André Corrêa do Lago, président de la COP30 : « Le départ des Etats-Unis de l’accord de Paris a un impact très important. On doit toutefois définir comment avancer sans eux »
Audrey Garric et Bruno Meyerfeld (Sao Paulo, correspondant)
www.lemonde.fr/planete/article/2025/02/06/climat-definir-comment-avancer-sans-les-etats-unis-le-defi-d-andre-correa-do-lago-le-president-de-la-cop30_6534409_3244.html
Article
Le haut diplomate a été nommé en janvier par le président brésilien Lula à la tête de la conférence de l’ONU sur le climat, qui se tiendra en novembre à Belem, aux portes de l’Amazonie.
Envers et contre tout, André Corrêa do Lago croit au succès de la COP30 de Belem. Ce diplomate brésilien chevronné et francophile, secrétaire chargé du climat, de l’énergie et de l’environnement au sein du ministère des affaires étrangères, a été choisi par Lula pour présider la prochaine conférence mondiale sur le climat qui se tiendra en novembre aux portes de l’Amazonie. Il souhaite trouver des solutions concrètes et estime que lutte contre le réchauffement et croissance économique sont compatibles.
Quel impact anticipez-vous du retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris, engagé par Donald Trump, sur la lutte contre le changement climatique ?
L’accord de Paris a été créé pour que les Etats-Unis reviennent dans les négociations climatiques, alors qu’ils n’avaient pas ratifié le protocole de Kyoto [le prédécesseur de l’accord de Paris]. Leur départ a donc un impact très important. On doit toutefois définir comment avancer sans le gouvernement des Etats-Unis. La COP reste une occasion extraordinaire de discuter des impacts et des solutions face au changement climatique en présence de tous les acteurs, les Etats mais aussi les entreprises, les villes et la société civile.
Craignez-vous que l’Argentine de Javier Milei quitte à son tour le traité international ?
Le président Milei a des idées différentes sur le changement climatique, mais l’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’Union européenne a inclus la nécessité d’adhérer à l’accord de Paris. Il n’y a pas d’incompatibilité entre la lutte contre le réchauffement climatique, la croissance économique et la lutte contre la pauvreté. D’autant que le réchauffement peut compromettre cette dernière.
Quelles sont vos priorités pour la COP30 ?
La priorité est de montrer qu’il existe des solutions. Des réponses technologiques, économiques et financières sont disponibles ou doivent être améliorées. Nous voulons montrer des résultats concrets, ce qui va affecter les gens et les économies. Cela ne peut pas être qu’une COP de discours ou de négociations de textes mais aussi d’action. Il faut injecter un peu d’optimisme dans ce processus. En Europe, la hausse du coût de l’énergie est attribuée à la lutte contre le réchauffement. On ne peut pas permettre que le combat contre le changement climatique soit interprété comme quelque chose de négatif.
A la COP29, à Bakou, l’an dernier, les pays ne sont pas parvenus à réitérer de manière claire l’objectif d’une transition en dehors des énergies fossiles, adopté en 2023. Comment les pousser à le faire à Belem ?
Il n’est pas nécessaire de le réitérer. On ne doit pas tomber dans le piège de répéter les choses que l’on a déjà décidées. Il y a déjà un consensus pour engager une transition hors des énergies fossiles, tripler les capacités d’énergies renouvelables d’ici à 2030. Nous sommes en train de voir si les technologies de capture, de stockage et d’utilisation du carbone sont réalistes et quels seraient leurs impacts. Les panneaux solaires ont aussi vu leur prix diminuer de manière considérable grâce à la Chine. Ce sera la même chose avec les véhicules électriques, les agrocarburants. On a encore besoin de pétrole, mais on peut l’exploiter de façon beaucoup plus propre. Les grands pays pétroliers sont en train de développer des solutions.
Comment le Brésil peut-il inciter les autres pays à accroître leurs efforts alors qu’il prévoit d’augmenter de 36 % la production de pétrole et de gaz d’ici à 2035, ce qui est contradictoire avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 °C ?
