Articles du Vendredi : Sélection du 6 décembre 2013 !

Qui veut des réfugiés climatiques?

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/qui-veut-des-refugies-climatiques,39769?xtor=EPR-9

Agro-industrie bretonne : l’heure de vérité

Aurélie Trouvé (économiste et agronome, coprésidente du Conseil scientifique d’Attac)
www.lemonde.fr/idees/article/2013/11/19/agro-industrie-bretonne-l-heure-de-verite_3516105_3232.html

Écarts de rémunération : le « facteur 12 », une note de la Fondation Nicolas Hulot

Jean Gadrey
http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2013/11/20/ecarts-de-remuneration-le-%C2%AB-facteur-12-%C2%BB-une-note-de-la-fondation-nicolas-hulot/

Pourquoi la révolution fiscale n’aura (sans doute) pas lieu

Pascal Riché
www.rue89.com/2013/11/25/pourquoi-revolution-fiscale-naura-sans-doute-lieu-247826

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Qui veut des réfugiés climatiques?

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/qui-veut-des-refugies-climatiques,39769?xtor=EPR-9

Alors que la menace climatique se fait sentir dans le Pacifique, les îliens cherchent des refuges pour échapper, notamment, à la montée du niveau de l’océan. La justice néo-zélandaise vient de refuser le statut de réfugié climatique à un immigré des Kiribatis. Et les gouvernements des autres pays de la région ne se bousculent pas pour accueillir leurs voisins.

La menace climatique se précise dans le Pacifique. D’ici 2050, certaines régions pourraient voir la température moyenne progresser de 3°C par rapport à la fin du XXe siècle.

Ce bouleversement devrait sensiblement réduire la productivité des cultures de patates douces, de maïs et de canne à sucre. Selon les variétés et les régions, les prises de thonidés pourraient diminuer de 10% à 30%. Les infrastructures touristiques des îles, souvent paradisiaques, subiront les assauts de la montée du niveau de l’océan: jusqu’à 8 millimètres par an, soit trois fois plus que la moyenne mondiale.

 

Chute du PIB régional

Toutes ces conséquences du changement climatique se paieront cash. Un rapport, publié en début de semaine par la banque asiatique de développement, estime une chute du PIB régional de 4,6% d’ici la fin du siècle, si rien n’est entrepris pour faciliter l’adaptation des archipels les plus vulnérables.

Mais comment s’adapter quand son île culmine à quelques mètres au dessus de la surface de l’eau? En 2009, à quelques semaines de l’ouverture de la conférence climatique de Copenhague, le gouvernement des Maldives avait symboliquement organisé un conseil des ministres sous-marin pour rappeler à la communauté internationale l’urgence de la lutte contre la montée des eaux.

Constatant l’inaction internationale, nombre d’îliens sont désormais tentés d’émigrer. Le président des Kiribati a récemment annoncé son intention d’acquérir 3.000 hectares de terres agricoles, dans les îles Fiji. Officiellement pour sécuriser l’approvisionnement en produits frais.

 

Où partir?

Comptant près d’un millier d’îles, l’archipel des Salomon est l’un des plus menacés par la montée du niveau de la mer. S’étendant sur 1.400 kilomètres carrés, l’atoll d’Ontong Java abrite un peu plus de 3.000 habitants sur 12 km2 de terres émergées, dont le point culminant est inférieur à 12 mètres.

Comme le révèle un reportage de Catherine Wilson, diffusé par la fondation Thomson Reuters, ces Salomoniens veulent quitter leur îlot pour Malaita. D’une superficie de 4.225 km2, cette grande île n’est que peu densément peuplée : moins de 40 habitants/ km2.

Problème: 87% des terres appartiennent aux clans ou aux familles. Et les ventes sont rarissimes et coûteuses. De plus, les mouvements de population ont laissé de mauvais souvenirs aux Salomoniens. La genèse des «Tensions», qui ont agité l’archipel au début du siècle, est attribuée à l’émigration de Malaitans sur l’île «voisine» de Guadalcanal. Il aura fallu l’intervention d’un contingent multinational pour éviter la guerre civile.

