Transition écologique : « Rompre avec l’angélisme de la croissance verte »
Marie Charrel
www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/02/transition-ecologique-rompre-avec-l-angelisme-de-la-croissance-verte_6093076_3232.html
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Sous-estimant les coûts des changements à venir, nos gouvernements peinent encore à mesurer à quel point la transition écologique va bouleverser nos politiques économiques, observe Marie Charrel, journaliste au « Monde », dans sa chronique.
Inondations, sécheresses, incendies : cet été encore, les conséquences du dérèglement climatique ont été douloureuses. Et elles ne sont qu’un avant-goût des tragédies à venir, comme l’a rappelé le rapport du GIEC publié le 9 août. Pour stabiliser le réchauffement climatique sous les 2 °C, il nous faudra atteindre zéro émission nette de CO2 autour de 2050, préviennent les experts.
L’Union européenne, elle, s’est engagée à réduire d’au moins 55 % ses émissions d’ici à 2030 pour atteindre la neutralité climatique en 2050. Un objectif susceptible de transformer notre économie en profondeur. Seulement, voilà : « Jusqu’à présent, ces implications n’ont pas été abordées de manière systématique, relève Jean Pisani-Ferry dans une récente note pour le Peterson Institute, un centre de réflexion de Washington. Trop souvent, la transition écologique a été décrite, sinon comme un chemin semé de roses, du moins comme une entreprise plutôt bénigne. » Or, celle-ci sera brutale. Parce que nous avons trop tardé à agir. Parce que nous sous-estimons encore l’ampleur des changements individuels et collectifs à venir, tout comme leur coût.
Les réflexions sur le sujet sont trop souvent polluées par la confrontation entre deux grands camps : celui des optimistes de la croissance verte, certains que les avancées technologiques conjuguées à des investissements massifs permettront de limiter le réchauffement tout en préservant notre niveau de vie, et celui des décroissants, convaincus que la seule voie possible est de rompre avec le modèle capitaliste basé sur l’exploitation des ressources.
La plupart peinent à penser concrètement toutes les dimensions de la transition et leur articulation. « Certains équipements perdront leur valeur économique, détaille Jean Pisani-Ferry. Des usines devront fermer. Des salariés devront être réorientés vers d’autres secteurs. Les investissements devront augmenter pour réparer et reconstruire le stock de capital. » Ce qui implique de revoir l’ensemble de nos politiques macro-économiques et de nos cadres de pensée. Parce qu’ils construisent en partie leurs projections sur l’étude des faits passés, les économistes mainstream sont un peu perdus.
Le risque de la colère sociale
Et pour cause : « La transition vers l’économie verte diffère fondamentalement des transitions socio-économiques passées, comme la révolution industrielle ou la mondialisation », souligne la Banque nationale du Danemark dans une récente étude sur le sujet. Ces dernières se sont, en effet, déroulées sur une période longue. Leur moteur était le progrès technologique, rendant obsolètes certains modes de production et entreprises – la destruction créatrice, en somme.
Cette fois, la transition devra être rapide si l’on veut éviter le pire. Des milliers d’entreprises et certaines façons de produire deviendront obsolètes non pas en raison du progrès, mais parce qu’elles polluent. « Cela rend la transition verte bien plus complexe », résume la Banque nationale du Danemark. Sans parler du coût engendré par la multiplication des catastrophes naturelles, l’acidification des océans limitant les ressources marines, ou encore les ajustements sévères dans l’agriculture.
Dès lors, une part croissante des ressources devra financer les investissements. A court terme, les plus vulnérables, notamment ceux qui perdront leur emploi, seront durement pénalisés. Ce qui risque d’alimenter la colère sociale, même si les Etats tentent de mitiger les effets inégalitaires de la hausse du prix du carbone par la redistribution. Mais ils devront aussi augmenter leurs dépenses en R&D, santé, rénovation des bâtiments, aides sectorielles… « Ces coûts, bien que supportables, seront probablement importants, résume Jean Pisani-Ferry, soulignant, au passage, que rien ne garantit que la transition sera bonne pour la croissance. Plutôt que de prétendre qu’ils sont insignifiants, les dirigeants devraient faire face à la réalité et concevoir des stratégies de transition en conséquence. » Dit plus prosaïquement : rompre avec l’angélisme parfois béni-oui-oui de la croissance verte. Cesser de procrastiner pour se préparer à une mutation brutale.
Emmanuel Macron promulgue une loi climat insuffisante au regard de l’urgence
Laurent Radisson, journaliste Rédacteur en Chef délégué aux marchés HSE
www.actu-environnement.com/ae/news/loi-climat-promulgation-emmanuel-macron-insuffisance-urgence-climatique-38065.php
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Pour sortir de la crise des gilets jaunes déclenchée par la hausse de la fiscalité carbone, le président avait mis sur pied la Convention citoyenne pour le climat. Ses travaux débouchent sur une loi insuffisante face à l’urgence climatique.
« Nous y sommes ! Après deux années de travail intense, la transformation écologique de notre société va s’accélérer grâce à la loi Climat & résilience. Riche de près de 300 articles, c’est un texte complet et ambitieux qui ancre durablement l’écologie dans notre modèle de développement », se félicite Barbara Pompili après la publication ce mardi 24 août de la loi au Journal officiel.
Ce texte constitue en effet l’aboutissement du travail de la Convention citoyenne pour le climat lancée par Emmanuel Macron en avril 2019 à l’issue du Grand débat national. Une consultation elle-même lancée en vue de trouver une sortie à la crise des gilets jaunes née de la hausse des taxes sur les carburants. Mais si ce texte est qualifié d’ambitieux par la ministre de la Transition écologique, il ne l’est pas au regard de l’urgence climatique dont les conventionnels avaient pris toute la mesure.
