Deux degrés de plus, « un désastre »pour James Hansen
Stéphane Foucart
Le Monde du 08.12.2011
Le climat sur la voie d’un réchauffement de 3,5 °C
AFP
Le Monde du 06.12.2011
Les vingt banques qui nuisent au climat en finançant le charbon
Audrey Garric
http://ecologie.blog.lemonde.fr/2011/12/02/les-vingt-banques-accusees-de-tuer-le-climat/ – Le Monde du 02.12.2011
Pas de dérobade au prétexte d’un « mandat de Durban » !
Attac France et l’Aitec, …
…
« Pour le nucléaire, il n’y a jamais de responsables. Trop d’intérêts sont mêlés… »
Propos recueillis par Philippe Pons
Le Monde du 08.12.2011
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Deux degrés de plus, « un désastre »pour James Hansen
Stéphane Foucart
Le Monde du 08.12.2011
Deux petits degrés Celsius de plus par rapport aux températures préindustrielles seraient déjà « un désastre ». Présentant de nouvelles données au congrès d’automne de l’American Geophysical Union (AGU), qui se tient à San Francisco (Etats-Unis), le climatologue James Hansen a adressé, dans une conférence donnée mercredi 7 décembre, une sévère mise en garde aux négociateurs réunis à Durban (Afrique du Sud).
Selon le chercheur, célèbre pour avoir été le premier scientifique, en 1988, à tirer le signal d’alarme sur la question climatique, le seuil des 2 0C de réchauffement fixé par la communauté internationale ne permet pas de protéger les sociétés sur le long terme. Le directeur du Goddard Institute for Space Studies (GISS), principal laboratoire d’études climatiques de la NASA, présentait une reconstruction de l’évolution des températures au cours des 5 millions d’années écoulées. « Nous sommes aujourd’hui tout près des températures de la période de l’éémien, il y a 130 000 ans, ou du holsteinien, il y a 400 000 ans, a déclaré M. Hansen. Or, à ces deux périodes, nous savons que le niveau moyen des mers était de 4 à 6 mètres plus élevé qu’aujourd’hui. »
Ses travaux, menés avec Makiko Sato (GISS), montrent qu’avec un degré de plus qu’aujourd’hui – c’est-à-dire 1,7°C de plus par rapport au niveau préindustriel -, la Terre excéderait les températures atteintes au cours de ces deux récents pics de chaleur. Elle atteindrait sa période la plus chaude depuis environ 3,2 millions d’années. « Dépasser ce réchauffement renverrait le climat à ce qu’il était au début du pliocène », lorsque les océans étaient environ 25 m au-dessus de leur hauteur actuelle, ajoute le chercheur. « Si la teneur en CO2 venait à doubler, précise-t-il, cela reviendrait à augmenter la température moyenne d’environ 3 0C (par rapport au niveau préindustriel) et cela renverrait la planète à un état où la cryosphère (l’ensemble des glaces de mer et des glaciers continentaux) n’existait pas. »
Fonte des calottes
La hausse des températures ne fait pas monter les océans instantanément : le système se met lentement à l’équilibre. Mais, selon M. Hansen, les données paléoclimatiques montrent que le rythme d’élévation des mers peut atteindre 1 m à 2,5 m par siècle, en raison de la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique.
Le seuil de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels est la certitude d’un « désastre à long terme« , conclut M. Hansen. Même si « nous ne savons pas précisément à quel terme ». Pour le chercheur, connu pour ses positions très tranchées et jouissant d’un grand prestige dans la communauté scientifique, « pour conserver un climat qui ressemble à peu près à celui de l’holocène, la période au cours de laquelle la civilisation s’est développée », il faut « maintenir la concentration de CO2 atmosphérique sous les 350 parties par million (ppm) ». Elle était de 270 ppm au XIXe siècle et elle est aujourd’hui de 390 ppm.
Mais, ajoute le directeur du GISS, il est possible de la faire baisser « en supposant que la reforestation peut pomper 100 milliards de tonnes de carbone » et « en réduisant les émissions de 6 % par an, en commençant dès l’an prochain ». Or, rappelle-t-il, « si nous avions commencé il y a seulement cinq ans, une baisse de 3 % par an aurait suffi ».
