Articles du Vendredi : Sélection du 3 mai 2013

Le Medef et Laurence Parisot sont-ils climato-sceptiques?

Maxime Combes – membre d’Attac France et de l’Aitec, engagé dans le projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)
http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes/290413/le-medef-et-laurence-parisot-sont-ils-climato-sceptiques

Souveraineté alimentaire, une perspective féministe

Esther Vivas

Ce n’est pas une crise mais un effondrement

Extraits du journal « La décroissance » de février 2013
La décroissance N°96 – Février 2013

Cahuzac, oligarchie et hauts cris : Lutter contre la démesure par le revenu maximum autorisé

Corinne Morel-Darleux
www.lespetitspoissontrouges.org/index.php?post/2013/05/01/Lutte-contre-la-demesure—pour-un-revenu-maximum-autorise–La-mode-est-aux-liste-de-noms-avec-des-chiffres-en-face-En-voici-quelques-uns-

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Le Medef et Laurence Parisot sont-ils climato-sceptiques?

Maxime Combes – membre d’Attac France et de l’Aitec, engagé dans le projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)
http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes/290413/le-medef-et-laurence-parisot-sont-ils-climato-sceptiques

La question mérite d’être posée tant le Medef et Laurence Parisot multiplient les actions de lobbying et interventions publiques pour bloquer toute avancée dans le débat sur la transition énergétique, tout en appuyant sans retenue l’exploitation des gaz et pétrole de schiste.

Dans quelques jours, les capteurs atmosphériques de différentes stations d’observations devraient mesurer des concentrations de CO2 dans l’atmosphère supérieures à 400 ppm (parties par millions) dans une grande partie de l’hémisphère Nord. Hormis la période industrielle, la concentration de CO2 n’avait jamais dépassé les 300 ppm depuis 800 000 ans. Les climatologues considèrent qu’il faudrait revenir au plus vite en deçà des 350 ppm afin de conserver une chance raisonnable de ne pas dépasser les 2 °C de réchauffement global d’ici 2100. Conséquence de cet accroissement continu des concentrations de CO2 dans l’atmosphère, une température mensuelle mondiale inférieure à la moyenne du XXème siècle n’a plus été observée sur Terre depuis février 1985.

Le franchissement du taux symbolique de 400 ppm devrait donc servir de force de rappel pour s’engager sans hésiter dans des politiques permettant de réduire drastiquement et rapidement les émissions de gaz à effet de serre.

Pas pour le MEDEF et ses dirigeants. A croire qu’ils sont climato-sceptiques.

A propos du débat sur la transition énergétique actuellement en cours, Jean-Pierre Clamadieu, président de la multinationale de la chimie Solvay et de la Commission développement durable du Medef, n’a rien trouvé de mieux que d‘affirmer que « la lutte contre le réchauffement climatique ne doit pas être l’objectif essentiel du débat ». On attend toujours qu’il nous explique pourquoi faudrait-il mettre de côté la lutte contre le réchauffement climatique. Ou pourquoi ce ne devrait pas être un objectif essentiel. Monsieur Clamadieu doute-t-il de l’urgence de la lutte contre le réchauffement climatique ? 

Cette déclaration est loin d’être isolée. Il est pourtant aujourd’hui clairement identifié, prouvé et admis qu’il ne peut y avoir de lutte efficace contre les dérèglements climatiques si les économies européennes persistent à consommer autant d’énergies fossiles. Le débat sur la transition énergétique vient d’en faire la preuve. Seuls les scénarios respectant l’exigence de la loi POPE de 2005 – division par 4 des émissions de GES d’ici 2050 – ont été étudiés. Tous prévoient une réduction de la consommation d’énergie finale de 17 % à 56 %. S’orienter vers des trajectoires post-fossiles est clef. L’Agence Internationale de l’Energie en a récemment convenu en affirmant que « notre consommation, d’ici à 2050, ne devra pas représenter plus d’un tiers des réserves prouvées de combustibles fossiles », ce qui revient à affirmer que deux tiers des énergies fossiles doivent être laissées dans le sol.

Que dit et que fait le MEDEF ? Qu’il faut exploiter les gaz et pétrole de schiste comme l’a encore récemment affirmé Laurence Parisot. La toujours présidente du MEDEF prétend qu’il ne faut « pas passer à côté d’une manne extraordinaire sous nos pieds » en raison des « implications économiques ». De son côté, le Groupement des entreprises parapétrolières et paragazières et des professionnels du pétrole et du gaz (GEP-AFTP) ignore les défis climatiques, comme nous le notions dans un précédent post. Le MEDEF et Laurence Parisot refusent d’admettre qu’exploiter les gaz et pétrole de schiste rendrait mécaniquement hors d’atteinte les objectifs fixés par l’AIE ou par les scénarios étudiés dans le cadre du débat sur la transition énergétique.

