Sidération
Hervé Kempf
https://reporterre.net/Sideration
L’OCDE étrille la politique environnementale française
Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/l-ocde-etrille-la-politique-environnementale-francaise,72699
Un prix pour le carbone, sinon rien
Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/un-prix-pour-le-carbone-sinon-rien,72633?xtor=EPR-9
« Personne ne peut dire que les pauvres sont plus sales que les riches »
Entretien avec Denis Blot
https://reporterre.net/Personne-ne-peut-dire-que-les-pauvres-sont-plus-sales-que-les-riches
Sidération
Hervé Kempf
https://reporterre.net/Sideration
Jeudi 14 juillet au soir, vers 22h30, un camion a écrasé des centaines de personnes sur la promenade des Anglais, à Nice.
D’abord, une pensée pour toutes celles et tous ceux fauchés par la mort en un soir d’été qui devait être dédié à la joie. Et notre amitié à leurs familles, avec les mots bien pauvres de la compassion désolée.
Ecore une fois, la folie a frappé. Le désir fou de tuer, de détruire, de purifier, de venger, on ne sait pas. Mais cette folie qui revient, relançant sans défaillir le cycle de la violence et de la haine. On connait déjà les réponses : l’état d’urgence prolongé, la guerre au loin accentuée, la police toujours plus présente, l’inquiétude latente qui va sourdre en permanence dans toutes les actions publiques, comme une maladie qui laisse un répit que l’on sait toujours provisoire.
On se sent démuni quand on tente d’attirer en permanence l’attention vers le cadre plus large du tableau, vers l’autre violence : celle qui nous entraîne tous dans la dégradation de la santé de la biosphère et donc dans l’altération durable des possibilités de vie harmonieuse de l’humanité. Mais l’événement parle et impose sa loi légitime. Et pour l’instant, il nous faut accorder le temps au silence, à la méditation, à l’écoute.
L’OCDE étrille la politique environnementale française
Valéry Laramée de Tannenberg
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Objectifs souvent audacieux. Mais rarement atteints. Telle pourrait être résumée l’évaluation de la politique environnementale française publiée, ce lundi 11 juillet, par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Un mauvais bulletin de note qu’a finalement refusé de recevoir Ségolène Royal qui a finalement délégué Laurence Monnoyer-Smith, Commissaire générale au développement durable.
Voilà 10 ans que l’OCDE ne s’était penchée sur les performances environnementales françaises. Des performances remarquables a priori: «La France s’est fixé des objectifs ambitieux en matière d’environnement, notamment dans les lois Grenelle de 2009 et 2010 et dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015», notent, d’emblée les rapporteurs. Reste à savoir si des moyens ont été mis au service de cette ambition. Ce n’est pas toujours le cas, regrette l’OCDE. L’économie française est certes la plus sobre en carbone des pays membres de l’organisation. Mais elle doit essentiellement sa plus haute place du podium à l’énergie nucléaire, à une consommation en baisse des énergies fossiles (merci la crise!) et à «la désindustrialisation de l’économie», estime l’étude. Ni le développement des énergies renouvelables (beaucoup trop lent) ni les économies d’énergie ne suffisent à expliquer que l’industrie française a réduit de 18% sa consommation de MWh entre 2000 et 2013. Faute de plans contraignants, de gouvernance efficace et d’outils pourtant prévus par la loi, la lutte contre les pollutions atmosphériques est un échec. «Le coût économique de son impact sanitaire est estimé à 2,5% du PIB», comptabilise l’institution parisienne.
Les réformes «Air» de l’OCDE: généraliser les zones à circulation restreinte; expérimenter les péages urbains; appliquer le plan national de réduction des pollutions atmosphériques et le doter d’un échéancier.
Dotée de la plus grande diversité biologique d’Europe, la France peine à préserver ce trésor. «En métropole, trois quarts des habitats d’intérêt communautaire sont dans un état défavorable, sans amélioration notable depuis 2007.» Dans l’Hexagone, une espèce sur cinq est menacée et «la situation est encore plus inquiétante en outre-mer. » Navrant, si l’on garde à l’esprit que les dépenses de protection de la biodiversité et des paysages ont crû de près de 50% depuis 2000.
Les réformes «Biodiversité»: supprimer les aides dommageables à la biodiversité; promouvoir l’agro-écologie.
