Articles du Vendredi : Sélection du 11 mars 2016

La Commission européenne pulvérise un engagement-clef de la COP21 !

axime Combes, économiste et membre d’Attac France
https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/030316/la-commission-europeenne-pulverise-un-engagement-clef-de-la-cop21

Exclusif – L’ex-Premier ministre du Japon, Naoto Kan, raconte la catastrophe de Fukushima

Entretien d’Hervé Kempf avec Naoto Kan , publié le 10 juin 2014
http://reporterre.net/Exclusif-L-ex-Premier-ministre-du-Japon-Naoto-Kan-raconte-la-catastrophe-de

« Pour que la démocratie fonctionne, il faut que les gens s’en emparent »

Entretien de Barnabé Binctin avec Cyril Dion
http://reporterre.net/Pour-que-la-democratie-fonctionne-il-faut-que-les-gens-s-en-emparent

La Commission européenne pulvérise un engagement-clef de la COP21 !

axime Combes, économiste et membre d’Attac France
https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/030316/la-commission-europeenne-pulverise-un-engagement-clef-de-la-cop21

Dans une communication publiée mercredi, la Commission européenne refuse de se donner plus d’ambition d’ici à 2030 et institutionnalise la procrastination à l’échelle mondiale. En repoussant à demain ce qu’elle ne veut pas faire aujourd’hui, elle pulvérise l’objectif des 2°C de réchauffement maximal. Choquant et criminel.

 

Un statu quo synonyme de capitulation climatique

En clôture de la COP21, même les plus enthousiastes des commentateurs avaient reconnu que les « contributions » des Etats étaient insuffisantes, conduisant la planète vers un réchauffement climatique supérieur à 3°C. Mais l’essentiel n’était pas là, nous avaient-ils assuré. L’important était que les Etats se soient engagés à revoir leurs contributions à la hausse dans des délais relativement courts (2018, 2020 ou 2023 selon les commentateurs) ! En acceptant ce principe, nous a-t-il été dit, les Etats ont ouvert la possibilité de revenir en dessous des 2°C fatidiques. Le discours final de François Hollande, promettant de « réviser au plus tard en 2020 les engagements de réduction d’émissions de gaz à effet de serre » de la France, était pris en exemple de cette bonne volonté.

Patatras. Dans sa communication intitulée « la voie après Paris », la Commission européenne balaie d’un revers de la main cette jolie petite histoire qui nous a été racontée, avec plus ou moins d’emphase, depuis le 12 décembre dernier. La Commission estime que l’objectif dont l’UE s’est doté, à savoir une réduction de 40% des émissions de GES d’ici à 2030, est largement suffisant puisque « basé sur des projections mondiales qui sont en ligne avec l’ambition à moyen terme de l’Accord de Paris ». Pour la Commission, l’UE doit donc se limiter à « mettre en œuvre le paquet énergie climat 2030 tel que validé par le Conseil européen ». Rien de plus. Pas question de soumettre auprès de l’ONU une contribution plus ambitieuse d’ici à 2020. La Commission ne laisse même pas cette option ouverte, à la discrétion des ministres de l’environnement ou du Conseil des chefs d’Etat et de gouvernment. Pour la Commission, revoir à la hausse l’ambition des objectifs que l’UE s’est fixée ne fait simplement pas partie des options possibles. La promesse de François Hollande du 12 décembre dernier est déjà à ranger aux oubliettes de l’histoire (la contribution française n’est rien d’autre que la déclinaison nationale des objectifs fixés au niveau européen).

 

Une proposition irresponsable qui nie les données scientifiques

En osant affirmer que les objectifs fixés sont suffisants, la Commission européenne fait basculer la politique de l’UE dans le déni climatique et le négationnisme scientifique. Les données scientifiques dont nous disposons, notamment celles réunies par le GIEC, sont claires : l’UE, tout comme les autres puissances économiques de la planète, est invitée à s’orienter le plus rapidement possible vers une décarbonisation complète de son économie. Les objectifs fixés ne le permettent pas : un objectif de 40% de réduction d’émissions d’ici à 2030 revient à une réduction effective d’à peine 33 % compte tenu des surplus considérables de quotas existant sur le marché carbone européen.