Le MEDEF ne veut rien changer. Il est du côté de ceux qui bloquent la transition. Comme l’explique un document produit dans le cadre du débat sur la transition énergétique, il faudrait exploiter les gaz et pétrole de schiste pour le « bénéfice des industries intensives en énergie ». Voilà qui est plus clair. Les « industries intensives en énergie » sont intouchables. Pour le MEDEF, la compétitivité des entreprises et les profits des actionnaires ont toujours primé sur les droits et revenus des salariés. Il doit en être autant avec la stabilisation du climat. Belle cohérence mortifère.

Le MEDEF défend les positions acquises de quelques entreprises au détriment du climat et de la santé des populations. Le MEDEF est réactionnaire, conservateur, rétrograde. Le progrès, la transition ? Le MEDEF et Laurence Parisot s’y opposent. 

Que le MEDEF et Laurence Parisot s’expliquent donc : si l’on ne croit pas au Père Noël, comment est-il possible de satisfaire aux exigences climatiques tout en continuant d’extraire et consommer toujours plus d’énergies fossiles ? Ou sinon, qu’ils assument et disant clairement qu’ils sont climato-sceptiques ou qu’ils ne veulent pas de politique de lutte contre le réchauffement climatique. Le débat n’en sera que plus clair.

Souveraineté alimentaire, une perspective féministe

Esther Vivas

Les systèmes de production et de consommation d’aliments ont toujours été socialement organisés, mais leurs formes ont varié historiquement. Au cours des dernières décennies, sous l’impact des politiques néolibérales, la logique capitaliste s’est imposée de plus en plus dans la manière dont sont produits et distribués les aliments (Bello 2009).

Avec le présent article, nous souhaitons analyser l’impact de ces politiques agro-industrielles sur les femmes et le rôle clé joué par les femmes paysannes, tant dans les pays du Nord que du Sud, dans la production et la distribution d’aliments. Nous analyserons donc de quelle manière une proposition alternative au modèle agricole dominant doit nécessairement intégrer une perspective féministe et de quelle manière  les mouvements sociaux qui travaillent dans cette direction, en faveur de la souveraineté alimentaire, tentent de l’intégrer.
Paysannes et invisibles

Dans les pays du Sud, les femmes sont les principales productrices de nourriture, les responsables du travail de la terre, de la conservation des semences, de la récolte des fruits, du ravitaillement en eau, de la surveillance du bétail… Entre 60 et 80 % de la production d’aliments dans ces pays relèvent de la responsabilité des femmes, au niveau mondial ce chiffre se monte à 50% (FAO, 1996). Les femmes sont les principales productrices des cultures essentielles comme le riz, le blé et le maïs qui nourrissent les populations les plus appauvries du Sud global. Mais malgré leur rôle clé dans l’agriculture et l’alimentation elles sont, avec les enfants, les plus affectées par la faim.

Les femmes paysannes ont été responsables, pendant des siècles, des tâches domestiques, des soins aux personnes, de l’alimentation de leurs  familles, des cultures destinées à l’autoconsommation, de l’échange et de la commercialisation des quelques excédents produits par l’exploitation familiale, assumant le travail reproductif, productif et communautaire en étant confinées à la sphère privée et invisible. A l’opposé, les principales transactions économiques agricoles, ont été traditionnellement assumées par les hommes, dans les foires agricoles, avec l’achat et la vente des animaux, la commercialisation en gros des céréales… en occupant la sphère publique paysanne.

Cette division des rôles assigne à la femme l’entretien de la maison, la santé et l’éducation dans la sphère familiale et octroie à l’homme la gestion de la terre et des machines, soit de la « technique ». Elle maintient intacts dans nos sociétés contemporaines les rôles assignés au féminin et au masculin durant des siècles. (Oceransky Losana, 2006).

Si nous observons les chiffres, ceux-ci parlent d’eux-mêmes. Selon les données de l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) (1996), dans de nombreux pays africains les femmes représentent 70% de la main-d’œuvre agricole ; elles s’occupent à 90% de l’approvisionnement en eau des foyers ; elles ont la responsabilité à hauteur de 60 à 80% de la production alimentaire pour la consommation familiale et la vente. Elles réalisent également 100% du conditionnement et de la préparation des aliments, 80% des activités de stockage et de transport des aliments et 90% des tâches de préparation de la terre. Ces chiffres mettent en relief le rôle crucial joué par les femmes  africaines dans la production agricole à petite échelle et dans l’entretien et la subsistance familiale.

