Articles du Vendredi : Sélection du 8 novembre

COP29 sur le climat : avec l’élection de Donald Trump : la négociation déjà en coma dépassé
Jean-Denis Renard
https://newho.prod.sudouest.fr/international/etats-unis/elections/election-de-donald-trump-la-negociation-sur-le-climat-deja-en-coma-depasse-22049446.php

L’accession de Donald Trump au pouvoir est synonyme de victoire pour les climatosceptiques du monde entier. La COP29, qui s’ouvre le 11 novembre à Bakou en Azerbaïdjan, en portera l’empreinte.
« Drill, baby, drill ! » Daté de 2008, ce slogan de campagne du Parti républicain est on ne peut plus d’actualité. « Fore, chérie, fore ! » résume la politique climatique que Donald Trump s’apprête à mettre en place. Toujours plus de gaz et toujours plus de pétrole à aller chercher dans le sous-sol, et un déni du changement climatique et de ses origines humaines assumé avec une arrogance péremptoire. On peut déjà anticiper le moment où les réglementations contraignantes qui interdisaient la prospection d’hydrocarbures dans certaines zones de l’Alaska vont sauter. Et on gagera sans risque que l’EPA, l’Agence américaine de protection de l’environnement, sera à nouveau bousculée, voire démantelée, comme lors du premier mandat de Donald Trump.
L’homme n’est pas de ces climatosceptiques qui habillent leurs convictions anti-science d’un vernis modéré. En juin 2017, fraîchement élu 45e président des États-Unis, il annonçait le retrait de son pays de l’accord de Paris sur le climat conclu lors de la COP21 – la conférence annuelle des Nations unies sur les changements climatiques – qui se tenait en décembre 2015 au Bourget, à côté de Paris.
Selon les règles onusiennes, il lui fallait trois ans à compter de l’entrée en vigueur du traité pour réclamer la rupture, et un an supplémentaire pour s’en libérer pour de bon. C’est ainsi que le retrait américain a pris effet le 4 novembre 2020… au lendemain de l’élection de Joe Biden, qui a immédiatement signifié le retour des États-Unis dans le giron de la négociation internationale.
Les États-Unis, deuxième émetteur mondial
Dans le cadre de l’accord de Paris, les États-Unis se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 50 à 52 % en 2030 par rapport à leur niveau de 2005. En 2023, cet effort se traduisait par une baisse de seulement 18 %, encore loin de la cible, selon le centre de recherche Rhodium Group.
En 2021, le pays occupait la deuxième place au palmarès des plus gros émetteurs mondiaux avec 11 % du total, loin derrière la Chine à 29 %. Avec 17,5 tonnes d’équivalent CO2 par habitant (l’équivalent CO2 permet de comptabiliser tous les gaz à effet de serre sous une seule unité), un Américain émet bien plus de gaz à effet de serre qu’un Chinois (10,8 tonnes) et, a fortiori, qu’un Français (6,3 tonnes).
Avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, les États-Unis vont pouvoir quitter à nouveau l’enceinte du multilatéralisme climatique et évacuer d’une chiquenaude tous les appels à une réduction de l’exploitation des énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole). Au printemps dernier, le média spécialisé Carbon Brief estimait qu’une victoire de Donald Trump pourrait entraîner l’émission supplémentaire, d’ici à 2030, de 4 milliards de tonnes d’équivalent CO2 par rapport à ce que feraient les États-Unis sous administration démocrate, soit les émissions annuelles de l’Europe et du Japon.
La panne des financements Nord-Sud
Pour la première fois, une timide mention relative à la sortie des énergies fossiles figurait dans le texte final de la COP28, organisée l’an passé à Dubaï, aux Émirats arabes unis. Une mention arrachée de haute lutte alors que les États-Unis sont, avec l’Arabie Saoudite, les plus gros producteurs planétaires de pétrole.
Il y a fort à parier que, dès lundi à Bakou, on ne va parler que de ça. La capitale de l’Azerbaïdjan accueille la COP29 jusqu’au 22 novembre. Et si c’est l’administration Biden qui reste en place jusqu’à l’investiture du nouveau président en janvier, la délégation américaine sera largement inopérante à la suite du revers démocrate.
Cet aspect n’échappe à personne. Surtout pas à la Chine qui, malgré ses différends majuscules, avait repris langue avec Washington il y a dix-huit mois pour progresser sur la politique climatique. Outre la relance sans complexe de l’usage des hydrocarbures, c’est tout le fragile échafaudage des financements Nord-Sud pour l’action climatique qui risque la panne géante.