Le climat sur la voie d’un réchauffement de 3,5 °C
AFP
Le Monde du 06.12.2011
Le monde est sur une « trajectoire à haut réchauffement, à haut coûts, et à haut risque », à hauteur de + 3,5 °C par rapport à l’époque pré-industrielle, affirme une étude présentée mardi 6 décembre à Durban (Afrique du Sud), en marge de la conférence de l’ONU sur le climat.
Ce chiffre, établi par deux sociétés de conseil spécialisées sur le carbone, Climate Analytics and Ecofys, prend en compte les promesses actuelles de réduction de gaz à effet de serre des Etats, largement insuffisantes car l’objectif adopté par la communauté internationale en 2010 est de 2 °C maximum.
Au rythme où augmentent les émissions de ces gaz, les gouvernements n’ont guère que quatre ans pour inverser la tendance et éviter ensuite des dépenses massives pour atteindre l’objectif de 2 °C, selon ce rapport.
JUSQU’À 2020 AVANT UNE TRANSITION TRÈS COÛTEUSE
L’objectif de contenir le réchauffement à 2 °C par rapport à l’époque pré-industrielle a été lancé à Copenhague fin 2009 et a officiellement été entériné par la communauté internationale l’an passé à Cancun, au Mexique. Il constitue le niveau de réchauffement qui permettrait de limiter des conséquences trop sévères du changement climatique.
Depuis l’époque pré-industrielle, la température a déjà augmenté de 0,8 °C. Pour atteindre cet objectif de 2 °C, une majorité des pays ont publié des promesses volontaires de réduction de gaz à effet de serre. Selon le rapport, ces promesses mèneraient à des émissions globales de 55 milliards de tonnes de ces gaz en 2020. Soit 11 milliards de tonnes au-dessus des 44 milliards qui permettraient de mettre le monde sur une trajectoire de 2 °C de réchauffement.
En conséquence, les coûts en efficacité énergétique et de la transition vers une énergie moins carbonée risquent d’augmenter fortement après 2020 pour rattraper le temps perdu et tenter de redresser la barre, soulignent les auteurs. Ces chiffres vont dans le même sens que ceux publiés en novembre par l’Agence internationale de l’énergie et le Programme des Nations unies pour l’environnement.
Les vingt banques qui nuisent au climat en finançant le charbon
Audrey Garric
http://ecologie.blog.lemonde.fr/2011/12/02/les-vingt-banques-accusees-de-tuer-le-climat/ – Le Monde du 02.12.2011
D’où vient l’argent qui sert à financer les très polluantes centrales à charbon ? C’est la question à laquelle répond le rapport Bankrolling Climate Change (Financer le changement climatique) publié mercredi 30 novembre, lors de la conférence de Durban sur le climat. Quatre ONG se sont ainsi penchées sur les portefeuilles de 93 grandes banques. Le résultat est sans appel : depuis 2005, date de l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto fixant des objectifs contraignants de réduction des émissions de gaz à effet de serre afin de lutter contre le changement climatique, ces établissements ont octroyé 232 milliards d’euros de prêts à l’exploitation du charbon dans les mines et à sa transformation en électricité par les centrales.
Or, le charbon constitue l’énergie fossile la plus intensive en carbone. Sa combustion est ainsi responsable de l’émission de milliards de tonnes de gaz à effet de serre (CO2, CH4 ou NO) chaque année au niveau mondial, mais aussi d’autres polluants comme des particules de suie et du mercure. Son extraction altère par ailleurs les écosystèmes, pollue les eaux, et nuit à la santé des populations environnantes.
La construction de centrales à charbon coûte très cher (environ 2 milliards de dollars pour une centrale de 600 MW). Les entreprises s’appuient donc fortement sur les banques pour trouver les capitaux nécessaires. « Nos chiffres montrent clairement que le financement du charbon augmente : il a presque doublé entre 2005 et 2010 », remarque Tristen Taylor, d’Earthlife Africa Johannesburg.
