Articles du Vendredi : Sélection du 06 octobre 2017

Hors la taxation du carbone, point de salut climatique

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/hors-la-taxation-du-carbone-point-de-salut-climatique,

Macron veut-il vraiment d’une taxe sur les transactions financières qui lutterait contre la spéculation ?

Rachel Knaebel
www.bastamag.net/Macron-veut-il-vraiment-d-une-taxe-sur-les-transactions-financieres-qu

Quand la finance veut sauver le climat

Dominique Blanc
www.revue-projet.com/articles/2017-09_blanc_quand-la-finance-veut-sauver-le-climat/

Europarlamentuak ezetz esan die kutsatzaile hormonalak definitzeko Batzordearen irizpideei

Unai Brea
www.argia.eus/albistea/europarlamentuak-ezetz-esan-die-kutsatzaile-hormonalak-definitzeko-batzordearen-irizpideei

Hors la taxation du carbone, point de salut climatique

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/hors-la-taxation-du-carbone-point-de-salut-climatique,

Pour Gaël Giraud, économiste en chef de l’Agence française pour le développement (AFD), les politiques climatiques nationales ne permettront en aucun cas de stabiliser le réchauffement à 2°C. En cause, leur irréalisme, leur durée limitée dans le temps et leur incapacité à flécher l’épargne vers les investissements ‘bas carbone’. Seule solution: taxer les émissions de gaz à effet de serre (GES), lourdement si possible.

A quelques semaines de l’ouverture du prochain round de la négociation Climat, à Bonn (Allemagne), l’optimisme n’est plus de mise. Presque deux ans après la conclusion de l’Accord de Paris, la communauté des négociateurs et des observateurs peine à maintenir la dynamique amorcée lors de la COP 21 du Bourget.

Ces derniers mois, les nuages ont été nombreux à s’accumuler. Il y a eu, bien sûr, l’annonce du retrait américain de l’Accord de Paris. Une décision qui, 4 mois après son annonce, n’est toujours pas suivie d’effets. L’on peut ajouter à cela l’incapacité de l’Union européenne d’arrêter définitivement sa stratégie climatique à moyen terme. Voire de conduire à bon port les politiques déjà engagées, comme l’a rappelé en milieu de semaine la Cour des comptes européenne. En France, les climatologues ont du mal à comprendre la logique d’un gouvernement porteur d’un plan Climat mais conservant les subventions aux énergies fossiles et laissant la porte ouverte à l’exploitation des hydrocarbures.

NDC insuffisantes

Le plus grave n’est peut-être pas là. Avec un peu d’avance sur le calendrier onusien, l’AFD a réalisé un premier bilan des contributions déterminées au niveau national (NDC dans le jargon onusien): les promesses faites par les Etats avant la COP 21. Le résultat est alarmant. «Si l’on prolonge les efforts prévus par les NDC jusqu’en 2050 [les NDC actuelles courent jusqu’en 2030, ndlr], on arrive à un réchauffement de 3,5°C», note Gaël Giraud, l’économiste en chef de l’AFD.

Dérapage climatique en vue

Comment éviter pareil dérapage? D’abord en considérant que nous avons un budget carbone à gérer en commun. «D’ici 2060, nous pouvons encore émettre 1.200 gigatonnes de CO2. Ensuite, nous devrons atteindre une neutralité carbone nette, à partir de 2070», estime Gaël Giraud. Reste à savoir sur quelles bases attribuer les budgets carbone nationaux. Un sujet sur lequel phosphorent les chercheurs de la Banque française de développement. Sujet explosif si l’on garde à l’esprit que 80% de l’énergie consommée dans le monde est produite par des énergies fossiles souvent subventionnées par les Etats.

Trajectoires surréalistes

Nécessité fait donc loi de singulièrement muscler les NDC. Ce qui n’est pas gagné. La plupart des pays, notamment ceux en développement, ne disposent pas des compétences pour bâtir de nouveaux modèles de développement ‘2°C compatibles’. D’autres imaginent des trajectoires parfois surréalistes. «La Chine a conçu sa stratégie en faisant tourner un modèle économique qui ne prend en compte ni le chômage ni le poids de la dette», s’étonne Gaël Giraud.

Le laissez-faire

L’AFD a modélisé les conséquences d’une économie sans contrainte carbone. En utilisant le modèle macroéconomique Gemmes, les chercheurs obtiennent des résultats détonants: la température moyenne globale de 4°C d’ici la fin du siècle, provoquant une chute de l’activité économique (l’évolution du PIB mondial deviendrait négative vers 2080) et de l’inflation. Contraint de réparer des actifs malmenés par les conséquences du réchauffement, le secteur privé ne cesserait d’emprunter, faisant bondir la dette à des niveaux jamais encore atteints.

Négocier le tournant de la transition climatique coûtera cher. «Selon les études, le montant de la facture pour les 15 à 20 prochaines années varie de 50 à 90.000 milliards de dollars», rappelle l’économiste. Hors de nos moyens? Pas forcément[1].

A supposer que le chiffrage de Nicholas Stern soit le bon, il faudrait investir 90.000 Md$ en 15 ans pour adapter nos infrastructures à la nouvelle donne climatique. Ce qui nous obligerait à doubler le montant de nos investissements en matière d’infrastructures ‘vertes’. L’argent n’est pas le problème. Les banques centrales ne cessent de faire tourner la planche à billets depuis une vingtaine d’années. «Nous n’avons jamais eu autant d’argent disponible sur la planète», confirme Gaël Giraud. Reste à le flécher vers les projets ‘bas carbone’, et souvent ‘bas revenus’.

Corridor des prix du carbone

Les économistes étant incapables de rentabiliser la construction d’une digue pour un investisseur institutionnel, la solution est de renchérir l’émission de GES, pour inciter les acteurs économiques à abandonner hydrocarbures et charbon au profit des solutions neutres en carbone.

Deux solutions s’offrent aux ministères des finances: un système d’échange de quotas, comme en Europe, en Chine ou aux Etats-Unis, ou la taxe carbone, comme en Suède. Au vu du «bilan calamiteux» du marché européen du carbone, l’économiste en chef de l’AFD est plutôt favorable au second système, rejoignant en cela les conclusions des rapports Stiglitz-Stern ou Canfin-Grandjean-Mestrallet. Un prix du carbone unique au niveau mondial étant jugé irréaliste, ces experts militent pour la création de «corridor» des prix du carbone: une taxe dont le montant oscillerait entre un plancher et un plafond (entre 40 et 80 dollars la tonne, par exemple). Chaque région du monde étant libre de fixer librement son niveau et son assiette de taxation.

Un message que les économistes rabâcheront lors de la COP 23, qui s’ouvre à Bonn le 6 novembre prochain, et du sommet climatique de Paris du 12 décembre. Seront-ils seulement entendus?

[1] Le PIB annuel mondial est d’environ 75.000 milliards de dollars.

Macron veut-il vraiment d’une taxe sur les transactions financières qui lutterait contre la spéculation ?

Rachel Knaebel
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Dans ses propositions pour l’Europe présentées le 26 septembre à la Sorbonne, Emmanuel Macron annonce vouloir une taxe européenne sur les transactions financières, affectée à l’aide au développement. Le projet est discuté en Europe depuis six ans déjà. Mais les négociations sont au point mort, après avoir été reportées suite à… l’élection de Macron, pour cause de Brexit. L’ébauche d’une telle taxe a été mise en œuvre en France au début du quinquennat Hollande, mais sous l’effet du lobby bancaire, son champ d’application est resté marginal. Une taxe européenne ambitieuse a-t-elle vraiment des chances de voir le jour ?

Tout commence en 1972. Le système de Bretton Woods, qui fixe une parité des monnaies par rapport à la valeur de l’or, a été abandonné un an plus tôt. La valeur des monnaies devient flottante, ouvrant la voie aux spéculations boursières sur les transactions entre devises. À Princeton, l’une des plus prestigieuses universités de États-Unis, un professeur d’économie issu de l’école keynésienne propose une solution simple et radicale pour lutter contre cette nouvelle spéculation : une taxe sur les transactions monétaires. Il s’appelle James Tobin, et donne son nom à la taxe qu’il a proposée. « La taxe dissuaderait particulièrement les allers-retours financiers à court terme d’une monnaie à l’autre », bref la spéculation, écrit-il quelques années plus tard. L’économiste propose alors un taux de taxation à 1 % du montant des transactions.

Deux décennies plus tard, des économistes hétérodoxes et des activistes altermondialistes se ressaisissent de la proposition de James Tobin et créent Attac, l’association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne. L’association milite en particulier pour la mise en place d’une taxe Tobin au niveau mondial, qui ne se limiterait pas seulement aux échanges entre monnaies mais aux transactions financières en général. La revendication trouve peu d’écho auprès des responsables politiques, jusqu’à la crise mondiale de 2008. Là, au vu des dégâts financiers, économiques et sociaux causés par la spéculation sans frein, le débat est relancé.

