Articles du Vendredi : Sélection du 21 juin 2013 !

Mai 2013 : une France glaciale dans un monde chaud

Stéphane Foucart
Le Monde du 21.06.2013

Le marathon pour parvenir à un accord mondial sur le climat en 2015 a commencé

Laurence Caramel
Le Monde du 15.06.2013

Ce qu’auraient pu être les priorités de la transition énergétique

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/ce-qu-auraient-pu-etre-les-priorites-de-la-transition-energetique,35238?xtor=EPR-9

Comment les grandes marques influent sur nos cerveaux

Pierre Barthélémy
http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2013/06/16/comment-les-grandes-marques-influent-sur-nos-cerveaux/

Pourquoi nos inégalités polluent la planète (2/2)

Éloi Laurent, économiste à l’OFCE, est expert des questions de bien-être et de soutenabilité environnementale. Il enseigne à Sciences Po, Stanford University et au Collège des hautes études européennes. A l’automne 2013, il est chercheur invité au Centre d’études européennes de l’Université d’Harvard et professeur invité au Harvard College (Science de l’environnement et politique publique).
www.terraeco.net/Pourquoi-nos-inegalites-polluent,50082.html

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Mai 2013 : une France glaciale dans un monde chaud

Stéphane Foucart
Le Monde du 21.06.2013

Le National Climatic Data Center (NCDC) américain a rendu public, jeudi 20 juin, son bilan climatique mondial pour le mois de mai. Avec une température moyenne supérieure de 0,66 °C à la moyenne des mois de mai du XXe siècle, celui-ci est le troisième plus chaud jamais mesuré depuis la fin du XIXe siècle.

Un tel constat peut sembler très surprenant aux Français métropolitains, mais la carte des températures mondiales publiées par le laboratoire américain exhibe bien la singularité météorologique de l’Europe occidentale : en France, en Espagne et au Royaume-Uni, le mois de mai a été particulièrement frais alors que la quasi-totalité de la surface du globe connaissait des températures supérieures aux normales.

EN FRANCE, LE DEUXIÈME MOIS DE MAI LE PLUS FROID

Selon le jeu de données du NCDC, la France a connu son deuxième mois de mai le plus froid jamais mesuré, l’Espagne n’avait pas vu les températures descendre aussi bas depuis 1985 et le Royaume-Uni depuis 1996… D’autres régions ont également connu des anomalies froides : l’Alaska et le Groenland occidental, de même que le golfe du Mexique. Partout ailleurs ou presque, les thermomètres ont grimpé au-dessus des moyennes.

Le bilan tiré depuis le début de l’année ne semblera pas moins étonnant aux habitants de la France métropolitaine. Les cinq premiers mois de l’année en cours pointent ainsi à la sixième place des cinq premiers mois les plus chauds mesurés depuis la fin du XIXe siècle, au dessus des terres émergées – et au huitième rang en tenant compte de la températures au-dessus des océans.

La carte des précipitations mondiales publiées par le NCDC montre également que la France – mais plus encore l’Europe centrale – ont connu un mois de mai exceptionnellement pluvieux…

Le marathon pour parvenir à un accord mondial sur le climat en 2015 a commencé

Laurence Caramel
Le Monde du 15.06.2013

Les deux semaines de négociations qui se sont achevées vendredi 14 juin à Bonn (Allemagne) ont été qualifiées d’“encourageantes” par la secrétaire exécutive de la Convention des Nations unies sur le climat, Christiana Figueres. Six mois après la chaotique conférence ministérielle de Doha, ce bilan est à la fois rassurant et insuffisant.

Rassurant, car, comme en témoignent de nombreux négociateurs, “le débat s’est engagé et il existe une réelle volonté de progresser dans la formalisation de l’accord mondial qui devra être conclu à Paris en 2015”. Insuffisant, parce que, concrètement, la discussion reste à un niveau de généralités qui ne permet pas même d’ébaucher ce que pourraient être les contours du futur accord qui entrera en vigueur en 2020 et dont l’objectif doit être de contenir l’élévation moyenne des températures en deçà de 2 C.

