Articles du Vendredi : Sélection du 7 mai 2010

Grenelle de l’environnement ou du renoncement

Isabelle Autissier est présidente du WWF-France
Serge Orru est directeur général du WWF-France

Article paru dans l’édition du Monde du 05.05.10

La vraie dette

Hervé Kempf

Article paru dans l’édition du Monde du 05.05.10

Soutien à la résistance du peuple grec contre la dictature des créanciers !

3 mai, par CADTM (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde) international, CADTM France, CADTM Belgique, CADTM Suisse
http://www.cadtm.org/Soutien-a-la-resistance-du-peuple

Dette odieuse versus dette écologique

Nicolas Sersiron, Vice Président du Cadtm

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Grenelle de l’environnement ou du renoncement

Isabelle Autissier est présidente du WWF-France
Serge Orru est directeur général du WWF-France

Article paru dans l’édition du Monde du 05.05.10

Alors qu’une marée noire géante pollue le golfe du Mexique et les côtes américaines avec son préjudice écologique irrémédiable, il semblerait qu’une autre marée noire, celle des lobbies, risque de porter atteinte à nos espérances de voir un Grenelle 2 adopté sans détricotage lors de son passage à l’Assemblée nationale dès le 4 mai.
Nous espérons vivement que les députés français sauront faire preuve de la responsabilité qui a prévalu durant le processus du Grenelle de l’environnement. Processus suggéré par les ONG au candidat Nicolas Sarkozy qui, devenu président de la République, a su avec audace et courage engager notre pays dans cette négociation inédite et salvatrice, saluée par beaucoup, bien au-delà de sa majorité.
Nous devons changer de paradigme. Nous devons adapter notre modèle économique et imaginer une nouvelle prospérité verte où le social et l’environnemental sont intimement liés.
Souvenons-nous, en octobre 2007, à l’occasion de la restitution des conclusions du Grenelle de l’environnement, le président de la République annonçait devant la représentation parlementaire au grand complet, devant toutes les parties prenantes du Grenelle, devant Mme Wangari Maathai, José Manuel Barroso et Al Gore : “Un moment important dans la prise de conscience par notre société qu’elle ne peut plus vivre dans le gaspillage, qu’elle ne peut plus négliger les conséquences, sur l’avenir de la planète, de sa façon de vivre, de produire et de consommer, (…) car c’est l’urgence écologique qui commande aujourd’hui.”
Avouons que si le Grenelle de l’environnement a été une avancée, ce n’est pas encore la panacée ! Ce fut avant tout un inventaire français, non exhaustif, des enjeux environnementaux. Un réel rattrapage écologique à l’égard des pays du nord de l’Europe. “Le Grenelle n’est pas une fin, c’est un commencement, (…) nous ne pouvons plus définir des politiques en ignorant le défi climatique, en ignorant que nous détruisons les conditions de notre survie.”
Mais alors que de grandes annonces ont été faites, et notamment que “tous les grands projets publics, toutes les décisions publiques seront désormais arbitrés en intégrant leur coût pour le climat”, on remarque que tel n’est toujours pas le cas.
Et notre politique énergétique ? Combien de temps serons-nous encore prisonniers des ressources fossiles, alors que notre consommation énergétique ne cesse d’augmenter ? Quand nos indicateurs de richesse seront-ils en accord avec notre empreinte écologique et sociale ? Quand accorderons-nous autant d’importance à notre biodiversité – notre banque du vital – qu’aux établissements bancaires que nous venons de sauver… ?
Quand nous déciderons-nous à passer de la société du jetable à la société du durable ? Quand pourrons-nous aider le monde agricole à bien vivre en produisant autrement et sans OGM ? Quand allons-nous cesser de produire un mont Blanc de déchets chaque année, que nous incinérons (ah ! le mythe purificateur du feu !) ou que nous mettons en décharge avec un faible tri-recyclage ? Et quand développera-t-on le fret ferroviaire dans notre pays ?
Ces questions et bien d’autres ne peuvent rester en suspens alors que nous cheminons allègrement avec notre gloutonnerie consumériste vers le cimetière des éléments…
Surtout que nous assistons à une série de mesures “grenello-incompatibles” : la taxe carbone est repoussée aux calendes européennes, l’étiquetage environnemental et l’écotaxe sur les poids lourds sont renvoyés après 2012, sans oublier le rapport “éolicide” du député UMP Patrick Ollier, l’autorisation annoncée d’utiliser des camions de 44 tonnes dans le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire.
Certes, les succès du bonus-malus ou de l’éco-prêt ont montré que les individus étaient prêts à transformer l’essai. Mais les citoyens-consommateurs ne peuvent pas agir seuls. Aujourd’hui, ce sont des règles claires des gouvernements et des engagements forts du monde de l’entreprise dont nous avons besoin.
“Le Grenelle, c’est la réflexion et la proposition partagée.” Pour la première fois, des acteurs qui jusque-là échangeaient uniquement dans l’antagonisme se sont retrouvés à négocier dans un même but, celui de laisser à nos générations futures une planète vivante. L’écologie a besoin d’intelligence collective et de partage. Et c’est en respectant la diversité de chacun, en ne cherchant pas l’uniformité mais au contraire la coopération, que nous pourrons imaginer ce développement humainement durable, soutenable dans le temps.
En même temps, soyons lucides, cette transformation de notre système mondialisé se fera dans la résistance. Imaginer d’autres modèles de civilisation est un défi passionnant et prometteur, mais difficile. Sans volonté politique forte et des populations prêtes à se battre pacifiquement, pied à pied, contre les tenants d’un productivisme industriel cannibale de notre unique planète, nous ne pourrons faire triompher nos idées de protection de notre environnement immédiat et lointain, garantes de notre humanité.
Le syndrome du gardien de phare – avoir beaucoup d’horizon et très peu d’avenir – ne doit pas être notre seule fatalité. Ce Grenelle et les autres étapes qui suivront doivent nous aider à métamorphoser notre société humaine enfin solidaire des vivants et du vivant. Mesdames et messieurs les députés, nos enfants vous seront reconnaissants de respecter l’esprit du Grenelle qui appartient à toutes et à tous.

