Articles du Vendredi : Sélection du 3 juin 2022

Malgré des financements publics, l’aviation n’a pas tenu sa promesse de polluer moins
Reporterre
https://reporterre.net/Malgre-des-financements-publics-l-aviation-n-a-pas-tenu-sa-promesse-de-polluer-moins

L’industrie aérienne européenne a profité des aides publiques pendant la crise sanitaire sans pour autant réduire son empreinte carbone comme elle devait s’y engager en contrepartie. C’est ce qu’affirme le rapport de Greenpeace intitulé « Vers le crash climatique ? Analyse des sept plus grosses compagnies aériennes européennes » publié mercredi 1er juin.

L’ONG avait demandé à l’institut de recherche Observatorio de responsabilidad social corporativa d’effectuer une analyse critique de l’industrie aérienne européenne avant et après la pandémie. Le secteur a obtenu en raison de la crise du Covid-19 un soutien financier public de 41,9 milliards d’euros. Les sept plus grandes compagnies aériennes européennes — c’est-à-dire Lufthansa, Air France-KLM, International Airlines Group (IAG), Ryanair, easyJet, SAS et TAP Air Portugal — étaient responsables de 170 millions de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre en 2019. Durant la pandémie, elles ont reçu plus de 30 milliards d’euros de fonds de soutien. Ces compagnies devaient s’engager en échange à ne pas causer de dommages significatifs à l’environnement.

« Les gouvernements européens ont accordé des chèques en blanc aux grandes entreprises polluantes »

À ce jour, aucune de ces sept compagnies aériennes n’a d’objectif annuel de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre ou ne s’est engagée à une décarbonation complète d’ici 2040. Les compagnies parient ainsi sur des solutions « inadéquates, fausses et/ou nuisibles à l’environnement, telles que la compensation carbone ou le carburant d’aviation dit durable » ainsi que des « innovations technologiques », jugées non viables pour les décennies à venir par Greenpeace. Qui dénonce « l’irresponsabilité des gouvernements européens qui ont accordé des chèques en blanc aux grandes entreprises polluantes pendant la crise sanitaire ».

Trois des sept compagnies auraient versé des sommes importantes aux actionnaires, tout en multipliant les licenciements : « Les compagnies ont réduit leur main-d’œuvre de 14 % en moyenne entre 2019 et 2020 », écrit l’ONG. La majorité des compagnies ont par ailleurs offert des primes élevées à leurs dirigeants, augmentant le besoin de soutien public pendant la crise sanitaire. Niveau lobbying, Greenpeace déplore le manque de transparence des compagnies qui œuvrent à « affaiblir les politiques climatiques ».

L’ONG rappelle que « la décarbonation du secteur aérien passe par deux axes clés : d’une part la réduction du trafic aérien et d’autre part le développement de carburants alternatifs basés sur 100 % d’énergies renouvelables » .

Le sol européen est-il en train de changer sous nos pieds ?
Bruno Latour
https://legrandcontinent.eu/fr/2022/05/23/le-sol-europeen-est-il-en-train-de-changer-sous-nos-pieds/

Guerre en Ukraine, guerre climatique : deux conflits territoriaux aux racines coloniales se superposent, s’entrechoquent. « Dans cet interrègne, à quoi nous raccrocher ? »

Une pièce de doctrine signée Bruno Latour.

Je commence par un texte qui va paraître insolite : la traduction que Jean Bollack a donnée du début d’Œdipe Roi lorsque le prêtre s’adresse à Œdipe. Il est dit dans la traduction :

« Car la ville, tu le vois toi-même, est emportée 
Trop fort par les flots à l’heure qu’il est  ! pour sortir la tête
Du creux de la houle de sang, elle n’a plus la force.
 »1

Je trouvais, en relisant ce texte, qu’il raisonnait presque trop bien avec la situation de désarroi dans laquelle nous nous trouvons, dans cette accumulation des guerres auxquelles nous avons affaire, résumée dans la pièce de Sophocle par la terrible figure de la peste. Le prêtre est ici en situation de suppliant, mais nous savons tout de suite que très vite le roi, le maître, l’autorité à qui s’adresse sa supplication va devenir bientôt à son tour le suppliant chassé de la ville de Thèbes, aveugle, exilé, mendiant son pain.

Dans un texte admirable, « Les Suppliants parallèles », Péguy avait repris cette invocation en la juxtaposant à la plainte, à la supplication que le peuple russe avait adressée au Tsar après les terribles émeutes de 19052. Péguy montrait que le suppliant n’est pas en position de faiblesse, mais au contraire toujours le maître de celui qu’il supplie et dont il ébranle l’autorité. C’était vrai du Tsar comme d’Œdipe emporté par l’épreuve  : « Il était entré roi. Il en sort suppliant », écrit Péguy. La difficulté est que nous n’avons pas clairement d’autorité ou d’instance auxquelles adresser notre supplication « pour sortir la tête du creux de la houle de sang ». Nous devons nous tourner les uns vers les autres, sans roi ni tsar à supplier. C’est ce que je comprends du titre de cette journée « Après l’invasion de l’Ukraine, l’Europe dans l’interrègne »  : il n’y a pas d’autorité à laquelle nous puissions nous adresser. Nous sommes dans l’attente.

