Articles du Vendredi : Sélection du 5 juin 2020


« SpaceX et la nouvelle conquête spatiale : la démonstration de notre incohérence »
Aurélien Barrau
www.goodplanet.info/2020/06/02/aurelien-barrau-la-tristesse-de-la-conquete-spatiale

Alors que les États-Unis viennent de lancer avec succès leur premier vol habité à destination de la Station Spatiale Internationale grâce au lanceur SpaceX développé par une entreprise privée, une première. Mais, en temps de crise écologique, sociale et morale, la conquête spatiale demeure-t-elle  une aventure pertinente et porteuse de rêves ? L’astrophysicien Aurélien Barrau questionne la démarche dans ce texte.

Le spatial fascine. Les fusées font rêver. Les navettes émerveillent. Mais ce rêve contribue aujourd’hui à alimenter un peu du cauchemar à venir. Il est légitime de l’interroger. Curieusement pourtant, questionner le bienfondé du « spatial » choque, ulcère, scandalise. Comment si le cœur dur du génie humain s’était ici – et nulle part ailleurs – logé. Peut-être est-il pourtant nécessaire de dépasser ou de renverser ce mythe. Sans la moindre velléité  nihiliste ou provocation aigrie, il ne s’agirait que de ré-enchanter un autre rapport à l’espace.

Avec les fusées, l’Univers ne nous est pas devenu accessible. Rappelons que si l’on ramène la taille de la Terre à celle d’une orange, la Station Spatiale Internationale se trouverait à une distance de celle-ci qui équivaut à… l’épaisseur de sa peau ! Quant à la distance entre la Terre et la Lune, elle n’est, comparée à celle de notre Galaxie, qu’un dixième de l’épaisseur d’un cheveux par rapport à la Terre … Et notre Galaxie n’est, elle-même, qu’une infime « molécule » dans le fluide cosmique. Il serait donc totalement insensé de ressentir nos minces envolée spatiales comme un accès réel à l’Univers profond. Il n’en est rien.

La frontière disparue n’est donc pas celle qui nous sépare des espaces interstellaires. Celle-ci demeure bel et bien. Ce sont plutôt les frontières arbitraires de nos pays, de nos états, de nos nations, dont l’inexistence physique s’est imposée avec un très paradoxal étonnement aux quelques spationautes ayant pu observer la Terre depuis l’espace qui volent ici en éclat. Et c’est une belle chose, en effet. Il semble que nous ayons si profondément intégré ces murs factices que leur absence dans le paysage réel nous choque drastiquement. Nous avions oublié la superficialité et l’obsolescence de ce morne quadrillage imposé au réel. Que des hommes surentrainés, surdiplômés et surqualifiés parviennent à s’étonner de la continuité du territoire ne dit pas rien.

D’autant que les frontières ne concernent finalement presque personne. Bien-sûr, elles peuvent avoir des effets létaux. Bien-sûr, les réfugiés – et l’actualité nous le rappelle tragiquement – meurent devant les frontières closes. Cette violence brutale n’est pas chimérique. Mais, à l’échelle de la Vie, les frontières n’existent pas. Des milliards de milliards de vivants appartenant à des millions d’espèces traversent chaque jour les frontières sans en avoir la moindre conscience ni la moindre gêne. Ni les oiseaux, ni les abeilles, ni les lombrics, ni les souris, ni les arbres (qui se déplacent de génération en génération), ni les microbes … ne connaissent les frontières. Notre partition du monde est presque ridicule dans son arrogante vacuité. Nous l’avions crue fondée et presque rigide.

Mais le spatial pose également une question éminemment symbolique, au-delà de ce qui concerne les seules frontières. Son intérêt scientifique est faible. Sans commune mesure avec les moyens humains et financiers qu’il requiert. La démarche est presque exclusivement symbolique. Mais de quoi est-elle le symbole ?

Les missions Apollo ne manquaient pas d’un certain panache. Un véritable parfum d’aventure, qui n’était pas surfait, accompagnait les pionniers de l’espace. Une certaine retenue – pour ne pas dire une forme de sacralité – marqua même les premières sorties extravéhiculaires. La confrontation à l’altérité radicale du sol lunaire invitait à la solennité. Malgré le patriotisme acharné qui sous-tendait la démarche – visant à rattraper le retard sur les Russes –, quand les astronautes revinrent sur Terre, il furent d’ailleurs moins accueillis en héros américains qu’en véritables ambassadeurs de l’humanité. Quelque chose de puissamment émouvant avait lieu. Quelque chose qui sonnait juste.

La symbolique ne s’est-elle pas retournée ? Très rapidement retournée. Les missions Apollo suivantes révélaient déjà un infléchissement notable des attitudes. On trouvait chez les astronautes des gestes de « cow-boys » qui plaisantaient presque grassement, roulaient des mécaniques, exhibaient un peu de leur aisance virile. La magie était déjà en partie perdue.

Aujourd’hui, une entreprise privé américaine s’enorgueillit d’un nouveau lancement. Celui-ci n’est en rien un exploit : depuis bien longtemps les humains maîtrisent cela.

