Articles du Vendredi : Sélection du 13 janvier 2023

« « C’est la faute aux écolos ! », l’élément de langage phare de l’année 2022 »
Stéphane Foucart
www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/30/chronique-c-est-la-faute-aux-ecolos-l-element-de-langage-phare-de-l-annee-2022

En 2022, les effets du réchauffement et la limitation d’accès aux ressources se sont fait sentir plus cruellement que jamais. Des effets dont les écologistes ont souvent été, paradoxalement, tenus pour responsables, observe Stéphane Foucart, journaliste au « Monde », dans sa chronique.

La culpabilisation des mouvements écologistes est un tropisme habituel de la conversation publique, et la figure de style préférée des propagandistes du laisser-faire. Tout au long de l’année qui s’achève, cette tendance a pris des proportions extravagantes, dopée par l’importance grandissante des réseaux sociaux et des télévisions « tout info » dans l’animation du débat démocratique – pour peu qu’une telle expression ait encore un sens. « C’est la faute aux écolos ! » : c’est l’élément de langage de l’année.

Si cette ritournelle est revenue si souvent en 2022, c’est précisément parce que l’année écoulée a été marquée de manière spectaculaire par les dégâts liés à la dégradation du climat et de l’environnement, amplifiés par la guerre en Ukraine. En somme, plus le déroulement des événements donne rétrospectivement raison aux environnementalistes, plus leurs adversaires doivent les stigmatiser pour leur faire pièce.

C’est un cas classique d’inversion orwellienne. « La guerre, c’est la paix », « l’esclavage, c’est la liberté » et les effets de la dérive climatique, « c’est la faute aux écolos ».

Ainsi des incendies qui ont ravagé, tout l’été, les forêts françaises : à la Teste-de-Buch (Gironde), « les écologistes » auraient combattu avec succès, depuis deux ans, un plan d’aménagement de la forêt usagère destiné à la rendre plus facilement accessible aux pompiers. Cette fausse information, lancée le 15 juillet sur Twitter par un anonyme, puis aussitôt reprise par un célèbre publicitaire et animateur de la chaîne M6, a suffi à nourrir la controverse. Une semaine durant, elle a généré une quantité considérable de commentaires sur les réseaux sociaux et les plateaux de télévision, avant que plusieurs titres de presse, en particulier 20 Minutes, n’en démontrent le caractère mensonger.

Par effet de glissement et de généralisation s’imprime ainsi dans l’opinion l’idée que les politiques environnementales sont en réalité… dangereuses pour l’environnement. Et tout le temps passé à commenter cette information fausse, puis à la démentir, a été autant de temps en moins pour discuter les causes premières des incendies monstres de cet été : le réchauffement climatique, la généralisation des monocultures de résineux fortement inflammables, etc.

Même narratif à propos du naufrage du parc nucléaire français, dont la production a été historiquement basse cette année : si les centrales sont en carafe, ce serait à cause de l’hostilité historique des écologistes pour l’atome. On ne sait pourtant trop à quel moment « les écologistes » ont pu être en position d’entraver sérieusement le développement de l’industrie nucléaire. Ni comment ils auraient pu jouer un rôle décisif dans les problèmes de corrosion qui ont entraîné des arrêts de réacteurs tout au long de l’année.

Culpabilisation abusive

On ne voit pas plus par quelle diablerie ils pourraient être responsables des difficultés d’EDF à construire ses réacteurs de nouvelle génération – l’EPR de Flamanville (Manche) entrera en production avec douze ans de retard et un surcoût de 10 milliards d’euros. L’absurdité d’un argumentaire semble décidément n’avoir aucun effet sur son taux de pénétration dans le débat public.

Plus tôt dans l’année, avant que l’eau ne manque, que les forêts ne brûlent et que les centrales nucléaires ne soient arrêtées en nombre, c’est l’effondrement de l’économie du Sri Lanka qui a été attribué à des lubies écologistes. Le blocage des importations d’intrants agricoles sur la grande île, décrété en 2021, a certes plongé le pays dans le désarroi. Mais la mesure, prise de manière abrupte, sans plan de transition, était en réalité le fait d’un gouvernement aux abois, cherchant à gérer l’effondrement de ses réserves de change, dû à la pandémie de Covid-19 et à l’interruption du tourisme, première source de devises du pays. D’ailleurs, outre les intrants agricoles, ce sont aussi certaines denrées alimentaires, ou encore les automobiles, qui ont été momentanément interdites d’importation.

