements. On est donc pleinement dans la coopération, dans la synergie. On se pose également ces questions pour ANV-COP21 : nous ne sommes pas les seuls à mener des actions non violentes, à nous préoccuper du climat, certes.

Mais ce qui manque en France aujourd’hui, c’est la capacité de mener des actions non violentes de masse. Lorsqu’on a perturbé le sommet des pétroliers à Pau, on n’était pas des experts du forage en mer, il y a des associations qui connaissaient bien mieux le sujet que nous. Mais on a mis en œuvre un mouvement qui permettait d’organiser des actions de masse, on a fédéré les associations, chacune est venue expliquer les enjeux, les objectifs atteignables dans son propre domaine. Ce qui nous caractérise de manière générale, c’est d’être un dénominateur commun. Si on place le climat au cœur de notre mouvement, c’est parce qu’on a compris, en écoutant les discours scientifiques, que la question climatique est celle qui conditionne tous les autres enjeux – océans, forêts, biodiversité, paix, démocratie, justice sociale, etc. Toutes ces batailles ne seront pas les mêmes dans un monde à + 0,85 °C, + 2 °C ou à + 4 °C. C’est parce que nous sommes des militants pour la justice sociale et pour la démocratie que nous sommes des militants climatiques. Alternatiba et ANV-COP21 doivent être par nature des mouvements de symbiose, le climat étant ce qui rassemble et ce qui concerne tout le monde.

Parvenez-vous personnellement à vivre en cohérence avec les mouvements dans lesquels vous êtes engagé ?

J’essaie au maximum d’adopter les solutions proposées en matière d’alimentation, d’énergie, de consommation… Mais il me reste pas mal de contradictions. J’utilise beaucoup la voiture notamment. Au niveau de l’alimentation, c’est plus facile, j’ai plus de possibilités : je suis végétarien et je consomme majoritairement des produits locaux. La cohérence est une question essentielle, mais elle doit être appréhendée en fonction d’une autre question qu’il ne faut pas perdre de vue : l’objectif n’est pas uniquement de se changer soi-même, mais d’impulser des changements à l’échelle de la société. Ce sont deux choses différentes qu’il faut concilier au mieux. Toute lutte a un coût écologique. Alternatiba a nécessité qu’on imprime énormément d’affiches pour nous faire connaître. Ça peut sembler contradictoire de couper des arbres pour faire du papier et coller des affiches partout qui termineront en déchets. Mais si on essaie d’avoir une empreinte écologique nulle, on n’aura plus les moyens de batailler. Pour montrer l’exemple, il ne faut pas seulement être exemplaire, il faut être visible, il faut être compris, il faut donc organiser des actions, des mobilisations, qui ont une empreinte écologique. Ne tombons pas dans le piège de ceux qui pointent un détail pour remettre en cause la pertinence de toute une démarche. Les écologistes vivent dans le même monde que les autres, un monde plein de contradictions où on n’a pas encore les moyens de vivre complètement ce que l’on prône. Ce qui est important, c’est d’être dans une démarche de changement. Et, dès lors qu’on est dans une dynamique collective, nos efforts de changement deviennent très épanouissants, motivants, et cela donne envie de continuer à changer dans d’autres domaines !

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1Pendant qu’Alternatiba a démontré l’ampleur des solutions possibles, à travers une centaine de Villages des alternatives organisés avant la COP21, le Tour Alternatiba ou le livre Alternativez-vous (Les Liens qui libèrent, 2015), ANV-COP21 (Action non-violente COP21) a mobilisé sur des actions non violentes tels le blocage du sommet du pétrole offshore à Pau, en avril 2016, et l’opération Faucheurs de chaises. Depuis mai 2016, ces deux mouvements ont fusionné. Ils élaborent désormais leurs projets ensemble.

La finance, nos banques… c’est le climat ! Alors à Dax, nous aussi, on sera là !

