Articles du Vendredi : Sélection du 3 avril 2020


La COP 26 annulée, les négociations reportées à 2021
Sciences et Avenir avec AFP
www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/annulation-de-la-cop-26-une-crise-en-balaie-une-autre-provisoirement_143075

La COP 26, devant se tenir à Glasgow en novembre 2020 est reportée à 2021 au vu de la situation pandémique mondiale. Si les ONG et associations pour le climat comprennent ce geste, elles appellent néanmoins à ne pas oublier que la crise climatique reste la plus grande menace pour nos sociétés 

La conférence internationale sur le climat COP26 qui devait se tenir à Glasgow en novembre 2020 est reportée en raison de la pandémie de nouveau coronavirus, a annoncé le 2 avril 2020 le gouvernement britannique.

Une COP qui se tiendra à Glasgow malgré tout

Compte tenu de l’impact mondial et continu du Covid-19, la tenue d’une COP26 ambitieuse et inclusive en novembre 2020 n’est plus possible“, a détaillé le gouvernement sur son site internet, précisant que le sommet aurait bien lieu dans la ville écossaise mais en 2021, à une date qui sera communiquée ultérieurement. Cette décision a été prise par les représentants de l’ONU en matière de changement climatique, en accord avec le Royaume-Uni et ses partenaires italiens, précise le communiqué, alors que la pandémie s’accélère. Le secrétaire de l’ONU Antonio Guterres a dit “soutenir” cette décision, estimant qu’éliminer le virus était la “priorité absolue“. “Cette crise humaine dramatique est aussi un exemple de la vulnérabilité des pays, des sociétés et des économies face aux menaces existentielles“, a-t-il indiqué dans un communiqué.

Le nouveau coronavirus, apparu en décembre en Chine, a infecté plus de 900.000 personnes sur la planète, dont au moins 200.000 aux États-Unis, faisant plus de 46.000 morts, selon un décompte effectué mercredi par l’AFP à partir de sources officielles. “Le monde est confronté à un défi mondial sans précédent et les pays se concentrent à juste titre sur la lutte contre le Covid-19. Pour cette raison, la COP26 est reportée“, a expliqué son président Alok Sharma.

Quelque 30.000 personnes, dont 200 chefs d’Etat et de gouvernement, étaient invitées à ce sommet de onze jours, crucial pour limiter la hausse des températures dans le monde.

La secrétaire de l’ONU chargée du changement climatique, Patricia Espinosa, a pour sa part estimé que le “Covid-19 est la menace la plus urgente à laquelle l’humanité est confrontée aujourd’hui“, appelant tout de même à ne pas “oublier que le changement climatique est la plus grande menace (…) sur le long terme“, selon des propos cités dans le communiqué du gouvernement britannique.

Les ONG approuvent…

C’est aussi l’avis de la plupart des ONG, qui ont unanimement estimé nécessaire le report de cette conférence au vu de la situation sanitaire mondiale, tout en exhortant les gouvernements à ne pas en oublier le climat pour autant.  Pour le président de la branche écossaise de l’association Les Amis de la Terre, Richard Dixon, reporter le sommet est “logique“, car maintenir sa tenue en novembre ferait courir le risque que “certaines parties du monde ayant contracté le coronavirus plus tard qu’en Europe en soient exclues“.  Il précise dans une interview que des négociations qui se feraient sans la participation “des parties les plus pauvres du monde” seraient un “désastre“.

…mais appellent à ne pas baisser la garde.

Reporter le sommet de l’ONU sur le climat est compréhensible“, a pour sa part jugé Sebastian Mang de Greenpeace, mais “cela ne change rien à l’obligation qu’a l’Union européenne de relever son objectif climatique pour 2030 avant la fin de l’année“.

Même son de cloche du côté d’Alden Meyer, le spécialiste en négociations climatiques, pour qui le report constitue la “bonne décision” mais qui met en garde : “Si les événements peuvent être reportés, le changement climatique ne s’arrêtera pas, même en cas de pandémie aux proportions épiques“. Alors que l’épidémie va d’autant plus toucher ceux qui sont déjà, selon lui, victimes du changement climatique, l’expert appelle à “ne pas ralentir les efforts nationaux et internationaux” en matière de climat, conseillant de “donner la priorité” après la crise, aux investissements respectueux de l’environnement et de la santé.