Naturellement, quelques innovations peuvent être mises en avant mais la nouveauté profonde est que, pour une fois, l’opération n’est pas mise en place par un état mais par une société privée à but lucratif. Un société aux mains de l’homme, Elon Musk, qui s’enorgueillissait d’avoir mis une automobile sur orbite tandis que Donald Trump semblait souhaiter relancer un programme lunaire tempétueux sans autre enjeu que de défier les chinois. Quel sens cela revêt-il quand la vie sur Terre se meurt ? Sans mentionner que quelques milliardaires – ayant généralement eux-mêmes largement contribué à dévaster notre planète – commencent à envisager de migrer vers l’espace lorsque la Terre sera invivable. Naturellement ils n’y parviendront pas, c’est scientifiquement insensé, mais l’image est lourde, presque insupportable. D’autant que ceux qui envisagent de fuir sont les premiers responsables du naufrage.

L’éventualité de la construction d’un hôtel spatial pour ultra-riches a été récemment évoquée. Le tourisme orbital pour grands patrons est un secteur qui s’annonce porteur. Des dizaines de milliers de satellites sont également en train d’être déployés – nuisant dramatiquement à la possibilité même d’une astronomie digne de ce nom – pour faciliter l’accès à Internet depuis les lieux les plus reculés du globe. Réussir à souiller le ciel lui-même, qui semble donc bel et bien appartenir maintenant aux entreprises, ruiner son irremplaçable charge symbolique, est un « exploit » qui laisse rêveur. Tout cela, d’ailleurs, en grande partie sous l’impulsion du même homme, Elon Musk, qui s’enorgueilli de commercialiser un lance flamme pour jouer à Rambo et qui présente tout juste un pick-up quasi-blindé au dessin futuriste pour amuser les californiens en manque de gadgets de 2 tonnes (celui-ci devrait en outre bénéficier d’une technologie de nettoyage des vitres au laser : la silicon valley pleure d’émotion devant ce prodige). Le milliardaire – récemment apparu s’étouffant de rire en apprenant que l’image d’une biche morte noyée était bien réelle – annonce également l’obsolescence du langage humain. Veillant avec un zèle frénétique aux bénéfices de ses entreprises, il qualifiait il y a peu le confinement américain de « fasciste » alors même que les États-Unis approchaient des 100 000 morts dus au SARS-CoV-2. Mais, au-delà de ce que ceci peut révéler d’un état d’esprit pas tout-à-fait anodin, peu importe finalement la psychologie troublée (et droguée) du PDG de Space X : la question est bien plus profonde et ne relève évidemment pas primitivement d’une personnalité spécifique dont la critique ad-hominen ne présente aucun intérêt fondamental.

L’envolée spatiale a sans doute été – à tort ou à raison – associée à un certain héroïsme libertaire. La symbolique me semble s’être radicalement retournée. Elle relève aujourd’hui, à mes yeux, d’une sémiotique de l’arrogance. N’est-elle pas devenue un jeu de domination stérile et une fabrique de héros factices ? Hors de tout enjeu scientifique, éthique ou esthétique. Hors de toute élégance épistémique.

Alors que la crise écologique majeure qui nous menace plaide aujourd’hui – en particulier pour notre propre survie – en faveur d’une redécouverte rapide de la sobriété, quel sens y a-t-il à se ruer sur une constellation satellitaire, opérée par une société privée, permettant de décupler l’usage, terriblement énergivore et désocialisant, des technologies numériques ?

Alors que nous n’avons manifestement tiré aucune leçon de la crise Covid-19 et que les incitations gouvernementales à retourner urgemment à une consommation débridée se font entendre, quel sens y a-t-il à s’extasier devant le faux exploit consistant à expédier, dans un déluge de feu, quelques centaines de tonnes de métal, de carbone et de kérosène à quelques centaines de kilomètres d’altitude ?

Les populations animales s’effondrent, les espaces sauvages fondent à vue d’œil, la température grimpe en flèche, la pollution empoisonne l’air, l’eau et les sols … la vie sur Terre va mal. C’est vers elle que les regards et les amours devraient se tourner. Elle est soumise à une agression majeure : une extinction massive qui confine en réalité à l’extermination délibérée. Quel étrange cynisme que de désirer aujourd’hui « conquérir » l’espace quand nous dévastons notre propre monde avant même de l’avoir réellement connu. Des relations symbiotiques complexes entre les arbres aux comportements subtils des insectes, en passant par les affects de petits mammifères, nous ne savons presque rien des merveilles qui nous entourent. Faut-il achever de détruire toute cette magnificence délicate émanant de milliards d’années d’évolution ininterrompue pour tourner nos regards vers les ocres monotones et exsangues du sol martien ?

Évidemment, la quête de connaissances doit se poursuivre ! Il n’est pas un instant question que la conscience écologique mette fin à l’aventure du savoir. Tout au contraire. Il est d’ailleurs vrai que certains satellites aident à comprendre le changement climatique ou à répondre à des questions astrophysiques. Mais la conquête spatiale au sens fort – en particulier les vols habités – a bien peu à voir avec l’humilité douce et patiente de l’authentique découverte du monde. Elle a pris, aujourd’hui, le visage d’une démiurgie prétentieuse. Et, même pour ce qui concerne les vols non-habités, il y a peu de risque à parier sur l’émergence prochaine de publicités cosmiques qui deviendront le véritable enjeu puisque, dans les faits, nous avons essentiellement privatisé le ciel.

Comme une dernière érection nihiliste, les immenses structures phalliques des fusées signent un peu de la faillite d’une humanité arrogante et aveugle. D’une humanité qui a perdu la vérité de l’ici dans sa soif d’un ailleurs fantasmé. Une humanité dont la soif de désacralisation macule jusqu’à l’inchoatif des élans qui auraient pu être dignes de sens.