Dans le Pacifique Sud, près de 2 millions d’îliens seraient dans une situation comparable à celle des habitants d’Ontong Java. Et cherchent des points de chute. A l’évidence, ce n’est pas en Nouvelle-Zélande qu’ils les trouveront. Mardi 26 novembre, la Haute Cour d’Auckland a refusé à Ioane Teitiota, un immigrant des Kiribati, le statut de «réfugié climatique». A l’appui de leur décision, les magistrats expliquent que ce concept n’existe pas dans la Convention relative au statut des réfugiés de 1951.

Sans nier que l’archipel est en train de sombrer, les juges estiment que le prévenu ne subira aucune persécution s’il retourne dans son île. Après six ans de présence en Nouvelle-Zélande (où il est devenu père à trois reprises), Ioane Teitiota devrait prochainement être expulsé.

Agro-industrie bretonne : l’heure de vérité

Aurélie Trouvé (économiste et agronome, coprésidente du Conseil scientifique d’Attac)
www.lemonde.fr/idees/article/2013/11/19/agro-industrie-bretonne-l-heure-de-verite_3516105_3232.html

Ces derniers jours, le projet d’écotaxe a essuyé une pluie de critiques, pour beaucoup à juste titre. La gestion serait assurée par un grand conglomérat privé, Ecomouv, qui s’attribuerait près du quart des recettes de la taxe, engrangeant des profits excessivement élevés.
Au final, 60% au mieux des recettes bénéficieraient aux modes de transports alternatifs à la route. Les autoroutes seront exemptées de la taxe et donc indirectement favorisées, de même que le transport aérien. Sans compter le manque de politiques pour accompagner le fameux ” transfert modal “ vers le transport ferroviaire et fluvial.

Mais est-ce pour autant une raison de rejeter le principe de cette taxe ? Pénaliser les produits en fonction de leur distance, tout en reversant les recettes à des politiques de conversion du modèle de développement, pourrait être un moyen de relocalisation des activités et de transition écologique et sociale.

Ce pourrait être une opportunité pour une région comme la Bretagne, dont une grande partie de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire, qui représente un tiers des emplois, se trouve dans une impasse économique.

CHAMPIONNE DE LA PRODUCTION DE MASSE

La Bretagne est la championne de la production agricole de masse. Mais elle dégage des marges réduites. Numéro un des productions animales, elle n’a mis en place aucune appellation d’origine protégée dans le secteur. Elle se retrouve prise dans l’engrenage d’un élevage industriel, de plus en plus coûteux en énergies fossiles et en alimentation animale concentrée, notamment du soja qu’elle importe d’Amérique via ses grands ports.

Les agriculteurs vendent ensuite au rabais leurs porcs, leurs volailles, leur lait à des grandes industries agroalimentaires. Des industries qui jouent quant à elles sur des marchés de produits standards, de faible qualité, ne pouvant faire face à la concurrence internationale que par des prix et des coûts salariaux toujours plus faibles.

Le spectre des opposants à l’écotaxe a de quoi semer la plus grande confusion. Quand Leclerc ferme en solidarité avec les agriculteurs et les industries agroalimentaires bretonnes, on oublie que la grande surface est la première à les saigner en pressurant les prix pour gonfler ses marges.

Quand le grand patronat défile avec les salariés, on oublie que les marges des actionnaires ne font que grandir au détriment des salaires. Quand les bonnets rouges scandent avec la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) Vivre, décider, travailler, en Bretagne “, on oublie que le modèle soutenu par le syndicat agricole majoritaire a fusillé l’emploi et dégradé le cadre de vie, remplissant de nitrates et d’algues vertes les nappes phréatiques et les plages bretonnes.