La vraie dette

Hervé Kempf

Article paru dans l’édition du Monde du 05.05.10

Nouvelles en vrac. On apprenait, le 30 avril, que deux membres du peuple surayaku, au sud de l’Equateur, avaient été blessés par un groupe d’hommes armés – les Surayaku s’opposent à l’exploitation du pétrole sur leur territoire. Le 30 avril, des manifestants ont protesté à Madrid devant le siège du géant pétrolier hispano-argentin Repsol-YPF contre son projet de prospection pétrolière en Amazonie péruvienne.
Le 5 mai, l’organisation Friends of the Earth (“les amis de la Terre”) publie un rapport montrant que les compagnies européennes investissent massivement dans l’exploitation des sables bitumineux au Canada et ailleurs ; ces sables contiennent du pétrole, dont l’extraction est particulièrement polluante et destructrice de l’environnement. Le 29 avril, la Norvège et la Russie ont passé un accord sur leur frontière en mer de Barents, afin de faciliter l’exploitation du pétrole dans cette mer arctique.
Le 4 mai, une marée noire provoquée par l’explosion d’une plate-forme pétrolière, le 22 avril, continue à faire sentir ses effets catastrophiques dans le golfe du Mexique.
Que se passe-t-il ? Le pic pétrolier commence à se manifester et de plus en plus de pays producteurs voient diminuer le volume de pétrole qu’ils peuvent extraire de leur territoire. Mais la demande de pétrole se maintient. Alors on cherche du pétrole ailleurs : en Amazonie, sous les mers, en Arctique. C’est-à-dire dans des écosystèmes fragiles, et dans des conditions de plus en plus difficiles. Cela promet des destructions écologiques quasi certaines, sans pour autant garantir de repousser le pic pétrolier global très longtemps.
Trois possibilités s’ouvrent alors : on continue en se disant qu’on verra ce qui arrivera ; on parie que la fée technologie résoudra les problèmes, que nucléaire et éoliennes prendront le relais dans quelques décennies ; on s’organise pour réduire la demande. Le chroniqueur ne croit pas exagérer en estimant que cette dernière possibilité suscite assez peu d’intérêt. C’est pourtant la seule qui permettra d’éviter la grande crise, sachant que le temps est compté. Elle n’exclut pas la technologie, mais elle pose que l’enjeu principal est celui du changement des modes de vie.
Nous avons développé une dette écologique énorme. Pour tenter d’éviter l’épreuve de vérité, nous inventons des “actifs écologiques pourris” : exploitation pétrolière en Arctique et offshore profond, multiplication des déchets et des risques nucléaires, banalisation des environnements. Mais toutes les bulles explosent un jour. Il faut payer la dette, dit-on aux Grecs. Quand paierons-nous la dette écologique ?