Insuffisance pointée par de nombreuses instances
Que contient le texte publié ? Bien que le Conseil constitutionnel ait censuré quatorze articles de la loi constitutifs de « cavaliers législatifs », les dispositions du texte restent très diverses. Elles vont de la rénovation énergétique des logements à la promotion des mobilités décarbonées en passant par le soutien aux énergies renouvelables, la lutte contre l’artificialisation des terres, les menus végétariens dans les cantines ou encore le renforcement de la justice environnementale. Des thématiques qu’Actu-Environnement décrypte, chacune, de manière détaillée.
« Ce texte s’inscrit dans une action globale menée depuis le début du quinquennat pour être à la hauteur du défi écologique et qui a permis de réorienter notre façon de nous déplacer, de nous chauffer, de gérer nos déchets et d’investir massivement pour décarboner notre économie. Elle fait également écho à l’action internationale de la France pour faire respecter partout l’Accord de Paris », vante la ministre de la Transition écologique.
La faiblesse du texte adopté aujourd’hui est une honte eu égard aux enjeux auxquels nous faisons face
Arnaud Schwartz, président de France Nature Environnement
Mais Barbara Pompili oublie de préciser que les avis de plusieurs instances concordent pour dire que ce texte ne permet pas d’atteindre l’objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre que la France doit atteindre d’ici 2030. Même si toutes ses dispositions étaient mises en œuvre, il ne permettrait de réduire que de 38 % les émissions d’ici cette échéance selon une analyse du Boston Consulting Group commandée par le ministère et publiée le 10 février dernier. Si le projet de loi a ensuite été enrichi tout au long de son parcours parlementaire, il reste toutefois insuffisant. Et ce, alors que l’Union européenne a fixé un nouvel objectif de réduction de -55 % d’ici 2030. Un objectif qui se traduit, pour la France, par une cible de -47,5 % selon le projet de règlement sur le partage de l’effort dévoilé en juillet par la Commission européenne.
Cette insuffisance a été aussi pointée par le Conseil d’État qui, par une décision historique pour la justice climatique, a enjoint au Gouvernement de prendre des mesures supplémentaires avant mars 2022 pour respecter la trajectoire de réduction permettant d’atteindre les -40 % en 2030.
« Pseudo-loi climat anachronique »
L’adoption de cette loi suscite du même coup des réactions très critiques de députés d’opposition et des ONG environnementales. Ainsi, la députée Delphine Batho, ancienne ministre de l’Environnement et candidate à la primaire des écologistes, dénonce « une pseudo loi climat anachronique ». « Là où la Convention citoyenne appelait à l’audace et à une rupture avec le consumérisme, le Gouvernement a brandi dès le départ des dizaines de filtres et autres jokers. Au final, la plupart des propositions ont été écartées ou vidées de leur portée, il ne reste qu’un mauvais greenwashing », dénonçait-elle le 20 juillet lors du vote de la loi.
Pour le Réseau Action Climat (RAC), qui fédère 35 associations impliquées dans la lutte contre le changement climatique, « l’écart entre ce texte de loi et le sérieux des propositions de la Convention citoyenne pour le climat est abyssal ». Par exemple, ajoute l’ONG, « le texte fait complètement l’impasse sur la responsabilité des entreprises et la nécessité de les encourager à adopter des trajectoires de réduction de leur empreinte carbone ».
« Le dérèglement climatique, nous y sommes : températures records en Amérique du Nord et en Sibérie, famine à Madagascar, catastrophes naturelles en France… Pour paraphraser Jacques Chirac : notre maison brûle depuis 19 ans déjà et nos parlementaires continuent à regarder ailleurs. La faiblesse du texte adopté aujourd’hui est une honte eu égard aux enjeux auxquels nous faisons face », a réagi le 20 juillet Arnaud Schwartz, président de France Nature Environnement (FNE).
« Faire entrer l’écologie dans la vie des Français »
Des réactions très éloignées du satisfecit de la majorité. « Nous faisons aujourd’hui entrer l’écologie dans la vie des Français », n’a pas hésité à déclarer Barbara Pompili. « Face aux positions dogmatiques, qui ont plutôt tendance à diviser la société, nous travaillons avec la majorité à une écologie pragmatique et inclusive en matière de consommation, de mobilité, de logement, d’urbanisme notamment », estime le député LReM et président du Conseil national de l’air Jean-Luc Fugit.
« Avec ce texte, nous rendons possible la mise en œuvre des mesures proposées par la Convention citoyenne pour le climat. Bien sûr, toutes n’y figurent pas pour une raison simple : les propositions s’attachent à réformer la société dans son ensemble, sous différentes formes », justifie le membre de la commission du développement durable.
Pour l’heure, « le ministère de la Transition écologique est mobilisé pour prendre les décrets d’application au plus vite et traduire concrètement l’ambition de cette loi dans le quotidien des Français », assure Mme Pompili.
LLes liens historiques entre santé et climat
Texte de Jean-David Zeitoun, docteur en médecine, docteur en épidémiologie clinique et auteur de La grande extension : histoire de la santé humaine
https://bonpote.com/les-liens-historiques-entre-sante-et-climat
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En 2006, le British Medical Journal écrivait que « le changement climatique en lien avec le réchauffement global est le problème de santé publique le plus urgent dans le monde ». En novembre 2019, le Lancet, dans son rapport sur le changement climatique, titrait : « faire en sorte que la santé d’un enfant né aujourd’hui ne soit pas définie par un climat changeant ». Entre ces deux publications, les émissions de gaz à effet de serre ont continué d’augmenter et le monde s’est déjà un peu plus réchauffé. Mais beaucoup de données suggèrent que les opinions publiques se sont sensibilisées au problème et qu’elles s’en inquiètent.
