Articles du Vendredi : Sélection du 6 avril 2018

Inscrire le changement climatique dans la Constitution : symbolique mais inutile

Arnaud Gossement
https://reporterre.net/Inscrire-le-changement-climatique-dans-la-Constitution-symbolique-mais-inutile

Pour une reconnaissance juridique de l’écocide

Marisa Fonseca
https://reporterre.net/Pour-une-reconnaissance-juridique-de-l-ecocide

Comment la dette de la SNCF enrichit les marchés financiers, au détriment des cheminots et des usagers

Nolwenn Weiler
www.bastamag.net/Comment-la-dette-de-la-SNCF-enrichit-les-marches-financiers-au-detriment-des

Les réfugiés climatiques

Jacques Munier
www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-idees/les-refugies-climatiques

Inscrire le changement climatique dans la Constitution : symbolique mais inutile

Arnaud Gossement
https://reporterre.net/Inscrire-le-changement-climatique-dans-la-Constitution-symbolique-mais-inutile

Le Premier ministre a annoncé, le 4 avril, le projet du gouvernement d’inscrire la lutte contre le changement climatique à l’article 34 de la Constitution. Pour l’auteur de cette tribune, cette mesure, avant tout symbolique, est surtout inutile, voire contreproductive.

L’article 34 de la Constitution liste les matières dans lesquelles le Parlement vote la loi. Dans sa rédaction actuelle, cet article précise d’ores et déjà que « la loi détermine les principes fondamentaux : (…) de la préservation de l’environnement ». L’environnement au sens large comprend bien sûr le climat. Et c’est ainsi que plusieurs lois font d’ores et déjà état de la lutte contre le changement climatique. Le Conseil constitutionnel a déjà isolé un « objectif de lutte contre le réchauffement climatique » de valeur législative. Il s’agissait en effet d’un objectif que le législateur s’était fixé à lui-même avant, selon le Conseil constitutionnel, de le violer. L’article 7 de la loi de finances pour 2010 créant une « contribution carbone » a donc été déclaré contraire à la Constitution au motif de la violation par le législateur de l’objectif qu’il s’était assigné [1]

Cette mesure est donc inutile et ne changera rien au contrôle de la constitutionnalité de la loi réalisé par le Conseil constitutionnel. Le risque est cependant que cette mesure soit en outre contreproductive.

Inscrire la lutte contre le changement climatique à l’article 34 de la Constitution de 1958 présente plusieurs inconvénients.

Le premier inconvénient tient au fait que cette mesure revient à considérer que certains enjeux environnementaux seraient plus importants que d’autres. La mise en évidence de la seule lutte contre le changement climatique à l’article 34 de la Constitution contribue au « carbocentrisme » selon lequel la réduction des émissions de gaz à effet de serre est la seule urgence écologique à laquelle il conviendrait de s’attacher.

C’est une erreur. La réduction de nos émissions de gaz à effet de serre est un impératif mais ne peut pas être traitée isolément des autres impératifs. Focaliser sur la seule question du carbone autorise ainsi les promoteurs de l’énergie nucléaire à mettre en avant une technologie qui produit pourtant des déchets dont la gestion est périlleuse. En matière d’écologie, tous les sujets doivent être traités de front. En d’autres termes, la meilleure manière de lutter contre le changement climatique est de travailler sur tous les enjeux environnementaux en même temps.

Le deuxième inconvénient tient à la rédaction proposée. Le dérèglement du climat n’impose pas que des politiques de prévention des émissions de gaz à effet de serre. Car, malheureusement, ce dérèglement est déjà une réalité. Il est donc important de continuer à réduire ces émissions tout en traitant les conséquences déjà bien visibles des émissions passées et en cours. Des politiques d’atténuation et d’adaptation sont requises en complément des politiques de prévention. C’est pourquoi le terme de « lutte » (contre le changement climatique) est sans doute « fort » mais pas nécessairement le mieux choisi pour bien envisager l’ensemble des tenants et aboutissants des politiques publiques destinées à agir sur les causes et les conséquences de la hausse de la température moyenne à la surface du globe.

