Articles du Vendredi : Sélection du 3 mars 2017

Shell-ek klima aldaketari buruzko dokumentala ezkutatu du 1991tik

Lukas Barandiaran San Roman
www.argia.eus/albistea/shell-ek-klima-aldaketari-buruzko-dokumentala-ezkutatu-du-1991tik

Nous sommes entrés dans l’anthropocène, affirment des minéralogistes

Hervé Kempf et Élisabeth Schneiter
https://reporterre.net/Nous-sommes-entres-dans-l-anthropocene-affirment-des-mineralogistes

Pourquoi il vaut mieux être pessimiste à propos du changement climatique ?

Clément Fournier
http://e-rse.net/pessimiste-optimiste-changement-climatique-rechauffement-23724/#gs.HVqjFRA

Quand l’avenir de l’humanité dépend d’un doughnut, symbole d’un « espace juste et sûr » pour tous

Marie Drique (Revue Projet)
www.bastamag.net/Quand-l-avenir-de-l-humanite-depend-d-un-doughnut-symbole-d-un-espace-juste-et

Nouveau petit guide ! « Un million d’emplois pour le climat »

Un emploi pour chacun⋅e la transition pour tous et toutes, par Plateforme « emplois-climat »
https://france.attac.org/nos-publications/brochures/article/petit-guide-un-million-d-emplois-pour-le-climat

Shell-ek klima aldaketari buruzko dokumentala ezkutatu du 1991tik

Lukas Barandiaran San Roman
www.argia.eus/albistea/shell-ek-klima-aldaketari-buruzko-dokumentala-ezkutatu-du-1991tik

Shell petrolio konpainiak klima aldaketaz ohartarazten zuen dokumental bat ekoitzi zuen 1991n, baina gordeta mantendu du harik eta The Guardian egunkariak eskuratu eta argitaratu duen arte. Ezkutatutako dokumentalean ohartarazten zuenari kasurik egin gabe, Shell konpainiak energia fosilen ustiaketan, eta klima aldaketa areagotu duten politikak bultzatzen jarraitu du.

Shell izan zen klima aldaketa onartu zuen lehen konpainietako bat. Duela mende laurden baino gehiago egin zuen dokumentala hasiera batean publikoki zabaltzeko. Dokumentalak ohartarazten du energia fosilak erretzeak mundua berotuko duela, eta muturreko klimek uholdeak, goseteak eta klima errefuxiatuak eragin ditzaketela.

Dokumentalak berretsi egiten zuen urtebete lehenago, 1990ean zientzialari talde handi batek NBEri igorritako txosten bat. Dokumentalak tenperatura igoerei eta horren eraginei buruz egindako aurreikuspenak oso zehatzak dira, eta gaur egungo egoerarekin bat egiten dutela, azaldu dio Tom Wigley zientzialariak The Guardian-i.

Esandakoaren kontrakoa egin

“Beroketa globala ez da ziurra oraindik, baina askok uste dute behin betiko frogei itxarotea arduragabekeria dela. Orain ekitea da aukera ziur bakarra”, zioen dokumentalak 1991n.

Kontrara, Shell-ek oso kutsakorrak diren petrolio erreserbak ustiatzen jarraitu du ordutik. Bilioiak inbertitu ditu harea bituminosoetatik “petrolioa zikina” —bereziki kutsakorra— ateratzeko, eta Artikoan esplorazioak egin ditu. 2016an, fracking-a etorkizuneko aukera bat zela esan zuen, nahiz eta bere 1998ko txostenek esan ezohiko petrolio eta gasen ustiaketa bateraezinak direla klima helburuekin.

Nahiz eta dokumentalak energia berriztagarrien alde egin, Shell-ek lobby lanak egin ditu Europako energia berriztagarrien helburuak bete ez zitezen. Hainbat lobbyren kide izan da urte askoan, Klima Koalizio Globala, eskuin muturreko Lege Aldaketarako Amerikako Kontzilioa eta Amerikako Petrolio Institutua, besteak beste. The Guardian-ek dio klimaren inguruko politiketan eragiteko lobby lanetan 22 milioi dolar gastatu zituela 2015ean.

Nous sommes entrés dans l’anthropocène, affirment des minéralogistes

Hervé Kempf et Élisabeth Schneiter
https://reporterre.net/Nous-sommes-entres-dans-l-anthropocene-affirment-des-mineralogistes

L’activité humaine est responsable de l’apparition récente de 4 % des minéraux recensés, selon une étude scientifique. Ces 208 nouveaux minéraux, apparus en un temps géologique extrêmement court, prouvent selon eux que nous sommes bel et bien entrés dans l’ère de l’anthropocène.

