Articles du Vendredi : Sélection du 7 octobre 2016

Le modèle néolibéral, une nuisance pour l’environnement

Alexandre Shields
www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/481679/le-modele-neoliberal-une-nuisance-pour-l-environnement?utm_source=infolettre-2016-10-06&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne

Accord de Paris: après la ratification, quelques idées pour vraiment agir!

Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France
https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/051016/accord-de-paris-apres-la-ratification-quelques-idees-pour-vraiment-agir

Quand le réchauffement climatique accentue les inégalités sociales


www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/climat/quand-le-rechauffement-climatique-accentue-les-inegalites-sociales_105226

Pourquoi l’écologie politique échoue

Frédéric Joignot
www.lemonde.fr/idees/ article/2016/09/29/pourquoi-l- ecologie-politique-echoue_ 5005367_3232.html

Le modèle néolibéral, une nuisance pour l’environnement

Alexandre Shields
www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/481679/le-modele-neoliberal-une-nuisance-pour-l-environnement?utm_source=infolettre-2016-10-06&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne

William Rees, le scientifique de renom à l’origine du concept d’empreinte écologique, critique la vision d’Ottawa.

Le gouvernement Trudeau a beau prétendre qu’il protégera l’environnement tout en développant l’économie canadienne, il n’en sera rien, affirme William Rees, le scientifique à l’origine du concept d’empreinte écologique. Selon lui, le pays restera enfermé dans un modèle néolibéral basé sur une croissance éternelle, qui a pourtant des effets destructeurs pour la planète.

Le premier ministre, Justin Trudeau, mais aussi la ministre de l’Environnement, Catherine McKenna, répètent depuis des mois que la croissance de l’économie doit aller de pair avec la protection de l’environnement. « Ils ne peuvent pas le faire. Il n’existe aucun cas dans aucun pays où la croissance perpétuelle ne signifie pas un recul pour l’environnement », réplique M. Rees, en entrevue au Devoir.

« Même si les politiciens ne veulent pas le reconnaître, il existe une contradiction flagrante entre la croissance économique continue et la protection de l’environnement. Il en a toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi », ajoute celui qui a développé le concept d’empreinte écologique, un outil qui permet d’évaluer la pression de l’activité humaine sur les ressources naturelles et les « services » fournis par la nature.

William Rees estime que le noeud du problème réside dans le « mythe » néolibéral qui guide l’action gouvernementale. « Il s’agit d’un modèle économique qui ne contient aucune référence à l’environnement en général, à la biologie ou aux écosystèmes, et pourtant c’est le modèle que nous utilisons pour diriger la planète. Mais il n’est pas possible d’avoir un développement durable si nous avons une économie dont le modèle ne tient aucunement compte du système qu’il prétend diriger. »

 

La Terre en déficit

Selon lui, ce modèle néolibéral n’admet aucune possibilité de limiter la croissance, alors même que nous avons collectivement déjà « dépassé les capacités écologiques » de la Terre. « Le bateau coule. Il ne reste plus que quelques pouces avant que l’eau ne s’engouffre dans le navire, mais nous croyons qu’il est possible d’ajouter du poids sur le bateau, illustre-t-il. Nous voulons doubler la taille de l’économie au cours des prochaines années. C’est ce que vous faites au Québec. C’est ce que nous ferons partout au Canada, tout en continuant d’affirmer que nous pouvons le faire sans détruire l’environnement. »

  1. Rees cite en exemple la volonté affichée par le gouvernement Trudeau de construire de nouvelles infrastructures pour exporter les ressources fossiles canadiennes et favoriser ainsi leur exploitation. « L’être humain a une façon totalement contradictoire de voir les choses. M. Trudeau fait grand cas de l’Accord de Paris sur le climat et il affirme que nous allons réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Mais tous les scientifiques savent que, si nous développons les projets d’oléoducs et de ports d’exportation de gaz, nous ne pourrons jamais respecter nos engagements. C’est impossible. »

 

Du « pétrole éthique » ?