En tête de liste des 20 institutions bancaires qui ont le plus mis la main à la poche, on trouve trois banques américaines — JP Morgan Chase, Citigroup et Bank of America — qui totalisent 42 milliards d’euros d’investissement dans le secteur du charbon depuis 2005. Elles sont suivies de comparses anglais, allemands, suisses et… français. Nos trois principaux établissements bancaires nationaux figurent ainsi dans le classement : BNP Paribas est 8e avec 10,7 milliards d’euros de prêts accordés depuis sept ans, le Crédit agricole 14e avec 5,6 milliards et la Société générale est 18e avec 4,7 milliards.
Comment ces chiffres ont-ils été compilés ? « La plupart des grandes banques commerciales fournissent des chiffres sur leurs investissements annuels dans les énergies renouvelables, qu’elles mettent en valeur, mais cachent les données sur les levées de fonds ou les actions détenues pour de projets de combustibles fossiles », déplore le rapport. Les experts du groupe d’ONG — l’allemande Urgewald, le réseau international BankTrack et les ONG sud-africaines Earthlife Africa Johannesburg et GroundWork — ont ainsi passé sept mois à décortiquer les rapports annuels des principales sociétés exploitant des mines de charbon ou des centrales. Les vrais chiffres des investissements pourraient donc s’avérer encore plus élevés.
Certaines institutions bancaires ont réagi à cette étude, dans les colonnes du Guardian, soulignant qu’elles ne pouvaient tracer les sommes prêtées à cette industrie et ajoutant que ces prêts n’avaient en rien affecté leur engagement environnemental.
Pour les ONG, c’est une fois de plus la preuve d’un décalage entre les discours et la réalité, les banques se targuant d’être investies dans des projets de réduction de leurs émissions, en façade, et finançant l’industrie du charbon, dans l’ombre.
« Bien que le changement climatique ait déjà des impacts sur les sociétés les plus vulnérables, il y a de nombreux projets de construction de nouvelles centrales à charbon, regrette Heffa Schücking, de Urgewald. Si les banques fournissent l’argent nécessaire à ces projets, elles vont ruiner les efforts pour limiter la hausse de la température mondiale à 2°C d’ici la fin du siècle. » Deux centrales à charbon, à Medupi et Kusile, sont par exemple en construction en Afrique du Sud, qui accueille actuellement la conférence sur le climat.
« Par la dénonciation publique de ces banques, nous espérons ouvrir la voie à une course vers le sommet, où les banques se font concurrence pour nettoyer leurs portefeuilles et arrêter de financer des activités qui tuent notre climat. » Un espoir sans doute très utopique, même si ce genre de publicité négative pourrait finir par inciter certaines des sociétés à limiter leurs financements néfastes.
Pas de dérobade au prétexte d’un « mandat de Durban » !
Attac France et l’Aitec, …
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Attac France et l’Aitec, engagés dans la coalition Climate Justice Now, s’associent à cet appel de plus de 50 organisations Pas de dérobade au prétexte d’un « mandat de Durban », qui précise les raisons d’un refus de tout résultat ici à Durban qui bloquerait « le processus à de faibles ambitions et à l’inaction pour des années, condamnant des milliards de personnes en Afrique et partout dans le monde à subir les pires impacts du réchauffement climatique« .
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En tant que société civile africaine, mouvements sociaux et alliés internationaux, nous rejetons l’appel de nombreux pays développés pour un soi-disant «mandat de Durban» visant à lancer de nouvelles négociations pour définir un futur cadre juridique sur le climat.
Un nouveau mandat pour un nouveau traité qui prenne la place du Protocole de Kyoto devrait être compris pour ce qu’il est vraiment : les pays riches reviennent sur leurs pas et renient les obligations qui les dérangent, au détriment des pauvres et de la planète. Alors que les pays développés peuvent apparaître comme progressistes en demandant un mandat pour négocier un nouveau traité juridiquement contraignant, la vérité est que ce n’est rien de plus qu’une tentative voilée de tuer le Protocole de Kyoto et d’échapper à leurs obligations d’atténuation supplémentaires qu’ils devraient prendre, en vertu du mandat existant déjà dans le protocole lui-même et dans l’accord de 2005, pour négocier des réductions supplémentaires des émissions. Aboutir sur une déclaration politique annonçant la poursuite du protocole de Kyoto revient, en pratique, à l’enterrer. Ce ne sera rien de plus qu’un amendement formel légal et un processus de ratification qui aboutiront sur une coquille vide du Protocole de Kyoto.