En France, une taxe peu ambitieuse

En France, une taxe sur les transactions (TTF) est finalement mise en place en 2012. « Mais elle est très peu ambitieuse, regrette Dominique Plihon, économiste et porte-parole d’Attac France. La taxe française ne touche que les transactions sur les actions, et seulement celles des plus grandes sociétés. » Elle concerne en effet les acquisitions d’actions d’entreprises françaises dont la capitalisation boursière dépasse 1 milliard d’euros. Le taux de taxation est d’abord fixé à 0,1 %, puis relevé à 0,3 %, bien en-deçà du taux suggéré il y a 45 ans par James Tobin.

Surtout, la taxe française ne s’applique que très partiellement aux transactions les plus spéculatives, comme le trading à haute fréquence (THF). Dans ce type de trading, les transactions sont effectuées à très grande vitesse – quelques millisecondes – par des logiciels se basant sur des algorithmes qui scrutent le niveau des cotations boursières ou financières. La pratique permet de réaliser d’infimes marges sur chaque transaction. En passant des millions d’ordres d’achats ou de ventes en moins d’une seconde, les profits engrangés peuvent cependant être infiniment plus importants que ceux réalisés par les stratégies d’investissement classiques. Les algorithmes définissant ces ordres peuvent également les annuler quasi immédiatement si la cotation a varié défavorablement. Ce qui peut également déstabiliser le cours d’une action et les marchés financiers, d’autant que le THF représente environ 40 % du volume quotidien échangé sur les marchés d’actions européens.

Le trading haute fréquence épargné

La loi de 2012 prévoyait de taxer ce type de transactions ultra-spéculatives. Mais le résultat est décevant. « La taxation du trading haute fréquence, activité particulièrement spéculative, a un rendement presque nul », note la Cour des comptes dans une note publiée en juillet dernier. « Plusieurs explications peuvent être avancées, comme la fixation du seuil de taxation à un niveau élevé, ou l’exonération des activités de tenue de marché qui représentent l’essentiel des opérations à haute fréquence. »

La taxe française sur les transactions ne concerne les opérations de trading à haute fréquence que si « la proportion d’ordres annulés ou modifiés dépasse 80 % au cours d’une même journée. » Surtout, note la Cour des comptes, le fait de limiter la taxe « aux seules opérations réalisées par des “entreprises exploitées en France” » permet d’y échapper facilement en déplaçant ses transactions à l’étranger, au sein d’une filiale. « La taxe n’a donc pas permis de faire disparaître les opérations « nocives » qu’elle visait, conclut la Cour. Elle les a seulement déplacées dans d’autres pays. » [1]. Touchant en pratique seulement les échanges d’actions de très grandes entreprises, n’ayant pas prise sur le trading à haute fréquence, « la taxe française rapporte finalement très peu », conclut Dominique Plihon.

La taxe devait être améliorée en 2018, avec une taxation des transactions dites “infra-journalières”, qui sanctionnerait la pratique consistant à acheter puis revendre des titres dans la journée, pour empocher des plus-values ç la moindre variation de cotation. Le projet de loi de finances pour 2018 que le gouvernement a présenté mercredi 27 septembre prévoit d’abandonner cette mesure, qui aurait pourtant permis de taxer véritablement le trading à haute fréquence et de limiter ses effets néfastes [2].

En 2016, la TTF française a rapporté 947 millions d’euros, selon la Cour des comptes. Son rendement « a légèrement décru, alors qu’il avait régulièrement augmenté de 2013 à 2015, passant de 766 millions d’euros à un peu plus d’un milliard ». Selon Attac, une taxe qui porterait sur l’ensemble des transactions financières, c’est-à-dire, pas seulement sur les échanges d’actions, mais aussi sur les produits dérivés, rapporterait 36 milliards d’euros chaque année [3]« Notre analyse, c’est que la taxe de 2012 a été mise en place dans l’urgence, pour éviter de voir s’imposer une taxe sur les transactions financière européenne », estime Dominique Plihon, d’Attac.

Un projet de taxe européenne bien meilleur que la taxe française

Le 26 septembre, dans ses propositions pour relancer l’Europe présentées à la Sorbonne, Macron annonce vouloir une taxe européenne sur les transactions financières, qui serait affectée à l’aide au développement. Faut-il y voir un réel engagement ou une nouvelle promesse sans avenir ? Le projet d’une taxe sur les transactions financières au niveau européen est déjà discuté depuis plusieurs. Le sujet s’est imposé après la crise financière de 2008. La Commission européenne rédige en 2011 une proposition bien plus ambitieuse que ce qui est lancé en France l’année suivante.

« Le projet de la Commission était bien ficelé, je l’aurais voté en l’état. Son assiette état très large », analyse le député écologiste belge au Parlement européen Philippe Lamberts.

La proposition de la Commission prévoyait de taxer les transactions concernant tous les types d’instruments financiers, ainsi que les transactions réalisées de gré à gré, c’est-à-dire hors des marchés réglementés. « Le projet contenait aussi des mesures pour lutter contre l’évasion fiscale, note Dominique Plihon. Avec un principe d’émission, et un principe de résidence : si une action est émise dans un pays européen soumis à la taxe, même si la transaction se fait ailleurs, à Singapour par exemple, elle est quand même taxée. Il y avait donc dans la proposition de la Commission européenne de véritables outils pour mettre en œuvre la taxe. »

Quand le Président français change d’avis tous les trois mois

Six ans ont passé… et la taxe n’a toujours pas vu le jour. Aucun consensus politique n’a vu le jour parmi les 27 pays membres de l’UE pour la mettre effectivement en place. Certains pays, en particulier la Grande Bretagne, s’y sont opposés farouchement. Les pays intéressés ont donc lancé une procédure de « coopération renforcée », qui permet à un noyau de membres de l’UE d’adopter une législation commune valable non pas pour toute l’UE, mais seulement pour eux. Au nombre de onze à l’origine, ils ne sont aujourd’hui plus que dix, dont les principales économies européennes : Allemagne, France, Espagne, Italie, Belgique, Autriche, Grèce, Portugal, Slovénie et Slovaquie [4]. Mais les négociations sont au point mort.

En juin dernier, après l’élection d’Emmanuel Macron, ces dix pays ont décidé de reporter à nouveau l’adoption de la taxe. « On ne peut pas dire que les négociations soient complètement bloquées. Mais la France y a porté un grave coup, analyse Peter Wahl, qui suit le dossier depuis des années chez Attac Allemagne. Macron avait dit qu’il souhaitait attendre de voir comment se passe le Brexit… Il est peu probable qu’ensuite, il veuille poursuivre le projet dans sa forme actuelle. » Emmanuel Macron a donc bloqué toute avancée en juin, pour relancer la question trois mois plus tard. Probablement le reflet de sa « pensée complexe ».

« Le secteur financier ne veut à aucun prix de cette taxe »

Pour le député des Verts européens Philippe Lamberts, les discussions actuelles s’apparentent à un « jeu de poker menteur ». « Les chefs d’État des onze pays qui ont lancé la procédure de coopération renforcée l’ont fait à des fins de communication politique, critique le député belge. On peut donc s’attendre à ce que, le souvenir de la crise financière s’effaçant, la voix du secteur financier soit plus écoutée aujourd’hui qu’il y a cinq ans. Tout le monde sait que le secteur financier ne veut à aucun prix de cette taxe, qui pourrait rendre un certain nombre de leurs transactions non viables. Face à eux, il n’y a aucune volonté politique. Tous les six mois, les décideurs disent qu’il y a un deal, avec quelques points à régler. Mais ce sont à chaque fois des points essentiels. C’est le bal des hypocrites », déplore Philippe Lamberts.

Un autre facteur pourrait jouer contre l’avancée des négociations : un éventuel revirement de l’Allemagne sur le sujet, alors qu’une nouvelle coalition de gouvernement est en cours de négociation suite aux élections du 24 septembre. « L’Allemagne a soutenu l’ensemble du processus sur ce projet de taxe européenne. Son rôle a été très actif, note Peter Wahl, d’Attac Allemagne. Les conservateurs et les sociaux-démocrates, alliés au sein de l’ancien gouvernement « soutenaient le projet d’une taxe européenne sur les transactions financière », précise Peter Wahl. Suite à sa débâcle électorale, le parti social-démocrate (SPD) a choisi de ne pas renouveler la grande coalition et de passer dans l’opposition. Merkel devrait donc s’allier avec les libéraux du FDP et les Verts. Les Verts ont toujours été pour une telle taxe européenne sur les transactions financières. Mais pas les libéraux. « Nous refusons la création de nouveaux impôts, comme l’impôt sur le patrimoine ou la taxe sur les transactions financières », écrivait le parti libéral dans son programme avant les élections. Rien de plus clair.

Pour autant, les défenseurs d’une « taxe Tobin » européenne ne désarment pas. Car, au-delà d’apporter des ressources aux finances publiques, « la TTF est un véritable instrument de lutte contre la spéculation », rappelle Dominique Plihon. Celle-là même qui a conduit le monde entier au bord de l’abîme en 2008.