Il dénonce au passage l’utilisation de l’expression « pétrole éthique » pour définir la production canadienne, un terme popularisé par le chroniqueur Ezra Levant. « C’est de la foutaise. C’est un exemple de la façon dont on a créé une histoire pour justifier ce que le modèle de développement économique exige, sans tenir compte de la réalité. »

Le scientifique de renommée internationale juge que le projet d’oléoduc Énergie Est s’inscrit aussi dans cette tendance à privilégier un développement « insoutenable ». « Tout cela est possible parce que nous avons, successivement, des gouvernements qui sont dédiés au modèle néolibéral, qui veut que le Canada soit essentiellement un exportateur de ressources. C’est ce qui justifie un projet comme Énergie Est. C’est un modèle qui nous ramène à ce que nous étions au XIXe siècle. »

 

Stratégie maritime

William Rees critique également le modèle de développement mis de l’avant dans la Stratégie maritime du gouvernement Couillard.

« Lorsque nous parlons du développement durable, alors que, concrètement, nous voulons parler de croissance continue, nous faisons la pire chose possible pour maintenir une relation à long terme avec l’environnement. Mais, lorsque nous voyons le monde ainsi, nous plaidons pour la construction de plus de ports, pour plus de navigation industrielle, etc. Le Québec, malheureusement, reflète ce type de développement, qui sert de modèle partout sur la planète. »

Une stratégie qui, en misant sur la création d’emplois, peut toutefois s’avérer efficace d’un point de vue électoral.

« Le gouvernement fait le calcul que, pour la population, la question des emplois a une plus grande valeur économique que l’idée de préserver des espèces, comme les bélugas. Il ne voit donc pas de coût politique à l’idée d’aller de l’avant. Il promet de la croissance et des retombées pour les collectivités. C’est une vision à très court terme, typique des politiciens. »

Le professeur Rees prévient toutefois que le maintien de cette vision du monde, détachée des impératifs écologiques, aura des impacts catastrophiques. « Nous érodons, morceau par morceau, ce système qui nous permet de survivre. Nous n’allons rien laisser aux générations qui seront là dans 50 ans. C’est notre façon de faire. »

Accord de Paris: après la ratification, quelques idées pour vraiment agir!

Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France
https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/051016/accord-de-paris-apres-la-ratification-quelques-idees-pour-vraiment-agir

L’Accord de Paris, dont les mesures portent sur l’après 2020, va entrer en vigueur d’ici la fin de l’année suite à la double ratification de l’Union européenne et de l’Inde. Une bonne nouvelle qui ne saurait faire oublier que les engagements actuels des Etats conduisent à un réchauffement climatique supérieur à 3°C. Voici quelques propositions pour aller plus loin. Et plus vite.

 

Avec la ratification de l’Union européenne ce mardi 4 octobre, l’Accord de Paris va mécaniquement entrer en vigueur trente jours plus tard, à l’occasion de la COP22 à Marrakech (7 -18 nov). Une entrée en vigueur des plus symboliques car les dispositions prévues par l’Accord ne portent que sur la période post-2020. Gageons que cet haletant Téléthon d’une ratification voulue rapide, habilement orchestré par l’ONU et la présidence française de la COP21, et savamment entretenu par les ratifications prévues et planifiées de la Chine, des Etats-Unis et de l’Inde, donnera aux Etats le temps et la volonté nécessaires pour ne pas lézarder sur le chemin d’une politique climatique qui se doit d’être nécessairement ambitieuse.

C’est là que le bât blesse pour l’instant : à l’occasion de la COP21, les Etats ont enregistré auprès de l’ONU leurs propositions de politiques climatiques pour les années post-2020. L’ONU a fait le calcul : un record d’émissions mondiales pourrait être battu chaque année d’ici à 2030 pour atteindre 55 gigatonnes d’équivalent C02 en 2025 et 56,2 Gt éq. CO2 en 2030. Soit 18 % et 37% d’émissions en trop par rapport à ce qu’exige une trajectoire 2°C et bien plus encore par rapport à une trajectoire de 1,5°. Autrement dit, les Etats envisagent de consommer 53 % du budget carbone dont nous disposons d’ici à 2025 et 74% d’ici à 2030.