“IL EST TEMPS DE REDISCUTER DES PROCÉDURES”

L’Union européenne a proposé que les pays fassent leurs propositions de réduction d’émissions au plus tard en 2014. Les études présentées à Bonn par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et par les scientifiques du projet “Climate Action Tracker” ont confirmé que les émissions mondiales sont en tout cas loin de prendre le bon chemin pour y parvenir. “Si nous continuons sur la trajectoire actuelle, l’augmentation de la température ne sera pas de 2 C mais de 5,3 C, ce qui aura d’énormes coûts économiques et sociaux”, a prévenu l’AIE.

Depuis l’échec retentissant de la conférence de Copenhague en 2009, les scientifiques savent cependant que leurs avertissements répétés ont peu de prise sur des négociations toujours au bord de la rupture.

A Bonn, la délégation russe, appuyée par l’Ukraine et la Biélorussie, a bloqué pendant deux semaines les discussions de l’un des trois groupes de travail chargé notamment de la mise en oeuvre de la Convention pour réclamer un débat sur les règles de prise de décision.

A Doha, les trois pays s’étaient fait “tordre le bras” par la présidence qatarie, sommés d’accepter le texte final de compromis ou d’endosser l’échec de la conférence. “La façon dont les décisions ont été prises à Doha entache leur légitimité. Il est temps de rediscuter des procédures et de ce que signifie vraiment une décision par consensus”, a expliqué le négociateur russe Oleg Shamanov. Sur le fond, personne ne lui a donné tort tant les dysfonctionnements du processus onusien sont peu contestables.

IMPULSION POLITIQUE

“Tout le monde est d’accord”, a acté Christiana Figueres, en suggérant que la question soit officiellement abordée lors de la prochaine conférence ministérielle, organisée à Varsovie en novembre. En attendant, les négociateurs ont été dans l’incapacité de finaliser le budget nécessaire à l’organisation du cycle de réunions programmées jusqu’en 2015 : Varsovie fin 2013, Caracas et Lima en 2014 puis Bonn et Paris en 2015.

En marge de ce calendrier, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a aussi prévu de convoquer les chefs d’Etat à New York en septembre 2014 pour donner l’impulsion politique au plus haut niveau qui fait jusqu’à présent toujours défaut.

Même si l’accord signé le 8 juin entre les présidents américain Barack Obama et chinois Xi Jinping pour réduire l’utilisation des gaz industriels HFC, à courte durée de vie mais au fort pouvoir de réchauffement, est un signe positif.

Ce qu’auraient pu être les priorités de la transition énergétique

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/ce-qu-auraient-pu-etre-les-priorites-de-la-transition-energetique,35238?xtor=EPR-9

L’une des premières synthèses du débat national sur la transition a été escamotée à la demande de certaines entreprises. En voici les points essentiels.

 

C’est ce qui fait parfois le charme de la concertation. A mesure que l’on s’approche de la fin du débat national sur la transition énergétique (DNTE), les tensions s’affirment. A l’image du clash qui a opposé, le 20 juin, environnementalistes, écologistes et Laurence Tubiana.

Lors de la session hebdomadaire du DNTE, la facilitatrice du débat a présenté une liste de «priorités» qui lui semblaient faire consensus, sans chercher à dégager un scénario d’évolution de la consommation d’énergie à long terme, faute d’accord sur ce point, et mettant de côté les «points de vue irréductibles» sur le rôle de l’énergie nucléaire ou du gaz de schiste. Ces priorités incluent notamment la rénovation de plusieurs centaines de milliers de logements par an ou le développement de la biomasse et des réseaux de chaleur.

La présidente de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a également appelé à définir une «stratégie d’évolution du parc nucléaire» conforme à l’objectif gouvernemental de porter à 50% la part de l’atome dans le mix électrique d’ici 2025.

La synthèse de l’ancienne conseillère de Lionel Jospin a été accueillie par des duels d’artillerie entre écolos et syndicalistes. En charge de la fédération Energie et mines de Force ouvrière, Jacky Chorin a dénoncé une présentation «biaisée» laissant croire, selon lui, que tous les acteurs s’accordent sur la diminution de la place du nucléaire.

Expert de la Fondation Nicolas Hulot, Mathieu Orphelin a souligné que les priorités évoquées par Laurence Tubiana n’étaient qu’un «plan B». L’économiste faisait référence à un autre document, plus complet, qui aurait été retiré de la circulation à la demande du collège Entreprises.

