Articles du Vendredi : Sélection du 21 juillet 2017

8,3 mila milioi tona plastiko sortu dugu 1950etik

Itsaso Zubiria Etxeberria
www.argia.eus/albistea/83-mila-milioi-tona-plastiko-sortu-dugu-1950etik

Nicolas Hulot estime que l’objectif de réduction du nucléaire sera difficile à tenir

Concepcion Alvarez
www.novethic.fr/lapres-petrole/energie-nucleaire/isr-rse/transition-energetique-l-objectif-sur-le-nucleaire-difficile-a-tenir-selon-hulot-144655.html

« Macron est en phase avec l’air du temps »

Pauline Gaulle
Politis 1459 – 22/06/2017

Lutte contre la corruption, appropriation des biens communs : la révolution « municipaliste » qui vient

Ivan du Roy, Nolwenn Weiler, Olivier Petitjean
www.bastamag.net/Lutte-contre-la-corruption-appropriation-des-biens-communs-la-revolution

8,3 mila milioi tona plastiko sortu dugu 1950etik

Itsaso Zubiria Etxeberria
www.argia.eus/albistea/83-mila-milioi-tona-plastiko-sortu-dugu-1950etik

 

Mundu osoan 1950etik gaur arte ekoiztutako plastiko kopurua eta honek ingurumenean duen eta izango duen eragina aztertu eta txostena argitaratu dute zientzialari estatubatuar batzuek Science Advances aldizkarian. 822.000 Eiffel dorreren pisua du hamarkadotan sortutako plastikoak edo 80 milioi balerena.

Ekoizpen maila altuena duen hirugarren materiala da plastikoa, zementuaren eta altzairuaren atzetik.  Baina azterketak ematen dituen datuetan esanguratsua ez da kopurua bakarrik. Gizakiak sortzen duen plastiko horren guztiaren artean 6,3 mila milioi tona hondakina da, hortik %9 soilik birziklatzen da, %12 erraustu, eta %79 zabortegietan zein ingurumenean pilatzen da.

Material sintetiko honen ekoizpenaren tendentzia goranzkoa da, eta ez du desazeleratzeko itxurarik. 1950ean milioi bat tona sortu zen, eta 2015ean berriz, 380 milioitik gora. Azken 67 urte hauetan 8,3 mila milioi tona plastiko sortu bada, gainera, kopuru horren ia erdia azken hamahiru urteetan ekoitzi da.

Plastikoak gure eskuetan izaten duen iraupena beste material askorena baino askoz ere baxuagoa da. Altzairua, esaterako, eraikuntzarako erabili ohi da asko, eta hamarkada batzuetarako bizi itxaropena du. Ekoitzitako plastikoaren kopuru altu bat, ordea, lau urte edo gutxiagoren buruan hondakin bilakatuko da. Material honen bizi itxaropena izugarri luzatzen da baina, hondakin bilakatuta ere, kasu gehienetan ez baita biodegradagarria; eta ehunka edo milaka urtetako bizia izango du.

2050erako 25 mila milioi tona

Erritmo honetan jarraituta, azterketak dio 2050erako gizakiak 25 mila milioi tona plastiko sortuta izango dituela, alegia, gaurkoaren hiru halako. Yvan Chalamet zientzialariak adierazi du borondate politikoak alda ditzakeela produkzioaren norabide batzuk. Frantzian, esaterako, 2016an denda eta supermerkatuetan plastikozko poltsak debekatu ziren. Horrela urteko 80.000 tona plastiko gutxiago sortu dute urtebetean.

Nicolas Hulot estime que l’objectif de réduction du nucléaire sera difficile à tenir

Concepcion Alvarez
www.novethic.fr/lapres-petrole/energie-nucleaire/isr-rse/transition-energetique-l-objectif-sur-le-nucleaire-difficile-a-tenir-selon-hulot-144655.html

La polémique se poursuit autour de la baisse de la part du nucléaire dans la production d’électricité. Le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, a estimé mardi 18 juillet, devant les sénateurs, que l’objectif de passer de 75 à 50% de nucléaire d’ici 2025 serait difficile à tenir. Il évoque désormais la fermeture de 25 réacteurs, et non plus 17, pour y parvenir.