 

Les Etats violent l’article 2 de l’Accord de Paris

Résultat : avec de tels engagements, le réchauffement climatique devrait être largement supérieur à 3°C, en contradiction flagrante avec l’article 2 de l’Accord de Paris qui prévoit que les Etats agissent pour contenir le réchauffement en deçà de 2°C, ou même, idéalement, en deçà de 1,5°C.

Disons-le autrement : avant même que l’Accord de Paris n’entre en vigueur, les Etats violent les (maigres) engagements qu’il contient. Le décalage entre ce qui devrait être fait, et ce que les Etats s’engagent à faire est immense. Il est urgent et nécessaire que les Etats revoient à la hausse l’ambition de leurs politiques climatiques, au risque de voir l’emballement climatique s’accélérer.

«  Pour résoudre la crise climatique (…), les bons sentiments, les déclarations d’intention ne suffiront pas, nous sommes au bord d’un point de rupture  » avait déclaré François Hollande en ouverture de la COP 21, souhaitant que la conférence de Paris pose les jalons d’une «  révolution climatique  ». Il est temps de s’y mettre. A ce stade, malheureusement, ni la communauté et les institutions internationales, ni l’Union européenne, ni les gouvernements nationaux – et en particulier le gouvernement français – pas plus que la majorité des collectivités territoriales ne sont à la hauteur des enjeux.

 

Voici quelques idées et propositions (liste non exhaustive) :

Au niveau international :

  • sans attendre l’échéance de 2024 telle que prévue par l’Accord de Paris, les Etats doivent revoir à la hausse leurs engagements de réduction d’émission de gaz à effet de serre, afin de conserver une chance raisonnable de rester en deçà des 2°C de réchauffement ; comme l’Accord de Paris ne comporte aucun mécanisme permettant de contraindre les Etats (ou les multinationales) à agir ainsi, c’est à la société civile de les obliger à respecter l’article 2 de l’Accord de Paris, comme je l’explique dans cette interview; c’est une lourde responsabilité ;
  • être sérieux et sincère devant cette exigence de ne pas aller au delà des 2°C de réchauffement climatique implique de planifier et d’organiser une transition énergétique qui permette de se désintoxiquer des énergies fossiles et d’en programmer la sortie ; les études et données disponibles le montrent avec précision ; nous pouvons en tirer trois implications majeures : 1) introduire des formes d’interdiction, moratoire et restrictions aux projets d’exploration et de mise en exploitation de nouveaux gisements, 2) supprimer tous les soutiens directs et indirects dont bénéficient le complexe industriel fossile (5400 milliards de dollars selon le FMI) ; 3) planifier et organiser un désinvestissement massif dans le secteur tout en mettant en œuvre une transition énergétique qui assure des emplois au moins équivalents ; disons-le autrement : chaque euro supplémentaire investi dans le secteur des énergies fossiles est une atteinte manifeste à l’article 2 de l’Accord de Paris !
  • Au nom du climat, il est urgent de rénover les règles du commerce mondial – voir cette tribune publiée dans Le Monde ;
  • Imposer de véritables mesures de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à l’aviation, tout en refusant les mécanismes de compensation que veulent mettre en œuvre les industriels du secteur (voir cet article publié sur Basta)

Au niveau européen :