L’incapacité de l’Occident – au sens large – à déconstruire ses propres valeurs même quand, en plus des ravages néocoloniaux, elles conduisent à son propre suicide, laisse rêveur.

L’ « étoffe des héros », c’est maintenant – me semble-t-il – celle des indiens qui luttent pour la survie de la forêt, celle des réfugiés qui luttent pour la survie de leurs familles, celle des animaux qui luttent pour la survie de leurs meutes ou de leur hordes dans un anthropocène dévasté. L’astronaute, devenu, malgré lui sans doute, l’image stéréotypée, formatée et aseptisée, de l’hubris mortifère de notre société décadente a perdu sa superbe. La planète qu’il faudrait  apprendre à explorer – sans la conquérir – c’est la nôtre. Des rêves magnifiques et hautement inspirants peuvent fleurir à l’infini dans la magie d’une forêt ou d’une montagne. Maintes cultures ont inventé des rapports au monde moins vaniteux que les nôtres et il ne tient qu’à nous de les découvrir enfin. Le temps presse et la révolution à opérer est autrement plus radicale que la découverte d’une nouvelle technologie ou d’un moteur surpuissant : il s’agit de réapprendre à aimer. Loin d’un renoncement, il faut maintenant un ré-enchantement infiniment plus profond et exigeant que le supplétif pauvre procuré par quelques monstres techniques disgracieux, laborieusement propulsés pour tenter d’échapper à la… gravité.

Priscillia Ludosky – Marie Toussaint : « Unir nos forces entre luttes devient vital quand on a toujours les mêmes face à nous »
Barnabé Binctin (Basta !) et Vanina Delmas
www.politis.fr/articles/2020/06/priscillia-ludosky-marie-toussaint-unir-nos-forces-entre-luttes-devient-vital-quand-on-a-toujours-les-memes-face-a-nous-41964

Elles mènent désormais leur combat en commun : Priscillia Ludosky, l’une des figures du mouvement des gilets jaunes, et Marie Toussaint, euro-députée écologiste, unissent leur force pour la justice sociale et environnementale. Une convergence ici qui fait écho aux mouvements de protestation qui montent ailleurs dans le monde. Entretien, réalisé en collaboration avec Basta!

La première a lancé la pétition dénonçant les inégalités sociales de la taxe carbone qui a donné naissance au mouvement des gilets jaunes. La seconde est à l’origine de la pétition l’Affaire du siècle, avec l’association Notre affaire à tous, qui a lancé une action en justice climatique contre l’État français. Priscillia Ludosky et Marie Toussaint, aujourd’hui eurodéputée EELV, poursuivent leur combat pour la justice sociale et climatique en publiant Ensemble nous demandons justice, pour en finir avec les violences environnementales (éd. Massot, 2020). Une mise en commun de leurs observations et de leurs réflexions, articulées autour des témoignages de victimes et de militants : les populations tsiganes polluées suite à l’incendie de l’usine Lubrizol, les algues vertes en Bretagne, les boues rouges à Cassis, les ouvriers du bâtiment face au réchauffement climatique… Un « tour de France » des injustices sociales et environnementales qui dessine aussi une envie de créer un vrai contre-pouvoir citoyen.

Vous dénoncez l’opposition caduque entre gilets jaunes et gilets verts, c’est-à-dire entre social et écologie, et son instrumentalisation par « les productivistes, les lobbys, les forces de l’argent et les pouvoirs publics ». Mais la difficulté de ces mouvements à se rencontrer n’a-t-elle pas des causes plus profondes, au sein même de ces forces et mouvements politiques ?

Priscillia Ludosky : J’ai souvent entendu des personnes dire qu’elles préféraient d’abord remplir leur frigo et que, dans un second temps, elles verraient si elles peuvent acheter des produits bio. Cela reflète l’urgence, la détresse. On se focalise toujours sur ce qui manque dans le portefeuille, moins sur l’origine de ce manque. Mais, en creusant, on s’aperçoit que toutes ces personnes parlent aussi d’écologie : l’accès difficile à des produits sains, payer un loyer très cher et vivre à côté d’une usine, être malade à cause des rejets de cette même usine… Seulement, cela ne colle pas avec l’image de l’écologie construite au fil des années, restreinte au label bio ou à l’alimentation vegan. L’écologie, c’est faire partie d’un tout, vivre ensemble sur terre, avec l’animal et le végétal, et donc avoir droit à un environnement sain. Or, nous avons été tellement conditionnés à dissocier l’écologie du reste que c’est difficile de tout relier aujourd’hui. Ce livre décrit les luttes par la base, pour montrer à ceux qui n’en ont pas conscience qu’ils se questionnent déjà sur ces questions écologiques.

Marie Toussaint : Nos mouvements ont le même élan pour la justice sociale et environnementale.

Ensemble nous demandons justice, pour en finir avec les violences environnementales de Priscillia Ludosky – Marie Toussaint, Massot éditions, 2020.

