Articles du Vendredi : Sélection du 5 avril 2019


L’ONU appelle à reconsidérer de toute urgence l’utilisation des ressources alors que leur consommation augmente en flèche

www.unenvironment.org/fr/news-and-stories/communique-de-presse/lonu-appelle-reconsiderer-de-toute-urgence-lutilisation-des

 

  • L’extraction de ressources a plus que triplé depuis 1970, avec notamment une multiplication par cinq de l’utilisation de minéraux non métalliques et une augmentation de 45 % de l’utilisation de combustibles fossiles.
  • D’ici 2060, l’utilisation de matériaux dans le monde doublera pour atteindre 190 milliards de tonnes (contre 92 milliards), tandis que les émissions de gaz à effet de serre augmenteront de 43 %.
  • L’extraction et la transformation des matériaux, des combustibles et des aliments contribuent pour moitié aux émissions mondiales totales de gaz à effet de serre et à plus de 90 % au stress sur la diversité biologique

 

Le développement rapide de l’extraction de matériaux est le principal responsable des changements climatiques et du stress sur la biodiversité, un défi en passe de s’aggraver si le monde entreprend une réforme systémique de l’utilisation des ressources, selon un rapport publié lors de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement.

Global Resources Outlook 2019, un rapport élaboré par le Groupe international d’experts sur les ressources, passe en revue les tendances de l’utilisation des ressources naturelles et les modes de consommation correspondants depuis les années 1970 afin d’aider les décideurs à prendre des décisions stratégiques et à opter pour une transition vers une économie durable.

Au cours des cinq dernières décennies, la population a été multipliée par deux et le produit intérieur mondial a été multiplié par quatre. Le rapport constate que, pendant la même période, l’extraction mondiale annuelle de matériaux est passée de 27 milliards de tonnes à 92 milliards de tonnes (d’ici 2017). Selon les tendances actuelles, ce chiffre sera encore amené à doubler d’ici 2060.

Selon le rapport, « l’extraction et le traitement des matériaux, des combustibles et des aliments représentent environ la moitié des émissions totales de gaz à effet de serre et sont responsables de plus de de 90 % du stress hydrique et sur la biodiversité. ». En 2010, les changements dans l’utilisation des sols avaient entraîné une perte d’espèces globales d’environ 11 %.

« L’avenir des ressources mondiales montre que nous exploitons les ressources limitées de cette planète comme s’il n’y avait pas de lendemain, entraînant dans le même temps des changements climatiques et une perte de biodiversité », a déclaré Joyce Msuya, directrice exécutive par intérim d’ONU Environnement. « Je le dis franchement, il n’y aura pas de lendemain pour beaucoup d’entre nous à moins de mettre fin à ces pratiques. »

Depuis 2000, la croissance des taux d’extraction s’est accélérée pour atteindre 3,2 % par an, principalement en raison d’investissements importants dans les infrastructures et de niveaux de vie plus élevés dans les pays en développement et en transition, notamment en Asie.

Plus spécifiquement, l’utilisation de minerais métalliques a augmenté de 2,7 % par an et les effets connexes sur la santé humaine et les changements climatiques ont été multiplié par deux entre 2000 et 2015. L’utilisation de combustibles fossiles est passée de 6 milliards de tonnes en 1970 à 15 milliards en 2017. La quantité de la biomasse est passée de 9 milliards de tonnes à 24 milliards, principalement pour l’alimentation humaine et animale et l’énergie.

En ayant recours à des données tirées de tendances historiques, le rapport prévoit d’atteindre l’horizon 2060. L’utilisation des ressources naturelles devrait augmenter de 110 % d’ici 2015-2060, ce qui entraînerait une réduction de plus de 10 % des forêts et d’autres habitats tels que les prairies à hauteur d’environ 20 %. Les conséquences sur les changements climatiques sont graves, car les émissions de gaz à effet de serre augmenteraient de 43 %.

Le rapport indique que si la croissance économique et la consommation se maintiennent aux taux actuels, des efforts beaucoup plus importants seront nécessaires pour garantir qu’une croissance économique positive ne provoque pas d’impact négatif sur l’environnement.

 

Le rapport démontre que l’utilisation efficace des ressources est essentielle, mais pas suffisante en soi. « Nous avons besoin de passer de flux linéaires à circulaires en combinant des cycles de vie prolongés, une conception et une conception de produits intelligentes, ainsi que la réutilisation, le recyclage et la re-fabrication », indique le rapport.