Soutien à la résistance du peuple grec contre la dictature des créanciers !

3 mai, par CADTM (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde) international, CADTM France, CADTM Belgique, CADTM Suisse
http://www.cadtm.org/Soutien-a-la-resistance-du-peuple

Le nouveau plan d’austérité annoncé dimanche 2 mai est une véritable catastrophe pour la population grecque , les salariés du privé comme du public, les retraités et les privés d’emplois.
* Gel des salaires et des retraites de la fonction publique pendant 5 ans ;
* Suppression de l’équivalent de 2 mois de salaires pour les fonctionnaires ;
* Diminution de 8% de leurs indemnités déjà amputées de 12% par le précédent plan d’austérité du gouvernement dirigé par le PASOK ;
* Le taux principal de la TVA qui, après être passé de 19 à 21%, est porté à 23%, (les autres taux augmentent aussi (de 5 à 5.5% et de 10 à 11%))
*Les taxes sur le carburant, l’alcool et le tabac augmentent pour la 2 ème fois en 1 mois de 10%
*Les départs anticipés ( liés à la pénibilité du travail) sont interdits avant l’âge de 60 ans ;
*L’âge légal de départ à la retraite des femmes est porté de 60 à 65 ans d’ici 2013.
*Pour les hommes, l’âge légal dépendra de l’espérance de vie ;
*Il faudra 40 ans de travail (et non plus 37, hors études et chômage) pour avoir une retraite à taux plein ;
*Cette retraite sera calculée, non plus en fonction du dernier salaire mais selon le salaire moyen de la totalité des années travaillées (soit l’équivalent d’une baisse du montant net de la retraite de 45 à 60%°)
*L’Etat réduira ses dépenses de fonctionnement (santé, éducation) d’1, 5 milliards d’euros.
*Les investissements publics seront réduits aussi d’1,5 milliards d’€.
*Un nouveau salaire minimum pour les jeunes et les chômeurs longue durée est créé ( soit l’équivalent du CPE rejeté en France par la jeunesse et les syndicats))
C’est une aubaine pour les marchés financiers et le capital !
*Les transports, l’énergie et certaines professions réservées à l’Etat seront libéralisés et ouverts au privé (privatisations) ;
*Le secteur financier (banques principalement) bénéficiera d’un fonds d’aide mis en place avec l’aide du FMI et l’UE ;
*La flexibilité du travail sera renforcée ;
* Les licenciements seront facilités.
* L’économie grecque est placée sous contrôle du FMI.
La Grèce, restant dans la zone euro, ne pourra pas dévaluer sa monnaie, ni jouer sur les taux d’intérêt. La dette ne sera pas restructurée non plus, les institutions financières européennes en détiennent les 2/3. Ces mêmes banques continueront à emprunter auprès de la Banque Centrale européenne à un taux de 1% pour prêter aux Etats (moyennant rémunération). En contrepartie de ces mesures, les pays de la zone euro vont prêter un par un une aide de 100 à 135 milliards d’€ sur 3 ans à la Grèce à un taux de 5% (45 milliards cette année). Les Etats riches et les banques vont donc faire de l’argent sur le dos du peuple grec. Christine Lagarde, ministre français des finances, prévoit un bénéfice de 150 millions d’euros par an. Pratiquant ainsi, ils vont accroître la dette publique pour permettre à l’Etat grec de payer ses créanciers spéculateurs !
La crise greque est la démonstration grandeur nature de la triple dangerosité du FMI, de l’Union Européenne et des marchés financiers.
Le FMI, décrié à juste titre pour ses catastrophiques « plans d’ajustement structurels » refait surface dans la zone euro, après avoir sévi ces 2 dernières années dans plusieurs ex-pays de l’Est. Il utilise aujourd’hui les mêmes procédés qu’hier adaptés aux mêmes commanditaires : les marchés financiers et les transnationales. Aujourd’hui comme hier, c’est sa véritable nature de pompier pyromane qui est révélée en plein jour.
L’UE et sa commission ont également réaffirmé leurs paradigmes au service de la « concurrence libre et non faussée ». La Banque Centrale Européenne n’est pas au service des populations de l’Europe mais uniquement à celui des banques et des organismes financiers. Les marchés financers, après avoir provoqué et précipité la crise greque, via les agences de notation rémunérées par les grandes banques américaines, veulent tirer encore plus de profits de leurs stratégies spéculatives. Le gouvernement PASOK, l’Union Européenne et le FMI lui en servent l’occasion sur un plateau.
Derrière l’industrie financière, il y a les multinationales de l’industrie, du commerce et des services.