Convenir d’un nouveau mandat signifierait que toute action est effectivement retardée de cinq à dix ans. Un nouveau traité va prendre plusieurs années de négociations et plusieurs années nécessaires à sa ratification. De plus, il n’y a aucune assurance que les pays qui ont renié l’architecture juridique existante, comme les Etats-Unis, seront d’accord pour ratifier un nouvel accord, ni que cet accord ne soit pas un système faible et inefficace « d’engagements volontaires ».
Les pays développés doivent de toute urgence accroître leurs objectifs de réduction d’émissions. Comme les derniers rapports de l’Agence internationale de l’énergie l’indiquent clairement, des réductions drastiques des émissions sont aujourd’hui nécessaires pour avoir une chance réelle de limiter la hausse de la température à 1,5°C. Les actuelles promesses de réduction d’émissions vont nous conduire à une augmentation de température de 5°C. Pour l’Afrique, cela signifie 7 ou 8°C de réchauffement et d’inimaginables souffrances humaines. C’est pourquoi une approche basée sur des engagements volontaires avec des règles de vérification faibles, plutôt que l’approche du Protocole de Kyoto, ses engagements juridiquement contraignants et des règles internationales qui donnent un sens à ces engagements, est totalement insuffisante pour assurer les réductions nécessaires d’émissions.
Alors que de nombreux pays développés conditionnent toute action ultérieure, y compris accomplir leurs obligations juridiquement contraignantes à travers une deuxième période d’engagement du Protocole de Kyoto, à des actions plus importantes de la part des économies émergentes, les promesses des pays en développement sont déjà bien plus importantes que les engagements pris par les pays développés. En fait, si l’on prend en compte tous les échappatoires existants et l’utilisation des marchés du carbone, les pays développés pourraient au final ne pas contribuer à la réduction des émissions d’ici 2020.
Alors que de nombreux pays développés cherchent à mettre fin au protocole de Kyoto, ils tentent simultanément de conserver et étendre les éléments du protocole de Kyoto qui ont leur faveur, comme les Mécanismes de Développement Propres (MDP), en les intégrant dans un nouvel accord et en déplaçant leurs propres responsabilités sur les pays en développement. Sans réduction d’émissions juridiquement contraignantes sous le Protocole de Kyoto, les pays développés ne doivent pas être autorisés à avoir accès aux marchés du carbone. En outre, avec l’effondrement du prix du carbone, les engagements dérisoires de réduction d’émissions des pays développés, il n’y a pas de justification à la poursuite des MDP ou à la création de nouveaux mécanismes de marché.
Les pays développés doivent augmenter leur ambition et cesser de blâmer les autres pays qui ont beaucoup moins contribué à la crise climatique, mais qui cependant se sont engagés sur des actions bien plus importantes. Les pays en développement sont à la hauteur de leurs promesses faites à Bali, tandis que les pays développés tentent de réécrire les règles du jeu pour éviter de satisfaire à leurs obligations.
Les pays développés refusent également aux pays en développement les financements et technologies nécessaires pour résoudre la crise climatique. La mise à disposition par les pays développés de financements aux pays en développement est une obligation en soi. Cela ne doit pas être utilisé comme monnaie d’échange dans les négociations de Durban, et les pays développés ne doivent pas les faire miroiter aux pays pauvres comme un pot de vin pour obtenir un mauvais accord en termes d’atténuation. Le même raisonnement s’applique à la mise en place du Fonds vert pour le climat. La réussite de Durban dépend du fait que le Fonds vert pour le climat ne soit pas transformé en une coquille vide et inefficace.