Énergie et climat : les promesses du gouvernement sont-elles tenables ?
Jean-Denis Renard
www.sudouest.fr/environnement/climat/energie-et-climat-les-promesses-du-gouvernement-sont-elles-tenables-22034668.php

Les documents de planification énergie et climat, publiés le 4 novembre, rehaussent l’ambition de la France pour 2030 et au-delà. Mais les objectifs seront difficiles à atteindre. Éléments de réponse.
Ce 5 novembre, en début d’après-midi, 24 heures après la mise en consultation des documents phares de la planification écologique – la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) –, on dépassait déjà 1 300 contributions sur la page dédiée du site internet du ministère de la Transition écologique. Le signe d’un intérêt public pour le sujet. Sur la production d’électricité, sur les transports, l’agriculture ou le secteur du bâtiment, le gouvernement promet une mutation significative, susceptible de faire chuter les émissions de gaz à effet de serre de la France de 50 % en 2030 par rapport à 1990. S’inscrira-t-elle dans le réel ?
1 Les incertitudes de la sobriété
La sobriété est un mot qui brûle les lèvres d’une bonne partie du personnel politique. Le concept a pourtant fait florès lors de l’envolée des prix de l’énergie qui a suivi l’invasion russe en Ukraine, en février 2022. L’épisode a coïncidé avec la disponibilité historiquement faible du parc nucléaire français, plombé par des problèmes récurrents de corrosion. La persuasion a été efficace. On a enregistré une baisse de 12 % des consommations de gaz et d’électricité entre l’été 2022 et l’été 2023.
La PPE table sur une poursuite de l’effort. Elle prévoit une baisse de la consommation d’énergie finale de 28,6 % entre 2012 et 2030. Elle n’a chuté que de 10,7 % entre 2012 et 2022, ce qui implique de doubler le rythme sur la période 2023-2030. Comment faire ? L’État parie notamment sur les vertus répétées d’une campagne de communication à destination des ménages. Elle a eu un impact certain quand les factures d’énergie ont décollé, mais qu’en sera-t-il en période de stabilité des prix ?
Le secteur des transports représente à lui seul 34 % des émissions domestiques de gaz à effet de serre. La PPE envisage une réduction massive de sa consommation énergétique – et donc de ses émissions – en électrifiant les véhicules, en développant des modèles plus légers et en reportant les déplacements de la voiture vers le vélo ou le train.
La marche sera haute. Sur le dernier point, les politiques de report modal « n’ont pas encore montré leurs effets et les outils permettant de maîtriser la demande de déplacements restent à identifier », écrivait le Haut Conseil pour le climat dans son rapport 2024. On parle d’une suppression pure et simple du plan vélo dans le budget 2025. Et les trains régionaux peinent à répondre à la demande. À titre d’exemple, entre retards, lenteur et insuffisance du nombre de sièges, le TER Bordeaux-La Rochelle passerait presque pour une publicité pour la voiture.
2 Le défi de la rénovation du bâti
La rénovation des logements et des bâtiments tertiaires fait partie des leviers principaux pour réduire la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre. La PPE prévoit « une accélération significative de la cadence des rénovations d’ampleur » pour le secteur résidentiel : 400 000 maisons individuelles et 200 000 logements collectifs par an. La barre est fixée à -40 % pour la consommation d’énergie des bâtiments tertiaires d’ici à 2030.
Le Haut Conseil pour le climat se montre dubitatif. « Les freins importants à une massification efficace des rénovations sont la formation des professionnels, le contrôle de la qualité des travaux et la difficulté à faire aboutir les projets dans les copropriétés », jugeait-il dans son rapport 2024. Dans la filière, on se déclare prêt à relever le pari, « sous certaines conditions », explique David Morales, le vice-président en charge des affaires économiques de la Capeb, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment. Il déplore la complexité des dossiers MaPrimeRénov’ comme celui de la certification RGE (reconnu garant de l’environnement) des professionnels. « Il faut fluidifier tout ça », appuie-t-il, en indiquant que nombre d’entreprises rechignent à se lancer par crainte de la paperasse.
Quant à l’objectif de diviser par quatre d’ici à 2030 le nombre de chaudières au fioul dans les logements – 300 000 foyers dans lesquels intervenir chaque année –, il suscite des réserves. « 4 millions de ménages environ se chauffent encore au fioul, en majorité des gens modestes. Ils ne sont pas contre l’abandon du fioul. Mais le reste à charge est élevé. Comment fait-on ? L’argent, c’est le nerf de la guerre », poursuit David Morales.