Car une fois la pandémie maîtrisée, les ONG craignent en effet que l’environnement ne passe au second plan par rapport à la relance de l’économie. La directrice par intérim de l’association de lutte contre la pauvreté Oxfam, Chema Vera, a ainsi appelé les gouvernements à “éviter de répéter les mêmes erreurs que celles commises après la crise financière mondiale de 2008, lorsque les plans de relance ont provoqué un rebond des émissions” de CO2.

Le changement climatique va stimuler les pandémies et autres menaces sur la santé
Alexandre-Reza Kokabi
https://reporterre.net/Le-changement-climatique-va-stimuler-les-pandemies-et-autres-menaces-sur-la-sante

Agents infectieux dont l’aire de nuisance s’étend, fonte du pergélisol libérant des maladies oubliées, moindres défenses immunitaires et extension de la durée des maladies du fait du réchauffement hivernal… le dérèglement climatique va multiplier les menaces pour la santé des êtres humains.

Le dérèglement climatique va-t-il provoquer des épidémies dans les années à venir ? Il entraîne déjà des bouleversements ressentis sur tous les points du globe : raréfaction des ressources en eau et des récoltes agricoles, canicules de plus en plus fréquentes, catastrophes liées aux conditions météorologiques extrêmes… Mais le changement climatique va aussi affecter la santé, en suscitant la probable émergence de nouvelles épidémies.

« L’épidémie de coronavirus révèle l’ampleur de la menace que représentent les maladies infectieuses pour nos sociétés », dit à Reporterre Emmanuel Drouet, enseignant-chercheur à l’Institut de biologie structurale de Grenoble (Isère). Or, prévient-il, « l’émergence de nouveaux agents infectieux pourrait augmenter dans les années à venir » avec l’explosion des flux de déplacements humains et commerciaux, les modifications d’usage des sols et les perturbations des écosystèmes, le tout sur fond de changement climatique, « énormément de maladies infectieuses étant étroitement liées aux températures et aux taux d’humidité ».

Moustiques, tiques… Les petites bêtes qui contaminent les humains

« Le changement climatique devrait accroître la portée géographique des maladies infectieuses aux noms effrayants, comme Zika ou chikungunya, propagées par des vecteurs comme les tiques ou les moustiques », observe, sur Twitter, la climatologue Katharine Hayhoe, directrice du Centre des sciences du climat à la Texas Tech University. Les scientifiques occidentaux craignent en effet une recrudescence de certaines maladies infectieuses ou parasitaires, en raison de la montée progressive, vers le nord, d’insectes et d’acariens jusque-là cantonnés aux latitudes tropicales et subtropicales.

La hausse des températures globales et le déploiement des moyens de transport humains permettent la colonisation de certaines régions par les moustiques Aedes, vecteurs du chikungunya et de la dengue. Le plus célèbre d’entre eux, le « moustique-tigre » (Aedes albopictus) est en phase d’expansion planétaire. « Il est doué d’une grande capacité adaptative et s’est parfaitement acclimaté au milieu urbain, même sous les latitudes tempérées », explique Emmanuel Drouet.

Originaire des forêts tropicales d’Asie du Sud-Est, le moustique-tigre a traversé les océans et est devenu l’un des agents vecteurs les plus invasifs de la planète : on le retrouve déjà dans quelque 80 pays, dont la France. « Le problème est qu’il est vecteur de nombreuses maladies, dont la fièvre jaune et la dengue, qui peuvent provoquer des complications hémorragiques », dit Emmanuel Drouet.

Jusqu’alors, la dengue était principalement observée dans les zones équatoriales d’Amérique, d’Afrique et d’Asie. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il y aurait chaque année 50 millions de cas de dengue, dont 500.000 cas sous une forme hémorragique. « La plupart du temps, ces formes aigües concernent des enfants, qui doivent être hospitalisés », précise Emmanuel Drouet. Avec le changement climatique, trois milliards de personnes supplémentaires pourraient être exposées au risque de transmission de la dengue d’ici les années 2080 [1].

Les cas de dengue recensés en Europe sont de plus en plus nombreux. « La France métropolitaine pourrait très bien être concernée par une épidémie majeure dans les prochaines années », prévient Emmanuel Drouet.

