Articles du Vendredi : Sélection du 19 février 2016 !

Le gouvernement abandonne l’Ecologie

Hervé Kempf
www.reporterre.net/Le-gouvernement-abandonne-l-Ecologie

Les Parisiens passent au compost

Marine Jobert
www.journaldelenvironnement.net/article/les-parisiens-passent-au-compost,67347

Evasion fiscale : Ikea se fait démonter

Richard Poirot
www.liberation.fr/planete/2016/02/14/evasion-fiscale-ikea-se-fait-demonter_1433278

De Notre-Dame-des-Landes à Roybon, des grands projets créateurs d’emplois ou fauteurs de chômage ?

Thomas Clerget
www.bastamag.net/De-Notre-Dame-des-Landes-a-Roybon-des-grands-projets-createurs-d-emplois-ou

Le gouvernement abandonne l’Ecologie

Hervé Kempf
www.reporterre.net/Le-gouvernement-abandonne-l-Ecologie

En abandonnant le mot Ecologie et en requalifiant le ministère « de l’Environnement », M. Hollande et Mme Royal nous font revenir dans une conception passéiste du monde.

Un changement majeur et signifiant est passé inaperçu dans le brouhaha qui a entouré le remaniement gouvernemental du 11 février. On n’a vu que l’arrivée d’Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale d’un parti qui exprimait nettement son refus de participer au gouvernement. Ladite secrétaire a préféré titre, traitement et voiture avec chauffeur à ce qu’on appelle l’honneur. Mais cette misérable embauche a caché un autre recul de l’écologie, plus grave sur le plan des idées. Car plus que les ministricules, ce sont « les idées qui mènent le monde », comme l’affirmait le philosophe Hegel.

Le ministère de l’Ecologie est subrepticement devenu ministère de l’Environnement.

 

Ce changement de mot reflète un changement de perspective, de philosophie, et en fait une véritable régression. Car les deux mots n’expriment pas la même vision du monde. L’environnement est ce qui entoure l’homme, et se préoccuper de l’environnement est se préoccuper de l’aménager pour qu’il soit favorable à la société humaine, posée en extériorité avec le monde.

L’écologie est la science des relations entre les organismes, et entre ceux-ci et leur milieu. Elle exprime l’idée que l’homme ne peut s’isoler, ne doit pas avoir un rapport uniquement utilitaire avec son environnement, mais rétablir une relation nouvelle avec un monde dont il est un élément essentiel mais pas central.

Se référer à l’écologie plutôt qu’à l’environnement, c’est donc commencer à quitter la conception occidentale de la nature, issue des philosophes Descartes (« nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ») et Bacon, qui a conduit à la crise… écologique planétaire que nous éprouvons en ce début du XXIe siècle. C’est dire que, derrière les indispensables politiques, un changement de comportement collectif est indispensable, qui ne peut venir que d’une mutation culturelle. Pour résumer, l’écologie est le mot de la nouvelle relation au monde, l’environnement celui de l’humain voulant contrôler la biosphère.

En 2002, le ministère de l’Environnement avait changé de nom, l’écologie se substituant à l’environnement. C’était du temps où Jacques Chirac était président, et découvrait la problématique sous l’influence de Nicolas Hulot : on se souvient du discours de Johannesburg (« La maison brûle et nous regardons ailleurs »). En 2007, dans la foulée de la montée de la préoccupation écologique – avec l’alarme lancée par Al Gore, le pacte de Nicolas Hulot, le Grenelle de l’environnement -, le nouveau ministère dirigé par Jean-Louis Borloo était resté le « ministère de l’Ecologie ». Moins de dix ans plus tard, au détour d’une opération politicienne, Mme Royal revient à l’appellation des années 1970, quand ce ministère avait été créé.

 

Y a-t-elle réfléchi sérieusement ? Quand on interroge sa chargée de communication, la réponse est évasive : « La ministre l’a expliqué, c’est parce que l’environnement est plus global, c’est plus compréhensible par le grand public. » Une telle hauteur de vue est pénétrante. A moins que l’analyse de Corinne Lepage soit exacte : « Peut-être s’agit-il de marquer la différenciation avec les écologistes, en un geste politique. » La médiocrité politicienne continuerait donc à gouverner les choix essentiels.