Cependant, dans de nombreuses régions du Sud global, en Amérique latine, en Afrique subsaharienne et en Asie du sud, on assiste à une notable « féminisation » du travail agricole salarié, spécialement dans les secteurs orientés vers l’exportation non traditionnelle (Fraser 2009). Entre 1994 et 2000, selon White et Leavy (2003), les femmes ont occupé 83% des nouveaux emplois dans le secteur de l’exportation agricole non traditionnelle. Ainsi, nombre d’entre elles ont accédé pour la première fois à un poste de travail rémunéré et à un revenu qui leur ont permis d’avoir plus de pouvoir dans les prises de décisions et d’être actives dans un cadre social extérieur à celui du foyer familial (Fraser, 2009).

Mais cette dynamique est accompagnée d’une division de genre marquée par la répartition des postes de travail : dans les plantations, les femmes réalisent les tâches non qualifiées comme le conditionnement et l’emballage, alors que les hommes s’occupent de la plantation et  de la récolte.

Cette incorporation des femmes au travail salarié implique une double charge de travail car elles continuent à être responsables des soins familiaux tout en travaillant pour obtenir un revenu et en occupant bien souvent des emplois précaires. Ces femmes bénéficient de conditions de travail pires que celles de leurs collègues masculins. Elles reçoivent un salaire inférieur pour les mêmes tâches et doivent travailler plus longtemps pour percevoir les mêmes revenus. En Inde, par exemple, le salaire moyen des femmes pour un travail occasionnel dans l’agriculture est inférieur de 30% à celui des hommes (Banque Mondiale 2007). Dans l’État espagnol, les femmes perçoivent un salaire 30 à  40% inférieur à celui des hommes (Oceransky Losana, 2006).

Ce n’est pas une crise mais un effondrement

Extraits du journal « La décroissance » de février 2013
La décroissance N°96 – Février 2013

Ex « pape » du Développement Durable, Dominique Bourg ne cesse de dénoncer ce qu’il nomme désormais une « farce ». « C’est la décroissance ou le clash », avertit-il. Un repositionnement qui nous intéresse d’autant plus que ce professeur de l’université de Lausanne, philosophe, auteur de nombreux ouvrages sur l’écologie est très présent dans les institutions gouvernementales et économiques et… vice-président du CA de la Fondation de Nicolas Hulot.

 

La décroissance : Plutôt que d’utiliser le terme omniprésent de « crise », vous insistez sur le fait que nous vivons une période d’effondrement. Pourriez-vous nous précisez ce que vous entendez par ce mot ?

DB : Employer le terme de « crise », c’est supposer que l’on sorte d’une normalité pendant une période transitoire, ce qui peut durer quelques années ; puis que l’on retrouve un état de normalité, même si celle-ci peut prendre une forme différente de la situation antérieure. Aujourd’hui la période que l’on vit n’a rien à voir avec cela. Nous faisons face à une dégradation continue de la biosphère, un appauvrissement continu des ressources. L’ensemble des écosystèmes s’affaiblit. Nous entrons dans un goulot d’étranglement, sans aucune sortie à la normale possible. La crise est un concept qui est parfaitement inadéquat pour définir ce que l’on vit. Nous n’avons jamais connu une période aussi difficile dans l’histoire.

Pour apporter des réponses appropriées aux difficultés que nous traversons, il faut d’abord employer les bons mots pour les qualifier. Pour moi, il est clair que nous sommes dans une situation de pré-effondrement, comme l’a définie Jared Diamond dans son livre Collapse : car si la base matérielle se dérobe sous nos pied, c’est toute l’organisation sociale qui s’effondre. Tous nos modes de vie, toute la société repose sur des flux de matières et d’énergie sans cesse croissants. Or ces ressources sont en voie d‘épuisement et notre consommation d’énergie perturbe le système biosphère. Sans décroissance de ces flux de matières et d’énergie, on ne s’en sortira pas.

Quels sont les indicateurs de cet effondrement ?

Je vais d’abord parler des indicateurs matériels et de la relation énergie-climat. C’est une nasse à plusieurs niveaux. Aujourd’hui, il y a à la fois trop d’énergie fossile dans le sous-sol, et pas assez. Pas assez pour répondre à nos besoins croissants, mais trop au point de dérégler le climat. Avec l’exploitation des énergies fossiles non conventionnelles, comme le gaz de schiste, nous rejetons encore bien plus de CO2 qu’avec les conventionnelles, ce qui accélère les problèmes climatiques que nous connaissons.

Quant aux sources d’énergie renouvelables, elles sont très gourmandes en matériaux : on construit des éoliennes ou, dans une moindre mesure, des panneaux solaires avec d’énormes quantités de minéraux, or tous les gisements sont en voie d’épuisement. Nous exploitons des filons de plus en plus profonds, avec une teneur moindre en minéraux, ce qui nécessite de plus en plus d’énergie pour les extraire.