Xavier Beulin, président de la FNSEA, déplore une écotaxe qui pénalisera les produits à faible valeur ajoutée et nous empêchera d’être aussi compétitifs que la Pologne ou l’Allemagne. La FNSEA a appelé à manifester à Quimper pour poursuivre un modèle insoutenable : produire toujours plus, toujours moins cher.

L’AGROBUSINESS BRETON SE PREND LE MUR

Tant et si bien que les abattoirs Gad, qui licencient en ce moment près de 900 salariés, embauchent des salariés des pays de l’Est à Josselin dans le Morbihan, par le biais d’agences d’intérim étrangères et d’un autre droit du travail, bien plus avantageux.

Tant et si bien que leurs volailles congelées bas de gamme ne peuvent plus être exportées qu’à coup de dumping, de fortes subventions à l’export sur le dos du contribuable.

Ces subventions sont aujourd’hui supprimées et la directive européenne sur les nitrates ne laisse pas d’autre choix que de réduire la production : faute d’avoir su ou pu négocier le virage, l’agrobusiness breton se prend le mur.

Pensant profiter de l’augmentation de la production, il a même activement contribué à sa perte, en plaidant au sein de la FNSEA et dans diverses structures de lobbying une dérégulation des marchés et notamment la fin des quotas laitiers. Il a tellement bien réussi que la France a cessé de soutenir les quotas.

Certes, il faut se garder de généraliser ce modèle à toute la Bretagne : d’autres entreprises agroalimentaires ont su diversifier leur production, miser sur la qualité et la valeur ajoutée. Certains éleveurs, comme ceux du Centre d’étude pour le développement d’une agriculture plus autonome (Cedapa), ont su montrer qu’on pouvait créer de l’emploi et réussir avec des prairies extensives et des pratiques bien plus respectueuses de l’environnement. Ils ont mis en avant les complémentarités entre cultures et élevages, disparues ces dernières dizaines d’années quand la Bretagne s’est ultra spécialisée dans l’élevage intensif.

SOUTENIR LA RECONVERSION DE L’ÉLEVAGE

Mais pour un tel changement de modèle de développement, encore faut-il des politiques qui l’accompagnent : un encadrement des marges de la grande transformation et de la grande distribution, l’arrêt des aides sans conditions aux industries et une redistribution vers des activités relocalisées, écologiques et sociales.

Des politiques que les gouvernements successifs, y compris celui-ci, ne proposent pas. Ainsi en est-il de la redistribution des aides de la politique agricole commune, décidée ces semaines-ci, qui aurait pu encore bien davantage soutenir la reconversion de l’élevage au lieu de continuer à aider des céréaliers aux revenus indécents.

L’écotaxe telle qu’elle est conçue, ajoutée à une politique fiscale injuste qui continue de pénaliser les classes moyennes et précaires, ne pouvait donc qu’attirer les foudres. Mais ce n’est surtout pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain et enterrer cette bonne idée.

Écarts de rémunération : le « facteur 12 », une note de la Fondation Nicolas Hulot

Jean Gadrey
http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2013/11/20/ecarts-de-remuneration-le-%C2%AB-facteur-12-%C2%BB-une-note-de-la-fondation-nicolas-hulot/

À la veille de la votation suisse [prévue le 24 novembre] sur l’initiative populaire qui propose de limiter de 1 à 12 l’écart entre les salaires les plus bas et les plus élevés dans une entreprise, Cécile Renouard et Gaël Giraud publient une note expliquant pourquoi le « facteur 12 » constitue un enjeu d’efficacité économique et de justice écologique et sociale. J’ai ajouté un petit complément personnel qui va dans le même sens.

Synthèse de la note, par les auteurs

La question des écarts de rémunération légitimes au sein d’une société politique est un enjeu d’efficacité économique, aussi bien que de justice sociale et écologique. Après avoir été rayée des agendas politiques depuis une trentaine d’années, elle trouve un regain d’actualité dans le contexte de la crise financière, sociale et écologique. Il est significatif que dans un pays comme la Suisse, 68 % des votants aient approuvé le 3 mars 2013 un encadrement strict des très hautes rémunérations. Les problèmes posés par les inégalités croissantes de revenus en France sont de différents ordres.