Si nous stigmatisons à juste titre les fonds spéculatifs, les agences de notation et l’industrie financière, nous ne perdons pas de vue que ce n’est que l’arbre qui cache la forêt ! Cette spéculation débridée qui étrangle les populations pauvres n’a été rendue possible que pour 2 raisons principales :
*Les dérèglementations successives des marchés financiers depuis les années 1980 ;
*Les choix volontaires et conscients du grand patronat de destiner leurs nouveaux profits vers la spéculation plutôt que vers la production et l’emploi. Cette accumulation de nouveaux profits trouve, elle, son origine dans une nouvelle répartition des richesses au bénéfice des profits et au détriment de la part revenant aux salariés. Cette part à baissé d’environ 10% de PIB en 25 ans en moyenne dans l’ensemble des pays développés.
Cette orientation économique, portée par l’idéologie néolibérale, est la cause principale de la crise économique et financière que nous connaissons aujourd’hui.
Les différents gouvernements qui se sont succédés depuis 30 ans, en Grèce comme dans les autres pays du Nord, portent aussi une lourde part de responsabilité dans l’augmentation des dettes publiques. Les politiques fiscales, menées en faveur des ménages les plus aisés et des grandes entreprises (impôt sur le revenu, le patrimoine et impôt sur les sociétés), ont considérablement diminué les recettes budgétaires et aggravé les déficits publics, obligeant les Etats à accroître leur endettement.
Les responsables de la crise sont épargnés et c’est le peuple à qui on présente l’addition.
Dans le plan d’austérité PASOK–UE-FMI imposé au peuple grec, il n’y a en effet que des mesurettes sans effet pour établir le début d’une justice fiscale et absolument rien pour lutter contre l’évasion fiscale des profits des grandes entreprises.
Les « solutions » du PASOK, de l’UE et du FMI précipitent la Grèce vers l’approfondissement de la crise. Une récession minimale de 4 points du PIB est déjà programmée pour 2010. Les petits artisans et commerçants, les petites entreprises vont connaître une longue suite de faillites et de fermetures d’activités. Le chômage va exploser et les couches populaires et les classes moyennes vont voir leur pouvoir d’achat tomber en chute libre. Les inégalités vont s’accroître et les droits humains fondamentaux (accès à l’énergie, à l’eau, à la santé, à l’éducation…) sont menacés pour la partie la plus pauvre de la population.
La colère du peuple grec est aussi la nôtre. Le CADTM soutient sans réserve les mobilisations contre le plan d’austérité.
Des solutions alternatives existent !
*Le remboursement de la dette publique de la Grèce doit être immédiatement suspendue et un audit public de celle-ci doit être mené pour décider de sa légitimité ou de son illégitimité.
*Des mesures d’annulation doivent être prises et les revenus financiers de la dette doivent être taxés à la source au taux maximal de l’impôt sur le revenu.
*Des mesures fiscales peuvent immédiatement être prises pour rétablir la justice fiscale et lutter contre la fraude. Aujourd’hui, selon les comptes du Trésor grec, les fonctionnaires (désignés comme boucs émissaires) et les ouvriers déclarent plus de revenus que les professions libérales (médecins, pharmaciens, avocats) ou encore que les dirigeants des banques !
La quasi-totalité des grandes entreprises (armateurs, …) déclarent leurs profits dans des pays à fiscalité plus avantageuse (Chypre notamment) ou les cachent dans les paradis fiscaux. L’église orthodoxe continue à bénéficier d’exhorbitantes exonérations fiscales sur le patrimoine et l’immobilier
De l’argent, en Grèce, il y en a, mais pas là où le plan d’austérité veut le prendre ! Au CADTM, nous sommes solidaires du peuple grec qui sera en grève générale mercredi 5 mai prochain. Partout, en Grèce comme dans les autres pays européens, la solidarité par la mobilisation doit s’amplifier. Aujourd’hui, c’est la Grèce mais chacun sait que demain ce sera le Portugal, l’Irlande ou l’Espagne. Après-demain, toute la zone euro peut basculer, y compris les pays les plus « riches » de celle-ci.
Nous nous félicitons des premières déclarations solidaires et du début des mobilisations de soutien devant les ambassades grecques. Il faut aller plus loin !
Le mouvement social européen dans son ensemble doit être aux côtés du peuple grec ! les populations européennes ont tout à y gagner !
Le CADTM, à son niveau y contribuera !