Notes

[1] La loi de 2012 prévoyait aussi de taxer certains achats spéculatifs de titres sur les dettes souveraines, utilisés notamment contre la dette grecque à partir de 2009. Mais ce type d’opération a été interdit par un règlement de l’Union européenne en mars 2012.

[2] Voir ici le dossier de presse du projet de loi de finances pour 2018, p21.

[3] Voir Rendez l’argent ! Face à l’urgence sociale et écologique, 200 milliards d’euros à récupérer, Attac, mars 2017.

[4] L’Estonie est partie en cours de route.

Quand la finance veut sauver le climat

Dominique Blanc
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La planète finance se serait-elle mise au vert ? Depuis deux ou trois ans, le monde d’ordinaire plutôt conservateur des investisseurs ne cesse d’innover pour évaluer et réduire l’empreinte carbone des portefeuilles financiers. Description et analyse.

En 2007, les premiers fonds verts – investis dans les entreprises agissant dans les secteurs de l’environnement : eau, énergies renouvelables, déchets – apparaissent aux investisseurs comme une nouvelle aubaine. Ceux-ci connaissent alors des taux de croissance à deux chiffres, générant un phénomène de bulle, qui explose avec la crise financière. La crise de la dette de la zone euro entraîne, avec elle, celle des secteurs de l’environnement (énergies renouvelables en tête) qui voient fondre comme neige au soleil les subventions qui ont porté leur développement. Les fonds verts basculent dans le rouge et les investisseurs fuient aussi vite qu’ils étaient arrivés. Ils ne voudront plus entendre parler d’environnement pendant plusieurs années.

À l’approche de la Cop21, la tendance s’est de nouveau inversée. Quelques centaines d’investisseurs, réunis à New York en septembre 2014, en marge du sommet des Nations unies sur le climat, prennent un engagement collectif pour lutter contre le changement climatique. Depuis, le phénomène n’a cessé de s’amplifier. En mai 2015, le Climate Finance Day réunit un millier d’investisseurs internationaux à Paris pour préparer la Cop21. Tout s’accélère autour d’un nouveau concept, ni écologique, ni purement climatique, mais bien financier cette fois : le risque climat porté, notamment, par Henri de Castries, alors patron d’Axa. Le mot d’ordre est qu’un monde à +4°C n’est pas un monde assurable. Il y a donc urgence à agir, en multipliant les volumes d’investissements verts et en désinvestissant des industries climaticides, en particulier de l’industrie du charbon. La Caisse des dépôts et quelques grands fonds nord-européens qui, à eux seuls, représentent des centaines de milliards d’euros d’actifs, travaillent depuis lors pour concrétiser le mouvement.

Bulle carbone

En réalité, l’idée de risque climat pesant sur les actifs financiers n’est pas tout à fait nouvelle. L’ONG anglaise Carbon Tracker porte, dès 2011, le concept de « bulle carbone ». L’idée est simple : si, pour limiter le changement climatique, les États sont appelés à réguler les émissions de gaz à effet de serre, les plus grands émetteurs que sont les compagnies d’extraction d’énergie fossile doivent laisser, dans le sol, entre 60 % et 80 % de leurs réserves. Or ce sont ces réserves qui font leur valeur en bourse, ce qui laisse présager un risque majeur de dépréciation d’actifs, qualifiés ainsi de « stranded assets » ou « actifs bloqués ».

L’idée fait son chemin. Avec l’accord de Paris, signé en décembre 2015 et entré en vigueur en un temps record, les États s’engagent à limiter le réchauffement climatique en deçà des 2°C. Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre et président du Conseil de stabilité financière – une organisation internationale créée au plus fort de la crise financière pour tenter de maîtriser les risques systémiques –, est à son tour devenu l’un des plus éminents ambassadeurs de la cause climatique dans le monde financier. Énonçant que le climat peut porter son lot de risques systémiques, il appelle dès lors à faire la lumière sur la façon dont les investisseurs s’en prémunissent. Pour ce faire, il confie à Michael Bloomberg, fondateur de la firme financière éponyme, la mission de monter un groupe d’experts, lui donnant douze mois pour proposer des recommandations concrètes.

La « Task Force on Climate-related Financial Disclosures » (TCFD) mène tambour battant ses travaux et publie, en décembre 2016, des recommandations devant servir de cadre international de reporting pour les acteurs économiques et financiers[1]. Ces recommandations clarifient, en particulier, la nature des risques climat sur lesquels la lumière doit être faite : des risques physiques avec, notamment, la multiplication des catastrophes météorologiques, les sécheresses, etc. engendrées par le changement climatique ; des risques de transition, pour tous les acteurs dont les produits ou services participent au dérèglement climatique (producteurs d’énergie, transports polluants…) et qui devront faire évoluer rapidement leurs activités ; des risques de litiges, pour les acteurs qui pourraient se voir reprocher à terme, devant les tribunaux, leur impact sur le climat.

L’impulsion donnée par l’organe de surveillance des institutions financières internationales contribue à faire du climat un sujet largement appréhendé. Le phénomène d’accélération touche, désormais, tous les pans de l’industrie financière et de ses parties prenantes.

 

Climat morose chez les fossiles

Pour les plus militants, le mouvement s’est concrétisé autour de l’ONG 350.org[2] et de l’initiative Divest-Invest. Son origine émane, en particulier, des grandes universités américaines, où étudiants et professeurs ont choisi de faire pression sur les grands fonds de dotation qui gèrent leurs avoirs, comme ils l’avaient fait dans les années 1960 pour lutter contre l’Apartheid. Leur leitmotiv : le désinvestissement. Il ne s’agit plus d’exclure les compagnies sud-africaines, mais de se défaire des investissements réalisés dans les énergies fossiles, charbon, pétrole, gaz… et de réinvestir dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique…[3] Lancé en 2014, le mouvement a rapidement pris de l’ampleur : fin 2016, près de 700 institutions et 60 000 investisseurs individuels, détenant au total quelque 5200 milliards de dollars d’actifs, l’avaient rejoint. On compte, parmi eux, un nombre croissant de collectivités qui, pour répondre aux attentes de leurs administrés, s’engagent dans ce mouvement. Et avec la chute de l’industrie du charbon, un nombre croissant de grands investisseurs financiers (assureurs, fonds de pension) s’associent à l’idée du désinvestissement du charbon, que Goldman Sachs qualifie, désormais, d’industrie ayant atteint l’âge de la retraite[4].

Lorsqu’il s’agit de réinvestir l’argent ainsi « libéré des énergies fossiles », les investisseurs peuvent maintenant profiter d’un ensemble de produits et de stratégies. Parmi eux, le financement des infrastructures vertes : si, encore récemment, les investisseurs étaient souvent hostiles à s’éloigner de la cote boursière, ils découvrent, avec le financement des énergies renouvelables, une source de rendements stables et visibles sur le long terme, que ne leur offrent plus guère les marchés. Les fonds « bas carbone » répondent à une logique différente : ils cherchent à limiter leur empreinte, tout en continuant d’investir dans tous les secteurs représentés dans les grands indices boursiers (Cac40, Euro Stoxx 50…). L’approche ne fait pas vraiment consensus, mais elle permet à certains grands institutionnels de commencer à avancer sur le sujet, sans trop s’éloigner des indices boursiers auxquels ils ont l’habitude de se référer. La méthode employée consiste à mesurer l’empreinte carbone des entreprises – malgré les imperfections qu’on lui connaît – et à sélectionner, au sein de chaque secteur, les meilleurs élèves.

Mais c’est dans le monde obligataire qu’émerge une petite révolution : jusqu’ici, les obligations n’étaient évaluées par les marchés qu’à l’aune de la confiance dans la capacité des emprunteurs à rembourser leur dette, confiance caractérisée par les fameuses notes de risque crédit des agences de notation. À présent, les investisseurs peuvent aussi s’orienter vers des green bonds (obligations vertes), qui offrent en plus une visibilité sur la nature des dépenses faites par l’emprunteur, avec des garanties d’allocation et d’évaluation environnementale. Né il y a une dizaine d’années, ce marché connaît, depuis 2013, une croissance remarquable en Europe, mais aussi en Asie et en Amérique ; il a récemment dépassé les 100 milliards d’euros. De quoi commencer à financer, à grande échelle, la transition écologique.