Un si faible objectif revient également à repousser à l’après 2030 l’essentiel des efforts à mener pour obtenir une réduction de 80 % des émissions en 2050 par rapport à 1990 – le minimum exigible de l’UE selon les données du GIEC. A supposer que l’objectif de – 40 % d’ici à 2030 soit atteint, il faudrait encore diviser quasiment par trois les émissions de l’UE entre 2030 et 2050. Ce qui revient à planifier une diminution de 5 % par an de 2030 à 2050 – ce que personne ne sait faire et ne peut garantir – alors qu’un effort continu dans le temps permettrait de tabler sur un taux de réduction d’émissions plus raisonnable de 2,5 % par an : pour 2030, le taux planifié est d’à peine 1,3 % par an.

En visant trop bas, on rate sa cible !

Pour le climatologue Kevin Anderson du Tyndall Centre for Climate Change Research, un si faible objectif pour 2030 montre que l’UE s’affranchit du budget carbone que le GIEC lui a assigné pour rester en deçà des 2°C. Cela revient à donner la priorité à « l’opportunisme politique au détriment de l’intégrité scientifique », écrivait-il dans une lettre ouverte rendue publique en octobre 2014. C’est au nom de cette intégrité scientifique que la majorité des ONG en Europe réclament de l’UE un objectif minimal de 55% de réduction d’émission de GES d’ici à 2030. C’est donc en toute connaissance de cause, hypothéquant de fait les objectifs assignés par l’Accord de Paris, que la Commission refuse de revoir ses objectifs à la hausse.

 

Procrastination institutionnalisée pour de nouveaux crimes climatiques

Ce statu quo voulu par la Commission européenne dynamite le story-telling construit autour de la COP21. Alors que l’Accord de Paris « note avec préoccupation que les niveaux d’émission globales de GES en 2025 et 2030 estimés sur la base des contributions prévues déterminées au niveau national ne sont pas compatibles avec les scénarios au moindre coût prévoyant une hausse de la température de 2°C » (point 2.17 de la décision), la Commission européenne institutionnalise la procrastination : elle repousse à plus tard ce qui devrait être fait aujourd’hui. Elle invite ainsi tous les grands pollueurs de la planète, des Etats-Unis à la Chine, à faire de même ! Bravo l’exemple !

Or, en matière de dérèglements climatiques, l’important n’est pas le niveau d’émissions une année donnée, mais l’accumulation des GES dans l’atmosphère au cours des années. Pour le dire autrement, l’important n’est pas tant de savoir quel sera le niveau d’émissions en 2050 que de connaître le chemin qui sera emprunté. Plus les émissions sont réduites fortement en début de période, plus le montant d’émissions accumulées dans l’atmosphère est faible. Plus on attend la fin de période pour réduire les émissions, plus le montant accumulé sera important. En repoussant à l’après 2030 l’essentiel des efforts, la Commission européenne maximise la quantité totale d’émissions que l’UE va accumuler dans l’atmosphère au cours de la période 2020-2050. Et elle invite tous les grands pollueurs de la planète à en faire autant.

Au final, le résultat est connu d’avance. On ne compte plus les rapports et études qui le montrent avec clarté : ce sont les populations les plus démunies, celles qui sont le moins à-même de faire face aux dérèglements climatiques – et qui n’en sont pas à l’origine – qui paieront le prix fort de l’inertie des politiques climatiques européennes et mondiales. C’est donc en toute connaissance de cause que la Commission européenne planifie ce qui s’apparente à de nouveaux crimes climatiques.

C’est inadmissible et intolérable que des telles propositions soient faites en notre nom. Au nom des populations européennes.

Les ministres européens de l’Environnement avaient la possibilité de modifier l’orientation de cette communication lors de leur réunion de ce vendredi 4 mars : si certains se sont exprimés en faveur de plus d’ambition, la manjorité d’entre eux n’a rien dit à ce sujet. A commencer par Ségolène Royal.

Les Chefs d’Etat et de gouvernement des Etats-membres auront une nouvelle possibilité d’inverser la tendance lors du Conseil européen des 17 et 18 mars.