La dengue, « c’est le danger numéro 1 pour notre santé publique dans les années à venir : les moustiques sont déjà là et ont les compétences pour transmettre la maladie », dit le chercheur pour qui une telle épidémie aurait des conséquences « dramatiques car, comme pour le Covid-19, il n’existe pas de vaccin adapté contre les quatre souches virales de la dengue et les tests sérologiques ne sont pas opérationnels ».

Dans les départements français d’outre-mer, la dengue est déjà une réalité. Une épidémie fait actuellement des ravages sur les îles françaises de La Réunion et de Mayotte, dont l’hôpital ne possède que seize lits en réanimation. « Avec le Covid-19, je crains un mauvais cocktail pour les services de réanimation là-bas », s’inquiète Emmanuel Drouet.

L’expansion des insectes vecteurs de maladies comme les moustiques s’observe dans l’espace, mais aussi dans le temps. « La hausse des températures hivernales augmente leur période d’activité et de reproduction », explique Emmanuel Drouet. Les maladies dont ils sont vecteurs pourraient ainsi être « transmises de façon quasiment continue ».

C’est également le cas pour les tiques, des acariens se nourissant de sang. Certaines tiques, les Ixodes ricinus, sont vectrices de la maladie de Lyme, qui peut entraîner de graves complications pour le système neurologique, le cœur et les articulations. « L’activité des tiques du genre Ixodes bat son plein à des températures douces, elles sont présentes plus longtemps dans l’année avec le changement climatique », explique Karine Chalvet-Monfray, épidémiologiste des maladies animales et zoonotiques.

Depuis les années 1980, les Ixodes ricinus sont présentes en plus forte densité et ont gagné des latitudes et altitudes plus élevées en Europe. En revanche, « leur prévalence diminue dans les zones plus chaudes et plus sèches, comme le pourtour méditerranéen », poursuit Karine Chalvet-Monfray.

Une autre tique originaire de zones plus chaudes, Hyalomma marginatum, est arrivée dans le sud de la France jusqu’à la vallée du Rhône. L’augmentation de l’aire de cette espèce préoccupe les épidémiologistes car elle peut transmettre la fièvre hémorragique de Crimée-Congo. Cette maladie, dont le taux de létalité peut atteindre 40 %, n’est jamais apparue en France mais, pour Karine Chalvet-Monfray, « dans un contexte de changement climatique, c’est la candidate idéale, il faut la prendre très au sérieux ».

Le dégel du pergélisol, bombe climatique… et sanitaire

Autre effet du réchauffement climatique : dans les régions arctiques, le pergélisol — le sol gelé en permanence pendant au moins deux ans — se dégèle. D’après le rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) sur les océans et la cryosphère, il pourrait perdre 70 % de sa surface d’ici 2100. Ce phénomène menace de libérer de puissants gaz à effet de serre, comme le méthane, mais pourrait aussi réveiller des bactéries et des virus inconnus ou oubliés.

La fonte du pergélisol fait en effet ressurgir des restes d’humains, d’animaux et de végétaux conservés depuis des centaines de milliers d’années. Les bactéries et les virus qu’ils contiennent ne sont pas toujours morts. « Froid, à l’abri de la lumière et de l’acidité : sur Terre, le pergélisol est le médium le plus adéquat à la conservation, sur de très longues périodes, du matériel vivant », explique Jean-Michel Claverie, directeur de l’Institut de microbiologie de la Méditerranée. Lors de l’été 2016, un enfant de douze ans était mort de la maladie du charbon, ou fièvre charbonneuse, jamais observée depuis 1941. Bacillus anthracis, la bactérie mortelle, avait été libérée par le dégel d’un cadavre de renne vieux de 70 ans, lequel avait ré-infecté des troupeaux entiers de rennes.