Si les mesures recommandées sont appliquées, la croissance économique pourrait accélérer, dépassant les coûts économiques initiaux du passage à des modèles économiques compatibles avec la limitation du réchauffement climatique à 1,5 ° C au cours de ce siècle.

« La modélisation entreprise par le Groupe international d’experts sur les ressources montre qu’avec des politiques efficaces en matière d’utilisation rationnelle des ressources et de consommation et de production durables, l’utilisation mondiale des ressources pourrait ralentir de 25 %, le produit national mondial pourrait progresser de 8 %, en particulier pour les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire, et les émissions de gaz à effet de serre pourraient être réduites de 90 % par rapport aux prévisions concernant la poursuite des tendances historiques à l’horizon 2060 », ont écrit les coprésidents du Groupe d’experts, Isabella Teixeira et Janez Potocnik, dans la préface commune du rapport .

100 entreprises responsables de 70% des émissions de gaz à effet de serre : vrai ou faux ?
Jean Gadrey
https://blogs.alternatives-economiques.fr/gadrey/2019/04/05/100-entreprises-responsables-de-70-des-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-vrai-ou-faux

Réponse : chiffre exact selon certains critères, mais largement faux quand même, et trompeur sur les responsabilités et les solutions. Voyons pourquoi.

Cet argument des 100 entreprises a été beaucoup diffusé par des militant.e.s de la cause climatique. On le trouve par exemple dans la tribune collective du réseau « extinction rébellion » publiée dans Libération du 22 mars 2019 sous le titre « environnement : il y a urgence ». Il avait été commenté en juillet 2017 par Forbes, magazine plus habitué à classer les fortunes des milliardaires que les émissions des entreprises. La source (plus) scientifique se trouve dans des rapports annuels « The Carbon Majors Database » de l’ONG Carbon Disclosure Project en partenariat avec le Climate Accountability Institute. Mais pour aller plus loin dans les hypothèses et méthodes, il faut lire un article de 2014 de la revue Climatic Change : « Tracing anthropogenic carbon dioxide and methane emissions to fossil fuel and cement producers, 1854–2010 », par Richard Heede.

Dans ces évaluations au demeurant innovantes et intéressantes, les émissions de CO2 liées aux carburants fossiles sont entièrement attribuées (on dira « imputées ») à leurs producteurs/extracteurs, entreprises ou états. L’analyse remonte très loin dans le temps pour évaluer les émissions cumulatives sur plus d’un siècle et demi.

Je ne vais pas ici entrer dans les détails techniques car le problème principal est très simple : les entreprises privées ou les états (ou les entreprises d’État) qui extraient du sous-sol du charbon et des hydrocarbures peuvent-ils être considérés comme « responsables » des émissions de carbone qui ne se produiront pour l’essentiel qu’au moment où ces carburants fossiles seront brûlés ?

IL Y A (UN PEU) DE VRAI…

Commençons par indiquer pourquoi on peut être tenté de répondre « oui », avant de contester cette position militante.

D’abord, le terme fort de « responsabilité » est-il présent dans ces analyses ? Oui, dès le résumé de l’article fondateur, bien qu’avec une nuance : les auteurs visent à « apportioning responsibility », c’est-à-dire « attribuer une part de responsabilité » aux entreprises extractives. Si c’était cela, on pourrait les approuver, mais en fait les évaluations conduisent à leur attribuer non pas une part mais la totalité des dommages.

On comprend mieux l’objectif dans la conclusion, avec cette analogie (traduction par mes soins) : « La régulation, les poursuites en justice et les actions auprès des actionnaires ciblées vers les entités privées responsables des maladies liées au tabac ont joué un rôle significatif dans l’histoire du contrôle du tabac ; on peut imaginer des actions semblables dirigées vers les entreprises privées impliquées dans la production de carburants fossiles ». Nulle part il n’est ajouté qu’on pourrait faire de même avec les entités impliquées dans les émissions issues de la combustion de ces carburants.