Le story-telling de la COP21 ne va plus fonctionner très longtemps. Le voile va se lever sur la sincérité des paroles prononcées à Paris. François Hollande voulait que la COP21 pose les jalons de la « révolution climatique ». Si révolution climatique il doit y avoir, c’est à Bruxelles qu’elle doit débuter.

François Hollande et Ségolène Royal ne pourront pas, cette fois-ci, se retrancher derrière de beaux discours – ni derrière la mauvaise volonté de la Pologne. Des actes, il n’y a que cela qui compte.

 

PS : je vous passe les autres inepties contenues dans la contribution de la Commission européenne. Signalons tout de même :

  1. l’erreur consistant à dire que 98% des émissions mondiales sont couvertes par l’accord de Paris alors qu’au bas-mot 10% des émissions mondiales ne le sont pas, puisque les émissions liées au secteur de l’aviation civile, du transport maritime et des armées ne sont pas assignées aux Etats et ne sont donc pas couvertes par l’Accord de Paris.
  2. l’importance donnée aux enjeux de compétitivité, de croissance, d’investissements et de marchés des capitaux, au détriment des politiques de sobriété et d’efficacité énergétiques ;

PPS : les journalistes et commentateurs, y compris ici sur Médiapart, qui ont expliqué que fixer un objectif de long terme à 1,5°C permettait de « consacrer l’idéal du dépassement des intérêts nationaux particuliers et de court terme » vont-ils revoir leur jugement ? 😉

Exclusif – L’ex-Premier ministre du Japon, Naoto Kan, raconte la catastrophe de Fukushima

Entretien d’Hervé Kempf avec Naoto Kan , publié le 10 juin 2014
http://reporterre.net/Exclusif-L-ex-Premier-ministre-du-Japon-Naoto-Kan-raconte-la-catastrophe-de

Premier ministre au moment de Fukushima, Naoto Kan était en première ligne pour gérer la catastrophe nucléaire. Il raconte comment il a pensé évacuer Tokyo, son bras de fer avec la compagnie Tepco, qui cachait l’information, les décisions qu’il a prises pour éviter le pire. Entretien exclusif. Dans le cadre du film que le réalisateur Jean-Paul Jaud prépare sur la transition énergétique, Libres !, nous avons rencontré Naoto Kan, qui était premier ministre du Japon au moment de la catastrophe de Fukushima en mars 2011. M. Kan n’avait encore jamais raconté en français les heures dramatiques qu’il avait vécues. Il décrit précisément ce à quoi le peuple japonais a échappé, si le péril avait atteint Tokyo.

 

Reporterre – Comment avez-vous vécu l’accident de Fukushima en tant que premier responsable du Japon à ce moment-là ?

Naoto Kan – C’est le 11 mars 2011 à 5 h 46 que le grand séisme a eu lieu. A ce moment, j’étais au Parlement, à la Commission des comptes, et je répondais aux questions des parlementaires. Il y avait de grands lustres, qui ont commencé à bouger. J’étais très inquiet à l’idée que les lustres pourraient tomber sur les membres de la Commission. J’ai eu l’impression que ça durait très longtemps, mais en fait, ça n’a dû durer que trois ou quatre minutes, et le président de la Commission a levé la session. A côté du Parlement, il y a le bâtiment du Premier ministre, et au sous-sol de celui-ci, un centre de gestion des crises. Il y avait déjà pas mal de gens réunis là. On nous a annoncé l’intensité du séisme, et la probabilité qu’un tsunami arriverait bientôt.

En ce qui concerne les centrales, on nous a dit que tout s’était arrêté automatiquement et qu’il n’y avait pas de problème. Je me souviens que, quand j’ai entendu cette nouvelle, j’étais soulagé. Mais quarante ou cinquante minutes après, on nous a appris que le système électrique de la centrale de Fukushima Daiichi était perdu, et que le système de refroidissement ne marchait plus.