Le mot « contradictoire » n’est pas adéquat. Un pays en développement comme le Brésil doit développer une transition cohérente avec sa priorité de combattre la pauvreté et d’améliorer la qualité de vie de la population. Le Brésil dispose aujourd’hui d’une électricité à 83 % d’origine renouvelable. Le pétrole reste, malgré tout, central. Nous allons organiser un grand débat national sur la meilleure façon de l’utiliser : de la façon la plus durable possible, mais aussi pour soutenir nos politiques sociales.
A la COP30, les Etats doivent adopter une enveloppe de 1 300 milliards de dollars par an (1 250 milliards d’euros), d’ici à 2035, de financements climatiques à destination du Sud. Où trouver ces sommes, alors que la COP29 n’y est pas parvenue ?
Il faut être réaliste. Ce n’est pas la COP qui va trouver ces ressources. Nous devons avoir cette discussion au niveau du FMI, de la Banque mondiale, etc. Il faut avoir la conviction qu’il sera positif pour l’économie mondiale de placer le climat au centre des investissements et des financements internationaux, bien au-delà des fonds déjà créés. Les ressources doivent aller là où les émissions se trouvent, dans les pays avec des économies moyennes. On ne peut pas espérer que les pays en développement adoptent des plans climat plus ambitieux [ce qu’ils doivent faire avant la COP30] s’il n’est pas clair qu’ils auront un soutien financier.
Cette COP est symboliquement organisée aux portes de l’Amazonie. Qu’espérez-vous des négociations pour la protection de celle-ci et des forêts tropicales en général ?
La déforestation est la principale source d’émissions de gaz à effet de serre du Brésil (avec 50 % du total des émissions en 2022) ; c’est une question centrale quand on parle de réchauffement climatique. On a diminué de moitié la déforestation en deux ans. Nous avons lancé le Tropical Forest Forever Fund pour financer la protection des forêts, et nous devons parler de solutions technologiques pour combattre la déforestation, pour leur conservation et leur restauration. Nous voulons que l’Amazonie ne soit pas quelque chose d’abstrait pour le reste du monde, mais une réalité. Nous allons aussi tout faire pour que la voix des populations indigènes soit écoutée.
Faut-il rembourser Paris Hilton ?
Malika Peyraut
www.enbata.info/articles/faut-il-rembourser-paris-hilton/
Article
L’Edito du mensuel Enbata
Les cendres des incendies monstres de Californie sont encore chaudes et Paris Hilton et son chihuahua pleurent toujours la disparition de leur bicoque de 1 300 mètres carrés de Beverly Hills, à Los Angeles (à moins qu’il ne s’agisse de la beach house de Malibu, les sources manquent de précision sur le sujet). 14 000 hectares partis en fumée, 24 morts, 12 000 habitations détruites : les habitants d’une des régions les plus riches de la planète font face à l’amère réalité des effets concrets du dérèglement climatique. Comme ce riverain qui, sur Quotidien, partage ce témoignage déchirant : « Un jour, vous êtes dans votre piscine, et le lendemain, vous n’avez plus rien ». C’est désormais une communauté de destin qui les lient aux Africains (163 millions de personnes en insécurité alimentaire aiguë en 2024) ou aux Bangladeshis avec 5,6 millions de victimes des inondations en 2024 (« Un jour, tu es dans ton bidonville, et le lendemain, tu n’as plus rien. »). Dans un monde où le dérèglement climatique n’est plus une prédiction rabat-joie d’une poignée d’écolos hirsutes et de climatologues fans de carottes, l’adaptation est devenue un enjeu majeur auquel nos sociétés sont tout autant impréparées qu’elles ne le sont pour sa grande soeur atténuation. La question de « qui paye » et « qui assure » y devient centrale. Aux État-Unis, les incendies de Californie pourraient être les plus coûteux du pays avec une estimation à 275 milliards de dollars (il est donc probablement plus rentable d’investir dans la lutte contre le dérèglement climatique plutôt que d’en payer les pots cassés, mais c’est une autre histoire).