3 Le solaire et l’éolien à pas rapides
Indispensable à l’électrification des usages, la hausse de la production électrique repose sur deux piliers principaux : l’optimisation du parc nucléaire existant, enrichi par l’EPR qui démarre à Flamanville (Manche), et l’augmentation de la capacité des énergies renouvelables.
Échaudé par les résistances locales face à l’éolien terrestre, le gouvernement opte pour un dopage de l’éolien en mer. Le parc au large de Saint-Nazaire a été mis en service en 2022, ceux de Fécamp et de Saint-Brieuc en 2023, soit 1,5 GW de puissance cumulée. Il faudrait pousser les curseurs jusqu’à 18 GW en 2035, ce qui va requérir une énorme mobilisation des investissements et des compétences.
L’effort à fournir sur le photovoltaïque n’est pas moindre. De 15,9 GW en 2022, on passerait à 75, voire 100 GW en 2035. Mais des entraves sérieuses sont apparues, telle l’interdiction de défricher des zones supérieures à 25 hectares. L’État entend privilégier l’équipement des bâtiments et des sols déjà artificialisés, comme les délaissés routiers. Reste à savoir si les surfaces seront suffisantes.
Oléron en première ligne
La Charente-Maritime est directement concernée par le développement de l’éolien en mer. Deux parcs sont envisagés au large de l’île d’Oléron. Oléron 1 serait constitué de mâts ancrés sur le fond, à plus de 30 kilomètres des côtes, et développerait environ 1 gigawatt (GW) de puissance. Le lauréat sera choisi à la mi-2025 pour une date prévisionnelle de mise en service en 2032. Oléron 2 est moins avancé. Il s’agirait d’un parc éolien posé à grande profondeur ou flottant – la technologie reste à déterminer – d’une puissance comprise entre 1 et 1,25 GW. Le lauréat devrait être désigné avant la fin 2025 pour une mise en service en 2034 au plus tôt.

Valence : désastre climatique, lutte de classes et gouvernance d’extrême droite

https://contre-attaque.net/2024/10/31/valence-desastre-climatique-lutte-de-classes-et-gouvernance-dextreme-droite/

31/10/2024 – 158 morts. C’est le bilan provisoire des inondations massives qui ont frappé la région de Valence, en Espagne, le 29 octobre. Un chiffre qui «va augmenter parce que nous partons du principe qu’il y a de nombreux disparus» a prévenu le ministre de la Politique territoriale. 1.000 militaires, 1.500 policiers et des hélicoptères ont été déployés et les écoles ont été fermées.
C’est l’une des plus grandes catastrophes météorologiques de l’histoire récente en Europe. Imaginez une ville de la taille de Lyon, avec des quartiers sous l’eau, des communes environnantes dévastées, des dégâts énormes et plus de 150 morts. Valence avait déjà connu une crue majeure, en 1957, qui avait traumatisé la ville. Mais cette crue avait fait deux fois moins de morts alors que la ville était moins moderne et équipée. Suite à ce drame, le lit du fleuve qui traverse Valence avait été comblé et détourné. En 2024, cela n’a pas suffi, vu la violence inouïe des précipitations.
Cette tragédie révèle à la fois la gestion désastreuse de l’extrême droite lorsqu’elle dirige une région et la violence de classe qui accompagne les catastrophes écologiques.
Incompétence criminelle du gouvernement local d’extrême droite
À l’été 2023, Valence est devenu le laboratoire du rapprochement entre le Parti populaire – le grand parti de droite – et le mouvement Vox – un parti néofasciste en pleine ascension en Espagne. Si on devait trouver un équivalent en France, une alliance locale entre LR, le RN et Reconquête.
À la tête de Valence donc, un gouvernement ouvertement climato-sceptique et anti-écologiste. Carlos Mazon, le politicien à la tête de la Généralité de Valence, a créé une coalition avec Vox : il a supprimé une loi mémorielle condamnant le franquisme, une loi sur les violences conjugales et démantelé l’Unité de réponse aux urgences de Valence. La destruction d’un service public qui avait été créé par la gauche et qui aurait pu sauver des vies ces derniers jours.
Dans la même logique, ce gouvernement a fait preuve d’une incurie criminelle avant l’inondation. L’agence météo espagnole avait pourtant annoncé la tempête 5 jours en avance, puis émis une «alerte rouge», le plus haut niveau, pour la région de Valence le 29 dès le matin.
Malgré ces prévisions, à 13 heures, le président de la région diffusait un message rassurant, affirmant que la «tempête se dépla[çait]» et que «son intensité [devait] diminuer autour de 18 heures». C’est l’exact inverse qui s’est produit. Vers 17 heures, un organisme d’urgence a finalement été mis en place. À 20 heures, les Valenciens recevaient enfin une alerte sur leurs téléphones pour leur dire de rester en sécurité.
Trop tard. Des communes étaient déjà sous l’eau. Des milliers de personnes étaient restées sur leur lieu de travail ou sorties l’après-midi et se sont retrouvées bloquées sur les routes, prises dans de véritable torrents meurtriers, contraintes d’abandonner sur place leurs véhicules pour trouver un refuge. Certaines sont mortes.
La droite climato-sceptique au pouvoir, c’est non seulement des politiques qui augmentent la vulnérabilité face aux catastrophes climatiques – dans le cas de Valence, un bétonnage massif au service de l’industrie du tourisme par exemple – mais aussi la mise en danger de la population une fois la catastrophe arrivée.
La lutte des classes au cœur du désastre
Alors que l’Espagne compte ses morts, de nombreuses vidéos des inondations font scandale chez nos voisins : elles montrent des camions de Mercadona, l’enseigne de grande distribution, équivalent de Leclerc ou Carrefour, du livreur DHL ou de bus publics cernés par les inondations. Une autre montre des salariés coincés dans un entrepôt IKEA, complètement entourés par les flots, dans le plus grand centre commercial de Valence.
Ce sont autant de travailleurs et travailleuses qui ont été mises en danger : envoyées sur les routes ou à leur poste par leurs patrons, alors que le déluge arrivait… Pas question de toucher aux profits, et peu importe la vie des prolétaires.
À Barcelone, ville au nord de Valence également menacée d’inondations, l’entreprise de livraison Glovo a même lancé des promotions en pleine tempête, pour inciter ses clients à rester chez soi et commander à manger, au mépris total de ses employés qui, eux, ont dû sortir travailler.
Tout ceci est un aperçu du monde actuel. En cas de désastre, les riches, qui sont par ailleurs responsables de l’écrasante majorité de la pollution, resteront bien à l’abri dans leurs tours ou leur bunkers, servis par du petit personnel, pendant que la majorité de la population et en particulier les classes laborieuses, subiront de plein fouet le chaos climatique.

