Articles du Vendredi : Sélection du 6 avril 2012

La transition de phase

Hervé Kempf
www.reporterre.net/spip.php?article2718 – 04.04.2012

Déchets: le programme des associations

Stéphanie Senet
www.journaldelenvironnement.net/article/dechets-le-programme-des-associations,28401

Pour un pacte agricole

Isabelle Autissier et Serge Orru Présidente et Directeur général du WWF-France
www.goodplanet.info/Contenu/Points-de-vues/Pour-un-pacte-agricole/%28theme%29/3105

Jean-Luc Mélenchon : « Je m’interdis le mot croissance »

Hervé Kempf
www.reporterre.net/spip.php?article2779 – 03.04.2012

L’humanité sous-estime-t-elle le risque de sa propre extinction ?

Pierre Barthélémy
http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2012/03/13/lhumanite-sous-estime-t-elle-le-risque-de-sa-propre-extinction

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La transition de phase

Hervé Kempf
www.reporterre.net/spip.php?article2718 – 04.04.2012

Un an après l’accident nucléaire de Fukushima, on peut penser aux quelques deux millions d’habitants toujours affectés par les conséquences de l’accident de Tchernobyl, survenu le 26 avril 1986. Comme rien n’est plus ennuyeux qu’un drame qui n’en finit pas, les populations vivant dans les territoires contaminés de Biélorussie sont oubliées des médias. Cela n’empêche pas une grossesse sur deux de s’interrompre avant terme, les enfants de présenter des taux élevés de contamination, l’alimentation de devoir être contrôlée, les directeurs d’hôpitaux de s’inquiéter de la baisse de fécondité des hommes… Fukushima devrait reproduire cette histoire sinistre.

Mais, parce que Fukushima a répété l’impossible, il a fait entrer le nucléaire dans une nouvelle phase : désormais, un doute pernicieux pèse définitivement sur cette technologie. L’accident reste possible, se rappelle-t-on, mais surtout ses conséquences sont décidément intolérables : stériliser un territoire pour des décennies et en exiler des dizaines de milliers d’habitants est maintenant une perspective réaliste partout, en Chine, en Russie, aux Etats-Unis, comme… en France. La phase conquérante de l’énergie nucléaire est close.

Ce qui nous conduit à réfléchir au concept de « transition de phase ». Les physiciens appellent « transition de phase » une transformation du système étudié qui est provoquée par la variation d’un paramètre extérieur. Quand celui-ci atteint un certain seuil, le système change de phase, ou d’état, et doit suivre des lois différentes de celles de l’état antérieur. On peut ainsi dire que Fukushima marque une « transition de phase » en ce qui concerne l’énergie nucléaire.

Mais ce concept caractérise notre époque et se retrouve dans d’autres « systèmes ». Ainsi le pic pétrolier marque-t-il une transition de phase : l’ère du pétrole et de l’énergie bon marché est passée. De même, le climat semble vivre une transition de phase : l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère entraîne celle-ci dans une situation tout à fait différente de celle qui prévalait depuis dix millénaires. Les grands écosystèmes terrestres, déséquilibrés par l’action humaine, de l’Amazonie aux océans, semblent eux aussi amorcer cette transition de phase. Ces phénomènes se traduisent peu à peu dans l’ordre économique. Les candidats qui sollicitent nos suffrages en semblent peu conscients. Nous avons aussi besoin d’une transition de phase politique.

Déchets: le programme des associations

Stéphanie Senet
www.journaldelenvironnement.net/article/dechets-le-programme-des-associations,28401

La durabilité des produits passera-t-elle la campagne ?

Quatre associations environnementales ont détaillé leurs propositions d’amélioration de la politique française de gestion des déchets. Au menu: durabilité des produits, réduction de l’incinération et de la mise en décharge, réforme de la fiscalité et de la gouvernance.

Il est décidément impossible, pour un candidat à la présidentielle, de faire l’impasse sur les déchets. Après avoir été invités par l’association Amorce, le 27 mars, à dérouler oralement leurs propositions, les postulants sont interpellés par le Centre national d’information indépendante sur les déchets (Cniid), Agir pour l’environnement, Les Amis de la terre et le réseau Action-climat (RAC). L’idée reste la même: les sensibiliser au devenir de nos déchets, afin de réduire les impacts environnementaux.