La fronde des actionnaires

Désinvestissement et investissement vert ne font pas tout et certains investisseurs leur préfèrent l’idée d’engagement actionnarial. Ils maintiennent leurs investissements dans les industries polluantes, mais utilisent leurs droits d’actionnaires (droit de vote et de dépôt de résolution en assemblée générale) pour influencer les entreprises, afin que celles-ci s’inscrivent dans des démarches de transition vers des modèles bas carbone. Bien sûr, le phénomène n’est pas nouveau, mais son ampleur et les attentes des investisseurs ont fait un bond depuis trois ans. Là encore, les industries fossiles et les énergéticiens ont été les premières cibles. Depuis une décennie, des résolutions étaient ainsi déposées dans les assemblées générales, surtout en Amérique du Nord, afin de demander aux entreprises un reporting environnemental. En 2015, les choses ont connu un tournant lorsque les investisseurs, réunis en coalition autour de l’initiative « Aiming for A », ont réussi à peser si lourd que les conseils d’administration de Shell et BP ont reconnu l’intérêt d’une demande plus spécifique : offrir aux actionnaires de la transparence sur la résilience de leur modèle, à horizon 2030. Et le bras de fer continue : alors qu’Exxon résistait, jusque-là, à ce type de demande, la résolution déposée en 2017, exigeant du géant pétrolier d’évaluer et de rendre compte de la compatibilité de sa stratégie avec le maintien du réchauffement climatique en-dessous de 2°C, a obtenu 62.3 % des voix. Les plus grands investisseurs, dont le premier actionnaire, le géant BlackRock, ont voté en faveur de l’initiative, contre l’avis des dirigeants du géant pétrolier. Une fronde d’une résonance inédite dans le monde feutré des grandes assemblées générales.

Des initiatives politiques et privées suffisantes ?

En France, la communauté financière dispose, déjà, d’un écosystème riche, qui s’est constitué autour du développement de l’ISR (Investissement socialement responsable)[5], attentif à la question du climat. Ce monde de l’ISR regroupe des agences de notation dédiées (Vigeo Eiris, EthiFinance ainsi que les cabinets de conseil environnemental Carbone 4 et I Care & Consult, récemment positionnés sur la gestion financière) ; nombre de sociétés de gestion qui, à l’instar de Mirova ou Sycomore Asset Management, ont développé une véritable expertise d’investissement environnemental et social ; et quelques grands investisseurs – comme l’Erafp[6], le Fonds de réserve des retraites, l’Ircantec[7] ou la Caisse des dépôts pour la sphère publique, Axa ou BNP Cardif pour la sphère privée – qui ont établi de véritables politiques ESG (environnementales, sociales et de gouvernance). Or cet écosystème a trouvé un véritable écho au sein du gouvernement, depuis la Cop21.

Avec l’article 173 de la Loi de transition énergétique adoptée en 2015, le législateur exige désormais de tous les investisseurs un reporting annuel sur leur politique climat. Si l’obligation de transparence sur l’environnement n’est pas nouvelle pour les acteurs financiers, elle l’est pour les investisseurs institutionnels, ces caisses de retraite, mutuelles et assureurs qui détiennent, rien qu’en France, plus de 2000 milliards d’euros d’actifs. Une première en Europe !

Pour compléter le dispositif, un outil, le Label Teec – Transition énergétique et écologique pour le climat – porté par le ministère de l’Environnement et dont Novethic est auditeur, garantit l’allocation verte des produits financiers, tout en assurant qu’aucune industrie fossile ou nucléaire ne se retrouve dans les portefeuilles. Ces deux dispositifs innovants sont, à présent, très observés par nos voisins européens et même au-delà. Enfin, pour faire la preuve par l’exemple, l’État français a été parmi les tout premiers à émettre une obligation souveraine verte (OAT) qui a rencontré un franc succès auprès des investisseurs de tous horizons.

Mais ce portage politique n’est ni universel, ni intemporel. Il est donc rassurant de voir nombre de grands fonds de pension américains répondre à l’annonce de Donald Trump de sortir de l’accord de Paris, en disant vouloir financer la transition écologique à une échelle (plus de 400 milliards de dollars, pour les deux grands fonds de pension publics californiens, CalPERS et CalSTRS) qui leur permet une certaine résistance vis-à-vis du climato-scepticisme fédéral. Et alors que les États-Unis semblent faire machine arrière, les places boursières européennes (Londres, Luxembourg, Francfort, Paris) se font une rude concurrence pour devenir LA bourse la plus verte. La Commission européenne initie ses premières réflexions sur le sujet, avec la mise en place d’un comité, le High Level Expert Group on Sustainable Finance, qui devra faire des propositions fin 2017 pour intégrer dans ses textes des dispositions relatives à la finance verte et durable.

Alors au gré de toutes ces démarches positives, on peut se poser la question : sont-elles à la hauteur de l’enjeu climatique ? Rien n’est gagné d’avance et les acteurs – nombreux et de taille – déjà impliqués ne sont pas encore la norme : aux côtés des 5200 milliards de dollars sortis des énergies fossiles, 10 à 20 fois plus gravitent sur les marchés en s’autorisant toujours ces secteurs synonymes de changement climatique accéléré. Qui plus est, nombre d’ONG environnementales alertent sur les limites des engagements pris : les grandes banques et les plus grands investisseurs ne désinvestissent souvent que d’une partie des énergies fossiles, avec des seuils de tolérance… bien trop tolérants ! Du coté des investissements verts, si l’on peut se féliciter des 100 milliards de dollars de green bonds, ce n’est encore qu’une goutte dans l’océan des quelque 100 000 milliards de dollars du marché obligataire. Enfin, si le débat entre investisseurs et industries polluantes se renforce, il est loin d’être clos. Lorsque le thinktank Carbon Tracker suggère que le scénario 2°C implique de laisser sous terre 60 à 80 % des ressources fossiles identifiées, les majors pétrolières essaient de démontrer, pour leur part, que l’exploitation « raisonnée » de leurs réserves actuelles est possible sans dépasser le même objectif de 2°C…

Mais si les investisseurs mondiaux comprennent rapidement l’enjeu financier et systémique que constitue le changement climatique tel que cela semble se dessiner depuis 2 ans, et s’ils se montrent en capacité d’investir à long terme plutôt que par succession d’opérations spéculatives, alors oui, il est possible d’espérer qu’ils jouent un rôle actif dans la transition énergétique nécessaire.

 

[1] À la suite de ces recommandations, le rapport final est publié en juin 2017 [NDLR].

[2] Cf. Clémence Dubois, « Désobéir pour le climat », Revue Projet 357, avril 2017.

[3] Cf. Jean Merckaert, « Climat : nous sommes les lignes rouges », Revue Projet 350, février 2016.

[4] Goldman Sachs Global Investment Research, Thermal coal reaches retirement age, Goldman Sachs, 23 janvier 2015.

[5] Sur la portée et les débats autour de l’ISR, on pourra utilement consulter le n° 343 de la Revue Projet, décembre 2014, « Vers une finance au service de la société ? » [NDLR].

[6] Lancé en 2005, l’Établissement de retraite additionnelle de la fonction publique, doté de 26 milliards d’euros d’actifs, collecte et gère financièrement la retraite complémentaire de 4,5 millions de fonctionnaires. Il dispose d’une charte ISR appliquée à tous ses investissements depuis son origine.

[7] L’Ircantec (Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques) compte 2,9 millions de cotisants et plus de 2 millions de retraités en 2016. Les 10 milliards d’euros de réserves du régime sont gérés par la Caisse des dépôts suivant une

Europarlamentuak ezetz esan die kutsatzaile hormonalak definitzeko Batzordearen irizpideei

Unai Brea
www.argia.eus/albistea/europarlamentuak-ezetz-esan-die-kutsatzaile-hormonalak-definitzeko-batzordearen-irizpideei

Estrasburgon egindako saioan, Eurolegebiltzarrak ezetz esan dio kutsatzaile hormonalak definitzeko Europako Batzordeak –saiakera askoren ostean–  aurkeztutako irizpide sortari. Batzordearen testuak zientzialari ugariren kritikak jaso ditu, hala nola Europa osoko talde ekologista eta kontsumitzaile elkarteenak, herritarren osasuna babesteko nahikoa ez delakoan.

389 eurodiputatuk bozkatu dute Batzordeak lau urte eta erdiko atzerapenez aurkeztutako proposamenaren aurka, eta 235ek alde. Honenbestez, disruptore endokrino edo kutsatzaile hormonalen definizio-irizpide berriak garatu eta ostera ere Parlamentuari aurkeztu beharko dizkio Bruselak. Behin irizpideok onartuta, haien arabera disruptoretzat sailkatutako substantziak ezin izango dira gehiago erabili pestizida eta herbiziden osagai modura. Espero da debekua beste kontsumo-artikuluetara zabaltzea ondoren: jantziak, jakien estalkiak, kosmetikoak… Zientzialariak aspalditik ohartarazten ari dira nonahi daudela gaitz larri askoren eragile izan daitezkeen konposatu horiek.

Sistema endokrinoa aztertzen duten medikuen nazioarteko elkarte batzuek publikoki agertu dute kezka Europako Batzordeak proposatutako definizioa dela-eta, oinarri zientifiko eskasekoa eta herritarren osasuna babesteko ez-nahikoa delakoan. Izan ere, proposamenak baldintza gehiegi ezartzen du substantzia disruptore endokrinotzat jo ahal izateko.