 

Voici donc le ministère de l’Environnement et sa conception vieillotte.

 

Je vous rassure, s’il en était besoin : Reporterre reste « le quotidien de l’écologie », tourné vers l’avenir, vers la mutation culturelle, vers de nouveaux liens entre tous les êtres vivants…

Les Parisiens passent au compost

Marine Jobert
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Epluchures, reliefs de repas, fleurs fanées… Les Parisiens vont bientôt avoir une quatrième poubelle pour y apporter leurs « biodéchets », qui seront ensuite transformés en engrais, en énergie ou en chaleur.

 

Seule la couleur du bac n’a pas été tranchée. Paris se lance dans la collecte des biodéchets des particuliers, qui représentent 17% de la poubelle moyenne d’un ménage parisien (contre environ un tiers pour la moyenne nationale). Une initiative prévue par la loi de transition énergétique pour la croissance verte, qui fixe l’objectif de généralisation du tri à la source de tous les biodéchets dans toutes les collectivités pour 2025. A ce jour, seuls 16% des déchets de la capitale sont recyclés; 84% sont encore incinérés ou enfouis en décharge. Il était donc grand temps pour Paris de se lancer dans une stratégie « zéro déchet ».

 

Deux obstacles réglementaires restent toutefois à dépasser, selon les porteurs du projet. D’abord, une réglementation sanitaire héritée de la crise de la vache folle, qui impose un nettoyage scrupuleux des bacs et véhicules après chaque collecte et la traçabilité intégrale des déchets. « Les États membres ont le droit de supprimer ces contraintes sanitaires pour les simples déchets de cuisine, plaide notamment Mao Peninou, adjoint à la maire de Paris chargé de la propreté, de l’assainissement, de l’organisation et du fonctionnement du Conseil de Paris, dans une tribune parue dans Le Monde. La France peut rejoindre le peloton de tête si le gouvernement fixe une norme sanitaire claire et réaliste au regard des risques sanitaires encourus et des contraintes pratiques ».

 

Ensuite, la délicate question du mode de « transport » des biodéchets entre la cuisine et la benne. « Nous avons besoin de sacs qui pourront avoir la même destination que leur contenu: biodégradation et compostage ». Dans le contexte de suppression des sacs plastique, les élus parisiens demandent une dérogation à l’interdiction des sacs à usage unique pour les sacs biosourcés, biodégradables et compostables. « Leur vocation est triple : emballer des produits pour les ramener chez soi, transporter des biodéchets de la cuisine au local poubelle et participer de la valorisation des biodéchets en se dégradant avec eux. ». Attention, prévient Helder De Oliveira, le directeur de l’observatoire régional des déchets d’Ile-de-France (Ordif), à bien proposer un sac facilement identifiable par tous. « Sinon, il y a risque de confusions ». Et de citer l’exemple de la ville de Milan, qui n’autorise qu’un seul type de sac biodégradable, qui seront compostés avec les biodéchets.

Des composteurs vont être installés dans les parcs et les jardins parisiens. Mais surtout, une quatrième poubelle de tri, destinée à recevoir tous les déchets de table et de cuisine, va bientôt être mise à disposition des ménages. Deux arrondissements sont pour l’instant concernés (2ème et 12ème), avant son élargissement à toute la capitale.

 

Le 2ème arrondissement fait figure de précurseur, puisque les déchets organiques des 12 restaurants scolaires sont, depuis janvier 2015, collectés quotidiennement et acheminés dans une usine de méthanisation, où ils sont transformés en énergie électrique, en chauffage et en compost. En extrapolant les résultats d’une première expérimentation réalisée dans l’arrondissement, on estime que la production annuelle d’énergie issue de ces collectes de biodéchets pourrait correspondre à la couverture de la consommation électrique d’une centaine de foyers pendant une semaine, assure la mairie de Paris.