Présentée à tort comme le résultat d’un mouvement d’humeur d’irresponsables « khmers verts », la situation au Sri Lanka a généré des torrents de commentaires, brodant sur le thème de la culpabilité écologiste. Tout cela a sans doute eu un impact sur le torpillage du Green Deal européen, dont un des objectifs est, précisément, de réduire l’usage des intrants de synthèse en Europe.

La culpabilisation abusive des environnementalistes est un trope néolibéral ancien. L’interdiction du DDT, dans les années 1970, a par exemple été deux décennies plus tard rendue responsable d’une résurgence du paludisme, causant des centaines de milliers de morts en Afrique et en Asie.

Mais là encore, l’acte d’accusation est fondé sur une tromperie, le DDT n’ayant jamais été interdit dans la lutte contre les moustiques vecteurs de maladies. Au contraire : si le DDT a progressivement été abandonné dans la lutte contre le paludisme, c’est bien souvent parce qu’il avait été trop utilisé, induisant l’apparition de résistances chez les insectes !

Dans Les Marchands de doute (Le Pommier, 2021), les historiens Erik Conway et Naomi Oreskes ont montré que cet argument avait été forgé de toutes pièces par des think tanks libertariens et néoconservateurs américains. Il circule toujours, diffusé en France par des milieux se réclamant de la défense de la science, repris dans des ouvrages d’essayistes conservateurs, étayant l’idée d’un « précautionnisme » écologiste mortifère.

Les mêmes ont aussi tenté de faire accroire qu’en 2010, en Haïti, l’épidémie de choléra avait été favorisée par la crainte d’utiliser des désinfectants chlorés. Là encore, une fausse information qui, avant d’être démentie, a poussé l’idée que, même les maladies infectieuses, « c’est la faute aux écolos » !

« Pour Macron, les savoirs scientifiques sont des outils de communication »
Emmanuel Clévenot
https://reporterre.net/Pour-Macron-les-savoirs-scientifiques-sont-des-outils-de-communication

« Qui aurait imaginé la crise climatique ? » La question rhétorique d’Emmanuel Macron a indigné la communauté scientifique. Elle témoigne du peu d’efforts de l’État sur cette question, selon un scientifique en rébellion.

Jérôme Santolini est directeur de recherche, au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). En 2020, il a rejoint l’Appel des 1 000 scientifiques à la désobéissance civile et est devenu l’un des coordinateurs du collectif Scientifiques en rébellion.

Reporterre — Quelle a été votre réaction en entendant le président prononcer « Qui aurait imaginé la crise climatique aux effets spectaculaires encore cet été dans notre pays ? » lors de ses vœux du 31 décembre ?

Jérôme Santolini — Cela traduit un non-respect évident de tout le travail effectué par des milliers de scientifiques depuis des dizaines d’années. Un travail d’ailleurs sollicité par le gouvernement. Pourtant, Emmanuel Macron, s’étant proclamé héros de la défense du climat, assure qu’il n’était pas au courant de la crise climatique. Étonnant ! En réalité, cette phrase illustre bien le peu d’efforts que ce gouvernement a l’intention de consacrer à la question climatique. Il ne se sent pas responsable, il se dit peu informé et démuni. C’est une façon de justifier le peu de résultats qu’il a obtenu.

Je pense que l’exécutif observe la science avec légèreté. Il y a une forme d’obscurantisme ou de scepticisme par rapport aux données scientifiques. Ce n’est pas neuf, mais ça fait toujours mal pour la communauté scientifique d’être si peu considérée.

Une chose est sûre, il ne s’agit pas d’une erreur. À ce niveau, et en particulier pour les vœux du 31 décembre, les discours sont travaillés et retravaillés. Chaque mot est pesé, calculé et cette phrase n’a rien d’une improvisation. Emmanuel Macron est passé maître dans l’art de la communication. Sa politique climatique repose d’ailleurs essentiellement sur des effets d’annonce. Pour lui, les savoirs scientifiques sont des instruments, des outils de communication. En fonction de ses objectifs, il choisit de prendre en compte ou non certains éléments. Cela a été le cas avec le Covid, et ça l’est aussi pour le climat.