Interrogé par la commission des affaires économiques du Sénat mardi 18 juillet, Nicolas Hulot est revenu sur l’objectif de réduire de 75 à 50% la part du nucléaire dans le mix électrique d’ici 2025. Le ministre de la Transition écologique et solidaire estime qu’il va être difficile à tenir. « Comme nous avons déjà perdu des années précieuses, cet objectif, ne nous cachons pas derrière le petit doigt, (…), je pense qu’il va être difficile » a-t-il déclaré.

« J’ai demandé à mes services ce que cela signifiait, dans un souci de vérité. Si on veut réaliser cette loi, ce n’est pas 17 mais 25 réacteurs que l’on doit fermer« , a ajouté Nicolas Hulot. « Je ne veux pas qu’on soit dans le mensonge« . Le ministre de la Transition écologique a toutefois dit vouloir éviter tout dogmatisme et toute « brutalité » pour atteindre le but inscrit dans la loi de transition énergétique, adoptée sous le quinquennat précédent.

Une approche « réaliste »

La semaine dernière, il avait indiqué sur RTL qu’il faudrait « peut-être fermer jusqu’à 17 réacteurs«  sur les 58 que compte le parc français. Deux jours plus tard, le Premier ministre Édouard Philippe, dans une interview aux Échos, avait appelé à « la prudence ». « L’idée n’est pas de rompre avec le nucléaire mais d’arriver à un mix énergétique plus équilibré« avait-il précisé.

« J’ai simplement dit tout haut ce que personne n’ose dire », a précisé l’ancien animateur de télévision devant les sénateurs. « Dans la PPE, autant les objectifs de la loi transition énergétique sur l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables ont été bien pris en compte, autant il n’y a quasiment pas une ligne sur l’objectif de nucléaire. Je veux revenir dans la rationalité, regarder les scénarios, replanifier le tout sur des choses réalistes« .

Dans son rapport annuel en 2016, la Cour des comptes avait estimé que l’objectif de 50% à l’horizon 2025 aurait pour conséquence de réduire d’environ un tiers la production nucléaire en France, soit l’équivalent de 17 à 20 réacteurs.

 

« Macron est en phase avec l’air du temps »

Pauline Gaulle
Politis 1459 – 22/06/2017

Une opposition massive au Président est peu probable, selon le sociologue Albert Ogien (Directeur de recherche au CNRS et directeur de l’Institut Marcel-Mauss à l’EHESS), en raison des divisions à gauche, mais aussi de l’habileté d’Emmanuel Macron.  Dimanche soir, Jean-Luc Mélenchon a affirmé voir dans l’abstention record du deuxième tour législatif une « énergie disponible » pour mener « le pays le moment venu, à une résistance sociale ». Pour Albert Ogien, spécialiste des mouvements sociaux, Emmanuel Macron tient pourtant sa légitimité de « l’air du temps », qui lui est pour l’instant, plutôt favorable.

 

Emmanuel Macron va pouvoir s’appuyer sur une majorité absolue à l’Assemblée, mais, en même temps, celle-ci est très mal élue. Cela peut-il entraver sa légitimité à gouverner et peut-on s’attendre à un « troisième tour » dans la rue ?

Albert Ogien : Avant les législatives, la grande violence des attaques dirigées contre Emmanuel Macron – par toute une partie de la gauche, notamment – a pu faire penser qu’on n’était pas loin de la guerre civile ! La haine contre sa personne et autour de la loi travail et des ordonnances a fait croire qu’un affrontement dans la rue se préparait. Aujourd’hui, cela semble moins probable. Macron n’a aucun intérêt à ruiner son mandat par un coup de force : il n’est ni Thatcher ni Reagan. Il a choisi de négocier avec les partenaires sociaux sur la future loi travail. Et, de ce qu’on sait de ces discussions, cela pourrait fonctionner.