Le département du Trésor étasunien a publié une étude mi-janvier montrant que les propriétaires vivant dans des régions les plus à risque de catastrophes climatiques ont payé leurs assurances 82 % plus cher que ceux dont le logement est situé dans des zones moins risquées du pays. Dans la Californie démocrate, c’est l’État local et son fonds assurantiel public qui est censé couvrir ceux qui ne sont plus assurés (c’est donc en partie la collectivité qui va payer). En France aussi, les questions d’assurance commencent à dessiner une nouvelle géographie des inégalités. Dans le Nord, après les vagues d’inondations records de 2024, c’est le niveau des cotisations d’assurance qui grimpe dangereusement. À Blendecques (4 800 habitants), la cotisation annuelle est passée de 47 000 à 142 000 € en 2025 avec en prime une nouvelle franchise de 500 000 €. Les particuliers eux aussi en font les frais, et certains se sont vus tout bonnement radiés de leur assurance habitation. Dans le Sud-Est, c’est la commune entière de Breil-sur-Roya qui s’est vue radiée.
Et si nous décidions de ne pas indemniser les résidences secondaires en cas de catastrophe naturelle ? Si le budget des assurances est en souffrance à cause de l’augmentation des catastrophes naturelles, allons à l’économie ! Au Pays Basque, sous l’effet du dérèglement climatique, l’océan grignote inexorablement le trait de côte et menace les habitations en flanc de mer. Des localisations prisées pour lesquelles les montants peuvent atteindre des sommes astronomiques et qui servent plus souvent de résidence secondaire que d’habitation principale au pêcheur du coin. Il serait quand même plus logique de privilégier les habitants à l’année des zones à risque (qui n’ont rien demandé) plutôt que d’indemniser les résidences secondaires (souvent chères) de ceux qui peuvent s’en payer d’autres et dont le mode de vie a contribué à cette panade généralisée. Si, au passage, cela participe à dissuader d’investir dans des résidences secondaires là où frappe la crise du logement, tant mieux. De toute façon, comme a dit Paris Hilton (dont la fortune est estimée à 300 millions de dollars en 2018) : » L’important, c’est l’amour qu’on se porte « .
« Le “capitalisme de la finitude” n’a clairement pas besoin de la démocratie »
Fabien Escalona et Romaric Godin
www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/020225/le-capitalisme-de-la-finitude-n-clairement-pas-besoin-de-la-democratie
Article
Arnaud Orain publie « Le Monde confisqué ». Dans cet ouvrage, l’historien décrypte la rationalité des stratégies violentes et rentières que déploient des élites économiques et politiques volontiers en collusion, afin d’accaparer « un gâteau qui ne peut pas grossir ».
C’est un livre qui donne sens à la brutalité trumpiste, aux offensives des géants du numérique, à l’accaparement des terres arables à travers la planète, ou encore aux investissements hors norme de la Chine dans sa marine de guerre. En publiant Le Monde confisqué. Essai sur le capitalisme de la finitude (XVIᵉ-XXIᵉ siècle) (Flammarion), l’historien Arnaud Orain se risque à offrir une grille de lecture globale d’événements qui choquent, et signalent un changement d’ère.
Selon lui, nos sociétés expérimentent un « capitalisme de la finitude », dont des avatars ont déjà existé lors des siècles précédents. Ouvertement « prédateur, violent et rentier », il s’épanouit sur la fin de la promesse de prospérité universelle, permise par le marché et régulée par le droit. « Le néolibéralisme est terminé », affirme l’auteur, en se différenciant sur ce point d’autres penseurs de l’époque, comme Quinn Slobodian et son Capitalisme de l’apocalypse.
Auprès de Mediapart, Arnaud Orain développe les principaux arguments de sa thèse, et s’explique sur sa périodisation alternative de la trajectoire du capitalisme. Il souligne la ligne de crête à trouver entre le risque de vassalisation, face à la nouvelle vague impérialiste du XXIe siècle, et le risque de s’abîmer dans une course antidémocratique, inégalitaire et écocide.
Mediapart : Pour rendre compte des turbulences de notre époque (menaces guerrières, repli démocratique, protectionnisme…), vous proposez la notion de « capitalisme de la finitude ». Quels en sont les traits principaux ?
Arnaud Orain : L’idée, c’était de sortir de la dichotomie habituelle qui oppose des périodes de triomphe du libéralisme et des périodes de forte intervention de l’État.
Je n’ai jamais oublié ce que nous rappelaient, en faculté de sciences économiques, ces profs qui avaient étudié le système soviétique : le libéralisme et le capitalisme sont deux choses bien différentes.