En première ligne, se trouve la durabilité des produits, un thème qui a récemment trouvé un consensus au sein du parti socialiste (PS), du Front de gauche (FG) et d’Europe Ecologie-les Verts (EELV) (voir JDLE). Le Cniid, qui avait publié en septembre 2010 un rapport sur l’obsolescence programmée, ne peut que s’en réjouir. «C’est extrêmement positif que nous entendions cette expression dans la bouche de plusieurs candidats», estime Sébastien Lapeyre, son directeur, qui propose d’adopter une loi pour garantir la durabilité. Elle obligerait les producteurs à afficher la durée de vie de leurs produits et à étendre les durées des garanties, en particulier à 10 ans pour les équipements électriques et électroniques, qui sont nombreux et toxiques dans nos poubelles.

Sur les produits, un «affichage Déchet» permettrait au consommateur d’évaluer son éco-conception et sa recyclabilité, sur le mode des étiquettes Energie. Les associations demandent aussi des objectifs nationaux, plus ambitieux que le Grenelle. «L’objectif d’atteindre 35% de recyclage d’ici 2012 était contre-productif puisque nous étions déjà à 34,8% lors de la concertation», rappelle Sébastien Lapeyre. Et pour taxer les gros producteurs de déchets, l’idée est d’instaurer une taxe spécifique, «sous la forme d’une TGAP[1] ou d’un bonus-malus», qui pénalisera certains emballages et des produits jetables à usage unique. Des obligations de réduction à la source et de réutilisation seraient inscrites dans le cahier des charges des éco-organismes.

Deuxième réforme prioritaire: la fin de l’incinération et de l’enfouissement. 60% de nos déchets ménagers finissent en décharge ou dans un incinérateur. Il est proposé de programmer la sortie de l’incinération et sans attendre, d’interdire à court terme ce traitement ainsi que le stockage pour les déchets pouvant être recyclés.

Côté biodéchets, la collecte sélective sera rendue obligatoire dans les zones urbaines. «La France étant à la traîne sur ce point en Europe, avec le Portugal et l’Espagne», note Sébastien Lapeyre. Les obligations de collecte seraient par ailleurs accélérées pour les gros producteurs. Aujourd’hui, elles ne s’appliquent qu’au-dessus de 120 tonnes par an ou 1.500 litres de déchets d’huiles alimentaires (voir JDLE).

Les associations réclament aussi le retour du système de consigne pour le verre. Elles ciblent également les déchets d’activités économiques (DAE), «plus importants que les déchets ménagers dans certaines zones urbaines», avec la mise en place d’une tarification incitative comparable à celle qui se développe pour les déchets ménagers, et l’obligation de tri à la source et de recyclage, également applicable aux déchets du bâtiment et des travaux publics (BTP).

De quoi alimenter les candidats, plus timides sur la question du traitement. Pour l’heure, l’UMP envisage seulement de «réduire l’enfouissement», estimant qu’il n’y a pas de problèmes avec les nouveaux incinérateurs, tandis qu’EELV s’engage à sortir de l’incinération en développant la méthanisation couplée à une collecte sélective de biodéchets.

Troisième credo: la fiscalité. Le Cniid a identifié des niches fiscales défavorables à l’environnement au sein de 7 modulations de la TGAP. «Par exemple, la modulation appliquée à l’incinération et à la mise en décharge lorsque les installations sont certifiées ISO 14001 est en fait une subvention à la pollution: quasiment toutes les installations sont concernées et la certification ne concerne que le management», soupire Delphine Levi Alvarès, chargée de campagne au Cniid, qui facture le coût à 275 millions d’euros par an alors qu’une décharge ne produisant aucune énergie peut l’obtenir. D’autres modulations de TGAP sont montrées du doigt comme celle qui est liée à la performance énergétique de l’incinérateur (1), puisqu’il n’y a aucun contrôle. Autre suppression souhaitée: la TVA à taux réduit pour les réseaux de chaleur dont l’énergie de récupération provient de l’incinération ou du stockage.