Ajoutez à cela le problème de la raréfaction de l’eau douce, l’effondrement des ressources biotiques, notamment des ressources de la mer, l’érosion des sols, l’acidification des océans… L’un des dangers majeurs qu’engendre ce basculement des écosystèmes, c’est la chute des capacités de production alimentaire. On l’a bien vu durant les dix dernières années : les sécheresses ont provoqué une diminution des récoltes dans des régions agricoles importantes, comme la Russie ou les Etats-Unis. La possibilité d’un effondrement devient à terme très claire.

 

Quels sont les autres révélateurs du chaos actuel, sur les plans sociaux et moraux ?

Nous atteignons des niveaux d’inégalité jamais vu dans l’histoire. Jusqu’à la révolution industrielle, aucune région du monde n’était deux fois plus riche qu’une autre. Car les sources énergétiques étaient limitées : les muscles des hommes, des animaux, le bois, le vent, les cours d’eau… Il ne pouvait donc pas y avoir d’énormes différences entre les sociétés. Mais aujourd’hui, pour donner un exemple, le Qatar est 428 fois plus riche que le Zimbabwe. C’est une situation inédite : jamais les richesses n’ont été aussi mal réparties, concentrées entre les mains d’une minorité. Jamais les écarts n’ont été aussi importants.

D’après vous comment le clash pourrait-il se manifester dans les années à venir ?

J’ai étudié la question de la démocratie écologique : comment faire en sorte de revivifier les institutions pour faire face aux enjeux actuels. Je n’ai pas de modèle tout fait, je ne sais pas quelle forme définitive elle pourrait prendre. Les institutions dépendent de nos manières d’être et inversement : elles s’influencent mutuellement. La pénurie matérielle va nous contraindre à revoir notre organisation, nos valeurs, nos modes de vie en profondeur. Pour amorcer la pompe, je propose dans mes livres d’impulser des modifications institutionnelles. Plus on attend, plus il sera difficile de faire face. Si le sommet de Copenhague avait abouti, il était prévu de diminuer de 3% les émissions mondiales de CO2, chaque année, même si cela aurait été très difficile à atteindre. Imaginons que la conférence de Paris réussisse en 2015 : la mise en œuvre de cet accord à partir de 2021 exigerait pour le même objectif de contenir la hausse de la température moyenne du globe en deçà de 2°C à la fin du siècle, une réduction moyenne de 6 à 9%.

Je réfléchis à trois scénarios dans mes recherches : la démocratie écologique par le changement institutionnel ; une démocratie écologique qui reconnait la vulnérabilité de la société globale et qui encourage des expériences originales, des modes de vie alternatifs, des initiatives locales marginales qui pourraient être des laboratoires intéressants pour la société de demain ; et le troisième scénario c’est de penser la société de l’après effondrement, car il est probable qu’on se casse la gueule. Même si le pire n’est jamais certain. Je ne m’appelle pas Madame Soleil, mais si je voulais m’amuser à faire des prévisions, je pourrais dire qu’on risque de vivre un mélange entre le délitement de Rome, qui a pris des décennies, et le XIVème siècle, quand se sont déroulés à la fois la guerre de Cents Ans, le petit âge glaciaire et la peste noire qui a fait des ravages et a occis un tiers de la population affamée… Un mélange de ce type nous pend au nez. Avec les données dont nous disposons, cela fait partie des scénarios possibles.

 

Vous parlez de refonder la société autour d’initiatives locales. Mais cela parait difficile aujourd’hui, avec un système technicien qui nécessite des institutions centralisées.

Les monastères étaient méprisés par les élites de Rome. Mais ces expériences ont permis de poser des jalons nouveaux. La société qui s’est reconstruite autour des monastères, ce n’est pas une société qui est devenue un grand monastère : elle aurait disparu et nous ne serions pas là pour en parler ! Même si ces initiatives restent minoritaires et ne se généralisent pas forcément, ce sont des lieux d’expérimentation importants : on met en place de nouvelles manières de vivre, de s’organiser, de produire, d’échanger. Aujourd’hui avec notre niveau de technicité, l’organisation est décentralisée, complexe. C’est l’un des points noirs possibles : si l’effondrement est général il sera difficile de faire de la permaculture à coté des réacteurs nucléaires…

La suite dans La décroissance N°96 – Février 2013

Cahuzac, oligarchie et hauts cris : Lutter contre la démesure par le revenu maximum autorisé

Corinne Morel-Darleux
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Plutôt que de parler de « moralisation de la vie publique » en faisant croire que la publication du patrimoine des ministres aura une quelconque influence sur le système qui se moque bien de savoir qui roule en Twingo, profitons en plutôt pour parler de fiscalité, réhabiliter l’impôt comme outil de justice sociale et réclamer l’instauration du revenu maximum autorisé (RMA) !