Je préfère identifier deux types de capitalisme. Il y a celui qui s’avère compatible avec le libéralisme. Il repose sur la concurrence, la baisse voire l’absence des droits de douane, la liberté des mers, et une utopie d’accroissement des richesses au niveau individuel comme collectif, dans une dynamique qui profiterait au monde entier. C’est l’ère que nous sommes beaucoup à avoir connue, des trentenaires aux septuagénaires d’aujourd’hui.
Et il y a le capitalisme, parfois appelé « mercantiliste », que j’appelle « de la finitude ». Il désigne un monde où les élites pensent que le gâteau ne peut pas grossir. Dès lors, la seule manière de préserver ou d’améliorer sa position, faute d’un système alternatif, devient la prédation. C’est l’ère dans laquelle nous sommes, selon moi, en train d’entrer.
Vous écrivez que le capitalisme a déjà connu des phases de ce type dans les siècles précédents. Quelles sont les périodes concernées ?
On peut raconter la trajectoire du capitalisme de la manière suivante. Du XVIe au XVIIIe siècle, nous avons affaire à une phase de création de puissances impériales, promotrices de grandes compagnies à monopoles, de commerces exclusifs avec leurs colonies, de guerres à caractère strictement économique. C’est la première période d’un capitalisme de la finitude. Il s’ensuit une phase de libéralisation, à l’issue des guerres napoléoniennes remportées par les Britanniques.
Certains estiment que cette Pax Britannica s’est poursuivie jusqu’en 1914, mais ils négligent la deuxième grande vague de colonisation qui commence dans les années 1880. C’est le retour des droits de douane, des silos impériaux, des cartels, de la conquête territoriale pour les « ressources » – autant de tendances qui s’accentuent dans les années 1930, en raison de la Grande Dépression, et trouvent leur acmé dans la Seconde Guerre mondiale.
Une nouvelle phase libérale s’ouvre en 1945. Elle est sous-tendue par une promesse d’abondance plus forte que jamais, d’abord à destination du monde occidental, puis étendue au monde entier à partir des années 1990. De la même manière qu’il est « occidentalo-centré » de penser la rupture en 1914, ça l’est aussi de croire que l’ère néolibérale aurait tout changé. Le vrai moment où la promesse se fracasse, en particulier sur les limites écologiques de la planète, ce sont les années 2010.
Il faut prendre au sérieux la référence obsessionnelle de Trump au Gilded Age américain [la « période dorée » des années 1870-1900 – ndlr]. C’est l’âge des monopoles, du dénigrement de la concurrence, des inégalités sociales majeures, mais aussi du grand retour de la colonisation, que les États-Unis pratiquent eux-mêmes à Porto Rico ou Hawaii.
À vous lire, la « broligarchie » de la tech, sur laquelle se sont braqués les projecteurs à l’occasion de l’investiture de Trump, illustre totalement ce capitalisme de la finitude. On a l’impression qu’ils sont la version « XXIe siècle » de certaines compagnies maritimes qui organisaient l’économie de comptoir il y a plusieurs siècles…
Il y a en effet un parallèle entre ces incarnations différentes de « compagnies-États ». On a longtemps raconté une histoire romantique des compagnies des Indes. C’est une mystification : la VOC néerlandaise, par exemple, avait des dizaines de milliers d’esclaves et a pratiqué des violences aux confins du génocide comme aux îles Banda. En Inde, les Anglais n’achetaient plus grand-chose à la fin du XVIIIe siècle : ils spoliaient et taxaient la population.
Ces compagnies avaient un droit propre, des places fortes, des armées, et cela pouvait même engendrer des frictions avec les États dont elles étaient issues. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’elles accaparaient des espaces pour en tirer des revenus dans une logique rentière, plutôt que de générer du profit issu d’une concurrence libre. À la fin du XIXe siècle, des compagnies de cette sorte ont à nouveau émergé pendant la relance de la colonisation, en particulier en Afrique.
Aujourd’hui, les géants du numérique se retrouvent, à leur tour, à combiner une capacité marchande et un pouvoir souverain. Ils sont capables de mobiliser l’espace public à travers les réseaux sociaux, de fournir des connexions internet à des zones entières, de s’immiscer dans le domaine militaire avec des satellites, et cherchent à extraire de l’argent en profitant d’une position monopolistique sur les données.
