Rhétorique de la ‘ prise de conscience ‘ climatique
Jean-Baptiste Fressoz Historien, chercheur au CNRS
www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/28/climat-le-probleme-de-la-prise-de-conscience-c-est-qu-elle-est-proclamee-depuis-trop-longtemps-pour-encore-servir_6078322_3232.html
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Climat : « Le problème de la “prise de conscience”, c’est qu’elle est proclamée depuis trop longtemps pour encore servir. Le succès de l’expression « prise de conscience » repose sur une fausse évidence : la crise environnementale serait due à un manque qu’il faudrait combler et non à un ordre économique à réformer, explique l’historien Jean-Baptiste Fressoz dans sa chronique au « Monde ».
Malgré les décennies qui passent, la « prise de conscience environnementale » est toujours présentée comme récente. Patrick Pouyanné, PDG de Total, affirmait, le 9 février, que l’année écoulée aura été celle de « la prise de conscience de la fragilité de la planète ». Il avait tenu des propos similaires en 2015.
La ficelle est grosse : prendre conscience maintenant pour se dédouaner du passé. Elle correspond à un cliché très prisé : les mêmes journaux qui célèbrent 2020 comme « l’année de la prise de conscience », avaient déjà attribué cette épithète à 2018 (canicule), à 2015 (COP de Paris) ou encore à 2011 (Fukushima). En 1970 déjà, le Congrès américain affirmait que la décennie qui s’ouvrait serait celle de la « prise de conscience ». On retrouve ce trope après chaque catastrophe depuis près de deux siècles.
Dans les enquêtes d’opinion, c’est plutôt la stabilité qui frappe. Selon l’institut Gallup, 65 % des Américains pensent que l’environnement devrait primer sur l’économie ; ils étaient 69 % en 1990. En Europe, 64 % déclaraient que la protection de l’environnement était un sujet « très important » en 2007, et 53 % en 2019.
L’hypothèse sous-jacente à la « prise de conscience » étant un état préalable d’inconscience, sa répétition confine à l’absurde…
Le succès de cette expression repose sur une fausse évidence : la crise climatique serait due à un manque qu’il faudrait combler et non à un ordre économique à réformer.
Depuis longtemps, le mouvement conservationniste explique qu’il faut inculquer une « conscience écologique » au peuple. C’est le forestier Aldo Leopold (1887-1948), figure fondatrice de l’environnementalisme américain, qui développe le plus clairement cette idée. Pour lui, la crise environnementale est avant tout une affaire d’éthique : les paysans dégradent le sol à cause d’un déficit de « conscience écologique », « d’éthique de la terre », et non de logiques économiques.
La nature de la « prise de conscience » se modifie avec le temps, mais non l’idée qu’elle provienne de l’extérieur. On le voit à travers la figure de l’explorateur éveilleur de conscience qui se perpétue, de Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814) à Nicolas Hulot. Et à travers le thème de la Terre vue de l’espace : les premières photos deviennent les icônes de la prise de conscience, brandies lors du Earth Day de 1970 (« Journée de la Terre »). En allant sur la Lune, les astronautes auraient découvert la Terre. Dix ans plus tard, le chimiste James Lovelock mettait en scène ce retournement sublime : en étudiant la possibilité de la vie sur Mars, il aurait découvert Gaïa, la terre vivante capable de s’autoréguler. La prise de conscience se gonfle en révolution cosmologique. En 1987, l’écrivain américain Frank White forge l’expression d’« overview effect » : la vision de la Terre depuis l’espace représenterait un tel choc qu’elle transformerait chaque astronaute (souvent d’anciens pilotes de chasse au bilan carbone apocalyptique) en parfait écologiste.
Mises à jour régulières
Que ces discours recyclent de vieilles idées – Le Songe de Scipion, de Cicéron, la théorie de la Terre vivante de la cosmologie européenne depuis Kepler, l’autorégulation du globe étudiée depuis le XIXe siècle – importe peu. Ce qui compte, c’est que le sentiment de nouveauté soit entretenu. Des mises à jour ont donc régulièrement lieu (par exemple : après Gaïa, l’anthropocène) qui redonnent une certaine fraîcheur au thème et relancent un cycle d’affirmations tonitruantes et gratifiantes.
Ce « phasisme » possède un intérêt rhétorique évident : l’époque n’aurait pas encore trouvé sa philosophie. Pour beaucoup d’intellectuels, une « exception contemporaine » s’est substituée à l’exception européenne, l’ethnocentrisme a cédé la place au chrono-centrisme.