  • la Commission européenne et le Conseil européen doivent revenir sur leur décision du mois de mars 2016 refusant de donner plus d’ambition à son paquet énergie climat ; a minima, l’UE doit se fixer 30% de réductions d’émissions en 2020 et au moins 55% en 2030 par rapport aux niveaux d’émission de 1990 ; plus de détails ici; La France doit oeuvrer en ce sens, en droite ligne de l’engagement prix par François Hollande en clôture de la COP21 qui promettait de « réviser au plus tard en 2020 les engagements de réduction d’émissions de gaz à effet de serre » ;
  • la Commission européenne (notamment à travers le plan Juncker), la BEI, la BERD doivent immédiatement cesser leurs investissements dans des infrastructures liées aux énergies fossiles, que ce soit des infrastructures gazières ou des infrastructures de transports carbonés (voir ici et ici pour plus d’informations) ;
  • la révision à venir des directives sur l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables doit être l’occasion d’opérer une profonde transition énergétique qui s’appuie sur une sortie progressive, programmée et planifiée des énergies fossiles ; c’est en cumulant des objectifs ambitieux de réduction d’émissions de gaz à effet de serre mais aussi de développement d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique, que l’Union européenne peut clairement poser les bases d’une transition énergétique ambitieuse (voir ici et ici)
  • l’UE et ses Etats-membres doivent mettre fin aux négociations et à la signature d’accords commerciaux qui sont incompatibles avec la lutte contre les dérèglements climatiques : c’est le cas du CETA (voir ici), du TAFTA (voir ici et ici) mais également des règles édictées dans le cadre de l’OMC (voir cet article publié sur Basta) : il faut donc rénover l’ensemble de ce corpus de règles commerciales et d’investissement pour les faire entrer au XXIème siècle et faire en sorte que la lutte contre le dérèglement climatique ne soit plus accessoire ;

Au niveau français :

  • le minimum de cohérence nécessite de ne pas construire de nouveaux aéroports comme à Notre-Dame des landes (lire pourquoi c’est un projet climaticide), de nouvelles autoroutes comme entre Lyon et Saint-Etienne (voir cette tribune collective), et plus généralement de grands projets inutiles en tout genre qui sont contraires à l’impératif climatique : EuropaCity, le CenterParcs de Roybon, etc
  • les scénarios de transition énergétique permettant de décarboner complètement le secteur électrique (scénario ADEME), et très fortement l’ensemble de l’économie française (scénario Negawatt) existent ; il serait souhaitable qu’ils guident les politiques publiques nationales et locales ;
  • a minima également, les objectifs de réduction de 30% de la consommation d’énergies fossiles en 2030 par rapport à 2012, de réduction de la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à 2012 et de baisser à 50% la part du nucléaire à l’horizon 2025 doivent être suivis à la lettre ; ce qui n’est pas le cas du projet de programmation pluriannuelle de l’énergie récemment publié ;
  • plutôt que d’accorder de nouveaux permis d’exploration d’hydrocarbures, le gouvernement français devrait rejeter l’ensemble des permis en cours de demande et annuler les permis existants (notamment ceux sur le gaz de couche dans le Nord et l’Est de la France) afin de devenir un des premiers pays au monde qui soit libre de prospection pétrolière et gazière (voir ici et ici) ;
  • une lutte déterminée contre l’évasion fiscale devrait conduire le gouvernement à récupérer les financements nécessaires aux politiques de sobriété et d’efficacité énergétiques (voir ici et ici) ;

Quand le réchauffement climatique accentue les inégalités sociales


www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/climat/quand-le-rechauffement-climatique-accentue-les-inegalites-sociales_105226

Le Conseil économique social et environnemental a adopté le 27 septembre un avis sur la « justice climatique ». Pour la première fois, l’inégalité des Français devant le réchauffement climatique est dénoncée.

Le constat

Du fait de leur pouvoir d’achat plus élevé, les catégories sociales les plus riches émettent plus de gaz à effet de serre que les pauvres. Un rapport du Commissariat général du développement durable de 2011 affirme ainsi que « la consommation des 20% des ménages les plus modestes représente 11% des émissions de CO2 alors que celle des 20% des ménages les plus aisés est responsable de 29% des émissions ».