Quand je l’ai appris, un frisson très froid m’a parcouru le dos. Je ne suis pas spécialiste du nucléaire, mais à l’université, j’ai fait des études de physique et je connais un certain nombre de choses. Si la perte d’électricité et du système de refroidissement continuait, je savais qu’on allait vers la fusion du cœur du réacteur. Aujourd’hui, on sait que quatre heures après le séisme, la fusion du cœur avait commencé dans le premier réacteur. Le lendemain, le premier réacteur a fait une explosion d’hydrogène, le 14 mars, le réacteur n°3, et le 15 mars, l’enceinte de confinement du réacteur n°2 a été abimée. Le même jour, le réacteur n°4 a subi une explosion d’hydrogène.

Durant les cent heures après le séisme, certains de ces réacteurs ont vu leur cœur fondre, d’autres subir une explosion d’hydrogène, ca ne s’était jamais vu dans le monde. Le combustible fondu a pénétré le fond de la cuve en acier, puis au fond de l’enceinte de confinement. Si ces combustibles fondus avaient traversé le fond de la cuve de béton, cela aurait entrainé le syndrome chinois [pénétration dans la croûte terrestre et contamination de la nappe phréatique], on n’aurait pas pu continuer à vivre à Tokyo.

Sur le moment, aviez-vous une information sur ce qui se passait aussi exacte que maintenant ?

A ce moment, on n’avait aucune information exacte sur l’état de la centrale. En ce qui concerne le premier réacteur, à dix heures du soir le 11, on nous disait, ‘ça va, il y a encore de l’eau, pas de problème’. La jauge de hauteur de l’eau était déréglée, et donnait une mauvaise information. Mais il n’y avait pas que les dérèglements des appareils.

Quoi d’autre ?

D’abord, des appareils qui ne fonctionnaient plus du fait de la perte d’électricité. Ensuite, les informations auraient dû être transmises au siège de Tepco à Tokyo, puis nous être communiquées. Mais cette communication ne s’est pas bien faite, et je n’étais pas correctement informé.

La troisième raison est que le siège de Tepco à Tokyo ne transmettait pas les informations qui les ennuyaient, ils ne transmettaient que les informations qui ne les mettaient pas en cause. Par exemple, la centrale de Fukushima Daichi et le siège de Tepco communiquaient par video-téléphone, mais même encore maintenant, ils n’ont pas publié ces images sauf une petite partie. Quand on leur demande pourquoi, ils répondent que c’est pour une question de droit privé ; c’est une réponse absurde, aberrante. Tepco a tendance à cacher les choses qui la gênent.

Dès le 12 mars, vous avez été au-dessus de la centrale en hélicoptère. C’était pour vous rendre compte par vous-même ?

A ce moment, la pression dans l’enceinte de confinement ne cessait d’augmenter, et Tepco nous a dit qu’on devrait faire fonctionner le système de ventilation. J’ai dit : d’accord. Mais cinq heures après, la ventilation n’était pas encore commencé. Je n’arrivais pas à obtenir une explication de la part de Tepco. Puisque la communication était si mauvaise avec le siège de Tepco, je me suis dit qu’il me fallait une discussion directe avec les responsables de la centrale. Alors j’ai décidé de partir très tôt le 12 mars en hélicoptère.

En fait, vous avez pris la responsabilité des opérations, parce que Tepco ne le faisait pas bien.

Oui, mais il y a une autre raison. En cas d’accident grave, le responsable du centre de crise est automatiquement le premier ministre. S’il est nécessaire de décider une évacuation, c’est le premier ministre qui doit en décider. Si je ne disposais pas d’information précises et exactes, je pouvais prendre des décisions dangereuses. Donc il me fallait des informations directes.

Vous avez eu l’angoisse que Tokyo soit recouverte d’un nuage radioactif. Qu’avez-vous pensé à ce moment-là ?