Evasion fiscale : Ikea se fait démonter

Richard Poirot
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Selon des eurodéputés écologistes, le champion du kit a soustrait à l’impôt «plus d’un milliard d’euros». Les attaques contre les multinationales fraudeuses se multiplient.

 

L’offensive anti-évasion fiscale se poursuit à Bruxelles et à Strasbourg. Les eurodéputés écologistes dénoncent la «stratégie de planification fiscale agressive» du suédois Ikea, numéro 1 mondial de l’ameublement, dans un rapport d’enquête mis en ligne vendredi. Ce rapport, qui s’appuie sur des travaux antérieurs, montre notamment «comment l’entreprise multinationale suédoise s’est structurée pour soustraire à l’impôt plus d’un milliard d’euros ces six dernières années au détriment de divers États européens», selon les élus du groupe Verts-ALE (Alliance libérale écologiste) au Parlement européen. «Ikea a essentiellement utilisé des échappatoires fiscales qu’offrent les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg», écrivent-ils dans un communiqué. Une démonstration que le groupe politique a voulu la plus claire possible, en présentant son rapport sous la forme d’un manuel de montage… Ikea.

 

Dans ce rapport est décrite l’une des techniques privilégiées du groupe, selon les eurodéputés verts : chaque magasin de la chaîne suédoise procède au paiement de redevances à une filiale basée aux Pays-Bas qui joue seulement un rôle de «conduit». Les redevances entrent et sortent des Pays-Bas non taxées et aboutissent en grande partie au Liechtenstein. «Rien que pour l’année 2014», le rapport d’enquête évalue «les pertes fiscales à 35 millions d’euros pour l’Allemagne, 24 millions d’euros pour la France et 7,5 millions d’euros pour la Belgique».

Les élus ont envoyé une lettre à Margrethe Vestager, commissaire européenne à la Concurrence, et à Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques, dans laquelle ils présentent leurs conclusions. Ils les invitent à lancer une procédure d’examen afin de vérifier l’existence d’une possible infraction à la législation européenne sur la concurrence.

Entre 50 et 70 milliards d’euros de manque à gagner

 

De son côté, Ikea se défend de toute optimisation fiscale. Interrogé par l’AFP, le groupe a répondu par mail qu’il payait «ses impôts conformément aux législations nationales et internationales». Tout en se réjouissant «d’échanger» avec l’Europe «sur une harmonisation du système fiscal international», il rappelle qu’au cours de l’exercice financier 2015, «Ikea a payé des impôts pour un montant total de plus de 1,5 milliard d’euros». Il est bon de rappeler également que sur le même exercice financier, le numéro 1 mondial de l’ameublement a enregistré un chiffre d’affaires de 31,9 milliards d’euros.

 

La Commission européenne a pris «bonne note» de ce rapport et «va l’étudier en détail», a promis sa porte-parole. Paroles de courtoisie, mais qui font écho à la déclaration de guerre de Pierre Moscovici, fin janvier. «Les jours sont comptés pour les entreprises qui réduisent abusivement leurs impôts sur le dos des autres», a-t-il prévenu lors de la présentation de son plan de lutte contre l’optimisation fiscale des multinationales. Selon une récente étude du Parlement européen, le manque à gagner serait compris entre 50 et 70 milliards d’euros par an, a rappelé Pierre Moscovici : «C’est de l’argent pris à nos hôpitaux, écoles, transports et tout autre service public vital. C’est inacceptable et nous prenons toutes les mesures qui s’imposent.»

 

Si la fraude est dénoncée depuis des années par de nombreuses études, il aura fallu l’éclatement du scandale LuxLeaks en novembre 2014, mettant en lumière un système d’évasion fiscale à grande échelle des multinationales, Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple) en tête, pour provoquer cette réaction européenne.

 

La première directive présentée par Moscovici concerne l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales des pays de l’Union européenne sur les données comptables des multinationales. Celles-ci seront contraintes de détailler leurs résultats et leur charge fiscale pays par pays.

