Articles du Vendredi : Sélection du 31 mai 2024

Climat : l’objectif de 100 milliards de dollars pour les pays du Sud a enfin été atteint et largement dépassé
Audrey Garric
www.lemonde.fr/planete/article/2024/05/29/climat-l-objectif-de-100-milliards-de-dollars-pour-les-pays-du-sud-a-enfin-ete-atteint-et-largement-depasse_6236192_3244.html

Les pays développés ont mobilisé 116 milliards de dollars en 2022, soit une hausse de 30 % en un an, un record, selon l’OCDE. Ils tiennent ainsi avec deux ans de retard une vieille promesse, devenue un moteur de l’action climatique.

C’est une promesse de longue date dans les négociations climatiques qui est enfin tenue : un symbole devenu la base de la confiance entre pays du Nord et du Sud et un moteur de l’action en faveur du climat. Les pays développés ont pour la première fois atteint et dépassé leur objectif de mobiliser 100 milliards de dollars (92 milliards d’euros) par an pour aider les pays en développement à diminuer leurs émissions et à faire face au dérèglement climatique. Ils ont fourni près de 116 milliards de dollars en 2022, selon les dernières données disponibles publiées mercredi 29 mai par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Cet engagement avait été pris en 2009 à Copenhague et aurait dû être respecté en 2020 au plus tard. Ces retards et la faible progression des financements climat au fur et à mesure des années ont fini par empoisonner les relations entre Nord et Sud et par freiner les négociations climatiques. Les pays en développement l’ont martelé : cette promesse ne relève pas de la charité mais d’une dette morale. Les pays riches, historiquement responsables du dérèglement climatique, doivent aider les plus pauvres, qui polluent peu mais paient le plus lourd tribut, selon un principe fondamental des négociations climatiques depuis trente ans.

« L’objectif des 100 milliards est atteint avec deux ans de retard, mais un an plus tôt que nos projections », note l’OCDE. La somme est en outre bien plus élevée qu’anticipé, en raison d’une hausse de 30 % des financements entre 2021 et 2022, un record. « C’est une très bonne nouvelle. On espère que cela permettra de débloquer les négociations climatiques actuelles sur les financements », explique Raphaël Jachnik, expert en finance climat à l’OCDE.

Les Etats ont commencé à négocier un nouvel objectif mondial de financement, qui remplacera, à partir de 2025, la somme des 100 milliards, largement insuffisante. Ces négociations, très tendues, seront au cœur de la conférence climat (COP29) de Bakou, en Azerbaïdjan, en novembre. « Pour tenir nos objectifs climatiques, cet élan doit être maintenu jusqu’à 2025, et ensuite accéléré », estime Lola Vallejo, conseillère spéciale climat au sein de l’Institut du développement durable et des relations internationales.

Encore insuffisant

Dans le détail, en 2022, les financements publics ont compté pour près de 80 % de l’enveloppe globale, avec près de 92 milliards de dollars. Les financements multilatéraux, tirés par les banques de développement, sont ceux qui ont connu la plus forte croissance depuis le début des comptages en 2013 (+ 226 %), tandis que les financements bilatéraux (ceux des pays) ont progressé de 82 % sur la période. Les financements privés se sont également fortement améliorés pour atteindre près de 22 milliards en 2022 (+ 52 % par rapport à 2021), après plusieurs années de relative stagnation. Les pays à revenu intermédiaire inférieur sont les premiers bénéficiaires de ces fonds publics et privés, tandis que les pays les moins avancés et les petits Etats insulaires en développement en ont davantage profité que par le passé.

La finance en faveur de l’adaptation au changement climatique, primordiale pour l’agriculture, l’eau ou l’assainissement des pays du Sud, marque des progrès mais reste insuffisante. Elle atteint 32 milliards de dollars en 2022, plaçant les pays développés à mi-chemin de leur objectif de doubler le financement pour l’adaptation entre 2019 et 2025.

Elle ne représente toutefois que 28 % de l’ensemble des financements climat, contre 60 % consacrés à la baisse des émissions, ce que l’on appelle l’« atténuation », par exemple pour décarboner l’énergie et les transports. Or, l’accord de Paris prévoit un équilibre entre atténuation et adaptation. Les dons restent par ailleurs toujours minoritaires, représentant 28 % des financements publics, contre plus de 69 % pour les prêts.

L’OCDE ne donne pas de détails par pays donateur. Mais, en 2022, certains pays ont annoncé avoir accru leurs efforts, dont la France, l’Italie, l’Allemagne ou les Etats-Unis – on ne sait toutefois pas si les engagements de ces derniers se sont matérialisés. La France a mobilisé 7,6 milliards d’euros (en hausse par rapport à l’objectif de 6 milliards qu’elle s’était fixé), dont 2,6 consacrés à l’adaptation.