Le climat a toujours conditionné la santé humaine. Ce qui aurait pu être une simple intuition a été montré par des travaux historiques. Il a fallu – surtout pour les périodes les plus anciennes – croiser deux types d’informations : celles concernant les climats du passé et celles rattachées à la vie et la santé humaines. Deux sciences ont dû se parler, la paléoclimatologie et l’archéologie. Elles se sont rendues compte que les événements et les tendances climatiques avaient souvent été à l’origine de répercussions sur la santé des humains. Fusionner après coup les données de deux disciplines comporte deux limites qui incitent à la prudence quant aux conclusions qu’on en tire. Premièrement, c’est une méthode rétrospective. Il y a toujours de la délicatesse à reconstituer ce qui s’est passé il y a des centaines ou des milliers d’années. Les données sont fragmentaires. Leur signification est incertaine et il est facile de se tromper.
Deuxièmement, les analyses ne peuvent être qu’observationnelles. Il n’y a pas d’expérimentation possible en matière de climat (en dehors de l’expérimentation de réchauffement artificiel induit par l’Anthropocène). Les études observationnelles sont associées à une question majeure qu’on appelle l’inférence causale. C’est-à-dire la capacité à présumer d’un lien de cause à effet entre deux événements associés. Il est toujours possible que la coexistence de ces deux événements soit un fait du hasard ou soit déterminée par un troisième événement qui relie les deux premiers. Pour qualifier ce troisième intervenant, les scientifiques parlent de facteur confondant.
Méthode scientifique et impact sanitaire du climat
Pour surmonter ces deux limites méthodologiques, les chercheurs ont eu recours à au moins trois types d’arguments afin de renforcer la causalité entre climat et santé. D’abord, il y a la temporalité. Le fait qu’une perturbation climatique précède la survenue d’un événement épidémiologique est un premier indice. Ensuite, il y a la plausibilité. Les chercheurs doivent pouvoir raconter une histoire scientifiquement logique. Il leur faut reconstruire une chaîne d’événements qui se tiennent les uns les autres. Ils peuvent alors raisonner par analogie avec ce que l’on sait aujourd’hui de l’impact du climat sur la santé humaine. Le troisième type d’argument est la cohérence. Les différentes histoires reconstituées doivent aller dans le même sens. Plus ces histoires nous disent à peu près la même chose et plus il est probable qu’elles soient déterminées et non pas aléatoires.
En amassant tous les travaux historiques disponibles, on observe justement ces trois éléments : temporalité, plausibilité et cohérence. Les faits rassemblés par les historiens et les autres chercheurs montrent que les problèmes climatiques ont provoqué des dommages épidémiologiques souvent massifs. Le climat a pu affecter la santé humaine de façon directe ou indirecte. L’impact direct est celui qui nous est le plus évident : les canicules, les vagues de froid, les événements extrêmes (tsunamis ou incendies) sont des exemples. Mais ces événements – qui sont probablement les plus impressionnants – sont ponctuels, ce qui limite leur impact.
Le plus gros problème : les effets indirects du climat
Ce sont surtout les effets indirects du climat qui ont fait le plus de mal car ils s’étalent sur de plus longues périodes et leurs répercussions encore plus.
Trois mécanismes dominent largement : l’effet du climat sur les récoltes et donc sur la nutrition, l’effet sur les microbes et les épidémies, et les relations des humains entre eux et donc les troubles sociaux. Au passage, ces trois éléments – nutrition, infection et violence – sont les trois causes historiquement majoritaires de mortalité humaine. Avant la transition industrielle c’est-à-dire avant la fin du 18ème siècle, la plupart des humains mourrait de l’une des trois. Les maladies chroniques qui sont aujourd’hui la première cause mondiale de mortalité (y compris dans les pays pauvres), étaient alors relativement marginales. Le climat a donc souvent été à la source de la majorité des causes de décès avant l’avènement des sociétés industrielles. Et les travaux des historiens suggèrent que les humains en avaient conscience.
Anthony McMichael (1942-2014) était un épidémiologiste australien ayant travaillé à la fin de sa carrière sur les effets sanitaires du climat. Il a rassemblé dans plusieurs articles et dans un livre les nombreuses données historiques témoignant des liens forts entre climat et santé.
Les histoires racontées par McMichael se ressemblent même si leur temporalité et leur géographie diffèrent. A l’origine, il y a toujours un fait climatique, en général un changement de température qui peut être une baisse ou une hausse. Ensuite, il y a un impact sur ce que McMichael appelle un système naturel (récolte de nourriture ou microbe) et/ou un système social. Cet impact peut d’ailleurs impliquer des interactions entre les systèmes. Un déficit nutritionnel peut par exemple rendre les humains plus vulnérables aux microbes ou provoquer des désordres sociaux et de la violence. Alternativement, une épidémie affaiblit les humains sur le plan nutritionnel. Elle détériore ceux qui sont malades et aussi les autres car les humains malades ne peuvent pas participer à la récolte de nourriture. Ces problèmes provoquent des tensions qui peuvent se traduire en violence interhumaine. On devine facilement l’impact sanitaire de ces conséquences du climat.