L’industrie humaine et l’ingéniosité ont plus fait pour diversifier et distribuer les minéraux sur la Terre que tout ce qui s’est passé depuis l’émergence de l’oxygène, il y a environ 2,2 milliards d’années ! C’est ce qu’affirment quatre chercheurs, dans un article publié mercredi 1er mars dans la revue American Mineralogist. Ce travail renforce l’argument scientifique qui désigne comme anthropocène notre époque géologique, caractérisée par l’impact omniprésent des humains.

Dans cet article, l’équipe dirigée par Robert Hazen, de l’Institut Carnegie pour la science, identifie pour la première fois un groupe de 208 nouveaux minéraux qui proviennent principalement ou exclusivement des activités humaines. Cela représente environ 4 % des 5.200 minéraux officiellement reconnus par l’International Mineralogical Association (IMA).

La plupart de ces minéraux attribués aux activités humaines proviennent des mines — dans les décharges de minerais, sur les murs des tunnels, dans l’eau des mines ou les structures en bois, ou des incendies survenus dans les mines. Six ont été trouvés sur les murs de fonderies, trois formés dans la plomberie d’une installation de géothermie.

La différence entre un clin d’œil (un tiers de seconde) et un mois

Certains minéraux ont pour origine une activité humaine mais sont apparus avec le temps, sans autre intervention de l’homme. On en a ainsi découvert trois sur des artefacts de plomb corrodés trouvés à bord d’un navire naufragé tunisien, deux sur des artefacts en bronze en Égypte et deux sur des objets folkloriques en étain au Canada. Quatre ont été découverts sur des sites de bûchers préhistoriques, dans les montagnes autrichiennes.

Pour Robert Hazen, qui a coécrit l’article avec Edward Grew (de l’université du Maine), avec Marcus Origlieri et Robert Downs (de l’université d’Arizona) :

Il a fallu 4,5 milliards d’années pour que des éléments minéraux se combinent naturellement, à un endroit, à une profondeur et à une température précises, pour former les plus de 5.200 minéraux reconnus officiellement aujourd’hui. La plupart d’entre eux sont apparus depuis la “grande oxydation”, il y a 2 milliards d’années, et 208 sur ces 5.200 ont été produits directement ou indirectement par les activités humaines, principalement depuis le milieu du XVIIIe siècle. Nous pensons que bien d’autres sont en voie de formation, au même rythme effréné. En effet, 250 ans par rapport à 2 milliards d’années, c’est la différence entre un clin d’œil (un tiers de seconde) et un mois. Autrement dit, nous vivons dans une ère de diversification rapide des composés inorganiques qui est sans précédent. En effet, si la “grande oxydation” représente comme une virgule dans l’histoire de la planète, l’énorme impact géologique de l’anthropocène est un point d’exclamation. »

Trouver une marque indiscutable du début de l’anthropocène

Cette publication relance le débat sur le moment exact du début de l’anthropocène. Ce terme, inventé en 2000 par le scientifique Paul Crutzen (un des découvreurs du « trou » dans la couche d’ozone), désigne une nouvelle période géologique, marquée par la capacité de l’humanité à transformer la géologie de la planète Terre. Elle succèderait à l’holocène, période géologique dans laquelle nous vivons depuis 11.500 ans, et qui est notamment marquée par un climat stable.

Mais l’anthropocène n’est pas encore reconnue par la communauté scientifique qui définit les ères géologiques, et plus précisément par la Commission internationale de stratigraphie, qui se réunit au sein de l’Union internationale des sciences géologiques (IUGS). Pour marquer une ère géologique, il faut en effet trouver une marque distinctive géologique : par exemple, la fin du Crétacé, il y a 66 millions d’années – contemporain de l’extinction des dinosaures – est repérée par des couches d’iridium déposées en plusieurs points du globe dans les sédiments.

En août dernier, le congrès de l’IUGS s’est tenu au Cap, en Afrique du sud. Lors de ses travaux, le Groupe de travail sur l’anthropocène a voté, par trente voix contre trois et deux abstentions, que le passage à l’anthropocène devait être déclaré, de nombreux signaux l’attestant. Il reste à déterminer lequel est le plus pertinent. Ce pourrait être une explosion atomique, qui a laissé des traces fortes qui ne peuvent être apparues naturellement. Mais on pourrait aussi, entre autres, retenir… les restes de poulet domestique. « Depuis le milieu du XXe siècle, explique au Guardian Jan Zalasiewicz, président du groupe, le poulet est devenu l’oiseau le plus commun au monde. Il a été fossilisé dans des milliers de décharges et au coin de la rue à travers le monde. »

La découverte des minéraux inventés par l’homme, publiée par l’équipe de Hazen, est un nouvel argument très fort pour qualifier le passage à l’anthropocène. Il reste à en convaincre la Commission internationale de stratigraphie.

Pourquoi il vaut mieux être pessimiste à propos du changement climatique ?