Les inégalités sanitaires

C’est ATD Quart Monde qui l’a affirmé lors de ses auditions par le Conseil économique social et environnemental (CESE). « Vivre dans la pauvreté ou l’extrême pauvreté, c’est avant tout être privé de la possibilité de faire des choix. C’est être forcé de vivre dans des lieux insalubres, à l’étroit, ou même sans domicile. C’est être forcé de ne pas pouvoir opter pour une alimentation plus saine, pour des déplacements et des moyens de transport ou de chauffage qui respecte l’environnement ». Le changement climatique aggrave donc les inégalités sociales de santé.

Un fait déjà constaté par l’Institut national de veille sanitaire (InVs) dans son étude sur la mortalité induite par la canicule de 2013. Outre l’âge et la pathologie, la catégorie socio-professionnelle et l’habitat ont été des facteurs aggravants. Les personnes âgées habitant dans des logements mal isolés situés dans des quartiers comportant peu d’espaces verts susceptibles de rafraîchir l’atmosphère ont été plus impactées par la canicule. Le CESE propose donc que les mesures pour lutter contre le changement climatique soient « évaluées au regard de leurs bénéfices pour les personnes les 20% les plus pauvres ».

Les inégalités au travail

Le réchauffement climatique va bouleverser en profondeur à la fois le marché de l’emploi et les conditions de travail. La « décarbonatation » de l’économie implique que les métiers nécessitant l’usage du pétrole soit se transforment, soit disparaissent. Comment transformer un mécanicien auto en agent d’entretien d’éoliennes? La loi de transition énergétique qui vient d’être votée est saluée par le CESE comme un bon outil de transformation de l’emploi. Mais une attention particulière doit être portée sur les métiers les moins qualifiés, selon le Conseil. Par ailleurs, le réchauffement climatique va avoir des conséquences importantes sur les secteurs agricoles et forestiers. Que va-t’il se passer par exemple pour les salariés de la filière bois liée à une forêt d’Aquitaine fortement menacée par la hausse des températures ?

Les conditions de travail constituent un marqueur fort d’inégalités. Ouvriers du bâtiment, employés agricoles, agents de voirie vont devoir subir des journées chaudes de plus en plus nombreuses, tandis que les cadres bénéficient de bureaux climatisés. Pour le CESE, il faut que «la transition écologique soit préparée et accompagnée par la formation de travailleurs et travailleuses selon les secteurs d’activité».

Les inégalités entre territoires

Les régions ne sont pas toutes égales devant les effets du réchauffement climatique. Pas seulement pour des raisons géographiques, mais aussi pour des raisons économiques. Là où une commune riche pourra s’offrir les aménagements nécessaires pour s’adapter au risque climatique, une pauvre devra y renoncer. Le rapporteur de l’avis, Agnès Michelot, originaire de La Rochelle, cite ainsi volontiers le cas de l’île de Ré dont les revenus fiscaux permettent de financer les travaux de protection contre la montée du niveau de l’océan. A l’inverse d’autres communes n’ont d’autres solutions que d’opérer un « repli stratégique » devant les eaux en abandonnant des biens. Autre conséquence : comment continuer d’assurer les biens contre des risques climatiques grandissant. Les assureurs auditionnés l’ont affirmé au CESE : les cotisations d’assurances actuelles ne seront pas suffisantes pour couvrir les dommages dans le futur. Le CESE estime donc qu’il devient « urgent à l’horizon 2040 de refonder la couverture des risques climatiques ». Dernière question enfin: la contribution climat énergie qui taxe la consommation d’énergies fossiles désavantage les plus pauvres et les ruraux. Le CESE appelle donc à une modulation du CCE en fonction des revenus. Le conseil propose que tous ces sujets soient négociés lors de l’élaboration du deuxième plan national d’adaptation au changement climatique actuellement en cours.