L’article ajoute un argument pertinent : « certaines des entités présentes dans cette analyse ont joué un rôle dans les efforts pour bloquer des législations pouvant ralentir la production et la vente d’hydrocarbures. Les compagnies du secteur de l’énergie sont fortement incitées à produire et vendre leurs réserves enregistrées et à s’opposer aux efforts de ceux qui veulent laisser ces actifs dans le sol, mais des pressions légales et sociales pourraient changer la donne. Identifier qui sont, et qui ont été historiquement, les majors de la production de carbone, peut fournir une base utile pour des pressions légales et sociales à venir »

Ce point de vue militant est plutôt conforté quand on découvre par exemple ceci en lisant le mensuel Capital (23 mars 2019) : « Un milliard de dollars. C’est la somme faramineuse investie par les cinq groupes pétroliers cotés en bourse en lobbying et relations publiques « contraires » aux conclusions de l’accord de Paris sur le climat. C’est ce qu’a révélé ce vendredi 22 mars le rapport d’une ONG britannique relayé par Le Monde.

 

Depuis la COP21 fin 2015, et alors qu’ils affichaient publiquement leur soutien à la lutte contre le réchauffement climatique, ExxonMobil, Shell, Chevron, BP et Total ont dépensé quelque 200 millions de dollars par an en lobbying pur pour « étendre leurs opérations en matière d’énergies fossiles ». » Petit complément pour info : « Les cinq géants pétroliers ont engrangé 55 milliards de dollars de bénéfices en 2018 » !!!

Tout cela est vrai, scandaleux, et justifiant amplement toutes les actions, manifestations et formes de désobéissance civile visant les grands groupes du pétrole, du gaz et du charbon, ou les états directement extracteurs. Il en va de même des actions non violentes d’opposition aux gaz de schiste, aux sables bitumineux, aux oléoducs géants, aux forages en eau profonde, etc.

… ET BEAUCOUP DE FAUX

Pour autant, cela ne justifie pas qu’on affirme que les émissions qui plombent le climat ont pour principaux « responsables » les groupes ou états qui se chargent de l’extraction. C’est même une erreur grave car elle peut conduire à dédouaner d’autres grands responsables beaucoup plus pollueurs encore, ou à faire croire aux citoyens que la sobriété énergétique individuelle et surtout collective est moins importante que la désignation d’une centaine de « coupables idéals ». Ce n’est certes pas ce que font les militants du climat, mais d’autres s’en chargent pour eux, sur le mode : pourquoi devrions-nous nous limiter puisque 100 multinationales (ou états) sont responsables de presque tout ?

D’autres chiffres non moins sérieux existent. En fait nettement plus sérieux. Dans le cas de la France, voici les derniers chiffres de l’Insee, en millions de tonnes, hors émissions maritimes et aériennes internationales :

Dans l’ensemble du monde, je ne fournis qu’un exemple graphique, celui du pétrole et de ses usages par grands secteurs, en millions de tonnes. La source est un document statistique de l’Agence Internationale de l’Énergie. Il ne s’agit pas ici des émissions, mais en gros leur répartition par secteurs d’usage est proche de celle des millions de tonnes brûlées. C’est bien évidemment la route (couleur orange) qui domine la consommation de pétrole, donc les émissions liées au pétrole et à ses dérivés.

Concluons. Les combats contre « l’extractivisme » des multinationales et des états producteurs de pétrole, de gaz, de charbon et d’autres énergies fossiles sont très importants pour la cause du climat. Mais l’exemple même du tabac cité dans l’article fondateur devrait faire réfléchir, même si l’analogie est bien légère entre l’addiction à une substance dont l’humanité pourrait se passer presque du jour au lendemain et l’usage d’énergies fossiles qui ont structuré depuis deux siècles l’espace, les villes, le commerce, et presque toute la production et la consommation. Mais soit, prenons le tabac. Il n’a pas suffi, loin de là, de s’en prendre aux producteurs de cigarettes, à leurs lobbies, à leurs mensonges et à leur publicité. C’était nécessaire, mais l’essentiel a résidé dans des politiques de la sobriété et de la réduction de la consommation au nom de l’intérêt général, de la santé individuelle et publique, etc.

Les émissions de gaz à effet de serre doivent être traquées, mesurées, et réduites, de la source aux usages finals. À trop mettre en avant les « 100 multinationales ou états producteurs », on en oublierait le transport routier, aérien et maritime, le chauffage, l’énergie engloutie dans l’industrie, les émissions liées à l’agriculture et à l’alimentation, etc. Dans tous ces domaines on trouve d’ailleurs aussi des multinationales climaticides à la manœuvre, mais pas que : nous aussi on fait partie du problème, et des solutions !

