Articles du Vendredi : Sélection du 12 janvier 2018

New York attaque cinq pétroliers en justice pour leur responsabilité dans le changement climatique

Yona Helaoua
https://reporterre.net/New-York-attaque-cinq-petroliers-en-justice-pour-leur-responsabilite-dans-le

Dans les paradis fiscaux, le blanchiment concerne aussi les mots

Marion Rousset
Le Monde

Bila datozenean

Aiala Elorrieta Agirre @aialuski
www.argia.eus/argia-astekaria/2582/bila-datozenean

«L’impact du climat sur les guerres est déjà constatable»

Sonya Faure et Catherine Calvet
www.liberation.fr/debats/2018/01/10/l-impact-du-climat-sur-les-guerres-est-deja-constatable_1621531

New York attaque cinq pétroliers en justice pour leur responsabilité dans le changement climatique

Yona Helaoua
https://reporterre.net/New-York-attaque-cinq-petroliers-en-justice-pour-leur-responsabilite-dans-le

ExxonMobil, Chevron, BP, Shell et ConocoPhillips, cinq géants pétroliers, sont attaqués en justice par la ville de New York, a annoncé son maire, Bill de Blasio. Qui retire aussi des fonds investis dans les énergies fossiles.

Bill de Blasio, le maire de la plus grande ville des Etats-Unis, a annoncé mercredi 10 janvier que la cité avait porté plainte auprès d’une cour fédérale et demandé des réparations à cinq géants pétroliers : ExxonMobil, Chevron, BP, Shell et ConocoPhillips. Elle leur reproche leur responsabilité dans le changement climatique qui touche son territoire. En 2012, la tempête Sandy avait tué plus de 40 personnes et coûté plus de 42 milliards de dollars à l’État. New York leur demande aussi les milliards nécessaires pour se préparer à la hausse du niveau de la mer, à des tempêtes plus puissantes et à des températures plus élevées. “Alors que le changement climatique continue de s’aggraver, il est de la responsabilité des sociétés actives dans les énergies fossiles, dont la cupidité nous a mis dans cette situation, d’assumer les coûts nécessaires pour rendre la ville de New York plus sûre et plus résiliante”, a expliqué Bill de Blasio.

 « ExxonMobil accueille favorablement toute tentative de répondre au changement climatique, a réagi le groupe pétrolier dans un communiqué. Ce type d’action en justice, (…) contre une industrie qui propose des produits sur lesquels nous nous reposons tous pour faire fonctionner l’économie et vivre au quotidien, n’en est pas une. »

Les associations environnementales, elles, ont salué cette initiative. “New York devient aujourd’hui une capitale de la lutte contre le changement climatique sur cette planète, a déclaré Bill McKibben, co-fondateur de 350.org. Avec ses communautés extrêmement vulnérables à la montée des eaux, la ville nous montre le tempérament pour lequel elle est célèbre : ne pas faire comme si travailler avec les producteurs d’énergies fossiles allait tant bien que mal sauver la situation, mais plutôt s’élever contre ces derniers, sur les marchés financiers et au tribunal.”

L’activiste Naomi Klein a parlé d’annonce “historique” : “A partir d’aujourd’hui, tout le secteur des énergies fossiles est menacé par de fortes dépenses juridiques ainsi que par la fuite montante et globale des investisseurs. Cela signifie que peu importe le nombre de permis que l’administration Trump accordera pour le pétrole ou le charbon, les nouveaux forages feront de moins en moins sens économiquement. C’est une très bonne nouvelle.”

Lors de sa conférence de presse, le maire de New York a par ailleurs annoncé que les fonds de pension de retraite des agents municipaux allaient céder leurs actifs investis dans des sociétés liées aux énergies fossiles. Cela représente environ cinq milliards sur les quelques 190 milliards de dollars d’actifs de ces cinq fonds. La décision n’a toutefois pas un effet immédiat, puisqu’elle doit être soumise à une analyse d’impact et à un examen juridique. Daniel Zarrilli, en charge du climat dans l’équipe de Bill de Blasio, a tempéré les ardeurs de ce dernier en conférence de presse, indiquant que le processus pourrait durer jusqu’à l’année 2022.