• Les prestations sociales complétant les bas salaires alourdissent le déficit public.

• Contrairement à l’opinion répandue parmi les élites françaises, un salaire élevé n’est pas synonyme d’efficacité accrue. Il n’existe pas de marché parfait et complet des hautes rémunérations, qui allouerait équitablement le risque et le capital. De plus, le travail socialement utile n’est pas valorisé à sa juste mesure. Dès lors, les hautes rémunérations ne sont fixées ni selon la logique d’un marché du travail concurrentiel, ni en fonction de la logique contributive.

• Des études montrent comment le renforcement du lien social passe par une réduction des inégalités de revenus et de richesse. Lorsque les inégalités augmentent, même les plus favorisés pâtissent de la dégradation du lien social.

• Enfin, la préservation des écosystèmes et la transition écologique impliquent une réduction de la consommation “carbonée” des populations les plus favorisées aussi bien qu’une augmentation du pouvoir d’achat des plus pauvres en vue d’une consommation de produits ‘verts’ .

Le débat public est nécessaire : un sondage montre que les Français, en matière de différence de revenus, sont en grande majorité favorables à un facteur 10. De plus un écart de 1 à 11 existe déjà dans la fonction publique. Enfin une prise de conscience se fait jour de l’impasse technique et politique liée à l’augmentation exponentielle des écarts de rémunération dans les entreprises.

Pour mettre en place un écart de 1 à 12 entre les revenus des Français, nous proposons de créer un impôt sur le revenu remplaçant un grand nombre de taxes existantes, prélevé à la source sur les revenus du capital et du travail.

Adopter le Facteur 12 consisterait à rétablir une progressivité de cet impôt, allant de 2 % pour 1 100 € de revenu mensuel brut à 83 % pour 100 000 € et plus de revenu mensuel brut. L’État pourrait aussi faire de l’application de ce Facteur 12 dans les entreprises une condition nécessaire d’éligibilité pour les appels d’offres publics et les partenariats public/privé.

Je me permets de compléter ce beau travail, qui soulève évidemment des questions, mais des bonnes, par de courts extraits d’un article de votre serviteur à paraître dans quelques jours dans Le Monde Diplomatique :

« A se focaliser sur l’injustice de l’impôt, si criante soit-elle, on en viendrait à oublier les inégalités, bien plus criantes encore, liées à la répartition des revenus dite « primaire », revenus salariaux et revenus de la propriété…

… L’impôt aurait beaucoup moins à corriger dans une société où cette répartition primaire serait plus égalitaire. Si, au cours des dernières décennies, l’impôt est devenu de moins en moins progressif, s’il est même devenu nettement régressif pour les 1 % les plus riches, c’est non seulement en raison des politiques de baisses d’impôts et des niches privilégiant les hauts revenus, mais aussi parce que les inégalités de distribution primaire ont explosé. La redistribution court, de plus en plus mollement, après des inégalités qui galopent. L’impôt et la redistribution sont impuissants contre les revenus extravagants : même une tranche à 75 % n’empêcherait pas les « élites » de la finance de se verser deux fois plus de revenus, histoire de compenser…

Richard Wilkinson, coauteur du livre Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous (Les Petits Matins, 2013), explique pourquoi on ne doit pas tout attendre de l’impôt pour réduire les inégalités… : « Certes, il faut un impôt plus progressif, il faut lutter contre la fraude fiscale etc. ; mais cette approche de la réduction des inégalités a plusieurs faiblesses. A la prochaine alternance politique, ces mesures peuvent être détricotées en un mois. Alors que si vous réduisez les inégalités avant taxes et impôts, en démocratisant l’économie et les entreprises, vous changez les choses bien plus en profondeur. C’est pourquoi il faut démocratiser l’économie, développer en parallèle le secteur des coopératives, des mutuelles, etc. »

Pourquoi la révolution fiscale n’aura (sans doute) pas lieu

Pascal Riché
www.rue89.com/2013/11/25/pourquoi-revolution-fiscale-naura-sans-doute-lieu-247826


Ayrault commence à consulter sur la « remise à plat » du système. Il semble déterminé mais les obstacles techniques et le risque politique paraissent insurmontables.