On ne peut pas militer vrai avec des chiffres faux ou ambigus…

Accepter que la liberté s’arrête là où commence la planète
Charlotte Belaich
www.liberation.fr/planete/2019/04/02/accepter-que-la-liberte-s-arrete-la-ou-commence-la-planete_1718968

Globale par essence, l’urgence écologique peine à trouver un écho dans un système politique gouverné par le court terme. Peut-on amener les citoyens à abandonner d’eux-mêmes un mode de vie suicidaire ? Ou faut-il les y obliger pour la survie de tous ?

«Face à l’urgence, des mesures s’imposent à tous dès le 1er septembre de cette année, notamment la limitation stricte des naissances à une par femme dans le monde entier. […] Ces mesures peuvent sembler autoritaires et brutales. Elles nous sont imposées par notre laisser-aller collectif depuis des décennies.» L’auteur de ces lignes travaille à Matignon, au plus près d’Edouard Philippe. Gilles Boyer, quand il n’écrit pas de romans, conseille le Premier ministre. Dans Un monde pour Stella (JC Lattès, 2015), il imagine la mission d’une économiste chargée de réfléchir à une nouvelle gouvernance, nécessaire à la survie de l’espèce humaine, en 2045. Une fiction révélatrice des questions qui travaillent le réel.

Ecolos caricaturés

L’astrophysicien en vogue Aurélien Barrau écrivait, lui, dans une tribune publiée en août dans Diacritik : «Les initiatives locales et la volonté citoyenne ne suffisent plus. Il est aujourd’hui vital que des décisions politiques drastiques – et contraignantes donc impopulaires – soient prises».

Et revoici le spectre de la dictature verte, agité par les adversaires de l’écologie pour discréditer ses défenseurs. Attention aux écolos et, avec eux, à un monde où la contrainte dévore la liberté. Ces derniers, militants ou scientifiques, sont d’ailleurs bien souvent gênés par le sujet et parfois un peu irrités de voir l’un des leurs prêter le flanc à cette caricature qui leur coûte. Pourtant, la question de la capacité de la démocratie à répondre à la crise environnementale est constitutive de la pensée écologique, et se pose avec insistance. D’abord discutée du côté de la philosophie, elle émerge dans le débat public. «Au pied du mur, à la dernière heure, on s’interroge, juge le philosophe Michel Terestchenko, interrogé par LibérationDepuis le 11 Septembre, les sociétés ont accepté un recul démocratique. Il n’est pas déraisonnable de s’interroger sur les régressions plus importantes qui pourraient résulter de la crise écologique, dont les conséquences sont bien plus graves que la menace terroriste.»

Avant d’imaginer les contours de cette «tyrannie», des intellectuels ont, depuis longtemps, identifié les points faibles de la démocratie représentative. Sa temporalité : les élus sont assignés au court terme du fait des mandats électoraux, alors que la question environnementale impose de penser sur le temps long. Sa géographie : elle prend forme dans l’Etat-nation, quand la crise écologique est globale. Mais aussi, et surtout, son principe fondateur : les individus confient leur liberté politique à des représentants, et jouissent ainsi d’une autre forme de liberté, individuelle. Or il y a désormais une contradiction entre cette conception, qui permet «à chacun de produire et consommer le plus possible», et «la sauvegarde de ces nouveaux biens publics que sont la stabilité du climat ou l’intégrité des services écologiques», écrivent Dominique Bourg et Kerry Whiteside dans leur essai, Vers une démocratie écologique (Seuil, 2010) .

«Tyrannie bienveillante»

La démocratie moderne, fondée dans un contexte de progrès technologique, s’inscrit dans une vision du monde toujours extensible, expliquent le philosophe et le professeur de sciences politiques. Le philosophe Thomas Schauder abonde : «Le libéralisme politique et économique nous a confortés dans l’idée que la liberté était la valeur cardinale, et qu’elle devait gagner toujours plus de terrain, que l’Etat devait la préserver et non la restreindre. Mais cette absence de limite vient se heurter à la limite des ressources. Une vérité fondamentale vient brutalement se rappeler à nous : un monde sans contraintes n’existe pas.»

Comment alors changer de logiciel intellectuel ? Comment faire en sorte que les citoyens renoncent à une part de leur liberté individuelle qui, à force de buter contre la finitude du monde, le fera imploser ? Pour certains, il faut passer par la contrainte. L’idée naît dans les années 70. Le politologue américain William Ophuls plaide par exemple pour une prise de pouvoir par des «écologistes rois».

Hans Jonas, philosophe, père du principe de précaution, évoque également en 1979, dans le Principe responsabilité, l’hypothèse d’une «tyrannie bienveillante, bien informée et animée par la juste compréhension des choses» si les hommes n’arrivent pas à s’imposer d’eux-mêmes la modération nécessaire à leur survie.