Côté recettes, l’idée émise par le RAC est d’appliquer la contribution Climat-énergie à l’incinération, «qui émet 10 millions de tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de 2,3 millions de voitures», et à la mise en décharge, «responsable de 13% des émissions de méthane en France», précise Delphine Levi Alvarès.

Enfin, ces associations proposent d’améliorer la gouvernance et la transparence en créant un observatoire national indépendant et appellent, de concert, à une réforme des éco-organismes, décidément sous le feu des critiques en cette période de campagne. Plusieurs candidats se sont en effet engagés à revoir leur fonctionnement (EELV, PS, Modem) (voir JDLE).


[1] TGAP: Taxe générale sur les activités polluantes

Pour un pacte agricole

Isabelle Autissier et Serge Orru Présidente et Directeur général du WWF-France
www.goodplanet.info/Contenu/Points-de-vues/Pour-un-pacte-agricole/%28theme%29/3105

Le monde paysan, c’est du labeur et du labour. C’est aussi l’amour de la terre pour les 970 000 actifs agricoles qui, sur 490 000 fermes, sont les créateurs de nos produits alimentaires, les épines dorsales de nos territoires et les sculpteurs de nos paysages. Mais alors, pourquoi tant de souffrances ? Une ferme est abandonnée toutes les 25 minutes en France et toutes les 3 minutes en Europe. Ce métier enregistre le plus fort taux de suicide et le niveau d’endettement le plus élevé.

Cette situation est insupportable. Nous nous devons de soutenir ces femmes et ces hommes indispensables à notre vie quotidienne. Sur le modèle de la gouvernance du Grenelle de l’Environnement que l’Alliance pour la planète avait su faire émerger en 2007, le WWF France demande solennellement au Président de la République élu le 6 mai 2012 de lancer le Pacte Agricole qui sera une importante négociation nationale issue d’Etats Généraux précédemment organisés dans les territoires, afin de préserver et développer l’agriculture paysanne. Au lendemain de son élection, le Président de la République et son Premier Ministre devront réunir le monde agricole, les syndicats, les élus nationaux, régionaux et européens, les associations de consommateurs ainsi que les ONG environnementales pour définir les termes d’une agriculture prospère, durable, respectueuse de l’homme et de l’environnement. Il s’agira aussi de réorienter la prochaine Politique agricole commune (PAC) vers une véritable transition environnementale.

Réconcilier l’humain et la Nature, telle est la mission du WWF. A l’instar de la transition énergétique indispensable pour lutter contre le péril climatique, l’un des piliers de la nécessaire métamorphose écologique de nos sociétés repose sur la transformation des modes de production agricoles et agroalimentaires. Leur industrialisation excessive nous a fermé des pistes de réflexion essentielles. En conséquence, notre pays a plus que jamais besoin d’un Pacte Agricole susceptible de promouvoir une agriculture rémunératrice, structurante des territoires ruraux, respectueuse de l’eau et de la biodiversité, à forte valeur patrimoniale, créatrice d’emplois, porteuse d’innovations et d’équilibre pour nos agriculteurs.

La protection de l’environnement et l’agriculture, loin d’être antagonistes, se nourrissent mutuellement et font symbiose. A l’heure où notre futur dépend du nouveau rapport que nous saurons établir avec la nature, pourquoi nous priver d’une telle opportunité ? L’agriculture française a été pensée pour la France des années 50, il est grand temps de redéfinir une politique agricole adaptée aux enjeux du XXIème siècle, une politique qui accorde à l’agriculture un rôle central dans l’aménagement du territoire, l’alimentation et la refondation des relations homme-nature.

Nous avons besoin d’une agriculture moderne dans une quadruple perspective, à la fois économique, sociale, écologique et géopolitique. Le WWF avec tous ceux qui s’empareront de cette idée, soutient un Pacte Agricole, redéfinissant les règles afin que les paysans vivent dignement de leur travail. Un Pacte qui assure à tous une alimentation saine, sans polluants chimiques, favorables à la bonne santé de la population. Un Pacte qui, tout en respectant le critère essentiel du moindre impact sur les écosystèmes et la préservation de ressources naturelles contribue à faire évoluer les échanges internationaux en veillant avant tout à la souveraineté et à la sécurité alimentaire de chacun des pays.