Le troisième inconvénient, plus juridique, tient à ce que cette mesure introduit une discordance entre la Constitution et le Code de l’environnement. Au sein de l’article L.110-1 du Code de l’environnement, de valeur législative, « la lutte contre le changement climatique » correspond à un « engagement » destiné à réaliser l’objectif de développement durable. Il faut éviter que la lutte contre le changement climatique soit : d’une part un engagement au service de l’objectif du développement durable dans le Code de l’environnement, d’autre part un simple critère de délimitation du domaine de la loi à l’article 34 de la Constitution. Cette discordance entre la Constitution et le Code de l’environnement doit être évitée.

Le quatrième inconvénient, plus politique, tient à ce que cette mesure masque mal le fait que l’État ne se dote toujours pas des moyens humains et financiers nécessaires pour assurer véritablement le développement durable du pays. La difficulté qu’il éprouve à réduire la pollution de l’air malgré plusieurs décisions de justice qui lui demandent d’agir en témoigne. De la même manière, notre fiscalité n’est toujours pas adaptée pour, notamment, développer une économie circulaire. Appliquer la Charte de l’environnement, respecter nos engagements européens et internationaux devraient constituer une priorité. Doter notre boîte à outils constitutionnelle d’un nouvel outil symbolique est moins pertinent que de se servir de ceux qui existent déjà. L’écologie des symboles devrait laisser la place à l’écologie des actes.

En conclusion, inscrire la lutte contre le changement climatique à l’article 34 de la Constitution est moins urgent que de réformer nos institutions pour que l’environnement soit, enfin au cœur et non plus à la périphérie de nos institutions et de nos politiques publiques. La création de la fonction de vice-Premier ministre chargé du développement durable ou une réforme complète du Conseil économique et social y contribueraient. Et nous permettraient de sortir de l’écologie des symboles.

Pour une reconnaissance juridique de l’écocide

Marisa Fonseca
https://reporterre.net/Pour-une-reconnaissance-juridique-de-l-ecocide

Les partisans de la notion d’écocide, entendu comme une destruction grave de la planète et de ses ressources, cherchent à l’inscrire dans le droit international, explique l’auteure de cette tribune.

Marisa Fonseca est chargée de mission à La Fabrique écologique.

 

Marée noire en mer de Chine, tribunal citoyen pour juger les impacts des activités de la firme Monsanto sur les droits humains et environnementaux : la notion d’écocide occupe une place croissante dans le débat public. Défini par Polly Higgins, avocate anglaise, comme une destruction particulièrement grave de la planète et ses ressources, l’écocide met en péril la survie de l’espèce humaine et des autres êtres vivants. Son développement ces dernières années est-il le reflet d’une prise de conscience de l’urgence climatique ? Est-il un outil adapté pour mieux protéger la nature ? Pour punir les atteintes à celle-ci ?

Les débats sur l’écocide sont le reflet d’une évolution, certes lente, de la conception du rapport de l’homme à la nature. Sur le plan philosophique, la vision occidentale classique utilitariste de la nature a conduit à une exploitation des ressources qui n’est plus aujourd’hui compatible avec la préservation de notre planète. Cette approche se distingue de celle de certains peuples indigènes chez lesquels l’héritage culturel et spirituel est fondé sur le respect de la nature (les Maoris en Nouvelle-Zélande, par exemple).

Les partisans d’une reconnaissance juridique de la notion d’écocide s’accordent sur la nécessité de sa dimension internationale

Sur le plan juridique, il semble difficile dans les pays occidentaux de faire entrer la notion d’écocide dans le droit. En effet, la nature n’est généralement protégée que lorsque le dommage causé affecte directement un être humain. En France, de nouveaux concepts se sont tout de même développés récemment, notamment « le préjudice écologique pur ». Reconnu par la Cour de cassation en 2012, à la suite de la catastrophe de l’Erika, il est défini comme une atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement. Ce préjudice a depuis été introduit dans le Code civil par la loi pour la reconquête de la biodiversité de 2016. Cette avancée n’est pas négligeable même si les juges ne sont pas allés jusqu’à reconnaître des droits à la nature.