Bill de Blasio a souligné que New York était la première grande ville du pays à prendre une telle initiative, qui permet de se “mobiliser pour les générations futures”. “Ces cinq dernières années, les conseils municipaux de plusieurs villes et villages ont décidé de se délester complètement de leurs investissements dans des sociétés actives dans les énergies fossiles”, nuance Brett Fleishman, analyste senior pour l’association écologiste 350.org interrogé par Reporterre, avant de préciser qu’il s’agissait de budgets bien plus faibles qu’à New York.

Retirer les fonds investis dans les énergies fossiles

Le mois dernier, le gouverneur de New York avait lui aussi annoncé qu’il souhaitait que les fonds de pension publics de l’Etat se débarrassent de leurs investissements dans les énergies fossiles. En 2015, le parlement californien avait de son côté voté une loi contraignant les deux principaux fonds de pension publics de l’État à céder leurs actifs liés au charbon seulement. D’autres grandes villes, comme Seattle et San Francisco, ont aussi pris des décisions en ce sens mais ne sont pas encore passées à l’acte. L’organisme qui gère les pensions de retraite de San Francisco doit d’ailleurs voter le 24 janvier pour céder complètement ses actifs liés aux énergies fossiles. Brett Fleishman, de 350.org, s’attend à ce que la mesure soit approuvée.

Selon le comptage de 350.org, il existe désormais plus de 800 institutions dans le monde (administrations, organisations religieuses ou philanthropiques, universités, institutions culturelles, etc.) qui ont fait le choix de ne plus investir dans les énergies fossiles. Cela représente plus de six milliards de dollars qui ont été investis ailleurs. Pour l’instant, Bill de Blasio n’a pas précisé où les fonds new-yorkais seraient re-dirigés. “Mais il a beaucoup parlé de la nécessité d’investir dans le futur des énergies, pas le passé”, relève Brett Fleishman.

Dans les paradis fiscaux, le blanchiment concerne aussi les mots

Marion Rousset
Le Monde

« Trust », « fondation caritative », « filiale dʼentreprise »… Dans le monde de la finance offshore, le vocabulaire sert à dissimuler des réalités peu avouables.

Pour dissimuler des opérations inavouables, les paradis fiscaux ont une arme efficace – le secret bancaire –, qui en cache une autre, non moins redoutable : le secret sémantique. Sur le papier, aucune anomalie économique nʼest à signaler. Les termes employés pour décrire lʼactivité des Bahamas, du Lichtenstein ou du Luxembourg sont des plus standards. Dans ces « Etats » gouvernés par des « lois permissives », les sociétés peuvent faire des « investissements directs à lʼétranger », comme partout ailleurs. On y trouve aussi des « trusts », des « fondations caritatives » et des «filiales dʼentreprises».

Pays crapuleux

Pourtant, « ce lexique emprunté à lʼéconomie réelle ne permet ni de comprendre ni de décrire ce qui a effectivement cours offshore. Il donne aux paradis fiscaux tous les dehors dʼune législation normale, sans jamais laisser paraître quʼil sʼagit de pays crapuleux qui permettent le blanchiment dʼargent », souligne le philosophe canadien Alain Deneault, qui a publié Une escroquerie légalisée, précis sur les « paradis fiscaux » (Ecosociété, 2016).

Pour nʼen donner quʼun exemple, cʼest à une « association caritative » des îles Caïmans qui lui appartient quʼAirbus a cédé sa flotte. A lʼévidence, un tel montage ayant pour seul but dʼéchapper à une taxation nʼa de « caritatif » que le nom. De même, peut-on vraiment parler de « société » à propos dʼune structure sans employés ni production, qui sʼapparente dans les faits à une simple « boîte aux lettres » ? Est-il pertinent dʼutiliser le terme de « trust » pour qualifier une entreprise dont le fondateur, le gestionnaire et le bénéficiaire sont une seule et même personne ? Ou encore dʼ« investissement direct à lʼétranger » quand il ne sʼagit en aucun cas dʼun placement destiné à financer un projet de développement, mais dʼun transfert de fonds vers un paradis fiscal pour contourner les règles de son propre pays ?