Le RMA est une mesure qui consiste à dire que l’hyper-richesse n’est pas légitime, et qu’il n’est pas acceptable que le total des revenus d’une personne dépasse une certaine somme : le revenu maximum autorisé. Je dois dire que je suis sincèrement ravie de voir des mouvements comme Bizi ! s’emparer de ce sujet, sur lequel nous nous sommes fait taxer de doux dingues pendant des années.

C’est un sujet pour lequel j’ai commencé à militer il y a 6 ou 7 ans, au sein du mouvement Utopia, et que j’ai continué à porter au Parti de Gauche en tant que secrétaire nationale à l’écologie. En mars 2009, nous déposions ainsi une proposition de loi sur la fiscalité écologique, l’écart maximum de salaires de 1 à 20, la réduction drastique de la publicité dans l’espace public. En septembre 2009, j’organisais un débat à la Fête de l’Humanité sur ce sujet avec Thomas Coutrot d’Attac et Hervé Kempf autour de son livre « Comment les riches détruisent la planète ». En 2012, la proposition de RMA était intégrée au programme du Front de Gauche L’humain d’abord.

 

Cahuzac, l’arbre qui cache la forêt.

Mais comme cela ne vous aura pas échappé… Nous n’avons pas gagné cette élection présidentielle. Et malheureusement, le RMA n’est pas à l’ordre du jour. Ce qui est à l’ordre du jour, c’est l’austérité, la casse du code du travail avec l’ANI, cet accord Made in Medef qui retranche encore des droits aux salariés au lieu de les renforcer face aux actionnaires. Ce qui est à l’ordre du jour, c’est M. Vidalies, ministre chargé des relations avec le Parlement et M. Leroux, Président du groupe PS à l’assemblée nationale, qui appellent les députés du PS à rejeter la loi d’amnistie sociale, alors que les sénateurs du même PS ont déjà vidé en grande partie la proposition de loi du FDG de son contenu en en écartant les défenseurs des migrants et de l’environnement. Ce qui est à l’ordre du jour, c’est l’aéroport de Notre Dame des Landes, le report de la fermeture de la centrale de Fessenheim, le décret d’autorisation des 44 tonnes sur la route, la LGV Lyon-Turin, et un débat sur la transition énergétique qui passe inaperçu…

Et bien sûr, la grande affaire Cahuzac. L’arbre qui cache la forêt… La fraude fiscale, c’est plusieurs milliards d’euros par an. Alors soyons sérieux deux minutes. Il est franchement temps de réaffirmer avec force que dans un projet de gauche, la lutte contre les inégalités passe aussi par le partage des richesses et le retour à la règle élémentaire de la progressivité de l’impôt. C’est comme avec le terme largement diffusé aujourd’hui de « trou de la sécu », ou encore le glissement sémantique des cotisations vers les charges sociales, l’objectif des libéraux est bien de faire entrer dans tous les esprits l’idée que notre système de solidarité, redistributif et collectif n’est plus tenable et que chacun doit se sauver soi-même. C’est l’individualisation forcenée de la société qui est en marche.

Et pourtant l’aspiration à l’égalité n’a pas disparu dans notre pays. En témoigne le dynamisme de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon qui l’a porté haut et fort, et l’empressement du PS à promettre et bricoler l’instauration d’une taxe à 75 %, mal ficelée et bien éloignée en réalité du concept de RMA, mais conçue pour essayer de capter le mouvement naissant autour de cette revendication.

 

Le point culminant de l’arrogance

Le RMA fait partie d’un ensemble de revendications pour un meilleur partage des richesses, pour en finir avec le mythe de la croissance qu’il faudrait attendre pour améliorer le sort des plus pauvres. Pourquoi attendre, les richesses existent !