De nombreux obstacles persistent donc et la manière dont pourrait se traduire la notion d’écocide en droit fait débat même entre ses partisans. Plusieurs juristes, dont Valérie Cabanes, ont élaboré une proposition pour introduire l’écocide dans le droit pénal international par le biais d’un amendement au statut de la Cour pénale internationale (introduction d’un cinquième crime contre l’humanité). D’autres, comme Laurent Neyret, proposent la mise en place d’une Convention internationale et d’une Cour pénale environnementale, destinées à faire évoluer le droit et les outils actuellement en place. Elles permettraient d’harmoniser les sanctions pénales des différents États. Valérie Cabanes milite pour une responsabilité stricte pour mettre en cause une personne morale ou physique (la nécessité de prouver l’intention de nuire n’est pas obligatoire) alors que Laurent Neyret, jugeant cette condition difficile à faire accepter par les États, propose une mise en cause uniquement lorsque cette intention existe.

Malgré les divergences, les partisans d’une reconnaissance juridique de la notion d’écocide s’accordent sur un point essentiel : la nécessité de sa dimension internationale. Ici encore, les obstacles sont nombreux : le principe de souveraineté, l’absence de mécanismes coercitifs et le manque de coordination entre les États. L’absence de contraintes du droit international profite également à certaines multinationales, permettant à leurs filiales et sous-traitants locaux de bénéficier d’une législation « souple » et d’agir en toute impunité. La France fait exception dans ce domaine avec la loi de février 2017 sur la vigilance des entreprises obligeant les entreprises mères à éviter les dommages qu’elles pourraient occasionner lors des activités de leurs filiales.

Monsanto est un bon exemple d’entreprise qui serait (très probablement) condamnée pour écocide

Si l’entrée de la notion d’écocide dans notre arsenal juridique semble difficile aujourd’hui, sa présence accrue dans les débats nous invite à repenser notre lien à la nature, à la valeur qu’on lui accorde et peut être un vecteur de changement de nos comportements. La nature n’est plus seulement un objet dont nous disposerions selon notre bon vouloir, mais un sujet à part entière. Début 2017, la Nouvelle-Zélande a reconnu au fleuve Wanganui une personnalité juridique. Ces nouveaux statuts accordés permettent ainsi aux citoyens de saisir la justice.

Il s’agit aussi de définir et de mettre en place des outils permettant de punir les activités des multinationales quand elles sont destructrices pour la planète. Monsanto est un bon exemple d’entreprise qui serait (très probablement) condamnée pour écocide si cette notion entrait dans le droit.

Enfin, la reconnaissance de l’écocide pourrait permettre de reconnaître la sûreté de la planète comme valeur universelle que nous devons protéger pour garantir aux générations futures le droit de bénéficier, comme nous, d’un environnement sain.

Si sa reconnaissance au niveau international semble difficile à mettre en place, cette notion a pleinement sa place dans le débat public en nous permettant de repenser notre rapport à la nature. Une conscience collective de notre interdépendance avec cette dernière émerge petit à petit et il faut encourager cette évolution heureuse.

Une version approfondie de cette tribune a été publiée sur le site de La Fabrique écologique.

Comment la dette de la SNCF enrichit les marchés financiers, au détriment des cheminots et des usagers

Nolwenn Weiler
www.bastamag.net/Comment-la-dette-de-la-SNCF-enrichit-les-marches-financiers-au-detriment-des

Sous prétexte de sauver la SNCF, endettée de près de 50 milliards d’euros, le gouvernement Philippe prépare une profonde réforme du secteur ferroviaire, ouvrant la porte à sa privatisation de fait. Présentée comme la conséquence de performances insuffisantes de l’entreprise, cette dette résulte pourtant très largement de choix politiques et organisationnels antérieurs. Loin des fantasmes sur le statut des cheminots, Basta ! retrace l’histoire de cet endettement, qui constitue aussi une rente annuelle de plus d’un milliard d’euros pour les marchés financiers. Pour en venir à bout, d’autres solutions sont possibles.