L’économie circulaire reste un vœu pieux. «Les Français produisent plus de déchets par habitant que la moyenne européenne. Le taux de valorisation a progressé (39% en 2014), mais reste très inférieur à celui de l’Allemagne (65%) ou de la Belgique (50%)». En cause: la possibilité laissée aux producteurs d’enfouir leurs résidus, le manque de sensibilisation des Français, une fiscalité non-incitative au recyclage ou à la moindre production.
Si la France a légèrement réduit son utilisation de fertilisants azotés et phosphorés depuis 15 ans, tel n’est pas le cas des pesticides, dont l’usage a augmenté, «faisant de la France l’un des plus gros consommateurs de produits phytosanitaires du monde», regrette l’OCDE. Alors que le plan Ecophyto prévoyait de réduire de moitié l’usage des «phytos» entre 2008 et 2018, les agriculteurs ont accru de plus de 25% leur consommation de pesticides entre 2008 et 2015. De quoi polluer cours d’eau et nappes phréatiques et empêcher la France d’atteindre (comme d’autres pays membres) l’objectif de bon état des eaux fixé, pour 2015, par la directive-cadre sur l’eau. La fiscalité de l’eau reste, elle aussi, imparfaite. Si le système des redevances «est efficace en terme de recouvrement des coûts de la fourniture de services», il n’incite en rien à l’économie. Ni à éviter que la communauté supporte les externalités «liées aux activités agricoles et économiques.»
Les réformes «transition énergétique»: conditionner les incitations financières aux travaux de rénovation énergétique à l’amélioration de la performance globale des bâtiments; assurer la lisibilité à long terme des soutiens aux énergies renouvelables; inscrire l’évolution de la contribution-climat-énergie dans la loi; aligner les fiscalités de l’essence et du gazole.
La gouvernance environnementale tricolore n’est pas non plus du goût de l’OCDE. Officiellement, stratégies et politiques sont pilotées par le ministère de l’Environnement et mises en œuvre par les collectivités territoriales. «Cependant, la complexité du millefeuille territorial freine la réalisation des objectifs environnementaux et nourrit les revendications de simplification. En effet, le système souffre de doublons de compétences entre l’État et les collectivités locales, d’une articulation peu lisible entre l’État et ses services déconcentrés, mais également entre ces derniers et les services régionaux des agences nationales.» Pas étonnant, dans de telles conditions, que «depuis 2007, le nombre d’infractions à la législation environnementale européenne en France excède systématiquement la moyenne de l’UE.» Pire: «les procédures pénales continuent de dominer les mesures d’exécution, même si les sanctions pénales sont rarement appliquées.»
Les réformes «croissance verte»: Inclure des critères environnementaux dans les marchés publics; généraliser la tarification incitative de la gestion des déchets municipaux; moduler la redevance pour prélèvement selon la rareté de la ressource; reconsidérer l’expérimentation de la taxe poids lourds régionale; simplifier l’évaluation environnementale; réformer le régime d’autorisation environnementale.
Tout comme les changements d’habitudes. Pour nous inciter à réduire notre demande d’énergies fossiles ou de transports individuels, le comité pour la fiscalité écologique (devenu le comité pour l’économie verte) «a fait accepter l’importance de refléter le coût des dommages environnementaux dans les prix.» Terriblement basse (elle représente moins de 2% du PIB, ce qui est inférieure à la moyenne appliquée dans les pays membres), la fiscalité verte française est de moins en moins efficace. Largement assises sur la consommation d’énergie, les taxes environnementales voient baisser leurs recettes (de 12% entre 2000 et 2014), à mesure que s’étiole la demande en carburants routiers.
L’alternative à la voiture et au camion n’est pas encore le chemin de fer. Le projet de schéma national d’infrastructures de 2011 prévoyait bien 174 Md€ d’investissements, sur 25 ans, pour le secteur ferroviaire. On en est loin. Tellement loin, souligne l’OCDE, que «l’insuffisance des investissements dans le réseau ferré classique pourrait menacer sa pérennité.»
Un prix pour le carbone, sinon rien
Valéry Laramée de Tannenberg
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La ministre de l’environnement confirme la mise en place d’un prix plancher des émissions de GES pour les centrales au charbon tricolores.
«Une taxation significative des émissions de gaz carbonique est l’une des réponses les plus pertinentes et les plus efficaces [à la menace que représente le changement climatique], et s’il est clair que pour parer complètement à ce danger c’est le monde entier qui doit s’orienter vers cette décision, il est aussi clair que la France a là un devoir d’initiative, d’anticipation et d’entraînement.»