Clément Fournier
http://e-rse.net/pessimiste-optimiste-changement-climatique-rechauffement-23724/#gs.HVqjFRA

On dit souvent qu’il vaut mieux être optimiste plutôt que pessimiste et démoralisant sur le changement climatique. Mais a-t-on raison de raisonner ainsi ? Et s’il valait en fait mieux être pessimiste sur le réchauffement climatique ?

En matière de réchauffement climatique, on entend souvent qu’il vaut mieux être optimiste. Qu’il ne faut pas dramatiser au risque de démotiver les citoyens, qu’il faut présenter les solutions plutôt que les problèmes. Une étude menée en 2015 par des experts en psychologie sociale montrait d’ailleurs qu’il était plus efficace pour sensibiliser le public d’aborder le changement climatique avec des termes plus neutres, moins négatifs. Même Al Gore, qui a pourtant contribué à diffuser publiquement les risques du changement climatique, produisait récemment un plaidoyer pour “L’optimisme sur le changement climatique”.

Dans une certaine mesure, il est probable que ces constatations soient fondées. Il est probable que les citoyens n’aient pas envie d’entendre des actualités dramatiques et désespérantes sur le climat, qu’ils aient envie de penser à des choses plus positives et qu’ils se désintéressent si le discours sur le changement climatique est trop “démoralisant”. Pourtant, si l’on en croit les avancées en psychologie sociale autant qu’en science climatique qui ont émergé ces dernières années, il vaudrait probablement mieux être pessimiste. Voici pourquoi.

La situation est vraiment catastrophique : il n’y a pas vraiment de raison d’être optimiste sur le changement climatique

D’abord, il faut prendre conscience qu’en matière de climat, aucun discours, aussi alarmant soit-il, ne peut rendre compte de la dangerosité de la situation que nous vivons. (Note de la rédaction : Si cette phrase vous exaspère, c’est probablement que vous êtes allergique au pessimisme, alors sautez au chapitre suivant pour comprendre pourquoi et comment votre cerveau vous a programmé ainsi.)

Les rapports scientifiques internationaux sont de plus en plus alarmistes sur le sujet. Au fur et à mesure que la compréhension des mécanismes climatiques se renforce, les prévisions des climatologues sont de plus en plus négatives. Récemment, un groupe de scientifiques dirigé par un ancien cadre de la NASA (James Hansen) a publié une méta-analyse qui compile les données de plusieurs décennies sur le climat, et sa conclusion est sans appel : les changements climatiques seront probablement encore plus forts et dangereux que ce que les prévisions du GIEC et des autres organismes avaient envisagé.

On le voit aujourd’hui avec certitude : le climat se dégrade, et vite. Les températures augmentent plus que prévu et dans certaines régions, la température cette année a déjà dépassé le seuil que la COP21 avait fixé comme limite à ne pas dépasser… en 2100 (+1.5 degrés). Les glaces arctiques et antarctiques ont fondu à des niveaux records, avec des surfaces équivalentes à plusieurs fois la France qui ont tout simplement disparu du fait de la montée des températures. L’extinction de la biodiversité s’est accrue à une vitesse inégalée, nous faisant entrer dans ce que les scientifiques appellent aujourd’hui la 6ème extinction de masse.

Même les bonnes nouvelles n’en sont pas : alors que la couche d’ozone se referme progressivement, notamment grâce aux progrès du Protocole de Montréal, cela pourrait en fait aggraver le changement climatique notamment au niveau des pôles. Alors que dans certains endroits dans le monde, les émissions de CO2 sont en baisse (c’est notamment le cas en Europe grâce à des énergies de plus en plus décarbonées), elles augmentent dans de nombreux pays. En parallèle, ce sont aussi les émissions de méthane qui augmentent, ce gaz qui est 28 fois plus dangereux que le CO2 du point de vue de son pouvoir de réchauffement climatique global. Alors que les énergies renouvelables ne font qu’être moins chères, plus accessibles, c’est pourtant les gaz de schistes, les sables bitumineux que les plus grandes puissances mondiales choisissent de valoriser.

En résumé, les données sont claires : la situation est catastrophique. Cela ne fait pas forcément la une des débats publics, mais de plus en plus de scientifiques sérieux (la NASA, des scientifiques mandatés par l’Etat britannique, des chercheurs de l’Université Paul Sabatier de Toulouse) montrent que le changement climatique a dans le passé contribué à la chute de certaines civilisations, mais surtout que les changements accélérés que nous vivons actuellement pourraient, d’ici 2040, mener à une grave crise générale de nos sociétés. Autrement dit, à cause du changement climatique, nos sociétés pourraient s’effondrer bien plus tôt que l’on croit.