C’était la question qui me préoccupait le plus. Jusqu’où cet accident irait-il, quand s’arrêterait-il ? Quand j’étais seul, je ne pensais qu’à ça. Je me suis rappelé l’accident de Tchernobyl : dans ce cas, il n’y avait qu’un réacteur. A Fukushima, on avait quatre réacteurs accidentés, et les piscines de combustible – et même, si l’on tient compte de la centrale de Fukushima Daini, de dix réacteurs concernés – que pouvait-il se passer ? Si on ne pouvait pas contrôler ces réacteurs et leurs piscines, la quantité de matériel radioactif aurait pu être dix fois plus importante qu’à Tchernobyl, voire davantage encore. Si cela était arrivé, ce n’est pas seulement Tokyo, mais toute l’agglomération et la région du nord-est qu’il aurait fallu évacuer. Cette crainte, je l’ai eu très tôt. J’ai demandé au président de la Commission de l’énergie atomique japonaise d’étudier le pire scénario de l’accident. Son rapport disait qu’il faudrait évacuer le territoire dans un rayon de 250 km autour de la centrale, y compris Tokyo, soit cinquante millions de personnes.

Le pire scénario…

Exactement.

Vous vous dites : qu’est-ce que je vais faire ?

Il faut absolument empêcher cette catastrophe, même si on met en danger notre vie, sinon le Japon n’existerait plus en tant que nation pendant plusieurs décennies. Ce serait le chaos. Il fallait empêcher cette catastrophe. Il n’y a que la guerre qui puisse faire autant de dégâts qu’un tel accident.

En fait, on a eu une chance énorme : le nuage radioactif est parti vers le nord-ouest, plutôt que vers Tokyo et le sud-ouest ?

Oui, mais, si Tepco avait retiré tous les techniciens et abandonné les réacteurs, les matériaux radioactifs auraient été libres de se répandre, c’est ce que nous disait le rapport.

Il a fallu maintenir le personnel sur place ?

Tepco voulait retirer les techniciens. J’ai demandé de les maintenir jusqu’au bout pour maintenir le contrôle autant que possible. Je me suis déplacé au siège de la compagnie le 15 mars pour leur dire de ne pas abandonner la centrale.

Le peuple japonais a-t-il pris conscience qu’avec cet accident, le pays est passé au bord du chaos ?

Pendant les cinq jours qui ont suivi, je pensais à ce scénario d’évacuation de Tokyo, mais je ne le disais pas publiquement. Je retenais cette idée dans ma tête. Ce rapport du président de la Commission de l’énergie atomique est venu alors que la situation s’était à peu près stabilisée, et je ne l’ai pas rendu public à ce moment. Il ne l’a été que bien plus tard.

Comment expliquez-vous que les électeurs aient mis au pouvoir, en décembre 2012, un candidat favorable à l’énergie nucléaire, Shinzo Abe ?

L’opinion publique reste majoritairement favorable à la sortie de l’énergie nucléaire, mais le Parlement ne reflète pas l’opinion publique. Le problème est qu’il y avait beaucoup de petits partis contre le nucléaire, le Parti libéral démocrate de M. Abe a profité de cette division et a pu prendre la majorité.

Votre parti, le Parti démocrate, est-il opposé au nucléaire ?

Il a décidé que le Japon devait être sorti du nucléaire dans la décennie 2030.

En quoi l’accident de Fukushima vous a-t-il personnellement fait changer ?

Avant, je pensais que si on respectait les normes de sécurité, l’énergie nucléaire était bénéfique. Mais avec l’accident, j’ai senti corps et âme le risque du nucléaire, et j’ai changé à 180° : je pense qu’il faut arrêter le nucléaire le plus tôt possible.

Comment le Japon pourrait-il vivre sans nucléaire, qui représentait 28 % de sa production électrique ?

Aucun réacteur ne marche aujourd’hui et pourtant la vie des citoyens continue normalement, tout comme l’activité économique. Cela prouve que le Japon peut se passer du nucléaire. Juste avant la fin de mon mandat, j’ai fait passer une loi sur les tarifs de l’énergie renouvelable, afin de la soutenir, et sa production a beaucoup augmenté. On aura sans doute besoin pendant quelque temps de l’énergie fossile, mais à la longue, l’humanité pourra vivre avec les énergies renouvelables.

Est-ce que cela suffira ? Ne faudra-t-il pas changer de mode de vie ?