Redonner cohérence à l’économie agricole, c’est mettre fin à un modèle de production sous perfusion pour lequel les français payent deux fois, pour soutenir d’abord, pour réparer ensuite. Représentant 14 à 15% du vivier d’emplois national, le chiffre d’affaire de la Ferme France est estimé à 200 milliards d’euros (source INSEE 2011). Pourtant, le partage des bénéfices n’est aujourd’hui pas équitable. Une partie des mécanismes fiscaux et de soutien existants ont un effet pervers. Une réforme de la fiscalité sur les revenus agricoles est essentielle pour lutter contre le gaspillage et la pollution des ressources.

Dans le cadre d’une agriculture respectueuse de la biodiversité, de la santé de ceux qui travaillent la terre et de ceux qui s’en nourrissent, nos outils budgétaires et fiscaux, nationaux ou européens, doivent désormais viser la réorientation des soutiens en fonction de la qualité du modèle agronomique mis en œuvre.

Encourager, faciliter et soutenir l’installation de nouveaux paysans passe par une réforme de la gouvernance des SAFER (société d’aménagement foncier et d’établissement rural). Promouvoir la conversion des agriculteurs conventionnels vers des systèmes de production biologiques ou intégrés, développer les produits biologiques dans les entreprises du secteur aval (transformations, grossistes, distributeurs), telles sont les pistes à suivre et à valoriser tant en termes d’expertise agronomique très appauvrie par plusieurs décades d’industrialisation du vivant qu’en termes de rendements. Elles sont aussi très prometteuses en emplois « verts » non délocalisables.

Le récent rapport spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation confirme la capacité de l’agroécologie à répondre à l’enjeu de la sécurité alimentaire mondiale sous réserve de résolution des conflits d’usage, notamment sur la question des agro-carburants et de la spéculation sur les matières premières agricoles et sur le foncier. En France, des solutions existent telle l’agriculture durable à bas niveau d’intrants, développée depuis plusieurs décennies par les Civam, qui remet au cœur des pratiques agricoles l’observation des écosystèmes et la reproduction de leurs fonctionnalités. L’agriculture biologique gagne elle aussi du terrain mais l’offre disponible est très insuffisante pour satisfaire la demande. Plus dynamique en facteur travail, l’agriculture biologique attire de nouveaux venus et constitue un véritable vivier d’emplois. Pourtant, seuls 3,2% de la surface agricole française sont aujourd’hui en bio.

Retisser le lien entre l’Homme et la Nature, c’est aussi restaurer la cohérence de nombreux territoires urbains, participant ainsi à l’amélioration de l’aménagement territorial. Nos villes étaient autrefois nourries par les ceintures maraîchères qui les entouraient. Depuis, la spéculation foncière et l’étalement des villes ont mité le territoire. Rétablissons la fertilité autour de nos villes en recréant des ceintures vertes. Développons des circuits de distribution locaux et maillés qui favorisent la fraîcheur des produits, la réduction des intermédiaires et, lorsqu’ils sont bien organisés, la diminution de l’empreinte énergétique. L’agriculture périurbaine crée une économie circulaire, des emplois et de la biodiversité. Elle contribue à l’information et l’éducation du citoyen-consommateur, à l’évolution des pratiques alimentaires et au développement de l’approvisionnement. Le succès des AMAP confirme cette attente de la société.

Nous mangeons trois fois par jour grâce aux paysans. Nous jouissons de la beauté des paysages façonnés par des générations de laboureurs, d’éleveurs, de forestiers. Nous avons tous besoins d’eux et ils ne peuvent plus se défendre seuls face au rouleau compresseur des lobbies agro-industriels mondiaux. Ainsi, notre Assemblée nationale a voté, dans la nuit du 28 novembre 2011, une loi interdisant aux paysans de ressemer ou d’échanger les graines des plantes qu’ils ont cultivées, sauf à payer un tribut aux firmes semencières ! Les paysans ont vraiment besoin des citoyennes et des citoyens pour défendre leur métier, leur liberté de semer et notre liberté de choisir le contenu de nos assiettes. La question du devenir de notre modèle agricole et alimentaire est une priorité nationale et européenne. Avec le retour à une agronomie soucieuse de la santé de la planète et des paysans, d’une régulation du marché et de l’autonomie financière des exploitations, la transition de notre modèle agricole provoquera la création d’emplois, le désendettement et la restauration de notre «environnement à tous». Ensemble avec le pacte agricole, redonnons du sens au monde paysan.