Dette odieuse versus dette écologique

Nicolas Sersiron, Vice Président du Cadtm

En avril 2003, alors que la guerre contre l’Irak était terminée, selon les déclarations de G.W.Bush, l’administration étatsunienne, en s’appuyant sur la jurisprudence de la dette odieuse, a demandé aux créanciers de l’Irak, l’annulation de sa dette extérieure publique. La France a ainsi été contrainte d’abandonner 80% des sommes qu’elle avait prêtées à Saddam Hussein, comme la plus part des autres créanciers, sous la forte pression amicale américaine. La dette extérieure publique s’élevait alors à 115 milliards de dollars.
La dette odieuse est généralement remboursée par les populations du sud aux créanciers du nord alors qu’elle devrait être déclarée nulle selon le droit international. La plus part des pays africains remboursent une dette illégitime, pour la plus grande partie, depuis plus de 30 ans. Quant a la dette écologique, celle qui a été accumulée par les pays industrialisés sur le plan historique, social, environnemental et climatique envers les PED, elle n’a jamais reçu un début de remboursement. Alors que l’Afrique a émis moins de 4% des gaz à effet de serres (GES), et que nous savons que 80% ont été émis par les pays industrialisés depuis plus d’un demi siècle, elle subit déjà les dérèglements climatiques très durement sous la forme de sécheresses, de saisons des pluies soit décalées, soit diluviennes ou trop faibles. Elle ne reçoit pourtant aucune compensation des riches pays du nord alors qu’elle n’a aucune responsabilité dans la dégradation des conditions climatiques et que la majorité de sa population vit à la campagne et dépend des récoltes pour se nourrir. Il est intéressant de mettre ces faits en perspective avec l’échec de Copenhague. Car c’est en réalité une victoire de l’égoïsme des pays riches face à demande de justice sociale globale des pays en développement. Une compensation financière qui serait un juste remboursement de la dette environnementale et climatique.
Selon le droit international, la doctrine de la dette odieuse émise en 1927 par Alexander Nahum Schack, et confirmée par la jurisprudence internationale, précise qu’un emprunt public qui n’a pas profité à la population, alors qu’il a été conclu sans son accord et que le préteur en avait connaissance, doit être déclaré nulle et n’a pas à être remboursé. Les dettes des dictateurs en sont les cas les plus typiques.
Le tremblement de terre d’Haïti, s’il avait eu lieu en Floride ou à Cuba n’aurait sans doute fait que quelques centaines de morts. Si celle que l’on appelait la perle des Antilles n’avait pas été obligée de payer pendant 127 ans une rançon à la France, elle ne serait pas aujourd’hui dans un tel état de catastrophe humaine et environnementale. En 1804, 400.000 esclaves ont vaincu le corps expéditionnaire napoléonien après s’être libérés. Ils ont fondé la première république noire. Charles X en 1830 a exigé, avec la menace d’un nouveau débarquement armé, que les colons soient dédommagés à hauteur de 21 milliards de dollars actualisés, l’équivalent du PIB d’une France de 30 millions d’habitants à cette époque. Ils ont été contraints de couper tous les arbres et d’exploiter toutes les richesses pour payer. Alors qu’on est dans ce cas au delà d’une dette odieuse et historique, il s’agit d’une rançon, Nicolas Sarkozy en visite exprès en février 2010 a offert généreusement l’annulation d’une dette majoritairement odieuse de 300 millions de dollars, dont une grande partie avait été crée par les dictateurs sur-corrompus Papa doc et Baby doc. Ce dernier vit tranquillement en France depuis 20 ans. Aucun pardon de la France n’a été prononcé.