 

En octobre 2015, la Commission avait fait adopter par les 28 Etats membres le principe de l’échange automatique d’informations sur les accords fiscaux passés entre Etats et multinationales. Quant à la seconde directive, il s’agit tout simplement de taxer les profits dans le pays dans lesquel ils sont générés. En revanche, la question de l’harmonisation fiscale est évitée. Ce que déplore Oxfam, interrogée par Libération après l’annonce du plan européen : «Le fait que les négociations sur ce paquet anti-évasion fiscale se déroulent sous la présidence néerlandaise est plutôt ironique, car les Pays-Bas sont eux-mêmes un paradis fiscal, comme l’affaire Starbucks n’a pas manqué de l’illustrer.» La Commission a accusé Amsterdam d’accorder au géant américain «des avantages fiscaux […] illégaux au regard des règles européennes en matière d’aides d’Etat», permettant par ailleurs à Starbucks de payer très peu d’impôts sur ses bénéfices.

Google dans le viseur

 

François Hollande a dénoncé une situation similaire, jeudi soir lors de son intervention sur France 2 et TF1. A propos du conflit qui oppose taxis et VTC, les premiers accusant les seconds de concurrence déloyale, il a affirmé : «On ne peut pas faire que des gens qui ne paient pas d’impôts ni de cotisations sociales puissent s’introduire sur les marchés.» Une pierre dans le montage fiscal d’Uber, qui a installé son QG européen aux Pays-Bas et échappe également à l’impôt sur les bénéfices en France.

 

Toutes ses mises en garde surviennent au moment où Google est dans le viseur du fisc de plusieurs pays européens. Rome réclame ainsi au géant américain d’internet plus de 200 millions d’euros d’arriérés d’impôts. Londres a passé un accord avec le géant. Il versera 167 millions d’euros d’arriérés d’impôts au Royaume-Uni pour la période de 2005 à 2015 – une somme qui fait polémique car jugée dérisoire non seulement par l’opposition travailliste mais aussi par des responsables du Parti conservateur au pouvoir. En France, le ministre des Finances, Michel Sapin, a récemment estimé qu’un accord de Google avec la France sur ses arriérés d’impôts était «aussi une nécessité». Selon plusieurs sources, la somme réclamée par le fisc français pourrait s’élever à 500 millions d’euros.

 

Concernant le plan présenté par Moscovici, il requiert l’unanimité des 28 Etats membres, comme pour toutes les questions fiscales. L’ancien ministre assure «compter sur le soutien du parlement européen et le soutien des Etats membres». Ironie du sort : ce sont justement les Pays-Bas qui, jusqu’à la fin juin, assurent la présidence de l’Union européenne.

De Notre-Dame-des-Landes à Roybon, des grands projets créateurs d’emplois ou fauteurs de chômage ?

Thomas Clerget
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Les créations d’emploi servent d’argument ultime aux promoteurs des grands projets jugés « inutiles et imposés » par leurs détracteurs. Le nouvel aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, les centres commerciaux géants en Île-de-France, ou encore le Center Parcs de Roybon en Isère, seraient un moyen de lutter contre le chômage. Focalisé sur la quantité d’emplois créés, le débat occulte certaines questions incontournables, comme le devenir des terres agricoles, la qualité et la durabilité des emplois de demain, mais aussi et surtout la pertinence d’un modèle économique à bout de souffle. Basta ! s’est penché sur la réalité des chiffres avancés.

Dans un contexte de chômage de masse, le nombre d’emplois créés est souvent le premier argument dans les plaidoiries des promoteurs de grands projets contestés, qualifiés d’« inutiles et imposés » par leurs opposants. C’est le cas à Notre-Dame-des-Landes, où l’État et son prestataire, le géant du BTP Vinci, tiennent, plus que jamais, à installer un nouvel aéroport. Également en Isère, où Pierre & Vacances projette la construction d’un Center Parcs en pleine zone humide. Ou encore à Gonesse, en région parisienne, cible d’un projet immobilier pharaonique du groupe Auchan. Et en Savoie pour la future ligne à grande vitesse (LGV) entre Lyon et Turin. Face aux critiques et aux coûts exorbitants de ces projets, le nombre d’emplois qu’ils sont censés générer sert souvent d’argument ultime à leurs défenseurs.