« Spirale de l’endettement »

Ces chiffres constituent la référence en matière de financement et permettent de mesurer les évolutions d’une année sur l’autre. Ils sont toutefois régulièrement remis en cause par certains pays en développement, qui assurent qu’ils ne voient pas les sommes arriver. L’an dernier, Oxfam avait également estimé qu’en 2020 l’aide réelle était trois fois inférieure à celle qui avait été annoncée. Selon l’ONG, une grande partie de ces financements incluait des projets qui ne vont pas entièrement au climat, de l’aide au développement redirigée et des prêts parfois au taux du marché, « ce qui relativise nettement l’effort financier des pays riches et renforce la spirale de l’endettement pour certains pays du Sud », déplore Guillaume Compain, chargé de campagne climat chez Oxfam France.

« On ne peut pas lutter contre le changement climatique avec des dons, rétorque Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement, qui fournit la grande majorité des financements climat de la France. Il en faut pour l’adaptation, mais nous avons besoin de prêts pour financer des infrastructures publiques, des nouvelles chaînes de valeur, pour décarboner au plus vite les économies. »

A l’image des 100 milliards, qui ont donné lieu à de longs bras de fer, la définition du nouvel objectif de financement est particulièrement ardue. Tous s’accordent sur le fait que la facture va fortement grimper, mais les désaccords sont majeurs sur le montant précis, son contenu, et pour savoir qui doit payer. Un groupe de haut niveau sur la finance climatique avait chiffré les besoins des pays en développement – hors Chine – à 2 400 milliards de dollars par an d’ici à 2030, dans un rapport publié en 2022. L’Inde a proposé, de son côté, un nouvel objectif de 1 000 milliards de dollars, une somme rejetée par les pays développés. Ces derniers souhaitent ouvrir la base des contributeurs (établie en 1992), c’est-à-dire pousser les gros pollueurs actuels, comme la Chine ou les pays du Golfe, à participer.

Les ONG, de leur côté, plaident pour que le nouvel objectif soit majoritairement financé par les pays développés et les banques de développement, qu’il soit fourni en grande partie sous forme de dons et qu’il inclue des cibles spécifiques pour l’atténuation, l’adaptation et les « pertes et dommages », les dégâts irréversibles causés par le changement climatique.

Ce nouvel objectif est essentiel pour rebâtir la confiance entre Etats et pour accroître l’ambition. Alors que les Etats doivent revoir à la hausse leurs plans climat d’ici à mars 2025, beaucoup de pays en développement conditionnent ces efforts supplémentaires à l’obtention d’aides plus généreuses. Mi-mai, le président azerbaïdjanais de la COP29, Mukhtar Babayev, avait rappelé à quel point la réduction des émissions et les finances climat sont « deux piliers parallèles qui se renforcent mutuellement ».

Touche pas à ma pelouse ! Pour protéger les insectes, le Royaume-Uni remballe les tondeuses
Laure Van Ruymbeke
https://reporterre.net/Touche-pas-a-ma-pelouse-Pour-proteger-les-insectes-le-Royaume-Uni-remballe-les-tondeuses

Arrêter de tondre les pelouses en mai pour protéger la biodiversité : lancé au Royaume-Uni en 2019, le mouvement « No Mow May » rencontre un succès grandissant auprès des citoyens et des collectivités.

Sur les rives de la Tamise, nichée derrière le Parlement britannique, la partie sud des jardins de la Victoria Tower offre un spectacle inhabituel. Finies les rayures parfaites, l’herbe est haute et désordonnée. Ici et là, pâquerettes et céraistes apparaissent. La pelouse n’est pas tondue depuis trois semaines. Un peu plus loin, même constat dans le St-George Square.

Au milieu d’arbres centenaires, le parc se partage en deux : une pelouse soignée, où se prélassent les promeneurs, et une autre, rebelle, où seuls les chiens osent s’aventurer.

À l’entrée du parc, une affiche indique que le conseil municipal de Westminster participe au « No Mow May » (« Pas de tonte en mai »), « pour favoriser l’apparition de fleurs sauvages dans certains de nos parcs, espaces verts et lotissements, afin d’aider les papillons et les abeilles à prospérer et la nature à s’épanouir ». Cette année, quarante-neuf conseils municipaux jouent le jeu.