On peut quand même relever une différence à travers les époques. Les compagnies des XVIIe et XVIIIe siècles jouaient un rôle important dans la politique de leurs États respectifs, mais l’idée n’était pas de faire de la prédation à l’intérieur de la métropole. Désormais, les géants de la tech s’approprient des prérogatives souveraines dans leur propre État. Comme dans le passé, en revanche, il peut y avoir des désaccords entre ces compagnies : Elon Musk et Peter Thiel, par exemple, n’ont pas la même opinion sur le découplage économique avec la Chine.
Votre thèse permet également de mieux comprendre la signification historique d’un autre phénomène qui a marqué l’actualité : la perturbation de la liberté de naviguer en mer Rouge, par les Houthis du Yémen, dans le contexte de la guerre au Proche-Orient. Car vous insistez sur le fait que le capitalisme de la finitude, c’est d’abord la fermeture des mers.
Depuis une dizaine d’années, les océans redeviennent un enjeu majeur des relations internationales. Dans le capitalisme de la finitude, on commerce avec ses amis, ses vassaux, ses colonies, dans un régime où l’on est protégé par sa puissance impériale, car il n’y a plus de puissance hégémonique qui assure de liberté des mers pour tous.
Même si nous n’en sommes pas encore là, des indices forts vont dans ce sens aujourd’hui. Il est significatif que les Houthis ne ciblent pas les navires chinois et russes, alors que les compagnies occidentales doivent désormais contourner l’Afrique. En toile de fond, on assiste à un affaiblissement de la marine états-unienne, et au contraire à une montée en puissance gigantesque de la marine chinoise, marchande comme militaire. Or, pour assurer la liberté des mers, il ne peut pas y avoir deux puissances hégémoniques. Ça ne marche qu’avec une seule.
Clairement, la mouvance Maga autour de Trump ne veut plus payer pour la sécurisation de la globalité du monde. Il faut dire que les États-Unis ne sont pas loin de pouvoir disposer d’assez d’énergie entre le gaz, le pétrole et les panneaux solaires domestiques, et qu’ils sont bien pourvus en produits de base en Amérique du Sud. La volonté d’annexer le Groenland répond à l’objectif d’accéder à certaines ressources minières pour compléter la panoplie.
C’est un monde nouveau qui s’annonce, avec des routes maritimes sécurisées pour certains et pas pour d’autres. Pour les puissances européennes, habituées depuis quatre-vingts ans à une liberté des mers assurée par leur allié principal, la rupture est considérable.
On comprend que le capitalisme de la finitude ne fait pas bon ménage avec les principes démocratiques. Mais le lien n’est-il pas plus complexe ? Après tout, on a vu la qualité des régimes démocratiques se dégrader sous l’ère néolibérale, comme on a vu des conquêtes démocratiques à la fin du XIXe siècle.
Il n’y a pas de lien nécessaire entre capitalisme et autoritarisme, pas plus qu’entre libéralisme économique et démocratie. Il reste que le capitalisme de la finitude n’a clairement pas besoin de la démocratie, et que cette dernière représente même un obstacle.
En effet, les demandes démocratiques sont généralement plus égalitaires, avec des moyens pour les petits producteurs et les travailleurs d’exprimer leurs intérêts. Le capitalisme de la finitude, au contraire, valorise l’entrepreneur qui arrive au monopole, et donc les inégalités. L’accaparement de pouvoirs souverains par des compagnies-États, qui ne rendent de comptes à personne, est également contradictoire avec les principes du gouvernement représentatif.
Dans le capitalisme de la finitude, les aspirations populaires peuvent cependant être captées en arguant de la nature protectrice des mesures de fermeture. C’est ce que fait Trump. La mise en avant du progrès technologique, des nouvelles frontières qu’on imagine jusque dans l’espace, est aussi une façon d’élargir son socle électoral.
C’est cela que n’ont pas compris les extrêmes droites européennes. Quand on n’a pas de compagnie-État dans les secteurs stratégiques, pas de grosses flottes militaires, peu de ressources énergétiques propres… le risque, dans un monde « trumpisé », est surtout un appauvrissement conduisant à la vassalisation.
Revenons à votre périodisation de phases libérales et de phases marquées par la conscience de la « finitude ». Comment rendez-vous compte de leur alternance ?