Ce lien a souvent été nié au cours de l’histoire. En Angleterre, au XVIIIe siècle, les paysans ont été sortis des campagnes pour densifier les villes et constituer une main-d’œuvre épuisable mais interchangeable pour les mines de charbon. Leur milieu de vie et leur culture ont été détruits pour les asservir. Parfois, les écolos ont contribué à ces mouvements : pour la création des grands parcs naturels aux États-unis, exportée ensuite en Amérique latine ou en Inde, une politique colonialiste a expulsé les habitants des territoires en considérant qu’ils n’avaient pas de valeur. Or, ceux qui voulaient défendre leur cadre de vie défendaient aussi la planète. On le voit encore aujourd’hui avec des luttes comme celle des Sioux contre l’oléoduc Dakota Access. En France, le collectif Front de mères se bat pour une bonne alimentation dans les cantines pour les enfants, mais aussi pour le bien de la planète.

Pourquoi avoir choisi de mettre le concept de « justice » au cœur de votre livre et pas celui des inégalités face à l’environnement et à la crise écologique ?

T. : Le mot « justice » est polysémique : il renvoie à la fois aux lois, aux tribunaux, à la police et à la justice sociale. Dans le livre, on dit notamment qu’on veut une justice libre, impartiale et indépendante. Dans la vallée de l’Orbiel, les habitants sont pollués à l’arsenic depuis des décennies, des ouvriers syndicalistes se sont mis en lutte pour dénoncer cela, ainsi que les problèmes liés à la mine de Salsigne et aux déchets accumulés là-bas. Or, leur seule chance de gagner quelque chose devant la justice, c’est ce qu’on appelle « le préjudice d’anxiété ». On a donc besoin de changer les lois, et les pratiques, car il y a beaucoup de restrictions pour saisir la justice. Puis beaucoup de difficultés à obtenir des réparations pour les victimes ! Les combats sur l’amiante, les pesticides, les algues vertes, etc. : ce sont des années de travail pour prouver les liens de cause à effet, prouver que c’est une maladie professionnelle… Nous avons besoin que soit reconnu – pas seulement en théorie – que l’environnement a des droits et que les citoyens ont des droits environnementaux.

L. : Les inégalités sont au cœur du sujet mais la vraie question est « comment les réduire ? ». Quels outils les citoyens peuvent-ils utiliser ? Les lois actuelles sont à degrés variables : si un citoyen lambda jette ses déchets ou s’il enfreint la loi, il est sanctionné ; en revanche, les grandes sociétés et les lobbyistes ne le sont pas toujours et parviennent à s’en sortir. C’est le nœud du problème. Au fil des récits de lutte, nous voyons se dessiner les mêmes schémas : l’absence de sanction pour non-respect des lois environnementales, le lobbying des grandes sociétés pour que les lois soient en leur faveur, notamment pour cacher leurs crimes environnementaux, avec toujours les mêmes organismes qui font barrage aux militants…

Quand on demande plus de lois et de sanctions, il faut aussi avoir un moyen de contrôle derrière, et en l’occurrence, virer ceux qui défendent toujours leur intérêt. Aujourd’hui, il n’y a pas d’outils de contrôle indépendant qui appartiennent aux citoyens, qui permettent d’empêcher les conflits d’intérêts. Il faudrait aussi faciliter l’accès aux documents pour les citoyens qui veulent vérifier des informations liées à un projet : c’est très important pour les militants qui se retrouvent face à une administration qui leur fait barrage, et qui doivent très souvent autofinancer des études indépendantes, notamment sur le plan sanitaire pour espérer peser.

Une autre victime en filigrane est le principe de précaution, qui devrait pourtant protéger les populations…

T. : Dans la loi, le principe de précaution a été une victoire « arrachée » mais personne ne veut vraiment l’appliquer. Ce principe, tout comme celui de pollueur-payeur, existe dans le traité de l’Union européenne mais quand on les utilise dans des actions en justice, ils ne sont jamais considérés comme des éléments prioritaires. C’est censé être reconnu mais, dans les faits, on observe que le principe de précaution est quasiment toujours tordu au service des puissants, même en France, pays plutôt bien loti.

L. : Dans l’Aude, les militants racontent que des décrets interdisent de cultiver les jardins partagés et qu’ils se sont habitués à ce que leurs légumes soient empoisonnés par les produits issus de l’exploitation minière du coin. Ce n’est pas normal de s’habituer à manger de l’arsenic dans ses tomates ! Quand les gens meurent à petit feu à cause de sociétés ayant déversé des produits toxiques dans l’environnement, ça pourrait relever du crime contre l’humanité. Et la justice devrait s’auto-saisir dès que notre environnement est menacé.

T. : Le cas des incinérateurs est très intéressant : l’étude montre que non seulement on installe des pauvres à côté des incinérateurs, mais on installe aussi des incinérateurs à côté des pauvres ! Et c’est la même chose pour les gens du voyage, les habitants des quartiers populaires depuis les années 1970 : on a détruit leur milieu de vie, et empêché l’accès à la nature. L’urbanisation ne doit pas signifier la destruction du cadre de vie de certaines personnes, toujours les mêmes, invisibilisées. Au contraire, il faut garantir l’accès à un environnement sain pour tous.

Vous racontez le scandale du chlordécone aux Antilles, les cas de leucose bovine à La Réunion, les projets miniers et l’orpaillage illégal en Guyane. Ces injustices environnementales sont-elles aussi post-coloniales, voire raciales ?