Brouiller les pistes

Et que dire des prétendues « lois » des Bermudes ou du Panama qui ne régulent pas la vie sociale sur ces îles, mais neutralisent le droit en vigueur dans les différents Etats du monde ? Au XVIIIe siècle, observe Alain Deneault, « Montesquieu fait de lʼEtat et de la loi lʼinstance autorisée qui permet de surseoir à lʼétat de violence caractérisant la vie des peuples. Une loi est une interruption et un encadrement des libertés quʼoffre la nature aux plus forts. Dans les législations de complaisance, ce quʼon appelle loi cherche précisément à neutraliser ce droit-là ».

Une chose est sûre, la nomenclature des paradis fiscaux vide les mots de leur sens historique – quand elle nʼinvente pas des expressions aussi opaques que special purpose vehicles. Une manière, là encore, de camoufler la vraie nature de ces « véhicules à fins particulières », qui permettent de hisser une simple transaction commerciale au rang dʼentreprise. Cʼest quʼen brouillant les pistes, le langage agit lʼair de rien : « Parce que le vocabulaire est le même dʼune sphère à lʼautre, on conçoit aisément que les fonds puissent et doivent transiter dʼun univers à lʼautre », suggère en effet Alain Deneault. Plus concrètement, ses effets se mesurent à la manière dont il autorise la justice à statuer sur la validité dʼopérations dʼévasion fiscale parce que celles-ci sont – dans leurs termes – en tout point conformes au droit des affaires. Surtout, son efficacité est proportionnelle à sa popularité. « Des fiscalistes et juristes dʼentreprise ont développé, les premiers, ce vocabulaire visant à lʼhabillage dʼactivités illicites ou controversées. Ces mots ont ensuite été repris tels quels par les institutions publiques et aujourdʼhui, journalistes, militants et citoyens y recourent également, soit inconsciemment, soit par souci de se faire comprendre », résume le philosophe. Autrement dit, il ne reste plus quʼà faire évoluer le dictionnaire.

Bila datozenean

Aiala Elorrieta Agirre @aialuski
www.argia.eus/argia-astekaria/2582/bila-datozenean

Honako esaldi honekin –“naziak komunisten bila etorri zirenean, isilik geratu nintzen, ni ez bainintzen komunista”– hasten den diskurtsoak egin zuen ezagun honako beste hau: “Sindikalisten bila etorri zirenean, ez nuen protesta egin, ni ez bainintzen sindikalista”. Bertolt Brecht olerkari alemaniarrari egokitu izan zaizkio sarri hitzok, baina Martin Niemöller teologo protestanteari zor dizkiogu: “Nire bila etorri zirenean, ez zen inor geratzen protesta egiteko”. Hitzaldi hau 1946 urtean Frankfurten eman zuenetik haren bertsio asko idatzi dira. Izan ere, elkartasunaren eta solidaritatearen ereserkia baita.

 

Gurera ekarrita, Diru-Sarrerak Bermatzeko Errenta (DSBE) ezbaian jarri eta murrizketak iragartzen direnean, denon bila datoz, denok baikara zaurgarri eta hauskor. Den-denok gara DSBE prestazioaren onuradun potentzialak, ez bihar, baizik eta gaur.

 

Lan merkatua desarautzera datozen erreformak, ez dira bakarrik soldatapekoen kalterako: erreforma horiek ere denon bila datoz. Outsourcing-aren fenomenoa ikaragarria da: ostalaritza sektorean oso nabarmena da, hoteletan gelak garbitzen lan egiten duten emakumeen kasuan. Geroz eta hotel gehiagok lan hori azpikontratatu eta outsourcing enpresen bitartez eskulan merkea kontratatzen dute. Hotelarentzat zuzenean lan egiten dutenek baino lan baldintza askoz miserableagoak dituzte langile azpikontratatuek; hitz gutxitan, lanordu gehiago soldata murritzagoen truke. Bide batez gainera, hoteleko garbitzaile direnen eta azpikontratatuta daudenen arteko banaketa indartu nahi du formula honek. Geroz eta sektore gehiagotan hedatuz ari da outsourcinga, industria sektorean baita esparru publikoan ere.