Avec une réelle volonté politique, quelques saisons suffiront pour nous emmener sur le chemin d’une agriculture heureuse.

Jean-Luc Mélenchon : « Je m’interdis le mot croissance »

Hervé Kempf
www.reporterre.net/spip.php?article2779 – 03.04.2012

Jean-Luc Mélenchon a accordé une interview exclusive à Reporterre, centrée sur les questions écologiques. Dans les trois séquences qui suivent, il s’explique d’abord sur son cheminement intellectuel vers l’écologie, puis sur la planification écologique et la règle verte, et enfin sur le nucléaire, l’énergie, et l’étalement urbain. Il reconnait sa dette théorique à l’égard des Verts. Pour lui, « l’écologie politique a été un choc intellectuel ». Il rappelle sa position sur la sortie de l’énergie nucléaire, mais souligne le « défi extraordinaire » que représente la sortie des énergies carbonées. Et il prend ses distances d’avec la croissance comme aucun responsable politique ne l’a jamais fait.

(…) « Je m’interdis le mot croissance »

La planification écologique est l’outil maître de la politique environnementale du Front de gauche. Pourquoi ? Parce que « la production aujourd’hui est entièrement commandé par le court terme » (15’57″). Les entreprises doivent rendre des comptes tous les trois mois. « On a besoin de temps long pour faire diverger la machine. La planification, c’est ralentir le temps. » (16’35″).

« Deuxième point : nous ne sommes plus dans la politique de l’offre » (16’48″). Autrement dit, pas question de soutenir aveuglément la production de n’importe quoi. Il s’agit de mener une politique de la demande. Mais en analysant comment elle devient écologiquement responsable et en s’interrogeant sur les besoins, selon « un impératif commun à toutes les réflexions et à toutes les réorganisations de la production et de l’échange, qui serait la règle verte, c’est-à-dire diminuer l’empreinte écologique de la production, et le faire d’une manière sérieuse et méthodique » (18’08″).

Jean-Luc Mélenchon a abandonné le dogme de la croissance : « Le PIB [produit intérieur brut] est un instrument de mesure extrêmement rustique, il n’est pas utile pour ce qu’on a à faire » (19’06″). En fait, il s’agit de « la doxa, c’est la bataille des mots. Quand vous avalez le mot, vous avalez la grammaire avec. Quand vous avalez le mot PIB, vous avalez le mot croissance, et puis vous avalez un mot que vous ne prononcerez jamais, c’est le mot d’irresponsabilité » (19’27″).

« Je m’interdis le mot croissance, je dis ‘la relance de l’activité’, je ne parle jamais de croissance dans mes discours. Ce n’est pas que la croissance soit un problème, mais je sais très bien ce qu’on met dedans. Et d’ailleurs, la relance de l’activité implique de la décroissance dans certains domaines » (19’48″). Certaines productions devront croître, comme celles des services à la personne, s’occuper des petits, des personnes dans la dépendance, mais d’autres productions devront décroître.

Pour le candidat du Front de gauche, il y a là « une rupture idéologique de fond avec la social-démocratie : nous ne disons pas que nous allons répartir les fruits de la croissance ! La social-démocratie est organiquement liée au productivisme, quand elle dit ça [répartir les fruits de la croissance], puisqu’elle déclare qu’il n’y a de progrès social que dans le cadre du productivisme. Nous, on pense exactement l’inverse, on pense qu’il n’y a de progrès économique que s’il y a du progrès humain et du progrès social » (20’43″).