L. : Le chlordécone est un bon exemple de l’évolution des méthodes d’accaparement : on arrive, on asservit et on se sert, sans se soucier de la base, et cela perdure encore aujourd’hui. Après l’abolition de l’esclavage, on ne pouvait plus faire de sucre sans l’exploitation esclavagiste. Les grands propriétaires terriens se sont adaptés avec la monoculture de la banane tout en continuant d’exploiter les ouvriers, dans des conditions indignes : heures non déclarées, retraite minuscule et travail au contact de ce pesticide sans protection…

L’un des fils rouges, c’est le business, l’asservissement et la surproduction. La méthode d’exploitation, des gens comme de l’environnement, s’est simplement adaptée pour passer entre les mailles du filet. L’autre, c’est le profil des exploitants : les familles descendant des grands esclavagistes sont celles qui détiennent aujourd’hui la majorité des commerces dans les DOM-TOM. C’est un schéma qui se reproduit, se multiplie et évolue dans le temps : la colonisation, les pillages, l’esclavage, et cela prend désormais d’autres formes s’inscrivant dans le capitalisme : la version 2.0 de l’exploitation. Et encore, je pense qu’en Occident nous n’avons que la version édulcorée de ces pratiques.

T. : Ces injustices sont restées sans réparations et les inégalités perdurent. La distance est un facteur important : loin des instances décisionnaires principales, les projets se développent plus facilement. On ne va pas bloquer la Montagne d’or comme on a pu se rendre régulièrement à Notre-Dame-des-Landes… Et les préfets ont plus de pouvoir dans les territoires ultra-marins qu’en métropole, ce qui donne des situations d’illégalité invraisemblables : on interdit les forages en mer le long des côtes hexagonales, mais pas dans les DOM-TOM… Il est intolérable que des citoyens de la République, en fonction de leur lieu de naissance et de leur couleur de peau, n’aient pas accès à la même qualité d’environnement. Ce sont en effet des formes d’injustice et de racisme.

Le terme « classe sociale » n’apparaît pas, à aucun moment, dans votre livre : considérez-vous que c’est une lecture dépassée de la société que de raisonner en termes de classes sociales ?

L. : Je crois que cela n’a été un sujet de discussion à aucun moment pour Marie et moi ! Je pense que ça révèle qu’il n’y a pas de volonté de dissocier les profils des victimes…

MT : C’est vrai qu’on n’a pas travaillé à définir précisément de catégories sociales. Les gens à qui nous donnons la parole sont très différents, dans leur métier, leurs parcours et leurs modes de vie, mais ils représentent tous ceux que l’on considère souvent comme le « bas » de la société… On a donc plutôt opté pour la formule « eux contre nous », un peu comme Vandana Shiva parle du 1% contre le 99%, avec une proportion assez semblable : le « eux » visent au final un nombre très restreint de personnes.

Le « eux contre le nous », comme le « 1% contre le 99% », est certes une arme rhétorique intéressante, mais cette formulation binaire n’est-elle pas un peu limitée pour affronter la réalité ? Le mouvement des gilets jaunes a montré qu’il était complexe, hétérogène, habité par des représentations politiques très différentes… Diriez-vous que c’est un sentiment de « révolte » qui lie toutes ces personnes ?

L. : Votre question sur la « classe sociale » est intéressante, car, pour moi, il est important que les gens ne se sentent pas catégorisés… Au contraire même, on devrait plutôt sentir que les rôles se sont inversés : ce sont eux qui pointent ce qui ne va pas, eux qui disent comment on est censé vivre et ce qu’est une société plus juste, eux finalement qui donnent des leçons à la place de ceux qui leur en donnaient habituellement… On a souvent mis les « 1% » sur un piédestal, en créant l’envie de leur ressembler. Cela a pu générer du complexe d’infériorité, le fait de ne pas oser se battre, dénoncer certaines choses parce qu’on n’avait pas les mêmes moyens financiers ou logistiques, ou parce que qu’on ne pensait pas avoir la légitimité de s’exprimer en dehors des votes… Notre idée est de renverser cette vision des choses, et de montrer que les vrais responsables sont très peu nombreux, en réalité.

Vous incarnez deux postures politiques très différentes, qu’on peut également avoir tendance à opposer. Priscillia, vous avez notamment défendu des formes de démocratie beaucoup plus directe, avec le référendum d’initiative citoyenne (RIC) par exemple. Qu’est-ce que cela vous fait de travailler en collaboration avec une parlementaire, qui endosse donc un mandat de représentation que vous avez pu dénoncer par le passé ?

L. : Je trouve le parcours de Marie très intéressant.

Chez les gilets jaunes, certains aussi ont fini par se dire : « J’ai tout fait, les actions de blocage et de désobéissance civile, etc., depuis des années, mais ça ne fonctionne pas… » Ils ont cru qu’avec le mouvement des gilets jaunes il y aurait du changement, ils ont été déçus et ont donc décidé de franchir le pas d’aller en politique, pour passer dans un cadre où ils seraient peut-être plus entendus.

Personnellement, je ne m’inscris pas dans ce cadre, en tout cas pas maintenant. Ce qui m’intéresse, c’est plutôt de pouvoir apporter ma pierre un peu partout… mais pas n’importe où ! Je considère qu’il faut contribuer à créer du débat, à donner l’envie aux gens de se battre face à des injustices… Avec toujours, selon moi, le même objectif : réduire les inégalités !