Chaque époque est singulière, et il est donc naturel que chacune pense sa singularité. Le problème est que la prise de conscience est proclamée depuis trop longtemps pour pouvoir encore servir à cette fin. Elle est devenue une antienne : au mieux une incantation, au pire une absolution au service des pollueurs.
Total et Polytechnique : Patrick Pouyanné visé par une plainte pour prise illégale d’intérêts
Greenpace
www.greenpeace.fr/espace-presse/total-et-polytechnique-patrick-pouyanne-vise-par-une-plainte-pour-prise-illegale-dinterets/
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Le 22 avril 2021, Greenpeace France, Anticor et l’association d’anciens élèves de l’École polytechnique la Sphinx, ont déposé plainte contre Monsieur Patrick Pouyanné, PDG de Total, et contre X, pour des faits susceptibles de constituer le délit de prise illégale d’intérêts auprès du Parquet de Paris. Les éléments recueillis donnent à penser qu’il aurait profité de sa fonction de membre du conseil d’administration de l’École polytechnique en intervenant, au nom de Total, dans le processus décisionnel ayant abouti à l’accord final donné par le conseil d’administration de l’École pour l’implantation, au coeur de son campus, d’un centre de recherche et d’innovation de l’entreprise Total dont il est le PDG.
Depuis plus d’un an, des étudiants et anciens élèves de l’École polytechnique se mobilisent contre le projet d’implantation d’un centre de recherche de Total au cœur du campus de l’établissement public d’enseignement et de recherche qui a vocation à former des décideurs pour la haute administration publique. Ce bâtiment de plus de 12 000 mètres carrés devrait accueillir plusieurs centaines d’employés de l’entreprise, à quelques centaines de mètres des logements des élèves et des bâtiments d’enseignement.
Ce projet a fait l’objet de plusieurs manifestations d’opposition, tant de la part de professeurs que d’anciens étudiants et de Greenpeace France qui dénoncent une tentative d’intrusion du géant pétrolier au sein de la prestigieuse école alors que le processus décisionnel manque de transparence. « La plainte devra permettre de faire la lumière sur un possible détournement des intérêts d’une institution publique pour des intérêts privés, ceux de Patrick Pouyanné et de Total », commente Matthieu Lequesne, porte-parole de la Sphinx.
En amont du Conseil d’administration du 25 juin 2020, qui devait se réunir pour un accord final concernant le centre, la Sphinx avait pourtant transmis une note juridique aux administrateurs afin de les alerter des différents risques juridiques entourant le processus.
Une tribune au sein du conseil d’administration pour Patrick Pouyanné
Dans ce dossier, le processus et l’agenda de validation du projet interpellent :
- Le 21 juin 2018, le Conseil d’administration de Polytechnique (établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel) donne un premier accord de principe pour un projet d’implantation d’un centre de recherche et de développement Total au sein du campus même de l’École. Il est alors prévu que le centre héberge des équipes recherche et développement de l’entreprise, mais également un espace d’accueil pour des étudiants et des chercheurs de l’École.
- Le 20 septembre 2018, Patrick Pouyanné, PDG de Total, est nommé membre du Conseil d’administration de Polytechnique, alors que les éléments du projet de partenariat entre l’établissement public et la major du pétrole sont en cours de définition.
- Entre septembre 2018 et le 25 juin 2020, date à laquelle l’accord final est donné pour l’implantation du centre Total par le Conseil d’administration, Patrick Pouyanné était donc investi d’une mission de service public, en charge de l’administration de l’École polytechnique avec un pouvoir décisionnaire. Aucune procédure parmi celles pouvant être prévues dans les établissements publics en cas de risques de conflits d’intérêt n’est alors mise en place concernant les délibérations relatives au projet de centre.
- Durant son mandat, Patrick Pouyanné a pris la parole en Conseil d’administration au nom de Total pour exprimer l’avis de l’entreprise sur le projet et des préférences très nettes concernant l’emplacement, la rapidité de réalisation, et le refus d’abandon du projet malgré la contestation par des étudiants et des professeurs. L’une de ces prises de paroles a eu lieu avant une décision décisive concernant le projet.
- Finalement, le 25 juin 2020, le Conseil d’Administration a donné un accord final à l’implantation du centre Total au coeur du campus de l’École. Le lieu d’implantation finalement retenu correspond, avec un léger déport, au choix favorisé par Patrick Pouyanné lorsqu’il s’est exprimé au nom de Total. Le nouvel emplacement se trouve à 250 mètres de l’emplacement initial.