Je prends un exemple simple  : pour ceux qui étaient à Rouen en 2019 au moment de l’incendie de l’usine chimique Lubrizol, brusquement, ils se sont sentis situés autrement dans la ville, proche des gaz toxiques ou pas. Ils se sont mis à suivre avec angoisse la diffusion des gaz pour savoir « où ils étaient ». Ils croyaient être les habitants d’une ville, et ils se trouvent transportés en partie ailleurs au beau milieu d’une zone industrielle à haut risque. Pendant quelques semaines, les Rouennais ont vécu sur un sol défini en partie par l’épreuve de cet incendie. C’est une chose très simple à comprendre. Actuellement, les Indiens et les Pakistanais, qui supportent des températures de près de 50°, sont situés tragiquement sur un sol qu’ils risquent de devoir abandonner à cause de ces températures invivables pour les corps humains que nous sommes, en tout cas les corps des pauvres. Ce qui s’est passé avec l’envahissement par les chars barrés de Z à la frontière ukrainienne, et ce que nous avons saisi, nous aussi les Européens, à l’arrière, c’est une épreuve de situation, une épreuve qui définit différemment l’endroit où nous nous trouvons et quel peuple nous formons avec ceux qui s’inquiètent et qui souffrent autour de nous. Brusquement, nous n’étions plus dans le même espace, et c’est la règle pour toute situation comme l’exprime si bien le début d’Œdipe Roi. L’endroit où nous sommes et le peuple que nous formons ne sont jamais une abstraction, ils sont toujours le résultat d’un choc. Mon argument est donc assez simple à comprendre : à cause de l’épreuve imposée par les conflits multiples que nous subissons en ce moment et qui frappe de plein fouet les Ukrainiens, sur quel sol reposent désormais les Européens  ? L’accumulation des crises actuelles permettent-elles à l’Europe de trouver enfin le sol qui correspond à cette formidable invention institutionnelle que l’on continue à présenter comme suspendue hors sol et sans peuple qui lui correspondrait ?

Je vais aborder cette question à partir de deux points de vue un peu décalés, n’étant spécialiste ni de géopolitique, ni d’affaires militaires.

Le premier décalage est que je m’intéresse à l’Europe-institution, mais autant à l’Europe comme terre, comme sol, comme turf, comme land, ou, pour reprendre l’expression allemande, comme Heimat, avec toutes les difficultés de ce terme. Autrement dit, je suis toujours surpris, quand il s’agit de la France, par exemple, que l’on distingue sans peine la critique du gouvernement — Dieu sait que nous ne nous en privons pas  ! —, sans que cela menace l’attachement plus ou moins viscéral à la France comme pays. Chacun peut critiquer le gouvernement et se sentir néanmoins associé, attaché, à quelque chose qui est un espace, un territoire, une histoire, une situation justement, qui définit pour lui ou pour elle ce que c’est que d’être français. Je m’étonne toujours que ce ne soit pas le cas pour l’Europe. Malheureusement, quand on parle d’elle, on pense uniquement à Bruxelles, alors que c’est aussi un sol, une appartenance, une multitude de connexions dues aux guerres, à la mémoire, aux épreuves de l’exil et de la migration, aux catastrophes diverses que les Européens ont tous connues. Je m’intéresse donc toujours à cette liaison nécessaire entre les deux aspects de la même situation. Si j’utilise le mot « sol », c’est parce qu’il va me permettre de multiplier les connotations qui vont d’un terme en partie utilisé dans des littératures plutôt réactionnaires — c’est le sol identité — jusqu’à d’innombrables travaux scientifiques sur le sol cette fois-ci comme humus, géologie, climat, écosystème — c’est le sol rematérialisé — et qui, comme vous le savez, est terriblement menacé. D’où la question  : sur quel sol les Européens peuvent-ils atterrir  ?

Le deuxième décalage, qui ne vous étonnera pas de ma part, est que je crois nécessaire de lier étroitement la guerre territoriale menée par les Russes en Ukraine et cette autre guerre également territoriale menée par la crise climatique au sens large. Car il s’agit bien là aussi d’une guerre territoriale. En ce moment, au Pakistan comme en Inde, cette température de 50° est associée à un envahissement par les peuples européens, en particulier anglophones, qui ont depuis deux siècles modifié la température de la planète, ce qui revient à un envahissement du territoire de l’Inde aussi sûrement qu’à l’époque des conquêtes coloniales et de la création du Raj. C’est-à-dire que nous n’avons pas affaire à une guerre territoriale en quelque sorte « classique » et puis, à côté, à des « préoccupations environnementales », comme on dit encore de façon fort étrange, mais bien à deux conflits qui sont des conflits territoriaux sur l’occupation des sols par d’autres États et sur la violence qui est exercée par ces États sur ces territoires. Et si l’on a bien raison de caractériser le conflit en Ukraine comme une guerre coloniale, alors c’est aussi le cas bien plus encore des guerres climatiques.