Bestalde, aurkeztutako proposamena legez kanpokotzat jo dute berriki zabaldutako bi txosten juridikok. Arrazoia da proposamena osatzeko Batzordeak bere kasa moldatu duela Europako hiru erakundek (Batzordeak berak, Eurolegebiltzarrak eta Europako Kontseiluak) kontsentsuz osatutako araudi bat. Zenbait iturriren arabera, lege-urratze hori izan da Legebiltzarraren gehiengoak ustekabean eman duen ezezkoaren zergatia.

Hors la taxation du carbone, point de salut climatique

Valéry Laramée de Tannenberg

www.journaldelenvironnement.net/article/hors-la-taxation-du-carbone-point-de-salut-climatique,

 

Pour Gaël Giraud, économiste en chef de l’Agence française pour le développement (AFD), les politiques climatiques nationales ne permettront en aucun cas de stabiliser le réchauffement à 2°C. En cause, leur irréalisme, leur durée limitée dans le temps et leur incapacité à flécher l’épargne vers les investissements ‘bas carbone’. Seule solution: taxer les émissions de gaz à effet de serre (GES), lourdement si possible.

A quelques semaines de l’ouverture du prochain round de la négociation Climat, à Bonn (Allemagne), l’optimisme n’est plus de mise. Presque deux ans après la conclusion de l’Accord de Paris, la communauté des négociateurs et des observateurs peine à maintenir la dynamique amorcée lors de la COP 21 du Bourget.

Ces derniers mois, les nuages ont été nombreux à s’accumuler. Il y a eu, bien sûr, l’annonce du retrait américain de l’Accord de Paris. Une décision qui, 4 mois après son annonce, n’est toujours pas suivie d’effets. L’on peut ajouter à cela l’incapacité de l’Union européenne d’arrêter définitivement sa stratégie climatique à moyen terme. Voire de conduire à bon port les politiques déjà engagées, comme l’a rappelé en milieu de semaine la Cour des comptes européenne. En France, les climatologues ont du mal à comprendre la logique d’un gouvernement porteur d’un plan Climat mais conservant les subventions aux énergies fossiles et laissant la porte ouverte à l’exploitation des hydrocarbures.

NDC insuffisantes

Le plus grave n’est peut-être pas là. Avec un peu d’avance sur le calendrier onusien, l’AFD a réalisé un premier bilan des contributions déterminées au niveau national (NDC dans le jargon onusien): les promesses faites par les Etats avant la COP 21. Le résultat est alarmant. «Si l’on prolonge les efforts prévus par les NDC jusqu’en 2050 [les NDC actuelles courent jusqu’en 2030, ndlr], on arrive à un réchauffement de 3,5°C», note Gaël Giraud, l’économiste en chef de l’AFD.

Dérapage climatique en vue

Comment éviter pareil dérapage? D’abord en considérant que nous avons un budget carbone à gérer en commun. «D’ici 2060, nous pouvons encore émettre 1.200 gigatonnes de CO2. Ensuite, nous devrons atteindre une neutralité carbone nette, à partir de 2070», estime Gaël Giraud. Reste à savoir sur quelles bases attribuer les budgets carbone nationaux. Un sujet sur lequel phosphorent les chercheurs de la Banque française de développement. Sujet explosif si l’on garde à l’esprit que 80% de l’énergie consommée dans le monde est produite par des énergies fossiles souvent subventionnées par les Etats.

Trajectoires surréalistes

Nécessité fait donc loi de singulièrement muscler les NDC. Ce qui n’est pas gagné. La plupart des pays, notamment ceux en développement, ne disposent pas des compétences pour bâtir de nouveaux modèles de développement ‘2°C compatibles’. D’autres imaginent des trajectoires parfois surréalistes. «La Chine a conçu sa stratégie en faisant tourner un modèle économique qui ne prend en compte ni le chômage ni le poids de la dette», s’étonne Gaël Giraud.

Le laissez-faire

L’AFD a modélisé les conséquences d’une économie sans contrainte carbone. En utilisant le modèle macroéconomique Gemmes, les chercheurs obtiennent des résultats détonants: la température moyenne globale de 4°C d’ici la fin du siècle, provoquant une chute de l’activité économique (l’évolution du PIB mondial deviendrait négative vers 2080) et de l’inflation. Contraint de réparer des actifs malmenés par les conséquences du réchauffement, le secteur privé ne cesserait d’emprunter, faisant bondir la dette à des niveaux jamais encore atteints.

Négocier le tournant de la transition climatique coûtera cher. «Selon les études, le montant de la facture pour les 15 à 20 prochaines années varie de 50 à 90.000 milliards de dollars», rappelle l’économiste. Hors de nos moyens? Pas forcément[1].

A supposer que le chiffrage de Nicholas Stern soit le bon, il faudrait investir 90.000 Md$ en 15 ans pour adapter nos infrastructures à la nouvelle donne climatique. Ce qui nous obligerait à doubler le montant de nos investissements en matière d’infrastructures ‘vertes’. L’argent n’est pas le problème. Les banques centrales ne cessent de faire tourner la planche à billets depuis une vingtaine d’années. «Nous n’avons jamais eu autant d’argent disponible sur la planète», confirme Gaël Giraud. Reste à le flécher vers les projets ‘bas carbone’, et souvent ‘bas revenus’.

Corridor des prix du carbone

Les économistes étant incapables de rentabiliser la construction d’une digue pour un investisseur institutionnel, la solution est de renchérir l’émission de GES, pour inciter les acteurs économiques à abandonner hydrocarbures et charbon au profit des solutions neutres en carbone.

Deux solutions s’offrent aux ministères des finances: un système d’échange de quotas, comme en Europe, en Chine ou aux Etats-Unis, ou la taxe carbone, comme en Suède. Au vu du «bilan calamiteux» du marché européen du carbone, l’économiste en chef de l’AFD est plutôt favorable au second système, rejoignant en cela les conclusions des rapports Stiglitz-Stern ou Canfin-Grandjean-Mestrallet. Un prix du carbone unique au niveau mondial étant jugé irréaliste, ces experts militent pour la création de «corridor» des prix du carbone: une taxe dont le montant oscillerait entre un plancher et un plafond (entre 40 et 80 dollars la tonne, par exemple). Chaque région du monde étant libre de fixer librement son niveau et son assiette de taxation.

Un message que les économistes rabâcheront lors de la COP 23, qui s’ouvre à Bonn le 6 novembre prochain, et du sommet climatique de Paris du 12 décembre. Seront-ils seulement entendus?

[1] Le PIB annuel mondial est d’environ 75.000 milliards de dollars.

 

Macron veut-il vraiment d’une taxe sur les transactions financières qui lutterait contre la spéculation ?

Rachel Knaebel

www.bastamag.net/Macron-veut-il-vraiment-d-une-taxe-sur-les-transactions-financieres-qui

 

Dans ses propositions pour l’Europe présentées le 26 septembre à la Sorbonne, Emmanuel Macron annonce vouloir une taxe européenne sur les transactions financières, affectée à l’aide au développement. Le projet est discuté en Europe depuis six ans déjà. Mais les négociations sont au point mort, après avoir été reportées suite à… l’élection de Macron, pour cause de Brexit. L’ébauche d’une telle taxe a été mise en œuvre en France au début du quinquennat Hollande, mais sous l’effet du lobby bancaire, son champ d’application est resté marginal. Une taxe européenne ambitieuse a-t-elle vraiment des chances de voir le jour ?

Tout commence en 1972. Le système de Bretton Woods, qui fixe une parité des monnaies par rapport à la valeur de l’or, a été abandonné un an plus tôt. La valeur des monnaies devient flottante, ouvrant la voie aux spéculations boursières sur les transactions entre devises. À Princeton, l’une des plus prestigieuses universités de États-Unis, un professeur d’économie issu de l’école keynésienne propose une solution simple et radicale pour lutter contre cette nouvelle spéculation : une taxe sur les transactions monétaires. Il s’appelle James Tobin, et donne son nom à la taxe qu’il a proposée. « La taxe dissuaderait particulièrement les allers-retours financiers à court terme d’une monnaie à l’autre », bref la spéculation, écrit-il quelques années plus tard. L’économiste propose alors un taux de taxation à 1 % du montant des transactions.

Deux décennies plus tard, des économistes hétérodoxes et des activistes altermondialistes se ressaisissent de la proposition de James Tobin et créent Attac, l’association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne. L’association milite en particulier pour la mise en place d’une taxe Tobin au niveau mondial, qui ne se limiterait pas seulement aux échanges entre monnaies mais aux transactions financières en général. La revendication trouve peu d’écho auprès des responsables politiques, jusqu’à la crise mondiale de 2008. Là, au vu des dégâts financiers, économiques et sociaux causés par la spéculation sans frein, le débat est relancé.

En France, une taxe peu ambitieuse

En France, une taxe sur les transactions (TTF) est finalement mise en place en 2012. « Mais elle est très peu ambitieuse, regrette Dominique Plihon, économiste et porte-parole d’Attac France. La taxe française ne touche que les transactions sur les actions, et seulement celles des plus grandes sociétés. » Elle concerne en effet les acquisitions d’actions d’entreprises françaises dont la capitalisation boursière dépasse 1 milliard d’euros. Le taux de taxation est d’abord fixé à 0,1 %, puis relevé à 0,3 %, bien en-deçà du taux suggéré il y a 45 ans par James Tobin.