Il faut réhabiliter l’impôt et déconstruire l’idée selon laquelle la pression fiscale amputerait le niveau de vie du grand nombre : c’est l’inverse. La véritable pression sur le niveau de vie des ouvriers et employés, c’est celle du capital, des actionnaires. Les patrons du CAC 40 gagnent en moyenne 300 fois le revenu médian des Français. Un patron du CAC 40 gagne ainsi en 1 jour ce qu’un smicard gagne en 1 an. Il paraît que la mode est aux liste de noms avec des chiffres en face ? En voici quelques-uns. Carlos Goshn, Renault/Nissan : 770 ans de SMIC (6 000 emplois supprimés) ; Chris Viehbacher, Sanofi-Aventis : 590 ans de SMIC (3 000 emplois supprimés) ; Christophe de Margerie, Total : 375 ans de SMIC ; Lakshi Mittal, Arcelor : 216 ans de SMIC… Concrètement, pour toucher l’ensemble des revenus, ceux du capital comme ceux du travail, l’outil approprié est la création d’une tranche supérieure de l’impôt sur le revenu à 100 %. Pour nous le RMA se situe à 360.000 euros, ce qui laisse donc tout de même un revenu de 30.000 euros par mois…

 

Non seulement le RMA est un outil de justice sociale, mais c’est aussi une mesure écologique. Car on ne résoudra pas l’équation climatique sans réduire drastiquement les inégalités. On ne trouvera pas de large implication populaire sur ces questions sans la mise en place d’une nouvelle répartition des revenus, plus juste et égalitaire. Parce que cette envolée des hauts revenus entretient la débauche consumériste d’une minorité. Parce que c’est cette minorité, cette oligarchie dorée, qui pollue le plus. Parce que son mode de vie est donné en exemple par les médias et la publicité, pour prôner l’accumulation matérielle et alimenter la machine productiviste. N’oublions jamais le fameux « Si t’as pas une Rolex à 50 ans, t’as raté ta vie ». Ce n’est pas à vous que je vais apprendre que le mode de vie qui permet de se payer une Rolex, que ce soit à 30 ou à 60 ans d’ailleurs, un : implique fatalement qu’à un moment ou l’autre de la chaîne on a contribué à l’exploitation sociale, et deux : qu’il n’est pas généralisable au vu de la crise climatique, de celle de la biodiversité, et de la finitude des ressources, notamment énergétiques.

 

Il s’agit donc bien de limiter les abus. Un autre exemple frappant : en juin 2010, alors que le puits de BP, situé à 1.500 m de profondeur, crachait depuis deux mois jusqu’à 9,5 millions de litres de pétrole par jour en plein golfe du Mexique, Tony Hayward, le patron de BP, ne trouvait rien de mieux à faire que d’aller pavoiser à une course de yachts… De yachts ! Dont le sien, « Bob ». Et de pleurer dans les médias qu’il voulait « retrouver sa vie d’avant ». Il doit y avoir un paquet de gens dans le Golfe du Mexique qui eux aussi auraient sans doute aimé « retrouver leur vie d’avant »… On atteint là le point culminant de l’arrogance d’une oligarchie qui saccage, détruit, et s’en met plein les poches au passage. Plus récemment, les derniers soubresauts de l’actualité nous fournissent encore de nouveaux arguments. Une pathétique succession de mensonges au plus haut niveau de l’État, de mises en examen et de procès, de paradis fiscaux, banques suisses et autres comptes bancaires planqués aux îles Caiman…

Et face à tout ça, rien dans le projet de loi présenté en conseil des ministres le 24 avril, sur la transparence des comptes des multinationales et la transmission automatique d’informations fiscales entre pays. Rien non plus sur la fermeture des filiales des banques françaises dans les places offshore. Que tout ce marasme honteux serve au moins à quelque chose, parce que franchement quoi, désolée d’y revenir, mais une fois qu’on a dit qu’on roulait en Twingo on pourrait aller se faire prêter le jet d’un Bolloré pour une petite partie de golf au milieu du désert avec un Pinault, entre deux coups de yachts vers Guernesey, c’est ça ? Fadaises. Et nous on n’est pas fadas. Alors profitons-en pour pousser des mesures qui répondent à ces deux urgences intimement liées que sont le social et l’écologie.

 

On entend déjà les hauts cris de certains

Comme le revenu maximum autorisé donc, soit la taxation à 100 % des revenus (tous revenus confondus) au-delà de 20 fois le revenu médian. Ce qui permettrait au passage, puisqu’on parle de fiscalité redistributive, d’augmenter la progressivité de l’impôt avec la création de 9 nouvelles tranches. Tout prendre au-delà de 360.000 euros ? On entend déjà les hauts cris de certains. On est habitués, c’est toujours les mêmes, ceux qui ont tout intérêt à ce que le système tienne. Mais comme c’est difficilement avouable, surtout quand on est censé être de gauche, au lieu de le reconnaître ils nous disent que ce n’est pas possible. Ah, et pourquoi ?