Ces dernières années, des chercheurs ont découvert des virus et des bactéries enfouies dans le pergélisol de Sibérie depuis des millénaires. « Des virus comme la variole, que l’on pensait éradiqués, risquent de se réveiller avec l’exploitation des ressources minières et gazières ces régions, rendues accessibles par le changement climatique », alertent Chantal Abergel et Jean-Michel Claverie, de l’Institut de microbiologie de la Méditerranée. Leur équipe de recherche était parvenue à identifier deux virus géants conservés dans le pergélisol depuis 30.000 ans. « Quelques particules virales, encore infectieuses, peuvent être suffisantes pour contaminer un hôte sensible », prévient Jean-Michel Claverie. « Si des ouvriers remuent des tonnes de pergélisol pour exploiter les ressources qu’il contient, ils risquent de faire remonter des pathogènes très anciens, poursuit Chantal Abergel, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). S’ils se retrouvaient malades, ce ne serait peut-être pas une bonne idée de les rapatrier dans les hôpitaux de Moscou, où ils pourraient provoquer une épidémie. »

Le coronavirus a-t-il à voir avec le changement climatique ?

Autre question : l’expansion actuelle du coronavirus est-il lié aux dérèglements climatiques ? La climatologue Katharine Hayhoe a tenté d’y répondre dans un thread Twitter. Première conclusion : « le changement climatique n’a pas d’incidence significative sur la propagation de la maladie ».

Elle s’est néanmoins essayée à un état de l’art des connaissances montrant comment le changement climatique peut affecter les grippes. « Avec le changement climatique, les hivers sont de plus en plus chauds, écrit-elle en citant une étude publiée en 2013 dans la revue scientifique PLOS Currents. Les saisons grippales sont plus douces lors des hivers plus chauds. Mais une saison plus douce rend les gens plus vulnérables et moins enclins à se faire vacciner. La saison suivante peut donc commencer plus tôt et être beaucoup plus virulente. »

S’appuyant sur un article de Nexus Media News, elle note aussi que, la grippe étant saisonnière, « avec le réchauffement de la planète, la saison de la grippe pourrait bien se prolonger toute l’année, comme c’est déjà le cas sous les tropiques ». De surcroît, « cela lui donnera plus de temps pour muter en souches plus dangereuses ». Enfin, faisant référence à un article publié en 2019 dans The Scientist, elle observe aussi qu’un climat plus chaud pourrait « diminuer la réponse immunitaire » des humains, « ce qui nous rend plus vulnérables à des virus comme la grippe ».

Le rôle joué par le climat dans tous ces fléaux est complexe et n’explique pas tout. Il nourrit parfois les controverses. En 2010, une épidémie de choléra avait fait des dizaines de milliers de morts en Haïti. La communauté scientifique était alors partagée sur ses causes. Comme le montre la bactériologiste américaine Rita Cowell depuis les années 1970, le réchauffement de l’eau de mer provoque une prolifération du zooplancton favorable à l’émergence des bactéries responsables du choléra. Mais dans le cas de l’épidémie haïtienne, le médecin Renaud Piarroux, de l’hôpital La Pitié-Salpêtrière, a montré que le choléra avait été importé sur l’île par des casques bleus venus du Népal.

« Le changement climatique est, comme le nomme l’armée étasunienne, un multiplicateur de menaces, résume Katharine Hayhoe. Il nous prend ce dont nous nous soucions déjà — quoi davantage que de notre santé ? — et aggrave les menaces qui pèsent sur elle. »

 

Le Portugal régularise temporairement ses immigrés pour les protéger du Covid-19
El Pais
www.courrierinternational.com/article/pandemie-le-portugal-regularise-temporairement-ses-immigres-pour-les-proteger-du-covid-19

Partout où le confinement est appliqué se pose la question du sort des populations les plus exposées – dont les travailleurs sans-papiers. Le Portugal y répond de façon pragmatique, en régularisant toutes les personnes qui en avaient fait la demande avant l’entrée en vigueur de l’état d’urgence, observe El País.

Le gouvernement portugais a pris le 28 mars une série de mesures sociales et économiques pour compenser les effets de l’état d’urgence, déclaré le 18 mars dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, rapporte le quotidien espagnol El País.

Parmi ces mesures, la régularisation de tous les immigrés qui avaient introduit une demande. Ils obtiennent ainsi “les mêmes droits que les citoyens portugais”, tant au niveau de l’accès des soins de santé que des aides financières, explique le journal. “Il suffira de produire le document de demande de régularisation pour s’adresser aux services publics de santé, pour signer un contrat de travail, ouvrir un compte courant ou demander l’allocation prévue en cas de suspension du contrat de travail, ou l’allocation extraordinaire destinée aux travailleurs qui doivent rester chez eux pour s’occuper de leurs enfants, parents ou grands-parents.”