Et pourtant, dans les deux cas le mot « guerre » ne résonne pas du tout de la même façon. On ne peut qu’être frappé dès le début de la guerre en Ukraine par l’extraordinaire contraste entre la rapidité avec laquelle nous avons pu mobiliser des énergies, des affects, des connaissances pour répondre à la demande de soutien d’une façon qui a stupéfié les Russes. C’est que nous possédons hélas depuis bien longtemps, nous Européens, le répertoire d’action idoine quand il s’agit de guerres  ! Le « grand continent » est évidemment fabriqué, façonné, couturé par les guerres territoriales. Alors que sur la question écologique, au grand désespoir des gens qui travaillent sur le climat, nos attitudes ressemblent plutôt à un immobilisme, à un embarras, plutôt qu’à une mobilisation. Autant nous sommes rapides pour aligner des affects qui correspondent à la guerre territoriale numéro un, et sommes capables de créer aussitôt cet extraordinaire accueil des exilés venant d’Ukraine, d’envoyer des armes, et d’imposer des sanctions, autant sur l’autre, le conflit territorial numéro deux, nous restons suspendus, incertains, paralysés, sceptiques en pratique sinon en pensée.

Sauf sur un point que Naomi Klein, dans un passionnant article pour The Intercept, qui a été traduit et publié par le magazine AOC, et Pierre Charbonnier, dans une forte contribution au Grand Continent sur « l’écologie de guerre » ont bien souligné  : sur le pétrole et le gaz russe, devenus soudain à la fois une arme stratégique et un enjeu majeur pour la transition écologique3. Là, du moins, les deux conflits territoriaux se fusionnent, car il paraît scandaleux à tout le monde de payer des milliards d’euros aux Russes pour attaquer les Ukrainiens que nous prétendons soutenir. Brusquement, cette question qui était finalement associée au conflit numéro deux avec cette incapacité habituelle à agir — « comment modifier nos sources d’énergie basée sur le carbone » — se trouve attachée au conflit territorial numéro un et devient un enjeu militairement stratégique. Aussitôt, nous avons constaté une multiplicité d’initiatives pour associer à la question de l’énergie, du gaz et du pétrole russes, des affects, des attitudes, des décisions administratives qui mêlent l’énergie habituelle du conflit territorial numéro un et les questions essentielles développées par tous les environnementalistes, sur le conflit territorial numéro deux. Au point que, brusquement, la question de la délimitation des frontières est devenue à la fois : comment éviter l’invasion par les chars marqués du Z et, ce qui est nouveau et imprévu, comment se sevrer aussi rapidement que possible du gaz et du pétrole russes  ?

Cela permettrait en principe encore, comme l’article de Charbonnier le montre très bien, d’imaginer des sacrifices au nom du conflit numéro un pour soutenir l’Ukraine, sacrifice qu’il a été jusqu’ici impossible d’obtenir au nom du conflit territorial numéro deux, c’est-à-dire celui qui porte sur ce que j’appelle le Nouveau Régime Climatique4. Rien n’est joué bien sûr. Le Guardian a publié de terribles prédictions sur ce qu’ils appellent « les bombes carbones » — ces droits d’explorer de nouvelles sources de pétrole, droits attribués par des États pourtant partis à l’accord de Paris — dont la multiplicité suffit à annuler tous les efforts pour contrôler le climat5. Le slogan américain « Drill, baby, drill  ! » se répand comme de la poudre. Et en France, pour prendre un exemple malheureux mais bien connu, la FNSEA frétille à l’idée de pouvoir se débarrasser de toutes les règles environnementales grâce à la guerre en Ukraine. Mais il y a là quand même une occasion admirable à saisir qui est de redéfinir la situation territoriale sous la double forme de la défense des frontières et de l’autonomie énergétique.

C’était évidemment le projet de nombreux écologistes, mais qui ne correspondait certainement pas aux décisions qui ont été prises depuis 50 ans sur la globalisation qui, par les « doux liens du commerce », allait nous attacher à la fois à la Russie et à la liberté.

Il y a donc un moment historique, ou comme on dit, un kaïros, une occasion à saisir qui attend son ou ses chefs d’État, une situation de guerre généralisée qui permettrait de donner à l’Europe un sol chargé par la question énergétique devenue deux fois stratégique, militairement et écologiquement, comme il ne l’était pas avant la guerre en Ukraine. D’où le terme d’« écologie de guerre ».

Il est évident toutefois que nous devons manier avec soin ce terme de « guerre » puisqu’il n’est utilisé dans le même sens par aucune des parties au conflit.

Les citoyens russes n’ont pas le droit de prononcer le mot et ils peuvent aller en prison s’ils n’utilisent pas l’expression alternative « d’opérations spéciales ». Le vocable « guerre » est considéré comme le colportage d’une fake newsfejk nius en russo-anglais. La situation est d’autant plus curieuse que les Russes n’ont même pas le droit de remettre en cause l’histoire de la Grande Guerre Patriotique, comme le montre un passionnant article de Florent Georgesco6. Même les dates en sont inscrites dans la Constitution et ne peuvent être changées sous peine d’aller en prison.

Leur guerre mondiale commence en 1941 et pas en 1940 ou pire en 1939, date du pacte Germano-Soviétique.

Or, chose significative, les Russes, s’ils n’ont pas le droit de prononcer le mot « guerre » pour l’Ukraine, ont le droit, comme je l’ai appris d’un collègue de l’université de Saint-Pétersbourg, de l’employer pour parler de la guerre que les Occidentaux mènent d’après eux contre la Russie  !

Notons l’ironie  : si les Occidentaux n’emploient pas le mot guerre avec la Russie, c’est justement pour éviter d’être en guerre avec elle…

Toutes les instances militaires, en particulier l’OTAN, font tous les efforts possibles pour ne pas utiliser ce mot tabou dans la relation avec la Russie, cette fois-ci pour ne pas lui donner un prétexte d’engager un conflit nucléaire. Engagement qui ne résulterait pas à proprement parler dans une « guerre », malgré tous les efforts pour en domestiquer l’usage, mais dans une annihilation réciproque dissimulée sous le terme un peu innocent de stratégie.