Surtout, la taxe française ne s’applique que très partiellement aux transactions les plus spéculatives, comme le trading à haute fréquence (THF). Dans ce type de trading, les transactions sont effectuées à très grande vitesse – quelques millisecondes – par des logiciels se basant sur des algorithmes qui scrutent le niveau des cotations boursières ou financières. La pratique permet de réaliser d’infimes marges sur chaque transaction. En passant des millions d’ordres d’achats ou de ventes en moins d’une seconde, les profits engrangés peuvent cependant être infiniment plus importants que ceux réalisés par les stratégies d’investissement classiques. Les algorithmes définissant ces ordres peuvent également les annuler quasi immédiatement si la cotation a varié défavorablement. Ce qui peut également déstabiliser le cours d’une action et les marchés financiers, d’autant que le THF représente environ 40 % du volume quotidien échangé sur les marchés d’actions européens.

Le trading haute fréquence épargné

La loi de 2012 prévoyait de taxer ce type de transactions ultra-spéculatives. Mais le résultat est décevant. « La taxation du trading haute fréquence, activité particulièrement spéculative, a un rendement presque nul », note la Cour des comptes dans une note publiée en juillet dernier. « Plusieurs explications peuvent être avancées, comme la fixation du seuil de taxation à un niveau élevé, ou l’exonération des activités de tenue de marché qui représentent l’essentiel des opérations à haute fréquence. »

La taxe française sur les transactions ne concerne les opérations de trading à haute fréquence que si « la proportion d’ordres annulés ou modifiés dépasse 80 % au cours d’une même journée. » Surtout, note la Cour des comptes, le fait de limiter la taxe « aux seules opérations réalisées par des “entreprises exploitées en France” » permet d’y échapper facilement en déplaçant ses transactions à l’étranger, au sein d’une filiale. « La taxe n’a donc pas permis de faire disparaître les opérations « nocives » qu’elle visait, conclut la Cour. Elle les a seulement déplacées dans d’autres pays. » [1]. Touchant en pratique seulement les échanges d’actions de très grandes entreprises, n’ayant pas prise sur le trading à haute fréquence, « la taxe française rapporte finalement très peu », conclut Dominique Plihon.

La taxe devait être améliorée en 2018, avec une taxation des transactions dites “infra-journalières”, qui sanctionnerait la pratique consistant à acheter puis revendre des titres dans la journée, pour empocher des plus-values ç la moindre variation de cotation. Le projet de loi de finances pour 2018 que le gouvernement a présenté mercredi 27 septembre prévoit d’abandonner cette mesure, qui aurait pourtant permis de taxer véritablement le trading à haute fréquence et de limiter ses effets néfastes [2].

En 2016, la TTF française a rapporté 947 millions d’euros, selon la Cour des comptes. Son rendement « a légèrement décru, alors qu’il avait régulièrement augmenté de 2013 à 2015, passant de 766 millions d’euros à un peu plus d’un milliard ». Selon Attac, une taxe qui porterait sur l’ensemble des transactions financières, c’est-à-dire, pas seulement sur les échanges d’actions, mais aussi sur les produits dérivés, rapporterait 36 milliards d’euros chaque année [3]« Notre analyse, c’est que la taxe de 2012 a été mise en place dans l’urgence, pour éviter de voir s’imposer une taxe sur les transactions financière européenne », estime Dominique Plihon, d’Attac.

Un projet de taxe européenne bien meilleur que la taxe française

Le 26 septembre, dans ses propositions pour relancer l’Europe présentées à la Sorbonne, Macron annonce vouloir une taxe européenne sur les transactions financières, qui serait affectée à l’aide au développement. Faut-il y voir un réel engagement ou une nouvelle promesse sans avenir ? Le projet d’une taxe sur les transactions financières au niveau européen est déjà discuté depuis plusieurs. Le sujet s’est imposé après la crise financière de 2008. La Commission européenne rédige en 2011 une proposition bien plus ambitieuse que ce qui est lancé en France l’année suivante.

« Le projet de la Commission était bien ficelé, je l’aurais voté en l’état. Son assiette état très large », analyse le député écologiste belge au Parlement européen Philippe Lamberts.

La proposition de la Commission prévoyait de taxer les transactions concernant tous les types d’instruments financiers, ainsi que les transactions réalisées de gré à gré, c’est-à-dire hors des marchés réglementés. « Le projet contenait aussi des mesures pour lutter contre l’évasion fiscale, note Dominique Plihon. Avec un principe d’émission, et un principe de résidence : si une action est émise dans un pays européen soumis à la taxe, même si la transaction se fait ailleurs, à Singapour par exemple, elle est quand même taxée. Il y avait donc dans la proposition de la Commission européenne de véritables outils pour mettre en œuvre la taxe. »

Quand le Président français change d’avis tous les trois mois

Six ans ont passé… et la taxe n’a toujours pas vu le jour. Aucun consensus politique n’a vu le jour parmi les 27 pays membres de l’UE pour la mettre effectivement en place. Certains pays, en particulier la Grande Bretagne, s’y sont opposés farouchement. Les pays intéressés ont donc lancé une procédure de « coopération renforcée », qui permet à un noyau de membres de l’UE d’adopter une législation commune valable non pas pour toute l’UE, mais seulement pour eux. Au nombre de onze à l’origine, ils ne sont aujourd’hui plus que dix, dont les principales économies européennes : Allemagne, France, Espagne, Italie, Belgique, Autriche, Grèce, Portugal, Slovénie et Slovaquie [4]. Mais les négociations sont au point mort.

En juin dernier, après l’élection d’Emmanuel Macron, ces dix pays ont décidé de reporter à nouveau l’adoption de la taxe. « On ne peut pas dire que les négociations soient complètement bloquées. Mais la France y a porté un grave coup, analyse Peter Wahl, qui suit le dossier depuis des années chez Attac Allemagne. Macron avait dit qu’il souhaitait attendre de voir comment se passe le Brexit… Il est peu probable qu’ensuite, il veuille poursuivre le projet dans sa forme actuelle. » Emmanuel Macron a donc bloqué toute avancée en juin, pour relancer la question trois mois plus tard. Probablement le reflet de sa « pensée complexe ».

« Le secteur financier ne veut à aucun prix de cette taxe »

Pour le député des Verts européens Philippe Lamberts, les discussions actuelles s’apparentent à un « jeu de poker menteur ». « Les chefs d’État des onze pays qui ont lancé la procédure de coopération renforcée l’ont fait à des fins de communication politique, critique le député belge. On peut donc s’attendre à ce que, le souvenir de la crise financière s’effaçant, la voix du secteur financier soit plus écoutée aujourd’hui qu’il y a cinq ans. Tout le monde sait que le secteur financier ne veut à aucun prix de cette taxe, qui pourrait rendre un certain nombre de leurs transactions non viables. Face à eux, il n’y a aucune volonté politique. Tous les six mois, les décideurs disent qu’il y a un deal, avec quelques points à régler. Mais ce sont à chaque fois des points essentiels. C’est le bal des hypocrites », déplore Philippe Lamberts.

Un autre facteur pourrait jouer contre l’avancée des négociations : un éventuel revirement de l’Allemagne sur le sujet, alors qu’une nouvelle coalition de gouvernement est en cours de négociation suite aux élections du 24 septembre. « L’Allemagne a soutenu l’ensemble du processus sur ce projet de taxe européenne. Son rôle a été très actif, note Peter Wahl, d’Attac Allemagne. Les conservateurs et les sociaux-démocrates, alliés au sein de l’ancien gouvernement « soutenaient le projet d’une taxe européenne sur les transactions financière », précise Peter Wahl. Suite à sa débâcle électorale, le parti social-démocrate (SPD) a choisi de ne pas renouveler la grande coalition et de passer dans l’opposition. Merkel devrait donc s’allier avec les libéraux du FDP et les Verts. Les Verts ont toujours été pour une telle taxe européenne sur les transactions financières. Mais pas les libéraux. « Nous refusons la création de nouveaux impôts, comme l’impôt sur le patrimoine ou la taxe sur les transactions financières », écrivait le parti libéral dans son programme avant les élections. Rien de plus clair.

Pour autant, les défenseurs d’une « taxe Tobin » européenne ne désarment pas. Car, au-delà d’apporter des ressources aux finances publiques, « la TTF est un véritable instrument de lutte contre la spéculation », rappelle Dominique Plihon. Celle-là même qui a conduit le monde entier au bord de l’abîme en 2008.

Notes

[1] La loi de 2012 prévoyait aussi de taxer certains achats spéculatifs de titres sur les dettes souveraines, utilisés notamment contre la dette grecque à partir de 2009. Mais ce type d’opération a été interdit par un règlement de l’Union européenne en mars 2012.

[2] Voir ici le dossier de presse du projet de loi de finances pour 2018, p21.