Au Japon, on a encore le plus souvent des vitres à simple paroi, alors qu’avec des doubles vitrages, on pourrait économiser beaucoup d’énergie : c’est un exemple de ce qu’on peut faire. Et puis oui, dans le mode de vie, il faut qu’on apprenne à avoir moins besoin d’énergie. Vous savez, sur la planète, l’énergie la plus importante est l’énergie solaire. Elle fait circuler l’eau, elle fait pousser les plantes – on n’utilise qu’une toute petite partie de l’énergie solaire, si on arrive à mieux l’utiliser, je suis sûr que même sans abandonner notre confort, on pourra utiliser beaucoup plus les énergies renouvelables.

Qu’est-ce qui empêche l’évolution vers la transition énergétique que vous souhaitez ?

Il y a encore au Japon un gros lobby du nucléaire, qu’on appelle « le village du nucléaire », il a une grande influence, maintient une campagne massive pour continuer le nucléaire.

Le nucléaire et la démocratie sont-ils conciliables ?

Je dirais : le plutonium et les êtres humains peuvent-ils cohabiter ? Le plutonium n’existe pas dans la nature. Il a été créé il y a soixante-dix ans. Y a-t-il sur la planète des êtres vivants qui peuvent cohabiter avec le plutonium ? J’en doute. Cela s’oppose à la démocratie. Car pour utiliser le nucléaire, il faut un pouvoir puissant, il faut prendre des mesures de sécurité très développées, donc une très forte police, une puissance militaire, donc une solide structure de pouvoir. Alors qu’avec l’énergie renouvelable, le pouvoir ne se concentre pas.

Quelle leçon le monde doit-il tirer de la catastrophe de Fukushima ?

L’accident nucléaire, on ne sait quand ni où il va se produire, mais il va se produire – je voudrais que tous les êtres humains le sachent. L’exploitation commerciale du nucléaire n’a commencé que depuis trente ans, et on a déjà connu trois accidents graves, avec Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima : cela peut arriver n’importe où et n’importe quand. Quand un accident nucléaire survient, les dégâts en sont énormes, presque équivalents à ceux d’une grande guerre. On ne peut empêcher que les catastrophes naturelles, comme les séismes, se produisent, même si on peut atténuer les conséquences. Mais les accidents nucléaires, on peut empêcher qu’ils se produisent.

Quelle idée ou quel message voudriez-vous transmettre à des jeunes générations, à des enfants, à propos du nucléaire et de l’écologie ?

Si les êtres humains peuvent vivre, c’est grâce à la nature. Donc, les êtres humains doivent vivre en harmonie avec la nature. Et une autre idée : la technologie et le bonheur n’avancent pas forcément de manière proportionnelle, de manière harmonieuse. Comment contrôler la technologie ? C’est une grande question.

« Pour que la démocratie fonctionne, il faut que les gens s’en emparent »

Entretien de Barnabé Binctin avec Cyril Dion
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Plus de 700.000 spectateurs sont allés voir Demain, le film réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent. À la veille de la cérémonie des César, où ce film sur les alternatives écologiques est nominé, Reporterre a rencontré Cyril Dion. Son sujet : l’avenir de la démocratie.

Cyril Dion a, en 2007, participé à la création, avec Pierre Rabhi et quelques amis, du mouvement Colibris, qu’il a dirigé jusqu’en juillet 2013 et dont il est aujourd’hui membre du cercle de pilotage. Il a également cofondé le magazine Kaizen et la collection Domaine du possible, chez Actes Sud. Il a réalisé avec Mélanie Laurent le film Demain, sorti en décembre dernier.

Reporterre – Comment analysez-vous le succès de votre film Demain ?

Cyril Dion – Peut-être le film marche-t-il parce qu’il apporte de l’enthousiasme et de l’espoir à des personnes qui ont du mal à en trouver dans le contexte politique. Il essaye de dessiner un avenir possible, dans un monde où nous sommes ensevelis par les mauvaises nouvelles : le Front national, le terrorisme, la crise climatique, les migrants, la crise économique… Nous voulions tracer des perspectives là où on a parfois l’impression qu’il n’y a plus d’issue.