Ni la CFDT, ni Force ouvrière, ni même la CGT ne semblent prêtes à appeler leurs adhérents à se mobiliser en septembre. Sans doute parce que ces centrales jugent qu’il sera très difficile de le faire après ces élections, mais aussi parce que si Macron parvient à ménager les susceptibilités des syndicats, s’il leur accorde des avancées en matière de représentativité et d’accroissement de leur poids dans les entreprises en échange de la libéralisation du droit du travail ceux-ci éviteront peut-être  le rapport de force. Or, sans les syndicats, il est difficilement imaginable que des mouvements de masse aient lieu, et plus encore un mouvement visant à renverser le gouvernement.

Néanmoins, quelle légitimité peut avoir ce pouvoir quand on sait que près de deux Français sur trois se sont abstenus ?

L’abstention ne peut pas à elle seule priver de légitimité le Parlement nouvellement élus. D’abord, parce qu’on ne sait pas pourquoi les abstentionnistes ne se sont pas déplacés. Parce qu’ils sont trop en colère ou parce qu’ils n e se sentent pas concernés ? Allez savoir !

Ensuite, de quelle légitimité peuvent se prévaloir les oppositions qui ont vu fondre les votes en leur faveur ? On peut dire que le Président n’a pas reçu de mandat pour réformer le code du travail. Mais il peut rappeler qu’il n’a pris personne en traître puisque c’est bien l’une des rares choses que l’on savait clairement de son programme. Il n’a pas fait mystère non plus de la manière dont il comptait s’y prendre : par ces fameuses ordonnances dont il n’a cessé de clamer qu’elles ne sont pas une confiscation démocratique car elles nécessitent deux votes du Parlement.

Pour la première fois, c’est la gauche radicale – et non social-démocrate – qui s’impose comme première force d’opposition à l’Assemblée. Quel peut être le rôle  de la France insoumise dans la mobilisation des contestataires ?

Jean-Luc Mélenchon est un légitimiste. Même s’il soutient d’éventuelles manifestations, il ne peut probablement pas encourager dès le lendemain du scrutin, une contestation violente ou insurrectionnelle. Parmi les abstentionniste aux législatives, on trouve beaucoup de jeunes, qui y ont cru pendant la campagne mais pensent maintenant qu’ils se sont fait avoir. Iront-ils manifester si un grand mouvement de masse n’a pas lieu ?  Or, pour que cela arrive, il faudrait qu’une coalition de toutes les composantes de la gauche se constitue, ce qui est loin d’être gagné. Il est aussi probable que, si ce camp appelle à manifester à la rentrée, ce sera plus pour marquer son rassemblement que pour s’en prendre vraiment au pouvoir.

Que dire de ceux qui ont manifesté, parfois pour la première fois, contre la loi travail ?

Les plus remontés vont sans doute reprendre la rue, quoi qu’il en coûte, mais, s’ils sont seuls, ils seront violemment réprimés par la police. Evidemment, je peux me tromper : si le gouvernement fait une grave erreur de communication, s’il déçoit les syndicats, si la France insoumise arrive à susciter un mouvement social, si les anars et les autonomes s’y mettent, s’il y a beaucoup de gens dans la rue, alors tout peut se mettre en place pour une confrontation.

Tous les révolutionnaires savent que c’est toujours un événement apparemment anodin, et imprévisible, qui déclenche l’insurrection. Là les vacances arrivent, ce n’est a priori pas le bon moment. Et, même si la politique du gouvernement a des effets de précarisation et d’appauvrissement, ils ne se feront pas sentir dès septembre. Emmanuel Macron est moderne, jeune et habile. Il connaît les erreurs à ne pas reproduire. Par exemple, il y a peu de chance qu’il fasse évacuer Notre-Dame-des-Landes, pour ne pas offrir la mèche qui mettrait le feu aux poudres. Tant qu’il le pourra, il jouera l’apaisement et le consensus.