 

Diru-Sarrerak Bermatzeko Errenta (DSBE) ezbaian jarri eta murrizketak iragartzen direnean, denon bila datoz, denok baikara zaurgarri eta hauskor. Den-denok gara DSBE prestazioaren onuradun potentzialak, ez bihar, baizik eta gaur

 

Dimentsio askotan banatu nahi gaituzte, sakabanatuta eta ahul nahi gaituztelako. Zure bila datozela sentitzen duzunean, zeu bakarrik egon zaitezen. Edo akaso, zu zeu ere ez. Gu-a apurtzeaz gain, ni-a bera ere apurtzera baitatoz. Komunikabideetan nagusi diren titularrak irakurtzea besterik ez dago. “Kontsumitzaileen %60k gehiegi gastatzen duela onartzen du”. Ematen du gizartean badaudela pertsona batzuk, “kontsumitzaile” direnak, eta besterik ez direnak. “Osasun zerbitzuen erabiltzaileen artean inkesta bat egin da” gisako albisteetan berriz, iradokitzen zaigu, gizartean badirela beste pertsona batzuk, aurrekoekiko zeharo desberdinak, “osasun zerbitzuen erabiltzaile” huts direnak. “Gurasoen elkarteek adierazi dute” irakurtzean, beste pertsona batzuk irudikatzen ditugu, ezberdinak hauek ere, “guraso” baino ez direnak.

 

Zergak ordaintzen dituztenak ere  ezberdinak dira, beste pertsona batzuk dira. Horrela azaldu zidan behin solaskide batek, haserre. “Errekontxo! Neu naiz eta guzti hori! Neu naiz kontsumitzaile, eta guraso, eta osasun zerbitzuen erabiltzaile eta zergak ordaintzen dituena! Eta pertsona ezberdinak izango bagina bezala azaltzen gaituzte komunikabideetan!”. Eta orduantxe irudikatu nuen nik laborategiko mahai batean etzanda gorpu bat disekzionatuta. Geldi eta isilik, hilotz.

 

Atomo hitzak zatiezina esan nahi du greko klasikoan. Horregatik euskaraz eta mendebaldeko hainbat hizkuntzatan, fisikaren esparruan erabili ohi dugu partikula zatiezin mikroskopikoa izendatzeko. Greko modernoan pertsona izendatzeko ere balio du atomo hitzak gaur egun: pertsonak partitu ezinak garelako. Jendartea adierazteko ostera kinonia esaten dute grekoek. Izan ere, kinos hitzak “komuna” esan nahi du, denena. Ondokoaren bila datozenean, denon bila datoz.

«L’impact du climat sur les guerres est déjà constatable»

Sonya Faure et Catherine Calvet
www.liberation.fr/debats/2018/01/10/l-impact-du-climat-sur-les-guerres-est-deja-constatable_1621531

Selon Jean-Michel Valantin, chercheur en stratégie, le changement climatique engendre déjà des effets géostratégiques cruciaux. Paradoxe: les grandes puissances ne sont pas forcément les mieux préparées.

Jean-Michel Valantin est chercheur en études stratégiques. Il contribue régulièrement au think tank, The Red (Team) Analysis Society. Dans son livre, Géopolitique d’une planète déréglée (Seuil), il montre comment «l’anthropocène», cette nouvelle ère dans laquelle nous serions rentrés où l’activité humaine transforme la planète, bouleverse la géopolitique mondiale et la notion même de guerre.

Nous sommes entrés dans une nouvelle ère géopolitique et stratégique, dites-vous. Pourquoi ?