Quarante plus tard, nous ne pouvons que constater que cela n’a rien d’évident. Dans Dictature verte (Presses du Midi, 2010) , l’écologue Michel Tarrier imagine une «écocratie», pas arbitraire mais coercitive. Dans le domaine des transports par exemple, il préconise la restriction du trafic aérien, l’instauration d’un péage dans les centres-villes ou encore, dans certains cas, l’obligation du covoiturage.

Reste à savoir qui dirigerait ce régime. Des intellectuels ? Des scientifiques ? «L’élite éclairée, elle est elle-même bloquée dans le système», répond Agnès Sinaï, cofondatrice de l’Institut Momentum. Quand bien même leurs intentions seraient louables, ces tyrans bienveillants seraient-ils incorruptibles ? Selon l’historienne des sciences et de l’environnement Valérie Chansigaud, interrogée par Libération«c’est une idée qui est déconnectée de l’enseignement de l’histoire» : «Attenter aux libertés au nom d’un intérêt supérieur, c’est le modèle de tous les régimes autoritaires, qui finissent toujours par privilégier une classe.»

Hans Jonas ne disait pas autre chose. Treize ans après le Principe responsabilité, interrogé par Der Spiegel sur la possibilité d’une «sorte de dictature économique éclairée au sein de laquelle les philosophes seraient rois, ainsi que l’exigent de nombreux adeptes convaincus de l’environnement», il répondait : «On peut esquisser dans l’abstrait un projet de dictature en vue de sauver l’humanité. Mais comment se représenter qu’une élite effectivement altruiste parvienne au pouvoir, qu’elle demeure altruiste et que son désintéressement soit également reconnu ? […] Il s’agit là d’une sorte d’utopie qui ne peut pas se traduire dans la réalité.» Il jugeait pour autant le «renoncement à la liberté individuelle» «inéluctable». Sa «dictature verte» n’était donc pas un horizon souhaitable, mais plutôt un avertissement destiné à convaincre l’individu de renoncer de lui-même à une part de sa liberté.

Efforts équitables

Comment alors amener les citoyens à y consentir ? Par plus de démocratie, répondent de nombreux écolos. Interrogé par Libération, le philosophe Dominique Bourg explique : «On ne peut plus laisser à chaque individu le choix de ses modes de vie. Le seul moyen de l’accepter, c’est une démocratie plus directe. Quand ça touche un truc aussi fondamental, il faut être d’accord sur l’objectif, que chacun dise oui ou non. C’est ça, une démocratie écologique.» La «dictature verte» passerait ainsi par un référendum. Mais pour avoir l’assentiment des citoyens, encore faut-il qu’ils soient éclairés. «Ce qui est embêtant avec l’écologie, c’est que ça demande des citoyens conscients.» Le péril environnemental est tel qu’il nous dépasse, nous submerge. Nous savons, sans avoir vraiment intégré, sans pouvoir envisager. «C’est trop gros, ça sature notre façon de penser. L’idée de la fin de la civilisation est sidérante», explique le chercheur Luc Semal.

Plus directe, la démocratie écologique serait donc aussi plus délibérative. «On ne peut pas se contenter d’un référendum, juge Agnès Sinaï. Pourquoi pas instaurer des conventions de citoyens tirés au sort mais représentatifs de la population et les former aux différents enjeux ? Il faudrait ensuite que leurs décisions soient contraignantes. C’est ce qu’on appelle le consentement éclairé. Les gens seraient capables de renoncer à certaines choses s’ils étaient formés, et s’ils avaient un sentiment de justice.» C’est l’autre pilier de cette démocratie renouvelée. «L’exemplarité est épuisante pour l’individu quand il y a autour de lui une débauche de consommation, juge Luc Semal. En situation de pénurie ou de tensions sur les ressources, le rationnement est assez bien accepté, du moment qu’il est juste. Une société peut choisir la sobriété s’il y a une forme de partage équitable des efforts. On est sur un raisonnement assez proche de ce qu’on dit pour l’impôt : il y a une réduction du consentement quand on considère qu’il est injuste.» Valérie Chansigaud ajoute : «Ce n’est pas la liberté individuelle qui aboutit à la dégradation de l’environnement, c’est la liberté de certains individus. Une démocratie totalement inégalitaire en est-elle vraiment une ?»