Est-il si habile ?

Il a en tout cas montré qu’il pouvait l’être. Avant les législatives, il a reporté la réforme du prélèvement sur le revenu à la source, qui contrariait le patronat, et a suspendu la généralisation du tiers payant pour les médecins. Mais il ne faut pas réduire Macron à ses habiletés manœuvrières. Il n’est ni le gamin, ni le banquier, ni le monarque que beaucoup dénoncent : il incarne l’atmosphère idéologique dans laquelle nous baignons, imprégnée de néolibéralisme et éprise d’efficacité. Celle que portent les députés de la République ne marche, qui partagent une même manière d’envisager la vie en société : quadras en rupture d’idéologie qui ont vécu dans un monde ouvert, ont assimilé les règles managériales en vigueur dans les entreprises, ont le souci de l’environnement, idéalisent la transparence, admettent la parité et prisent la liberté d’initiative. Au-delà de la vieille garde de politiciens et de technocrates qui essaie de tirer les ficelles, Emmanuel Macron est en phase avec l’air du temps. Et cela lui donne une légitimité bien plus forte que celle qui provient de petites stratégies pour capter de l’électorat ou gouverner sans opposition.

A l’Assemblée, en revanche, la majorité macroniste peut-elle se déchirer autour d’un retour de l’axe gauche-droite ?

Il est probable que les dissensions arrivent vite. Il ne faut pas oublier que l’absence d’opposition a une conséquence : l’idée de majorité perd tout son sens. Il est donc permis d’espérer de ces nouveaux représentants qu’ils honorent leur engagement à revaloriser la place des citoyennes et des citoyens en politique, qu’ils restent fidèles au bien commun, pas au Président ou au gouvernement ! Ce serait là reproduire les pratiques d’un passé qu’ils disent révolus. S’ils ont signé un contrat de soutien au programme de Macron, on peut leur rappeler quer l’article 27 de la Constitution dispose que le droit de vote des parlementaires est personnel.

Les médias se moquent de ces néophytes, qui n’ont pas les codes et se plantent lamentablement lors des débats télé. Toute la banalité de la pensée antidémocratique s’exprime à plein ces temps-ci. Regardez la une de Charlie Hebdo : un beauf, clope au bec et pantoufles aux pieds arrive au Parlement en disant : « C’est par où la buvette ? » Peu à peu, néanmoins, on constate que ces prétendus novices n’en sont pas vraiment. Par exemple, les nombreux juristes et avocats qui ont été élus accepteront-ils de voter sans rechigner les lois sécuritaires qui seront proposées ?

 

 


Lutte contre la corruption, appropriation des biens communs : la révolution « municipaliste » qui vient

Ivan du Roy, Nolwenn Weiler, Olivier Petitjean
www.bastamag.net/Lutte-contre-la-corruption-appropriation-des-biens-communs-la-revolution

180 « villes sans peurs » se sont réunies à Barcelone, ces 10 et 11 juin. Des mégapoles, villes moyennes ou modestes bourgades de tous les continents dont les élus et les citoyens engagés ambitionnent de construire une alternative de grande ampleur au péril xénophobe, à la menace terroriste et à la soumission aux marchés financiers. La capitale catalane, dirigée depuis deux ans par une coalition de mouvements sociaux et de partis politiques de gauche, accueillait cette première rencontre. Réelle participation des citoyens, y compris des enfants, aux décisions, féminisation de la politique, gestion des biens communs comme l’eau, l’énergie ou le logement, lutte contre la corruption, accueil des réfugiés constituent la base de leurs actions communes, partout où ce municipalisme émerge dans le monde. Un excellent remède pour oublier la déprime post-électorale française.