 

 

Cette note de 20 pages existe bien et n’a pas été versée au débat officieI. Rédigée par le secrétariat dudit débat, elle s’intitule «Priorités établies par les membres du conseil national du débat au sein des recommandations de ses groupes de travail» et a été rédigée le 13 juin, à partir des recommandations, parfois très floues, formulées par 36 membres du conseil, représentant 6 collèges.

Comme son titre l’indique, elle recense les principaux enseignements d’un semestre de discussions et les actions prioritaires qui devraient être engagées. Dit autrement, elle pourrait constituer la trame du futur projet de loi sur la transition énergétique, dont l’adoption n’est plus attendue avant le début de l’année prochaine.

Le premier chantier à ouvrir, de l’avis des membres du conseil, est celui de la rénovation énergétique du parc de bâtiments existants. Certains experts recommandent d’ailleurs d’élaborer une feuille de route «clarifiant la nécessité de rénover l’ensemble du parc d’ici 2050, précisant le niveau de performance énergétique à atteindre et les moyens d’y parvenir». Une douzaine de membres du conseil préconisent carrément d’obliger les propriétaires à rénover leurs bâtiments.

Seconde priorité: la fiscalité environnementale. Ce sujet est soutenu par la totalité des collèges, à l’exception de celui des… employeurs. La plupart de ses promoteurs militent aussi pour l’instauration d’une contribution Energie-climat, à la condition qu’elle ne frappe pas lourdement les ménages modestes et les entreprises énergo-intensives.

Alors que la France révise son schéma national des infrastructures des transports, les conseillers soulignent aussi l’importance de réduire l’impact des transports. En réduisant, par exemple, les vitesses limites sur routes et autoroutes. Ou en décrétant un moratoire «sur tout projet aéroportuaire, autoroutier et routier». A noter que les utilisateurs du site internet du débat placent, eux, ce thème en tête de leurs préoccupations.

En 4e position, les débatteurs estiment qu’il faut définir une trajectoire énergétique à long terme qui permettrait de réduire d’un facteur 2 la consommation d’énergie et d’un facteur 4 les émissions de gaz à effet de serre en une quarantaine d’années. Ce mix devra être «diversifié, à faible émission de gaz à effet de serre et fort contenu en emplois».

Enfin, la décentralisation fait son grand retour: 14 membres du conseil considèrent qu’il est prioritaire de «décentraliser la mise en œuvre de la transition énergétique par un renforcement des compétences des territoires». Et pourquoi pas de bonifier les tarifs de rachat d’électricité produite par des énergies renouvelables «lorsque le projet […] fait l’objet d’une participation majoritaire d’une ou plusieurs collectivités».

Comment les grandes marques influent sur nos cerveaux

Pierre Barthélémy
http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2013/06/16/comment-les-grandes-marques-influent-sur-nos-cerveaux/

Tellement brutale, mais tellement vraie, la sortie de Patrick Le Lay, alors PDG de TF1, avait fait grand bruit : “Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.” Ce que Patrick Le Lay n’imaginait sûrement pas, c’est à quel point ce rapprochement entre cerveau et grandes enseignes commerciales était pertinent et profond. Certains chercheurs pensent que l’empreinte des grandes marques dans nos têtes est si forte qu’elle va jusqu’à influencer notre perception, à transformer l’expérience que nous faisons quand nous consommons les produits en question. Une étude remontant au début des années 1980 a ainsi montré que des femmes souffrant de maux de tête se sentaient plus soulagées en prenant le cachet d’aspirine d’un groupe pharmaceutique très connu plutôt que celui d’une société moins célèbre, ce alors que la formulation et la présentation du médicament étaient exactement les mêmes.

 

Dans un article publié il y a quelques semaines par PLoS ONE, deux psychologues allemands se sont demandé si cet effet “grande marque” pouvait être transposé dans l’univers de l’alimentation et influencer une dégustation. Pour le déterminer, ils ont mis au point l’expérience suivante : des volontaires, allongés dans un appareil à IRM (imagerie par résonance magnétique), allaient goûter quatre sodas gazeux et les noter pendant qu’on observerait les zones de leur cerveau excitées par cette dégustation. Le protocole prévoyait qu’avant que la boisson leur soit injectée dans la bouche par le biais d’un tuyau, les cobayes visualisent sur un écran, pendant une demi-seconde, la marque commercialisant ladite boisson : Coca-Cola, Pepsi-Cola, River Cola et T-Cola. Les deux premières se passent de présentation. River Cola est la marque générique d’une chaîne de supermarchés allemands, tandis que le T-Cola avait été présenté aux participants comme une boisson tout juste mise au point et pas encore sur le marché.