Cet automne, les membres du gouvernement ont reçu une formation scientifique largement médiatisée. N’ont-ils donc rien retenu ?

La formation aurait été dispensée à une classe de primaire, les élèves l’auraient comprise. L’effet de serre, on connaît ça depuis 170 ans. Le réchauffement climatique, pareil. Ces phénomènes ne nécessitent pas de formations poussées. N’importe qui comprend que nous sommes entrés dans une période inédite de grands dangers pour les écosystèmes et l’espèce humaine. Les aléas climatiques qui nous touchent tous les ans ont fini de convaincre les derniers sceptiques de cette planète.

Non, la démarche n’est plus d’informer ni même de convaincre. La vraie question désormais, c’est quelles politiques le gouvernement désire-t-il mettre en place ? Emmanuel Macron aimerait faire passer l’inaction climatique pour un défaut de connaissance. La réalité, c’est qu’il mène une politique ouvertement antiécologique.

Face à ce manque de considération, est-ce encore pertinent que les scientifiques conseillent le président ?

Non. Leur rôle n’a jamais été de le conseiller, mais de produire des savoirs. Ils donnent des éléments tangibles, rationnels, répondant à une démarche scientifique. Et sur la base de ces éléments, le gouvernement et ses conseillers peuvent prendre des décisions. Seulement, ils n’en tiennent pas compte un instant.

« Changeons de fonctionnement. […] Cela peut passer par des actes de désobéissance civile »

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a poussé dans ses dernières limites cette forme d’engagement des scientifiques, consistant à produire du savoir et le mettre à disposition de la puissance publique. Résultat : les voilà aujourd’hui en porte-à-faux. Certains auteurs se rendent compte que ça n’a pas été efficace en matière de conseil et d’influence des politiques. Ils s’interrogent : face à l’accélération de la catastrophe et le manque de considération de l’État, le Giec a-t-il encore une utilité ?

Quelle autre stratégie peuvent emprunter les scientifiques pour peser dans les décisions politiques ?

Des modes d’action plus offensifs. C’est d’ailleurs la raison d’être de notre collectif Scientifiques en rébellion. Des milliers d’études, le Giec, vingt-sept COP, le Haut Conseil pour le climat… Tout cela n’a eu que peu d’effets sur la trajectoire économique et politique de la France. Cette forme de neutralité s’est avérée un échec.

Alors, aujourd’hui, il faut changer de fonctionnement. Arrêtons de simplement diffuser l’information et contraignons les décideurs publics. Et cela peut passer par des actes de désobéissance civile. Ce n’est pas nous qui le demandons. Nous ne sommes pas des « écoterroristes ». C’est António Guterres, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) en personne qui, à chaque intervention, repète que les véritables terroristes écologiques sont les gouvernements qui ne font rien contre le réchauffement climatique. S’il a tort, alors mettons-le en prison et dissolvons le dangereux ferment de l’ultragauche qu’est l’ONU.

Hélène Gassin : « L’idée que Macron aurait soudainement tout compris à la sobriété, je n’y crois pas du tout »
Barnabé Binctin
https://basta.media/helene-gassin-l-idee-que-macron-aurait-soudainement-tout-compris-a-la-sobriete

La sobriété va-t-elle désormais guider les politiques publiques et énergétiques en France ? Mais de quelle sobriété parle-t-on, au juste ? Explications avec Hélène Gassin, la présidente de l’association NégaWatt, pionnière sur ces questions.

Basta! : Le gouvernement a présenté cet automne un plan de sobriété énergétique. Qu’en pensez-vous ?

Hélène Gassin : Nous n’avons pas d’avis définitif, tout dépendra de la mise en œuvre qui s’en suit. En soi, l’idée est intéressante d’établir un plan de sobriété, avec un appel à la mobilisation générale des acteurs et un objectif plutôt ambitieux de réduction de 10 % en 2 ans, d’ici 2024. Cela fait longtemps que l’on réclame ça ! Mais cela reste un plan basé principalement sur le volontariat, il faudra donc veiller à sa mise en œuvre opérationnelle pour évaluer concrètement ses effets… La question de la température de chauffage, par exemple, cela fait longtemps que c’est inscrit dans la loi, et ce n’est pas appliqué pour autant !