Les inégalités entre générations

Le CESE propose que l’Etat modifie en profondeur les règles d’évaluation socio-économique de ses projets. En l’état actuel, le calcul de la valeur d’un aménagement favorise le bénéfice économique immédiat au détriment des impacts lointains pouvant affecter le bien être des générations futures. Ainsi, la construction d’un aéroport ou d’une autoroute ne doit pas tenir compte seulement de l’activité générée mais aussi et surtout des effets à long terme produits par le bruit des avions, la pollution locale et les émissions de gaz à effet de serre. Ce mode de calcul condamnerait à coup sur des projets comme l’aéroport Notre Dame des Landes.

Pourquoi l’écologie politique échoue

Frédéric Joignot

www.lemonde.fr/idees/ article/2016/09/29/pourquoi-l- ecologie-politique-echoue_ 5005367_3232.html

 

Pourquoi l’écologie politique échoue

Frédéric Joignot
www.lemonde.fr/idees/ article/2016/09/29/pourquoi-l- ecologie-politique-echoue_ 5005367_3232.html

Le 21 septembre, Nicolas Hulot a confirmé qu’il ne porterait pas les couleurs de l’écologie à la présidentielle. Crédité de 9 % à 10 % des intentions de vote par les sondages, soutenu par une pétition de 50 000 signatures, il semblait pourtant le meilleur candidat possible. En son absence, le parti Europe Ecologie-Les Verts (EELV), pour qui la candidate Eva Joly avait obtenu 2,3 % des voix à la présidentielle de 2012, se retrouve divisé, sinon balkanisé en courants irréductibles, et livré au combat des chefs.

Les températures montent, la biosphère se dégrade, l’urbanisation s’étend, les 184 pays de la COP 21 tentent de s’entendre pour contenir les menaces sur l’écosystème… Pourtant, en France, où les enjeux environnementaux n’ont jamais été aussi cruciaux, l’écologie politique est inaudible. Comment expliquer un tel paradoxe ? Comment comprendre ce décalage avec l’Autriche, où l’écologiste Alexander Van der Bellen a emporté en juin la présidentielle (le résultat a depuis lors été invalidé) ? Avec l’Allemagne, où Winfried Kretschmann, l’un des fondateurs de Die Grünen (les Verts), a été élu à la tête du Land de Bade-Wurtemberg avec 30,3 % des voix ?

Les analyses de cet échec français ne manquent pas. Pendant un an, à l’appel de la fondation La ­Fabrique écologique, plus de cinquante personnalités – anciens ministres, grands patrons, politistes – ont été mises à contribution pour un texte de réflexion au titre évocateur : « La résistance française à l’écologie ». Qu’en dit aujourd’hui sa rapporteuse, Esther Bailleul, chargée de mission du ­Réseau pour la transition énergétique (CLER) ? « Les causes de la désaffection pour l’écologie sont nombreuses – politiques, économiques, philosophiques –, mais aucune n’est identifiée comme dominante. » Un premier constat s’impose cependant dans l’étude : la faiblesse de l’écologie politique vient de ce qu’elle n’est pas considérée, au niveau étatique, comme porteuse d’un projet sociétal majeur.

« L’Etat centralisateur limite le rôle des territoires et de l’expérimentation. La formation des élites françaises et les critères des décisions publiques ne prennent en compte les préoccupations écologiques que de manière sectorielle ou secondaire. L’écologie est toujours perçue comme une contrainte et non comme une opportunité », précise-t-elle. Tous les ministres de l’environnement et les responsables écologiques confirment cette analyse. En 1998, dans « On ne peut rien faire, Madame le ministre… » (Albin Michel), Corinne Lepage, ministre entre 1995 et 1997, dénonce la frilosité des dirigeants face aux lobbys de l’automobile et le désintérêt pour l’écologie des technocrates des grands corps de l’Etat. En 2010, trois ans après le « Grenelle de l’environnement » lancé par Nicolas Sarkozy, le Réseau Action Climat et la Fondation Nicolas Hulot dressent, eux aussi, un « contre-bilan » sévère : le « Grenelle » a été « l’occasion de beaucoup d’annonces mais de très peu de mises en œuvre ». Les regrets sont d’autant plus amers que le « Grenelle » popularisait les propositions fortes de l’écologie politique : maîtriser la demande d’énergie, préserver la biodiversité, favoriser un environnement respectueux de la santé, encourager des modes de production durables dans l’industrie et le bâtiment, promouvoir des énergies vertes favorables à l’emploi, instituer une taxe « climat énergie » sur les émissions de dioxyde de carbone, lancer des plans territoriaux associés à l’Agenda 21 – le plan d’action pour le XXIe siècle adopté lors du sommet de la Terre de Rio de Janeiro (Brésil), en 1992.