[3] Voir Rendez l’argent ! Face à l’urgence sociale et écologique, 200 milliards d’euros à récupérer, Attac, mars 2017.

[4] L’Estonie est partie en cours de route.

 

Quand la finance veut sauver le climat  

Dominique Blanc

www.revue-projet.com/articles/2017-09_blanc_quand-la-finance-veut-sauver-le-climat/

 

La planète finance se serait-elle mise au vert ? Depuis deux ou trois ans, le monde d’ordinaire plutôt conservateur des investisseurs ne cesse d’innover pour évaluer et réduire l’empreinte carbone des portefeuilles financiers. Description et analyse.

En 2007, les premiers fonds verts – investis dans les entreprises agissant dans les secteurs de l’environnement : eau, énergies renouvelables, déchets – apparaissent aux investisseurs comme une nouvelle aubaine. Ceux-ci connaissent alors des taux de croissance à deux chiffres, générant un phénomène de bulle, qui explose avec la crise financière. La crise de la dette de la zone euro entraîne, avec elle, celle des secteurs de l’environnement (énergies renouvelables en tête) qui voient fondre comme neige au soleil les subventions qui ont porté leur développement. Les fonds verts basculent dans le rouge et les investisseurs fuient aussi vite qu’ils étaient arrivés. Ils ne voudront plus entendre parler d’environnement pendant plusieurs années.

À l’approche de la Cop21, la tendance s’est de nouveau inversée. Quelques centaines d’investisseurs, réunis à New York en septembre 2014, en marge du sommet des Nations unies sur le climat, prennent un engagement collectif pour lutter contre le changement climatique. Depuis, le phénomène n’a cessé de s’amplifier. En mai 2015, le Climate Finance Day réunit un millier d’investisseurs internationaux à Paris pour préparer la Cop21. Tout s’accélère autour d’un nouveau concept, ni écologique, ni purement climatique, mais bien financier cette fois : le risque climat porté, notamment, par Henri de Castries, alors patron d’Axa. Le mot d’ordre est qu’un monde à +4°C n’est pas un monde assurable. Il y a donc urgence à agir, en multipliant les volumes d’investissements verts et en désinvestissant des industries climaticides, en particulier de l’industrie du charbon. La Caisse des dépôts et quelques grands fonds nord-européens qui, à eux seuls, représentent des centaines de milliards d’euros d’actifs, travaillent depuis lors pour concrétiser le mouvement.

Bulle carbone

En réalité, l’idée de risque climat pesant sur les actifs financiers n’est pas tout à fait nouvelle. L’ONG anglaise Carbon Tracker porte, dès 2011, le concept de « bulle carbone ». L’idée est simple : si, pour limiter le changement climatique, les États sont appelés à réguler les émissions de gaz à effet de serre, les plus grands émetteurs que sont les compagnies d’extraction d’énergie fossile doivent laisser, dans le sol, entre 60 % et 80 % de leurs réserves. Or ce sont ces réserves qui font leur valeur en bourse, ce qui laisse présager un risque majeur de dépréciation d’actifs, qualifiés ainsi de « stranded assets » ou « actifs bloqués ».

L’idée fait son chemin. Avec l’accord de Paris, signé en décembre 2015 et entré en vigueur en un temps record, les États s’engagent à limiter le réchauffement climatique en deçà des 2°C. Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre et président du Conseil de stabilité financière – une organisation internationale créée au plus fort de la crise financière pour tenter de maîtriser les risques systémiques –, est à son tour devenu l’un des plus éminents ambassadeurs de la cause climatique dans le monde financier. Énonçant que le climat peut porter son lot de risques systémiques, il appelle dès lors à faire la lumière sur la façon dont les investisseurs s’en prémunissent. Pour ce faire, il confie à Michael Bloomberg, fondateur de la firme financière éponyme, la mission de monter un groupe d’experts, lui donnant douze mois pour proposer des recommandations concrètes.

La « Task Force on Climate-related Financial Disclosures » (TCFD) mène tambour battant ses travaux et publie, en décembre 2016, des recommandations devant servir de cadre international de reporting pour les acteurs économiques et financiers[1]. Ces recommandations clarifient, en particulier, la nature des risques climat sur lesquels la lumière doit être faite : des risques physiques avec, notamment, la multiplication des catastrophes météorologiques, les sécheresses, etc. engendrées par le changement climatique ; des risques de transition, pour tous les acteurs dont les produits ou services participent au dérèglement climatique (producteurs d’énergie, transports polluants…) et qui devront faire évoluer rapidement leurs activités ; des risques de litiges, pour les acteurs qui pourraient se voir reprocher à terme, devant les tribunaux, leur impact sur le climat.

L’impulsion donnée par l’organe de surveillance des institutions financières internationales contribue à faire du climat un sujet largement appréhendé. Le phénomène d’accélération touche, désormais, tous les pans de l’industrie financière et de ses parties prenantes.

 

Climat morose chez les fossiles

Pour les plus militants, le mouvement s’est concrétisé autour de l’ONG 350.org[2] et de l’initiative Divest-Invest. Son origine émane, en particulier, des grandes universités américaines, où étudiants et professeurs ont choisi de faire pression sur les grands fonds de dotation qui gèrent leurs avoirs, comme ils l’avaient fait dans les années 1960 pour lutter contre l’Apartheid. Leur leitmotiv : le désinvestissement. Il ne s’agit plus d’exclure les compagnies sud-africaines, mais de se défaire des investissements réalisés dans les énergies fossiles, charbon, pétrole, gaz… et de réinvestir dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique…[3] Lancé en 2014, le mouvement a rapidement pris de l’ampleur : fin 2016, près de 700 institutions et 60 000 investisseurs individuels, détenant au total quelque 5200 milliards de dollars d’actifs, l’avaient rejoint. On compte, parmi eux, un nombre croissant de collectivités qui, pour répondre aux attentes de leurs administrés, s’engagent dans ce mouvement. Et avec la chute de l’industrie du charbon, un nombre croissant de grands investisseurs financiers (assureurs, fonds de pension) s’associent à l’idée du désinvestissement du charbon, que Goldman Sachs qualifie, désormais, d’industrie ayant atteint l’âge de la retraite[4].

Lorsqu’il s’agit de réinvestir l’argent ainsi « libéré des énergies fossiles », les investisseurs peuvent maintenant profiter d’un ensemble de produits et de stratégies. Parmi eux, le financement des infrastructures vertes : si, encore récemment, les investisseurs étaient souvent hostiles à s’éloigner de la cote boursière, ils découvrent, avec le financement des énergies renouvelables, une source de rendements stables et visibles sur le long terme, que ne leur offrent plus guère les marchés. Les fonds « bas carbone » répondent à une logique différente : ils cherchent à limiter leur empreinte, tout en continuant d’investir dans tous les secteurs représentés dans les grands indices boursiers (Cac40, Euro Stoxx 50…). L’approche ne fait pas vraiment consensus, mais elle permet à certains grands institutionnels de commencer à avancer sur le sujet, sans trop s’éloigner des indices boursiers auxquels ils ont l’habitude de se référer. La méthode employée consiste à mesurer l’empreinte carbone des entreprises – malgré les imperfections qu’on lui connaît – et à sélectionner, au sein de chaque secteur, les meilleurs élèves.

Mais c’est dans le monde obligataire qu’émerge une petite révolution : jusqu’ici, les obligations n’étaient évaluées par les marchés qu’à l’aune de la confiance dans la capacité des emprunteurs à rembourser leur dette, confiance caractérisée par les fameuses notes de risque crédit des agences de notation. À présent, les investisseurs peuvent aussi s’orienter vers des green bonds (obligations vertes), qui offrent en plus une visibilité sur la nature des dépenses faites par l’emprunteur, avec des garanties d’allocation et d’évaluation environnementale. Né il y a une dizaine d’années, ce marché connaît, depuis 2013, une croissance remarquable en Europe, mais aussi en Asie et en Amérique ; il a récemment dépassé les 100 milliards d’euros. De quoi commencer à financer, à grande échelle, la transition écologique.

La fronde des actionnaires

Désinvestissement et investissement vert ne font pas tout et certains investisseurs leur préfèrent l’idée d’engagement actionnarial. Ils maintiennent leurs investissements dans les industries polluantes, mais utilisent leurs droits d’actionnaires (droit de vote et de dépôt de résolution en assemblée générale) pour influencer les entreprises, afin que celles-ci s’inscrivent dans des démarches de transition vers des modèles bas carbone. Bien sûr, le phénomène n’est pas nouveau, mais son ampleur et les attentes des investisseurs ont fait un bond depuis trois ans. Là encore, les industries fossiles et les énergéticiens ont été les premières cibles. Depuis une décennie, des résolutions étaient ainsi déposées dans les assemblées générales, surtout en Amérique du Nord, afin de demander aux entreprises un reporting environnemental. En 2015, les choses ont connu un tournant lorsque les investisseurs, réunis en coalition autour de l’initiative « Aiming for A », ont réussi à peser si lourd que les conseils d’administration de Shell et BP ont reconnu l’intérêt d’une demande plus spécifique : offrir aux actionnaires de la transparence sur la résilience de leur modèle, à horizon 2030. Et le bras de fer continue : alors qu’Exxon résistait, jusque-là, à ce type de demande, la résolution déposée en 2017, exigeant du géant pétrolier d’évaluer et de rendre compte de la compatibilité de sa stratégie avec le maintien du réchauffement climatique en-dessous de 2°C, a obtenu 62.3 % des voix. Les plus grands investisseurs, dont le premier actionnaire, le géant BlackRock, ont voté en faveur de l’initiative, contre l’avis des dirigeants du géant pétrolier. Une fronde d’une résonance inédite dans le monde feutré des grandes assemblées générales.