Et pour y arriver, nous avions besoin de proposer un nouvel imaginaire et de susciter la créativité. Nos cerveaux sont colonisés par une vision du monde qui s’effrite et se désagrège, portée notamment par les médias. Nous avons donc cherché à aller sur le terrain du rêve, car il ne suffit plus d’être rationnel. Les faits, nous les connaissons depuis des décennies, pourtant ils ne déclenchent pas de réaction massive ! Nous sommes des êtres profondément irrationnels. Nous avons besoin d’être émus, de faire travailler notre imagination, de nous identifier à d’autres gens, etc. Le cinéma permet d’activer toutes ces parties de nous-mêmes à la fois, grâce aux images, à la musique, à la dramaturgie.
Quel est le message de votre film ?

Qu’il est possible de faire autrement, de résoudre nos problèmes ! Et surtout, que chacun d’entre nous peut contribuer à changer les choses. On a souvent l’impression que le pouvoir est en dehors de nous, qu’il est dans les entreprises ou dans les États. Mais nous pouvons reprendre ce pouvoir. Nous en avons beaucoup plus que nous ne l’imaginons ! Et si nous l’exercions ensemble, nous serions capables de reprendre la main sur la course du monde.
Cela peut-il avoir un impact d’ici à 2017 ?

Je me tiens à l’affût des dynamiques qui pourraient émerger. Il faut voir comment les gens pourraient se rassembler, dans quelle mesure ils pourraient soutenir des candidats issus de ces mouvances citoyennes.

Mais cela ne marchera que s’il y a une large mobilisation. Ce mouvement doit dépasser le cercle des convaincus, des militants. Pour le moment, nous restons apathiques. La démocratie doit d’abord changer dans la tête de chacun d’entre nous. Pour que la démocratie fonctionne, il faut que les gens s’en emparent. On doit s’en occuper, ce n’est pas quelque chose d’extérieur à nous.

Le succès de Podemos en Espagne est significatif : ce sont des gens qui viennent du milieu militant, qui ont d’abord essayé de faire pression sur le gouvernement, de faire des contre-sommets – Pablo Iglesias a milité très jeune, par exemple. À un moment donné, ils se sont rendus compte que les politiques ne voulaient pas les entendre. Alors ils ont décidé de les remplacer.

C’est ce qui est intéressant : il y a un terreau de gens qui portent de nouvelles idées, et sur ce terreau émergent des responsables politiques dont on peut espérer qu’ils transformeront ces initiatives en quelque chose de plus grande ampleur, dans une coopération élus-citoyens.

 

 

Faut-il aujourd’hui se passer des partis politiques ?

Personnellement, je ne crois pas que le changement viendra du Parti socialiste ou de Les Républicains, encore moins du Front national. Et je me pose des questions sur les Verts, quand on voit leur situation.

Les partis politiques, en tant que structures qui veulent avant tout gagner des élections pour accéder au pouvoir, ne peuvent pas nous emmener très loin. Par ailleurs, je crois qu’il faut « déprofessionnaliser » la politique. Il faudrait davantage de gens qui se mettent au service de l’intérêt général pour un temps donné, sans que cela constitue leur métier. C’est un grave problème de notre démocratie, cette histoire de devoir garder son job d’élu à tout prix !
Peut-on encore se considérer en démocratie ?

Plus tout à fait. Dans le film, nous évoquons une étude de l’université de Princeton qui a analysé des milliers de décisions du gouvernement états-unien pour savoir si elles allaient plutôt dans le sens des grandes entreprises ou dans le sens de ce que voulait la population. À 80 %, elles allaient dans celui des grandes entreprises. L’étude conclut que les États-Unis ont basculé dans un système plus oligarchique que démocratique. Je crois que c’est aussi le cas ici.
Quelle alternative proposez-vous ?

Il faut changer les institutions et les principes de la Ve République pour en finir avec cette personnalisation autour du président de la République et les dérives monarchiques que cela entraîne. On peut imaginer mettre les citoyens davantage à contribution, avec une Assemblée nationale et des députés élus d’un côté, et un Sénat composé de citoyens tirés au sort de l’autre.