« Difficile de convaincre »

« Quand le gouvernement lui-même piétine, reprend Esther Bailleul, comment défendre ces propositions auprès des entreprises, dans les régions ? » Cette situation est d’autant plus dommageable que, sur le terrain, « les problématiques d’énergie » commencent d’être entendues. « Quand on fait le lien entre transition énergétique et développement local, nous trouvons des oreilles attentives dans le monde rural », assure-t-elle. Sauf que – c’est là une autre raison expliquant les difficultés de l’écologie politique – les avantages ne sont pas immédiats, et la mise en pratique est lente et laborieuse. « Dès lors qu’il s’agit d’établir un plan rigoureux de transition énergétique sur la durée, il est difficile de convaincre, même quand les élus locaux et les chargés de missions sont d’accord. »

Esther Bailleul le regrette d’autant plus qu’elle supervise, en France, les initiatives d’une cinquantaine de territoires membres du réseau Territoires à énergie positive (Tepos) : des collectivités locales et rurales qui se sont fédérées pour couvrir leurs besoins grâce à des énergies renouvelables – comme la Biovallée de la Drôme, 45 000 habitants, la collectivité Beaujolais vert et ses 48 communes ou encore le réseau Pays terres de Lorraine. « Sur ces territoires, la volonté est là, une conscience naît, assure-t-elle. Nous multiplions les rencontres et les publications pour populariser les réussites. Mais, hélas, la continuité fait parfois défaut. Les équipes politiques changent, les priorités aussi, il faut tout réexpliquer, et ce n’est pas facile ! » Elle pointe là une nouvelle difficulté de l’écologie politique : elle exige une pensée complexe, voire des explications techniques et scientifiques ardues à faire comprendre.

Pour un territoire passant au renouvelable, combien d’autres ne tentent rien ? Bien souvent, les habitudes et l’inertie l’emportent. Quand il s’agit de boucler un budget territorial difficile, la crise planétaire globale semble soudain bien loin, et l’urgence… moins urgente. C’est là une nouvelle cause de la mauvaise réputation de la proposition écologique : parce qu’elle exige parfois des investissements coûteux, elle apparaît comme contraire à l’équilibre économique. Irréaliste, trop réglementaire et néfaste à l’emploi.

La métaphysique de l’esprit cartésien

Si l’écologie politique est à la peine en France, c’est aussi pour des raisons plus essentielles, plus « métaphysiques », estime le philosophe Dominique Bourg, professeur à la faculté des géosciences et de l’environnement de Lausanne. « La pensée écologique propose une interprétation de la place de l’humanité au sein de la nature, en termes de limites de la biosphère, de finitude de l’homme et de solidarité avec l’ensemble du vivant », rappelle-t-il. Or, cette conception va radicalement à l’encontre de la philosophie qui a fini par dominer au sein de la chrétienté européenne, comme l’a bien montré l’historien américain Lynn White. Pour celle-ci, dit Dominique Bourg, « l’homme, à l’image de Dieu, est considéré comme un être supérieur à tous les êtres vivants. Il dispose de toute la nature comme il l’entend, il s’en rend maître et possesseur, elle ne vaut que pour autant qu’il la transforme. Ce n’est qu’un stock de ressources ».