La main-d’œuvre du BTP et de l’agriculture

Cette disposition permet en outre de résoudre le problème bureaucratique entraîné par l’état d’urgence : de nombreux services publics étant fermés, dont les services de l’immigration, ils ne seraient pas en mesure d’honorer les rendez-vous accordés précédemment. De même : “les permis de séjour qui arrivaient à échéance sont renouvelés automatiquement.”, précise El País.

Si le gouvernement portugais n’a pas donné d’indication quant au nombre de personnes concernées par cette régularisation, on sait qu’elle “profitera principalement à l’importante communauté brésilienne, aux secteurs de la construction et de l’agriculture – qui s’appuie largement sur la main-d’œuvre asiatique dans le sud du pays.”

Comme l’explique El País, la double vulnérabilité des travailleurs irréguliers face à l’épidémie et aux conséquences du confinement était apparue dès le début du mois de mars, quand un ouvrier agricole népalais positif au coronavirus avait été détecté dans les serres de l’Algarve, dans le sud du pays :

Du jour au lendemain, 79 Népalais ont été confinés dans une école, provoquant chez eux une réaction confuse. Certains d’entre eux se sont enfuis, croyant qu’on les enfermait avant de les renvoyer dans leur pays. On leur a finalement expliqué la motivation sanitaire de ce confinement.”

Ce problème a mis en lumière le cas des personnes en situation irrégulière : “deux semaines plus tard, seuls 18 d’entre eux – les seuls qui se sont avérés positifs au coronavirus – sont toujours confinés dans une école de Faro. Les autres sont retournés travailler dans les serres puisque, s’ils ne travaillaient pas, ils ne gagnaient rien. Ils n’avaient pas droit aux allocations extraordinaires [décrétées dans le cadre de l’état d’urgence].”

À ce jour, le Portugal compte officiellement 5 170 personnes positives au coronavirus et 100 morts.

« La crise du coronavirus signale l’accélération d’un nouveau capitalisme, le capitalisme numérique »
Antoine Reverchon
www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/02/daniel-cohen-la-crise-du-coronavirus-signale-l-acceleration-d-un-nouveau-capitalisme-le-capitalisme-numerique_6035238_3232.html

 

L’économiste Daniel Cohen analyse la crise sanitaire comme un moment de basculement de l’économie dans un nouveau régime de croissance et du rôle de l’Etat dans un nouveau mode d’intervention sociale.

Entretien. Daniel Cohen est professeur à l’Ecole d’économie de Paris – dont il est un des membres fondateurs – et directeur du département d’économie de l’Ecole normale supérieure. Membre du conseil de surveillance du Monde, il est aussi l’auteur de nombreux ouvrages, dans lesquels il mêle diverses sciences sociales et histoire pour décrire de façon accessible aux non-économistes les grandes mutations socio-économiques anciennes et contemporaines, dont Les Origines du populisme, avec Yann Algan, Elizabeth Beasley et Martial Foucault (Seuil, 2019), et, chez Albin Michel : Il faut dire que les temps ont changé… (2018) ; Le monde est clos et le désir infini (2015) ; Homo Economicus (2013) ; La Prospérité du vice (2009).

Il est courant, dans le débat public, de comparer la crise actuelle à celles de 2003 (consécutive à l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère, SRAS), de 2008 et même de 1929. Ces comparaisons ont-elles un sens ?

La première comparaison qui est venue à l’esprit, lorsque la crise du coronavirus a commencé, a été en effet la crise sanitaire de 2003, elle aussi venue de Chine. Elle avait occasionné 774 morts et provoqué un ralentissement de la croissance économique mondiale de 0,2 % à 0,3 % à l’époque.

On en est désormais très très loin ! Avant même que la crise ne se propage aux autres pays, l’impact direct de la crise chinoise sur le reste de la planète avait changé d’échelle. Le produit intérieur brut (PIB) de la Chine a été multiplié entre-temps par huit et son rôle dans le commerce international a également bondi, pour représenter à lui seul 20 % des échanges !

Ce « virus chinois », comme l’appelle le président américain Donald Trump, a permis de mesurer l’extraordinaire dépendance où se trouvent un très grand nombre de secteurs industriels à l’égard de la Chine.

