Articles du Vendredi : Sélection du 4 février 2011

Découvrir l’Histoire du Pays Basque
“Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient”

Peio Etcheverry-Ainchart, spécialiste de l’histoire contemporaine
Hebdomadaire Enbata-Alda ! du 03.02.2011

« Pour une révolution fiscale », de Camille
Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez

Philippe Arnaud
Le Monde du 31.01.2011

Les pauvres sont plus taxés que les riches

Bernard Brostet
Sud-Ouest 30.01.2011

Thomas Piketty : « Notre système fiscal est
totalement à l’agonie »

Thomas Piketty, directeur d’études à l’EHESS , professeur à l’école d’économie de Paris,et co-auteur de “Pour une révolution fiscale”
Le Monde du 26.01.2011

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Découvrir l’Histoire du Pays Basque
“Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient”

Peio Etcheverry-Ainchart, spécialiste de l’histoire contemporaine
Hebdomadaire Enbata-Alda ! du 03.02.2011

La série de conférences en euskara sur l’Histoire du Pays Basque, organisée par la Fondation Manu Robles-Arangiz et l’association ARIHPB, à Ainhice Monjelos, sera suivie à Bayonne les samedi 5 et 12 février de la version française de ce même cycle de formation. Voici l’interview de Peio Etcheverry-Ainchart, spécialiste de l’histoire contemporaine, et un 4 animateurs de la formation.
Qu’est-ce qui vous a amené à mettre sur pied ce cycle de formation sur l’histoire du Pays Basque ?

Tout d’abord – rendons à Eneko Arizta ce qui est à Eneko Arizta –, précisons que c’est une commande passée par la Fondation Manu Robles-Arangiz à l’association ARIHPB. Merci donc à la première d’être à l’initiative de cette opération culturelle. Quant à la seconde, elle n’en est pas à son premier coup d’essai… ARIHPB est la dénomination officielle de la «commission histoire» de feu l’association Piztu, créatrice du festival Euskal Herria Zuzenean. En effet, en 1997, à l’occasion de la seconde édition alors encore à Arrosa, il avait été décidé que parmi les objectifs culturels du festival figurerait la sensibilisation du public à la connaissance de l’histoire du Pays Basque, selon l’adage fameux «pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient». Plusieurs réalisations s’en étaient suivies. L’esprit de la démarche de l’époque se retrouve dans celle d’aujourd’hui. Il s’agit de proposer un outil accessible et destiné au public le plus large possible. Point de verbiage de spécialiste sur le toucher des écrouelles et les pouvoirs thaumaturgiques à l’époque féodale ou d’analyse rébarbative des courbes des prix du grain dans le haut Erberua entre 1609 à 1611… Non, il s’agit de rendre simple ce qui est parfois complexe, de donner envie sur ce qui fait peur ou ennuie, de fournir des clés de compréhension sur le passé pour aider à construire l’avenir.

L’histoire revêt toujours une problématique, qui varie selon les historiens. Quelle est la vôtre ?

La grande majorité de la population du Pays Basque ne connaît guère l’histoire de ce pays, précisément parce que pays il n’est pas. Comment raconter l’histoire d’une entité qui n’existe pas ? Au sud des Pyrénées, Communauté autonome d’Euskadi et Communauté forale de Navarre incluses dans le royaume d’Espagne ; au nord, moitié occidentale du département français des Pyrénées-Atlantiques… Le «Pays Basque», qui est pour certains projet politique mais n’a pour d’autres qu’une simple acception culturelle, peut-il être un sujet historique ? L’histoire est écrite par les vainqueurs, et le passé des Basques ressemble plutôt à une mémoire de vaincus. N’ayant jamais constitué un État doté d’une instruction publique nationale, ils n’ont jamais appris leur histoire. Pourtant, les Basques forment une unité de civilisation à plusieurs égards, ne serait-ce que par la langue ; les traces qu’ils ont laissées sur le terrain et qu’ils continuent à laisser aujourd’hui, n’ont pas été effacées. L’on peut faire de l’histoire sans les voir, mais on peut aussi voir l’histoire par l’angle qu’elles offrent : les identités nationales n’étant apparues en Europe que durant le XIXe siècle, il n’est pas plus stupide de situer un paysan né à Baigorri autour de l’an Mil au cœur d’une histoire du Pays Basque, que de faire de même pour son contemporain beauceron au cœur de l’histoire de France. Il est ni plus ni moins audacieux de relier le royaume de Pampelune à un Pays Basque médiéval que la Francie occidentale au Moyen-âge français. Seul compte le garde-fou qui consiste à appréhender le passé pour son intérêt propre, et non pour tenter d’y déceler la justification d’un projet politique pour le présent ou l’avenir.
Reste la question de la nature de cette histoire. Comment est établie l’architecture de ce cycle de conférences ?