« On se focalise sur Trump sans se pencher sur l’omniprésence d’Elon Musk »
Amélie Quentel
https://reporterre.net/On-se-focalise-sur-Trump-sans-se-pencher-sur-l-omnipresence-d-Elon-Musk

Donald Trump est redevenu président des États-Unis le 5 novembre. Omniprésence d’Elon Musk, poids de la Chine, crise climatique… Les équilibres géopolitiques seront ébranlés, selon le géopolitiste Jean-Michel Valantin.
Jean-Michel Valantin est géopolitiste, docteur et chercheur en études stratégiques et sociologie de la défense à l’Ehess, et auteur notamment de Géopolitique d’une planète déréglée (éd. Seuil, 2017).
Reporterre — Donald Trump a été élu président des États-Unis. Quelle est votre réaction ?
Jean-Michel Valantin — Je ne suis pas très surpris : aux États-Unis, où l’État social est beaucoup plus réduit qu’en France et en Europe en général, les électeurs sont très sensibles et réactifs à leur situation économique. Or, depuis 2020, le mandat de l’administration de Joe Biden et de Kamala Harris a été marqué par l’inflation, notamment sur le carburant, l’alimentation et le logement.
A contrario, dans la mémoire politique américaine, le premier mandat de Trump à partir de 2016 est associé à la récupération de la crise initiée par celle des subprimes en 2008. Et, pour nombre d’Américains, l’enjeu était d’élire une administration capable de relancer l’économie et a fortiori d’améliorer leur niveau de vie. Cette élection est une victoire très nette du Parti républicain, qui a remporté à la fois la présidence et la majorité au Sénat, et qui risque aussi d’être majoritaire à la Chambre des représentants. Il s’agit en revanche d’une défaite, et même d’un désaveu, pour le Parti démocrate.
Donald Trump, qui est souvent considéré comme imprévisible, a été élu dans un contexte géopolitique déjà déréglé par les guerres et le changement climatique. Quelles conséquences cela peut-il avoir ?
Je ne suis pas sûr qu’il soit si imprévisible que ça : Trump a des lignes de conduite directrices assez nettes. Par ailleurs, le fait que les présidents américains jouent à être imprévisibles est pratiquement une tradition politique aux États-Unis : on l’a vu avec Richard Nixon ou Ronald Reagan. Trump n’est pas un extraterrestre.
Je suis également surpris que l’on se focalise sur Trump sans se pencher sur l’omniprésence d’Elon Musk, qui a pourtant joué un rôle central dans la campagne.
Il a eu un rôle public très important et a aussi mis en évidence la puissance du pouvoir technologique de la Silicon Valley. D’abord via le rachat de Twitter [devenu X] et l’assouplissement de ses règles de modération. Cela a fait de cette plateforme une espèce d’agora pour les différents courants conservateurs et climatosceptiques, qui d’ailleurs ne se déploient pas que sur ce réseau social.
En outre, il a mis en évidence la capacité de réaction propre à ces nexus de technologies que sont désormais l’alliance entre l’intelligence artificielle, les réseaux sociaux et les constellations satellitaires. Par exemple, quand la Floride et la Caroline du Nord ont été ravagées deux fois de suite par les ouragans Hélène et Milton en octobre, il a mobilisé l’une des constellations satellitaires de sa société Starlink en faisant distribuer des antennes relais portatives afin que les communautés victimes puissent se reconnecter à internet. En parallèle, l’État fédéral était impuissant à leur venir en aide.
La question technologique s’annonce donc centrale ?
Il est important de mieux analyser le rôle joué par les grands barons de la technologie dans cette élection. La présence politique de Musk met en effet au jour une alliance très curieuse entre différents mouvements conservateurs et réactionnaires américains et les libertariens qui s’épanouissent dans les nouvelles technologies. Sachant qu’on voit dans le même temps que Trump, qui a un discours très dur vis-à-vis de la Chine, veut augmenter de 60 % les droits de douane pour ce pays. Or, la Chine est le deuxième marché pour le constructeur automobile Tesla, qui appartient à Musk… Il faut donc placer cette nouvelle administration dans son contexte national et international, lequel est très complexe.
Prenons par exemple le sommet des Brics, qui a eu lieu fin octobre à Kazan (Russie). Y ont participé la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, les Émirats arabes unis et le Brésil, qui représentent près de 3,5 milliards de personnes. Les Brics s’apparentent à une alliance des producteurs et, entre guillemets, des « transporteurs » de pétrole, de gaz… Or, les États-Unis sont redevenus un pays pétrolier et gazier. La géopolitique va donc être un défi permanent pour l’administration Trump.
Une espèce d’ordre international parallèle se met en place, lequel remet en question les accords de Bretton Woods de 1944 : pendant le sommet de Kazan, un projet de cryptomonnaie qui pourrait être la monnaie commune des Brics a été présenté. L’enjeu géopolitique et stratégique majeur à venir pour l’administration Trump est donc le statut du dollar, qui est mis au défi par ce croisement de partenariats.