Nous n’accepterons pas un « mandat de Durban » ou tout autre résultat qui verrouille le processus à de faibles ambitions et à l’inaction pour des années, et qui condamne des milliards de personnes en Afrique et partout dans le monde à subir les pires impacts du réchauffement de la planète.
Premiers signataires :
Africa Trade Network
Alternative Information Development Centre
Democratic Left Front
Friends of the Earth International
groundWork, Friends of the Earth, South Africa
Jubilee South (Asia Pacific)
Pan African Climate Justice Alliance
Rural Women’s Alliance
South Durban Community Environmental Alliance
Southern African Faith Communities’ Environment Institute
Third World Network
Trust for Community Outreach and Education
Institute for Agriculture and Trade Policy
Philippine Movement for Climate Justice
Fairwatch – Italy
Greenovation Hub
Earth Day for Almost Extinct Animals
KRuHA – Indonesia; people’s coalition for the right to water
Focus on the Global South
African Biodiversity Network
Polaris Institute, Canada
IBON International
The Peoples Movement on Climate Change
Ecologistas en Acción – Spain
ATTAC – France
Aitec
Council of Canadians
Centre for Civil Society Environmental Justice Project (Durban)
Unitarian Universalist Association of Congregations
College of the Atlantic
Earth in Brackets
Labour,Health and Human Rights Development Centre
Institute for Sustainable Development, Addis Ababa, Ethiopia
Center for 21st Century Issues (C21st), Nigeria
Gender, Environment and Climate Action Network (GECAN), Nigeria
Economic Justice Network of the Fellowship of Christian Councils in Southern Africa
International Institute for Climate Action Theory
Center for Biological Diversity
Umphilo waManzi
International Forum on Globalization
CRBM (Italy)
Gender Action
International Foundation for African Children (IFAC)
Occupational and Environmental Health, Nelson R. Mandela School of Medicine
ActionAid International
The Zygote Project
Center for Environmental Concerns – Philippines
Centre for Civil Society Environmental Justice Project
Syabangena Medea
Energy and Climate Policy Institute Korea
« Pour le nucléaire, il n’y a jamais de responsables. Trop d’intérêts sont mêlés… »
Propos recueillis par Philippe Pons
Le Monde du 08.12.2011
Professeur assistant au laboratoire de recherche sur les réacteurs nucléaires à l’Université de Kyoto, Hiroaki Koide est l’une des voix les plus écoutées sur l’atome, au Japon. Mettant en cause la politique du gouvernement, il a été maintenu pendant près de quatre décennies dans une sorte de « purgatoire » scientifique, comme d’autres chercheurs partageant les mêmes idées. Il est resté « assistant », sans responsabilité et bénéficiant de budgets parcimonieux.
Ses livres mettant en garde contre les risques du nucléaire étaient passés inaperçus. Depuis la catastrophe de Fukushima, ses deux derniers ouvrages, publiés en 2011 (Le nucléaire, ça suffit et Le Mensonge nucléaire), non traduits, figurent parmi les six meilleures ventes. Le blog de ses interventions est l’un des plus consultés parmi ceux consacrés à l’accident de Fukushima.
Neuf mois après Fukushima, quelles leçons tirer ?
Les réacteurs sont des machines maniées par l’homme et celui-ci n’est pas infaillible. Après mes études, je voulais consacrer ma vie à l’atome. J’étais un étudiant plutôt conservateur. Puis, au début des années 1970, j’ai assisté à des manifestations contre la construction de la centrale d’Onagawa. Je ne comprenais pas pourquoi. Peu à peu, au fil de mes recherches, j’ai pris conscience des dangers du nucléaire. Pas seulement au Japon à cause des séismes et des tsunamis : dans l’état actuel de la science, l’énergie nucléaire est dangereuse. Partout.
Que pensez-vous de l’attitude du gouvernement japonais ?
J’en ai honte. Sa réaction à la catastrophe est condamnable à plus d’un titre : sous-estimation des risques, dissimulation des informations et retard dans l’évacuation des populations en les invitant au début à quitter les lieux dans un rayon de 3 km « par précaution ». Puis les zones d’évacuation ont été élargies en cercles concentriques alors que les panaches radioactifs se meuvent en fonction du vent.