Lors de l’inauguration de la ligne grande vitesse Paris-Rennes, en juillet dernier, Emmanuel Macron a évoqué une offre : l’État pourrait prendre en charge la dette de la SNCF en échange d’un « nouveau pacte social » au sein de l’entreprise publique, qui verrait le statut des cheminots progressivement supprimé. Emmanuel Macron faisait ainsi implicitement le lien entre l’endettement colossal de la SNCF – 46,6 milliards d’euros – et le « coût du statut » des cheminots, qui leur donne notamment la possibilité de partir en retraite plus tôt. Le rapport Spinetta, remis le 15 février dernier au gouvernement en vue d’une loi réformant la SNCF, reprend cette thèse d’un coût du travail trop élevé qui viendrait gréver les finances du système ferroviaire français.

« C’est une escroquerie intellectuelle de laisser penser cela, s’insurge Jean-René Delépine, représentant du syndicat Sud-rail au conseil d’administration de SNCF réseau, la branche qui gère les voies ferrées. Cette dette, c’est d’abord la contre-valeur d’un bien commun : un réseau de chemin de fer. Elle est visible parce qu’elle se trouve au sein d’une seule société. Si une entreprise avait, à elle seule, la charge de maintenir et de développer le réseau routier, sa dette serait infiniment supérieure ! L’État, qui se présente comme la victime d’un endettement non maîtrisé de la SNCF, est en fait le premier responsable de l’explosion de la dette. »

Une dette « mise sous le tapis » il y a vingt ans

Dans les années 80, la politique du « tout TGV », vers lequel les investissements sont essentiellement dirigés, se traduit par une diminution continuelle des budgets de maintenance et de renouvellement du reste du réseau – dessertes des agglomérations, lignes rurales, lignes inter-cités – qui aboutit à un état de délabrement alarmant d’une partie des voies. « En 2005, un audit sur l’état du réseau français réalisé par l’école polytechnique fédérale de Lausanne (Suisse) à la demande de Réseau ferré de France (RFF) et de la SNCF alertait sérieusement sur le vieillissement du réseau et pointait la responsabilité de l’État », souligne la CGT dans un récent rapport sur l’avenir du service public ferroviaire. Plus de 9000 kilomètres (sur un total de 30 000) sont considérés comme vétustes voire dangereux [1]. À certains endroits, les rails sont si dégradés que les trains doivent ralentir. Tout cela oblige l’État à engager un important et très coûteux programme de travaux au début des années 2000.

En 1997, pour répondre aux critères du traité de Maastricht qui conditionne le passage à l’euro à la maîtrise du déficit public, la France choisit de loger sa dette ferroviaire dans un nouvel établissement public, séparé de la SNCF : Réseau ferré de France (RFF, renommé SNCF réseau en 2014). « C’est une façon de masquer la dette publique, estime Jean-René Delépine. À la même époque, l’Allemagne a de son côté décidé de reprendre la dette du système ferroviaire, alors qu’elle était en pleine réunification ! »

La dette de 46,6 milliards d’euros qui plombe actuellement le système ferroviaire est celle de SNCF réseau, mise sous le tapis il y a vingt ans [2]. « RFF puis SNCF réseau se retrouvent à porter, seules, des investissements qui doivent normalement revenir à l’État, poursuit Jean-René Delépine. C’est pourtant lui qui prend les décisions d’aménagements ! »

Dix milliards ponctionnés par les marchés financiers

À la fin des années 2000, le gouvernement de Nicolas Sarkozy décide de lancer un vaste programme de travaux, mais sans y allouer les finances nécessaires. À la remise en état des voies vieillissantes, s’ajoute la construction de quatre nouvelles Lignes à grande vitesse (LGV) [3]. En 2010, SNCF réseau investit 3,2 milliards d’euros tout en percevant 2,2 milliards de subventions. Il faut donc emprunter sur les marchés pour trouver le milliard manquant. En 2012, les investissements s’élèvent à 4,3 milliards d’euros quand les subventions de l’État plafonnent à 1,2 milliard. Nouvel emprunt. En 2015, rebelote : alors que SNCF réseau doit débourser 5,3 milliards, il ne reçoit que 1,1 milliard de l’État. Cette année là, les subventions ne couvrent que 23 % des besoins d’investissement. Le recours à l’emprunt augmente encore. Depuis, les subventions consenties par l’État restent bien inférieures aux montants de travaux… pourtant engagés à sa demande ! « En 2017, 5,4 milliards d’euros ont été investis pour la régénération du réseau. 2,2 milliards ont été versés par des subventions. Le reste a été emprunté », illustre Jean-René Delépine.