Pas de temps mort. Comme s’il voulait faire mentir ceux, dont je fais partie, qui ont jugé peu crédible son annonce, le 19 novembre, d’une « remise à plat fiscale » improvisée sous la pression.

Jean-Marc Ayrault a reçu aujourd’hui les syndicats salariés et patronaux pour en discuter. Il est inédit que les partenaires sociaux soient invités à discuter de fiscalité. A la sortie de Matignon, Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, a trouvé le Premier ministre « déterminé » et eu l’air plutôt convaincu par la démarche.

Ayrault recevra ensuite les présidents des groupes parlementaires et les rapporteurs généraux du budget des deux assemblées. Puis, en décembre, les représentants élus locaux.

Il s’est engagé à faire des propositions à l’été 2014, pour un début d’application en 2015. Mais François Hollande affiche un entrain de tortillard : la réforme, dans sa totalité, prendra « le temps nécessaire, c’est-à-dire le temps du quinquennat ».

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Pourquoi la réforme fiscale ressort-elle du chapeau ?

François Hollande avait promis pendant sa campagne une grande réforme fiscale. Il y a moins d’un an, à un journaliste qui lui demandait où en était celle-ci, le ministre du Budget de l’époque, Jérôme Cahuzac, avait répondu, péremptoire : « Elle est faite ! » Selon lui, cette réforme était passée par trois décisions « fondamentales » :

  • L’alignement de la fiscalité pesant sur les revenus de l’épargne (intérêts, dividendes et plus-values) sur celle pesant sur les revenus du travail ;
  • l’instauration d’une tranche supplémentaire de 45% sur l’impôt sur le revenu ;
  • un impôt exceptionnel de 75% sur les salaires supplémentaires de un million.

A l’époque, nous commentions : « On est pourtant loin de la remise à plat promise pendant la campagne. »

« Remise à plat », c’est la même expression que Jean-Marc Ayrault a utilisé la semaine dernière pour proposer, à la surprise générale, d’ouvrir le chantier. Deux raisons l’ont poussé à le faire :

  • Repolitiser la discussion fiscale. Avec l’irruption des « bonnets rouges » contre l’écotaxe, qui cristallise un mouvement de colère complexe, le Premier ministre cherche à sortir le débat de la rue pour le replacer dans un espace politique « cadré » : les partenaires sociaux et le parlement.
  • Reprendre en main Bercy. Visiblement, ça se passe mal entre Matignon et Bercy. Jean-Marc Ayrault a annoncé son projet sans prévenir les ministres concernés (Pierre Moscovici à l’Economie, Bernard Cazeneuve au Budget). Des fuites ont aussi été organisées à propos de changements à la tête des grandes directions de Bercy, le Trésor et le Budget.

Ce lundi, France Inter a raconté un bras de fer qui a eu lieu à l’Assemblée nationale entre Bercy et quelques députés poussant des amendements au budget 2014 en vue de casser les abus « d’optimisation fiscale » par les entreprises : ces derniers étaient soutenus en sous-main… par Matignon.

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Quels sont les grands défauts du système fiscal français ?

En principe, un impôt juste et donc consenti est un impôt à la fois lisible et progressif.

  • Lisible. Chacun doit comprendre ce qu’il paye et avoir une idée de ce que payent les autres. L’impôt illisible est source de jalousies, de défiance, d’injustices.
  • Progressif. L’effort des personnes les plus aisées, proportionnellement à leur revenu, doit être plus important que l’effort des autres.