Les dangers de l’optimisme et le déni de réalité du changement climatique

Mais cela paraît fou : comment des sociétés qui fonctionnent dans l’abondance, qui progressent chaque jour grâce à la technologie, pourraient-elles s’effondrer en moins de 25 ans juste à cause de quelques degrés en plus ? Comment pourrait-on ne pas trouver de solution ? Voilà les questions que l’optimisme nous pousse à nous poser, comme pour éviter de voir que la situation est critique et d’accepter les constats de la science. C’est une attitude que la psychologie sociale nomme le “biais d’optimisme” : un trop plein d’optimisme qui nous empêche de voir la réalité en face.

Par exemple, dans nos sociétés, où 40% des mariages finissent en divorce, les études montrent que plus de 75% des jeunes mariés estiment qu’ils ne divorceront jamais. Statistiquement, c’est hautement improbable, et même irréaliste. Le même constat peut-être fait au sujet de patients atteints de graves pathologies, qui ont systématiquement tendance à surestimer largement leurs capacités et leur espérance de vie. Quand les individus sont confrontés à une réalité négative, ils ont tendance à ignorer cette réalité. Ainsi, lorsque l’on demande à des individus s’ils estiment possible qu’ils développent un cancer, la plupart répondent que les probabilités sont très basses. Or aujourd’hui, la probabilité qu’une personne développe un cancer dans sa vie est de 30%. Lorsque l’on repose la question aux individus après leur avoir donné cette statistique, la plupart préfèrent l’ignorer et ne changent pas leur réponse (ou à peine). Ils ignorent inconsciemment les réalités qui sont trop négatives.

C’est une tendance biologique : le gyrus frontal inférieur droit (une partie de notre cortex frontal) qui permet à notre cerveau de comprendre et d’accepter les “mauvaises nouvelles” est moins développé que le gyrus frontal inférieur gauche, qui lui traite les “bonnes nouvelles”. Il est donc plus compliqué pour notre cerveau d’intégrer une mauvaise nouvelle qu’une bonne. Et plus l’on est “optimiste”, moins cette partie de notre cerveau est efficiente, moins l’on intègre et l’on accepte les mauvaises nouvelles.

Bien sûr, à propos du changement climatique, ce biais d’optimisme existe. On sait très bien aujourd’hui que les conséquences d’un réchauffement de 2 degrés seront très graves. Pour autant, nous avons du mal à l’imaginer, nous avons du mal à envisager la réalité du problème.

Être optimiste sur le changement climatique nous empêche de prendre les bonnes décisions

Résultats ? Nous prenons presque systématiquement de mauvaises décisions car nous surestimons nos chances de réussir ou car nous sous-estimons la gravité de la situation. Par exemple une étude en psychologie sociale montre que les personnes très optimistes ont tendance à prendre des décisions irrationnelles sur le plan financier : elles épargnent trop peu, s’endettent souvent, dépensent plus qu’elles ne devraient. D’autres études ont montré qu’avoir une vision optimiste du futur a tendance à diminuer l’énergie des individus pour surmonter un défi. En d’autre terme : si l’on pense qu’une situation sera relativement bonne (ou pas si mal) dans le futur, il n’y a pas de raison de dépenser de l’énergie pour changer les choses. Une dernière étude publiée dans le Journal of Experimental Social Psychology concluait de son côté que les personnes optimistes étaient souvent moins motivées pour résoudre les problèmes ou les tâches à accomplir.

Dans son ouvrage “Rethinking positive thinking”, Gabrielle Oettingen démontre qu’au final, être optimiste a tendance à empêcher les individus de mettre en oeuvre le changement. Ainsi, une personne en surpoids aura tendance à nier la nécessité de perdre quelques kilos si elle est optimiste, se disant que ce n’est pas si grave, ou qu’elle trouvera bien une solution… plus tard. Ou au pire, cette personne se dira qu’en faisant quelques changements minimes et peu contraignants elle perdra du poids. Et c’est précisément ce que font aujourd’hui les société mondiales face au défi du changement climatique. En niant la réalité du problème, ou en minimisant sa gravité, nous avons tendance à ne pas prendre les décisions qui pourraient permettre de résoudre le problème.

Aujourd’hui, comme nous n’avons pas pris la mesure de la gravité du problème, nous nous focalisons sur des changements “à la marge” : réduire et trier ses déchets, réduire de quelques % les émissions de CO2 des véhicules, réduire “un peu” sa consommation d’énergie en éteignant le mode veille de sa télévision. Certes, tous ces gestes sont utiles, et mis bout à bout, ils peuvent avoir un impact sur la gravité du réchauffement climatique. Mais au final les vrais gestes qui nous permettraient de réduire vraiment nos émissions de CO2 (réduire drastiquement notre dépendance au transport individuel, réduire de façon importante notre consommation d’énergie de manière à pouvoir se contenter d’énergies renouvelables, réduire notre production industrielle et notre consommation de ressources) sont oubliés.