Elle se calque sur la tradition historiographique européenne qui découpe grossièrement le passé en grandes phases relativement bien définies : antiquité, Moyen-âge, époque moderne, puis ère contemporaine. Ce découpage a l’avantage d’être désormais bien établi et donc lisible, pour autant il n’est pas véritablement satisfaisant. Tout d’abord, ses limites sont fixées selon des événements dont la portée paraît bien relative selon les territoires et leurs populations. En ce qui concerne le Pays Basque, quel impact la chute de Constantinople a bien pu avoir sur les modes de vie d’un artisan navarrais du XVe siècle ? Ce dernier a-t-il eu l’impression de se lever le lendemain matin en se disant qu’il était entré dans l’époque moderne, ayant laissé derrière lui un âge dont il aurait probablement été bien en peine de dire pourquoi il était «moyen» ? Mais plus encore que dans les questions de terminologie, le découpage dans le temps peut changer à partir du moment où l’histoire se fait d’abord événementielle, ou au contraire centrée sur le «temps long» des mentalités, des mutations sociales ou économiques. Toutes ces mutations sectorielles se chevauchent à la manière des tuiles d’un toit, se superposant d’ailleurs sans aucune régularité. L’histoire est donc d’abord une construction d’historien, et c’est par pur souci de simplicité que ces conférences se calent sur les repères classiques. D’autre part, et bien qu’elles traitent de l’histoire du Pays Basque, ces conférences ne perdent pas non plus de vue le fait que les hommes et les femmes ayant vécu sur ce territoire n’ont jamais été isolés, laissés totalement en marge des grandes mutations de leur temps. Avec toutes leurs particularités, ils ne sont que la déclinaison locale d’une histoire plus large, celle qui fait que l’écrivain Bernardo Atxaga dira, à la fin du XXe siècle, que le Pays Basque est «l’endroit où le monde prend ce nom-là». Ce pourrait d’ailleurs être le plus important de ce qu’il y a à en retenir…

4 Conférences à Bayonne (20, rue des Cordeliers) :

Samedi 5 février 2011 :

10h00 : «De la préhistoire au Moyen Age» avec Philippe Mayté

14h30 : «Le Royaume de Navarre» avec Antton Curutcharry

Samedi 12 février 2011 :

10h00 : «Le Pays Basque avant 1789 / Epoque moderne» avec Peio Etcheverry

14h30 : «Le Pays Basque après 1789/ Epoque contemporaine» avec Peio Etcheverry-Ainchart

« Pour une révolution fiscale », de Camille
Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez

Philippe Arnaud
Le Monde du 31.01.2011

Va-t-il faire un carton, comme Indignez-vous !, de Stéphane Hessel (éditions Indigène, 32 pages), en tête des meilleures ventes d’essais ? C’est en tout cas le nouveau petit livre dont tout le monde parle. Ses auteurs – 36 ans de moyenne d’âge – ont décidé de frapper un grand coup.
Pour Thomas Piketty, professeur à l’Ecole d’économie de Paris, Camille Landais, chercheur à Stanford, et Emmanuel Saez, enseignant à Berkeley, c’est tout le système fiscal français, « asphyxié » par son manque de transparence, qu’il faut revoir. Et en particulier l’impôt sur le revenu.
Pas assez d’impôt finit, aussi, par tuer l’impôt, notamment quand celui-ci ne joue plus son rôle en termes de justice sociale. Si l’impôt sur le revenu concentre les critiques de nos auteurs, c’est parce qu’il est devenu un impôt « croupion ». Il ne pèse plus aujourd’hui que 3 % du produit intérieur brut (PIB). Le principe même de cet impôt direct était la progressivité.
Or il est devenu un impôt « régressif », montrent-ils. Les 5 % de ménages les plus riches payent aujourd’hui proportionnellement moins d’impôts que les autres. La fiscalité ne joue plus un rôle de réducteur des inégalités. Elle aurait même tendance à les augmenter !
INJUSTE ET SCANDALEUX
C’est injuste, et scandaleux. Quand on sait que les plus hauts revenus ne sont pas des revenus du travail, ce travail que l’on prétend par ailleurs récompenser.
Le taux des prélèvements obligatoires est aujourd’hui en France de 49 % ; on ne peut l’augmenter davantage. Alors que faire ?
Les auteurs proposent une réforme fondée sur trois principes : équité, progressivité, démocratie. Ils suggèrent en particulier un taux de prélèvement effectif de l’impôt sur le revenu allant de 2 % à 60 %. Et de garder l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), quitte à relever le seuil minimal d’imposition. « La priorité absolue (étant) d’alléger les impôts et prélèvements pesant sur le travail. »
Parallèlement à la publication de ce livre, les auteurs ont ouvert un site Internet, Revolution-fiscale.fr. On peut y jouer au ministre du budget, en simulant sa propre réforme fiscale. Une invitation à se saisir vigoureusement du débat.
Pour une révolution fiscale. Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle, par Camille Landais, Thomas Piketty, Emmanuel Saez. Seuil, 134 pages, 12,50 euros.