Je n’affronte pas directement la question de la causalité de ces alternances. Mais regardons ce que nous disait Karl Polanyi sur l’effondrement de la phase libérale du XIXe siècle.
La promesse d’abondance collective et individuelle devenant de plus en plus difficile à tenir, il a fallu extraire de la plus-value d’une autre façon, par des moyens impérialistes, en détruisant les structures traditionnelles du monde nouvellement colonisé. Des élites l’ont théorisé, et des critiques de l’impérialisme l’ont dénoncé à l’époque.
Depuis la fin du XXe et le début du XXIe siècle, un phénomène relativement proche se produit. À partir du moment où des pays émergents et des classes moyennes nouvelles consomment des protéines animales et des énergies fossiles en approchant des standards occidentaux, la promesse d’abondance se heurte à la limitation des ressources. Il devient difficile de croître sans des mécanismes nouveaux de prédation, qui ne peuvent pas être réalisés dans un cadre libéral.
Dans le néolibéralisme, l’État et les institutions internationales imposent en effet un cadre strict pour garantir un environnement concurrentiel. On est en train de sortir de ce cadre, car il n’est suffisant, ni pour maintenir les niveaux de vie, ni pour assurer les profits des grandes entreprises de la tech. On en sort par une forme de capitalisme moins normée, plus brutale, avec des dominations plus directes qui se passent du marché.
Vous pointez la finitude des ressources naturelles, mais le problème n’est-il pas également interne au régime d’accumulation lui-même ? Le capital peine à se valoriser, en Occident mais aussi en Chine. C’est en cela que le néolibéralisme a quand même été une rupture : il a changé les bases de l’accumulation, devenue plus financiarisée et défavorable au monde du travail.
Nous ne sommes pas en désaccord. Les promoteurs du néolibéralisme ont clairement tenté de poursuivre, par une logique concurrentielle exacerbée, un mode de production qui s’essoufflait déjà dans les années 1970. Mais après la grande récession de 2008, la croissance économique réalisée par l’exportation s’est révélée être un gâteau de plus en plus limité. Dans les pays du Nord, on a observé un appauvrissement relatif des classes populaires et moyennes.
La France et les États-Unis ont connu les premiers le choc de l’arrivée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et désormais cela touche jusqu’à l’Allemagne. Les Occidentaux découvrent, en pratique, que la théorie qui justifiait le libre-échange, à savoir la spécialisation dans les avantages comparatifs, ça ne marche pas. Le sparadrap du néolibéralisme ne suffit plus à contenir les problèmes d’une industrie laminée. Cela contribue à la montée des rivalités géopolitiques à l’intérieur du capitalisme global.
La phase libérale du capitalisme ouverte en 1945, plus ou moins tempérée par l’État social, a aussi été celle de la « grande accélération » dans la dégradation écologique du système Terre. Ne sous-estimez-vous pas le caractère permanent de la dimension prédatrice de la logique capitaliste ?
Pendant les Trente Glorieuses et la période néolibérale, il y avait clairement des échanges inégaux à travers la planète. Mais ce sont bien les relations marchandes qui prédominaient. Prenons le cas des terres. Dans le monde libéral, cet actif est comme liquéfié. Des prix sont fixés, et chaque État achète, sur le marché mondial, ce dont il ne dispose pas pour la consommation de sa population. C’est le modèle « OMC-centré ».
Depuis les émeutes de la faim de 2007-2008, et de nouveau après la pandémie de covid, quelque chose de différent se passe : un accaparement direct des terres, notamment par des firmes publiques émiraties et chinoises, mais aussi des entreprises américaines ou néerlandaises. Elles achètent du foncier, fournissent des intrants et des semences, et s’approprient les récoltes sans intermédiaire, sans prix de marché. On observe des choses comparables concernant les ressources minières et halieutiques.
De manière plus générale, il est frappant de constater la progression, dans la sphère intellectuelle comme patronale, de l’idée selon laquelle le capitalisme est un jeu à somme nulle. Des auteurs critiques comme Dylan Riley et Robert Brenner ont récemment développé cette idée dans la New Left Review, mais en tant qu’historien, on en trouve des échos au XVIIe siècle, lorsque les premiers penseurs du capitalisme expliquaient que tout le monde ne pourrait pas prendre part aux grands marchés textiles.