Nous sommes dans une séquence dominée par la combinaison des effets de plus en plus importants du changement climatique et de la compétition internationale pour les ressources. Cette modification des conditions géophysiques fondamentales de notre existence a déjà des effets géopolitiques majeurs.

Même la guerre en est changée…

Le lien entre la lutte pour les ressources et le déclenchement de conflits n’est pas nouveau. Ce qui est récent, en revanche, c’est que de grands conflits se déclarent aujourd’hui à propos de ressources énergétiques dont dépend toute l’existence collective. Ainsi, la guerre d’Irak, menée par George Bush Jr., a littéralement été une tentative de repousser «les limites de la croissance», pour reprendre le titre du fameux rapport Meadows de 1972, pour sauvegarder le modèle sociétal américain qui repose sur les hydrocarbures. Cette guerre a visé à rendre possible le retour du pétrole irakien sur le marché mondial afin de soutenir la croissance. Or, le modèle de croissance actuel altère les conditions planétaires dont il dépend, altération qui risque de déclencher de nouveaux conflits.

Les guerres climatiques ont déjà commencé ?

L’impact du climat sur les guerres est déjà constatable. Mais la guerre, pour reprendre la formule de Clausewitz, n’est jamais que la continuation de la politique par d’autres moyens. L’exemple de la Syrie est éclairant : une énorme sécheresse se déclare en 2006. Les récoltes s’effondrent, le bétail meurt, ce qui entraîne un afflux vers les villes syriennes qui ne sont pas prêtes à recevoir un tel exode. La population mobilisable pour différents modes de contestation augmente, principalement des jeunes et une classe moyenne qui a peur d’avoir faim.

Cet enchaînement m’a interrogé : habituée aux grandes chaleurs, la Syrie aurait pu développer une certaine résilience face à la sécheresse… Or, en réalité, depuis le milieu des années 90, le gouvernement avait encouragé les agriculteurs à développer la culture du coton, très coûteuse en eau, pour l’exportation. Quand la sécheresse arrive en 2006, les nappes phréatiques sont presque vides, et le pays n’a plus les moyens d’y résister. On voit bien comment des altérations écologiques mettent sous tension les Etats.

A quand remonte cette révolution stratégique ?

La révolution industrielle marque le début de l’altération du climat. Dès le départ, elle induit une révolution militaire, qui aura elle-même des effets géopolitiques immenses. La guerre se transforme, ainsi que l’échelle des conflits. La guerre mobilise la science et soutient l’émergence de l’industrie pour produire des fusils, de la poudre à mousquet ou des explosifs. Aux Etats-Unis, à partir de 1862, la guerre de Sécession correspond à l’utilisation de la puissance industrielle du nord des Etats-Unis contre le sud agraire et esclavagiste. Au début du XXe siècle, les armées modernes sont industrialisées. C’est ce que j’appelle «l’hybridation militaire», un processus d’intrication de l’industrie, de la guerre et de la transformation géologique.

 

 

Ce processus s’accélère durant le XXsiècle…

Tout le monde est surpris par l’ampleur de la Première Guerre mondiale quand elle arrive, elle était pourtant prévisible. Le taux de mortalité devient proprement industriel, tout comme la production d’armements. On peut parler d’une industrialisation des ressources humaines au service de la guerre, ainsi que de l’environnement. Ainsi, lors de la bataille d’Ypres en 1915, qui marque un tournant : pour la première fois, les Allemands lancent, à grande échelle, des gaz toxiques sur les tranchées françaises. La guerre devient atmosphérique. On ne s’en prend plus seulement aux corps, mais à leur environnement, qui est ainsi «militarisé» de façon industrielle. Cette logique sera rendue plus extrême encore avec la Seconde Guerre mondiale et Hiroshima.