En matière de politique internationale, c’est la même chose : la COP21, la COP22 et tous les traités internationaux ont beau être des progrès significatifs, ils ont jusque là échoué à mettre en place les décisions les plus importantes et les plus cruciales dans la lutte contre le changement climatique. Une équipe d’experts de la géopolitique et du droit international publiait d’ailleurs en 2010 un “Plaidoyer pour le pessimisme à propos des traités internationaux sur le climat”, où ll développait l’idée que seuls des traités internationaux peu contraignants et/ou peu efficaces pourraient être signés par les gouvernements mondiaux. D’une manière générale, il semble que les changements vraiment efficaces ne soient pas décidés, car d’une part, on n’a pas pris conscience que ces mesures sont urgentes, et d’autre part, parce que ce sont des mesures que l’on perçoit comme trop difficiles à mettre en oeuvre.

Changement climatique : être optimiste ou pessimiste ? Quelle solution ?

Et en effet, à titre individuel, il est aujourd’hui quasiment impossible de se passer de sa voiture par exemple, alors qu’en France, le transport individuel représente près d’un quart des émissions de CO2 et que c’est certainement la manière la plus efficace de réduire notre empreinte carbone. Comment aller travailler sans voiture ? Comment faire ses courses ? Comment gérer sa vie de famille et aller chercher ses enfants à l’école sans voiture ? Et surtout, si l’on ne perçoit pas la gravité et l’urgence de la situation, pourquoi tenter de le faire, pourquoi se contraindre autant et remettre en cause son mode de vie ?

Si l’on vous disait aujourd’hui que vous allez mourrir dans 6 mois si vous n’arrêtez pas de prendre votre voiture et de consommer du pétrole tout de suite, il est probable que vous le feriez sur l’instant. Et à l’échelle de leur histoire, c’est exactement le dilemme devant lequel sont placées les civilisations humaines. Changer son mode de vie, ou disparaître. L’optimisme trop fort que nous avons à propos de notre futur, la confiance que nous plaçons dans notre capacité à trouver une solution facile au changement climatique nous empêche de voir ce dilemme. Cette dissonance cognitive, c’est la raison pour laquelle être optimiste à propos du changement climatique n’est sans doute pas la solution.

Alors faut-il être pessimiste ? Sans doute un peu, notamment sur ce qui nous menace. Parce que si l’on est pas clair sur les risques que le changement fait peser sur nous, si on ne les répète pas (au risque d’être démoralisant), on aura toujours tendance à oublier le danger. Mais pas complètement pessimiste pour autant : le pessimisme lui aussi nous empêche d’agir, par désespoir. Les pessimistes diront “parce qu’il est trop tard, rien ne sert d’agir”. Alors il faudrait être réaliste ? Nécessairement, car ce n’est qu’en se confrontant à la réalité que l’on peut la changer. Mais il faut surtout être capable d’être pessimiste et optimiste au bon moment. Car il est là le paradoxe de l’optimisme : à force d’être (trop) optimiste sur la gravité du changement climatique, nous avons oublié d’être optimistes sur nos capacités à changer radicalement notre mode de vie pour inverser la donne. Nous faisons des changements à la marge car nous ne pensons pas qu’il est possible de vivre (et de bien-vivre) sans le confort que nous a apporté le pétrole et ses avatars. C’est pourtant là qu’il faut être optimiste : c’est un changement difficile, qui nécessitera des efforts radicaux et une refonte globale de notre système économique et social (contre les intérêts économiques et institutionnels de nombreux acteurs actuels), mais c’est un changement possible. C’est surtout un changement nécessaire et indispensable.

Alors sur le changement climatique, soyons pessimistes. Préparons nous au pire, car il arrivera nous dit Edward Murphy. Mais sur notre capacité à changer, soyons optimistes : nous pouvons envisager un modèle différent, un modèle écologique et responsable, en nous focalisant sur les vrais problèmes et les vraies solutions.

Quand l’avenir de l’humanité dépend d’un doughnut, symbole d’un « espace juste et sûr » pour tous

Marie Drique (Revue Projet)
www.bastamag.net/Quand-l-avenir-de-l-humanite-depend-d-un-doughnut-symbole-d-un-espace-juste-et

L’avenir de l’humanité dépend-il d’un doughnut ? C’est à partir de cette image d’une viennoiserie américaine que l’économiste Kate Raworth explique le lien intrinsèque entre inégalités sociales et limites environnementales. Avec l’objectif d’assurer un bien être minimal à l’ensemble de l’humanité sans franchir les seuils physiques et écologiques – dérèglement climatique, disparition de la biodiversité, pénurie d’eau potable… – qui la mettraient en danger. « Le défi est aujourd’hui de repenser l’économie de sorte qu’elle ramène toute l’humanité au sein de cet espace juste et sûr, au lieu de nous en expulser », estime-t-elle. Entretien à lire, sans forcément dévorer un doughnut.