C’est par conséquent un conflit très asymétrique puisque les seuls à avoir le droit et la volonté d’utiliser le mot guerre sont les malheureux Ukrainiens qui trouvent en face d’eux un ennemi qui affirme que ce n’est pas une guerre mais « une simple opération de police », et qui ont derrière eux des États qui prétendent que « c’est une guerre pour vous les Ukrainiens, mais surtout pas pour nous les Occidentaux »  !

On a donc affaire à une situation très malsaine avec à l’horizon la menace atomique, qui annule évidemment toute notion de conflit. Sans être un disciple de Carl Schmitt, on peut quand même se demander comment un peuple peut se situer dans l’histoire s’il lui est interdit de reconnaître dans le conflit qu’il mène la menace existentielle qui pèse sur les valeurs qui lui sont chères. Une opération de police ne se mène pas contre des ennemis, mais contre des criminels. Or, avec les criminels on ne peut pas se réconcilier, avec les ennemis, oui, peut-être.

Cette impossibilité à nommer les conflits territoriaux numéro un, se retrouve dans le conflit territorial numéro deux, car on ne sait pas comment nommer les controverses dites, par pudeur, écologiques, qui sont bien des conflits d’envahissement d’un territoire par une autre puissance. Là, si le mot de guerre est interdit, c’est parce que, si on le prononçait, on serait obligé de prendre des mesures qui, évidemment, nous obligeraient à reconnaître des ennemis véritables à l’intérieur même des frontières de nos « alliés » et chez nous également. Il suffit pour s’en convaincre de désigner ceux qu’il faudrait apprendre à combattre si l’on voulait sérieusement se dégager du gaz et du pétrole de Poutine. Ils habitent peut-être dans notre rue, remplissent le réservoir de notre voiture ou grossissent notre portefeuille d’actions… Les conflits se rapprocheraient terriblement et nous serions alors dans la situation d’Œdipe qui se rend compte peu à peu que lui qui s’indigne contre le crime est celui qui l’a commis — et qui le commet encore…

Dans ces domaines, le mot guerre est tabou parce qu’il nous touche de beaucoup trop près. Si nous parlons de « changement de monde » ou « d’interrègne » à propos de la guerre en Ukraine, c’est à cause de la conjonction entre ces deux types de conflits territoriaux ou coloniaux. À elle seule, aussi scandaleuse qu’elle soit, la guerre en Ukraine ne suffirait pas à nous donner cette impression de basculement radical. C’est parce que nous sentons bien que les conflits territoriaux qui avaient commencé depuis bien longtemps avec l’extractivisme résonnent enfin de façon violente avec les formes les plus classiques de la guerre et échangent leurs propriétés de façon terrifiante. Sophocle avait choisi la figure de la peste : nous la reconnaissons aujourd’hui davantage dans le gaz et le pétrole, cette autre malédiction.

L’incertitude sur le mot guerre est redoublée d’une incertitude sur le mot « paix ». Beaucoup de commentateurs l’ont souligné, si les Européens ont l’impression que la paix a été rompue, c’est parce qu’ils vivaient dans une bulle à l’écart des innombrables conflits que d’autres menaient pour eux. Nous avons vécu « en paix » mais à condition d’oublier le parapluie atomique des États-Unis, la globalisation du commerce, et la lutte impitoyable menée par l’extractivisme sur les ressources naturelles. Nous étions donc dans une paix en quelque sorte suspendue ou simplement retardée et nous en sommes sortis — ce qui n’est pas forcément plus mal. Jürgen Habermas montre très bien dans un texte analysé dans New Statesman par Adam Tooze, que chaque pays, l’Allemagne, la France, l’Angleterre et évidemment l’Ukraine, a une trajectoire de ces rapports entre paix et guerre qui lui est propre, ce qui interdit de se précipiter pour les unifier toutes en un seul schéma7. Ce qui est vrai des États l’est d’ailleurs aussi des individus  : il serait étrange que les gens de ma génération qui sont passés sans coup férir de la menace atomique à la dévastation climatique parlent comme si « la paix » avait été brusquement rompue en février 2022 alors qu’ils ne l’ont jamais vraiment connue. Enfant du baby-boom, j’ai passé ma vie à sentir peser sur moi la menace de l’holocauste nucléaire et sans transition, je suis passé à celle du collapsus écologique. Je n’analyserai donc pas l’arrivée de la guerre en Ukraine comme une rupture de la paix mais comme la prise de conscience, par les Européens du lien qu’il n’est plus possible de rompre entre les deux types de conflits dans lesquels ils sont désormais engagés.

La question que je voudrais donc poser est plutôt celle-ci : qu’ajoutent aux définitions classiques de l’existence européenne ces luttes des deux côtés, c’est-à-dire le conflit territorial et colonial numéro un et les conflits territoriaux et coloniaux numéro deux ? Avec toujours ce troisième conflit suspendu au-dessus de nos têtes, celui de l’annihilation nucléaire. La terre dévastée virtuellement par le nucléaire, la terre dévastée réellement par les mutations écologiques et la terre ukrainienne dévastée par l’armée rouge de sang. C’est là où nous risquons d’être « emportés trop fort par les flots à l’heure qu’il est pour sortir la tête du creux de la houle de sang ». Dans cet interrègne, à quoi nous raccrocher  ?