Nous sommes dans un moment de grande tension et de recomposition des équilibres : depuis le début des années 1990, prévalait la globalisation telle que portée par les États-Unis, pensée pour les consommateurs. Désormais, on voit émerger des partenariats entre pays producteurs et transporteurs. Plusieurs pays essentiels pour les consommateurs pourraient bien se désenclaver de la globalisation telle que portée par les États-Unis.
Trump enchaîne les propos et propositions politiques réactionnaires, par exemple sur l’immigration. Son élection risque-t-elle d’accélérer la fascisation du monde ?
D’abord, y a-t-il une fascisation du monde ? Je n’en sais rien : il s’agit d’un concept très englobant. Trump a été élu de la façon la plus démocratique qui soit, avec un succès indiscutable. On voit ici une Amérique inquiète pour son économie et qui se préoccupe avant tout d’elle-même, ce qui n’est pas nouveau. Concernant ses propos réactionnaires, rappelons que chaque pays a ses spécificités. Ce qui résonne aux États-Unis est globalisé par un système médiatique lui-même globalisé, mais la France ou l’Espagne ne sont pas les États-Unis : ce n’est pas parce qu’un dirigeant politique dit quelque chose dans un pays que cela a des effets si performatifs que cela.
Cela étant dit, Trump a en effet une parole performative très forte — c’est d’ailleurs ce côté « ingénieur du chaos » qui prend tout le monde par surprise. La question est de savoir si, au-delà de ses déclarations, l’administration Trump sera capable de mettre en œuvre son programme. Si l’on prend l’exemple de l’immigration — dont l’un des moteurs est le changement climatique qui rend invivable, au sens premier du terme, des pans entiers d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud —, Trump a promis de bloquer l’immigration clandestine. Mais, aux États-Unis, il existe une vraie séparation des pouvoirs, et le renouvellement du tiers des sénateurs, qui aura lieu dans un an et demi, sera une grande épreuve pour son administration.
Les Américains sont très pragmatiques : son administration ne pourra mettre en œuvre un certain nombre de mesures que si elle parvient à fournir des résultats. S’ils se font attendre, la victoire républicaine deviendra alors un attracteur de tensions.
Il est aussi climatosceptique. Faut-il s’attendre à une intensification de la crise climatique ?
Trump a fait du changement climatique un marqueur politique, avec une position relevant du climatoscepticisme primaire : on le voit avec sa volonté de retirer à nouveau les États-Unis de l’Accord de Paris, après l’avoir déjà fait durant son premier mandat.
Cela étant dit, il y a bien plus de continuité entre Trump et Biden-Harris que ce que l’on peut percevoir à première vue : depuis 2020, les démocrates ont autorisé nombre d’ouvertures de concessions pétrolières et gazières sur le sol américain. De toute façon, le dernier rapport de l’ONU à ce sujet est clair : aux États-Unis comme ailleurs, nous sommes hélas dans une dynamique d’intensification du changement climatique.
Avec son slogan « L’Amérique d’abord », peut-on parler de posture isolationniste ? Quels effets cette position pourrait-elle avoir sur la géopolitique mondiale ?
Le fait qu’il soit isolationniste ne me paraît pas évident. En revanche, je pense qu’il va s’inscrire dans la réorientation des relations entre les États-Unis et l’Asie à l’œuvre depuis une quinzaine d’années. Depuis le second mandat de Barack Obama (2012-2016), il est essentiel pour les administrations américaines successives d’accéder aux gigantesques marchés de l’Inde, de l’Indonésie, etc., tout en réduisant l’influence stratégique de la Chine dans la zone indopacifique.
Trump, lors de son premier mandat, a ainsi lancé la guerre des tarifs douaniers et des transferts de connaissances et de technologies avec la Chine, politique qui a été approfondie par l’administration Biden-Harris. Or, l’un des enjeux majeurs pour la Chine est d’amplifier sa transition énergétique ; tandis qu’Elon Musk veut maintenir de bonnes relations avec Pékin pour conserver son accès au marché chinois. Il est donc encore trop tôt pour savoir si la nouvelle administration va, ou non, démanteler l’appareil fédéral dédié à l’étude du climat et de la biodiversité, comme la NOAA, sachant que ces institutions jouent aussi un rôle crucial dans le développement économique des États-Unis.
Par ailleurs, va se poser la question du poids des assureurs et des réassureurs face aux dégâts infligés par les événements extrêmes. Aussi, contrairement aux apparences, je pense que l’administration Trump est traversée par de nombreux paradoxes et incertitudes, et que cela va peser fortement face à des situations nationale, internationale et planétaire qui seront beaucoup plus difficiles à porter qu’annoncé.