Les pauvres sont plus taxés que les riches

Bernard Brostet
Sud-Ouest 30.01.2011

L’impôt pris au sens large (TVA, CSG et cotisations sociales comprises) pèse proportionnellement plus sur les pauvres que sur les riches. L’impôt sur le revenu est en ruine. Il faut le refondre dans une CSG à taux progressif, et maintenir l’ISF. Le tout sans augmenter la part globale des prélèvements obligatoires, évaluée à 49 % du revenu national.
Ces thèses chocs sont développées par les économistes Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez, dans « Pour une révolution fiscale » (éditions du Seuil). Pour « Sud Ouest Dimanche », Thomas Piketty, qui ne cache pas ses sympathies pour la gauche tout en se désolant du manque d’audace des grandes figures du PS dans ce domaine, justifie ces propositions.
« Sud Ouest Dimanche ». Pourquoi vouloir une réforme si profonde ?
Thomas Piketty. La France a un haut niveau de service public et de protection sociale. Ces choix ne doivent pas être remis en cause, mais ils pèsent lourd – une petite moitié du revenu national. Ce niveau de prélèvement ne peut être supportable que s’il est juste. Or, si l’on fait le compte de tous les impôts cotisations, on s’aperçoit que les 50 % des Français les plus modestes, gagnant entre 1 000 et 2 200 euros? subissent un taux de prélèvement effectif moyen de 45 %. Pour les 5 % de revenus supérieurs à 6 900 euros, ce taux décroît au fur et à mesure que les ressources s’élèvent. Il ne dépasse guère 35 % pour les 0,1 % de Français les plus riches. Au lieu d’être progressif, ce système est régressif. Il faut y mettre bon ordre.
Pourquoi supprimer l’impôt sur le revenu ?
Cet impôt, en principe progressif et redistributif, a été vidé de sa substance. Il rapporte près de deux fois moins que la CSG, qui sous sa forme actuelle est proportionnelle aux revenus, et plus de quatre fois moins que la masse des impôts indirects, dont la TVA. Or, celle-ci pèse plus lourd sur le budget de ménages pauvres, puisque la part des revenus affectée à la consommation est en moyenne pour eux plus importante que pour les riches.
Pourquoi l’impôt sur le revenu a-t-il ainsi décliné ?
D’une part, les taux d’imposition ont subi de multiples baisses successives depuis vingt ans. Surtout, cet impôt a été mité au fil des années par une kyrielle de niches fiscales. Dans une large mesure, les revenus de l’épargne, surtout concentrés dans les ménages aisés, bénéficient de régimes dérogatoires. Cet impôt est devenu injuste et totalement illisible. Il est mité parce que plus personne n’ose y toucher autrement qu’en le baissant davantage. Il n’est plus sauvable.
Que mettre à la place ?
Il faut étendre et réformer la CSG, qui doit continuer à être prélevée à la source car cela est un facteur d’efficacité et de simplicité. Nous souhaitons que son assiette soit très large, c’est-à-dire qu’elle s’applique au pourcentage le plus élevé possible de revenus du capital et du travail. Mais, à la faveur de sa fusion avec l’impôt sur le revenu, nous proposons qu’elle devienne progressive, ce qu’elle n’est pas aujourd’hui. Nous suggérons un barème aux termes duquel, par exemple, les personnes ayant des ressources mensuelles de 1000 euros s’acquitteraient de 2 % de leurs revenus. À 2 000 euros par mois, ce serait 10 % Celles qui touchent 10 000 euros paieraient 25 %. Le taux maximum de 60 % s’appliquerait à partir d’un revenu individuel de 100 000 euros.
Par rapport à la situation actuelle, impôt sur le revenu + CSG, quel serait l’impact de la réforme sur le pouvoir d’achat des ménages ?
Jusqu’à 6 000 euros de revenus mensuels, elle se traduit par de légers gains de pouvoir d’achat. Au-delà de 8 000 euros, la ponction augmente. Le prélèvement s’alourdit par exemple de 5 % à 14 000 euros, et de 10 % pour les personnes gagnant plus de 40 000 euros.
Pourquoi supprimer le quotient conjugal, c’est-à-dire le fait que les couples pacsés ou mariés fassent une même déclaration, avec un système de parts ?
Ce système ne correspond plus à l’état de la société. Le fisc n’a pas à se préoccuper de savoir si vous êtes mariés, pacsés, concubins ou célibataires, si vous vous êtes séparés dans l’année, etc.
Et puis, ce système contribue à dissuader une partie des femmes de mener une carrière plus lucrative.
Pourquoi maintenir l’ISF ?