Alternatiba
https://alternatiba.eu/2017/01/finance-nos-banques-cest-climat-a-dax-on-sera/

Le changement climatique est un si vaste sujet que l’on ne sait pas toujours par où commencer lorsque l’on veut s’engager pour en limiter les effets. Pourtant, en occident, nous disposons tous (ou presque…) d’un compte bancaire courant, voire d’épargne placée. Nous mettons de ce fait notre argent à disposition des banques, qui l’utilisent ensuite pour réaliser diverses opérations économiques alimentant ce que l’on appelle couramment… la finance. Or la finance représente un gigantesque sac de noeuds climaticides, et chacun.e d’entre nous, à travers la gestion de notre patrimoine, aussi modeste soit-il, peut participer à le démêler ! Alors, si l’on cessait, ensemble et maintenant, d’alimenter les réseaux bancaires mettant en péril la survie de notre espèce ? En voilà une intéressante résolution pour cette année 2017 qui commence… 

 

Durant la période 2005 à 2013, 89 banques commerciales ont apporté 118 milliards d’euros à l’industrie du charbon dans le monde [1]. Aussi, 932 Gigawatt de production électrique à partir de charbon étaient encore en projet à travers le monde en juillet 2016 [2]. Or comme nous l’avons rappelé, aux côtés de plusieurs ONG, depuis l’adoption des accords de Paris, le respect d’un scénario limitant le réchauffement climatique à 1,5°C exige le gel de toute nouvelle infrastructure fossile et l’atteinte du pic des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020 [3].

Le secteur financier étant fortement concentré, vingt banques et institutions financières internationales sont à l’origine de plus de 71% des financements du secteur, et 57% de ces derniers proviennent de trois pays : États-Unis, Royaume-Uni et Chine. Les banques françaises ne sont cependant pas en reste ! Entre 2005 et 2013, la France est ainsi le quatrième pays d’où proviennent ces financements des plus néfastes [4]. Par ailleurs, la BNP Paribas se classe au 4ème rang des banques finançant le plus le secteur du charbon au monde [5].

Selon le rapport des Amis de la Terre, Bank Track, Rainforest Action Network et Urgewald, The Coal Test : where bank stand on climate at COP 21, le financement direct de projets charbon de la BNP Paribas, du Crédit Agricole et de la Société générale, s’est élevé respectivement à 14,84; 9,84 et 8,54 milliards d’euros entre 2009 et 2014.

Dans le cadre de la COP 21, les grandes banques françaises ont certes pris des engagements de désinvestissement, entamant une politique de mise en cohérence avec un scénario de limitation du réchauffement entre 1,5°C et 2°C : arrêt du financement des projets d’extraction de charbon dans le monde, arrêt du financement de projets de centrales dans les pays à hauts revenus [6]. Dans le cadre du Climate Finance Day qui s’est tenu le 4 novembre 2016 à Casablanca, le Crédit Agricole et la Société Générale ont pour leur part annoncé la fin de leur financement à tout nouveau projet de centrales à charbon dans le monde [7].

Néanmoins ce n’est que la face émergée de l’iceberg. La plus importante contribution des banques à ce secteur repose sur le financement d’entreprises et non de projets ciblés : 32,87 milliards de dollars depuis 2009 ont été versés par les trois banques précitées [8]. Or, dans ce domaine les nouveaux engagements des banques sont aussi hétéroclites que difficiles à appliquer et à évaluer.

De plus, les banques et autres institutions financières comme les fonds de pension ou d’investissement, ont pour pratique commune de mitiger les risques pesant sur leurs activités en misant sur la diversification sectorielle. Elles financent donc à la fois les énergies renouvelables et la production d’énergie à partir d’hydrocarbures. Ainsi, bien que les investissements financiers dans le secteur des énergies renouvelables aient progressé ces dernières années [9], cela ne s’accompagne pas pour autant d’une réduction des investissements dans le secteur des énergies fossiles

Il est également important de rappeler que ces projets d’extraction et de centrale à charbon, en plus d’être climaticides, sont souvent à l’origine de pollutions qui nuisent aux populations locales tant d’un point de vue sanitaire qu’économique, et aux écosystèmes [10].