 

« Bienvenue à Barcelone, ville sans peur ! » lance, devant une foule bigarrée, Ada Colau, maire de la capitale catalane et ancienne activiste du droit au logement. « Nous sommes mobilisés contre le terrorisme, contre le fascisme et pour les droits fondamentaux : droit au logement, à la santé, à l’éducation, droit d’être accueilli quand on fuit son pays. » Ces 10 et 11 juin se tient le premier sommet international des « villes sans peur », un réseau de 180 villes, d’une cinquantaine de pays différents. Au sein des intimidantes salles de l’Université de Barcelone, vieille de cinq siècles et demi, élus, membres d’associations, chercheurs ou animateurs de plateforme citoyenne discutent de lutte contre la corruption, de démocratie participative, de gestion de biens communs – eau, énergie, santé, logement ou aménagement de l’espace public – et d’accueil des réfugiés.

Tout un symbole, 80 ans après la répression de la révolution sociale barcelonaise par une République espagnole aux abois, suivie de la prise de la ville par les troupes franquistes et de l’exode d’un demi-million d’Espagnols vers la France. « Certaines peurs sont légitimes, poursuit Ada Colau : Peur de perdre son logement, peur de perdre son travail ou peur de perdre la vie à cause d’un attentat terroriste ou en traversant la Méditerranée pour fuir son pays. Mais nous pensons que, collectivement, nous pouvons vaincre ces peurs. »

« La peur est un sentiment qui isole et paralyse »

« Notre défi, c’est de transformer ces peurs en espoirs, lui répond son duo sur l’estrade, Manuela Carmena, maire de Madrid, ancienne avocate et juge. La peur est un sentiment qui isole et paralyse, empêchant toute action de changement. Or, ce que nous voulons, c’est changer le monde. » Si Barcelone et Madrid ouvrent ce sommet, c’est que les deux métropoles sont gérées par une alliance entre mouvements sociaux et nouveaux partis politique de gauche, comme Podemos, tous héritiers du mouvement des Indignés – également appelé 15M – qui a émergé le 15 mai 2011 à la Puerta del Sol à Madrid.

« Ce printemps-là, une partie des gens a réussi à dépasser ses peurs, raconte Jaume Asens, ancien activiste du droit au logement, et adjoint à la mairie de Barcelone. Ils sont sortis dans la rue, ils ont construit des projets ensemble, ils ont repris l’espace public. » Les deux villes expérimentent à grande échelle de nouvelles politiques écologiques, sociales qui accordent une grande place aux citoyens et à l’expertise populaire.

Un contre-pouvoir face à l’offensive néolibérale et de l’ultra droite

L’idée de réunir les municipalités qui mènent des projets similaires est née il y a six mois, au sein de la commission internationale de « Barcelone en commun », le mouvement qui a porté la candidature d’Ada Colau. « Nos villes sans peur doivent combler l’espace vide laissé par la social-démocratie partout en Europe, sans quoi c’est l’extrême droite qui le fera », poursuit Jaume Asens.

 

 

Des élus de New York, Berkeley (Californie), Naples (Italie), Hong Kong (Chine), Belo Horizonte (Brésil) et même du Kurdistan syrien ont fait le déplacement. Dans les salles et le jardin de l’université, on croise aussi de nombreux représentants – souvent jeunes – de mouvements urbains et de listes citoyennes, venus de pays comme la Pologne ou le Liban.

 « Nous devons faire sentir à quel point le monde bouge, ne pas se laisser enfermer dans des perspectives sombres, face l’Amérique de Trump ou à l’Europe néolibérale. Il nous faut sortir de la compétitivité pour la coopération, passer d’une logique de soumission à l’économie à une logique de biens communs », confie Eric Piolle, le maire écologiste de Grenoble, seule ville hexagonale représentée. « Ce qui en France semble être une exception – être élu sur un projet citoyen, de gauche et humaniste sans être porté par les tenants du bipartisme – existe partout ailleurs. » Grenoble a accueilli, en février dernier, les collectivités locales européennes, villages, villes ou régions, se déclarant « communes libres » en dehors des controversés traités de libre-échange (lire ici).