Ces faits sont susceptibles d’être qualifiés de prise illégale d’intérêts de la part de Patrick Pouyanné, délit dont certains administrateurs de l’École pourraient, par ailleurs, être suspectés de complicité [1].
Par ailleurs, une requête en annulation de la délibération du 25 juin 2020 a été déposée par la Sphinx le 30 septembre 2020. Ce recours est en cours d’instruction devant le Tribunal administratif de Versailles.
Pour Edina Ifticène, chargée de campagne pétrole chez Greenpeace France « Nul doute que Patrick Pouyanné, en tant que PDG de Total, avait un intérêt dans l’aboutissement de ce projet qui permettrait au groupe de s’installer pendant 50 ans au cœur du campus. Son intérêt : s’accaparer les cerveaux des décideurs de demain, de ces étudiants de plus en plus réticents à travailler dans le secteur des fossiles et continuer à asseoir l’acceptabilité sociale de son entreprise [2]».
Il appartiendra au Parquet de décider des suites qu’il entend apporter à cette affaire.
[1] La prise illégale d’intérêts suppose qu’une personne en charge d’une mission de service public détienne un intérêt « quelconque » dans un projet qu’elle a tenté d’influencer, cette influence pouvant résulter d’un simple pouvoir d’émettre un avis en vue d’une décision prise par d’autres.
[2] Greenpeace France publie depuis le 31 mars dernier une série documentaire “Emprise Totale” revenant sur la stratégie d’influence, le soft power de Total, notamment au sein des grandes écoles.
Autoroute du GCO : la grande arnaque des mesures compensatoires
Thibault Vetter /strong>
https://reporterre.net/Autoroute-du-GCO-la-grande-arnaque-des-mesures-compensatoires
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Les mesures compensatoires mises en œuvre après l’écocide que constitue l’autoroute de contournement de Strasbourg, construite par Vinci, sont souvent non viables pour la faune ou la flore déplacée, dénoncent des opposants. Et 80 % de la surface aménagée était déjà un milieu naturel.
L’ancienne Zad du Moulin, expulsée le 10 septembre 2018, est à 200 mètres de là. Elle protégeait la forêt centenaire de Kolbsheim (Bas-Rhin). En cet après-midi de la mi-avril 2021, cet écosystème humide est éventré par le monumental chantier du « grand contournement ouest » (GCO) de Strasbourg, un tronçon d’autoroute de 24 kilomètres construit par Vinci, auquel se sont opposés des milliers de personnes, dénonçant ses conséquences environnementales et son inutilité. La disparition de la gagée velue (Gagea villosa), une fleur protégée qui poussait là avant le début du chantier, y a été constatée par Vincent Schmidt, d’Alsace Nature, Michel Dupont, du collectif GCO Non merci et Dany Karcher, ancien maire de Kolbsheim. La quasi-intégralité de l’effectif de cette plante aux pétales jaunes a été détruite pour construire des bassins de rétention d’eau.
Avant les travaux, Vinci arguait que la population de gagée velue serait sauvée dans le cadre des mesures compensatoires : lorsque les aménageurs tuent un écosystème, la loi leur impose de mesurer leurs atteintes à la biodiversité et de mettre en place des compensations sur d’autres lieux. En l’occurrence, ils ont « déplaqué » la terre contenant des bulbes de la fleur pour la transplanter à une centaine de mètres. L’opération a été réalisée début 2019, d’après la multinationale contactée par Reporterre. Plus de deux ans après, aucune pousse de gagée velue n’a été trouvée sur le site des transplantations, selon Vincent Schmidt, membre d’un groupe de travail d’Alsace Nature sur les mesures compensatoires. Dans ce cas, la mesure compensatoire est alors dite « non fonctionnelle » écologiquement, n’étant pas viable pour la faune ou la flore déplacée.
L’écologiste pointe du doigt les deux seuls plans rescapés, qui étaient en dehors du chantier : « Comme c’est souvent le cas avec les mesures compensatoires, nous n’avions aucune certitude quant à la fonctionnalité écologique de cette mesure. Le biotope de cette parcelle n’est peut-être pas adapté à la gagée velue, qui ne pourra donc jamais pousser. Cela montre la limite de ces pratiques d’aménagement du territoire, déconnectées des écosystèmes. On ne peut pas faire ce que l’on veut avec la nature. »
Des zones déjà naturelles
Vinci estime qu’il est « effectivement possible que la transplantation n’ait pas fonctionné et que, le cas échéant, des mesures correctives seront proposées ». L’entreprise communique régulièrement sur les mesures compensatoires grâce à un compte Twitter dédié au GCO. À Reporterre, elle dit avoir créé 320 hectares de compensations environnementales, dont 48 hectares de reboisement sur 27 sites, et 270 hectares de milieux favorables aux espèces impactées par le projet sur 28 sites.