Contrairement à ce qui est affirmé dans les enceintes internationales, la stratégie de diversification adoptée par le secteur financier ne met donc pas fin aux investissements dans les énergies fossiles, et les démarches entreprises ne sont pas à la hauteur de l’urgence climatique. Le rôle à jouer par les citoyen.e.s, nous, en est d’autant plus important : il tient à chacun de s’emparer de ces enjeux, en refusant l’état de fait et en poussant à un arrêt total des investissements fossiles, notamment en transférant notre argent vers des banques responsables.

Voici donc quelques éléments pour savoir qui – outre notre cochon-tirelire préféré – mérite de recevoir notre pécule. Alors que le Crédit mutuel, la Banque populaire et la Caisse d’épargne sont assez peu impliqués dans des projets climaticides, la Banque postale n’est pas directement impliquée car elle n’est pas une banque de financement et d’investissement – bien qu’elle ai une importante activité de gestion d’actifs.

Cependant, seuls le Crédit Coopératif et la Nef, eu égard à leur une activité de financement local, ne sont pas impliqués dans de tels projets. Il est à noter également que la Nef est l’unique banque nationale à être entièrement transparente sur ses activités puisqu’elle publie la liste intégrale des entreprises et projets qu’elle soutient. Par ailleurs, si vous disposez d’épargne, des organisations comme les Cigales, qui accompagne les projets d’entreprenariat solidaires, ou Terre de liens, qui appuie l’installation de maraîchers en agriculture biologique, pourront vous permettre de lui faire porter ses fruits, au sens propre !

Si ces informations vous donnent des envies, que le temps semble venu de passer à l’action, sachez qu’adresser à sa banque une lettre de clôture explicitant les raisons de son départ peut avoir un impact encore plus grand.

Et l’évasion fiscale dans tout ça, quel rôle joue-t-elle ?

Lorsque l’on tisse les liens entre finance internationale et changement climatique, cet autre enjeu apparaît absolument crucial. Rendue possible par la présence de l’ensemble des multinationales et des grandes institutions bancaires et financières dans les paradis fiscaux, elle est aussi due au fait que la moitié du commerce international a aujourd’hui lieu entre les filiales d’une même entreprise transnationale. A l’échelle mondiale, l’évasion fiscale représente plus de 20 000 milliards d’euros – 10 fois le PIB annuel de la France – soit environ 200 milliards de manque à gagner pour les États chaque année [11]. Ce montant défit l’imagination, d’autant plus qu’aujourd’hui, les chefs États évoquent le manque d’argent public comme une réalité intangible empêchant le financement d’une transition écologique ambitieuse et des droits sociaux des populations. Ce phénomène ne concerne d’ailleurs pas que les pays riches, la fuite de capitaux dans les pays en développement est aussi absolument massive [12].

Pour l’organisation Tax Justice Network, les deux plus grands paradis fiscaux sont la Suisse et le Luxembourg …les Etats-Unis se classant en 6 ème position [13] ! A l’échelle française, une Commission d’enquête du Sénat estime entre 30 et 60 milliards d’euros le coût annuel de l’évasion fiscale pour les finances publiques, tout en avouant qu’il s’agit d’une «fourchette basse» [14].

Or d’après les évaluations de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et des experts du débat national de la transition énergétique, il faudra mobiliser entre 10 et 30 milliards d’euros supplémentaires chaque année pour financer la transition énergétique : rénovation énergétique des bâtiments, développement des énergies renouvelables, nouvelles infrastructures de transports, etc. [15]. Seuls 3,5 milliards par an sur 10 ans seraient nécessaires pour convertir l’ensemble des exploitations agricoles en biologique, 5,65 milliards par an pour la rénovation des chemins de fer, 6,3 milliards pour construire 65 000 km de pistes cyclables…[16]. Et tous ces chantiers ont déjà pris du retard.