T. : On avait déjà porté des projets ensemble, comme celui de la Convention citoyenne pour le climat. Et de mon côté, je vois que le Parlement européen n’est pas un endroit où il y a beaucoup de pouvoirs – et où, par ailleurs, la plupart de mes collègues sont complètement coupés de ce qui se passe dans la société… J’ai beau m’inscrire dans le cadre politique, je pense qu’on a, avec Priscillia, une volonté commune de dire qu’on a besoin d’une démocratie beaucoup plus « remontante ». Je ne sais pas si on a le même horizon idéal sur ce que devrait être une « bonne » démocratie, mais en tout cas on partage la même analyse sur la nécessité de chambouler les structures représentatives, inefficaces aujourd’hui !

C’est par ailleurs une forme de « convergence » qui semble dans l’air du temps – comme on peut la voir avec le « plan de sortie » mené conjointement par la CGT, Greenpeace et Attac, par exemple.

T. : Je pense que Priscillia et le mouvement des gilets jaunes ont une grande responsabilité dans ce mouvement de convergence. Le mouvement écolo parlait déjà de justice sociale avant, bien sûr, mais ça restait un peu en l’air… Depuis, on voit vraiment des coopérations se développer avec les syndicats, des marches se faire ensemble – comme celle menée avec Assa Traoré, le 15 mars dernier. Ce sont des moments forts, importants.

L. : Tout au long de 2019, il y a eu des actions communes et des collaborations un peu inédites. Avec Marie, on s’est rencontrées à la Base, un lieu à Paris réunissant les militants, c’est très symbolique. Ce livre reflète les transversalités qui se multiplient, les envies de sortir du traditionnel cloisonnement des luttes. Celui-ci est nécessaire pour acquérir de l’expertise, apprendre à défendre un sujet précis. Mais unir nos forces entre luttes devient vital quand on se rend compte qu’on a toujours les mêmes responsables face à nous. Cela permet aussi de se nourrir de l’expertise, de l’énergie des autres et d’adresser son propre message à de nouvelles personnes. C’est aussi comme ça que nos combats entrent dans plus de foyers.

 

La transition c’est trop tard, il faut une politique d’urgence climatique
Aurélien Boutaud et Natacha Gondran sont membres de l’unité de recherche Environnement, ville, sociétédu CNRS. Ils publient Les Limites planétaires (La Découverte, 2020).
https://reporterre.net/La-transition-c-est-trop-tard-il-faut-une-politique-d-urgence-

Face au péril climatique et à l’inaction politique, les auteurs de cette tribune prônent une mobilisation d’urgence climatique. Avec un plan inspiré de celui lancé par les États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale : réorientation de la production industrielle et taxation des fortunes illégitimes.

Afin que l’expansion de la pandémie de Covid-19 n’excède pas la capacité d’accueil des hôpitaux, les gouvernements ont déclaré l’urgence sanitaire et mis en place des politiques ambitieuses qui paraissaient inimaginables il y a encore quelques mois. Afin de respecter les limites écologiques planétaires, ne devrions-nous pas aussi mettre en œuvre une politique d’urgence climatique ?

Qu’il s’agisse du changement climatique, de l’érosion de la biodiversité, de la perturbation des cycles biogéochimiques, de l’introduction de substances toxiques dans les écosystèmes ou encore du changement d’affectation des sols, cela fait plus d’une dizaine d’années que les scientifiques travaillant dans le domaine des sciences du système Terre ont établi une liste des limites planétaires qui, si elles étaient outrepassées, pourraient provoquer l’effondrement de la biosphère.

Les scientifiques du Giec, dans leur rapport spécial de 2018, ont comparé les effets du changement climatique avec des réchauffements respectifs de + 1,5 °C et de + 2 °C. La conclusion du Giec était alors sans appel : les risques de basculement sont tellement élevés dans le cas d’un réchauffement de 2 °C que la seule solution raisonnable consiste à contenir l’augmentation des températures à + 1,5 degré.

On peut représenter par des courbes simples deux scénarios contrastés d’évolution des émissions de CO2 au 21e siècle, qui permettraient, en théorie, de respecter la limite de 1,5 °C. Toutes deux supposent la neutralité carbone en 2050, date à laquelle l’humanité devra commencer à séquestrer davantage de CO2 qu’elle n’en émettra – raison pour laquelle les courbes passent dans le négatif après cette date.

Le premier scénario (P1) semble irréalisable du point de vue économique et politique : il suppose de diviser par deux les émissions mondiales d’ici à 2030. Pour mémoire, après trente ans de politiques internationales en matière de climat, les émissions mondiales de CO2 ont augmenté de 65 % !

Le second scénario (P4, en pointillés) paraît politiquement plus réaliste pour ce qui concerne la décennie à venir, puisque les émissions continueraient de croître encore un peu, avant d’entamer une forte décrue au-delà de 2030-2035. Dix ans de gagnés ? Pas vraiment : le surplus de CO2 injecté dans l’atmosphère durant cette période de transition (figuré en gris entre les courbes P1 et P4 en haut à gauche) rendrait alors la limite de 1,5 °C impossible à respecter.

Après 2030, en plus d’une réduction drastique des émissions, il faudrait alors enlever de l’atmosphère une quantité équivalente de carbone atmosphérique, puis le réinjecter dans la biosphère et la lithosphère figuré en gris entre les courbes P1 et P4 en bas à droite). Premier problème : les technologies permettant de réaliser ce miracle relèvent pour l’instant de la science-fiction. Second problème : un tel scénario suppose le recours à des techniques de géo-ingénierie qui auraient des effets délétères sur plusieurs autres limites planétaires. La conclusion s’impose d’elle-même : ce scénario est délirant.