Des initiatives politiques et privées suffisantes ?

En France, la communauté financière dispose, déjà, d’un écosystème riche, qui s’est constitué autour du développement de l’ISR (Investissement socialement responsable)[5], attentif à la question du climat. Ce monde de l’ISR regroupe des agences de notation dédiées (Vigeo Eiris, EthiFinance ainsi que les cabinets de conseil environnemental Carbone 4 et I Care & Consult, récemment positionnés sur la gestion financière) ; nombre de sociétés de gestion qui, à l’instar de Mirova ou Sycomore Asset Management, ont développé une véritable expertise d’investissement environnemental et social ; et quelques grands investisseurs – comme l’Erafp[6], le Fonds de réserve des retraites, l’Ircantec[7] ou la Caisse des dépôts pour la sphère publique, Axa ou BNP Cardif pour la sphère privée – qui ont établi de véritables politiques ESG (environnementales, sociales et de gouvernance). Or cet écosystème a trouvé un véritable écho au sein du gouvernement, depuis la Cop21.

Avec l’article 173 de la Loi de transition énergétique adoptée en 2015, le législateur exige désormais de tous les investisseurs un reporting annuel sur leur politique climat. Si l’obligation de transparence sur l’environnement n’est pas nouvelle pour les acteurs financiers, elle l’est pour les investisseurs institutionnels, ces caisses de retraite, mutuelles et assureurs qui détiennent, rien qu’en France, plus de 2000 milliards d’euros d’actifs. Une première en Europe !

Pour compléter le dispositif, un outil, le Label Teec – Transition énergétique et écologique pour le climat – porté par le ministère de l’Environnement et dont Novethic est auditeur, garantit l’allocation verte des produits financiers, tout en assurant qu’aucune industrie fossile ou nucléaire ne se retrouve dans les portefeuilles. Ces deux dispositifs innovants sont, à présent, très observés par nos voisins européens et même au-delà. Enfin, pour faire la preuve par l’exemple, l’État français a été parmi les tout premiers à émettre une obligation souveraine verte (OAT) qui a rencontré un franc succès auprès des investisseurs de tous horizons.

Mais ce portage politique n’est ni universel, ni intemporel. Il est donc rassurant de voir nombre de grands fonds de pension américains répondre à l’annonce de Donald Trump de sortir de l’accord de Paris, en disant vouloir financer la transition écologique à une échelle (plus de 400 milliards de dollars, pour les deux grands fonds de pension publics californiens, CalPERS et CalSTRS) qui leur permet une certaine résistance vis-à-vis du climato-scepticisme fédéral. Et alors que les États-Unis semblent faire machine arrière, les places boursières européennes (Londres, Luxembourg, Francfort, Paris) se font une rude concurrence pour devenir LA bourse la plus verte. La Commission européenne initie ses premières réflexions sur le sujet, avec la mise en place d’un comité, le High Level Expert Group on Sustainable Finance, qui devra faire des propositions fin 2017 pour intégrer dans ses textes des dispositions relatives à la finance verte et durable.

Alors au gré de toutes ces démarches positives, on peut se poser la question : sont-elles à la hauteur de l’enjeu climatique ? Rien n’est gagné d’avance et les acteurs – nombreux et de taille – déjà impliqués ne sont pas encore la norme : aux côtés des 5200 milliards de dollars sortis des énergies fossiles, 10 à 20 fois plus gravitent sur les marchés en s’autorisant toujours ces secteurs synonymes de changement climatique accéléré. Qui plus est, nombre d’ONG environnementales alertent sur les limites des engagements pris : les grandes banques et les plus grands investisseurs ne désinvestissent souvent que d’une partie des énergies fossiles, avec des seuils de tolérance… bien trop tolérants ! Du coté des investissements verts, si l’on peut se féliciter des 100 milliards de dollars de green bonds, ce n’est encore qu’une goutte dans l’océan des quelque 100 000 milliards de dollars du marché obligataire. Enfin, si le débat entre investisseurs et industries polluantes se renforce, il est loin d’être clos. Lorsque le thinktank Carbon Tracker suggère que le scénario 2°C implique de laisser sous terre 60 à 80 % des ressources fossiles identifiées, les majors pétrolières essaient de démontrer, pour leur part, que l’exploitation « raisonnée » de leurs réserves actuelles est possible sans dépasser le même objectif de 2°C…

Mais si les investisseurs mondiaux comprennent rapidement l’enjeu financier et systémique que constitue le changement climatique tel que cela semble se dessiner depuis 2 ans, et s’ils se montrent en capacité d’investir à long terme plutôt que par succession d’opérations spéculatives, alors oui, il est possible d’espérer qu’ils jouent un rôle actif dans la transition énergétique nécessaire.

 

[1] À la suite de ces recommandations, le rapport final est publié en juin 2017 [NDLR].

[2] Cf. Clémence Dubois, « Désobéir pour le climat », Revue Projet 357, avril 2017.

[3] Cf. Jean Merckaert, « Climat : nous sommes les lignes rouges », Revue Projet 350, février 2016.

[4] Goldman Sachs Global Investment Research, Thermal coal reaches retirement age, Goldman Sachs, 23 janvier 2015.

[5] Sur la portée et les débats autour de l’ISR, on pourra utilement consulter le n° 343 de la Revue Projet, décembre 2014, « Vers une finance au service de la société ? » [NDLR].

[6] Lancé en 2005, l’Établissement de retraite additionnelle de la fonction publique, doté de 26 milliards d’euros d’actifs, collecte et gère financièrement la retraite complémentaire de 4,5 millions de fonctionnaires. Il dispose d’une charte ISR appliquée à tous ses investissements depuis son origine.

[7] L’Ircantec (Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques) compte 2,9 millions de cotisants et plus de 2 millions de retraités en 2016. Les 10 milliards d’euros de réserves du régime sont gérés par la Caisse des dépôts suivant une

 

Europarlamentuak ezetz esan die kutsatzaile hormonalak definitzeko Batzordearen irizpideei

Unai Brea

www.argia.eus/albistea/europarlamentuak-ezetz-esan-die-kutsatzaile-hormonalak-definitzeko-batzordearen-irizpideei

 

Estrasburgon egindako saioan, Eurolegebiltzarrak ezetz esan dio kutsatzaile hormonalak definitzeko Europako Batzordeak –saiakera askoren ostean–  aurkeztutako irizpide sortari. Batzordearen testuak zientzialari ugariren kritikak jaso ditu, hala nola Europa osoko talde ekologista eta kontsumitzaile elkarteenak, herritarren osasuna babesteko nahikoa ez delakoan.

389 eurodiputatuk bozkatu dute Batzordeak lau urte eta erdiko atzerapenez aurkeztutako proposamenaren aurka, eta 235ek alde. Honenbestez, disruptore endokrino edo kutsatzaile hormonalen definizio-irizpide berriak garatu eta ostera ere Parlamentuari aurkeztu beharko dizkio Bruselak. Behin irizpideok onartuta, haien arabera disruptoretzat sailkatutako substantziak ezin izango dira gehiago erabili pestizida eta herbiziden osagai modura. Espero da debekua beste kontsumo-artikuluetara zabaltzea ondoren: jantziak, jakien estalkiak, kosmetikoak… Zientzialariak aspalditik ohartarazten ari dira nonahi daudela gaitz larri askoren eragile izan daitezkeen konposatu horiek.

Sistema endokrinoa aztertzen duten medikuen nazioarteko elkarte batzuek publikoki agertu dute kezka Europako Batzordeak proposatutako definizioa dela-eta, oinarri zientifiko eskasekoa eta herritarren osasuna babesteko ez-nahikoa delakoan. Izan ere, proposamenak baldintza gehiegi ezartzen du substantzia disruptore endokrinotzat jo ahal izateko.

Bestalde, aurkeztutako proposamena legez kanpokotzat jo dute berriki zabaldutako bi txosten juridikok. Arrazoia da proposamena osatzeko Batzordeak bere kasa moldatu duela Europako hiru erakundek (Batzordeak berak, Eurolegebiltzarrak eta Europako Kontseiluak) kontsentsuz osatutako araudi bat. Zenbait iturriren arabera, lege-urratze hori izan da Legebiltzarraren gehiengoak ustekabean eman duen ezezkoaren zergatia.