Or le système français est devenu illisible, et sa progressivité est altérée jusqu’à l’effacement. L’impôt sur le revenu – le plus progressif – est réduit à peau de chagrin : c’est le plus faible d’Europe.

Il y a deux ans, un groupe de trois économistes conduits par Thomas Piketty a démontré que la « progressivité » n’existait plus pour les plus hauts revenus.

Si l’on additionne tous les impôts et prélèvements (impôts directs, impôts sur la consommation, cotisations sociales, impôts sur le patrimoine), on se rend compte que, du fait des exemptions fiscales et autres « niches », ces derniers payent moins d’impôt, proportionnellement à leur revenu, que d’autres Français moins riches.

Le taux d’imposition peut ainsi être de 45% pour un revenu de 1 700 euros par mois, mais de seulement 35% pour un revenu mensuel de 63 000 euros.

Le système fiscal est une épuisette déchirée de partout. Il est d’une complexité telle que des entreprises prospères et des contribuables aisés parviennent à payer peu d’impôts par rapport à leur capacité contributive.

Par exemple, en 2011, onze des entreprises du CAC 40 n’ont pas payé d’impôts sur les sociétés.

Autre grande critique adressée au système français de prélèvements obligatoires : il pèse trop sur le travail, une denrée rare en ces temps de chômage massif.

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Quelles solutions sont sur la table ?

  • Supprimer une grande partie des niches fiscales : déductions, réductions, exemptions, abattements, primes, bouclier… Selon un rapport de l’inspection générale des impôts, sur les 104 milliards d’euros que représente les exemptions fiscales, 53 milliards n’ont aucun effet positif sur l’économie, et l’Etat s’en prive à tort.
  • Fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG. Cela permettrait de garder le meilleur des deux : l’assiette large de la CSG et la progressivité de l’Impôt sur le revenu.

La CSG est un impôt proportionnel, mais son assiette est plus large : revenus financiers, jeux… Hollande en avait fait son engagement n°14.

  • Prélever à la source. L’idée est de prélever l’impôt sur le revenu comme c’est le cas de la CSG et des cotisations sociale : juste avant que l’argent ne soit versé au contribuable.

C’est ainsi que procèdent la plupart des pays occidentaux. Avantages : c’est plus simple (moins de paperasse) et plus indolore (rares sont ceux qui scrutent les lignes de leur feuille de paie). Même si le citoyen n’a plus conscience qu’il participe au financement des biens publics.

  • Réformer le système de financement des prestations sociales. Actuellement, ce financement est assis sur des cotisations sociales prélevées sur les salaires, héritage de la logique d’assurance du système. Mais ce financement n’a plus grand sens, puisque la quasi-totalité de la population st couverte la par la protection sociale.

Basculer son financement vers l’impôt serait plus juste et permettrait d’alléger le coût du travail. Exemple : est-il logique que la branche famille, qui relève de la solidarité nationale, soit financée sur les seuls salaires ?

4

Quelles sont les chances de réussite de Jean-Marc Ayrault ?

S’il vise une vraie « remise à plat » globale, Ayrault a peu de chances d’aboutir. Il a indiqué que l’opération ferait « à prélèvements obligatoires constants ». Le jeu est donc à somme nulle : il y aura des gagnants et des perdants. Et les perdants, en période de marasme économique, ce n’est jamais simple à gérer.

Ce gouvernement a montré qu’il reculait facilement en cas de protestation sur la fiscalité :

  • épisode des « pigeons » : recul sur la taxe sur les plus value de cession d’entreprise ;
  • recul sur les prélèvements sociaux sur le PEL et le PEA ;
  • recul sur la taxe sur le diesel ;
  • recul sur la taxe sur l’exédent brut d’exploitation ;
  • recul sur l’écotaxe…

Pour les niches fiscales, il y a deux façons de procéder : supprimer certaines niches inefficaces mais conserver les autres, ce qui crée forcément des jalousies et des tensions.