La pandémie pourrait bien clore à cet égard un cycle économique qui a commencé avec les réformes de Deng Xiaoping en Chine au début des années 1980 et la chute du mur de Berlin, en 1989. L’onde de choc de cette mondialisation s’épuise. La guerre commerciale lancée par Donald Trump a d’ailleurs convaincu les Chinois eux-mêmes qu’ils devaient réduire leur dépendance à l’égard des Etats-Unis.

La crise de 2008 n’était-elle pas déjà une manifestation de cet épuisement ?

La crise de 2008 était née du projet délirant des grandes banques commerciales américaines de soustraiter à des intermédiaires la tâche d’accorder des crédits à des ménages eux-mêmes en grande vulnérabilité, les fameux subprimes. Des produits extrêmement toxiques avaient été injectés dans le système financier international provoquant un effondrement général des marchés.

La réponse des gouvernements de l’époque avait été à la hauteur de la crise. On se souvient des réunions du G7 et du G20, qui avaient permis une riposte forte, coordonnée et mondiale. Rien de tel aujourd’hui avec des personnages comme Donald Trump, Jair Bolsonaro, Boris Johnson qui tournent tous le dos au multilatéralisme.

A l’époque, il s’agissait d’affronter une crise dont l’épicentre était, comme en 1929, financier, et d’éviter les conséquences que l’on a connues dans les années 1930, à savoir la contagion de l’économie réelle par le krach financier, et son effondrement. Et on y est à peu près parvenu : malgré une onde de choc initiale aussi violente qu’en 1929, la récession mondiale n’a finalement duré que neuf mois…

La crise économique actuelle est en réalité profondément différente de celles de 2008 ou de 1929. Elle est d’emblée une crise de l’économie réelle. L’enjeu n’est pas, comme hier, de chercher à la soutenir par des mesures d’offre ou de demande. Ce qu’on attend de l’Etat est, paradoxalement, qu’il veille à ce que bon nombre d’entreprises ferment leurs portes. Du fait des mesures de confinement, il faut que le produit intérieur brut (PIB) baisse ! Le rôle majeur des politiques publiques, à ce stade, n’est pas de relancer l’économie, mais de s’assurer qu’elle reste dans un état d’hibernation satisfaisant, qui lui permette de repartir rapidement ensuite. Ce ne sont pas des mesures d’ordre macroéconomique qu’on lui demande, mais des mesures microéconomiques.

Il ne s’agit pas non plus de mesures de soutien à la demande – elles ne seront nécessaires que quand la pandémie sera terminée, car que peuvent acheter des consommateurs confinés à des entreprises à l’arrêt ? Des mesures d’offre sont nécessaires, mais dans les secteurs-clés dans la résolution de la crise sanitaire, qu’il s’agisse du fonctionnement des hôpitaux et de la médecine de ville, des entreprises produisant masques, tests, appareils respiratoires…

Pour le reste de l’économie, on attend surtout de l’Etat des mesures de soutien à chaque entreprise, à chaque individu en perte d’activité. Ce n’est pas du crédit qu’il faut distribuer, mais du soutien budgétaire direct qui soulage la trésorerie des entreprises, le revenu des ménages. A cet égard, le principe est simple, le déficit doit être tout simplement égal à la perte d’activité due à la pandémie. Si l’on suit les statistiques produites par l’Insee, chaque mois de confinement pourrait coûter 3 points de croissance sur l’année. C’est aussi idéalement le chiffre du déficit public pour accompagner la crise. Si la crise dure deux mois, ce serait le double…

Parce qu’il ne s’agit pas d’une crise de crédit, rien ne serait pire que de répondre à cette crise avec les seuls outils de 2008 actionnés par les banques centrales – baisse de taux, facilités monétaires, mécanisme de stabilité –, même s’il est évidemment indispensable d’éviter que la crise de l’économie réelle ne se transforme aussi en une crise financière.

Le bon outil est l’outil budgétaire, mais tous les Etats ne disposent pas en ce domaine des mêmes marges de manoeuvre. Je pense notamment à l’Italie. Aider l’Italie à se financer, par exemple par le recours au Mécanisme européen de stabilité, serait une bonne chose, ça lui permettrait de réduire ses coûts de financement. Mais à ce niveau aussi, ce n’est pas de crédit mais de soutien budgétaire dont l’Italie a besoin.