Le mouvement au nom anglais accrocheur est né en 2019 à l’initiative de l’association Plantlife. L’idée est simple, surtout pour les apprentis jardiniers : en mai, voire tout au long de l’été, ne rien faire. « Beaucoup de Britanniques pensent que leur pelouse doit être bien tondue et bien rangée, dit Joanne Riggall, responsable de la défense des prairies à Plantlife. Or, lorsque vous tondez en mai, vous coupez les têtes des plantes en fleurs et les empêchez de monter en graine. Ce qui bloque le nectar et le pollen, qui sont une très bonne source de nourriture pour les pollinisateurs et autres insectes. Par ailleurs, en tondant, vous empêchez les plantes sauvages de pousser l’année suivante. Donc notre démarche, c’est amener les gens à penser différemment. Leurs jardins ont un potentiel immense pour la faune et la flore sauvages. »

La situation est alarmante : ces vingt dernières années, la population d’insectes volants a diminué de 60 % au Royaume-Uni. En cinquante ans, plus de la moitié des espèces de plantes à fleurs ont disparu des régions où elles poussaient auparavant. Quant aux prairies, en un siècle, elles ont disparu du paysage britannique à 97 %.

Face à ce constat, la mobilisation s’enracine. En 2023, 7 000 personnes se sont officiellement inscrites sur le site, soit 30 % de plus que l’année précédente, dont les jardins couvraient environ mille hectares, selon Plantlife. Cette année, une carte interactive donne un premier aperçu du nombre de participants par région.

« Des renards et des hérissons nous rendent visite »

Sur les réseaux sociaux, le #NoMowMay devient viral. Des centaines d’internautes partagent des photos de leur jardin en fleurs. Photographe animalier installé près d’Oxford, Paul Colley observe qu’en « laissant la nature pendant un mois, nous avons une petite prairie de fleurs sauvages qui attire des insectes, des oiseaux et des chauves-souris. Des renards et des hérissons nous rendent visite, nous leur laissons toujours de l’eau, voire de la nourriture ».

Avril Broadley, de Whitstable, jardinière, s’inquiète du « déclin massif des pollinisateurs à cause de l’agriculture intensive. Alors, ajoute-t-elle, je construis des haies mortes pour les invertébrés et je laisse pousser l’herbe pour favoriser les fleurs sauvages. » Maëla Derrien, Londonienne, participe au mouvement cette année pour la première fois « par conviction et je l’avoue, par manque de temps ! Je suis ravie de voir des petites fleurs et l’herbe ne pousse pas très vite donc nous pouvons toujours utiliser le jardin ».

Paul Sargeantson, lui, est adepte du « No Mow Summer » (« Pas de tonte l’été ») depuis six ans pour son jardin situé dans la campagne d’Oxford : « Les deux premières années ont donné des résultats impressionnants, et aujourd’hui, j’ai trente espèces différentes de fleurs sur la pelouse et soixante-dix dans la cour. » Ce qui le rend le plus heureux : « Une myriade de papillons de nuit, apparue grâce aux séneçons que j’ai laissés prospérer. »

Toutefois, un bémol selon Paul, la difficulté de la tonte d’automne, qu’il réalise à la faucille et à la faux, ne « supportant pas le bruit de la débroussailleuse ». Contrairement à ses voisins qui tondent tout l’été. « Je me sens jugé car je suis le seul dans le village à adopter cette approche écologique », regrette ce restaurateur du patrimoine.

« Laisser pousser l’herbe signifie constituer un sanctuaire vital pour la faune et les pollinisateurs »

, défend pourtant Jen Roozel qui vit à Bristol. « Dans mon jardin familial, je laisse le sol autour de l’abri et du bac à compost intact afin d’assurer la stabilité de l’habitat des insectes et des petits animaux tout au long de l’année. »

Dans les parcs londoniens, même si la référence au No Mow May n’est pas explicite, de plus en plus d’espaces sont livrés à la nature. Ils sont petits, mais ils existent. À ce rythme, peut-être deviendront-ils la norme dans quelques années. D’autant que le renommé Chelsea Flower Show a de nouveau, cette année, mis à l’honneur le jardin sauvage.

‘ S’il est chic de parler d’écologie populaire, c’est bien l’écologie bourgeoise qui existe socialement ‘

Mickaël Correia
www.mediapart.fr/journal/ecologie/250524/s-il-est-chic-de-parler-d-ecologie-populaire-c-est-bien-l-ecologie-bourgeoise-qui-existe-socialement

 

Dans son nouvel ouvrage, « Écolos, mais pas trop… », le sociologue Jean-Baptiste Comby explore la condition écologique des différentes classes sociales. Un livre utile pour comprendre pourquoi l’écologie n’arrive toujours pas à incarner une force politique vectrice de transformation sociale.