Décréter l’urgence climatique

À l’instar des graphiques utilisés pour déclarer l’urgence sanitaire, les graphiques du Giec nous disent au final une chose simple : soit nous agissons très vite et très fort (scénario P1), soit l’humanité va droit au chaos, en embarquant avec elle au passage une bonne partie de la biosphère – notamment parce que l’équilibre climatique est une condition centrale du maintien des autres équilibres.

Au vu des différentes courbes mettant en jeu les limites planétaires, les dirigeants devraient donc agir à peu de chose près comme ils l’ont fait à propos du Covid-19, c’est-à-dire en déclarant l’urgence écologique et en mettant en œuvre des politiques drastiques de lutte contre le péril climatique et biologique. Mais ils ne le font pas.

Margaret Klein Salamon, docteure en psychologie et spécialiste des situations d’urgence, est l’une des principales théoriciennes de l’urgence climatique. Elle est également à l’origine de quelques-uns des écrits les plus stimulants de ces dernières années sur le sujet — malheureusement, ses livres n’ont pas encore été traduits en français. Condamnant les politiques gradualistes menées jusqu’à présent, elle propose avec son ONG, The Climate Mobilization, de répandre le sentiment d’urgence dans la population et parmi les décideurs. Aidée en cela par l’inattendue Greta Thunberg et la montée en puissance d’Extinction Rebellion, cette stratégie, inspirée de mouvements comme Act Up[[Adepte des actions coups de poing, l’association a été créée pour lutter contre le VIH/sida et défendre la communauté LGBT].] a déjà porté ses fruits en 2019, puisqu’elle a poussé plusieurs centaines de collectivités locales et plusieurs États (dont la France) à déclarer l’urgence climatique – sans pour autant agir réellement.

Repenser la production industrielle et créer de nouveaux mécanismes de solidarité

La prochaine étape consiste à passer de la déclaration à l’action. Margaret Salamon et son ONG s’appuient sur des modélisations assez fines qui montrent que notre seule chance de tenir l’agenda climatique passe par une mobilisation de la société comparable à celle que les États-Unis ont connu durant la Seconde Guerre mondiale. Cela suppose au moins trois conditions :

– une prise en main provisoire par les États de l’économie afin de réorienter massivement la production industrielle au service de l’effort climatique et écologique ;

– une levée exceptionnelle d’impôts, notamment en ponctionnant les fortunes colossales qui ont été construites sur la rente des énergies fossiles, et qui doivent dès à présent être considérées comme illégitimes ;

– une mobilisation sans précédent de la population, pouvant par exemple passer par la mise en œuvre de quotas individuels d’émissions de CO2, l’interdiction de certaines pratiques fortement émettrices ayant une faible utilité sociale, ou encore la mise en place d’un service civil en faveur du climat.

L’acceptabilité de telles mesures reste évidemment incertaine. Comme pour le Covid-19, elle dépendra sans doute de notre capacité à comprendre la gravité de la situation, à nous mobiliser en conséquence et à redonner du sens à l’action collective. Du fait du caractère profondément injuste de la crise écologique – dont les principaux responsables sont rarement les premières victimes – cette acceptabilité passera également par la mise en œuvre de puissants mécanismes de solidarité, à l’intérieur des pays et entre eux.

Mais s’il y a d’ores et déjà une chose à retenir de la crise actuelle, c’est probablement la suivante : plus nous attendrons, plus nos chances de réussir seront réduites… et plus le combat pour respecter les limites planétaires risquera de porter atteinte à nos libertés.

Energia fosilari dirulaguntzak kentzea al da trantsizio energetikorako neurririk onena?
Ingurumen Boletina 2020/06/04
www.ela.eus/eu/ingurumena/albisteak/energia-fosilari-dirulaguntzak-kentzea-al-da-trantsizio-energetikorako-neurririk-onena

Ingurumenaren Nazioarteko Eguna laister izanik, trantsizio energetikoa da klima aldaketari aurre egiteko gakoetako bat, baina neurriak eta alternatibak proposatzeko orduan, garrantzitsua da aldarrikatzen denaren ondorioak ezagutzea. Hemen duzuena Sean Sweneyk idatzitako “Erregai fosilen dirulaguntzen erreformaren atzean dagoen agenda ezkutua” artikuluaren laburpena da. Egilea, New Yorkeko Unibertsitateko Lan eta Hiri Ikasketen Eskolan Lan, Klima eta Ingurumenari buruzko Murphy Institutuaren Nazioarteko Programaren zuzendaria da eta ELA ere kide den TUEDeko (Trade Union Energy Democracy) kidea ere bada.

“Arazo gutxik eragiten dute klima aldaketarekin kezkatuta dauden aurrerakoien artean, gobernuek erregai fosilak diruz laguntzen jarraitzen dutela jakiteak bezainbesteko haserrea. Nazioarteko Diru Funtsaren (FMI) arabera, 2017an 5.2 bilioi dolar izan ziren. Elite politiko gehienek uste dute erregai fosilen dirulaguntzak desagertu egin beharko liratekeela. Duela hamarkada bat, Hogeien Taldeko (G20) buruzagiek gobernuek ikatzari, petrolioari eta gasari ematen dieten laguntzak “pixkanaka arrazionalizatzeko eta ezabatzeko” konpromisoa hartu zuten, eta erabaki hori Nazioarteko Diru Funtsak (FMI) eta Munduko Merkataritza Erakundeak (MME) babestu zuten.