 

La taille hors norme de ces infrastructures destinées au transport, au commerce ou aux loisirs de masse facilite il est vrai les effets d’annonce, quitte à revoir les chiffres à la baisse sous le feu des critiques déployées par leurs adversaires, au fur et à mesure que ces derniers s’approprient les dossiers et constituent leur propre expertise. Données artificiellement gonflées, emplois précaires et sous-rémunérés, destruction d’emplois chez les concurrents du même secteur…, de Notre-Dame-des-Landes à Roybon, les subterfuges dénoncés sont nombreux. Et mettent à mal la vision de grandes infrastructures nécessairement favorables au développement économique et à l’emploi. Travail illégal ou emploi de travailleurs détachés très bon marché sont monnaie courante sur ces grands chantiers, comme l’a déjà illustré ce qui s’est produit pour la construction du réacteur nucléaire EPR à Flamanville (lire notre reportage « Comment Bouygues exploite ses salariés du nucléaire »).

À Notre-Dame-des-Landes, un impact incertain sur l’économie locale

Le projet d’installation d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes (NDDL), en Loire-Atlantique, est un cas emblématique. Aéroports du Grand Ouest (AGO), la filiale de Vinci censée construire et exploiter l’aéroport, avance le chiffre de 5,4 millions d’heures de travail mobilisées pour réaliser le chantier. Présenté de cette manière, cela paraît beaucoup. Les opposants ont traduit les chiffres de Vinci en équivalent temps plein : 750 emplois, si l’on estime la durée des travaux à quatre ans. Des emplois provisoires, puisque limités à la durée du chantier, potentiellement précaires et mal rémunérés, d’autant plus si le recours à la sous-traitance ou au travail détaché s’avère important.

Autre facette du débat : l’impact de l’aéroport sur le dynamisme économique de la région. Un argument largement spéculatif, difficile voire impossible à démontrer, comme le reconnaît à demi-mot le rapport de la « commission du dialogue », remis le 9 avril 2013 à Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre [1]. Ce qui est certain, en revanche, c’est que la construction de l’aéroport en plein bocage, sur 1 220 hectares, condamnerait des emplois agricoles. D’après la commission, qui relativise cet impact, 40 exploitations seraient touchées. Le nouvel aéroport aurait également un impact sur l’activité de ceux de Rennes et d’Angers, déjà bien à la peine.

Un aéroport low-cost ?

L’argument des emplois directement créés sur le site du nouvel aéroport peine également à convaincre. « Chaque million de passagers supplémentaire génère en moyenne 600 nouveaux emplois directs », explique volontiers AGO. Ce ratio est calculé à partir du fonctionnement de l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique, qui devra donc fermer. Or, « si le trafic progresse, le nombre d’emplois augmentera, que ce soit à Notre-Dame-des-Landes ou à Nantes-Atlantique », relèvent les opposants. Comme alternative au projet, ces derniers réclament, études à l’appui, une modernisation de l’actuel aéroport, opération selon eux plus adaptée et bien moins coûteuse.

Surtout, les opposants mettent le doigt sur une contradiction épineuse. Censée générer des emplois, la dernière mouture du projet d’aérogare s’avère en fait sous-dimensionnée par rapport à l’infrastructure actuelle. Exemple : tandis que les halls d’arrivées et de départs occupent 4 200 mètres carrés à Nantes-Atlantique, ils s’étaleront sur 2 600 mètres carrés sur le nouvel emplacement. « L’aéroport a été pensé pour réduire le nombre d’emplois, avec moins de passerelles d’embarquement, moins de guichets d’enregistrement, relèvent les opposants. Sa conception le rapproche d’un aéroport low cost. » Pour eux, le nombre d’emplois créés par million de passagers y serait plus proche des 250 que des 600 avancé. Autant d’arguments qui pèseront dans le débat en cas de référendum sur le projet.