Grèves lycéennes pour le climat, partis écologistes qui remportent les élections municipales dans sept grandes agglomérations françaises en 2020, actions médiatiques du mouvement Extinction Rebellion, succès éditorial des pensées du vivant, émergence des Soulèvements de la Terre… Depuis 2018, nous assistons à une accélération de l’histoire politique de l’écologie. 

Toutefois, si des pans entiers de la population, toutes classes sociales confondues, sont convaincus de l’urgence climatique, la nécessaire transformation écologique de notre société ne s’opère pas.

En s’appuyant sur des enquêtes sociologiques de terrain, Jean-Baptiste Comby, sociologue et maître de conférences à l’université et chercheur au Centre nantais de sociologie, analyse les ressorts de cette inertie dans Écolos, mais pas trop… Les classes sociales face à l’enjeu environnemental, qui vient de paraître aux éditions Raisons d’agir. Le livre est adossé à une conférence gesticulée baptisée « L’écologie sans lutte des classes, c’est du gaspillage ».

En décortiquant la condition écologique des différentes classes sociales, les rapports de domination et les dynamiques de dépossession à l’œuvre dans notre société, cet ouvrage défriche de nombreuses pistes pour comprendre pourquoi, malgré le désastre écologique et les mobilisations grandissantes, le capitalisme résiste et l’écologie peine à devenir une force politique qui renverse l’ordre social.

Mediapart : Vous écrivez que les sciences sociales sont insuffisamment mobilisées pour opérer la nécessaire transformation écologique de notre société. Quelles « matières premières » vous ont servi à la rédaction de votre livre ?

Jean-Baptiste Comby : Mon livre puise d’abord dans les matériaux empiriques obtenus en menant des enquêtes scientifiques qui étudient comment, en différents endroits de l’espace social, les individus se positionnent sur la question écologique. Il se nourrit ensuite des nombreux travaux qui analysent au long cours la formation et l’organisation des différentes classes sociales.

Un résultat inattendu et important des enquêtes exposées dans ce livre est que les classes sociales sont sincèrement préoccupées par le désastre environnemental, mais que cette préoccupation est limitée, voire contrecarrée par les manières conventionnelles de s’intégrer et de s’élever socialement.

Une sorte d’accord implicite s’est installé autour de l’urgence de transformer nos sociétés, mais sans que l’on explicite de quoi sont faites ces sociétés à transformer… C’est justement à cet endroit que les sciences du social me semblent devoir être au cœur du projet écologique, car elles aident à comprendre les mécanismes de modification ou de conservation des sociétés.

Elles montrent que les inégalités entre individus sont le produit des rapports de force entre des groupes sociaux qui luttent pour établir des hiérarchies favorables à leurs intérêts. Or, ce qui est remarquable avec la question écologique, c’est qu’elle implique de renverser cette table des hiérarchies sociales : la vitesse, l’accumulation matérielle, la compétitivité, le mérite, l’hypermobilité, bref, toutes les valeurs cardinales de l’ordre établi devraient devenir marginales dans une société écologique.

Pour engager une transformation de la société à la hauteur de l’urgence environnementale, il me paraît donc nécessaire de faire un état des lieux sans concession des rapports de classe sur le terrain écologique.

Vous écrivez dans un premier temps que si « l’écologie non capitaliste » fait face à une criminalisation croissante, son impuissance est aussi due au fait que des fractions des classes bourgeoises se réapproprient cette écologie critique sans pour autant la légitimer… Vous parlez même à ce propos d’« équilibristes du capitalisme vert ». Pourquoi cette expression ?

J’ai utilisé cette expression pour décrire les militants écologistes qui postulent que l’écologisation peut être orchestrée par ceux qui détiennent le pouvoir, qu’elle peut être menée secteur par secteur et qu’elle doit être progressive.

Hégémonique depuis les années 1990, cette frange réformatrice du mouvement écologiste s’est retrouvée contestée au cours des années 2010 par des organisations écologistes franchement hostiles aux logiques liées à l’accumulation illimitée des profits. Ces dernières avancent sur les deux jambes de la critique, l’une qui explore les manières non capitalistes de faire société et l’autre, combative, qui s’oppose aux projets écocidaires.

Et ce que j’ai observé, c’est un intérêt sincère des écologistes réformateurs pour les expérimentations des militants non capitalistes. Les uns et les autres sont à la fois proches et éloignés. Leurs façons de vivre ou leurs orientations politiques sont très différentes, mais ils partagent un certain nombre de références communes, et les premiers ne rencontrent ainsi pas trop de difficultés à se réapproprier un certain nombre d’idées et de pratiques explorées par les seconds.