Face au chaos climatique, l’impossible adaptation au capitalisme punitif
Mickaël Correia
www.mediapart.fr/journal/ecologie/301024/face-au-chaos-climatique-l-impossible-adaptation-au-capitalisme-punitif

Les inondations meurtrières en Espagne révèlent dramatiquement l’illusion d’une adaptation au réchauffement climatique. Avec déjà + 1,2 °C, comment imaginer que nos politiques publiques pourront anticiper une hausse de 4 °C ?
Au moins soixante-douze personnes ont péri dans de violentes inondations qui ont ravagé, le 29 octobre au soir, la région de Valence, dans le sud-est de l’Espagne. Et le bilan est provisoire. Ces pluies torrentielles sont les plus dramatiques du pays depuis 1996.
En France, des territoires entiers ont également été dévastés ces dernières semaines par des crues hors norme. Si des vagues de chaleur et des inondations effroyables ont secoué au printemps 2024 les habitant·es des pays du Sud, ces évènements climatiques extrêmes au plus près de chez nous viennent tragiquement mettre en lumière ce que soulignait le dernier rapport du Giec il y a trois ans : pas une région du globe n’est désormais épargnée par le chaos climatique.
Face à ces drames, et depuis quelques années, une petite musique s’est installée dans l’opinion publique, dans les enceintes diplomatiques et au sein des ministères chargés de l’écologie dans les pays industrialisés : face à ces cataclysmes qui s’intensifient, il faut certes réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais il faut aussi s’adapter.
Agnès Pannier-Runacher, notre ministre de la transition écologique, a annoncé le 25 octobre un plan national d’adaptation au changement climatique pour préparer la France à + 4 °C d’ici à la fin du siècle.
La prochaine Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP29), qui se tiendra en Azerbaïdjan du 11 au 22 novembre, prévoit tout un cycle de négociations autour de l’adaptation et de son financement à l’échelle internationale. Enfin, le Giec a acté que son prochain cycle de travail, annoncé pour 2029, mettrait l’accent sur l’adaptation au réchauffement global.
Mais force est de constater qu’au vu des terribles catastrophes provoquées par les dérèglements climatiques dans un monde qui frôle déjà le + 1,2 °C, il semble de plus en plus irréaliste de s’adapter à une planète à + 4 °C.