Revue Projet : En 2012, vous avez publié une étude pour Oxfam intitulée « Un espace sûr et juste pour l’humanité : le concept du doughnut » [1]. Drôle de choix que ce gâteau américain comme concept !

Kate Raworth  [2] : Le doughnut est une bonne représentation du défi majeur pour l’humanité au 21e siècle. L’anneau intérieur délimite le plancher social du bien-être, reprenant les éléments essentiels, reconnus au niveau international, pour une vie digne et faite d’opportunités : une alimentation suffisante, la santé, l’éducation, le logement, l’énergie… tout en visant plus d’équité sociale et d’égalité hommes-femmes. L’anneau extérieur est celui du « plafond environnemental », qui traduit la pression que l’humanité peut exercer sur les systèmes vitaux de la terre sans risquer de les mettre en péril en provoquant, à des niveaux dangereux, le changement climatique, la perte de biodiversité ou la destruction de la couche d’ozone. C’est entre ces limites sociales et planétaires que se trouve un espace juste et sûr pour l’humanité pour assurer les besoins et les droits de tous dans les moyens de notre planète.

L’image du « doughnut » a germé quand j’ai découvert, en 2009, le schéma qui décrivait les « 9 limites de la planète » : j’ai perçu comment ce diagramme faisait franchir un pas important dans la réécriture de l’économie. Il démontrait clairement que l’économie globale doit opérer à l’intérieur de limites qui bornent la pression qu’elle peut exercer sur des écosystèmes essentiels au maintien de la vie. Je travaillais alors chez Oxfam, entourée de travailleurs humanitaires qui répondaient à la dernière crise alimentaire au Sahel et de militants qui réclamaient des services de santé et d’éducation décents pour tous. J’ai pensé intégrer ces questions de justice sociale dans le diagramme.

C’est ainsi que j’ai dessiné un « anneau » intérieur, représentant les limites sociales en complément des limites planétaires. Et quand j’ai montré le résultat à l’un des scientifiques à l’origine du concept de limites planétaires, il a dit aussitôt « c’est le diagramme dont nous manquions ! Ce n’est pas un cercle, c’est un doughnut ». Depuis, le nom s’est imposé ! Bien sûr, il paraît dérisoire au premier abord, trop ludique pour une question aussi grave, mais il suscite tant de curiosité et d’intérêt qu’il nous encourage à utiliser des métaphores que l’on n’oublie pas !

Vous avez pris onze objectifs sociétaux et neuf limites planétaires pour former l’« espace sûr et juste pour l’humanité ». Pourquoi ces indicateurs ? Peut-on fixer des seuils absolus ?

Ce sont des scientifiques de premier plan qui estiment que neuf processus terrestres critiques permettent, ensemble, de maintenir de bonnes conditions de vie sur Terre – des conditions appréciées par l’humanité ces onze mille dernières années, à l’ère de l’Holocène. Bien sûr, ces limites ne sont pas absolues : nous pouvons les franchir – nous l’avons déjà fait – mais il existe des barrières de sécurité au-delà desquelles les risques de changements irréversibles du système terrestre sont significativement plus élevés. Imaginez une chute d’eau vertigineuse, mais qu’on ne perçoit pas en amont de la rivière ; ce serait de la folie de mener votre bateau jusqu’à son bord, vous seriez sûrement emporté dans la chute.

Nous avons besoin de panneaux de signalisation pour nous dire « Danger ! Ne dépassez pas ce point ! ». Les limites planétaires jouent précisément ce rôle. Les scientifiques ne peuvent pas situer avec exactitude les points de basculement – le niveau de hausse des températures qui provoquera la fonte des glaces du Groenland ou qui annihilera la capacité de l’Amazonie à agir comme poumon de la terre… Aussi fixent-ils des frontières au-delà desquelles le danger augmente rapidement.

Quant aux onze dimensions du plancher social, j’ai examiné les contributions des États en vue de la conférence de l’Onu Rio+20, en 2012 : j’ai retenu chacune des priorités sociales soulignée par au moins la moitié des gouvernements du monde. Pas plus que les limites planétaires, le plancher social ne présente un seuil absolu, mais il identifie des niveaux de privation en-deçà desquels les gens ne peuvent survivre, ou certainement pas vivre dignement.

En dessous d’un certain apport en calories, on souffre par exemple de sous-nutrition, à l’origine de retards de croissance chez les enfants et de maladies chroniques. Le manque d’eau potable et d’hygiène favorise des épidémies de choléra et de diarrhée qui tuent des millions de personnes chaque année. Pour d’autres besoins sociaux, le doughnut reprend simplement le niveau défini, de longue date, comme décent dans le droit international des droits de l’homme ou les objectifs reconnus sur le plan mondial.