Ceux-ci sont persuadés de bien faire et ils n’agissent pas dans le but de dépouiller la critique. Mais le fait est que toute leur histoire sociale les conduit à l’anesthésier en s’en saisissant. Je me suis demandé comment ces militants parvenaient à tenir ainsi en équilibre, un pied dans la critique écologique et l’autre dans le capitalisme vert. D’où cette expression.

Pourquoi ces « écologistes réformateurs », qui privilégient l’écologisation du quotidien, cherchent-ils autant à se démarquer de l’activisme radical ?

Parce que tout ce qui les constitue socialement – leur éducation familiale, leur parcours scolaire, leur sociabilité amicale ou leur situation professionnelle – les empêche de se revendiquer de l’activisme. 

L’ethnographie menée auprès d’eux montre qu’ils font déjà tout ce qui leur est socialement possible. En particulier, beaucoup réorientent leur carrière professionnelle vers les nouvelles économies du capitalisme vert et les métiers qui participent à sa légitimation (communication, culture, finance verte, économie sociale et solidaire, etc.).

Pourquoi le mouvement écologiste recrute-t-il essentiellement au sein des classes bourgeoises ?

Je vois au moins deux raisons à cela. La première est que le militantisme écologiste se manifeste par l’adoption de styles de vie qui entrent en résonance avec ceux valorisés sur le versant culturel des classes moyennes et supérieures. 

La seconde raison est donc que le mouvement écologiste étant animé par des personnes fortement dotées scolairement, il favorise un répertoire d’actions qui séduit plutôt ce versant culturel des classes sociales.

D’un autre côté, pour la bourgeoisie dite économique, l’écologie est aussi selon vous une « occasion de s’ouvrir à des normes morales émergentes »…

Si, depuis le mouvement des gilets jaunes, il est devenu chic de parler d’écologie populaire, le livre montre que c’est bien une écologie bourgeoise qui existe socialement.

Et cela d’autant plus que les données montrent que cette écologie édictée par les dominants vient renforcer la proximité idéologique entre les différentes fractions de la bourgeoisie. Contrairement aux idées reçues, la bourgeoisie économique (par exemple les professions libérales, les cadres supérieurs du privé, etc.) se montre elle aussi écologiquement impliquée et appliquée. Elle fait aisément son beurre des écotaxes, des voitures hybrides, des écogîtes luxueux et autres offres du capitalisme vert.

Finalement, pour les classes dominantes, il s’agit de ne pas être trop écolo…

Dans la plupart des classes sociales, les individus sont volontiers écolos, mais pas trop. Simplement, les logiques du « mais pas trop » sont différentes d’un groupe à un autre.

Au sein des classes populaires, les individus ne peuvent en faire plus parce qu’ils polluent déjà peu et doivent composer avec des contraintes matérielles.

Au sein de la bourgeoisie, les marges de manœuvre sont limitées par des manières d’être qui sont propres aux classes dominantes. En faire trop ou trop peu en matière environnementale devient vite un stigmate.

 

 

Au sein de ces milieux très favorisés, il convient de se comporter raisonnablement et de veiller à l’équilibre de ses propos comme de ses agissements. Modération, pondération et compensation sont trois principes qui structurent la manière dont les dominants se positionnent sur l’enjeu écologique.

Le dépassement des contraires et des contradictions par la nuance, le juste milieu sont valorisés car ils incarnent des traits moraux typiques de la bourgeoisie. C’est pourquoi les dominants sont incapables de mettre en œuvre les bouleversements sociaux systémiques dont nous avons tant besoin aujourd’hui.

Le capitalisme vert est ce qu’ils ont de mieux à proposer, et donc il me semble vain de les condamner moralement ou de chercher à les réorienter. La seule issue est de les mettre hors d’état de nuire en leur ôtant le pouvoir considérable qui est le leur : celui d’éteindre non pas la lumière, mais la vie sur Terre.

Toutefois, c’est cette bourgeoisie qui investit en grand nombre les lieux de vie alternatifs et les formes de vie centrées sur l’autonomie en milieu rural, non ?

Effectivement, certains membres de la bourgeoisie culturelle (des cadres de la fonction publique, des professeurs, etc.) et plus encore de la petite bourgeoisie culturelle (des métiers intermédiaires de la santé ou du social, des enseignants du primaire, etc.) parviennent à reconfigurer leur existence sociale pour devenir profondément écologistes.

Avec le capitalisme vert, les dominants font carton plein, mais pour les dominés, c’est la double peine au carré.