Voilà bien longtemps qu’une citation de Michel Rocard n’avait introduit un rapport officiel. C’est ce choix malicieux[1] qu’ont pourtant fait les auteurs du rapport Canfin-Grandjean-Mestrallet, remis à Ségolène Royal, ce lundi 11 juillet.
Tarification du carbone
Coordonné par l’ancien ministre Pascal Canfin (directeur général du WWF France), l’ancien patron des experts du débat national sur la transition énergétique, Alain Grandjean, et l’ancien P-DG d’Engie, Gérard Mestrallet, le document résume la position française en matière de tarification du carbone. Ses conclusions avaient été esquissées, il y a un mois, lors d’un colloque parisien.
Pour la partie européenne, «le fonctionnement et la réforme en cours du marché européen du carbone ne sont pas compatibles avec l’accord de Paris, a rappelé Pascal Canfin. Et la seule chance de préserver l’intégrité de la politique climatique communautaire c’est d’ouvrir un corridor de prix du carbone.»
Pour inciter l’industrie lourde à réduire effectivement ses émissions de gaz à effet de serre (GES), le prix du carbone doit être suffisamment incitatif, augmenter progressivement, sans atteindre des sommets infranchissables. Les trois auteurs préconisent l’instauration de ce que les économistes appellent un prix plancher et un prix plafond des quotas de GES européens.
De 20 à 100 €/t
La fourchette serait fixée entre 20 et 30 euros, pour la partie basse et 50 euros pour la partie haute en 2020. Son taux de progression oscillerait entre 5 et 10% par an. Pour atteindre un plancher de 50 euros et un plafond de 100 euros en 2030, détaille Gérard Mestrallet.
La recette a tout pour plaire. «A 20 €, la tonne, les recettes des enchères de quotas atteindraient au moins un milliard d’euros en 2020, contre 315 M€, en 2015. De quoi financer le chèque énergie et le fonds de la transition énergétique», a indiqué la ministre de l’environnement.
L’idée est séduisante, mais elle est loin de faire l’unanimité, notamment en Europe. Pour tenter d’inverser la vapeur carbonique, Paris s’apprête à lancer une initiative. D’abord, en incitant les députés européens à amender, en ce sens, le texte de ratification de l’accord de Paris. Ségolène Royal proposera au président de la Banque mondiale la création d’une initiative de haut niveau pour fixer un prix du carbone désirable au niveau international. Moins incertain: le gouvernement indiquera, d’ici la fin du mois, un prix plancher pour les seules centrales au charbon en fonctionnement sur le territoire national. Il devrait être intégré au projet de loi de finances 2017.
Un détail. Lors de la dernière conférence environnementale, le président de la République avait insisté sur le fait que: «Ce prix plancher donnera plus de visibilité à tous les investisseurs et privilégiera, pour le secteur spécifique de l’électricité, l’utilisation du gaz par rapport au charbon.»
Vrai pour la France. Mais certainement pas pour les centrales au charbon allemandes ou espagnoles qui gagneront en compétitivité ce que la taxation fera perdre à leurs concurrentes tricolores, au charbon mais aussi au gaz. «Cette mesure pénalisera surtout les centrales à gaz françaises», confirmait, au JDLE, Anne Chassagnette, directrice de la responsabilité environnementale et sociétale d’Engie. À moins, bien sûr, que les modalités d’application du dispositif ne pénalise pas trop l’énergie force d’Engie.
[1] La détestation de Michel Rocard par Ségolène Royal est de notoriété publique.
« Personne ne peut dire que les pauvres sont plus sales que les riches »
Entretien avec Denis Blot
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Quel rapport entretenons-nous avec nos déchets et avec l’espace public ? Pourquoi certains lieux paraissent-ils plus sales que d’autres ? Que penser des services de traitement des détritus ? Après un reportage dans les rues de leur ville, les élèves de la terminale ES 2 du lycée Suger de Saint-Denis poursuivent leur enquête en interrogeant Denis Blot, sociologue spécialiste des déchets et maître de conférences à l’université de Picardie – Jules Verne. Cet entretien a été réalisé par des lycéens de Saint-Denis (93), dans le cadre du projet Climat et quartiers populaires.
Les lycéens — Pourquoi certains quartiers sont-ils plus propres que d’autres ?