« Comme pour tous les projets écocides, les mesures compensatoires sont un argument des aménageurs, dit Michel Dupont, qui a fait une grève de la faim contre le GCO à l’automne 2018.
Vinci et l’État, par l’intermédiaire du préfet Jean-Luc Marx, promettaient qu’elles seraient effectives et très suivies. En tant qu’opposants au GCO, nous avons décidé de documenter précisément leurs actions : celles-ci ne sont ni plus ni moins d’une opération de communication. »
Pour l’ex-maire Dany Karcher, « les chiffres avancés par Vinci sont très trompeurs. Sur une petite partie de la surface de compensation, il y avait des champs de maïs ou de blé, et ceux-ci seront transformés en zones naturelles. Là, on peut parler de “désartificialisation”. Les mesures sont globalement mises en œuvre sur des zones disponibles à cet effet, mais dans la majorité des cas ce sont déjà des milieux naturels. »
Désespérément à la recherche d’une pousse de gagée velue, Vincent Schmidt remarque : « L’action de Vinci se limite souvent à du génie écologique, c’est-à-dire à la création d’aménagements censés favoriser la présence d’espèces touchées. Ils creusent par exemple des mares sur des prairies, mais il faut raisonner en matière de surface. À Kolbsheim, ils coulent d’un côté du béton sur des écosystèmes naturels et, de l’autre, ils font du jardinage sur des zones déjà naturelles. L’artificialisation des sols continue à grignoter du terrain sur la biodiversité. »
« En cumulant les surfaces de culture transformées en prairie, on arrive à peu près à 20 % de la superficie totale des sites » de compensation, selon Laurence Cachera, salariée d’Alsace Nature et coordonnatrice du groupe de travail sur les mesures compensatoires. Et environ 80 % de la surface des mesures compensatoires du GCO étaient déjà des milieux naturels, comme l’estimait en septembre 2019 une étude évoquée par Reporterre sur les mesures compensatoires de plusieurs projets.
Des dommages « sous-évalués » et un État « très complaisant avec Vinci »
Christophe Brua, membre du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN), instance souvent saisie par l’État pour ses expertises, s’est aussi intéressé à la population de gagée velue menacée : « J’ai compris qu’il y avait un problème en voyant l’inventaire de mesure de l’impact des travaux, réalisé par les bureaux d’études mandatés par Vinci. Sur la zone qui allait être détruite, ils annonçaient avoir relevé seulement cinq pousses de cette espèce. »
Le scientifique s’est donc rendu sur place et a détecté, sur la même zone, plus de cinquante individus. Selon lui, les dommages des projets « sont quasiment toujours sous-évalués par les bureaux d’études ». Il expose les limites de ce modèle, qui repose sur les expertises des entreprises : « Elles ne sont pas obligées d’avoir un certificat de compétences pour exercer. Étant directement employées par les aménageurs, l’impartialité de leurs travaux peut être remise en question. »
Christophe Brua a partagé sa contre-expertise mettant en évidence la sous-estimation de l’effectif de la gagée velue lors de l’enquête publique du GCO, au printemps 2018. Lors d’une commission sur les espèces protégées, où il siège, il a également soumis le problème à la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal, la police de l’environnement).
L’instance, qui représente l’État, s’assure que les mesures de compensation sont en théorie bien réalisées. Mais rien n’a été fait après ses alertes et ses propositions visant à mieux évaluer la population de fleurs. Interrogée par Reporterre, la Dreal a esquivé le sujet : « Sur les mesures compensatoires du GCO, plusieurs contrôles ont été réalisés par les services de l’État [par la Direction départementale des territoires (DDT), la Dreal et l’Office français de la biodiversité (OFB)] depuis 2018, à raison de plusieurs par an. Aucun d’entre eux n’a pour le moment nécessité la réalisation d’un rapport de manquement administratif. »
« L’artificialisation continue, malgré les beaux discours. »
Laurence Cachera estime que « l’État est très complaisant avec Vinci » : « Les mesures compensatoires communiquées dans l’arrêté préfectoral d’août 2018 ont été modifiées régulièrement depuis. Qu’est-ce qui nous garantit qu’il n’y a pas une dégradation de ces mesures ? Le calendrier de mise en œuvre semble changer au bon vouloir de l’entreprise. »
Vinci confirme à Reporterre que de très nombreuses modifications des mesures ont été actées, « grâce à un dialogue régulier et constructif avec les services de l’État, souvent pour mieux adapter les actions à la réalité du terrain ».