Souvent qualifiés de « néoruraux », ils sont d’ailleurs très visibles médiatiquement parce que leurs parcours atypiques intriguent et parce qu’ils savent se mettre publiquement en avant. Mais cet éclairage médiatique masque leur faible surface sociale. Ils sont statistiquement peu nombreux et peu probables.

Leur examen sociologique n’en reste pas moins très instructif. Ces individus montrent que l’emprise du capitalisme sur nos vies n’est pas une fatalité. Ils préfigurent des manières écologiques de faire société. Les travaux de Geneviève Pruvost signalent d’ailleurs que les cheminements vers l’alternative écologique radicale sont lents, longs et collectifs.

Concernant les classes populaires, vous dites qu’elles se sont fait « déposséder » de leur rapport à l’environnement. Pourquoi ?

Avec le capitalisme vert, les dominants font carton plein, mais pour les dominés, c’est la double peine au carré. Ils polluent globalement moins mais souffrent généralement plus, car ils sont plus exposés aux nuisances environnementales et exclus des espaces naturels convoités.

Ils ne tirent aucun profit de cette écologie moralisante, high-tech et financiarisée, mais sont systématiquement mis à l’amende fiscale et morale. Ils sont tenus à distance des lieux où s’élaborent les récits et dispositifs écologiques dont je constate qu’ils ont pour effet, dernière et principale peine, d’accentuer la fragmentation qui frappe ce groupe social.

Ces différentes facettes de l’injustice environnementale ont comme socle commun la dépossession écologique des classes populaires. Elles n’ont pas voix au chapitre et leur rapport spécifique à l’enjeu écologique est passé sous silence.

Vous dites que les écologistes s’évertuent à prêcher une sorte de « catéchisme vert », exerçant par là même un rapport de domination…

À ce stade, je repère au moins deux modes de domination sur le terrain environnemental. Le premier est assez élémentaire : il s’agit de disqualifier les manières d’être au monde qui ne se montreraient pas assez « écovertueuses », mais aussi celles qui le seraient excessivement. Le second est plus complexe : il s’agit de garder la main sur les formes et les rythmes d’écologisation.

Ces deux types de domination, offensif par dévalorisation sociale ou défensif par maîtrise du changement, se rejoignent dans un certain nombre d’initiatives cherchant à amener les classes populaires sur le terrain écologique. Mais sans se demander s’il s’agit de jouer chez l’adversaire ou à domicile et avec ses propres règles.

 

 

Plutôt que d’aider les classes populaires à réparer elles-mêmes leurs ustensiles ou à cuisiner des graines, ce qu’en général elles savent déjà très bien faire, ne faudrait-il pas mener un travail politique animé par le souci d’une reprise en main par les dominés eux-mêmes de leurs conditions de travail, de logement, d’éducation ou d’accès aux soins ?

Les classes populaires sont-elles sensibles à la question écologique ?

Elles le sont. Mais différemment selon les régions des mondes populaires. Ce que j’explique dans le bouquin, c’est que contrairement à ce qui se passe en haut de l’échelle sociale, les différences sont cette fois converties en clivages et en concurrences.

Une partie des classes populaires, celle qui mise sur la culture pour s’élever socialement (comme les employés de la fonction publique ou des services à la personne), peut faire valoir une forme d’« écocitoyennisme du pauvre » et ainsi se démarquer d’une frange de cette catégorie sociale qui privilégie la réussite consumériste (par exemple les employés de commerce, les petits artisans ou les agents de police).

Faire de l’écologie une force politique suppose que tous les moyens dépensés pour écologiser les modes de vie soient redirigés vers la conflictualité sociale.

Finalement, plus on descend l’échelle sociale, plus l’écologie divise. Le premier à avoir décrit cette logique a été Joseph Cacciari, qui a montré comment la reconversion des mines de Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône, avait eu pour effet la dévalorisation professionnelle et politique des mineurs au profit d’une autre fraction des classes populaires, celle de petits artisans boostés par l’arrivée des énergies renouvelables ou des nouveaux matériaux d’isolation.

Que faire alors pour faire émerger une « conscience environnementale de classe » ?

Il faut considérer l’écologie comme une question de pouvoir : qui a le pouvoir de faire quoi ? Comment prendre le pouvoir aux élites qui le détiennent ? Probablement en s’organisant pour élaborer une alliance de classe ayant l’écologie comme levier et comme boussole.

Une conséquence politique qui peut être tirée des enquêtes exposées dans le livre, c’est qu’une alliance entre le versant culturel de la petite bourgeoisie et une large partie des classes populaires est possible.

Du côté des mondes populaires, cette alliance de classe suppose de combattre les fractures qui les plombent en leur redonnant, à partir d’autres batailles écologiques, du pouvoir collectif et une fierté de classe.