Dans un scénario de réchauffement à + 4 °C, les pluies décennales – évènements qui ont actuellement une chance sur dix de se produire chaque année – se produiront quasi trois fois plus souvent, selon le Giec. Et l’organisme onusien estime que l’intensité de tels épisodes de précipitations extrêmes augmente de 7 % pour chaque degré d’augmentation de température. Soit un enfer diluvien sur Terre.
Derrière l’adaptation, l’extension du néolibéralisme
Ainsi, s’il est nécessaire d’adapter nos territoires au réchauffement planétaire, il est encore plus urgent de réduire drastiquement nos émissions pour limiter l’emballement climatique à + 1,5 °C, comme le prévoit depuis 2015 l’accord de Paris sur le climat.
Par ailleurs, pour ne pas se faire piéger par les œillères politiques que peuvent entraîner les discours uniquement centrés sur l’adaptation, il est aussi indispensable de se remémorer l’histoire intellectuelle de cette notion.
L’idée d’adaptation a en effet été forgée dans le creuset néolibéral états-unien des années 1970 pour répondre à la crise climatique. Comme l’a souligné en début d’année dans Mediapart le politiste Romain Felli, auteur de La Grande Adaptation. Climat, capitalisme et catastrophe (Seuil, 2016), les économistes américains ont à l’époque calculé que la réduction massive des émissions est une politique « beaucoup trop coûteuse, car elle implique de changer l’organisation économique du capitalisme, fondée sur les énergies fossiles », et que « l’effort que produiraient les pays riches pour baisser leurs émissions serait bénéfique pour la totalité des nations du globe, ce qui est inacceptable d’un point de vue économique pour les néolibéraux ».
A contrario, ces économistes néolibéraux ont avancé que « les politiques d’adaptation sont déployées localement et bénéficient directement au pays ». Elles sont alors apparues dès les années 1980 comme la voie la plus économiquement raisonnable pour répondre à l’urgence climatique.
« L’adaptation prendra le pas sur les politiques de baisse des émissions parce que l’augmentation de ces dernières est intrinsèquement imbriquée à notre modèle de croissance, juge Romain Felli. Hormis un renversement radical, l’adaptation incarne donc la meilleure réponse au changement climatique, tout en maintenant le business as usual. »
Masquer le moteur du chaos climatique
Les premières images en provenance d’Espagne à la suite des inondations ont montré des amoncellements impressionnants de voitures dans des rues sous les eaux, nous dévoilant ainsi autant l’ampleur de la catastrophe qu’un indice de sa cause première : les énergies fossiles.
Les injonctions étatiques à s’adapter au réchauffement masquent le moteur du changement climatique : la combustion de charbon, de pétrole et de gaz, qui est à l’origine d’environ 90 % des rejets mondiaux de CO2. Et permettent de détourner notre attention politique de l’inaction climatique internationale en matière de sortie des énergies fossiles.
Il a fallu en effet attendre une trentaine d’années pour que les pays réunis à la COP28 à Dubaï (Émirats arabes unis) « appellent » timidement l’an dernier à « une transition hors des énergies fossiles ». Et le 28 octobre dernier, l’ONU Climat a calculé que les actuels plans climatiques des différents États à travers le globe n’arriveront à réduire que de 2,6 % nos émissions d’ici à 2030, alors qu’elles doivent baisser de 43 % pour rester sous la barre des + 1,5 °C de réchauffement.
Pis, les Émirats arabes unis, qui ont organisé la COP l’an dernier, l’Azerbaïdjan, qui héberge les négociations internationales sur le climat cette année, et le Brésil, qui accueillera la prochaine COP30, prévoient collectivement d’augmenter d’un tiers leur production de pétrole et de gaz d’ici à 2035. De quoi mettre en péril la limite des + 1,5 °C qu’ils sont censés défendre en tant que président de la COP et, in fine, gardiens de l’accord de Paris sur le climat.
Historiquement la plus ambitieuse dans les enceintes diplomatiques internationales, l’Union européenne est traversée par la montée des droites conservatrices et radicales qui menacent le déploiement du Pacte vert, la feuille de route pour freiner l’emballement climatique d’ici à 2050.
Et rien qu’en France, pays diplomatiquement pourtant parmi les plus allants sur la sortie des énergies fossiles, le budget 2025 prévoit de raboter 1,9 milliard d’euros d’aides publiques en lien avec l’écologie.
Autant de signes d’un backlash en cours des politiques publiques de transition écologique, sacrifiées au nom de l’austérité budgétaire et de l’« écologie punitive ». Mais cette inconséquence politique a bien du mal à cacher, tant le chaos climatique s’intensifie sous nos yeux, que c’est bien le capitalisme qui est punitif. Et que face aux cataclysmes climatiques qui rythment désormais nos vies, changer l’ordre social est la seule politique d’adaptation qui tienne.