Ainsi, McMichael nous parle d’événements d’ancienneté et de profils très différents : le Dryas récent, l’extinction des Mayas, la régression des Aztèques, la peste noire, la dilution de la dynastie Ming, la peste de Justinien, la Grande famine, l’éruption du Tambora, la fièvre jaune de Philadelphie et encore d’autres. Au départ de tous ces épisodes qui ont été des drames épidémiologiques, il y a une variation ou un effet de température. Après tout s’enchaine mais très souvent, une sécheresse inhabituelle s’installe. Elle pénalise les cultures et affame les humains. Comme l’avait écrit McMichael, « le lien entre sécheresse, famine et faim a été le principal impact climatique négatif grave sur la santé au cours des douze mille dernières années ».
Les complications causent d’autres complications
En parallèle ou après encore, des épidémies surviennent pour exagérer l’impact du climat. Un trait fréquent de toutes ces histoires est que les conséquences du fait climatique initial sont elles-mêmes causées les unes par les autres. La cascade est une figure importante des effets du climat. Par exemple, une sécheresse détériore le rendement des récoltes et provoque une famine et donc une sous-nutrition des populations. Cette défaillance nutritionnelle les rend plus vulnérables aux microbes normalement environnants (les endémies) ou facilite les épidémies car les humains se déplacent pour trouver de la nourriture ailleurs. Ces mouvements provoquent des troubles et de la violence qui aggravent encore plus le bilan humain total de l’événement déclencheur.
Pris ensemble, ces travaux historiques font émerger quelques tendances supplémentaires. Les changements de climat à moyen et long terme assèchent les populations en eau et en alimentation et provoquent leur déclin voire leur extinction. Inversement, les épidémies ont plus souvent accompagné les épisodes plus courts, qui peuvent eux aussi contenir de l’aridité et de la famine. Une autre remarque est que les sociétés ont mieux appris à comprendre et faire face aux événements récurrents des cycles climatiques, typiquement des phénomènes comme El Niño.
Par ailleurs, trois types d’asymétrie se dessinent dans nos connaissances. Premièrement, nous en savons plus sur l’impact des périodes froides (ou de refroidissement) que sur le réchauffement. Il est possible que ces périodes froides aient été plus fréquentes et plus brutales. L’effet sur les épidémies en est un exemple. Des chercheurs ont analysé les archives impériales chinoises pour reconstituer le taux d’épidémies au cours du Petit Age de Glace (1300-1850). En comparant ces données aux données de température, ils ont ainsi observé que les périodes froides étaient associées à un surrisque de 35% d’épidémie et de 40% d’épidémie étendue.
Deuxièmement, il y a beaucoup plus de données sur les effets indirects du climat que sur ses effets directs. Par exemple l’impact des canicules est pratiquement inconnu alors qu’il y en a forcément eu et qu’elles ont certainement été problématiques. Mais on ne peut pas le prouver. On a en revanche quelques données sur les dommages et la mortalité des périodes d’extrême froid. Là encore, ces données sont nettement moins abondantes que celles qui relatent les effets indirects sur la nutrition et les infections.
Troisièmement, les travaux examinables rapportent les effets négatifs des changements climatiques mais peu de données attestent des effets bénéfiques de périodes de stabilité, alors que nous avons tendance à penser que c’est le cas. C’est l’adversité climatique qui a le plus attiré l’attention et donc provoqué de la documentation. On sait tout de même que la production de nourriture, la fécondité et la croissance démographique ont augmenté pendant les périodes durablement stables et plutôt chaudes.
L’Histoire comme matériel d’anticipation
Ces travaux historiques ne peuvent pas tout prédire mais ils nous informent. Le contexte actuel est très différent des périodes mentionnées : l’état de santé des populations n’est pas le même, le changement de climat en cours n’a pas de précédent, nos sociétés sont différentes. Ces différences ne jouent pas forcément à notre avantage et il existe de sérieuses raisons de penser qu’elles opéreront à notre détriment. Mais certaines règles restent valables, comme cela a déjà été observé. Une variation de température de 2°C ou même 1°C est à même de dégrader l’agriculture et de majorer le risque microbien. Le changement actuel est supérieur en ampleur et en rapidité d’installation.
Un problème majeur que nous avons est que nos sociétés sont grosses et complexes, et donc elles ne sont pas flexibles. D’autres travaux ont bien montré que les sociétés du passé ont très souvent répondu (et se sont sauvegardées) aux changements de climat par leur flexibilité. Par ailleurs, le monde est vieux et chargé de maladies chroniques, ce qui le rend plus vulnérable d’une autre façon. L’Europe est de ce point de vue le continent le plus à risque car sa population est particulièrement âgée.
Et la pandémie de Covid-19 dans tout ça ?