« Un écoblanchiment totalement abusif »
Stéphane Giraud, directeur d’Alsace Nature, explique que la mesure non fonctionnelle de la gagée velue, qui n’est dans les faits pas viable pour la plante, n’est pas un cas isolé. Il cite celui de Molsheim, où une zone humide devait être créée, sans pour autant avoir décaissé suffisamment le site. La mesure sera donc « non fonctionnelle », d’après lui. Il pointe aussi les zones de reboisement : « Sur certains sites, des arbres plantés sont déjà morts. Sur d’autres, des peupliers sont plantés en ligne, correspondant à des écosystèmes très pauvres. »
Dans la même veine, à quelques kilomètres de Kolbsheim, Vincent Schmidt présente le site de compensation d’Osthoffen, où des arbres ont été coupés : « J’ai du mal à saisir la pertinence de cette mesure compensatoire. » Selon Vinci, ces arbres ont été coupés pour « creuser une marre conformément au plan de gestion ». « Ici, il s’agit d’une simple modification d’un milieu naturel », conclut l’écologiste.
Plus globalement, pour Christophe Brua, les mesures compensatoires constituent « un éco-blanchiment totalement abusif » : « Les industriels produisent de la littérature mettant en valeur leurs actions. Ils sont très bons pour ça. On a l’impression que tout va bien dans le meilleur des mondes, mais je ne compte plus le nombre de mesures compensatoires défectueuses constatées dans ma carrière. C’est à chaque fois une nouvelle perte réelle de biodiversité et l’État laisse faire. Tout le monde parle d’écologie mais l’artificialisation continue, malgré les beaux discours. »
Lucas Chancel : ‘ Il faut un impôt sur la fortune avec un malus sur le carbone ‘
Propos recueillis par Hervé Kempf
https://reporterre.net/Lucas-Chancel-Il-faut-un-impot-sur-la-fortune-avec-un-malus-sur-le-carbone
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Les riches, qui continuent de s’enrichir, polluent d’autant plus que leur patrimoine financier est important, et les politiques du gouvernement français les favorisent au détriment du reste de la population. Tel est le constat limpide énoncé par l’économiste Lucas Chancel qui défend un fort investissement public financé par l’impôt progressif pour renverser cette tendance et soutenir la transition écologique.
Lucas Chancel est docteur en économie, spécialiste des inégalités et de la transition écologique. Ses travaux portent sur la mesure des inégalités économiques, leur interaction avec le développement durable et la mise en œuvre de politiques publiques sociales et environnementales. Il est codirecteur du Laboratoire sur les inégalités mondiales et professeur affilié à Sciences Po.
Reporterre — En 2015, votre équipe avait établi le lien entre les niveaux de richesse dans le monde et les niveaux d’émissions de gaz à effet de serre. Depuis, les riches sont-ils devenus moins émetteurs ?
Lucas Chancel — Les riches sont devenus plus riches, on le voit clairement dans les études sur le patrimoine. On avait encore du mal à prendre en compte en 2015 le contenu carbone du patrimoine financier et non-financier. On commence tout juste à l’intégrer dans nos analyses. Les flux de dividendes, ce sont les revenus du capital. Le volume de carbone est globalement associé à ces flux du revenu. Et donc les très, très riches, les milliardaires, ont vu croître leurs émissions en liaison avec leurs actifs financiers.
On peut considérer les choses autrement : on reste souvent dans une logique où l’on mesure le carbone du consommateur, ce qui va nous enfermer dans des politiques de « taxe carbone sur les consommateurs » en oubliant qu’il y a des gens qui font des choix d’investissement dans des entreprises, par exemple d’investir à 80 % dans les énergies fossiles, tels les actionnaires de Total. Ces gens sont coresponsables des émissions faites ensuite par des consommateurs qui vont utiliser du pétrole. Il faut donc relativiser le rôle du consommateur par rapport à celui, très important, de l’investisseur capitaliste.
Cela veut-il dire que si l’on veut réduire les émissions, il faudrait viser le capital ?
Ce qui est clair, c’est qu’il faut aller vers plus de propriété collective du capital. Depuis 1970, le stock de capital privé est passé d’environ 400 à 500 % du PIB à environ 700-800 %. Dans le même temps, le stock de capital du patrimoine public est passé d’environ 80 % du revenu national à 0 %. On a vendu les autoroutes, on a vendu plein d’entreprises publiques, et en plus on a fait de la dette publique détenue par le secteur privé.