À Roybon, emplois précaires et salaires de misère

À Roybon, en Isère, c’est un autre projet d’envergure qui suscite une forte opposition, jusqu’à entraîner la création d’une nouvelle « zone à défendre » (ZAD), depuis fin 2014. En cause ? Le groupe Pierre & Vacances, 1,18 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel, veut y implanter un Center Parc : 200 hectares et 1 000 cottages, au cœur du bois des Avenières, en pleine zone humide (lire notre article « Subventions indécentes, destruction de l’environnement, précarité de l’emploi : un “Center Parc” suscite la colère »). Largement soutenu par la collectivité, à hauteur de 113 millions d’euros d’après les calculs de l’association Pour Chambaran sans Center Parcs (PCSCP), le projet doit entraîner l’embauche de 700 personnes pour faire tourner les installations, dont une bulle tropicale de 9 000 mètres cubes « à 29 degrés toute l’année ».

Sauf qu’une grande partie des emplois s’annoncent précaires et très mal payés. Temps partiel oblige, les 700 embauches équivaudraient à 468 emplois à temps plein, dont 48 % dans le secteur du nettoyage. Une étude est souvent citée par les opposants. Menée en 2011 par l’INSEE Lorraine, elle passe au crible le Center Parc des Trois-Forêts (près de Metz), pionner du genre. « Si le nombre d’emplois créés est important, note l’institut de recherche, un sur quatre est en CDD et, surtout, les salaires offerts sont faibles. […] 60 % touchent le Smic horaire, dont près de la moitié seulement 319 euros par mois, du fait d’un contrat de travail hebdomadaire de neuf heures. […] Au final, seuls 6 % des salariés touchent un salaire supérieur de 20 % au Smic. »

240 000 euros d’argent public par emploi créé

À Roybon, la durabilité des emplois est aussi sujette à caution. La santé financière de Pierre & Vacances, déficitaire sur les quatre dernières années, paraît précaire. Crise oblige, les activités touristiques sont mises à mal par une baisse de la demande. Solution trouvée par l’entreprise : compenser le manque à gagner des activités touristiques par les bénéfices de sa filiale immobilière chargée de la construction et de la revente des cottages à des particuliers ou à des investisseurs qui les relouent ensuite à Pierre & Vacances ! Ce sont les marges réalisées dans l’immobilier, combinées aux généreuses subventions et niches fiscales dont bénéficie le groupe, qui tirent aujourd’hui son activité.

Pour combien de temps encore ? Pierre & Vacances semble engagé dans une fuite en avant : pour compenser le déficit des activités traditionnelles et se maintenir hors de l’eau, le groupe est condamné à une extension de son offre immobilière, c’est-à-dire à la construction de nouveaux Center Parcs. En attendant, à Roybon, suite à l’action des opposants, le projet est provisoirement suspendu. Le 16 juillet 2015, le tribunal administratif de Grenoble a invalidé l’arrêté préfectoral autorisant la destruction de la zone humide. Pierre & Vacances a fait appel de cette décision. Avec 240 000 euros d’argent public pour chaque emploi créé, pas très surprenant ! [2]

Europa City, ou la course au gigantisme

Sur le triangle de Gonesse, dans le Val-d’Oise, c’est le dernier grand espace agricole de la périphérie parisienne qui menace d’être bétonné au nom du développement économique. À l’horizon 2022, Immochan, filiale du groupe Auchan, compte y installer Europa City, un gigantesque complexe de 80 hectares, comptant pas moins de cinq cents boutiques, dix hôtels, un pôle culturel, un cirque, un parc à thème, et même une piste de ski d’intérieur ! Ici, outre les travaux de construction, on promet la bagatelle de 11 500 emplois directs et de 6 000 emplois indirects. De quoi faire saliver de nombreux élus locaux, du député-maire de Gonesse Jean-Pierre Blazy (PS) jusqu’au conseil régional d’Île-de-France.