La pandémie de Covid-19 a généré des questionnements légitimes et des parallèles plus ou moins vrais avec le changement de climat. On essayera sans ordre particulier de rappeler quelques faits avérés
- Quelle que soit son origine (débordement zoonotique ou fuite accidentelle de laboratoire), le SARS-CoV-2 s’intègre dans une série de pandémies du 21ème siècle (c’est la quatrième), série qui elle-même fait suite à une accélération linéaire des nouveaux pathogènes émergents depuis plusieurs décennies
- Les causes de cette augmentation des pathogènes émergents sont bien connues. C’est en résumé la pression exercée sur les espèces animales par les activités humaines, ainsi que notre proximité avec les animaux. L’extinction des espèces – dont la trajectoire n’est pas linéaire mais exponentielle – amène les virus émergents à changer d’hôte et ils nous trouvent
- Les nouveaux microbes émergents sont donc un symptôme d’une manipulation excessive de l’environnement par les activités humaines
- Le SARS-CoV-2 n’est pas causé par le changement climatique ni par les émissions de gaz à effet de serre mais les nouveaux pathogènes émergents trouvent leur origine sur les mêmes causes, à savoir là encore les activités humaines et le développement des sociétés industrielles en particulier. Le SARS-CoV-2 est un autre produit de l’Anthropocène
- L’effet du changement climatique sur les pathogènes émergents est excessivement complexe et ambigu. Parfois le réchauffement aggrave les émergences et la dissémination des microbes, parfois il exerce un effet plus positif en atténuant leurs cycles de vie
- L’impact de la pandémie sur les sociétés et l’économie a montré à quel point nos sociétés étaient vulnérables aux chocs systémiques. La pandémie a souligné aussi la fréquence très élevée des maladies chroniques puisque le Covid-19 est disproportionnellement plus dangereux chez les humains âgés et malades, c’est-à-dire typiquement le « patient industriel » (le malade d’aujourd’hui). Beaucoup de militants du climat se sont appuyés sur ces faits pour rappeler qu’un changement climatique trop dramatique nous exposerait régulièrement à des chocs différents d’une pandémie mais à l’impact similaire ou du moins tout aussi problématique
- Il semble que la pandémie ait provoqué un choc de conscience large, notamment chez les gouvernements, qui les amène à envisager une réaction qui la dépasse et qui corresponde plus à un plan de transition environnementale qu’à une « simple » meilleure préparation à de futures pandémies. Il est beaucoup trop tôt pour dire si ce sera vraiment le cas et si ce sera suffisant.
Pour revenir au climat, son changement est en cours et il va falloir faire avec. Son impact sanitaire est plus que probable même s’il est difficile d’en préciser les contours. Les scientifiques ne préconisent pas seulement d’atténuer le changement climatique futur mais donc de se préparer à celui qui est déjà inévitable (le fameux adaptation and mitigation). Parce qu’il n’y a pas de doute à avoir. Un monde qui se réchauffe sera un monde plus dur.
Crise climatique et campagne électorale en Allemagne : beaucoup n’ont pas compris ce qui est en jeu
Tomasz Konicz
www.palim-psao.fr/2021/08/crise-climatique-et-campagne-electorale-en-allemagne-beaucoup-n-ont-pas-compris-ce-qui-est-en-jeu-par-tomasz-konicz.html
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Le débat sur le climat est probablement le champ de bataille le plus déprimant de la campagne électorale [26 septembre] pour le Bundestag. En effet, c’est là que le fossé entre l’idéologie et la réalité se creuse le plus. Ce qui est discuté en public et ce qui serait nécessaire pour éviter l’effondrement socio-écologique sont si éloignés que surgissent involontairement des souvenirs de la phase finale du «socialisme réellement existant», c’est-à-dire lorsque les appareils ossifiés de l’Etat et du parti se sont avérés incapables de changer de cap.
En l’occurrence, c’est bien pire, car la survie même de l’humanité est désormais en jeu: dans le capitalisme tardif de la République fédérale d’Allemagne, les Verts subissent des pressions en tant que «parti des interdictions», parce que sont débattus des thèmes tels que les limitations de vitesse sur les autoroutes, l’augmentation des prix du carburant ou la suppression des vols court-courriers. Or, simultanément, la crise climatique prend déjà les dimensions d’une catastrophe – non seulement sous la forme d’inondations, ici en Allemagne, mais aussi sous la forme d’une vague de chaleur extrême dans le nord-ouest de l’Amérique – largement ignorée dans les discours de la campagne électorale. L’Amazonie, la calotte glaciaire de l’Arctique, une grande partie du pergélisol dans le Grand Nord, partout plane la menace du franchissement de points de basculement (point de non-retour), alors que l’Allemagne discute de voitures électriques à forte puissance et de vols bon marché vers Majorque.
Les faits parlent d’eux-mêmes. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié en avril dernier des prévisions selon lesquelles les émissions mondiales de CO2 devraient augmenter de 5% cette année. Fini le marasme historique de 2020, où les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 7% en raison de la léthargie économique provoquée par la pandémie. Qui plus est, les émissions de gaz à effet de serre devraient également continuer à augmenter allègrement en 2022. Le trafic aérien mondial, qui est actuellement largement en pause, devrait également reprendre à plein régime l’année prochaine, ce qui entraînera une nouvelle augmentation des émissions. Le capitalisme prouve de manière impressionnante qu’il ne peut «réduire» les émissions mondiales qu’au prix d’une crise économique internationale.
Le fétichisme dans le capitalisme tardif
La manière épouvantable dont l’idéologie capitaliste tardive traite ce fait est illustrée par une première page du magazine Spiegel, qui montre les deux dirigeants verts [Annalena Baerbock et Robert Habeck] pris dans une «réalité» tempétueuse contre laquelle leurs idéaux verts s’envolent. Ce n’est pas la crise climatique objective qui devient la réalité déterminante, mais les contraintes absurdes de l’ordre économique du capitalisme tardif. Cependant, une telle naturalisation de la domination capitaliste, qui est habituelle dans le courant économique dominant, comporte également un grain de vérité déformé, puisque la domination dans le capitalisme est en fait sans sujet et semble donc naturelle.
D’une part, les rapports sociaux capitalistes, en tant qu’abstraction réelle, font apparaître l’utilisation du capital dans la production de marchandises au niveau de l’ensemble de la société comme une contrainte matérielle dont dépend – sous forme de salaires et d’impôts – la reproduction de l’ensemble de la « société du travail » («Arbeitsgesellschaft»). D’autre part, il s’agit précisément de ce processus de valorisation par lequel le monde entier – sous forme de ressources et d’énergie – est littéralement brûlé au nom de la «croissance» des valeurs monétaires abstraites.