Tout ceci s’est passé dans un contexte où le marché se plante royalement depuis 150 ans sur la question climatique. Les États aussi, mais aujourd’hui, ils en sont davantage conscients, et ils ont davantage les moyens d’investir vite. Donc, il faut plus de propriété collective publique de ce capital pour investir vite dans les bons secteurs. Et cela ne peut se faire qu’en taxant davantage, en redistribuant davantage, afin de recréer de la richesse publique.
Comment faire, concrètement ?
Déjà, il n’est pas normal qu’on n’ait aucune information publique sur le contenu carbone des actifs. Les banques nous racontent n’importe quoi en vendant des livrets « développement durable » dans lesquelles il y a des actions Total, par exemple. Il suffit qu’une boîte dise, « Voilà j’ai un plan un peu vert », et on va appeler cela « finance durable ». Il faudrait un observatoire du contenu carbone du capital, ce qui permettra de savoir dans quoi on investit.
Ensuite, il faut utiliser cette information pour fiscaliser le patrimoine. Cela veut dire le retour de l’impôt sur la fortune, mais avec un malus quand le patrimoine est investi sur du carbone.
D’une part cela va dissuader d’investir sur du carbone, et d’autre part cela va permettre de recréer un patrimoine collectif de la transition écologique avec des secteurs nouveaux qui pourront être pris en charge en partie par la puissance publique. Donc, voilà les deux outils pour commencer : plus d’information, plus de fiscalité.
Le troisième volet concerne les inégalités. Les inégalités sont très fortes, elles augmentent, et il risque d’y en avoir encore plus selon les secteurs où va se développer cette transition. Il faut anticiper où la richesse de demain va se créer. Or l’acteur public est maître du jeu — on l’a oublié depuis quarante ans ! C’est lui qui décide si telle ou telle licence peut être octroyée à telle ou telle entreprise, si tel ou tel secteur a droit ou pas de commercer sur tel ou tel territoire. Aujourd’hui on sait que les seuls secteurs où il faut créer de la richesse sont ceux du bien-être et de la réduction des inégalités — service public, santé, éducation, culture —, et ceux de la transition écologiste.
La crise du Covid-19 a-t-elle modifié la donne ?
Le changement de trajectoire n’est pas clair. Sur les marchés financiers, on observe une poursuite de la croissance des très hauts patrimoines. Les plans de relance n’ont pas fait bifurquer l’économie. On a balancé 100 milliards sans aucune contrepartie écologique et sociale. Tout un pan de l’économie de la culture et des services s’effondre sous nos yeux. Une partie des commerces vont déposer le bilan — et pourraient être rachetés par les entreprises qui se sont enrichies pendant la pandémie.
« Le gouvernement n’est pas du tout à la hauteur de l’enjeu. »
Le choix de développer un capitalisme numérique en assumant qu’il y ait une crise écologique et une inégalité croissante n’est-il pas délibéré ?
La situation est effectivement perçue comme une fatalité : il y aurait toujours un quart à la moitié de la population paupérisée, et qui travaillera au service de l’autre partie. Les partis politiques n’auraient qu’à se préoccuper des mieux portants, en essayant de maintenir les pauvres à un niveau supportable. Sur le climat, je me demande s’il n’y a pas un déficit de compréhension de ce qui est en train de se passer et si tout le monde a bien conscience des cataclysmes qui s’enclenchent. Mais en tout cas, on peut dire clairement que le gouvernement n’est pas du tout à la hauteur de l’enjeu. Il n’a pas appris des erreurs des trois premières années du quinquennat.
Que disaient les Gilets jaunes ? « Pas d’écologie sans justice sociale ni sans justice fiscale ! » Et quelle a été la mesure issue de la Convention citoyenne pour le climat qu’a d’abord retoquée le Président ? La taxe de 4 % sur les dividendes avec un taux progressif pour financer la transition. Cela montre qu’il y a une logique consistant à dire qu’il n’y a pas besoin de justice sociale pour mettre en place une transition écologique.
Pourrait-on résumer cela en disant que Macron représente le parti du capital ?
Le gouvernement fait des choix qui favorisent ceux qui ont du patrimoine et défavorisent ceux qui n’ont comme patrimoine que le service public, qui est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. La santé et l’éducation font les frais des politiques de réduction de l’impôt sur les plus aisés.