C’est un impôt moderne assis sur des valeurs aussi proches que possible de la réalité. Sur ce plan, il est beaucoup plus juste, par exemple, que la taxe foncière, très variable selon les communes et assise sur des valeurs cadastrales souvent sans lien avec la valeur de marché. Au surplus, pour l’ISF, l’endettement est déduit, ce qui n’est pas le cas pour la taxe foncière. Nous sommes les seuls en Europe à pratiquer l’ISF. Mais on constate que, dans d’autres pays, les taxes foncières sont généralement plus lourdes qu’en France. Est-ce mieux ? Il nous semble donc pertinent de maintenir l’ISF, mais à un taux beaucoup plus faible, en y intégrant l’outil de travail, et avec un seuil d’exonération de 1,5 M€ de patrimoine, soit à peu près le double de ce qu’il est aujourd’hui.

Thomas Piketty : « Notre système fiscal est
totalement à l’agonie »

Thomas Piketty, directeur d’études à l’EHESS , professeur à l’école d’économie de Paris,et co-auteur de “Pour une révolution fiscale”
Le Monde du 26.01.2011

Dans un chat sur LeMonde.fr, Thomas Piketty, directeur d’études à l’EHESS , professeur à l’école d’économie de Paris, et co-auteur de « Pour une révolution fiscale », estime que « si on ne remet pas à plat notre système d’impôt sur le revenu, on court le risque de très graves révoltes fiscales à l’avenir ».
Isa : Votre livre a été « annoncé » voici une bonne semaine et votre site fonctionne également depuis une bonne semaine. Comment expliquez-vous le peu de réactions des politiques à votre constat et à vos propositions ?
Thomas Piketty : Il faut leur laisser le temps de lire. Je crois surtout dans les amicales pressions, venant de tous les citoyens qui se préoccupent des impôts, des questions qui leur sont posées par les journalistes pour les obliger à prendre des engagements précis sur les impôts.
Je me méfie beaucoup des consensus mous et des annonces vagues en matière d’impôt.
Marie T : Existe-t-il un système fiscal juste quelque part ? Et qu’est-ce que veut dire un impôt plus juste ?
Il n’y a pas de système idéal qu’on pourrait simplement importer en France. Dans tous les pays, l’impôt est souvent complexe et illisible. Cela dit, en France, nous avons atteint un degré de complexité et d’accumulation de niches fiscales plutôt pire que la moyenne. Concernant l’impôt sur le revenu, l’accumulation de niches fait que notre système est totalement à l’agonie.
Margerin : Alors que le gouvernement lorgne sur le système fiscal allemand, quel est selon vous le système fiscal étranger dont il faudrait le plus s’inspirer ?
Il y a des choses à prendre partout. Le système allemand n’est pas vraiment un modèle en termes de simplicité. Cela fait plutôt sourire les Allemands quand on dit qu’on va s’inspirer d’eux pour simplifier notre système. Dans tous les pays européens qui nous entourent, l’impôt sur le revenu rapporte trois ou quatre fois plus que chez nous et fonctionne totalement selon le système du prélèvement à la source, qui est beaucoup plus simple pour les contribuables.
Il est plus que temps de faire cette réforme en France.
Margerin : La question d’une réforme fiscale est-elle pertinente en temps de crise ? Ne nécessiterait-elle pas des coûts importants de mise en place (modification du fonctionnement de l’administration fiscale…) ?
Si on attend de se retrouver en période de croissance à 5 % pour faire une réforme fiscale, on risque d’attendre longtemps. Je pense que le vrai risque, c’est le statu quo. Le système est vraiment au bord de l’asphyxie, et je pense que si on ne remet pas à plat en particulier notre système d’impôt sur le revenu, on court le risque de très graves révoltes fiscales à l’avenir.
Rosy : Dans votre constat sur le système fiscal, il est tout de même curieux d’assimiler les cotisations sociales à un impôt : à la base, il s’agit d’une forme d’assurance obligatoire, pas d’une contribution « à fonds perdus ». Si on retire les cotisations, l’imposition n’est-elle pas progressive ?