Planetaren mugak
Ana Galarraga Aiestaran
www.berria.eus/bizigiro/analisia-bizigiro/planetaren-mugak_2133048_102.html

Valentziako hondamendiak modurik latzenean gogorarazi digu larrialdi klimatikoa ez dela kontzeptu teoriko bat, baizik eta errealitate gordina. Oraindik goiz da jakiteko zenbateraino izan den goi geruzetako depresio isolatu hori hain indartsua klima aldaketarengatik, baina, World Weather Atribution (WWA) erakundeak baieztatu duenez, azken hogei urteotako fenomeno meteorologiko hilgarrienak klima aldaketarekin erlazionatuta daude.
Ondorio horretara iristeko, hamar gertaera hilgarrienak aztertu ditu WWAk: bi zikloi, tifoi bat, lehorte bat, ekaitz bat, uholdeak eta bero boladak. Denak izan dira gogorragoak giza jarduerak kliman eragindako aldaketarengatik, eta, guztira, 567.042 heriotza eragin dituzte, gutxienez. WWAren arabera, heriotza horietako asko ekidin zitezkeen.
WWAk kaleratutako txostenean gomendio hauek egin zituen, besteak beste: alerta azkarreko sistema eraginkorrak ezartzea, eta hiriak egokitzea halako gertakariei aurre egiteko.
Neurri horiek, ordea, ez dira nahikoak izango gizateriak planeta osasuntsu bat izan dezan. Zientzialariek bederatzi muga planetario definitu zituzten 2009an; alegia, zein sistema edo ingurumen kondizio bete behar dituen Lurrak gure espeziearentzat segurua izateko; klima haietako bat baino ez da. Besteak hauek dira: biosferaren osotasuna, lurraren erabilerak, ur geza, fosforoaren eta nitrogenoaren zikloak, ingurumen kutsatzaileak, ozeanoen azidifikazioa, atmosferako aerosolak eta ozono estratosferikoa.
Muga horiek definitu zituztenerako, lau gaindituta zeuden: klima aldaketarena, biosferaren osotasunarena, lurzoruen erabilerarena, eta fosforoaren eta nitrogenoaren zikloena. Gaur egun, ingurumen kutsatzaileena eta ur gezarena ere gainditutzat ematen dira, eta ozeanoen azidifikazioarena gainditzeko zorian dago. Gainera, atmosferako aerosolen pilaketa leku askotan mugaren oso gainetik dago.
Horrenbestez, nahiz eta orain klima aldaketan jarri den fokua, komeni da ikuspegia zabaltzea eta beste mugak ere aintzat hartzea. Eta ez da ahaztu behar alderdi soziala. Izan ere, mugak planetarioak badira ere, haiek gainditzeak ez ditu ondorio berdinak sortzen planetako leku guztietan, ezta talde sozial denetan ere. Era berean, denek ez dute ardura bera, ezta erantzun ahalmen bera ere.
Bederatzi mugetatik hiruk zerikusia dute planetatik erauzten dugunarekin, eta beste seiak zuzenean lotuta daude uzten dugunarekin. Noelia Zafra Calvo BC3 klima aldaketa ikergai duen zentroko ikertzailearen ustez, hor dago gakoa: sistema guztiz estraktibista eta produktibista batean bizi gara, eta hori biziaren aurka doa.
Zientzialariek argi hitz egin dute; erabaki politikoak hartzeko garaia da orain, betiere justizia soziala kontuan hartuta, planeta denentzat izan dadin bizigarri, eta ez batzuentzat bakarrik.