Ceux qui ont du patrimoine sont-ils les capitalistes ?
Oui.
Donc, dire que le gouvernement favorise ceux qui ont du patrimoine n’est-il pas une façon de dire que le gouvernement favorise les capitalistes ?
Oui sauf que ces termes vont braquer les gens, ou plutôt, ils vont moins comprendre ce que cela veut dire, pensant tout de suite : « Bon, mais ça, c’est une pensée marxiste. Passez votre chemin, ce n’est pas pour moi. » Effectivement ceux qui ont du patrimoine sont des capitalistes. Le gouvernement favorise ceux qui ont du patrimoine et favorise par conséquent les capitalistes. Mais je préfère mettre l’accent quand même sur des mots qui peuvent être employés…
…sans crisper.
Oui. Le problème que je vois là-dedans est que les capitalistes sont associés dans l’imaginaire collectif à des gens avec des gros ventres, des chapeaux et des cigares ! Mais aujourd’hui, les capitalistes sont surtout les 10 % du haut de l’échelle des revenus et des patrimoines. Il est important de faire que les gens se rendent compte qui sont ces personnes possédant des actions des entreprises françaises comme L’Oréal, Thalès, etc. Ou de l’immobilier qui va être investi sur des marchés afin d’obtenir des rentes. Les capitalistes, ce sont ceux qui ont du patrimoine.
Vous avez écrit que la loi Climat fait payer la transition aux plus modestes. En quoi ?
Elle fait payer à la fois la transition et l’absence de transition. L’absence de transition pèse davantage sur les plus modestes, qui sont davantage affectés par les changements climatiques en cours et à venir.
Et par ailleurs, en refusant tout débat sur la fiscalité et sur comment on finance cette transition écologique, on en revient à ne pas faire contribuer à leur juste part ceux qui polluent beaucoup et qui ont des fortes croissances de leurs revenus et de leur patrimoine. Et donc, on fait sur-financer la transition par les classes moyennes et par les classes populaires.
Que faudrait-il faire ?
Investir beaucoup plus. Selon l’Institut pour l’économie du climat, 135 milliards supplémentaires sur la transition écologique d’ici à 2030. Le plan de relance a mis sur la table 30 milliards sur neuf ans : on est très loin du compte. Pour trouver les 100 milliards qui manquent, il faut des impôts progressifs. On pourrait dire : on s’endette à taux zéro. Mais au final, on devra soit rembourser la dette, soit l’annuler. Si on l’annule, qui payera ? Ceux qui ont les titres de dette, ceux qui ont du patrimoine. Et si on la rembourse, on la rembourse par l’impôt. En fait, derrière chaque émission de dette, il y a la question de la distribution. Il me semble qu’il serait beaucoup plus transparent de se reposer sur la fiscalité pour financer ces investissements.
« Un impôt qui fait payer à chacun sa juste part, selon ses moyens. »
Qu’est-ce que cela implique concrètement ?
Un impôt qui fait payer à chacun sa juste part selon ses moyens, dans la logique de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, préambule de la Constitution française : la contribution commune « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Votre taux d’impôt sera plus élevé si vous gagnez un million d’euros que si vous en gagnez mille.
Le niveau d’endettement public atteint des sommets quasiment historiques. Est-ce une menace pour l’activité économique des prochaines années ou pour l’équilibre social ?
Ce qui serait une menace grave, c’est d’utiliser l’argument de la dette pour couper dans la dépense publique. C’est l’inverse dont on a besoin aujourd’hui. Pour que notre société ne se délite pas, on a besoin de plus de services publics, de plus d’investissements publics, parce que le marché depuis quarante ans n’a pas été capable de gérer les problèmes du climat et de la santé.
Cette dette, on ne peut pas demander aux classes populaires et aux classes moyennes, aux jeunes d’aujourd’hui qui sont sacrifiés durant la pandémie, qui perdent deux ans de vie sociale, deux ans d’éducation normale, qui vont arriver sur un marché du travail extrêmement compliqué, on ne peut pas leur demander de rembourser la dette.
Klimak lurraren ardatza lekualdatu du
Argia
www.argia.eus/albistea/klimak-lurraren-ardatza-lekualdatu-du
Article
Ipar eta hego poloen kokapena ez da estatikoa, ez aldaezina. Txinako Unibertsitateak egin berri duen ikerketa batek erakutsi du poloetako izotza urtzeak Lurreko ur masaren birbanaketa ekarri duela eta ondorioz, lurraren pisua lekualdatu denez, ardatza ekialdera mugitu dela. Poloetako izotza urtzeak ez du erabat azaltzen ardatzaren lekualdaketa, ordea: nekazaritzarako lurpeko ura kopuru izugarritan ponpatzeak ere izan du bere eragina.