Il faut distinguer deux types de cotisations sociales, ce qui est fait dans le livre et sur le site. Il y a d’une part les cotisations retraite et chômage, qui donnent droit en principe à des prestations – pensions de retraite, allocations de chômage – à peu près proportionnelles aux cotisations. Dans ce cas-là, on pourrait vouloir retirer ces cotisations des prélèvements puisque les uns et les autres retrouvent en principe, plus tard dans leur vie, ces cotisations sous forme de prestations.
Sauf que le système de retraite contient beaucoup de redistribution à l’envers, en particulier, les plus pauvres ont une espérance de vie plus faible et ne retrouvent souvent jamais les cotisations versées.
Donc la question est assez complexe, et il est logique de traiter ces cotisations, dans un premier temps au moins, comme un prélèvement. D’autre part, il y a un second type de cotisations sociales, en gros la seconde moitié, qui finance des dépenses sociales universelles : assurance-maladie, allocations familiales, versements pour le transport, le logement, la construction, la formation professionnelles. Ces dépenses sociales bénéficient à tous et n’ont aucune raison de peser uniquement sur les salaires, elles devraient reposer sur l’ensemble des revenus, comme cela se fait dans la plupart des pays.
Le système français de protection sociale repose beaucoup trop lourdement sur le travail.
Nous proposons d’étendre l’assiette des cotisations sociales en créant une cotisation patronale généralisée (CPG) reposant sur l’ensemble des richesses produites.
John Rawls : Votre proposition de réforme fiscale individualise encore plus notre modèle social au moment même où nous avons besoin de plus de solidarité. Qu’en pensez-vous ?
Non, notre réforme fiscale crée davantage de solidarité. Simplement, nous pensons que l’administration fiscale doit cesser de se préoccuper de qui vit avec qui, qui se sépare de qui, etc.
Les choix de vie familiale sont des choix privés, et il faut sortir cette question du conflit politique. On ne va pas continuer chaque année de débattre au Parlement du mérite respectif des divorcés par rapport aux « dépacsés », des remariés par rapport aux « repacsés », etc. La bonne façon de sortir ces questions du conflit politique est effectivement d’individualiser le calcul de l’impôt. Autrement dit, dans notre système, le taux d’impôt prélevé à la source sur votre salaire ne dépend pas de l’existence du conjoint, du revenu exact de celui-ci, de la date à laquelle vous vous êtes séparés, etc.
Notre système est neutre par rapport au choix privé de vie familiale. Cette réforme a déjà été faite dans les pays nordiques et en Europe du Sud, et nous pensons qu’il est temps de l’appliquer en France.
Noam : La fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG que vous préconisez (le PS aussi) ne risque t-elle pas de faire disparaitre la progressivité de l’impôt au nom de la simplification ?
Non, nous prenons les bons éléments de la CSG – assiette large, absence de niches fiscales, prélèvement à la source -, mais nous appliquons les bons éléments de l’impôt sur le revenu : la progressivité. L’avantage de notre approche est qu’elle permet de conserver l’affectation de ressources à la protection sociale, comme avec la CSG actuellement, tout en mettant en place un impôt véritablement progressif.
Anh : Comment peut-on concilier retenue à la source et progressivité de l’impôt sur le revenu sans faire une usine à gaz?
Tous les autres pays du monde y sont parvenus ; on comprend mal pourquoi nous serions les seuls à ne pas pouvoir le faire. Et nous pouvons même faire mieux que les autres. Notre administration fiscale a fait de grands progrès ces dernières années, avec les déclarations préremplies, etc. Les technologies de l’information permettent de transmettre les informations sur les salaires des entreprises à l’administration fiscale en temps réel, et de transmettre de l’administration fiscale aux entreprises le taux à prélever à la source, également en temps réel.