« Il ne suffit pas de gagner des élections »

L’objectif des villes sans peurs est ambitieux : il s’agit de réunir « les mouvements municipalistes du monde entier pour créer un contre-pouvoir face à l’offensive néolibérale et de l’ultra-droite à laquelle nous assistons », explique Cesar Ochoa, mathématicien et membre de Barcelone en commun. Des mouvements municipalistes ? L’objectif est de développer une relation étroite entre mouvements sociaux et plateformes citoyennes et politiques avant d’envisager de présenter des candidats aux élections.

« L’histoire montre qu’il ne suffit pas de gagner des élections. Il faut que le changement vienne d’en bas », estime Kali Akuno, co-fondateur du mouvement Coopération Jackson, capitale du Mississippi et l’un des foyers de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, qui vient d’élire un maire socialiste noir. « Tout l’édifice de l’État-nation est devenu anti-démocratique presque partout. C’est au niveau local que chacun est en contact avec ses voisins, que l’on peut comprendre leurs besoins, leurs espoirs et leurs peurs. C’est à ce niveau que l’on peut s’attaquer au racisme, au sexisme, à la xénophobie. »

Féminisme partout

Lors de l’atelier « le municipalisme pour les nuls », l’Italien Beppe Caccia, membre de Venise en commun et l’Espagnole Elisenda Alamany – de Castellar del Vallès, une ville moyenne de Catalogne (22 000 habitants) – égrènent les ingrédients nécessaires à la constitution du municipalisme : des mouvements sociaux et associatifs bien implantés localement, des plateformes rassemblant citoyens et partis de gauche capables de traduire les questions sociales, écologistes et démocratiques en projet concret, une large féminisation de la politique, et enfin la présence au sein des institutions des villes pour commencer à « transformer la vie des gens ». « Les villes sont géographiquement fixes mais en mouvement permanent grâce au commerce et à la culture. Historiquement, elles sont le lieu idéal pour créer de véritables espaces de délibération et de libération de la servitude. Habiter dans une cité du Moyen Âge pouvait vous rendre libre. », explique Beppe Caccia. « Il en va de même pour la contestation actuelle de la domination des marchés et du capitalisme global. »

Sur les 80 intervenants qui se succèdent dans les forums et ateliers, on compte 50 femmes et 30 hommes. « Nous nous étions imposés, a minima, la parité, dit Cesar Ochoa. Le féminisme, c’est un peu la marque de la maison. C’est un sujet que l’on prend très au sérieux et qui doit selon nous irriguer toutes les thématiques. C’est pourquoi il n’y a pas d’atelier dédié au féminisme. » Lors de la soirée d’ouverture, de nombreuses jeunes élues de mégapoles s’expriment : Helen Gym de Philadelphie (États-Unis), Andrea Reimer de Vancouver (Canada), Aurea Carolina de Freitas de Belo Horizonte (Brésil)…

La démocratie municipaliste, même en Syrie

« Le féminisme est la clé. S’il n’y a pas de féminisme, il n’y a pas de changement », tranche Laura Pérez Castaño, conseillère municipale à Barcelone. Mais comment permettre concrètement aux femmes de s’investir dans la vie politique et d’espérer un jour rompre le plafond de verre, comme l’ont fait Ada Colau ou Manuela Carmena aux élections de 2015 ? « Pour l’agenda des réunions, on tient compte des besoins des enfants, ou on organise des systèmes de garde sur place, pour que les femmes puissent venir avec leurs enfants, décrit Laura Pérez Castaño.