Que doit faire le gouvernement ?
Arrêter immédiatement les centrales. S’il y a un nouvel accident de cette ampleur, le Japon ne s’en relèvera pas. La menace du manque d’électricité est un leurre : si on refait partir les centrales hydrauliques et thermiques actuellement à l’arrêt, il y aura assez de courant.
La majorité des chercheurs a soutenu pendant des années la politique de Tokyo. Pourquoi ?
La promotion de l’énergie nucléaire est la politique de l’Etat. Les milieux académiques et les médias ont suivi. Et les scientifiques, perdus dans leur monde, ont renoncé à leur responsabilité sociale. L’Etat et les gestionnaires des centrales ont voulu croire – ou ont pris le risque de croire – qu’un accident ne se produirait pas.
Mais les Japonais, premier peuple atomisé, connaissent les risques de l’atome…
Pour beaucoup de Japonais, il existe une différence entre la bombe atomique et l’énergie nucléaire. Et puis, il y a le jeu des intérêts économiques et politiques. L’énergie nucléaire est très rentable pour les compagnies d’électricité (les Japonais payent leur électricité plus cher que le reste du monde…) ; les géants industriels, tels Mitsubishi Heavy Industries, Toshiba, Hitachi, impliqués dans la construction des centrales, suivent leur logique de rentabilité et l’Etat leur laisse la « bride sur le cou ».
Puis il y a la politique : le Japon qui, aux termes de sa Constitution, a renoncé à la guerre, entend néanmoins avoir une capacité nucléaire qui lui permette de disposer de matière fissile pour pouvoir, le cas échéant, assembler rapidement une bombe ; enfin, il y a des municipalités de régions délaissées qui pensent qu’une centrale nucléaire leur apportera la prospérité, sans mesurer les risques.
Selon vous, l’histoire du nucléaire est celle d’une discrimination…
La production de cette énergie repose sur le sacrifice de certaines catégories sociales. On construit des centrales non pas près des villes qu’elles fournissent en électricité, mais dans des régions arriérées dont les populations ne savent pas se défendre. On fait prendre les risques maximum d’irradiation non pas aux employés, pour la plupart syndiqués, des opérateurs des centrales mais à ceux des entreprises sous-traitantes : 86 % des victimes d’irradiation pour avoir travaillé près des réacteurs sont des « Gitans du nucléaire », c’est-à-dire des ouvriers temporaires.
Le gouvernement veut tourner la page : le leitmotiv est « reconstruire », « décontaminer »…
Ce que nous appelons le « village nucléaire » – le lobby pronucléaire – reste en place. La décontamination est une nouvelle source de profit pour celui-ci et la reconstruction, une manne pour les entreprises de génie civil. Si on veut décontaminer, c’est tout le département de Fukushima qui doit l’être. Mais où transportera-t-on la terre irradiée ?
« Tourner la page » signifie aussi gommer les responsabilités ?
Pas plus que pour les accidents précédents, de beaucoup plus faible ampleur, il n’y a eu de responsable. Trop d’intérêts sont mêlés.
Après l’accident, il y a eu des manifestations antinucléaires mais pas de mouvement d’opinion. Pourquoi cette apathie ?
Je me pose aussi la question. Les Japonais ont tendance à respecter les hiérarchies et la bureaucratie. Et puis, vers qui se tourner ? Il n’y a pas de relais politique : encore moins avec les démocrates au pouvoir depuis 2009, dont nombre de députés dépendent des syndicats du secteur de l’électricité et de l’industrie lourde.
Pourtant, l’Histoire montre – les luttes ouvrières des années 1950, les mouvements de citoyens contre les maladies de la pollution – que les Japonais ne sont pas toujours passifs…
Dans le premier cas, il y avait des syndicats forts, qui ont été brisés. Dans le second, on a vite vu les tragiques effets de la pollution : la naissance d’enfants handicapés mentaux et moteurs. Et l’opinion s’est réveillée. Dans le cas de Fukushima, il y aura des victimes, beaucoup sans doute, mais le mal se propage lentement et la prise de conscience risque de suivre le même chemin…