António Guterres NBEko idazkari nagusiak 2019ko maiatzean egindako goi-bilera batean esan zuenez, “zergadunen dirua urakanak bultzatzeko, lehorteak zabaltzeko, glaziarrak urtzeko eta koralak zuritzeko erabiltzen ari dira; hitz batean, mundua suntsitzeko.” Ikerketa batzuen arabera, dirulaguntzak kentzeak berotegi efektuko gasen (BEG) isurketak nabarmen murriztea ekarriko luke. Azterketa horietako batek ondorioztatu zuen Parisko Akordioaren arabera proposatutako isurketa murrizketen laurden baten baliokidea izan zitekeela. 2015eko isurtze- eta kutsadura-maila globalak erreferentziatzat hartuta, Nazioarteko Diru Funtsaren duela gutxiko azterlan batek ondorioztatu zuen, urte horretan inolako dirulaguntzarik izan ez balitz, isurketak% 28 murriztu zitezkeela.

2018ko energia eskariaren hazkundearen %70 erregai fosilek bete zuten. Askok eskatu zieten gobernuei “dirulaguntzen trukea” azkartzeko, trantsizio energetikoa azkartzeko. The Guardian egunkariaren arabera, “erregai fosilen % 10 eta 30 arteko dirulaguntzek energia garbirako trantsizio globala ordainduko lukete”.

Horrelako zenbakiak airean egonda, ez da harritzekoa dirulaguntzak talde ekologisten helburu garrantzitsu bihurtu izana, eta horiek alde batera uztea klima aldaketari aurre egiteko momentu klabe gisa ikustea; energia garbiaren eta zikinaren arteko gerran une erabakigarria da.

Dirulaguntzen balizko kopurua helburu politiko eta ideologikoekin puztu bada, gauza bera esan daiteke horien ondoriozko emisio murrizketen estimazioei buruz ere. FMIren arabera, erabiltzaileek energia fosilaren benetako prezioa ordainduko balute, kontsumoa murriztu egingo litzateke eta denborarekin energia modu eraginkorragoan erabiliko litzateke.

Baina dirulaguntzak kentzeak, edo zehatzago esanda, erregai fosilei prezio altuagoak ezartzeak, jende arrunt asko eta asko kaltetuko luke, batez ere herrialde pobreenetan. Horrek desberdintasun globalak areagotuko lituzke. Dirulaguntzak kentzearen ondorioz, erregai fosilen prezioak igo egiten dira, eta horrek jarduera ekonomiko nazionalaren atzeraldi orokorra eragiten du. Jakina, emisioak murrizteko modu bat da atzeraldi sakona eragitea eta pobrezia eragitea.

Dirulaguntzen erreforma estatua bidetik ateratzeko erabiltzen ari dira. Erreformaren helburua energiaren prezioa igotzea da. Energia prezio “zuzenak” lortzeak irabaziak lortzeko espazioa sortzen du eta inbertsio pribatua sustatzen du. Baina emisio mailetan duen eragina ez da ia nabaritzen, kontsumoa ez delako benetan murrizten, baina milioika pertsona gehiago pobretzen dira ordea.

Iparraldeko ekintzaileentzat, erregai fosilen dirulaguntzak funtsezko helburu politiko bihurtzea akats bat da. Nazioarteko Diru Funtsaren obsesioarekin bat egiten du, energiaren prezioak zuzenak izan daitezen, eta Estatuaren jabetza eta prezioen erregulazioa gainetik kentzeko. Ikuspegi horrek energiaren erabilera zentzudunagoa ekar dezake, baina ez lioke helduko erregai fosilen trantsizioari, ez eta beharrezkoa ez den jarduera ekonomikoa kontrolatu eta murrizteari, edo isuriak ahalik eta modu zuzenenean murriztean inplikatutako erronka handiei.

Erregai fosilen arazoa mendekotasuna da, ez prezio baxua. Guztiontzat eskuragarri dagoen karbono gutxiko energia modu alternatiborik izan gabe, prezioa igotzeak ez du eragingo munduak behar duen emisio murrizketa mota, bai ordea milioika pertsonen pobrezia areagotzea.

Guzti honek ez du esan nahi sindikatu aurrerakoiek eta ezkerrak erregai fosilentzako dirulaguntzak babestu beharko lituzketenik, batez ere onuradunak industriako aberats handiak direnean. Baina beharrezkoa da Nazioarteko Diru Funtsak (FMI) eta dirulaguntzak erreformatzeko erakundeek proposatzen dutenaren berri izatea, baita proposamen horiek langileentzat eta jende arruntarentzat suposatu dezakeenaren berri izatea ere, batez ere Hegoalde Globalean.”

Hausnarketa honek pentsarazten digu ez dagoela konponbide errazik, aurretik suposatzen genuen bezala. Energia fosilei emandako dirulaguntzen inguruan asko dago ezagutzeko, horiek deuseztearen aldarrikapenari beste eskaera batzuk lagundu beharko die. Bestela, pobrezia energetiko handia pairatzen duten hainbat herrialdeetan pobrezia areagotu egingo litzateke energia fosilei dirulaguntzak ezabatuz.