1990eko hamarkadako inflexio-puntua: Alaska, Groenlandia, Hegoaldeko Andeak, Antartika, Kaukaso eta Ekialde Ertaineko glaziarren urtzea bizkortu egin zen 1990eko hamarkadaren erdialdean. Honek eragin zuen batez ere Lurreko poloen desplazamendua azkartzea, 26 ° ekialdera, 3,28 milimetroko tasan (0,129 hatz urteko). Mapako kolorearen intentsitateak erakusten du lurrean bildutako uraren aldaketek (izotz formakoak, batez ere) non izan zuten poloen mugimenduan eraginik handiena 2004ko apiriletik 2020
Ipar Amerikako AGU erakundearen aldizkaria den Geophysical Research Letters aldizkariak argitaratu du ikerketa . Bertan azaltzen denez, ipar eta hego poloen kokapena ez da estatikoa, ez aldaezina. Lurraren ardatza, edo zehatzago izateko marra ikusezin hori ateratzen den lurgaina, beti dago mugimenduan, zientzialariek erabat ulertzen ez duten prozesuen ondorioz. Lurra planetan ura banatzen den moduak badu bere eragina mugimendu honetan. Ikerketa hau Txinako unibertsitateak sustatu du, uraren eta mugimendu polarraren arteko harremana aztertzeko.
« Lurra berotzeak eragin zuen 1990ean glaziarrak azkarrago urtzea eta ondorioz behar beste ur birbanatu zen, poloetako desplazamendua norabidez aldatzeko, ekialderantz » adierazi du Shanshan Deng Txinako ikerlariak, zeina den Geophysical Research Letters-ek argitaratu duen ikerketaren egileetako bat.
« Lurra ziba bailitzan biratzen da ardatzaren inguruan » azaldu du Vincent Humphrey Zuricheko zientzialariak. Zibaren pisua mugitzen bada, ziba makurtzen hasiko litzateke, bere biraketa ardatza aldatu ahala. Gauza bera gertatzen zaio Lurrari, bere pisua eremu batetik bestera aldatzen denean.
Zerk eragiten du poloen mugimendua?
Ikertzaileek ikusi dute Ipar Poloan egon diren azken mugimenduak hainbat faktorek eragin dituztela. Horietako bat da, Lurreko ura pilatzerakoan egondako aldaketak: Lurreko ur guztia, glaziarretan izoztutakoa eta kontinenteen azpiko lurpean pilatutakoa barne, galtzen ari da urtzen doalako eta urpeko ura ponpatzen delako.
Ikerketa hau egin dutenek uste dute ur galera honek ekarri duela azken bi hamarkadatan poloen kokapen aldaketa. Eta 1990eko hamarkadan izan ziren aldaketak ere honi lotuta al zeuden jakin nahi izan dute. Izan ere, 1995ean poloen desplazamendua aldatu egin zen hegotik ekialdera. 1995etik 2020ra azkartu egin da poloen desplazamendua, 17 aldiz azkarragoa izan baita 1981etik 1995era izan zuena baino.
Glaziarrak galtzearen eta nekazaritzarako ura ponpatzearen ondorio
Suxia Liu hidrologoa da Txinako Unibertsitatean, eta ikerketa honen beste egileetako bat ere bada. Ondorioetako bat izan da poloetako uraren galera izan dela poloen mugimendua eragin duen faktore nagusia.
Baina poloen urtzeak bakarrik ez du eragin ardatzaren desplazamendua: poloetatik kanpoko zonaldeetan ura pilatzeak ere badu bere eragina, adibidez, nekazaritzarako lurpeko ura modu jasangaitzean ponpatzeak. Humphrey-ren ikerketek erakutsi dute ur masan aldaketa handiak izan direla Kalifornia, Texas iparraldean, Beijingen eta India iparraldean, eta horietan denetan nekazaritzarako ur kantitate handiak ponpatzen dituzte lurpetik.
Zer ondorio ditu bizitzan?
Humphrey-k zera adierazi du: « Ikus dezakegu ur masaren aldaketak zein indar duen, Lurraren ardatza aldatzeko bestekoa ». Baina ardatzaren aldaketa hau ez dela eguneroko bizitzan eragiteko bestekoa azaldu du. Egunaren iraupena aldatu dezake, baina milisegundotan baino ez.