Le capitalisme de la finitude du XXIe siècle a-t-il une qualité particulière au regard des précédentes phases de ce type ? On pourrait se représenter un aller-retour presque rassurant, mais le système capitaliste vieillit.
On a un nouveau problème. La finitude du monde, c’est certes celle des ressources naturelles et la saturation du marché global – la finitude old school, en quelque sorte. Mais c’est aussi le fait que pour accomplir une transition énergétique afin d’éviter un changement climatique désastreux, il faut d’énormes quantités de minerais et de métaux. La planète est finie deux fois : il faut des ressources pour faire fonctionner le capitalisme fossile, mais aussi pour faire la transition. Je ne vois pas comment ça n’engendrera pas des conflits importants.
Pour vous, le « monde confisqué » reste donc un monde capitaliste, dont le problème est l’impératif d’accumulation, qu’elle se fasse avec des énergies carbonées ou non. Vous vous opposez donc à des thèses comme celles de Yánis Varoufákis ou Cédric Durand, qui parlent de l’émergence d’un « techno-féodalisme » en lieu et place du capitalisme ?
J’ai un désaccord sur ce terme, en effet. Le féodalisme implique une relation plus politique qu’économique, un pouvoir fondé par des hiérarchies extra-économiques, justifiées de manière théologique ou traditionnelle. Or nous restons toujours dans un système où la relation de domination est fondée sur l’argent, au profit de détenteurs de capitaux.
Simplement, certains de ces capitalistes se veulent aussi des souverains, avec une casquette marchande et une casquette (para-)étatique. C’est ça, le glissement qui se produit : une logique capitaliste reste à l’œuvre mais s’accompagne de prises de terre, de mer, d’air et même du cyberespace et de l’espace public, que l’on peut désigner comme des prises de souveraineté.
Vous prônez une économie écologique, qui est une version radicale de « l’écologie de guerre » défendue par Pierre Charbonnier : en gros, préserver son autonomie par la sobriété, plutôt qu’en jouant le jeu des empires. Mais est-ce possible face à leurs capacités de chantage ou de coercition ?
Comment garder un régime démocratique tout en se heurtant à des empires qui veulent les mêmes choses que nous ? Mon espoir, c’est de voir advenir une politique de transition énergétique très ambitieuse, avec une réduction drastique des consommations d’énergie, parce que celles-ci impliqueront nécessairement des ressources de minerais et de métaux.
C’est une ligne de crête : une transition forte qui permettrait de ne pas trop mener une politique impériale et de vassalisation, tout en s’assurant une autonomie vis-à-vis des empires prédateurs, qui sera gagnante à terme. Mais cela implique une réorganisation tellement forte de notre organisation sociale, que je ne sais pas si c’est possible.
Cette question soulève celle d’un gouvernement à partir des besoins, plutôt que d’une fuite en avant dans l’accumulation. A-t-on réellement besoin de millions de véhicules électriques individuels ? Ne faut-il pas changer nos modes de vie pour échapper à la course impériale ?
‘Borroka guztien ama’ liburua aurkeztuko da Baionan otsailaren 18an
https://mrafundazioa.eus/eu/artikuluak/borroka-guztien-ama-liburua-aurkeztuko-da-baionan-otsailaren-18an
Article
Jon Palais Bizi! mugimenduko kidearen ‘La Bataille du siècle’ liburuaren euskarazko itzulpena Baionako Fundazioaren egoitzan aurkeztuko dugu otsailaren 18an, 20:00etan, egileak eta ELA sindikatuko Aintzane Orbegozok emango duten « Klima, justizia soziala: bortizkeriarik gabeko estrategiak, borroken irabazteko » hitzaldiarekin. Liburuak, bizi dugun garai honetan, garaipenak lortzeko ekintza-estrategia bat proposatzen du, adibide zehatzak erabiliz. Palaisek klima belaunaldiarentzako estrategia horretaz hitz egingo du, eta Orbegozok Gipuzkoako udal desberdinetan etxez etxeko laguntza zerbitzuko langileak egiten ari diren antolakuntza lan-feministaz eta lortzen ari diren garaipen garrantzitsuetaz.