À ce système structurellement déficitaire, s’ajoute le fait qu’« SNCF Réseau doit payer les intérêts de sa dette passée, comme l’explique Adrien Coldrey, économiste au sein du cabinet d’expertise Degest [4].

Or, il n’a plus aucune ressource pour payer ces intérêts puisque celles-ci ont été utilisées pour l’investissement : il doit donc s’endetter pour les payer. C’est un effet boule de neige, qui ressemble à une situation de surendettement pour un particulier. »

Ces dix dernières années, cette charge de la dette – 10,3 milliards d’euros seulement pour les intérêts – pèse plus lourd que l’entretien et le développement du réseau – 7,2 milliards d’euros ! « Quand la SNCF emprunte 100 euros pour le réseau, il ne peut en utiliser que 41. Les 59 restant sont ponctionnés par le système financier », détaille Arnaud Eymery, le directeur du cabinet Degest. Soit les banques, assurances et fonds d’investissement qui prêtent à la SNCF [5].

« On travaille pour financer les banques »

« Pour le dire autrement, afin d’investir 100 euros sur la modernisation des voies, la SNCF doit emprunter 243 euros ! Le surcoût est considérable. C’est une rente pour les marchés financiers, même si les taux sont actuellement très bas. » Si les taux devaient remonter, l’absurdité de ce choix économique serait encore plus flagrante. « La charge de la dette avale les trois quarts de la performance économique de l’outil industriel, assène Jean-René Delépine, de Sud-rail. On travaille pour financer les banques. C’est une honte. » Et plus le temps passe, plus la dette se creuse. « Si l’État l’avait reprise en 2010, seulement 7,2 milliards d’euros d’endettement auraient été générés, contre 17,5 milliards actuellement », calcule Arnaud Eymery du cabinet Degest.

Autre choix politique absurde : en 2006, le gouvernement de Dominique de Villepin privatise les autoroutes, ce qui provoque un gros manque à gagner pour le système ferroviaire. Une partie des subventions versées par l’État à la SNCF provient de l’agence de financement des investissements de transports de France, qui était alimentée par les redevances des concessions d’autoroutes…

Pour se faire une idée des sommes dont est aujourd’hui privé le système ferroviaire, il suffit de regarder le montant des dividendes que se sont partagés les actionnaires des sociétés concessionnaires d’autoroute (SCA) en 2016 : 4,7 milliards d’euros [6] ! « La suppression du projet d’écotaxe en octobre 2014 [par le gouvernement de Manuel Valls, ndlr], également prévue par le Grenelle de l’environnement pour financer la construction des LGV, vient à nouveau gréver les finances et donc le report des trafics de la route vers le train », ajoute Arnaud Eymery.

Pour les usagers, le prix des billets explose

Le report de la route vers le train constitue un défi crucial face au réchauffement climatique et à l’aggravation de la pollution atmosphérique. Mais pour les usagers, le coût du train s’envole. Car pour faire face à sa situation financière, le tarif facturé par RFF aux sociétés exploitants les trains – et donc principalement à la SNCF – a été considérablement augmenté (+26 % entre 2007 et 2013). « La hausse est aussitôt répercutée sur le prix des billets, qui augmente de 20% entre 2008 et 2013 », souligne Arnaud Eymery. Résultat : les Français délaissent le train jugé hors de prix.

Dès 2010, la fréquentation des TGV est en baisse. Un cercle infernal se met en place : les gens prennent moins le train, le nombre de trains diminue, les péages augmentent, de même que les billets, ainsi que les investissements nécessaires. Entre 2010 et 2016, le trafic ferroviaire enregistre une hausse de 1 % quand la voiture bondit de 7 % et le transport aérien de 17 %.

Plutôt que de taxer la route pour financer le transport ferroviaire, beaucoup moins polluant, l’État prétend que celui-ci peut s’autofinancer à condition que les cheminots travaillent plus et mieux. Pourtant, d’importants efforts ont déjà été consentis. « Chaque année, on demande à la SNCF d’économiser 1,5 milliard d’euros. Et la principale source d’économies, c’est l’emploi », poursuit Arnaud Eymery. Entre 2004 et 2014, les effectifs cheminots ont chuté. Ces derniers passent de 175 000 à 154 000 salariés, soit 2000 emplois supprimés chaque année.