D’abord, ça a déjà été fait. Et pas en Union soviétique ! Quand Roosevelt a été élu à la Maison Blanche, après la grande crise de 29, il a fait passer le taux d’imposition des plus riches de 25 à 91% en moins de dix ans. Quand Ronald Reagan est élu président en 1980, le taux marginal d’imposition est encore de 70%. C’est ainsi que pendant près d’un demi-siècle, le taux applicable aux plus hauts revenus a été supérieur à 80%, en moyenne, aux États-Unis. Cela n’a pas nui au dynamisme de l’économie américaine et les inégalités ont été fortement réduites pendant 40 ans, avant le retour des politiques libérales. En France, de 2002 à aujourd’hui, et grâce au bouclier fiscal de Sarkozy, le taux supérieur de l’impôt sur le revenu est passé de 52 à 40 %. Jusqu’en 1986, le taux supérieur était à 65 % (avec 14 tranches contre 5 aujourd’hui) et il dépassait même les 90 % sous la 3e République. Enfin au risque de me faire traiter de Robespierriste, je rappelle tout de même qu’un revenu maximum a été instauré dés la Révolution française dans le décret du 4 août 1789 qui, en abolissant les privilèges, plafonnait à 3000 livres annuelles les revenus tirés de rentes.

 

Ensuite, on nous dit que ça ferait fuir tout le monde. Tout le monde ? Mais qui serait concerné par cette taxation à 100 % ? Ceux qui gagnent plus de 360 000 euros annuels, c’est à dire plus de 30 000 euros mensuels : 0,05 % des contribuables, soit 15 000 ultra-riches. Que l’on peut rattraper avec l’« exit tax », une mesure qui existe déjà aux États-Unis et permettrait de percevoir le différentiel d’impôt pour les français à l’étranger, à hauteur de ce qu’ils auraient du payer en France. Et on ne serait pas capables de « redresser » le pays sans eux ? Ah parce que c’est c’est eux peut-être qui font tourner les machines, eux qui inventent un monde nouveau, eux qui cultivent nos champs et conduisent nos trains ? Fadaises, encore. Ceux-là ne font que pomper les ressources et en tirer des profits virtuels. Ce n’est pas de cette spéculation dont on a besoin, mais d’économie réelle, fondée sur des besoins réels. Et ça, croyez-moi, on sait faire. Bien mieux qu’eux. Et qu’on ne nous dise pas que ce n’est pas possible, qu’il y a besoin d’investissements et qu’il n’y a plus de sous dans les caisses de l’État. Margareth Thatcher est morte, je demande qu’on enterre avec elle le TINA (There is No Alternative). L’austérité n’est pas une fatalité !

Le PIB a doublé en 20 ans, les dividendes ont augmenté de 27% entre 2007 et 2012, les richesses sont là. Il existe des marges inutilisées pour une véritable politique de justice sociale. La preuve ? D’abord, l’austérité, c’est quand ça les arrange : le gouvernement n’hésite pas à investir des millions parfois. Le projet insensé d’aéroport à Notre Dame des Landes, c’est 131 millions pour l’État. La ligne à grande vitesse Lyon-Turin, tout comme l’EPR de Flamanville : 8,5 milliards. Le site d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure : 35 milliards. Et l’on vient d’apprendre par l’IRSN qu’un accident nucléaire coûterait à la France de 760 à 5800 milliards d’euros, soit trois années de PIB ! En revanche ils ne trouvent pas 1 milliard pour nationaliser Florange et préserver les emplois. Rien n’est fait pour anticiper la raréfaction du pétrole, planifier la reconversion de l’outil industriel, faciliter les reprises en coopérative. Les sites ferment les uns après les autres, sans aucune réflexion de long terme. Cette absence de stratégie industrielle et de volonté politique risque de nous coûter bien cher.

 

Ensuite, si les caisses de l’État sont vides, c’est qu’elles ont été vidées ! Pour équilibrer un budget, il y a deux solutions : soit on réduit les dépenses et les investissements publics, c’est la logique de François Hollande et d’Angela Merkel. Soit on trouve de nouvelles ressources et on répartit l’effort non sur ceux qui ont déjà du mal à la fin du mois à choisir entre payer le loyer, le chauffage ou la bouffe, mais sur ceux qui peuvent payer. De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins… . C’est notre approche. Et on l’a chiffré très sérieusement avec une équipe d’économistes en faisant un contre-budget à la fin de l’année dernière. Dès la première année, notre contre budget – avec notamment une augmentation de la TVA sur les produits de luxe – permet de dégager 130 milliards d’euros supplémentaires. De quoi investir : 55 milliards pour partager les richesses et abolir l’insécurité sociale, 16 milliards pour la planification écologique et l’agriculture paysanne, autant pour la création d’un pôle public de l’énergie, les renouvelables, la sortie du nucléaire et le transport ferroviaire…

Alors une fois de plus, si eux ne savent pas le faire, alors qu’on leur sert sur un plateau la manière de s’y prendre, qu’ils sortent. Nous on peut !