Ou alors réduire progressivement toutes les niches, de façon égale. C’est plus simple, mais plus long, et cela risque de mettre fin à de bonnes mesures fiscales, celles qui ont un impact positif pour l’économie et la société.

La fusion impôt sur le revenu-CSG pose de multiples questions. Quel barème applique-t-on ? Et du même coup, quelle progressivité ? Quels aménagements pour les familles ? Que fait-on du quotient familial ?

Quid des niches de l’impôt sur le revenu ? Où vont les recettes (celles de la CSG sont affectées à la Sécu) ? Comment se goupille la transition (sachant que l’impôt sur le revenu porte sur les revenus de l’année précédente, quand la CSG porte sur les revenus de l’année en cours) ?

Pour le patron du Medef, Pierre Gattaz, cette idée « pose plus de questions que de réponses »… Les syndicats de salariés sont eux aussi très réservés : ils sont attachés au principe d’une CSG « fléchée » vers la protection sociale.

Ils craignent une étatisation de la sécurité sociale, qui repose historiquement sur une gestion paritaire patronat-syndicats. Jean-Marc Ayrault lui même ne semble pas très chaud à l’idée d’une telle réforme : « C’est dans le débat », a-t-il mollement indiqué.

La retenue à la source est un casse-tête. Certains jugent qu’il n’est pas possible en France, car il détruirait un principe auquel ce pays est attaché, l’idée qu’on déclare ses impôts par foyer, et non pas sur une base individuelle. Ce qui permet une redistribution, via le quotient familial par exemple, qui permet de soutenir les familles nombreuses.

L’économiste Thomas Piketty, dans Libération, balaye l’argument :

« C’est une excuse pour ne rien faire qui ne tient pas. L’impôt sur le revenu est familialisé et conjugalisé dans quantité de pays tout en étant prélevé à la source.

Cela n’empêche évidemment pas de tenir compte de la composition du foyer et du nombre d’enfants. Dans l’immense majorité des cas, ce qui est prélevé correspond à l’imposition finale, et il ne sera pas difficile de rectifier en fin d’année l’impôt de ceux dont la situation aura changé. »

Certes, mais même si c’est possible, il faudra bien remplacer les mécanismes existants (comme le quotient) par d’autres (comme de nouvelles prestations familiales). Ce qui promet de beaux casse-tête.

Autre critique contre le prélèvement à la source : les entreprises se retrouvent « collecteurs d’impôts » et peuvent avoir des informations sur leurs salariés.

Là encore, des systèmes sont possibles pour préserver la confidentialité. Aux Etats-Unis, les salariés peuvent par exemple décider de la part qu’ils souhaitent verser « à la source » et celle qu’ils veulent virer directement au fisc.

Le changement de financement des régimes sociaux peut affecter l’économie. Jean-Marc Ayrault a l’air attaché à cette piste-là. Il va saisir le Haut conseil de financement de la protection sociale pour en discuter et déterminer ce qui relève de la logique d’assurance (et donc des cotisations) et ce qui relève de la logique de solidarité (et donc de l’impôt). Typiquement, le chômage fait partie de la première et la famille de la seconde.

Mais se pose une question délicate : si la charge de la protection sociale ne pèse plus sur les salaires, qui va la financer ? Commentaire de l’économiste Henri Sterdyniak, de l’OFCE, pour qui cette réforme est un « mythe » :

« Certains veulent transférer la charge de la protection sociale des entreprises vers les ménages. Ainsi, le Medef réclame une baisse de 100 milliards de la fiscalité des entreprises.

Ceci supposerait une nouvelle et forte hausse des impôts pesant sur les ménages, donc un effondrement de la consommation. »

Sterdyniak déboulonne une par une toutes les pistes envisagées avant de conclure, rabat-joie :

« Il n’y a pas de réforme miracle : le système actuel, produit d’un long processus de compromis économique et social, est difficile à améliorer. »