Productivité élevée, espérance de vie réduite

Selon le cabinet Degest, une étude des gains de productivité laisse apparaître, entre 2004 et 2014, une progression plus forte pour les cheminots (+3,2% par an) que pour l’économie française dans sa globalité (+1,9%). Une tendance qui devrait se prolonger ces prochaines années du fait des contrats de performance signés entre l’État et la SNCF. Néanmoins, le coût de cette pression sur le travail est élevé. À la SNCF comme ailleurs, les salariés sont écartelés entre des objectifs sans cesse accrus et des moyens revus à la baisse. Au point que certains ne peuvent plus assurer correctement la sécurité sur les voies (lire notre enquête sur l’accident de Brétigny en 2013). Et que d’autres sont sommés de proposer aux voyageurs les billets les plus chers [7].

Pour que les trains puissent rouler en continu, la maintenance est davantage assurée de nuit, alors que le travail nocturne a des effets importants sur la santé. « Les indices de morbidité [le nombre de jours d’absence des salariés pour maladie ou accident du travail, ndlr] ont augmenté au fur et à mesure que des gains de productivité étaient enregistrés », remarque Arnaud Eymery.

 

 

L’espérance de vie des cheminots est inférieure à la moyenne nationale, notamment pour les personnels de l’exécution et de la traction. Ces derniers meurent quatre ans plus tôt que le reste de la population [8]. La fédération Sud-rail, à qui la direction refuse de fournir des chiffres, estime qu’une cinquantaine de cheminots se suicident chaque année.

1269 euros, le salaire de base d’un chef de bord

En parallèle, les réorganisations et le déploiement de nouvelles technologies entraînent une hausse de l’encadrement. « En créant trois entités en 2014, on a créé trois états-majors différents, illustre Jean-René Delépine. Cela augmente automatiquement la masse salariale puisque les cadres sont plus nombreux et mieux payés. » L’augmentation exponentielle de la sous-traitance a également entraîné une augmentation du taux d’encadrement. Pour réaliser des économies, il serait ainsi possible de regarder du côté de l’organisation du travail, ou encore… de la direction.

En 2017, les onze membres du comité exécutif de SNCF Réseau se sont ainsi partagés une rémunération nette imposable de 2,5 millions d’euros, assortis de 38 000 euros d’avantages en nature, soit une moyenne de 19 000 euros par mois et par personne. En 2017, Florence Parly, l’actuelle ministre des Armées, a été payée 52 000 euros par mois en tant que directrice générale chargée de SNCF voyageurs. Par comparaison, le traitement de base d’un chef de bord, qui assure les trajets à bord d’un train corail, est de 1269 euros nets, assortis de plusieurs primes.

D’autres solutions pour financer le réseau

Comment sortir le système ferroviaire de cette voie de garage ? L’État pourrait aider l’entreprise dont il est actionnaire à sortir du cycle infernal de l’endettement, et doter le train de financements pérennes. La CGT propose de flécher 6 milliards d’euros des recettes de la TICPE (taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques) pour le financement du réseau ferré national. En 2016, ces recettes se sont élevées à 28,5 milliards d’euros pour les produits pétroliers [9]. La CGT propose par ailleurs de mettre fin aux exonérations et au remboursement partiel de cette taxe dont bénéficient les transporteurs routiers ou le secteur aérien.

La confédération syndicale propose également de mettre en place un « versement transport additionnel régional » : calculé à partir de la masse salariale et redevable par les entreprises d’au moins onze salariés, cet impôt permettrait de doter les régions de 500 à 850 millions d’euros par an pour financer les lignes locales. « Sur le modèle du Livret A créé pour financer le logement social, nous proposons la création d’un nouveau livret d’épargne défiscalisé offrant un produit d’épargne sécurisé, dont les fonds seraient centralisés par la Caisse des dépôts et consignations », suggère encore la CGT.