Les espagnols en 1500 coupaient les bras des indiens Arawac qui ne ramenaient pas assez d’or, en 15 ans ils ont totalement disparus de l’île d’Haïti. Léopold II, propriétaire du Congo en 1900, avait fait couper des millions de bras des congolais qui ne ramenaient pas assez de caoutchouc de la forêt. Le Zaïre de Mobutu s’est terminé en 1997 par la chute d’un dictateur dont la richesse était équivalente à la dette du pays. Ce pays ne devait pas tomber sous l’influence de l’ami soviétique. Il n’existe pas de routes pour relier Kinshasa au Kivu ou au Katanga à l’est. La RDC, l’un des plus grands pays d’Afrique, est pourtant le plus riche par ses réserves de minerais fossiles et elle possède le 2ème massif forestier de la planète. Depuis 15 ans, 5 à 6 millions de congolais sont morts, 10% de la population, dans des guerres organisées pour piller ses richesses au profit des transnationales. La population est parmi la plus pauvre du monde. D’immenses surfaces de terres et de forêts sont en passe d’être vendues aux Chinois et à des investisseurs étrangers pour y cultiver du palmier à huile ou d’autres produits destinés à une exportation qui ne profitera pas aux peuples indigènes, bien au contraire. Le gouvernement Kabila, coincé par un remboursement de la dette impossible, est entre les mains du FMI. Il est contraint de laisser son pays aux mains de ceux qui ne pensent qu’à accumuler des profits sans se soucier ni des désastres environnementaux – l’externalisations des couts- ni des générations futures.
Madagascar a été colonisé pendant moins d’un siècle par la force militaire française. Son peuple a été réprimée par les armes et la torture, en 1947, après une tentative d’émancipation, faisant près de 100.000 morts, dont la majorité de son intelligentsia et de ses cadres – plus de 2% de la population a été assassiné. Toutes les richesses de ce pays, jusqu’à l’indépendance en 1960, on été exploitées par la France. Elle a accumulé une dette historique envers le peuple malgache et une dette environnementale. Pourtant, la France n’a jamais reconnu ses dettes, ni moralement, ni financièrement. La forêt a quasiment disparu, le pays se désertifie comme Haïti et le chaos politique qui y règne dégage de forts relents de Françafrique et de pétrole. Depuis 30 ans le budget de ce pays a été consacré jusqu’à 50% au remboursement de la dette publique au profit des créanciers du nord.
On dit que les 30.000 t d’argent et d’or extraites des mines de Potosi en Bolivie, en quelques siècles, ont permis au capitalisme international de financer le démarrage de la révolution industrielle en Europe. On dit aussi que 6 millions d’indiens et d’esclaves sont morts dans cette mine. Le pays de l’indien Aymara, le président Evo Morales, est un des plus pauvres du monde. C’est à Cochabamba qu’il vient d’organiser le sommet des peuples pour trouver une alternative à l’échec de Copenhague. Mettre fin aux désastres environnementaux et faire que la température de notre planète ne dépasse pas de 2°C les moyennes connues, était le but de ce rendez-vous international.
Pour ne pas dépasser cette température au-delà de laquelle on ne saura plus maîtriser les problèmes découlant du changement climatique, il ne faudrait pas émettre plus de 280 gigatonnes d’équivalent C02, selon les calculs d’Olivier Ragueneau, océanographe du CNRS à Brest. Si les réserves de pétrole connues étaient exploitées et brulées cette quantité de C02 serait largement dépassée. Le projet ITT dans le parc naturel de Yasuni, dans la partie amazonienne de l’Equateur, qui consiste à laisser dans le sous sol des réserves de pétrole, va dans ce sens. Mais le président Raphaël Correa éprouve les plus grandes difficultés pour trouver, au sein de la communauté internationale, les quelques milliards de dollars, indispensables au développement de son pays, sans exploiter ce pétrole. Il reste soumis au remboursement d’une dette héritée des dictatures, même si il est un des rares pays à avoir réussi, après un audit public, à en annuler une partie. Le paiement de la dette écologique, environnementale et climatique, aux pays en développement, même s’il était sous évalué, annulerait toutes leurs dettes dues au nord et permettrait aux populations pauvres du monde de sortir définitivement de la sous nutrition et de la pauvreté. Les transferts nets sur la dette ont été des flux sud nord en moyenne de 34 Milliards de dollars par an entre 1985 et 2008, pendant 23 ans. En comparaison, les flux du plan Marshall qui ont permis de reconstruire l’Europe après 1945, n’ont été que de 25 Mds$ réactualisés par an, pendant 4 ans.