Existe-t-il un pays, ou une communauté, vivant d’ores et déjà dans cet « espace juste et sûr » ? Sinon, un tel espace est-il atteignable ?

Je serais étonnée qu’un tel lieu existe. La trajectoire du capitalisme industriel, poursuivie depuis deux siècles par de nombreux pays, est fondée sur un paradigme de développement économique qui ne prête guère attention aux systèmes naturels essentiels au maintien de la vie, qui considère l’inégalité sociale comme une étape inévitable du progrès et qui s’est construit sur l’exploitation des colonies. Dès lors, comment serait-il surprenant qu’en ce début du 21e siècle, nous ayons franchi les deux frontières du doughnut ? Tout le défi est aujourd’hui de repenser l’économie de sorte qu’elle ramène toute l’humanité au sein de cet espace juste et sûr, au lieu de nous en expulser.

Les fondamentaux des sciences économiques sont en cause. À quoi sert l’économie ? Comment fonctionne-t-elle ? Quel est le rôle des acteurs économiques que nous sommes ? Si nous voulons conserver la moitié d’une chance d’entrer dans l’espace juste et sûr dans les décennies qui viennent, quel doit être l’imaginaire des étudiants en économie, des responsables politiques et des dirigeants d’entreprises ? Les réponses ne résident certainement pas dans la mentalité dominante aujourd’hui.

Comment abordez-vous la question des inégalités ?

L’ampleur des inégalités globales et nationales, à la fois en termes de revenus et d’usage des ressources, contribue largement à expliquer comment l’humanité s’est débrouillée pour crever le plafond des limites planétaires tout en maintenant des millions de personnes sous le plancher social. Près de 13 % de la population mondiale souffre de la faim alors qu’il suffirait de 3 % de la production alimentaire mondiale pour satisfaire ses besoins essentiels. 30 à 50 % de cette production est perdue après la récolte, gaspillée dans les chaînes d’approvisionnement des supermarchés ou jetée à la poubelle. Près de la moitié des émissions mondiales de CO2 sont occasionnées par 10 % de la population – je les appelle « carbonistas ». La réduction des inégalités extrêmes d’accès aux ressources et d’usage est la clé pour faire des progrès aux deux limites du doughnut.

Qu’est-ce qui empêche d’introduire l’idée de limites dans nos processus de décisions ?

La notion de « limites » est délicate pour les cercles politiques et les milieux d’affaires. Elle suscite même une certaine hostilité : on la présente volontiers comme une contrainte face au désir d’innover, au dépassement, un obstacle à des découvertes fondamentales. Pourtant, nous vivons dans nos limites biologiques et nous nous développons grâce à elles. Nous savons respecter les limites de notre corps pour rester en bonne santé : manger suffisamment mais sans excès, se protéger du froid sans trop se chauffer, élever son rythme cardiaque sans risquer une attaque. Quand votre enfant a de la fièvre, vous faites tout pour que celle-ci baisse. Nous nous portons mieux quand nous vivons à l’intérieur des limites des systèmes vivants, mais notre modèle centré sur la croissance résiste ! Dépasser cette obsession pour la croissance est une des transformations les plus difficiles et les plus nécessaires de notre siècle.

Quelles réactions votre travail a-t-il suscitées dans les milieux politiques et économiques ? A-t-il fait évoluer le monde associatif ?

Lors de la première publication sur le doughnut, j’ai été impressionnée par l’écho qu’il a rencontré au niveau international ; jamais je n’avais imaginé à quel point cette image pouvait ouvrir le débat et aider à façonner une nouvelle vision du progrès. Le diagramme était littéralement sur la table des négociations à l’Onu, au moment de déterminer les Objectifs de développement durable. Au niveau local, le doughnut a été utilisé par des urbanistes, de l’Afrique du Sud à la Suède, pour esquisser une vision d’avenir de la ville ou du quartier, afin de satisfaire les besoins des habitants tout en respectant les systèmes vivants dont nous dépendons.

Au sein des ONG, beaucoup ont trouvé le diagramme utile parce qu’il insère les questions sociales et environnementales dans une même sphère, un même débat. Le doughnut a permis à des organisations environnementales (comme WWF) d’affirmer une double préoccupation de justice sociale et de protection de l’environnement, et à des ONG de solidarité de souligner combien le bien-être humain dépend du bien-être de la planète. Oxfam Grande-Bretagne, par exemple, a décliné le concept dans des analyses, du Royaume-Uni à l’Afrique du Sud, qui servent ensuite à élargir le débat public sur le progrès économique et social visé dans chacun de ces pays.

Vous relevez que des approches alternatives, telles que le féminisme, l’économie écologique, la pensée systémique et la science du système terrestre, offrent des éléments de discernement précieux pour assurer la réalisation du bien-être humain pour tous dans les moyens de cette planète. Quelle est la contribution du féminisme à votre réflexion ?