Du côté de la petite bourgeoisie culturelle, un travail militant pour politiser et détourner sa frange majoritaire des sirènes du capitalisme vert doit être entrepris.

Faire de l’écologie une force politique suppose que tous les moyens dépensés pour écologiser les modes de vie soient redirigés vers la conflictualité sociale. Si toutes les personnes convaincues de l’urgence écologique passaient plus de temps à s’engager contre toutes les logiques concurrentielles au fondement de l’ordre établi, on peut imaginer que le rapport de force prendrait une tournure différente.

Construire une alliance de classe, c’est bâtir un projet qui ne dirait pas, comme les professionnels de la politique nous y ont habitués, ce qu’il faut faire mais ce qu’il faut défaire pour ensuite pouvoir faire autrement, ensemble et démocratiquement.

Marshall uharteetan, elkarlana dute itsasoaren igoerari egokitzeko planen oinarrian

Nicolas Goñi
www.argia.eus/argia-astekaria

Ozeano Barean, atoloi apalez osatuak, Marshall uharteak dira klima aldaketaren aurrean herrialde hauskorrenetakoak, itsas mailaren gorakadak zuzenki mehatxatzen dituelako. Bertako gobernuak egokitze plan sakon eta zehatz bat martxan jarri du, biztanleekin elkarlanean, behetik gorako plana eraikitzeko asmoz. Honen arrakasta neurri handi batean nazioarteko laguntzaren menpekoa da, hori gabe ezingo luketelako gauzatu. Hala eta guztiz ere, mundu mailan eredugarria izango litzatekeen egokitze eredu bat sortzea dute helburu.

Ozeano Barean kokatzen dira Marshall uharteak, Papua Ginea Berria eta Hawaii uharteen arteko erdibidean, bortz uharte eta 29 atoloi estuz osaturik, itsas mailatik metro gutira.

Estatu honen azaleraren %99.96 ozeanoak osatzen du –munduko ozeano proportziorik handiena–, 181 km2 lur azalera baizik ez dituelarik (Irun, Lesaka, Bera eta Urruña elkartuz gero, azalera handiagoa genuke). Atoloi populatuetarik txikienetan bide bat eta etxe lerro bat baizik ez dituzte eraiki, estutasunagatik.

Prekarioa dirudien geografia honetan 42.000 pertsona bizi dira, eta  aurretik, gaur egungo marshalldarren aitzinekoak 3.200 urtez bizi izan dira, bertan laborantza (taro, ogi-zuhaitz, kokondo eta palmondoa) eta arrantza garatuz, nabigazio sistema konplexuekin. Uharteak begiztatu zituen lehen europarra Alonso Salazar bizkaitarra izan zen, eta ondorengo esploratzaileetariko bat Miguel Lopez Legazpi, hortik mendebaldera kokaturiko Filipinak kolonizatzen hasi zena. Marshall uharteen kolonizazioa bera XIX. mendean hasi zen, Britainia Handiak eta Alemaniak beraien artean adostu zutelarik munduko puska hori Alemaniaren esku geratuko zela. XX. mende hasieran Japoniak bereganatu zituen, eta 1946an AEBek –ordutik 1958ra 67 bonba nuklearren probak egin zituztelarik, ARGIAren 2468 aleko Marshall Uharteak bonba atomikoen debekua eskatzen erreportajean Pello Zubiriak azaldu bezala–.

Finean, potentzia militar handiekin topatzeak ez zien marshalldarrei onura askorik ekarri: XIX. mendean gripea, elgorria, sifilisa, sukar tifoidea eta alkoholismoa, XX. mendean Bigarren Mundu Gerraren albo kalteak eta proba nuklearren ondorengo eritasunak. Nuclear Claims auzitegiak hala erabakiz, AEBek zor dizkien 2.000 milioiak ez dituzte oraindik osorik eskuratu, ezta hurrik eman ere. Egoera hori aski zaila ez balitz, azken urteotan klima aldaketaren eraginak gehitzen zaizkie. Lehorteak eta itsas mailaren igoera azkarrak bertako jarduerak oztopatzen dituzte, batez ere atoloi urrunenetan. Laborantzaren oso menpekoak izanik, nola biziraunarazi daitezke zuhaitzak atzera egiten duten lurretan eta euri eskasean?