M. Mélenchon reconnaît que le parti communiste n’est pas arrivé au même point que lui : « les communistes ne proposent pas de partager les fruits de la croissance, ils proposent de partager tout », mais « la discussion n’a pas été très avant… Il y a beaucoup de débat au sein du parti communiste ». « Je veux convaincre mes camarades communistes que l’écologie est la réponse aux questions qu’ils se posent, et non pas quelque chose qui nie leurs préoccupations – c’est leur principale crainte » (22’50″). Le candidat critique ensuite vivement la publicité : elle « est un impôt privé : on vous conditionne, et vous payez votre conditionnement » (27’40″). « Il faut arrêter l’orgie » (27’23″).

L’humanité sous-estime-t-elle le risque de sa propre extinction ?

Pierre Barthélémy
http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2012/03/13/lhumanite-sous-estime-t-elle-le-risque-de-sa-propre-extinction

Une fois n’est pas coutume, ce billet ne va pas décrire une découverte publiée récemment dans une revue. Au fil de mes lectures diverses, ces dernières semaines, j’ai ramassé quelques pièces de puzzle et je me suis aperçu qu’elles s’emboîtaient plutôt bien, qu’il y avait comme un idée directrice derrière elles. Cela a commencé à la fin de 2011 à Durban, avec le nouvel échec de la communauté internationale pour se mettre d’accord sur la limitation des émissions de gaz à effet de serre (GES). Puis il y a eu cette annonce, fin décembre, de la création par des chercheurs de virus mutants de la grippe aviaire, susceptibles de se transmettre plus facilement entre humains contaminés. Annonce suivie, tout d’abord, d’un débat pour savoir s’il était bien pertinent de publier les méthodes avec lesquelles les biologistes avaient modifié le H5N1, puis de la question plus pragmatique : le terroriste lambda peut-il facilement y parvenir ?

Puis il y a eu une autre annonce, le 12 janvier, plus rituelle celle-là, mais aussi plus discrète : celle du Bulletin of the Atomic Scientists annonçant que l’horloge de la fin du monde qui, depuis 1947, prévient symboliquement l’humanité quand elle fait des pas vers son extinction ou la rassure quand elle prend des mesures pour s’en éloigner, était avancée d’une minute vers minuit. Il est désormais 23h55 à cette horloge et cette progression de la grande aiguille a été justifiée par l’absence de progrès dans la limitation tant de la prolifération nucléaire que des émissions de gaz à effet de serre. Le texte du communiqué précise : « La communauté mondiale pourrait être proche d’un point de non-retour dans ses efforts pour empêcher une catastrophe due aux changements dans l’atmosphère de la Terre. L’Agence internationale de l’énergie prévoit qu’à moins que les sociétés commencent, au cours des cinq prochaines années, à développer des alternatives aux technologies de l’énergie émettant du carbone, le monde est condamné à un climat plus chaud, à une montée du niveau des océans, à la disparition de nations insulaires et à une augmentation de l’acidification des océans. » Ce n’est pas sans une certaine ironie qu’une autre information, en lien direct avec celle-ci, est tombée il y a quelques jours et je l’ai donnée, brute de fonderie, dans une de mes sélections hebdomadaires : jamais, au cours des 300 derniers millions d’années, les océans n’ont été aussi acides qu’aujourd’hui. Malgré son importance, la nouvelle n’a pas eu l’air d’émouvoir qui que ce soit…

Au moment même où quantité de livres se publient sur la thématique « 2012, année de fin du monde prédite par le calendrier maya » (j’ai été sidéré de voir une table entière d’ouvrages à la FNAC sur ce sujet), les hommes jouant à se faire peur en sachant très bien qu’il s’agit de billevesées, on balaie sous le tapis les vraies raisons de s’inquiéter. D’où la question qui fait le titre de ce billet : l’humanité sous-estime-t-elle le risque de sa propre extinction en ne traitant pas les problèmes qui la menacent ou en risquant de faire tomber des technologies de destruction massive entre des mains mal intentionnées ? Je n’ai évidemment pas la réponse et je laisse à chacun le soin d’y réfléchir, mais je tenais, pour finir ce billet pas comme les autres, à signaler l’interview, dans The Atlantic, du philosophe suédois Nick Bostrom, qui enseigne à l’université d’Oxford, y dirige l’Institut sur le futur de l’humanité.