Dans la dernière partie de ces quelques remarques, je vais me raccrocher à un document qui va vous paraître tout à fait improbable  : la fameuse conférence de Renan « Qu’est-ce qu’une nation  ? » donnée d’ailleurs ici même, dans ce Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, en 18828. Vous allez me dire qu’il est totalement daté, qu’on n’utilise pas ce genre d’argumentation dans un moment aussi grave, mais il se trouve que j’ai été titillé, je l’avoue, par l’irruption dans la récente campagne présidentielle de l’expression de « nation écologique ». Ce n’est peut-être qu’une invention de communiquant, mais je me suis demandé ce que faisait à l’idée ancienne de « nation » sa juxtaposition avec l’adjectif « écologique ». Est-ce qu’il n’y a pas là une idée profonde qui permettrait de donner un sens à l’expression d’une « nation écologique européenne » ?

Pour définir la nation française, Renan se bat contre le déterminisme racial, géographique et religieux. Après avoir éliminé toutes les autres définitions, il finit sa célébrissime conférence sur les conditions qui font la nation française et il écrit  : « Non, ce n’est pas la terre plus que la race qui fait une nation. La terre fournit le substratum, le champ de la lutte et du travail ; l’homme fournit l’âme. » Évidemment, aucun homme politique aujourd’hui ne parlerait d’âme, mais l’idée est typique du XIXème et du XXème siècle  : la terre, la nature, offrent le cadre passif où se déroule l’histoire humaine qui est la seule chose qui compte vraiment. À l’époque, la terre n’est que la scène, le substrat de l’histoire. Et Renan continue  : « L’homme est tout dans cette chose sacrée qu’on appelle un peuple. Rien de matériel n’y suffit. La nation est un principe spirituel, résultant des complications profondes de l’histoire, une famille spirituelle, non un groupe déterminé par la configuration du sol » (c’est moi qui souligne). C’est cette phrase bien connue qui révèle l’immense distance avec la situation présente.

Aujourd’hui, c’est au contraire la « configuration du sol », ou pour parler comme les scientifiques, l’incroyable rapidité des réactions du système terre aux actions humaines qui participe aux « complications profondes de l’histoire ». Ce qui nous stupéfait maintenant, ce n’est pas la stabilité du substrat terrestre mais, au contraire, qu’il agisse au même titre que tous les autres acteurs et avec un tempo, un rythme, une puissance, que Renan ne pouvait prévoir. En parlant de l’âme d’un peuple décidant de vivre en commun, il ne pouvait pas prendre en compte l’animation d’un sol saisi par l’histoire industrielle. Cela ne veut pas forcément dire que son idée est démodée, mais qu’il faut la modifier profondément pour prendre en compte cette situation nouvelle. Une nation n’est certes pas déterminée par la géographie, mais elle peut décider de se déterminer sur le type de terre qu’elle a décidé d’habiter. C’est pourquoi j’utilise le mot « sol » parce que ses connotations ne sont pas forcément celles que l’on associe souvent à l’extrême droite, à la notion de défense du sol, ou pour rester dans le style d’époque, à la version barrésienne de « la terre et des morts ». Le sol, pour ceux qui s’intéressent aux sciences de la terre, c’est un sol chargé, habité, peuplé dont les ressources, dont les composants sont les uns après les autres attaqués ou détruits que ce soit l’eau, l’humus, les insectes, l’atmosphère ou les virus9. Autrement dit, le sol a deux définitions très différentes, celle que rejette évidemment Renan avec raison, ce déterminisme géographique ou identitaire, mais il a un autre sens qui me paraît beaucoup plus intéressant, à savoir le sol chargé par la transformation écologique, par cette rematérialisation dont la liaison du gaz et du pétrole russe avec la stratégie militaire et écologique offre l’exemple le plus frappant.

Mais le sol est repeuplé aussi en un autre sens. Quand Renan définit la nation comme le collectif « de ceux qui ont souffert ensemble », il ne pensait pas à tous ceux qu’un peuple fait souffrir. Or écologiser un territoire, c’est modifier ses frontières puisque l’on rend visible aussitôt l’ensemble des connexions qui permettent à l’Europe de s’assurer prospérité, abondance et liberté10. Comme nous l’apprenons de la multiplicité des études décoloniales, ce que les historiens de l’environnement appelaient « les hectares fantômes » pour désigner l’extension d’un pays européen déléguant à l’extérieur et sur d’autres peuples l’extraction des ressources indispensable à sa prospérité, n’a plus rien de fantomatique. Ce sont maintenant des territoires parfaitement concrets qui exigent de modifier les frontières même de l’Europe11. Le monde l’on vit et le monde dont on vit aspirent à se superposer.

Autrement dit, la question territoriale ne se repose pas simplement parce que le sol se trouve peuplé par l’ensemble des êtres qui participent maintenant à la compréhension que nous avons d’une planète habitable, mais aussi parce que l’Europe comprend enfin qu’elle ne peut survivre et se définir qu’avec les peuples dont elle vit. Comme les suppliants de Péguy, c’est eux qui ébranlent toutes les autorités et qui creusent l’interrègne.