Développer le train pour sauver le climat

De son côté, le syndicat Sud-rail propose de réunir les trois entités qui composent actuellement la SNCF en une seule et même entreprise, ce qui permettrait de mutualiser les capitaux propres : ceux de SNCF mobilités s’élèvent à 15 milliards d’euros, alors que ceux de SNCF réseau sont négatifs de 12 milliards. « Nous aurions une entité qui démarrerait avec un capital positif de 3 milliards de capitaux propres », résume Jean-René Delépine. La fusion entraînerait une mutualisation des marges opérationnelles, diluant la charge liée au remboursement de la dette et améliorant la capacité d’autofinancement.

Cette réunification aurait, toujours selon Sud-rail, un autre avantage : économiser les coûts de fonctionnement liés à la multitude de contrats passés entre les deux entités. Par exemple, lorsque SNCF réseau ferme une ligne pour réaliser des travaux, elle dédommage SNCF mobilités qui ne peut plus y faire passer ses trains. « Ces transactions créent des litiges, et induisent des surcoûts organisationnels monstrueux. » Sans oublier le bon millier de filiales créées par la SNCF, véritable mille-feuille organisationnel dont les effet économiques et sociaux réels restent à déterminer.

Sur le plan climatique, le secteur des transport est l’un des plus émetteur en gaz à effet de serre. Privilégier les modes de transport les moins polluants est donc indispensable. Une étude réalisée en Europe par le cabinet néerlandais CE Delf met en évidence un coût social et environnemental neuf fois plus élevé pour la voiture que pour le train. « Je pense même qu’en France, où le parc diesel est très important, ces chiffres sont encore supérieurs », estime Arnaud Eymery. Face aux défis, immenses, que pose le changement climatique, le train pourrait être considéré comme un atout plutôt que comme un poids. Ce n’est malheureusement pas le sens des conclusions du rapport Spinetta, qui sert de base à la future réforme ferroviaire.

Notes

[1] L’audit réalisé par l’école polytechnique de Lausanne est disponible ici.

[2] Les deux autres établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) du groupe n’ont pas de dettes « inquiétantes » pour le moment. On parle là de l’« Epic de tête » (la holding qui chapeaute l’ensemble) et de SNCF mobilités qui fait rouler les trains (et qui possède par ailleurs des centaines de filiales).

[3] Paris-Strasbourg, Paris-Bordeaux, Paris-Rennes, contournement Nîmes-Montpellier.

[4] Le Cabinet Degest a rédigé en 2013 un rapport très documenté pour la SNCF en vue de la réforme ferroviaire de 2014. Les principales conclusions de ce rapport sont à lire ici. Le rapport est consultable .

[5] Voir ici l’analyse de Degest sur le coût de la dette.

[6] Pour consulter la synthèse des comptes des concessions autoroutières, voir ici.

[7] Voir l’enquête de Santé et travail réalisée par Eliane Patriarca en octobre 2017.

[8] Espérance de vie à l’âge de 60 ans : 24,9 ans pour la France entière ; 20,3 ans pour les personnels d’exécution à la SNCF, 22 pour les personnels de traction.

[9] La TICPE est la quatrième recette fiscale de l’État derrière la TVA, les impôts sur le revenu et sur les sociétés.

Les réfugiés climatiques

Jacques Munier
www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-idees/les-refugies-climatiques

L’impact du climat sur les mouvements de population à travers le monde est déjà une réalité (28/09/2017).