Avec une formation en physique, en neurosciences et en philosophie des sciences, Nick Bostrom n’a pas forcément le profil-type du philosophe tel qu’on se le figure d’ordinaire. Il a beaucoup travaillé sur le concept de « risque existentiel », au sens d’un scénario-catastrophe conduisant «soit à une destruction totale de toute vie intelligente sur Terre, soit à une paralysie permanente de son potentiel de développement». Dans cette interview, il ne s’intéresse donc pas aux conséquences, lointaines, du réchauffement climatique, mais, considérant que ce XXIe siècle sera crucial pour l’humanité en raison du développement rapide de technologies nouvelles, aux risques que ces dernières présenteront dans un futur très proche de nous :

« A court terme, dit-il, je pense que plusieurs développements dans les domaines de la biotechnologie et de la biologie synthétique sont assez déconcertants. Nous sommes en train d’acquérir la capacité à créer des agents pathogènes modifiés et les plans de plusieurs organismes pathogènes sont dans le domaine public : vous pouvez télécharger sur Internet la séquence génétique du virus de la variole ou de celui de la grippe espagnole. Jusqu’ici, le citoyen ordinaire n’a que leur représentation graphique sur l’écran de son ordinateur, mais nous développons aussi des machines synthétisant l’ADN de plus en plus performantes, qui peuvent prendre un de ces plans numériques et fabriquer de véritables brins d’ARN ou d’ADN. Bientôt, ces machines seront suffisamment puissantes pour recréer ces virus. Donc, vous avez déjà une sorte de risque prévisible et si, ensuite, vous commencez à modifier ces organismes pathogènes de différentes manières, vous voyez apparaître une nouvelle frontière dangereuse. A plus long terme, je pense que l’intelligence artificielle, une fois qu’elle aura acquis des capacités humaines puis surhumaines, nous fera entrer dans une zone de risque majeur. Il y a aussi différentes sortes de contrôle des populations qui m’inquiètent, des choses comme la surveillance et la manipulation psychologique à l’aide de médicaments. »

Quand le journaliste qui l’interroge lui demande pourquoi le risque d’un dérapage majeur est estimé à une ou deux chances sur dix au cours du siècle, ce qui est beaucoup, Nick Bostrom a cette réponse : « Je pense que ce qui mène à cela, c’est le sentiment que les humains développent ces outils très puissants (…) et qu’il y a un risque que quelque chose tourne mal. Si vous revenez en arrière avec les armes nucléaires, vous vous apercevez que pour fabriquer une bombe atomique, il vous fallait des matières premières rares comme de l’uranium enrichi ou du plutonium, qui sont très difficiles à se procurer. Mais supposez qu’il y ait eu une technique vous permettant de faire une arme nucléaire en cuisant du sable dans un four à micro-ondes ou quelque chose dans ce genre. Si cela avait été le cas, où en serions-nous maintenant ? On peut présumer qu’une fois cette découverte faite, la civilisation aurait été condamnée. A chaque fois que nous faisons une de ces découvertes, nous mettons notre main dans une grande urne pleine de balles et nous en tirons une nouvelle balle : jusqu’ici, nous avons sorti des balles blanches et des grises, mais peut-être que la prochaine fois, nous tirerons une balle noire, une découverte synonyme de désastre. Pour le moment, nous n’avons pas de bonne façon de remettre la balle dans l’urne si elle ne nous plaît pas. Une fois que la découverte a été publiée, il n’y a aucun moyen de la « dépublier ». »

Nick Bostrom n’est absolument pas opposé à la technologie : au contraire, c’est un grand partisan du transhumanisme. Simplement, il milite pour que nous gardions le contrôle. Le contrôle de nos technologies, de notre planète, de notre avenir. Parce que l’extinction de l’homme n’est pas le seul risque que nous courons. L’autre visage du risque existentiel, c’est la disparition totale des libertés à l’échelle planétaire : « On peut imaginer le scénario d’une dystopie totalitaire mondiale. Encore une fois, c’est lié à la possibilité que nous développions des technologies qui rendront bien plus simple, pour des régimes oppressifs, d’éliminer les dissidents ou de surveiller leurs populations de façon à obtenir une dictature stable, plutôt que celles que nous avons vues au cours de l’histoire et qui ont fini par être renversées. » George Orwell et son 1984 ne sont pas bien loin.