On pourrait décliner cela à l’échelle locale. Il faut permettre un dialogue beaucoup plus fécond entre les citoyens et leurs élus. C’est ce que nous montrons dans le film, en Inde, avec des assemblées de citoyens qui se réunissent tous les trois mois avec leurs élus pour élaborer les actions à venir et faire des points d’étape réguliers. C’est une forme de participation intéressante, où l’on ne délègue plus ni la responsabilité des idées, ni celle d’agir.

 

Il semble y avoir un décalage abyssal entre l’écho de votre film et le fonctionnement de la classe politique…

C’est logique ! Quand on est dans un moment où on passe d’une civilisation à une autre, ce ne sont jamais les gens au pouvoir, à la tête du système en train de mourir, qui vont le changer. Il est normal qu’ils n’en prennent pas la mesure. Louis XVI n’a pas dit aux gens d’aller dans la rue, de prendre la Bastille, de lui couper la tête et d’instaurer une démocratie.
Pourquoi avez-vous signé une pétition sur Notre-Dame-des-Landes ?

Notre-Dame-des-Landes est un symbole. On a déjà beaucoup d’arguments démontrant qu’il est absurde de faire un nouvel aéroport sur des zones humides et agricoles, au moment on réfléchit à développer l’agriculture autour des villes, à limiter les émissions de CO2 et organiser autrement la circulation dans le monde…

Abandonner le projet d’aéroport entérinerait le fait que nous avons besoin de prendre des orientations différentes dans notre développement économique. Et que ce sujet prenne de l’importance dans l’opinion a aussi une vertu pédagogique. Ce n’est pas simplement « Notre-Dame-des-Landes », c’est tout ce que cela dit sur notre vision de la société de demain.
En 2014, vous évoquiez la COP 21 comme le « sommet de la dernière chance ». Quel bilan en tirez-vous ?

C’est une victoire politique et diplomatique. Symboliquement, c’est très fort d’avoir permis à 195 pays d’affirmer ensemble qu’il faut rester en-dessous d’1,5 °C. Pour avoir participé à de nombreux congrès internationaux, je sais qu’on ne peut pas aboutir à beaucoup plus dans ce type de manifestation. Comment voulez-vous arriver à des objectifs chiffrés et contraignants avec un consensus à 195 pays ? Quand on est dans un processus diplomatique, on est piégé dans un système où il ne faut choquer personne. Personne ne doit avoir envie de claquer la porte et de quitter la table des négociations.

Désormais, c’est à chaque pays de se donner les moyens de parvenir à cette réduction des émissions. C’est-à-dire que cela nous regarde directement : c’est à nous de nous battre pour continuer à interdire les gaz de schistes, pour développer les énergies renouvelables – et ce, de manière intelligente, avec des panneaux solaires construits à partir de l’économie circulaire, avec des éoliennes placées aux bons endroits, avec une géothermie qui ne saccage pas tout, avec des économies d’énergie substantielles. Pour que tous ces choix adviennent dans ce sens, il faut que l’on s’en préoccupe, en mettant la pression sur nos élus, pour engager des rapports de force avec les entreprises et le système économico-financier.

Plutôt que de critiquer l’accord de Paris sur le climat, il faut s’en servir comme d’une prise de judo pour retourner le système. C’est l’essence de notre appel sur Notre-Dame-des-Landes : on a signé l’accord de Paris, maintenant, on le met en place. Pour une fois qu’il y a une ouverture chez des responsables de 195 pays, appuyons-nous dessus.

 

Qu’allez-vous faire après Demain ?

J’en écris la suite. Le film s’intéressera aux possibilités de rassemblement politique pour que ces initiatives se généralisent. Il y a une forme de révolution à conduire, qui doit être différente de celles qu’on a connues par le passé : le concept même de révolution a besoin d’être réinventé. Il faut solliciter un nouvel imaginaire de mobilisation. Comment reprendre le pouvoir politiquement ? Comment construire un nouveau pouvoir qui ne reproduise pas les erreurs ou les abus du passé ? Il faut que l’on comprenne que changer la démocratie, c’est aussi important que changer l’agriculture ou réinventer nos modes de productions énergétiques, notre modèle économique. Cela va ensemble.