Dans la version que Renan donne de la nation, c’est une décision volontaire de vivre ensemble après les catastrophes partagées en commun, ce qu’il appelle « les complications profondes de l’histoire ». Vous comprendrez donc ma question  : l’Europe peut-elle former une nation en se décidant à dépendre des conditions matérielles qu’elle a feint d’ignorer pendant la période de fausse paix où elle a cru se trouver ? Qu’un collectif « se détermine » ne veut pas dire qu’il subit un déterminisme géographique, mais qu’il devient enfin capable de déterminer l’endroit, le lieu, le pays, le sol, la géographie, le territoire où il se trouve à cause de l’irruption soudaine de la multiplicité des conflits territoriaux et les peuples avec lesquels il prétend s’entendre pour vivre.

Voici mon hypothèse — et je reconnais volontiers qu’il s’agit d’une simple hypothèse  : de même que la guerre territoriale ajoute l’Ukraine à l’Europe sous toutes les formes possibles, y compris peut être un jour sous celle de la participation à l’Union, de même, la guerre en nouveau régime climatique ajoute les sources, les lieux, les situations, les pays de l’extraction qui permettent de rouvrir la définition de ses frontières et la composition de la nation qu’elle se décide à former. Autrement dit, il s’agit de mélanger l’argument magnifique mais peut-être un peu daté de Renan sur l’âme et la dimension « spirituelle » de la nation avec la redéfinition du territoire matérialisé par les mutations écologiques.

De même que la guerre territoriale ajoute l’Ukraine à l’Europe sous toutes les formes possibles, y compris peut être un jour sous celle de la participation à l’Union, de même, la guerre en nouveau régime climatique ajoute les sources, les lieux, les situations, les pays de l’extraction qui permettent de rouvrir la définition de ses frontières et la composition de la nation qu’elle se décide à former.

Vous me permettrez pour conclure de revenir sur ce terme d’interrègne qui signale une transition ou un suspens entre deux formes d’autorité différentes. Je pense qu’il faut se méfier quelque peu de l’usage de l’expression « monde libre » pour résumer l’actuel conflit tel qu’il est vu du côté des « Occidentaux » et en particulier des États-Unis. Si l’expression de « monde libre » est problématique, et encore plus celle d’Europe-puissance, c’est qu’elles correspondent au règne précédent dont on dit justement maintenant qu’il est terminé. À cette époque, en effet, l’expression correspondait au projet de modernisation planétaire qui était supposé emporter dans son mouvement tous les autres pays. Or ce que la double crise écologique et militaire exprime au contraire, c’est la fin ou le suspens de ce projet de modernisation en totale contradiction avec le Nouveau Régime Climatique. Ressortir cette formule qui date de l’après-guerre, c’est sortir assurément de l’histoire et se tromper d’époque puisqu’il appartient à la nouvelle entre-deux guerres désormais close. Il est assez frappant d’ailleurs de constater que sur le soutien à l’Ukraine, le « monde libre » ne compte finalement que les anciens colonisateurs qui ne parviennent pas à mettre de leur côté les nations les plus peuplées.

C’est le signal le plus frappant de l’interrègne. Aucun pouvoir ne se présente qui puisse se substituer à l’ancien. Comme dans la pièce de Sophocle par laquelle j’ai choisi d’introduire ces quelques réflexions, devant la montée des supplications, tous les pouvoirs tremblent de découvrir qu’ils sont les auteurs des crimes qu’ils cherchent à punir. D’où l’importance de trouver un terme plus inclusif que celui de « monde libre » et surtout moins contradictoire ou moins hypocrite. Il faut un vocable, une invocation plutôt, qui désigne l’état de dépendance plus que d’émancipation et le projet de réparer les conditions d’habitabilité qui ont été ravagées. Mais il faudrait alors être capable de définir le nouveau souverain, la nouvelle souveraineté qui mettrait fin à cet interrègne. En l’absence de ce nom, je conclurai par une phrase qui ira directement au cœur de nos amis du Grand Continent que je remercie de m’avoir invité. Dans ce texte admirable, Renan a écrit  : « Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera. Mais telle n’est pas la loi du siècle où nous vivons. » (je souligne). Je prétends dans cette présentation que la loi du siècle où nous vivons, c’est le moment où l’Europe au contraire, non pas l’Europe conçue seulement comme Union mais l’Europe comme sol, trouve enfin son peuple et le peuple trouve enfin son sol. Précisément parce qu’elle ressent beaucoup plus vivement que les autres nations à quel point elle vit dans un interrègne et qu’elle cherche « la loi du siècle » qui n’est pas en effet celle des deux siècles précédents. L’Europe peut se donner enfin le projet, au milieu des périls et à cause d’eux, de former volontairement une nation12.