Les prises de paroles sont courtes, et minutées pour que personne ne monopolise la parole, sachant que ce sont souvent les hommes qui le font. Nous nous efforçons d’avoir une stricte parité dans nos prises de parole : un homme, une femme. »

« Chez nous, toutes les commissions qui gèrent la vie quotidienne ont une co-présidence paritaire, c’est obligatoire, énonce, sous des applaudissements nourris, Hazna Youssef, co-présidente du conseil municipal de Cizére, située dans la région de Rojava, au nord de la Syrie, où une coalition arabo-kurde combat le groupe Etat islamique. Nous avons mis cela en place dans des conditions très difficiles, avec un embargo, des attaques très violentes, en déplorant plusieurs morts parmi les volontaires qui administrent notre région, et avec une arrivée sans cesse plus nombreuse de réfugiés d’Irak. Nous sommes la preuve que l’on peut construire des villes démocratiques, même dans des conditions difficiles. »

Les enfants associés à la gestion municipale

Les villes sans peur accordent aussi une place aux enfants. « C’est fondamental de les associer, ils sont les citoyens de demain, décrit la maire de Madrid Manuela Carmena. À Madrid, nous avons dans les collèges des enfants volontaires pour lutter contre la violence. Ils réfléchissent et s’organisent avec les adultes pour améliorer leur vie quotidienne. » Ailleurs, les enfants sont associés à la réflexion autour des budgets municipaux. Des commissions sont créées dans les écoles, qui en réfèrent ensuite aux élus.

« Pour donner leur place aux femmes, nous menons aussi une réflexion sur la notion d’expert, poursuit Laura Pérez Castaño. Qui est expert ? À l’échelle de l’organisation d’un immeuble, d’une rue, d’un quartier, chacun peut exercer son expertise, et notamment les femmes. » Partir des problèmes quotidiens très concrets des citoyens, c’est un peu la « recette » des équipes municipales réunies à Barcelone. « Ma ville est pauvre », raconte Pamela Barrett, maire de Buckfastleigh, un bourg de 3600 habitants au sud-ouest de l’Angleterre. « La pauvreté des enfants, surtout, est très importante. C’est ce que les gens trouvaient le plus difficile. Nous avons donc travaillé sur leur accès à la cantine, à la bibliothèque, à la piscine. Ces actions ont rencontré un grand succès, et les gens ont vu un effet immédiat sur leur quotidien. »

Comment faire participer les citoyens ?

« La prise en compte des besoins de gens, et leur participation aux prises de décisions, c’est la base du changement », avance Marina Vicen, conseillère municipale, en charge de la jeunesse et de l’éducation à Torrelodones, une ville moyenne (22 000 habitants) de l’agglomération madrilène. Encore faut-il rendre accessible aux habitants les espaces de délibération et de décision. Les élus de Torrelodones ont décidé d’ouvrir la mairie du milieu de l’après-midi jusqu’en soirée, pour que les citoyens y aient un accès facilité après le travail. « Nous répondons personnellement à toutes les demandes qui nous parviennent par mail, ajoute Marina Vicen. « Nous avons pour habitude d’organiser des réunions dans des endroits familiers et fréquentés par les gens : parcs et jardins, rues, écoles, salles des fêtes dans les quartiers, ou chez eux », ajoute Pamela Barrett. « La proximité est une urgence, précise Iago Martinez, bras droit du maire de La Corogne (200 000 habitants, nord-ouest de l’Espagne). Elle est intimement liée au municipalisme. »

À Torrelodones, le contenu de la revue municipale est choisi par un comité de rédaction où les élus n’ont qu’une des quatre voix. Une part grandissante de la politique fiscale est décidée par les habitants. 10 % du budget est actuellement débattu en commissions ouvertes. Dans d’autres villes d’Espagne, c’est 100 % du budget ! Mais faire revenir ou intéresser les habitants à la vie publique, « est un travail très long ». « Il faut avoir beaucoup de patience, tempère Marina Vicen. Nous espérons cette année débattre de la politique fiscale avec 10 % de la population. Ce serait pour nous une première grande victoire. »