Cela simplifiera la vie des contribuables et permettra de libérer des énergies pour les contrôles fiscaux.
Gabriel : En cas de modifications importantes des types et des modalités de prélèvement, comment gérer les phases de transition avec le modèle actuel « en douceur » ?
C’est relativement simple : supposons que la réforme soit adoptée au lendemain des élections de 2012. Nous proposons à partir du 1er janvier 2013 que le nouvel impôt sur le revenu soit prélevé à la source, comme la CSG, mais avec un barème progressif.
En vérité, le prélèvement à la source existe déjà en France. La CSG rapporte près de deux fois plus que l’impôt sur le revenu officiel, il suffit donc d’étendre ce qui existe déjà.
Fréderic Bonnet : Vous proposez d’une part le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu et d’autre part le remplacement du quotient familial par un crédit d’impôt forfaitaire par enfant. Ce crédit d’impôt serait-t-il versé au contribuable ou alors déduit de ses prélèvements ? Dans ce dernier cas y aurait-il un mécanisme de régularisation pour prendre en compte les changements de situation ?
Nous proposons de laisser le choix aux personnes. Le crédit d’impôt par enfant peut être versé séparément au contribuable, dans ce cas il s’agira d’un supplément d’allocations familiales. Notre proposition revient alors à augmenter les allocations familiales, avec en particulier la création d’allocations familiales dès le premier enfant.
Ou bien les contribuables pourront choisir d’avoir un prélèvement à la source plus faible.
Là encore, les progrès apportés par les technologies de l’information permettent un mode d’administration efficace en temps réel. Par exemple, depuis deux ans, il n’est plus nécessaire de faire des déclarations de revenus auprès des caisses d’allocations familiales. Ces dernières reçoivent directement les informations de la part de l’administration fiscale.
Paul D : La réforme fiscale semble principalement concerner les citoyens (impôt sur le revenu, ISF). Ne faudrait il pas aussi viser les entreprises et l’égalité devant l’impôt?
Vous avez raison, nous avons un énorme problème avec l’impôt sur les sociétés au niveau européen.
Mais ce problème ne pourra être résolu qu’au niveau européen, par exemple en mettant des conditions strictes aux aides apportées actuellement à l’Irlande. Dans notre livre, nous choisissons de nous concentrer sur les questions fiscales que nous pouvons régler ici et maintenant, en France, sans attendre l’approbation et la participation de nos partenaires européens.
Simon : Faut-il faire payer plus les riches ? Et comment faire « comprendre » aux riches qu’il faut qu’ils payent davantage ?
Nous ne nous prenons pas pour Robin des Bois ! Notre réforme vise d’abord à rétablir un minimum de progressivité dans un système qui est actuellement fortement régressif et injuste.
Les transferts proposés sont d’une ampleur raisonnable. Surtout, la simplification que nous proposons bénéficiera à tous, y compris aux plus riches, qui feront des économies sur leurs dépenses de conseillers fiscaux.
Claudius : Hors CSG et impôt sur le revenu, ne croyez-vous pas qu’un taux de TVA intermédiaire de 12% pourrait être appliqué dans la restauration et aiderait à combler les besoins de financement ?
Il est clair qu’on a dépensé beaucoup d’argent pour pas grand-chose avec la TVA à taux réduit dans la restauration. Le problème avec ces différents taux de TVA, c’est qu’il est toujours arbitraire de décider quels biens et services doivent être taxés à tel ou tel taux. Le problème de la TVA et de tous les impôts sur la consommations, c’est qu’ils sont relativement aveugles dans leur répartition.
On ne contrôle pas très bien l’incidence sur les différents groupes sociaux.
C’est pourquoi la priorité, selon nous, est de développer enfin un système moderne et efficace d’impôt sur le revenu en France.
Miodownick : Quelle est votre position sur la fiscalité écologique: bonne ou mauvaise idée ? Le précédent de la taxe carbone (et de ses nombreuses exonérations) n’a-t-il pas fait de ce sujet le parent pauvre d’une réforme fiscale ?