 

 

Vers une nouvelle utopie écosocialiste

Je voudrais conclure en lançant quelques pistes de débat supplémentaires. D’abord, la gratuité des premières tranches de consommation d’énergie et d’eau, celles nécessaires à la vie. Il est inacceptable que l’eau qui sert à laver sa bagnole ou d’arroser un golf coûte le même prix que celle qui sert à se laver ou à se faire cuire des pâtes ! C’est une mesure simple, élémentaire même. Qui permettrait à la fois de réduire le gaspis de deux ressources précieuses, l’eau et l’énergie, et de faire face à l’urgence concrète de plus en plus de gens qui n’ont même plus de quoi se chauffer en hiver. Elle se finance toute seule par le renchérissement du mésusage, c’est à dire que ceux qui surconsomment payent pour ceux qui se contentent de vivre, et la distinction entre usages professionnels et particuliers.

Bien sûr, cela implique d’en avoir la maîtrise publique, comme pour tous les grands choix politiques, et donc le retour en régie publique de l’eau et la nationalisation d’EDF, GDF, Total et Areva dans un grand pôle public de l’énergie. Ça implique aussi de désobéir aux directives européennes. Mais une fois de plus, c’est possible. Ça aussi on l’a chiffré et scénarisé. Il suffit d’une bonne dose de courage et de volonté politique. On les a. Comme à la communauté d’agglomération des Lacs de l’Essonne qui est revenue en régie publique, avec gratuité d’accès, comme dans le Lot et Garonne où le conseil municipal de Barbaste vient d’adopter des tarifs progressifs de l’eau avec la gratuité des 15 premiers m3 !

Ensuite, tout ceci est intimement lié au débat sur revenu et travail, et sur la démocratie sociale au sein de l’entreprise. Nous sommes au PG très attachés à l’extension de nouveaux droits pour les salariés et à la reprise d’entreprise sous forme coopérative, favorisée en cas de fermeture imposée, et permettant de commencer à sortir de la propriété privée des moyens de production. Pour rétablir un peu de justice sociale dans l’entreprise, et parce que c’est compliqué d’arriver directement avec des mesures d’expropriation (sourire), nous avons déposé une proposition de loi en mars 2009, il y a tout juste 4 ans, dite de «bouclier social» pour répondre au « bouclier fiscal » de Sarkozy, dont l’article 17 stipulait : « Il est institué un salaire maximum légal dont le montant ne peut pas dépasser vingt fois celui du salaire minimum. Le salaire maximum légal inclut, le cas échéant, la partie fixe du salaire et la partie variable en fonction des objectifs prévus au contrat de travail ou du chiffre d’affaire généré par l’activité du salarié ». Donc, pas de salaire supérieur à 20 fois le salaire le plus bas, ce qui aurait pour effet de contraindre les patrons à augmenter les plus bas salaires avant de s’augmenter et d’enclencher un cercle vertueux en faveur de l’augmentation prioritaire des bas salaires.

Mais du coup ne serait-il pas temps, également, d’oser mettre sur la table d’autres questions liées ? Par exemple – je l’aime bien celle là et elle fait toujours son petit effet – qu’est-ce qui justifie concrètement aujourd’hui qu’un cuistot ne gagne pas la même chose qu’un directeur marketing de SSII ? Une heure de la vie d’un individu n’aurait pas la même valeur qu’une heure de la vie d’un autre être humain ? Pourquoi ? Le revenu maximum ne doit-il pas s’accompagner de la mise en place d’un revenu minimum d’existence ou dotation inconditionnelle d’autonomie ? Le partage des richesses, de toutes les richesses, ne passe-t-il pas également par une réduction drastique du temps de travail ?

Dans notre Manifeste pour l’écosocialisme, qui reprend ces pistes, nous avons écrit : « Indice de progrès humain, démondialisation et protectionnisme social et écologique, dotation inconditionnelle d’autonomie et salaire socialisé, revenu maximum autorisé sont autant de perspectives que nous avons à l’esprit pour sortir des sentiers battus et éviter le piège d’un accompagnement du système. Il nous faut également aller plus loin en matière de réduction drastique du temps de travail : « travailler moins pour travailler tous et mieux », fixer le plein emploi comme horizon tout en interrogeant les finalités du travail : rien ne sert de travailler davantage que le temps utile à produire ce qui nous est nécessaire. Le temps ainsi libéré pourrait utilement être affecté à des activités considérées aujourd’hui comme « improductives » et pourtant combien essentielles au bien vivre ».

Utopique ? Amis, souvenons nous des congés payés, de la sécurité sociale, et des jours heureux du Conseil National de la Résistance… Les seuls combats politiques perdus à coup sûr sont ceux qu’on ne mène pas.