Un courant important de l’économie féministe met en évidence la contribution inestimable au bien-être humain de tous ceux qui travaillent dans l’économie domestique. Ils réalisent un travail non rémunéré dont dépendent la nourriture, l’amour, l’empathie, l’enseignement, le soin aux malades, la socialisation des enfants, le linge, l’état de la maison, etc. Ce travail, accompli essentiellement par les femmes dans le monde entier, subventionne implicitement l’économie de marché, permettant à la force de travail, facteur de production, d’être mobilisée pour des tâches rémunérées. Le travail domestique n’est pas reconnu dans la théorie économique dominante, il est peu soutenu et mal récompensé. Reconnaître son rôle est une étape clé pour promouvoir le bien-être et l’égalité hommes-femmes.

Le doughnut est défini à partir de données scientifiques, mais les questions écologiques et sociales sont aussi comprises à travers des héritages culturels qui contribuent à former nos identités, nos imaginaires. La rationalité scientifique suffira-t-elle à nous mener vers « l’espace juste et sûr pour l’humanité » ?

Le doughnut s’appuie sur les sciences naturelles pour montrer l’importance de l’intégrité écologique afin de maintenir l’intégrité de notre foyer planétaire, mais ce n’est qu’un point de départ. J’ai l’intention de travailler avec toutes sortes d’artistes pour tenter de transformer les « sept façons de penser » au cœur de l’économie du doughnut en photos, en danses, en films, en spectacles de marionnettes, en comédies, en tricot, en musique et en poésie. Les sciences économiques ont trop longtemps été présentées comme une question cérébrale, coincée du côté rationnel logique de notre cerveau. Il est temps de les explorer avec son côté artistique pour imaginer et comprendre à nouveau le monde vivant, la place que nous y occupons et ce que signifie vivre bien au sein de cette maison partagée qu’est la planète.

Nouveau petit guide ! « Un million d’emplois pour le climat »

Un emploi pour chacun⋅e la transition pour tous et toutes, par Plateforme « emplois-climat »
https://france.attac.org/nos-publications/brochures/article/petit-guide-un-million-d-emplois-pour-le-climat

Nous sommes confronté·e·s à deux crises d’ampleur, climatique et sociale.

Une crise climatique, et plus globalement écologique qui remet en cause notre éco-système et modifie déjà les conditions de vie sur notre planète : multiplication d’événements météorologiques graves, disparition d’espèces vivantes, déplacements forcés de populations liés à des causes écologiques, sans compter les pollutions et autres impacts sur notre santé. Les chefs d’État et de gouvernement du monde entier se sont engagés lors de la COP 21 à tout mettre en œuvre pour contenir le réchauffement climatique mondial en dessous de 2 °C, et même, idéalement, à 1,5 °C maximum, pour éviter des impacts dangereux du changement climatique.

 

Une crise sociale d’autre part qui taraude nos sociétés depuis des décennies maintenant : un chômage de masse, avec les conséquences sociales et économiques pour les chômeurs et chômeuses évidemment et, au-delà, pour toute notre société pression à la précarité pour tou·te·s, chantage au chômage pour les salarié·e·s en poste, attaques contre nos systèmes de protection sociale au prétexte de défendre l’emploi via la « compétitivité du coût du travail », etc.

La création massive d’emplois « climatiques », c’est-à-dire dans les secteurs nécessaires à une transition écologique est une réponse à cette double crise. L’Accord de Paris, signé en décembre 2015 et entré en vigueur en novembre 2016, l’affirme dans son préambule : la lutte contre le réchauffement climatique doit tenir compte « des impératifs d’une transition juste pour la population active et de la création d’emplois décents et de qualité conformément aux priorités de développement définies au niveau national ». Intervenir sur le travail et l’emploi est en effet crucial pour accélérer la lutte contre les changements climatiques, permettre une transition juste et créatrice d’activités qui donneront du sens au travail nécessaire pour l’accomplir.

Nous avons besoin de transformer notre appareil de production et de créer de nouvelles activités, plus intensives en emplois et moins en capital, dans les secteurs nécessaires à la transition écologique, de la rénovation énergétique à l’agriculture paysanne, des transports à l’énergie, mais aussi dans l’éducation, la formation, la culture…

Mais dans une société rongée par le chômage, les inégalités sociales et l’austérité, faire de la lutte contre les dérèglements climatiques une priorité ne va pas de soi. Pour être compris, les enjeux croisés de la justice climatique et de la justice sociale nous imposent de répondre à des questions : quels seront les effets de la transition écologique sur le niveau d’emploi ? Comment assurer les reconversions nécessaires ? Comment protéger les salarié·e·s, sécuriser leurs parcours et leurs revenus ? Que devons-nous produire et qui le décide ? Comment produire ? Comment financer et qui paye ? Quels emplois climat ? Pour quel mode de vie ?