Komunitatea, egokitzapenaren oinarri

Bertako gobernua halere ez da hondamendi horien aurrean ezer egin gabe gelditzen. Hain zuzen ere, garatu duten egokitze plana hainbat adituk txalotu dute. Columbia unibertsitateko zuzenbide irakaslea den eta klima aldaketari egokitzapen politiketan aditua den Michael Gerrardek ikusi izan duen egokitze plan “zehatzenetarikoa” da, “sakona” eta “arretazkoa” iduritzen zaiona. Dioenez, planak ez ditu, beste askok bezala, kezkak adierazten ekintzarik martxan ezarri gabe. Ez, erabakitze prozesu sistematiko eta sakona abiatzeko plana da marshalldarrena. Planak garatuz joan ahala, populazioaren %3 baino gehiago elkarrizketatu zituen gobernuak 123 egunez, 24 uharte eta atoloi bisitatuz. Gaurko egunez, komunitatearen parte hartzea martxan ezarri duen egokitze plan nazional bakarra Karibeko Santa Luzia irlakoa da, baina 100 pertsona baizik ez dituzte elkarrizketatu bertan.

Kathy Jetn̄il-Kijiner olerkari eta aktibista marshalldarra da, eta elkarrizketa horietan parte hartu zuen. Grist hedabideari azaldu zioenez, aldaketa erraldoiak egitera doaz beren uharteetan, eta horrek ezin du funtzionatu gobernuaren erabaki unilaterala baldin bada: komunitatetik bertatik etorri behar da, komunitateak dituelako eraginak pairatuko. Bai, demokrazia existitzen da mundu honetan nonbait.

Elkarrizketatu dituzten marshalldarren ia erdiak itsas mailaren igoera nabaritu dutela diote, eta ia laurdenak ur edangarri eskasa pairatu dutela. %20 baino gehiagok diote klima aldaketak beren elikadura ziurtasuna mehatxatzen duela. Iparreko uharteetan egoera bereziki gogorra da. Wotho atoloia luzaz izan da uharteen janari ekoizpen gune nagusietakoa; gaur egun, aldiz, putzuek ur gazia ematen dute, eta lur gazituan hazten diren zuhaitzek fruitu ustelak. Koral zurituetatik arrainak joan dira, itsasgoran ura hainbat etxetara sartzen da, eta ekaitz bakoitzean bidea urpetua da. Hori hasiera baizik ez da: balizko klima ibilbide baikorrenetan ere itsas mailaren igoera 60 zentimetrokoa izan daiteke mende bukaera baino lehen. Bertan ur gezarik eskuratu ezinean edota betiereko itsas uholdeetan bizi beharrean, milaka herritarrek beharko lituzkete uharteak utzi.

“Hemen gara hilko”

Nahiz eta aurreikuspenak ilunak izan, elkarrizketaturikoek ez dute bertatik ihes egitea lehenesten: %99ak baztertzen du aukera. Batek esplizituki dio, “hemen gara hilko”. Elkarrizketatzaileetariko batek espero du bere etxea bera zendu arte zutik irautea, inoiz ez bilakatzea klima errefuxiatu, eta marshalldarrek luzarako jarraitzea beren uharteetan burujabe.

Aterabide gisa lehenetsitako aukerak dira kostaren babesa, naturan oinarrituko baliabideen erabilpena –adibidez ekaitzen eragina leuntzeko– , ur gezaren erabileraren hobetzea eta lurralde antolaketa.

Egokitze aukera guzi horiek elementu amankomuna dute: finantziazioa. Hots, nazioarteko laguntzarik gabe, nekez lortuko dute marshalldarrek: 35.000 milioi dolar beharko lituzkete, hau da, biztanle bakoitzeko 730.000 dolar. Gai hori datozen COP guzien agendan egonen da, eta ez bakarrik 48.000 biztanleko nazio txiki honi dagokionez. Gobernuko klimari buruzko delegatu Tina Stegek COP bat baino gehiagotan azaldu bezala, hainbat eskualdeentzat egokitzeak diferentzia markatzen badu egoera txarra eta txarragoaren artean, Marshall uharteentzat biziraupenaren eta desagerpenaren artekoa da aldea. Kathy Jetn̄il-Kijinerrek dioenez, bertako lurraldea ahalik eta hoberen babesteaz gain, egokitze planentzako eredu bat ezartzea dute helburu, eta hori komunitatearekiko engaiamenduari eta egokitzapena behetik eraikitzeko borondateari dagokionez.

Marshall uharteetako lema Jepilpilin ke ejukaan da: Ahalegin bateratuari esker lorturikoa. Euskal herritarroi ez zaigu arrotz egiten. Eredu honengatik ere dira ahalik eta hoberen babestu behar. Eta atoloi guziak salbatzen ez badugu lortzen ere, behintzat eredu horren zabalpenean lagundu dezagun.