Denis Blot — C’est une question compliquée, parce qu’un quartier peut paraître propre, mais être en fait sale. Ainsi, les herbes folles qui poussent dans les fissures des trottoirs sont-elles sales ? Les gestionnaires des espaces publics ont pris l’habitude de mettre du désherbant pour se débarrasser de ces herbes folles. Le résultat est propre, et pourtant le désherbant ira salir les cours d’eau et la nappe phréatique. Cet exemple montre que ce qui semble propre ne l’est souvent que parce qu’on a réussi à mettre la saleté ailleurs. Si des bouteilles en plastique et des emballages traînent dans les rues, un bon orage peut les nettoyer. Mais on les retrouvera dans les cours d’eau. Un quartier propre est donc un quartier où l’on produit autant de déchets que partout ailleurs, mais où on dispose simplement de plus de moyens pour les évacuer vers la nature, vers les centres d’enfouissement, vers les incinérateurs. Bref, il n’y a pas de quartiers sales, il y a juste des quartiers moins nettoyés que d’autres.
Ensuite, si on raisonne d’un point de vue global, nettoyer un espace est toujours en salir un autre. Le nettoyage consiste généralement à évacuer des saletés qui sont dans des zones très administrées, très entretenues, très ordonnées (comme les villes et les centres-ville, mais comme nos maisons aussi) vers des zones moins habitées ou habitées par des gens qui n’ont pas le même pouvoir d’agir. On retrouve ainsi des accumulations de déchets dans les zones plus ou moins abandonnées, comme les nœuds routiers (où des gens habitent dans des constructions de fortune ou dans des caravanes), les bords de route en zone périurbaine, mais aussi dans les pays pauvres.
S’il y a plus de déchets dans certains quartiers, c’est que la densité de population est plus élevée, que les services de nettoyage sont moins présents, que la topographie du lieu rend le nettoyage plus difficile (les arbustes en pied d’immeuble sont par exemple bien plus difficiles à nettoyer que les rues avec des trottoirs bien goudronnés), et que les habitants n’ont parfois pas les mêmes habitudes. Les zones où s’accumulent les déchets sont souvent des zones un peu mixtes, c’est-à-dire celles situées entre les espaces privés et l’espace public de la rue : les cages d’escaliers, les espaces « verts » au pied des immeubles, etc. Qui doit nettoyer ces lieux ? Ce genre de zones est bien plus présent dans les quartiers populaires que dans les quartiers chics.
Évidemment, la question de l’organisation du nettoyage est importante. Les centres-ville et les zones d’intérêt touristique sont nettoyés bien plus souvent que les autres lieux.
« Un quartier propre est un quartier où l’on produit autant de déchets que partout ailleurs, mais où on dispose simplement de plus de moyens pour les évacuer vers la nature, vers les centres d’enfouissement, vers les incinérateurs. »
Pourquoi les personnes n’ont-elles pas la même opinion sur la question des déchets ?
Je ne sais pas. Je crois que tout le monde est d’accord pour dire que les déchets sont sales et qu’on ne voudrait plus les voir. La différence vient peut-être d’un désaccord sur la responsabilité des lieux. Qui doit nettoyer ? Certaines personnes considèrent que la propreté urbaine est de la responsabilité des pouvoirs publics et que l’on peut jeter des détritus dans la rue parce qu’il y a des gens qui sont payés pour nettoyer. Étonnamment, ces mêmes gens n’aimeraient pas avoir un emploi de balayeur. Alors, il y a peut-être une question de hiérarchie sociale. Celui qui jette serait dans une situation plus élevée que celui se baisse pour nettoyer…
En revanche, personne ne salit volontairement un lieu qu’il habite. Quelqu’un qui jette un emballage par la portière de sa voiture le fait pour la nettoyer. Le problème est toujours le même : il nettoie sa voiture, mais salit les bords de route. En revanche, il ne fera pas ça dans son jardin, s’il en a un… sauf, bien sûr, s’il a des domestiques pour le nettoyer. Ceux qui jettent dans la rue par la fenêtre de leur appartement nettoient celui-ci. La question est de savoir pourquoi ils n’habitent que leur appartement et pas la rue ou l’espace vert en bas de leur immeuble. Mais aujourd’hui, celui qui jette un vieil ordinateur envoie presque à coup sûr des déchets dangereux vers l’Afrique. Pourquoi habite-t-il chez lui, dans son pays et pas sur la planète ? Pourquoi, nous qui nous sentons propres, nous fichons nous du devenir de nos déchets ? Bref, personne ne gagnera à ce petit jeu dans lequel on cherche à distinguer ceux qui sont propres et ceux qui sont sales.