Jon Palaisen ‘Borroka guztien ama. Klima belaunaldiarentzako ekintza-estrategia bat‘ liburua hemen duzu eskuragarri. Paperean nahi baduzu idatzi fundazioa@ela.eus emailera.
Su hartzen hasi den mundu honetan, hartu beharreko estrategiak berebiziko garrantzia du. Jada ez dago errore-tarterik, akats estrategiko bakoitza oso garestia izan baitaiteke. Indarkeriarik gabeko borroken historiako garaipen handiak, eta « Potret kentzaileak » edo « klimaren aldeko eskola-grebak » bezalako kanpaina berrienak, ere, gogoratzean, Jon Palais Bizi! mugimenduko kideak ikusle izateari utzi eta historiako aktore bihurtzera gonbidatzen gaitu liburu honetan. Liburu originala frantsesez argitaratu zen 2023an, Le Liens qui libèrent argitaletxean. Itzulpena Antton Hariñordokik egin du.
Sarrera
Klima larrialdia dela eta agintariak geldirik daudela ikusirik, nola ekin dezakegu? Horra galdera nagusia, hil ala bizikoa, ezin baztertuzkoa, nahasmendu klimatikoaren aroan sartu garenez gero.
Gaur egun segitzen dugun ibilbideak, klima hainbat graduz berotzera eramanen gaituen horrek, lurreko bizi-baldintza « zibilizatuak » epe laburrean mehatxatzen ditu, hots, bakerako, demokraziarako, berdintasunerako eta giza eskubideen hobekuntzarako baldintzak. Nahiz eta alerta seinale asko pizturik dauden, energia fosilen ustiapen zentzugabean tematzeak gure lasterketa eroaren abiadura are gehiago azeleratzen du, gure espeziearen biziraupena bera dudan ezartzeraino, baita beste espezie askorena ere, gurearekin batera. Energia pozoitsu horiek ematen dizkiguten indar titanikoek planeta osoko bizi-baldintzak suntsitzeko ahala ematen digute, eta azeleragailua zapaltzeari ez diogu uzten. Gizateriaren historia osoan aurrekaririk izan ez duen nahasmendu handi baten atarian gaude orain.
Aldaketa klimatikoa hain da alimalekoa, hain harrigarria, non gogoan sartzeko zailtasun handiak baititugu oraino. 2020ko hamarkadaren hasiera honetan, ikusi den bezala, COVID-19 pandemiaz, planeta mailako konfinamenduez, Ukrainako gerlaz asaldatu gara. Ontsa ohartzen gara gertakari historikoak direla… Baina jende gehiena ez da oraino behar bezala ohartzen abiarazi dugun nahasmendu klimatikoaren olatua askoz handiagoa dela. Egunero, galernaren aurretik erortzen diren euri tantak aipatzen ditugu, datorkigun ekaitzaren izaeraz ongi ohartu gabe. Nahasmendu klimatikoa gutxitan agertzen da komunikabideetako lehen tituluetan. Alta, gure planetan iragaten den egun bakoitzeko gertakari nagusia da, alde handiz. Gertakari hori telebistako albiste guztietako hasieran aipatu beharko litzateke eta egunkari guztietako lehen orrialdeetan. Dena geldiarazi beharko luke, dena baldintzatu, parametro guztiak aldatzera bultzatu beharko gintuzke, COVID-19 pandemia, 1973ko petrolioaren krisia edo Bigarren Mundu Gerra gertatu ziren aldietan baino molde are harrigarriagoan. Alta, horretaz urrun gaude.
Zein luze zaigun kontzientzia hartzea… 1990eko hamarkadaren hastapenaz gero, IPCC Klima-Aldaketari Buruzko Gobernu Arteko Taldeko klimatologoek aldaketa klimatikoa eta haren ondorioak iragartzen dituzte. 1990eko hamarkadaz gero, militante ekologistek ekosistemen suntsiketaren berri ematen dute. Orduan, « geroko belaunaldien » zoria eta bizitzeko baldintzak betetzen dituen planeta batean bizitzeko eskubidea aipatzen ziren. Orain, « geroko belaunaldiak » hor daude, konkretuki: gu gara. Klima-belaunaldia gara. Errealitatea gordin ageri zaigu. Larrialdian murgildurik.