La fusion, au XVIIe siècle, de cette pensée chrétienne désacralisant la nature et de la science moderne, symbolisée par le cartésianisme français, a accéléré ce processus de séparation entre l’homme et la biosphère. « Par la suite, poursuit le philosophe, la pensée occidentale, que ce soit les socialistes ou les libéraux, a pérennisé cette conception utilitaire. Or, la pensée écologique critique radicalement ces vues. Elle remet en cause la croissance et le productivisme. » Voilà pourquoi elle est si mal acceptée. Notamment au pays de Descartes, resté très rationaliste. Dominique Bourg se montre par ailleurs sévère à l’égard des Verts français, avançant que la mauvaise réception de l’écologie en France tient pour beaucoup à leur attitude.

« Ils se déchirent entre eux, ils se battent pour des maroquins, ils ne connaissent pas toujours les dossiers. Les Français s’en sont aperçus », résume le philosophe, pour qui leur grande erreur est de défendre « une politique plus de gauche qu’écologique ». C’est d’autant plus dommageable que l’écologie politique est apparue en France en fédérant plusieurs courants de pensée : des défenseurs des régions, des soixante-huitards anticapitalistes, des protecteurs de la nature. Elle a vocation à brasser largement, comme le montrent les succès des écologistes en Suisse et dans les pays scandinaves et des Verts en Allemagne, qui ont su s’allier des personnalités du centre et convaincre.

Daniel Cohn-Bendit, qui vit de l’autre côté du Rhin, avance une autre raison à la bonne implantation des Grünen. Aidés par un scrutin avec une part de proportionnelle, ils ont de nombreux élus et sont présents dans les Länder, où ils peuvent mettre en œuvre leurs propositions. « Ils ont apporté aux villes allemandes un mode de vie aéré, avec des espaces verts, de l’économie circulaire. Ces succès les ont installés dans le paysage politique. En France, le manque d’expérimentations concrètes dessert les Verts. » L’autre victoire politique des Grünen est d’avoir imposé la sortie du nucléaire et lancé la transition énergétique : « Depuis, l’Allemagne est la championne d’Europe des énergies renouvelables. En France, les Verts ont remporté peu de victoires significatives. »

« Signes de changements civilisationnels »

Pascal Canfin, ministre délégué au développement de 2012 à 2014, n’est pas aussi radical sur l’insuccès de l’écologie française. Pour lui, l’essor des Grünen est associé à l’épisode des pluies acides sur la Forêt-Noire : « Les Allemands ont été choqués d’apprendre que le cœur romantique de leur pays était en danger. Cela les a réconciliés avec la pensée écologique. » Or, avance Canfin, un mouvement patrimonial semblable pourrait naître en France, où les littoraux sont menacés par la montée des eaux et où l’urbanisation dévore les territoires. Il constate aussi l’arrivée de nouveaux comportements : la consommation bio gagne des adeptes, celle de viande baisse significativement, le culte de la voiture individuelle est mis à mal par les réseaux de transports collectifs : « Autant de signes de changements civilisationnels. » Pour l’ancien ministre, c’est plus une véritable « théorie du changement » qui fait défaut à l’écologie politique. Plutôt que de se présenter comme porteuse de contraintes, celle-ci devrait montrer qu’elle défend l’intérêt des Français en ce qui concerne la santé, l’alimentation, les territoires, les pollutions, l’emploi. « Il faut qu’elle défende une nouvelle qualité de vie. ­Ensuite, elle pourra expliquer qu’il faut des règles et des obligations », affirme Pascal Canfin.

Reste un gros problème, que tout le monde connaît et auquel personne ne s’attaque de front : cette « théorie du changement », pour être pleinement mise en œuvre, suppose une révolution de notre système économique mondial. « L’écologie appelle à changer radicalement nos modes de vie et de production pour sauver cette planète, résume Daniel Cohn-Bendit. Or, personne n’a le courage politique de défendre un tel programme. »