On parle souvent de l’immobilisme de nos sociétés face au défi climatique et à la compétition pour les ressources. Mais certains Etats ont su adapter leurs stratégies géopolitiques à une vitesse étonnante…

Les autorités russes ont parfaitement saisi l’opportunité stratégique que représentait pour elles le réchauffement de l’Arctique et la fonte des glaces. Ils ont ouvert une route commerciale, la «route maritime du Nord», qui longe la Sibérie et qui relie l’Asie à l’Europe. En évitant Malacca ou Suez, les cargos chinois vont gagner trois semaines de voyage. Cette nouvelle «frontière» du Nord traverse de surcroît une zone qui, en se réchauffant, rend accessible de nouvelles ressources en gaz et enhydrocarbures. D’un point de vue un peu paradoxal, la Russie apparaît comme un pays qui s’adapte particulièrement bien au changement climatique et va devenir une grande puissance pétrolière et gazière. La Chine a également réussi à mettre en place un accès aux ressources dont elle a besoin pour son développement grâce à une politique commerciale d’envergure planétaire : c’est la «Nouvelle Route de la soie», qui sillonne l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Et ce, non pas dans une volonté hégémonique, mais pour attirer à elle les ressources nécessaires à son développement économique et social.

Curieusement, ce ne sont pas toujours les plus grandes puissances les mieux préparées. Pourquoi ?

C’est ce qui m’a le plus surpris. Prenons le cas du «Janus américain». L’exécutif du pays est ouvertement climatosceptique. Mais le Pentagone, lui, est totalement impliqué. Cela fait vingt ans que les militaires américains font des recherches sur les conséquences de ce changement climatique, qu’ils expérimentent des solutions, y compris sur les champs de batailles irakiens ! Ils tentent, depuis longtemps, d’anticiper les conflits liés à ces bouleversements écologiques. Il faut entendre l’audition du général James Mattis, devant le Sénat, pour le poste de secrétaire d’Etat à la Défense. Ce militaire de carrière consacre vingt minutes à expliquer aux sénateurs américains que non seulement le réchauffement climatique est déjà là mais qu’il est également l’œuvre des humains. L’armée sait très bien que le danger géopolitique est imminent et qu’il faut s’en occuper très vite. Les Etats-Unis sont hypervulnérables à l’offensive climatique. Selon l’institut Ceres, l’ensemble des catastrophes naturelles aux Etats-Unis s’élevaient à 3 milliards par an dans les années 80, et à 50 milliards par an à partir de 2011.

Et l’Europe ?

Elle est depuis longtemps moteur sur la mobilisation climatique, soutient les politiques d’atténuation du réchauffement, comme l’a montré le discours extrêmement volontariste et européen du président Macron (Paris, 12 décembre). L’Europe est très engagée au niveau de la recherche. Les négociations internationales sur le climat cherchent, elles, à faire émerger une entité particulière : celle de l’humanité en tant qu’acteur politique. L’entreprise n’est pas évidente mais les choses avancent. Des accords existent, même s’ils font l’objet de débat.

Il y a donc encore de l’espoir ?

A chaque fois que les Etats ont été confrontés à des situations stratégiques potentiellement tragiques il y a eu une mobilisation générale : les Américains, les Britanniques et l’URSS de Staline ont su s’allier pour faire face à Hitler. Souvenons-nous aussi de la guerre froide : nous découvrions que la guerre nucléaire risquait de tous nous anéantir. Un énorme travail diplomatique et politique s’est mis en place pour éloigner ce risque. Je pense qu’on finit toujours par trouver des acteurs mobilisés face au danger.

Certains désordres provoqués par la mondialisation peuvent même avoir des effets paradoxaux sur l’environnement…

Au large de la Somalie, la pêche intensive, menée notamment par les grandes flottes industrielles, a d’abord conduit à un appauvrissement des pêcheurs somaliens qui n’avaient plus de travail et plus rien à manger, alors que le pays s’effondrait dans la guerre civile et la famine. Certains sont devenus pirates. Il ne faut pas voir cette piraterie comme un anachronisme mais, au contraire, comme une forme d’adaptation très moderne à une situation d’effondrement de l’Etat. Elle a pris une telle ampleur que la pêche industrielle a disparu pendant un temps de la région. C’est ainsi que l’environnement marin a pu se reconstituer : les eaux somaliennes sont aujourd’hui de nouveau poissonneuses.