Le nombre d’emplois créés a-t-il été surestimé par les promoteurs du projet, Immochan et l’Établissement public d’aménagement de la Plaine de France (EPA-PDF) ? Plus que sur les chiffres avancés, le débat porte sur le risque de destruction du tissu économique préexistant. Le projet va-t-il créer des emplois, ou les déplacer en les concentrant sur un site de plus grande taille, augmentant les temps de transport des salariés et des clients ? À ce jour, le projet n’inclut pas d’hypermarché, mais les commerces y occuperont 230 000 mètres carrés. Pour ses partisans, sa vocation internationale et la diversité de son offre, en particulier sur le plan culturel, le positionnent sur un créneau distinct des complexes voisins.

La question est décisive, car, à proximité immédiate de la zone concernée, de grands centres commerciaux se livrent déjà une à concurrence effrénée. À quelques centaines de mètres du triangle de Gonesse, O’Parinor, sur la commune d’Aulnay-sous-Bois, compte déjà 200 boutiques, dont un hypermarché Carrefour. Le complexe a fait peau neuve il y a deux ans, mis sous pression par l’ouverture en 2013 d’un autre grand temple de la consommation, Aéroville, en bordure de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, c’est-à-dire à dix minutes de Gonesse. Bref, dans les parages, bonjour les embouteillages ! Ces grands complexes pourront-ils cohabiter, et leurs emplois, perdurer ?

Les terres et les emplois agricoles, victimes collatérales des grands projets

Dans la famille des grands projets inutiles, la ligne à grande vitesse (LGV) Lyon-Turin est souvent présentée comme la sœur jumelle de Notre-Dame-des-Landes. Pour son ancienneté d’abord : initié par François Mitterrand, le projet remonte au début des années 1990. Mais aussi pour un coût faramineux au regard d’une utilité discutée : au moins 26 milliards d’euros, dont 11 milliards dépensés par l’État français ! Le tout pour gagner une ou deux heures sur un trajet entre Paris et Milan [3]. Au prix, ici encore, d’un « impact important sur l’agriculture », comme le reconnaissait en 2012 une commission d’enquête publique, concluant cependant à l’utilité du projet.

Sur le dossier Lyon-Turin, l’emploi figure pourtant en bonne place dans les arguments utilisés. Louis Besson (PS), ancien maire de Chambéry et grand artisan du projet, promettait 10 000 emplois pour la réalisation des travaux. Un chiffre manifestement peu réaliste : les bénéfices attendus ont depuis été revus à la baisse, autour de 3 000 emplois créés, et même, plus récemment, à 2 000 ! La calculatrice des défenseurs de la LGV a-t-elle connu des ratés ? Pour Daniel Ibanez, opposant historique au projet, il s’agit là encore d’une présentation optimiste : « 2 000 emplois, c’est au plus fort du chantier, c’est-à-dire s’ils construisent quatre ou cinq tronçons en même temps ! »

Les grands projets contre l’emploi ?

De Notre-Dame-des-Landes à Roybon, ces grands projets, au nom de la compétitivité et d’un modèle de développement tourné vers l’international – au mépris de l’impératif de réduction des émissions de CO2 – centralisent les activités sur de grosses infrastructures consommatrices de terres, tout en les concentrant sur un nombre d’opérateurs de plus en plus réduit. L’emploi peut-il en sortir gagnant ? La ferme des Mille Vaches, dans la Somme, constitue le contre-exemple parfait. Véritable usine tournée vers la recherche d’une rentabilité économique optimale, la ferme industrielle doit employer 18 salariés [4], quand un nombre équivalent d’animaux répartis sur plusieurs fermes de plus petite taille ferait vivre environ 40 personnes. Question progrès social et répartition du travail, on a vu mieux !

 

 

Alors, création d’emplois, ou « destruction créatrice » aboutissant à leur réaffectation – en nombre parfois plus restreint – sur des infrastructures générant des emplois intensifs et mal rémunérés ? La technicité du débat sur la création d’emplois dans les grands projets escamote des questions essentielles pour sortir de la crise écologique et sociale : comment protéger les terres et promouvoir une agriculture réellement écologique ? Comment développer des emplois durables et de qualité ? Que voulons-nous produire, et de quelles ressources disposons-nous pour le faire ? Après les promesses de la COP21, c’est la pertinence même de notre modèle de société qui est questionnée par les grands projets inutiles.