De manière générale, on a parfois l’impression que l’on confond un peu les économies d’énergie, à court terme, sous l’effet de la crise, et l’enjeu de penser la sobriété de manière plus structurelle, à plus grande échelle et dans le temps long.

Quels seraient les principaux leviers d’une véritable politique de sobriété « structurelle », comme vous dites ?

La sobriété structurelle, c’est celle qui remet en question à la fois nos usages, et donc nos besoins, mais aussi l’ensemble des paramètres qui les organisent, que ce soit les services publics, l’aménagement du territoire, la gestion des transports, etc. Prenons un exemple : on a beaucoup parlé de la réduction de la vitesse comme un gros potentiel d’économies d’énergie, et c’est vrai qu’il y a un gisement intéressant à aller travailler de ce point de vue. C’est donc une forme de sobriété dans l’usage, mais il faut l’accompagner également d’une réflexion plus globale sur la question de la mobilité. Cela doit nous amener à travailler sur la demande de mobilité, sur le développement du report modal [vers d’autres moyens de déplacement que la voiture en fonction des besoins, tels le train ou le vélo, ndlr] ou encore sur la réduction des flux de marchandises. Or aujourd’hui, on ne va pas spécialement dans le bon sens sur tous ces enjeux…

La question du nombre de personnes par véhicule est aussi un indicateur très structurant. Il faut travailler sur la sobriété « dimensionnelle » : les véhicules de demain, c’est bien s’ils sont électriques, mais c’est mieux s’il y en a moins, s’ils sont plus petits et s’ils sont partagés. Se contenter de nouveaux moteurs en maintenant le nombre de voitures et le nombre de kilomètres parcourus par jour par des personnes seules, ça ne suffira pas… Or ça, travailler sur les moteurs, c’est de l’efficacité énergétique, pas de la sobriété.

En quoi consiste la différence entre sobriété et efficacité énergétique ?

Prenons l’exemple de l’éclairage : l’efficacité consiste à changer les ampoules, quand la sobriété revient à s’interroger plus largement notre rapport à la luminosité. Ai-je besoin d’un nouveau lampadaire ici, d’avoir autant de points lumineux là, ou d’allumer quand il fait encore jour ? L’efficacité est un enjeu technique et matériel, là où la sobriété interroge plus profondément nos choix collectifs. En matière de mobilité, la sobriété, c’est donc réfléchir au nombre de kilomètres – est-ce que je peux organiser les choses autrement pour réduire la fréquence ou la distance domicile-travail ? – ou à la modalité des transports – est-ce que j’organise des systèmes de transport en commun ou est-ce que je laisse les gens se débrouiller avec leur bagnole ?

L’efficacité, ensuite, sera de concevoir des véhicules qui consomment 3 litres plutôt que 6… Cela vaut aussi pour l’aménagement du territoire : est-ce que j’ai besoin d’une nouvelle zone commerciale ? Si oui, alors comment je l’organise à proximité des zones de vie et d’habitation ? C’est seulement après que doit se poser la question de l’efficacité, avec des bâtiments performants.

 

 

Quand on parle de la « zéro artificialisation nette », c’est de la sobriété qui ne dit pas son nom, en fait : c’est une forme de sobriété foncière, qui entraîne des sobriétés en matière de mobilité, de construction. Autrement dit, une politique de sobriété structurelle nécessite de jouer à tous les niveaux, simultanément.

C’est une approche écosystémique, en somme ?

La sobriété, ce n’est pas qu’une question de consommation d’énergie finale, cela se joue aussi dans la consommation d’espace ou des matériaux. L’évolution de nos différents scénarios est instructive de ce point de vue : à la base, nous avons commencé sur une approche purement énergétique, en regardant les émissions de gaz à effet de serre. Et petit à petit, par couches successives – car c’est un boulot assez colossal, tout de même – nous avons constamment élargi notre objet de travail : nous avons d’abord ajouté la dimension agricole avec l’affectation des sols grâce à Afterres 2050 de l’association Solagro, ce qui nous a permis de calibrer l’usage du bois, de la méthanisation et du biogaz. Puis, dans notre dernier scénario, nous avons intégré la question des matériaux, avec le volet NégaMat, qui évalue les évolutions possibles de consommation et de production de matériaux.