La différence d’attitude face aux déchets s’explique aussi parfois par des habitudes culturelles. Dans les pays du Maghreb, par exemple, l’intérieur des maisons est extrêmement propre. C’est une question d’honneur. En revanche, on a encore l’habitude de peu se soucier de la propreté de la rue… tant que ça ne déborde pas.
L’Office national des forêts à mené une expérience intéressante. Elle a commencé à supprimer les poubelles que l’on trouvait dans les forêts. Les gens qui faisaient attention n’ont pas changé d’habitude et repartent maintenant avec leurs détritus. Ceux qui les jetaient n’importe où continuent à le faire. Ceux qui les déposaient au pied de la poubelle quand elle était trop pleine ne le font plus, parce qu’il n’y a plus de poubelle. Or, le problème était aussi la dissémination des déchets par le vent et par les animaux. Le résultat est très encourageant, on trouve 40 % de déchets sauvages en moins. La question est celle de l’attribution de la responsabilité de la propreté : cette responsabilité relève-t-elle des usagers et des habitants, ou des gestionnaires ?
« La responsabilité de la propreté relève-t-elle des usagers et des habitants, ou des gestionnaires ? »
Constate-t-on des différences entre classes sociales dans le rapport aux déchets ?
Oui, mais pas forcément celles auxquelles on s’attend. Il y a des éléments dans mes réponses précédentes, mais on peut ajouter que, quand on fait du nettoyage de déchets sauvages, on ramasse des objets qui nous donnent une bonne indication du niveau social de celui qui les a jetés. Et on trouve parfois des emballages de produit de luxe ou des bouteilles d’alcool prestigieux… Attention, on en trouve peu, mais ceux qui consomment des produits de luxe sont aussi bien moins nombreux que les autres — les riches sont bien moins nombreux que les pauvres. Aujourd’hui, personne ne peut dire que les pauvres sont plus sales que les riches.
En revanche, une chose est sûre, les riches ont le pouvoir de rendre invisibles leurs déchets par toutes sortes de moyens. Par exemple, en faisant pression sur les pouvoirs locaux pour que leurs rues soient mieux nettoyées et en employant des pauvres pour traiter leurs déchets. Il faut aussi prendre en compte le fait que les communes riches (c’est-à-dire celles où vivent des riches qui payent des taxes foncières élevées) ont bien plus de moyens pour embaucher des nettoyeurs ou pour payer les services d’une entreprise spécialisée.
Enfin, si on raisonne d’un point de vue global, aujourd’hui, ce sont les riches qui produisent le plus de déchets, même si ces déchets sont peu visibles. Pour paraphraser un titre d’Hervé Kempf, ce sont bien les riches qui détruisent la planète…
« Un service de traitement des déchets bien organisé est un système qui nous fait oublier la responsabilité planétaire que nous avons en produisant des déchets. »
Le service de traitement des déchets est-il assez adapté ?
Je ne saurais le dire. Adapté à quoi ? Il est souvent très bien conçu pour faire disparaître les déchets qui menacent l’ordre public. Les élus locaux sont généralement très sensibles à la question de la propreté urbaine parce qu’ils savent que leur administrés y font attention. Le Liban sort tout juste d’une immense crise des déchets. Le pouvoir était défaillant et les déchets s’accumulaient dans les rues avec les problèmes de salubrité que l’on imagine. De nombreuses manifestations ont eu lieu avec parfois pour slogan adressé au gouvernement : « Vous puez ! »
Cela dit, un service de traitement des déchets bien organisé est un système qui nous fait oublier la responsabilité planétaire que nous avons en produisant des déchets (on peut toujours recycler, il reste toujours des objets dangereux dont on ne sait pas quoi faire). Autrement dit, avec le service de traitement, nous achetons notre tranquillité morale : grâce au nettoyage nous pouvons avoir l’impression d’être propres et ne pas nous poser trop de questions sur ce que deviennent les détritus que nous produisons et sur leur volume.
Propos recueillis par Graigy, Fanida, Jessica, Kenza, Lyza, Maria, Marta, Mohamed, Niouma, Patrice, Safiatou, Samy et Soumia