La terrible séquence que nous avons vécue en l’espace d’un petit mois avec les ouragans Harvey, Irma, José, Maria, a relancé la question globale du changement climatique. S’il est vrai que la succession d’ouragans dans l’Atlantique équatorial n’est pas un phénomène exceptionnel tant qu’ils restent sur l’océan, leur dérive vers l’ouest et les archipels ou continent habités a eu des conséquences catastrophiques. L’hebdomadaire Le un se penche cette semaine sur l’aspect humain du déferlement des météores. « Chaque année, environ 26,4 millions de personnes quittent leur habitation à la suite d’une catastrophe naturelle brutale », dont les tempêtes et inondations dans 95 % des cas. Les sécheresses sont aussi une cause récurrente d’exodes. Comme le rappelle Julien Bisson, « Alors que l’année n’est pas encore achevée, 2017 bat déjà tous les records en matière de migrations climatiques : plus de quarante millions de personnes ont été contraintes à se déplacer, quatre fois plus que les populations touchées par les conflits armés. » Mais pour elles, aucune convention internationale comparable à celle qui protège les réfugiés en zone de guerre. « En septembre 2018, l’ONU doit adopter un pacte mondial sur les réfugiés, censé définir le plan d’action global pour les années à venir ». François Gemenne revient sur la progressive montée en puissance du concept de « réfugié environnemental » et insiste sur « le caractère structurel de ces migrations ». Le directeur du programme de recherche « Politiques de la Terre » à Sciences Po prévoit que nous devrons « opter pour une migration choisie plutôt que contrainte et forcée », et « déployer des stratégies d’adaptation dans les zones les plus touchées par le changement climatique », en arbitrant entre les zones à protéger. « Après Katrina – rappelle-t-il – certaines voix avaient émis l’hypothèse de ne pas reconstruire La Nouvelle-Orléans, qui est très exposée, pour la déplacer ailleurs. Actuellement l’Indonésie y songe pour Jakarta. » L’auteur d’une Géopolitique du climat (Armand Colin, 2015) estime que « l’ordre mondial devrait intégrer la Terre comme un sujet de politique, et non plus comme un décor de politique ». Il évoque le cas emblématique du Bangladesh, qui « accueille plus de 450 000 réfugiés politiques, fait face à l’afflux de Rohingyas en même temps qu’à des migrations d’ampleur à cause des moussons. À terme, la hausse des températures rendra le pays invivable, sans parler de la hausse du niveau des mers, de l’intensification des catastrophes naturelles, de la fonte des glaciers de l’Himalaya et des 3 300 kilomètres de barbelés ponctués de miradors que l’Inde a installés à leur frontière commune… »

La fonte des glaciers est un autre indice sans équivoque du réchauffement climatique

La revue L’Alpe y consacre sa dernière livraison : « Sale temps pour les glaciers ». Pas besoin d’aller se percher sur l’Himalaya pour prendre la mesure du réchauffement : dans le massif du Mont-Blanc, le glacier d’Argentière descendait jusqu’à l’église au début du XIXème siècle. Aujourd’hui il a reculé de 700 mètres et les paroissiens se calfeutrent en été dans la fraicheur des pierres. Le portfolio de la revue illustre l’agonie du glacier du Rhône, couvert de ses gigantesques bâches posées en altitude pour tenter de réduire la fonte des glaces. La photographe Laurence Piaget-Dubuis induit un troublant et grinçant effet de miroir entre ces immenses linceuls couvrant la masse glaciaire qui se rétracte lentement et les campements de migrants à La Chapelle ou à Calais, avec leurs toiles mal ajustées. Plus au nord, l’Arctique est un enjeu géopolitique en raison de ses nombreuses ressources naturelles : gaz et pétrole, minerais précieux comme le diamant et l’or, ou plus répandus comme le fer et le zinc. Géopolitique par la convergence des états impliqués : Etats-Unis, Canada, Russie, Norvège et Danemark – à travers le Groenland. C’est pourquoi la revue Politique étrangère propose dans sa dernière livraison « une exploration stratégique » de l’Arctique. Là, par un curieux paradoxe, la fonte des glaces arrange tout le monde car elle facilite l’accès aux ressources : « 13% des réserves mondiales de pétrole et 30% des réserves mondiales en gaz naturel ». Et elle permet d’étayer les revendications territoriales sur « des relevés scientifiques plus détaillés ».

La région permet aussi une observation plus directe du changement climatique

C’est la mission de tous les scientifiques sur la base de l’île norvégienne du Spitzberg, la dernière localité avant le pôle nord, une base qui accueille près de vingt nationalités. Pour 6mois la revue du photoreportage Paolo Verzone a passé deux semaines avec ces veilleurs, qui ne sont pas tous des lanceurs d’alerte, loin s’en faut, recueillent toute sorte de données, notamment climatologiques. Ballon-sonde lancé dans l’air, prélèvement de phytoplancton dans la mer, ou de neige pour mesurer la quantité de gaz carbonique qu’elle contient, « les données collectées depuis vingt ans sont formelles : le réchauffement climatique est une réalité ».

 

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