C’est cela qui nous conduit à questionner le tout électrique tel qu’il est posé aujourd’hui dans le débat public, parce qu’on pointe un enjeu énorme sur le lithium utilisé dans les batteries : si cette logique d’électrification à tout crin venait à être appliquée aussi pour les véhicules lourds, il y aurait clairement un gros problème… Il est donc essentiel de pouvoir contenir la demande en matériau. Cela vaut tout aussi bien pour le ciment ou l’acier. D’où l’urgence à travailler à la réduction de ces consommations dans un certain nombre de secteurs, à travers également le réemploi, ou en augmentant le taux de recyclage des matières. C’est un enjeu de sobriété fondamental, même si le lien n’est pas toujours fait. On n’a pas encore attaqué la question de l’eau, ce sera peut-être pour notre prochain scénario. C’est une question de cohérence, on essaye d’aborder la sobriété à travers toutes les dimensions qu’elle mobilise, de façon holistique, en allant du particulier vers le global.

Le premier rapport négaWatt a été publié il y a 20 ans, en 2003, et a contribué à modéliser les enjeux et les avantages de la sobriété à une époque où personne, alors, n’en parlait. Quel bilan en tirez-vous aujourd’hui : avez-vous l’impression qu’on a perdu vingt ans en la matière ?

Pas complètement perdu, non, je n’irais pas jusque-là. Il y a toujours plusieurs niveaux de lecture possible, selon qu’on souhaite trouver le verre suffisamment plein ou vide. Bien sûr, quand on regarde les bilans énergétiques dans leur ensemble, c’est difficile de se réjouir. On ne peut pas dire que les politiques énergétiques engagées soient à la hauteur. Mais, par exemple, on peut constater que la consommation globale d’énergie a augmenté moins vite que ce que l’on envisageait nous-mêmes, en 2003 – la réalité est en dessous de notre scénario tendanciel, ce qui est plutôt intéressant. Cela signifie que la dynamique de consommation s’est tout de même ralentie, depuis quelques années – sur l’électricité, on est même en stagnation. Or, il y a vingt ans, au moment où on constatait une augmentation des usages, cette perspective de stabilisation était loin d’être évidente… On peut donc au moins se dire qu’on a arrêté le chemin de croissance infinie, à défaut d’avoir suffisamment entamé le chemin de réduction.

Mais quelle est la part réelle du plaidoyer de NégaWatt dans cette dynamique ? N’est-ce pas plutôt l’effet des contraintes extérieures qui finissent par s’imposer, que l’on pense à la guerre en Ukraine ou au changement climatique, par exemple ?

Je n’attribue pas l’évolution globale des consommations d’énergie à NégaWatt, bien entendu. Sur les deux dernières années, il y a plein de facteurs particuliers : la crise du covid, puis la guerre en Ukraine notamment. Sur un temps plus long, le problème de la désindustrialisation n’est certainement pas une bonne nouvelle en soi – puisqu’on a simplement délocalisé nos consommations et nos émissions ! –, mais cela explique en partie la stagnation du bilan énergétique français. Il y a aussi des améliorations en matière d’efficacité : RTE (Réseau de transports d’électricité) confirme par exemple la baisse substantielle de la consommation liée à l’éclairage, qui n’est plus un problème prioritaire dans la pointe de consommation du soir – ce qui a longtemps été le cas. Cela, c’est le résultat de réglementations, qui ont été le fruit d’intenses batailles, auxquelles nous avons largement participé.

Autrement dit, il n’y a pas seulement de la conjoncture, il y a aussi l’effet de politiques publiques. Je pense que les travaux de NégaWatt ont joué un rôle là-dedans. Sans nos rapports, je ne sais pas si on aurait eu la même prospective de RTE telle qu’elle existe aujourd’hui.

Ni les scénarios de l’Ademe, qui s’est approprié de façon très approfondie les sujets de sobriété. On voit que nos mots et nos concepts sont quand même assez largement repris dans le monde de la prospective énergétique.