Ainsi, dans la crise climatique, deux types de contraintes s’affrontent : la contrainte objectivement donnée de la réduction la plus rapide possible des émissions de CO2 et la « contrainte de croissance » du capital pour lequel l’ensemble du monde concret n’est que le matériau d’une valorisation abstraite.
Ce fétichisme du capital – tel que formulé par Robert Kurz [1], le critique de la valeur – se révèle précisément dans la crise climatique, puisque même les capitalistes les plus puissants sont incapables de l’éviter, et donc de préserver le fondement de leur entreprise, de leurs affaires. En fin de compte, cela signifie que la dynamique de la valorisation du capital poursuivra son processus d’embrasement mondialisé jusqu’à ce qu’elle conduise la société à un effondrement socio-écologique et s’éteigne ainsi – ou alors jusqu’à ce qu’il soit transformé en histoire par un mouvement émancipateur. Dans ce contexte, l’émancipation signifie le dépassement du fétichisme social, dans lequel les gens sont exposés aux contraintes meurtrières du capital, afin de passer à l’élaboration consciente de la reproduction sociale au cours d’une transformation du système.
Dépasser le capital est donc une nécessité pour la survie. Par conséquent, la question du climat n’est pas une question de partage des charges, des coûts ; ce n’est pas une question de couverture sociale du risque. C’est une question d’ensemble. Si cela ne se fait pas, la dérive vers la barbarie est inévitable. Certaines parties de la terre deviendraient tout simplement inhabitables dans un avenir prévisible. Face à la crise climatique avancée, l’objectif stratégique des forces progressistes ne peut être que de tenter de survivre aux effets catastrophiques à venir de la crise climatique dans le cadre d’une transformation du système sans rupture de civilisation.
Dans la campagne électorale actuelle, les électeurs n’ont donc qu’un choix factice, même dans le domaine existentiel au sens propre de la politique climatique, entre la pulsion de mort de l’autoritaire CDU-fossile Armin Laschet [candidat à la Chancellerie de la CDU-CSU] et le mensonge du capitalisme écologique tel que propagé par les Verts. Le modèle économique des Verts consiste à mettre une couche écologique sur la compulsion de valorisation du capital, de sorte que même dans la crise climatique patente, ils peuvent s’accrocher au système même qui continue à l’alimenter quotidiennement.
Rêve fiévreux de l’électromobilité
Dans le Green New Deal, par exemple, les composantes infrastructurelles d’un nouveau régime d’accumulation « écologique » doivent être créées au moyen d’investissements publics élevés.
Dans le cas de l’industrie automobile, par exemple, cela revient à de dangereux rêves fiévreux selon lesquels 50 millions de voitures électriques doivent être construites au milieu de la catastrophe climatique imminente – même si les études sur les émissions de CO2 pendant leur production doivent être truquées par la suite.
Au lieu de servir de « correctif social » à un parti vert opportuniste, les forces de gauche et progressistes devraient s’attaquer de manière proactive à la perception que la population a depuis longtemps des bouleversements à venir et chercher des moyens d’orienter la transformation du système à venir dans une direction émancipatrice.
La dynamique du changement climatique est tout aussi indifférente aux tactiques de campagne électorale qu’aux sensibilités de la classe moyenne ou aux objectifs de vente de VW et Daimler. Elle avance sans être affectée par l’état du discours sur la question climatique véhiculé par les médias de masse. Ainsi, la gauche doit avant tout dire ce qu’il en est : que le progrès n’est désormais possible qu’au-delà du capital, que des bouleversements profonds sont inévitables, dont il faut littéralement combattre le cours. Parler de manière claire est nécessaire non pas parce que cela apporte des gains dans les campagnes électorales ou des votes dans les urnes, mais parce qu’il s’agit d’une question de survie de l’espèce humaine.
Ce n’est que sur cette base qu’une politique de réforme réfléchie pourrait de nouveau avoir un sens. Il ne s’agirait plus de l’habituel social-démocrate agissant comme un médecin au chevet du capital, mais d’explorer des moyens concrets pour orienter la transformation dans une direction effectivement progressiste.
(Article publié par l’hebdomadaire Der Freitag, n° 30; traduction rédaction A l’Encontre) – La version française : A l’Encontre – Tomasz Konicz est l’auteur de Klimakiller Kapital. Wie ein Wirtschaftssystem unsere Lebensgrundlagen zerstört («Le capital assassin du climat. Comment un système économique détruit nos conditions de vie»), Mandelbau Verlag, 2020. Pour une critique des vues propositionnelles de Tomasz Konicz d’un autre point de vue critique de la valeur, voir Sandrine Aumercier, Le Mur énergétique du capital. Contribution au problème des critères de dépassement du capitalisme du point de vue de la critique des technologies, Albi, Crise & Critique, 2021.
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[1] En français, parmi de nombreux livres traduits, voici deux références à des ouvrages de Robert Kurz: Lire Marx: Les principaux textes de Karl Marx pour le XXIe siècle (Les Balustres, 2013); Raison sanglante: Essais pour une critique émancipatrice de la modernité capitaliste et des Lumières bourgeoises, Crise&Critique, 2021. (Réd.)
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Zalantzan jarri nahi genuke idazten hasi orduko (edo irakurtzen hasi orduko) azken hilabete hauetan plazara dakarten auzi bat. Bizitzea dagokigun garai arraro hauetan galdetu behar genuke, nork, zergatik eta nola erabaki duen plazan agertzearena. Zergatik orain hitz egiten da lan ordu murrizketaren inguruan? Gainera, baieztapen beldurgarriez lotuta etortzen zaizkigu lerro buruetara murrizketak: enplegua suntsituko da digitalizazioarekin. Enplegu orduen murrizketaren eztabaida ekartzen digute, momentu berean, etorkizuneko patua enplegu suntsiketa (eta ez besterik) balitz bezala eta, koktelaren apaingarri, gizaki itxura duten robotak edo industria fabrika automotizatuen irudiak. Bestondo handia eta zapore txarra eman dezakeen edari gogor horietako bat dirudi.