Lutte contre la corruption et transparence

Les villes sans peur luttent ardemment contre la corruption et pour la transparence, s’inscrivant dans la ligne directe des mouvements de contestation nés après la crise financière, les politiques d’austérité et la mise en exergue de scandales politico-financiers. « La transparence des institutions doit être totale, juge Simona Levi, de Xnet, un mouvement citoyen de lutte pour la transparence des institutions et pour la protection des données personnelles. Ce doit être une fin en soi pour les institutions. »

Pour que citoyens et habitants vérifient les budgets, les dépenses et les ressources des municipalités, divers outils informatiques ont été mis en place. À Barcelone, cet outil informatique permet de détecter d’éventuels cas de corruption et garantit une protection aux lanceurs d’alerte.

Des observatoires citoyens des finances publiques se sont montés dans diverses villes. Ils réalisent des audits intégraux des budgets, ou se concentrent sur certains dossiers : l’usage des bâtiments publics pour des évènements privés ou les revenus des élus par exemple. « La corruption est liée à une certaine idée de la politique, dit Jaume Asens, adjoint à Barcelone. Nous y incluons le fait de se payer des salaires scandaleusement élevés quand les revenus des gens qui travaillent, ou des retraités, sont si bas. » À Madrid et Barcelone, les maires ont diminué leur revenus de moitié une fois arrivés au pouvoir. « Plus les gens connaissent le système, et y participent, moins la corruption est possible. Il y a une vigilance collective », rapporte un habitant de Valence. « Pour lutter contre la corruption, signer un code de bonne conduite volontaire ne sert à rien », ajoute Jaume Asens. L’élu défend la mise en place d’un véritable système de sanctions en cas de violation de la charte éthique.

Et en France ?

« On voit qu’ailleurs les choses vont beaucoup plus loin. Cela donne du cœur à l’ouvrage à nos élus », observe le maire de Grenoble Eric Piolle. « Faire ensemble permet de dépasser l’angoisse de l’immensité de la tâche. » Le municipalisme a bien évidemment ses limites. Les compétences des villes ne sont pas infinies. Leurs budgets, en matière de transport, d’éducation ou de santé, sont souvent gérés avec d’autres collectivités, régions ou même l’État, dont les majorités politiques ne partagent pas leur point de vue, ce qui restreint leurs marges de manœuvre. Ces élus travaillent aussi souvent dans l’indifférence médiatique, rendant invisible « ce que l’on fait », déplore Iago Martinez, de La Corogne. « Il nous faut réfléchir davantage encore à la souveraineté populaire, comment augmenter son pouvoir au-delà de la démocratie participative. Et ne pas oublier d’analyser nos échecs, prendre soin de ne laisser personne derrière nous, se remettre en cause, toujours », explique-t-il.

Ce mouvement municipaliste tarde à émerger en France, même si de nombreuses communes mènent, sur plusieurs sujets comme la remunicipalisation de la gestion de l’eau, l’accueil des réfugiés ou la mise en place d’une ébauche de démocratie participative, des politiques innovantes. « Le municipalisme est une culture politique hérétique, même pour la gauche », prévient l’Italien Beppe Caccia, qui en appelle à rompre avec « l’idolâtrie de l’État ». « Comment dépasser la temporalité électorale » pour construire un tel mouvement ? », s’interroge Amélie Canonne, venue suivre la rencontre pour Emmaüs International. En France, les élections municipales se dérouleront dans trois ans.

« Nous ne sommes aidés ni par les pouvoirs économiques, ni par les pouvoirs médiatiques, ni par les pouvoirs politiques. C’est pour cela que nous avons besoin d’un réseau », conclut Ada Colau. « Nous devons être les plus ambitieux possibles, chercher des politiques de majorités, gagner les autres à notre cause. N’ayons pas peur de travailler avec ceux qui ne sont pas exactement sur la même ligne, mais qui partagent l’essentiel de nos objectifs. »