Il y a également un bon taux de « pénétration » du côté des régions et des collectivités, qui sont de plus en plus nombreuses à revendiquer l’approche NégaWatt comme leur base de travail de référence. Que ce soit dans les scénarios de région à énergie positive ou dans les plans climat des collectivités, on voit de plus en plus revenir notre triptyque : d’abord, partir des besoins, et donc de l’enjeu de sobriété, ensuite s’interroger sur l’efficacité des moyens pour y satisfaire, et enfin, le dernier volet, quand on a bien défini tout cela, qui consiste à développer les énergies renouvelables. C’est là que se situe l’impact de NégaWatt, dans l’inspiration intellectuelle des acteurs sur le terrain.

En attendant, le gouvernement n’a pas toujours l’air de parler le même langage de « sobriété » que vous, et continue d’insister beaucoup sur les écogestes, et autres « cols roulés ».

Ce genre d’avancée culturelle prend toujours beaucoup de temps. Je ne préjuge de rien, mais je ne pense pas que le logiciel dominant du gouvernement ait été frappé d’une grande révélation en se disant « Ça y est, il faut être sobre ! »

L’idée d’une sorte de victoire par KO, avec un Emmanuel Macron qui d’un coup aurait tout compris et serait décidé à tout remettre d’équerre, je n’y crois pas du tout. Ce n’est pas comme cela que se façonnent les politiques publiques. Ce sont des dynamiques très longues, et souvent frustrantes pour les activistes à l’avant-garde. Regardez l’agriculture bio : quand les pionniers voient les chambres d’agriculture et la FNSEA s’y mettre, ils ont évidemment peur, parce que ce n’est plus le même projet qu’au départ ni la même pureté. En même temps, cela entraîne des gens et démultiplie les surfaces. Même si en ce moment le bio est de nouveau à la peine, mais on voit bien que c’est quand même en train de passer dans la pensée dominante, les cantines bio, par exemple, ce n’est plus un truc d’hurluberlus !

Je pense qu’on en est au même stade avec la sobriété, on a percé le plafond de verre. Dans le débat public, il est maintenant dit clairement que tout le monde doit participer, que ce n’est pas simplement les gestes individuels, chacun chez soi. Réduire la sobriété à la seule dimension des écogestes, comme ça a été le cas pendant 20 ans, je veux croire que c’est terminé. Et tant mieux, on n’en pouvait plus ! Un cap a été franchi, et il est clair que la crise des prix de l’énergie a sûrement joué un rôle de détonateur. Il faut s’en servir ! L’histoire nous montre que les crises sont aussi des moments de rupture culturelle, où on change de braquet ! Aux Pays-Bas, le choc pétrolier des années 1970 a par exemple été le déclenchement de toute la politique cyclable, qui se poursuit aujourd’hui…

En France, on a plutôt le sentiment que cela permet une certaine relance de l’atome… L’énergie nucléaire, c’est compatible avec la sobriété ?

Non. La logique du nucléaire n’est pas compatible avec une logique de maîtrise des consommations, au contraire, les grands programmes de ce type-là se concentrent sur des logiques de production et poussent plutôt à la consommation qu’autre chose. On l’a bien vu avec la consommation domestique : en vérité, le lancement du grand programme électronucléaire a coïncidé avec le lancement du grand programme de chauffage électrique, même si cela n’a jamais été présenté ainsi, bien sûr. De fait, les Français consomment plus d’électricité que les autres en Europe – et cela ne tient pas qu’au chauffage, on voit par exemple que l’électroménager vendu en France est plus consommateur que la moyenne européenne ! – parce que l’électricité n’y a jamais été considérée comme un problème, donc on avait une forme d’incitation à la consommation, avec de surcroît un prix qui, jusqu’à récemment, était en dessous de la moyenne.

Le problème du nucléaire, désormais, c’est qu’on ne regarde plus qu’un seul paramètre : les émissions de carbone. Et il n’y a pas photo, le nucléaire en émet très peu, certes. Mais c’est le même problème qu’avec les véhicules électriques, il ne faut pas se contenter des émissions au pot d’échappement, il faut considérer l’empreinte globale et les analyses du cycle de vie de tous les produits concernés. Et là, on se rend compte que le nucléaire induit plein de choses : de la consommation de matériaux, des déchets radioactifs, des risques. De ce point de vue, le nucléaire est donc difficilement compatible avec les objectifs globaux en matière d’énergie.