Sources
  1. Bollack, Jean. La naissance d’Oedipe. Paris : Gallimard, 1995, vers 22.
  2. Charles Péguy, Œuvres complètes en prose, volume 2, Gallimard, La Pléiade.
  3. Naomi Klein, «  Guerre et climat, le péril de la nostalguie toxique  », AOC, 14 mars 2022  ; Pierre Charbonnier «  La naissance de l’écologie de guerre», le Grand Continent, mars 2022.
  4. Bruno Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le Nouveau Régime Climatique, Paris, La Découverte, 2015.
  5. Damian Carrington & Matthew Taylor, “Revealed : the ‘carbon bombs’ set to trigger catastrophic climate breakdown”, The Guardian, 11 mai 2022.
  6. Florent Georgesco, « Le mythe russe de la grande guerre patriotique et ses manipulations », Le Monde, 29 avril 2022.
  7. Adam Tooze, « After the Zeitenwende : Jürgen Habermas and Germany’s new identity crisis », New Statesman, 12 mai 2022.
  8. Ernest Renan « Qu’est-ce qu’une nation», conférence faite en Sorbonne le 11 mars 1882, Paris Calmlann-Lévy. Disponible sur Wikisource.
  9. Bruno Latour et Peter Weibel (dir.), Critical Zones – The Science and Politics of Landing on Earth. Cambridge, Massachusetts, MIT Press, 2020.
  10. Pierre Charbonnier, Abondance et liberté. Une histoire environnementale des idées politiques, Paris, La Découverte, 2020.
  11. Malcolm Ferdinand (dir.), Écologies politiques depuis les outre-mer, Lormont, Bord de l’eau, 2021.
  12. Ce texte est la transcription révisée de l’intervention de Bruno Latour lors du colloque organisé par le Grand Continent en Sorbonne le 17 mai : « Après l’invasion de l’Ukraine, l’Europe dans l’interrègne. »

Logement, climat : même combat ?
Txetx Etcheverry, Cofondateur d’Alternatiba, militant de Bizi ! et d’ANV-COP 21.
www.politis.fr/articles/2022/06/logement-climat-meme-combat-44508

Une association de défense des habitants des milieux populaires du Pays basque a combattu avec succès le développement des meublés touristiques, afin que la forte demande locale d’habitat soit mieux satisfaite.

En 2015, les réunions se multipliaient à Paris pour préparer la mobilisation citoyenne autour de la COP 21 devant se tenir au Bourget à la fin de cette même année. L’une des interventions m’avait marqué : celle de Manuel Domergue, le directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre. Il s’étonnait que les militant·es climat n’investissent pas plus le terrain du logement, alors qu’il constituait un point de rencontre essentiel entre les préoccupations « fin du mois » et « fin d’un monde ». Le logement représente en effet le premier poste de dépense des ménages. Et l’habitat (logement, chauffage, déplacements du lieu de résidence aux lieux d’activité, etc.) est l’une des principales sources d’émissions de gaz à effet de serre en France.

À l’époque, nous étions un certain nombre à réfléchir à ce qui pourrait constituer « la marche du sel de la bataille climat », en référence à la campagne de Gandhi menée pour l’indépendance de l’Inde. Quelle revendication pourrait à la fois avoir, en cas de victoire, un impact décisif sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et des conséquences immédiatement bénéfiques pour le niveau de vie des masses populaires, ce qui lui conférerait un pouvoir mobilisateur démultiplié ? Cette réflexion sur la question du logement avait donc fortement résonné chez moi et quelques autres militant·es d’Alternatiba, sans que nous ne trouvions alors comment la concrétiser.

Problème et solution

Le 16 juin 2021, le mouvement Alda (« changer » en langue basque), association de défense des habitants des milieux populaires du Pays basque, lance une nouvelle campagne, intitulée « Se loger, pas spéculer ». Il transforme au passage un appartement Airbnb de Bayonne en QG, d’où il organise réunions et conférences de presse, distribue affiches et plaquettes, donne des visioconférences publiques.

L’appartement occupé était loué jusqu’en janvier de la même année à un couple de jeunes travailleurs locaux. Puis il avait été transformé en meublé de tourisme permanent, loué sur Airbnb. Alda rend publique une étude révélant pour la première fois l’ampleur du problème posé par cette pratique au Pays basque : en quelques années, 6 000 à 7 000 logements au minimum (1) ont ainsi été vampirisés sur ce territoire par les plateformes de type Airbnb, ce qui est énorme au regard d’un parc locatif privé qui en comptait 41 670 en 2017 ! L’impact de cette révélation marque les esprits localement.

Alda ne se contente pas de rendre le problème visible, il propose une solution immédiatement réalisable. Le mouvement produit une note juridique démontrant que la mesure de compensation mise en place dans certaines villes de plus de 200 000 habitants est également applicable dans la zone tendue du Pays basque, dotée d’un continuum urbain de plus de 50 000 habitants.

Victoire sociale et écologique

Alda multiplie dès lors les actions et mobilisations pour exiger la mise en place de cette mesure. Les élus à la tête de la Communauté d’agglomération du Pays basque (CAPB) entendent la demande et se réunissent avec l’association. Un processus est ouvert qui débouche sur l’adoption d’un règlement, le 5 mars 2022, mettant en place une version particulièrement contraignante de la compensation au 1er juin de la même année (2). Cette mesure interrompt net l’hémorragie (Alda estime que 16 000 logements seront ainsi sauvés au cours des prochaines années) et permettra de regagner d’ici à trois ans plusieurs milliers de logements parmi ceux qui ont été perdus (3).

La CAPB est le premier territoire de l’Hexagone qui ne soit pas une métropole de plus de 200 000 habitants à mettre en place la compensation. Le plan local de l’habitat de cette agglomération, qui regroupe les 158 communes, prévoit la production de 2 686 logements par an pour répondre à la demande locale. Or, cette mesure va permettre de sauver ou de regagner plus de 20 000 logements, et ce sans bétonner ni artificialiser les sols. Les habitants locaux pourront ainsi continuer de se loger près de leurs lieux de travail et d’activités quotidiennes, limitant les déplacements quotidiens qui épuisent les gens et aggravent le dérèglement climatique.