Etorkizuna eta enplegua bezalako hitzak entzutean baditugu nahi gabe aktibatzen zaizkigun irudikapen batzuk –markoak–. Etengabe (ber)sortzen dira irudikapen hauek, telebista, irakurgai, kale elkarrizketa, filma, datu… Ia oharkabean joaten dira forma eta edukia hartzen, geurera barneratzen eta hezur-mamitzen, egiten dira nahi gabe (sasi)unibertsal, neutral eta natural, geure parte bilakatzeraino. Azken urteetan, etorkizuna eta enpleguaren inguruan eraiki den marko indartsuena digitalizazioarena izan da eta, zuzenki lotu da enplegu galerarekin eta beraz, beldur sentimenduarekin. Garapen teknologikoak ezinbestean eta, modu naturalez, enpleguen galera balekar bezala. Hala izan liteke noski, baina ez ezinbestean eta ez erabaki politikoetatik urruti. Besteak beste, enpleguak murriztu beharrean, enplegu orduak murriztea aukera ere badelako. Ez gaitezen horretara mugatu, ordea.
« Azken urteetan, etorkizuna eta enpleguaren inguruan eraiki den marko indartsuena digitalizazioarena izan da eta, zuzenki lotu da enplegu galerarekin »
Bestondoa izan aurretik begiratu dezagun zer eman diguten edateko. Batetik, beharrezko genuke garapen teknologiko eta digitalizazioaren auziari ez modu absolutu eta linealetan heltzea. Bestetik, eta feminismoak zorionez erakutsi bezala, beharrezko genuke auziari buruzko perspektiban erroetara joatea, lan guztiez eztabaidatzea. Azkenik, beharrezko eta urgentea genuke ere herri honen etorkizuneko ikuspegiz oraina eraldatzea.
Garapen digitala ez da gaurko gauza, baina inolaz egungo garaiak zeharkatzen eta izaeraz betetzen dituen aldagaia dugu. Digitalizazioak erabat aldatu du (eta aldatzeke du) gure herria. Ez lineal, ez absolutu, debozio edo madarikazioetatik urruti, errealitate konplexua jartzen digu parean justizia sozialaren parametroetan eraldaketan ari garenontzat. Digitalizazioa, distantzia fisikoen laburtzea eta distantzia sozialen areagotzea da aldi berean, komunikazioa eta inkomunikazioa da une berean, bada enplegu askoren prekarizazioa (adibidez, merkataritza lan postu feminizatuak) eta lan baldintzen hobetzea (adibidez, zaintza lanetan mugimendu pisutsuen lagungarri robotak) bermomentuan, demokratizazioa eta Jeff Bezosen bidaia moralki eta ekologikoki garestiegien sasoia… Zerrenda luzeegia okurritzen zaigu. Dena dela, gure ardura da ikuspegi konplexu batetik heltzea auzi honi ere.
Beti, horien guztien zio politikoak agerian jartzea. Eta hain justu, digitalizazioa kapitalaren aberastasunaren metaketan gehiengoen itotzera doan heinean, berau salatzea eta hein berean, digitalizazioa bizitza duinaren eta herriaren mesedetan jartzea. Enpleguaren ordu murrizketen edo lau eguneko lan astearen proposamena ere ez da gaurko auzia. Asteko enplegu lan orduen auziak nolabaiteko protagonismo erlatiboa hartu du azken hilabeteetan eta, ur tantak lez, irakurgai edo entzungai etortzen da berriren bat, ahotsen bat edo mundu zabaleko adibideren bat gure eskuartera: Suedia, Finlandia. Gu geu ere nonbaitetik hasi behar eta ebatu nahi izan dugu genealogiaren haria (edo artxiboko bilatzaileko teklatua, nahiago baduzue). Laster ohartarazi zaigu: ez gara batere originalak, honetan ere. Urte asko pasa ez badira ere, tartean gauza asko eta azkar(regi) pasatzen diren honetan, 1998-1999 urteak biziak izan ziren asteko lan orduen auziaz (ber)pentsatu eta eztabaidatzeko. Herri Batasunak 1998ko datarekin Giza Soldata izeneko eztabaida txostena elaboratu zuen, ondoren etorriko zen urte horietan Lana banatu ondasuna banatu proposamena. 35 orduko asteko lanaldia proposatzen zen (32 publikoaren kasuan), lan orduak jaitsi soldata jaitsierarik gabe noski, giza soldata (inolako diru sarrerarik ez dutenentzat) eta alokatzeko etxebizitza publikoak. Garaiko langabezia tasa handiei aurre egiteko proposamena zen Lana gutxiago egin denok lan egiteko ezaguna den baieztapenarekin. Eta sindikatuek ere grebara deitu zuten.
Baina ez gaude garai horretan eta, egin dezagun ariketa gaurkotzeko. Lana gutxiago egin, denok lan egin ahal izateko. Ekonomia feministak, marxismo nahiz feminismoen elkar gurutzetik egindako teoria politikoek eta, azken urteetako Euskal Herriko lan-greba feministetan emandako eztabaidek, lana bera ulertzeko ohiko moduen izaera politikoa bistaratu dute, edo horretarako gonbidapena luzatu dugu behintzat. Hain zuzen ere, ezinbesteko problematizatze ariketa dugu lanez, enpleguez eta banaketaz eztabaidatu nahi badugu.