Il est alors primordial que l’évasion fiscale cesse d’être perçue comme un mal abstrait et que les liens soient établis entre ce fléau et le financement des alternatives sociales et écologiques. C’est précisément le but de la campagne des Faucheurs de chaises, réunissant les Amis de la Terre, ATTAC, ANV COP 21 et Bizi ! et soutenue par de nombreuses personnalités publiques et mouvements comme Alternatiba. Après la réquisition citoyenne de 196 chaises dans des banques telles la BNB Paribas et HSBC pendant la COP 21, dénonçant leur rôle dans la disparition de l’argent nécessaire à la transition, la deuxième phase de cette mobilisation citoyenne s’articule désormais autour du procès du Faucheur de chaise Jon Palais, poursuivi suite à une plainte de la BNP Paribas. Le 9 janvier à Dax, nous serons présents en marge du procès pour apporter notre soutien à Jon et à tous les Faucheurs, résistants contre des pratiques dangereuses de ces institutions bancaires. Ce n’est pas les Faucheurs de chaises qu’il faut juger, mais l’évasion fiscale en bande organisée !

En matière de finance aussi, les alternatives existent, et n’attendent que nous pour se développer et faire système. En parallèle, aux côtés des Faucheurs de chaises notamment, participons à construire un mouvement de désobéissance civile non-violent s’opposant aux pratiques actuellement dominantes qui menacent les équilibres écologiques et sociaux.

Rendez-vous donc dans des les institutions bancaires transparentes au plus vite… et à Dax, le 9 janvier prochain !

[1] Banktrack, Urgewald, CEE bankwatch network & Polska Zielona Siec, Banking on coal : undermining our climate, 15 novembre 2013

[2] Actu Environnement, Malgré l’abandon de certains projets, le charbon a encore de beaux jours devant lui, 20 septembre 2016

[3] Oil Change International, The Sky’s Limit, septembre 2016

[4] Banktrack, Urgewald, CEE bankwatch network & Polska Zielona Siec, Banking on coal : undermining our climate, 15 novembre 2013

[5] Les Amis de la Terre, Les 6 failles de la politique charbon de BNP Paribas, 2016

[6] Les Amis de la Terre, Charbon ; les plus et les moins des engagements 2015 des banques françaises, 2016

[7] Les Amis de la Terre, Crédit Agricole et Société Générale annoncent enfin l’arrêt de leurs financements de projets aux centrales à charbon, 27 octobre 2016

[8] Les Amis de la Terre, Charbon ; les plus et les moins des engagements 2015 des banques françaises, 2016

[9] Novethic, Energies renouvelables : une progression des investissements qui reste insuffisante pour atteindre les objectifs climatiques, 12 octobre 2015

[10] Les Amis de la Terre, Climat : Comment chosir ma banque?

[11] Le Figaro, Les chiffres affolants de l’évasion fiscale dans le monde, 6 avril 2016

[12] Selon Lucile Dufour du Réseau Action climat, les besoins en adaptation au changement climatique dans l’ensemble des pays en développement – nouvelles semences, digues, reforestation – pourraient atteindre les 140 à 300 milliards de dollars par an en 2030, voir 500 en 2050 14 . Or à l’heure les 100 milliards par an des pays développés pour le fond vert peinent encore à être réunis.

[13] Tax Justice Network, Financial Secrecy Index, 2013

[14] Le Figaro, Les chiffres affolants de l’évasion fiscale dans le monde, 6 avril 2016

[15] Le Monde, Quel financement de la transition énergétique, 18 juin 2014

[16] Les Amis de la Terre, Dossier de Presse : la société civile organise le procès de l’évasion fiscale, décembre 2016