En fait, T-Cola n’était qu’une invention : l’idée consistait à proposer une boisson totalement inconnue, d’une marque non identifiable. Les quatre échantillons servis étaient en réalité rigoureusement identiques : un cocktail de Coca, de Pepsi et de River Cola. Un tiers de chaque. Pour rendre le scénario encore plus crédible, les expérimentateurs montraient avant le test quatre récipients dont le contenu était soigneusement étiqueté. Les quinze participants ont tous eu l’impression qu’il s’agissait de quatre sodas différents (avant qu’on leur dévoile le pot-aux-roses). Les échantillons estampillés Coca et Pepsi, les deux grandes marques, ont obtenu des notes significativement meilleures à celles des deux autres, un résultat pas très surprenant.

Le plus intrigant n’est en effet pas là. Il réside dans ce qui est apparu à l’IRM. La dégustation de ce qui était présenté comme des marques peu ou pas connues a donné lieu à plus d’activité dans le cortex orbitofrontal, montrant que le sujet cherchait davantage à assigner une valeur au produit qu’il était en train de goûter, à décider s’il le trouvait bon ou pas, ce qui était moins le cas avec les pseudo-Coca et Pepsi. Comme si, dans le cas du River Cola et du T-Cola, la marque n’était pas un indicateur suffisant pour déterminer si la boisson plaisait ou ne plaisait pas. Pour les boissons connues, cette zone se révélait moins active, sans doute parce que, pour les avoir déjà goûtées auparavant ou en avoir vu la publicité chère à M. Le Lay, les sujets savaient déjà plus ou moins à quoi s’en tenir.

En revanche, un autre endroit du cerveau “s’allumait” davantage au moment de la dégustation des marques célèbres : le striatum ventral, une région liée à la récompense et au plaisir. Si le Coca et le Pepsi ont été perçus comme meilleurs que les autres (alors, rappelons-le, que les mixtures étaient les mêmes), c’est probablement parce que le cerveau s’attendait à ce qu’ils le soient. L’anticipation du résultat grâce à l’effet “grande marque” a donc influencé le traitement de l’information gustative. Dans leur expérience sensorielle, qui est aussi une expérience cérébrale, les participants ont réellement pris plus de plaisir avec ces boissons ! La grande marque semble donc arriver à ce point de domination psychologique que sa seule évocation manipule, dans le cerveau, notre perception du produit lorsqu’on le consomme…

On objectera que c’est peut-être aller un peu vite en besogne car une étude sur quinze personnes, même si elle confirme d’autres travaux, ne fait pas forcément une vérité et que tout cela exige vérification. Certes. Mais il serait également léger d’occulter ce résultat car les grandes marques, elles, sont très attentives à ces sujets. Croyez-le ou pas, mais elles suivent de près la science du cerveau, au point qu’elles utilisent elles aussi l’IRM ou l’électroencéphalogramme pour… tester les réactions de consommateurs à de nouveaux produits ou comprendre comment ils prennent une décision d’achat. Cela s’appelle le neuromarketing.

Pourquoi nos inégalités polluent la planète (2/2)

Éloi Laurent, économiste à l’OFCE, est expert des questions de bien-être et de soutenabilité environnementale. Il enseigne à Sciences Po, Stanford University et au Collège des hautes études européennes. A l’automne 2013, il est chercheur invité au Centre d’études européennes de l’Université d’Harvard et professeur invité au Harvard College (Science de l’environnement et politique publique).
www.terraeco.net/Pourquoi-nos-inegalites-polluent,50082.html

Tant que les questions écologiques ne seront pas systématiquement éclairées sous le jour des réalités sociales, elles demeureront de l’ordre de la politique étrangère pour la majorité des citoyens, soutient l’économiste Eloi Laurent.

(suite de la première partie du 14/06/2013)

Des inégalités environnementales aux inégalités politiques : la démocratie par l’écologie ?