Laburrean, lana eta enplegua ez dira gauza bera. Enplegu oro da lana, baina lan oro ez da enplegua gaur egun. Azken finean, enplegua soldata baten truke egiten den lan hori litzateke. Eta, feminismoak lan-grebak birformulatzeko izan duen gaitasun horretatik, plazara ekarri da hain zuzen ere, lan asko egiten dela enplegutik harago ere. Bereizketa honetaz gain, lanen logikaren gaineko eztabaida ere plazaratu zen. Beharrezko eta oinarrizko lanak badirela eta badaudela ere, gure jendarte kapitalistetan, kapitalaren akumulazioaren logika pean egiten diren lanak. Bi logikak elkarlotuta daude. Hain zuzen ere, lehenak, hots, beharrezko eta oinarrizko lanak dira jendarte bizitza (pertsonala eta soziala) posible egin ahal izateko beharrezko diren eguneroko lan guzti horiek, eta aldiz, oro har, ordaindu gabe (edo modu oso prekarioan merkaturatuak) ezkutuan, pribatuan eta *emakumeek egiten dituzten lanak dira. Badira orduan, bizitza posible izan dadin lan asko eta asko, ezinbestez egin behar direnak. Baina, harrigarriki, ez direnak ez lehentasun ez oinarria egungo sisteman.
« Batetik, zerbitzuk publikoak pribatizatzen ari dira eta lan horien zama sektore prekarizatuenen bizkar ari da erortzen. Bestalde, zahartzen ari den herri bat gara eta zainduak izateko beharra handia izango da etorkizunean »
Zer gertatzen ari da azken urteetan? Mugimenduak ematen ari dira lan horiek erresolbitzen ziren moduetan (batez ere, bizitza posible egiteko beharrezko ditugun lan horietan). Batetik, zerbitzu publikoak pribatizatzen ari dira eta lan horien zama sektore prekarizatuenen bizkar ari da erortzen. Bestalde, zahartzen ari den herri bat gara eta zainduak izateko beharra handia izango da etorkizunean. Era berean, enpleguaren esklabo garen sistema honetan enpleguak prekarizatzen ari dira soldata eta lanaldi aldetik (lan ordu amaigabeak eta disponibilitate amaiezina). Azkenik baina garrantzia bereziz, emakumeak lan merkatura atera gara masiboki (baina gizonak ez dira sartu hein berean familian egiten diren lanak egitera) eta horrek guztiak, lanaldi ez errealak ekarri ditu (enplegu eta bestelako lanak uztargarri ez izateraino) eta zaintza lanak merkaturatzen dira are baldintza prekarioagoetan nazioarteko zaintza kate globalak sortuz…
Guzti hau aintzat hartuz, zentzu gutxi luke, perspektiba eraldatzailearen aldetik bederen, soilik enplegu mota baten suntsitzeaz eta digitalizazioaren arteko loturaz aritzea etorkizuna irudikatzen dugun aldiro. Ikuspegi aski kamustua litzateke. Edo asteko lan ordu murrizketen eztabaidan aritzea soilik enplegutik eta enpleguaz jardungo bagenu. Beharrezko dugu, hitz hauek idazten ari garenon iritziz bederen, erroetara joan eta perspektiba feministaz aritzea. Konplexutasunetik, lan-en banaketaz eta aitortzaz aritzea inondik ere pluralean. Hau da, lanak banatu denok lan egin ahal izateko. Lanak aitortu (ez soilik soldata forman baina baita) denok gaurtik bizitza duin bat eraiki edo borrokatu ahal izateko.
Aurretik aipatu bezala ere, ezinbesteko dugu auzi honetan, herri perspektibatik pentsatzea, irudikatzea eta aritzea. Herri honen etorkizuneko ikuspegiz oraina beste modu batez eraikitzen aritzeko. Halabeharrez, imajinazio politikoa badugu eta beharko dugu egun egiten ari garen kaleta egiteari utzi nahi baldin badugu behintzat. Eta krisiek hain zuzen ere hori dioskute, beste aukerarik ez dugula, ez bada bizitza duinak eraikitzen hastea, norberarekin, besteekin eta gure lur edo itsasoekin. Birpentsatu ditzagun lanak: zein lan, zertarako eta nola egingo ditugu herri honetan? Hots, zer eta nondik eraiki nahi dugu gure herria? Ezinbestez berrikusi behar dugu egiten ari garena herri bezala: gure elikadura burujabetza tasak eskandalagarriak direla ohartu (%5a ekoizten dugu soilik, eta nola gainera!), gure aztarna ekologikoaren datuak sostengaezinak direla plantea bakarra izanik, enplegu batzuk ez dutela zentzu gehiegirik bizitza duinak eraikitzera begirako lanetan eta enplegu ez diren batzuk aitortzea ezinbesteko dela, enplegu asko sortzeko dugula ongizatea zentroan jarriz gero, eta bizitza duin bat posible egin ahal izateko, lanaldiak eta lan orduak bizigarriak izan behar direla, antolaketa sozial motak eta jabetzak ere eraldagarriak direla inondik, kontsumoa ez duela zertan gaur egun egiten dugun munstrokeri hau izan, digitalizazioa bizitza duinak izatera begira eraiki daitekeela, demokratizaziotik eta gure herriaren eskalan egingarria dela… beraz, jarrai dezagun! Dena denentzat! Honetaz guztiaz hausnartu nahi dugu Euskal Herria digitala lemapean plazaratu dugun manifestuan eta urrian burutuko ditugu jardunaldietan. Gonbidatuta zaudete!