C’est vrai que l’échec de la taxe carbone qui avait été annoncée comme une des grandes réformes du quinquennat nous a fait perdre beaucoup de temps sur ce sujet important. Mais il ne faut pas se faire d’illusions : la taxe carbone, surtout si elle marche, ne pourra pas remplacer les impôts existants.
Plus elle sera efficace, plus elle réduira la pollution, moins elle rapportera, et c’est tant mieux. Il en va de même des taxes sur les transactions financières.
Inegalites.fr : Une réforme de la fiscalité du patrimoine et un retour à la taxation du patrimoine (héritage, fortune) ne sont-ils pas prioritaires sur la réforme de la fiscalité des revenus ?
La partie la moins bien conçue de notre système fiscal concerne vraiment la fiscalité des revenus.
Concernant l’impôt sur le patrimoine, on entend beaucoup de critiques purement idéologiques au sujet de notre impôt sur la fortune. En vérité, il est beaucoup plus moderne que l’autre grand impôt sur le patrimoine, qui existe dans tous les pays, et qui est la taxe foncière, que toutes les personnes possédant un appartement ou une maison paient.
Par exemple, la taxe foncière est basée sur des valeurs cadastrales qui n’ont pas été revues depuis quarante ans et qui peuvent varier de façon arbitraire suivant les communes.
L’impôt sur la fortune a au moins le mérite de se baser sur les valeurs de marché au 1er janvier, ce qui est plus juste et plus transparent.
Autre exemple : l’impôt sur la fortune autorise la déduction des emprunts immobiliers. Si vous possédez un appartement d’un million d’euros mais que vous avez sur le dos un emprunt de 800 000 euros, vous ne possédez aux yeux de l’ISF que 200 000 euros, et ne payez évidemment pas l’impôt. En revanche, la taxe foncière fait payer aussi ceux qui n’ont aucun emprunt immobilier que ceux qui en ont un.
Bref, supprimer l’impôt sur la fortune pour se retrouver avec une taxe foncière beaucoup plus injuste et de plus en plus lourde, comme cela se passe dans beaucoup de pays voisins, est une mauvaise idée. Il faudrait au contraire rapprocher la taxe foncière de l’impôt sur la fortune, en la basant sur les valeurs de marché, en autorisant la déduction des emprunts, etc.
J-Mich : M. Sarkozy veut taxer plus les revenus du patrimoine que la détention du patrimoine. Est-ce que cela ne revient pas à privilégier la rente ? Est-ce que c’est de ça que l’on a besoin ? Que préconisez-vous ?
Les patrimoines ne se sont jamais aussi bien portés en France qu’aujourd’hui.
Il faut remonter à la Belle Epoque, un siècle en arrière, pour retrouver des niveaux de patrimoine comparés au revenu aussi élevés qu’aujourd’hui.
Les revenus, en revanche, et en particulier les salaires, ont stagné au cours des trente dernières années. La priorité absolue de toute réforme fiscale doit donc être d’alléger les prélèvements pesant sur le travail, et certainement pas de réduire la maigre fiscalité du patrimoine.
En pleine crise des finances publiques, choisir de faire un chèque de 4 milliards d’euros aux contribuables de l’ISF, qui sont parmi les 1 % les plus fortunés de France, est totalement aberrant. Personne à droite n’y songeait il y a un an. La seule raison pour laquelle on se retrouve aujourd’hui avec cet agenda fiscal délirant est que le président en place n’est pas capable de reconnaître qu’il a fait une bêtise avec le bouclier fiscal. Point barre.
Christian M : Quel rôle de redistribution l’impôt sur la succession conserve-t-il et faut-il également le réformer ?
L’impôt sur les successions joue un rôle fondamental pour éviter que ne se reconstitue une société de rentiers.
En même temps, il est légitime que les petits patrimoines – de l’ordre de 200 000 ou 300 000 euros – puissent être transmis avec des droits de succession faibles ou nuls.
Le problème, c’est que le niveau des abattements n’avait pratiquement pas été revu de 1984 à 2007. A l’avenir, il faudra reprendre l’ensemble du barème et les revoir plus régulièrement.