C’est une victoire à la fois sociale, écologique et climatique d’une ampleur rarement obtenue, surtout au terme de moins d’un an de lutte. Elle est applaudie par les secteurs les plus populaires, ceux qui revendiquent le droit d’avoir un logement face à ceux qui en ont 2, 3 ou 10. Elle vient valider l’interpellation de Manuel Domergue de 2015, et démontrer tout l’intérêt de l’investissement du terrain du logement pour les militant·es climat.

(1) En réalité, une étude officielle postérieure démontrera qu’il y en a près de 11 000.

(2) Les propriétaires devront désormais produire dans la même commune un nouveau logement de surface équivalente pour tout logement transformé en meublé de tourisme, rendant l’opération financièrement peu ou pas rentable, et donc quasiment impossible. Ils ont attaqué le règlement devant le tribunal administratif.

(3) Les près de 11 000 meublés touristiques actuels sont également concernés par la compensation à l’horizon 2025.

Ekozidioa ez da bakarrik konponduko
Gorka Bereziartua Mitxelena
https://blogak.argia.eus/boligrafo-gorria/2022/05/30/ekozidioa-ez-da-bakarrik-konponduko

Gizateriaren problema handiek hiru eragozpen dituzte nire ustez, eta horiengatik ez dugu jende arruntok tarte askorik erreserbatzen errutinaren zanpagailu azpitik ateratzean haietaz pentsatzeko –eta zer esanik ez, haiei aurre egiteko–.

Lehenengo eragozpena da problemak direla. Eta nork nahi ditu problemak? Problema gehiago? Problemaz enpo nabil bestela ere, ez ekarri niri problema berririk faborez.

Bigarren eragozpena da, problema izateaz gain, problema handiak direla. Problematzarrak. Dimentsio homerikoak dituzten problemak. Eta tamaina horrek pixka bat pottoki sentiarazten gaitu, metaforak eduki dezakeen zentzurik literalenean: pottokiak, gauza jakina da, utopia ekosozialista bat eraiki nahian bizi dira, baina beti dago festa izorratu nahi duen Gargamelen bat, gure eskala gainditzen duena.

Hirugarren eragozpena: problemak izateaz gain, handiak izateaz gain, gizateriarenak direla. Zu gizateria zara? Ez, ezta? Orduan, beti esan ahalko duzu problema ez dela zurea. Konpondu dezala beste batek. Gizateriaren enkargatuak. Pagatuko diote norbaiti hori egiteko noski.

Hau, hori edo hura dela, beste aste bat bultzaka dator eta inor ez da ari arduratzen gizateriaren gaur egungo problema handienetako batez, alegia, ia streaming bidez erretransmititzen ari diren planetaren suntsipen etengabeaz. Datuak badauzkagu. Eta ebidentziak. Eta grafikoak. Eta gauza pila bat gehiago. Baina irudipena daukat ez dakigula nondik hasi ere. Eta bitartean kotxe elektrikoak eta nuklearrak iragartzen ari zaizkigu, politika handiak diseinatzen dituztenek errealismo magikoa maite dutela demostratuz.

Panorama horrekin, ekozidioaren froga bakoitzaren aurrean katastrofista jartzen naiz –sail honek, izan ere, daukan izena dauka; ezin esan preseski tipo baikorra naizenik–, eta nire burua imajinatzen dut Cormac McCarthyren nobela batean murgilduta: The Road (Errepidea). Aita-semeak autobide batean gurditxo bati bultzaka. Zerbait gertatu da munduan. Dena dago erreta, errautsez beteta. Eta hil ez diren gizakiak arima erratuen antzera dabiltza janari bila. Janari hori, maiz, beste pertsonak dira. Gasolina daukaten bakarrak, ipurtzuloraino armatuta, giza-ehizan. Gure espeziearen epilogoa osatzen duten eszenak.

“Literatura da”, esaten diot nire buruari ideia horiek uxatu beharrez, “fikzioa besterik ez”. McCarthyren estiloak, ordea –hain deskriptiboa, hain soila, hain erakusteari emana, hain diskurtsoz hustua–, pentsarazten dit gauzek doazen bidetik jarraitzen badute, akaso noizbait gure burua aurki dezakegula antzeko egoeraren batean. Egun horretan, oraindik goizeko zortzietan lantokira joaten jarraitzeko odol hotza edukiko duen liburuzainak, ironia garratz batez, eleberrien sailetik “ez fikzioa” sailera pasako du McCarthyren liburua.

Uf, zenbat behe laino. Eskerrak hemen gertatzen diren gauzez idazteko nagoela, ez profeziak egiteko, zeren horretan hasten naizenean begira non bukatzen dudan. Zorte handia da etorkizuna orain gertatzen diren materialez osatuta egotea, izan ere, terreno horretan, zarata handirik atera gabe, katastrofearen arriskua aintzat hartuta, baina nirea baino aldarte eraikitzaileagoarekin, badabiltza batzuk zeozer berria antolatzen euskal ekologismoaren giharra tenkatzeko. Aste hau ez da ondo bukatuko, baina adi hurrengoei: “Azken krisia. Gure garaia!” dioen seinaleren bat ikusiz gero, agian problema handiei aurre egiteko moduren bat ere agertzen hasiko da.