Ce lien entre inégalités et environnement n’est pas seulement une fatalité : il peut s’avérer un puissant levier politique. Le combat pour la justice environnementale aux Etats-Unis a permis à la lutte pour les droits civiques de franchir dans les années 1980 et 1990 un cap social. De même, en Europe et en France, la reconnaissance des inégalités environnementales permettrait une véritable refondation des politiques sociales et de l’Etat providence. Un pays incarne mieux que les autres cette voie écologique vers le progrès politique : la Chine.

On ne peut qu’être frappé de la continuité écologique entre l’URSS et la Chine contemporaine, à ceci près que le développement de cette dernière s’appuie sur un modèle économique plus ouvert (même s’il est loin d’être libéral) et nettement plus dynamique, qui inflige à l’environnement un impact décuplé. Le cas de la Chine constitue une combinaison particulièrement toxique sur le plan écologique d’autoritarisme politique et de capitalisme débridé. Il illustre également le fait qu’un développement économique sans contrepoids démocratique peut progressivement conduire à un sous-développement humain par « insoutenabilité » écologique.

Cette « insoutenabilité » écologique, dans laquelle l’explosion des inégalités sociales joue un rôle certain, remet en effet en cause les perspectives de long terme de la Chine en matière de développement humain, ce que reconnaissent d’ailleurs depuis peu les dirigeants chinois (1). Ainsi l’actuel ministre de l’Environnement Zhou Shengxian s’interrogeait-il en février 2011 à haute voix en amont du Congrès national du peuple : « Si notre territoire est détruit et que nous perdons notre santé, quel bien notre développement nous fait-il ? ». Selon le ministre lui-même, on dénombrerait annuellement en Chine plusieurs dizaines de milliers de mouvements populaires contre les inégalités environnementales.

Deux événements récents laissent penser que l’ampleur de ces inégalités environnementales peut ouvrir une brèche de transparence dans l’autoritarisme politique chinois au plan national et local. D’abord, les autorités de Pékin se sont vues récemment contraintes d’informer la population des niveaux alarmants atteints par la pollution atmosphérique dans la ville. Cette décision résulte de la pression combinée des habitants et de l’ambassade des Etats-Unis à Pékin, qui, via Twitter (2), informe quotidiennement depuis deux ans ses ressortissants sur le niveau de dangerosité de la pollution aux particules fines. L’autre événement est la publication récente d’une liste de « villages-cancer » par le gouvernement chinois, villages dont la prévalence anormale de cancers résulte de pollutions environnementales (en particulier du système hydraulique, dégradé par le secteur dit « industriel-rural »). Trente ans après son irruption aux Etats-Unis, la justice environnementale est devenue en quelques années un sujet incontournable dans la Chine contemporaine. Et si la Chine se démocratisait par l’écologie ?

 

De l’écologie-moralité à l’écologie-sécurité

Cette recherche sur la relation complexe et cruciale entre inégalités sociales et crises écologiques se développe et se diffuse, comme en témoigne le rapport des Nations unies sur le développement humain consacré à cette question à la fin de l’année 2011. Parmi les nombreuses mesures qui permettraient de répondre à ce défi, la conception et la mise en œuvre de politiques social-écologiques apparaît comme une priorité à la portée des responsables politiques à tous les niveaux de gouvernement en France, en Europe et au-delà.(3) L’approche social-écologique propose au fond de passer d’une écologie-moralité à une écologie-sécurité. Elle suggère que l’écologie ne consiste pas à accabler les humains pour leurs outrages à la Nature mais à les protéger de leur inconséquence.

 

 

(1) En témoigne par exemple le discours du Premier ministre Wen Jiabo à la 6ème conférence nationale sur la protection de l’environnement, le 17 avril 2006, évoquant la protection de lenvironnement comme « protection des fondations du développement de la nation chinoise » et plaçant cet objectif à légal de la croissance économique. Ce discours marque lavènement dune véritable politique environnementale chinoise.

(2) Lire ici

(3) Pour une application aux politiques urbaines en France, voir Laurent et Hallegatte, 2013


Cette note s’appuie sur de nombreux travaux, parmi lesquels, en français, La nouvelle écologie politique (Seuil, 2008, en collaboration), Social-écologie (Flammarion, 2011) et Léconomie verte contre la crise (PUF, 2012, en collaboration). Elle a été publiée initialement sur le site de la Fondation Nicolas Hulot