 

Mais cela continue de mobiliser beaucoup de bande passante du côté de nos dirigeants : la mission interministérielle pour le « nouveau nucléaire » a à peu près autant d’agents que le secrétariat général à la planification écologique, et je crains que ce soit un peu symptomatique. Il y a un effet de diversion, qui est terrible. C’est une représentation qui ponctionne tellement d’énergie au sein de l’État et en matière de prospective énergétique. Le nucléaire est l’une des raisons structurelles du retard français sur tout le reste.

Ikerketa berri batek argiratu digu: klima aldaketaz jakitun da petrolio sektorea 1980ko hamarkadaz geroztik
Jenofa Berhokoirigoin
www.argia.eus/albistea/ikerketa-berri-batek-argiratu-digu-1980ko-hamarkadaz-geroztik-dela-klima-aldaketaz-jakitun-petrolio-sektorea

Science aldizkariak urtarrilaren 12an plazaraturiko ikerketak argi uzten du: ExxonMobil petrolio enpresa erraldoiak 1980ko hamarkadan jadanik zehazki bazekien bere aktibitateak klima larrialdia ondorioztatuko zuela

Ez da gauza berria, baina froga bat gehiago dugu esku artean baieztatzeko eskandalua: erregaien sektoreko boteretsuek 1970eko hamarkadaz geroztik dakite klima aldaketa ondorioztatzen dabiltzala. Iazko irailean Nicolas Goñik ARGIAn idatzitako « Klima larrialdiaren erdian, negozio eredua aldatu baino, Total-ek nahiago izaten du zalantza hauspotu eta zabaldu » erreportajean ondokoa irakurri daiteke: « Energian eta berotegi efektuko gasen isurketan ardura handiak dituzten enpresa askok aspaldidanik [1970eko hamarkadaz geroztik] garatu zituzten komunikazio estrategiak, beren eraginei buruzko zalantzak sortzeko eta beren arduren hautematea lausotzeko ».

Hamarkada guztiz 0,2 graduko beroketa aurreikusten zuten garaiko dokumentuetan eta hori ari da gertatzen.

Science aldizkariak urtarrilaren 12 honetan plazaraturikoa froga bat gehiago da. ExxonMobil petrolio enpresako ikerlarien lanak eta datuak aztertu dituzte kazetariek, hainbat garaitan zientzialariek zabaldutako datu ofizialekin alderatuz. ExxonMobilen datuen « zehaztasun harrigarria » azpimarratu dute kazetariek. 1972 eta 2002 urte artean, multinazionalaren 32 barne-dokumentu aztertu dituzte, baita 1982 eta 2014 urteen artean beste egitura batzuekin plazaraturiko 72 publikazio zientifiko ere. Batez beste, hamarkada guztiz 0,2 graduko beroketa aurreikusten zuten garaiko dokumentuetan eta hori ari da gertatzen. « Zientzialari independenteek eta gobernu-zientzialariek bezainbeste bazekiten, eta seguru asko, neurriak hartzeko eta jendeari ohartarazteko adina », dio ikerketak. Hala ere, taldeko arduradunek begiek itxi eta bestelako mezu bat zabaltzen aritu ziren, zetorrena gordez. Demagun, ondokoa zioen ExxonMobileko zuzendari Lee Raymondek 2000 urtean: « Ez dugu klima-aldaketaren ulermen zientifiko nahikoa arrazoizko iragarpenen egiteko ».

Union of Concerned Scientists egiturak jada 2015ean frogatu zuen ExxonMobilen jukutria. Berdin dio, logika berarekin segitzen du, munduan barna karbono-bonbak bideratuz. Iazko abendu bukaeran eman genuen erregaien sektoreko boteretsuen artean orokorturiko joera horren berri ondoko erreportajean: Aitzina doaz 425 ‘karbono-bonba’, klimaren bost inflexio-puntu bueltarik gabeko aldaketan sartuak direla kontuan hartu gabe.