Ce ne serait donc pas tant le régime qu’il faudrait changer, que l’idéologie capitaliste qui l’anime. Les gouvernements autoritaires de ce monde sont d’ailleurs rarement un modèle en matière d’écologie, voire clairement climatosceptiques, comme l’analyse l’historien Jean-Baptiste Fressozqui n’hésite pas à parler de «carbo-fascisme».

Toujours interrogé par le magazine Der Spiegel, Jonas questionnait : «Se pourrait-il que la modernité ait été une erreur qui doive être rectifiée ? La voie sur laquelle nous nous sommes engagés grâce à cette alliance du progrès scientifique et technologique et de l’accroissement de la liberté individuelle est-elle la bonne ?» Il est permis d’en douter. «Dans la situation actuelle on peut encore réfléchir, juge le militant écolo Michel Sourrouille. Mais si on échoue, dans cinq ou dix ans, on risque une rupture brutale. Quand un pays traverse des difficultés, il y a une tendance à confier sa destinée à un homme ou une femme forte.» Certains l’imaginent déjà : un régime fasciste, qui planifie l’accaparement des dernières ressources par une frange de la population. A ce moment-là, la dictature verte apparaîtrait comme un moindre mal…

 

Klima aldaketa eta paisaia
Jakoba Errekondo @bizibaratzea
www.argia.eus/argia-astekaria/2638/klima-aldaketa-eta-paisaia

Eguraldia aspaldian dugu hizpidean jarria; klimarena, ordea, berri samarra da. Klima aldaketa zer den argitu behar handirik ez dago. Paisaia zer den azaltzea bai, horren premia gorriagoa da. Puri-purian dago klimaren aldaketaz hitzaldi, mahai inguru edota nazioarteko konferentziak antolatzea. Ni “klima aldaketa eta paisaia” gaiaz aritu naiz mahai inguru pare batean, eta zailena paisaia geu garela azaltzea gertatzen zait.

Nahiago nuke Fernando Pessoak esaten zuen hura egia balitz: “Ez dugu ikusten ikusten duguna, geu garena ikusten dugu”. Benetan geure burua ikusiko bagenu paisaian, orduan egunero-egunero eta egun guztian egiten dugun guztia gure paisaia dela jabetuko ginateke. Den-den-denak duela eragina gure inguruan, gure ingurumenean, gure bizitza kalitatean.

Gure paisaia geuk sortua da. Paisaia guztia kulturala da, geure historian bizitzeko behar izan dugun guztia eskuratzeko moldatu dugu. Eta kultura bakoitzak bere erara moldatzen du: larre, baso mugarrotu, txaradi, garomen, sagasti, soro… Horrexegatik parke naturala esan beharrean Parke Kulturala esan beharko genieke gure aurrekoek sortu, zaindu eta egokitu dituzten paisaia horiei. Horrexegatik paisaia bera da klima aldaketaren erakusle nagusia. Burua joan zaigu honetan, eta, Daniel Innerarityk dioen eran: “Etorkizuna kontsumitu eta gaurkoaren zabortegi bihurtzen ari gara”. Eta gure jokabidea paisaian txertatzen ari da, zizelkatzen, etengabe. Garena.

Klima aldaketa ez da mende amaierarako lau gradu berotuko dela Lurra, ez eta muturreko eguraldi erauntsiak nagusituko direla, ez eta ardoa eta txokolatea eta kafea eta arrainak ez direla ia inoren eskuera egongo, ez, ez. Klima aldaketa berorri eta ni oraintxe egiten ari garena da. Gure alaba-semeek, hemendik oso urte gutxira lotsagorriturik bizituko dutena; arrazoi osoz, gu madarikatzeko paisaia sortzen ari baikatzaizkie. Fabrizio Caramagnak esan zuen: “Toki batzuk enigma bat dira, beste batzuk azalpena”.

Geure esku dagoena horixe da, baina. Etorkizuneko madarikazio hori ez gertatzea. Hagintzen duten axkar eta lixtoek nahi dutena esan dezatela, berorrek eta neuk geureari ekin. Henri-Frédéric Amielek zioen: “Edozein paisaia, espirituaren egoera bat da”. Guretzako klima aldaketa da. Beraientzat, euskaraz, aldaketa klimatikoa. Gure paisaian, Euskal Herrian! Euskararen paisaia kolonizatua. Patrick Modianok esan zuen: “Paisaiarik gabeko pertsona babesik gabe gelditzen da”.