Le budget européen, qui représente tout de même 1 % du PIB de l’Union européenne, doit pouvoir financer directement, par exemple, le fonctionnement des hôpitaux les plus atteints. Le débat sur les « coronabonds », un emprunt européen d’urgence, est à cet égard décisif. Il permettrait à l’Europe de réaliser immédiatement des transferts budgétaires importants, à charge de réduire ensuite certaines dépenses pour payer les intérêts de la dette émise…

Les Etats-Unis viennent de lancer un plan de 2 000 milliards de dollars (1 825 milliards d’euros), dont une grande partie vont aller directement sur les comptes des entreprises et des ménages, quitte à creuser un gigantesque trou budgétaire. C’est à ce type d’action que vous pensez ?

Ce plan représente 10 % du PIB américain et est en effet important. Mais c’est, en partie, pour ce qui concerne le soutien aux ménages, un essaimage à l’aveuglette : on donne 1 000 dollars par adulte et 500 dollars par enfant à tous les ménages dont le revenu est inférieur à 75 000 dollars par an, mais sans aucune considération pour leur situation réelle. On ne peut exclure que Donald Trump vise surtout à préserver ses chances d’être réélu.

Un Etat moderne, un Etat du XXIe siècle, devrait avoir la capacité de faire du sur-mesure, de la microéconomie « chirurgicale », en ciblant les aides entreprise par entreprise, individu par individu. Nous avons maintenant les outils pour cela, comme le prélèvement à la source, les déclarations de TVA et de charges sociales des entreprises, qui permettent de flécher les aides vers ceux qui subissent la crise le plus violemment.

La contrepartie de cette possibilité est, bien sûr, le risque d’une surveillance généralisée, car nous allons nous apercevoir que l’Etat a acquis les mêmes capacités de communiquer – et de surveiller – tout le corps social, à l’égal des GAFA [Google, Apple, Facebook, Amazon].

Cette crise signale-t-elle la fin du capitalisme néolibéral mondialisé ?

C’est certainement la fin, ou le début du recul du capitalisme mondialisé tel qu’on l’a connu depuis quarante ans, c’est-à-dire à la recherche incessante de bas coûts en produisant toujours plus loin. Mais elle signale aussi l’accélération d’un nouveau capitalisme, le capitalisme numérique…

Pour en saisir la portée et les menaces nouvelles que recèle ce capitalisme numérique, il faut revenir en arrière, au temps où l’on pensait que la désindustrialisation allait conduire, dans les pays développés, à une société de services. L’idée, théorisée notamment par l’économiste français Jean Fourastié [1907-1990], était que les humains travailleraient non plus la terre ou la matière, mais l’humain lui-même : prendre soin, éduquer, former, distraire autrui, serait le coeur d’une économie enfin humanisée. Ce rêve postindustriel était libérateur, épanouissant… Mais comme le souligne Fourastié, il n’était plus synonyme de croissance…

Si la valeur du bien est le temps que je passe à m’occuper d’autrui, cela veut dire aussi que l’économie ne peut plus croître, sauf à accroître indéfiniment le temps de travail.

Le capitalisme a trouvé une parade à ce « problème », celle de la numérisation à outrance. Si l’être que je suis peut être transformé en un ensemble d’informations, de données qui peuvent être gérées à distance plutôt qu’en face-à-face, alors je peux être soigné, éduqué, diverti sans avoir besoin de sortir de chez moi… Je vois des films sur Netflix plutôt que d’aller en salle, je suis soigné sans aller à l’hôpital… La numérisation de tout ce qui peut l’être est le moyen pour le capitalisme du XXIe siècle d’obtenir de nouvelles baisses de coût…

Le confinement général dont nous faisons l’objet à présent utilise massivement ces techniques : le télétravail, l’enseignement à distance, la télémédecine… Cette crise sanitaire apparaîtra peut-être, rétrospectivement, comme un moment d’accélération de cette virtualisation du monde. Comme le point d’inflexion du passage du capitalisme industriel au capitalisme numérique, et de son corollaire, l’effondrement des promesses humanistes de la société postindustrielle.

Ensemble et solidaires !!!
Non-Violence XXI
https://nonviolence21.org

C’était avant le confinement…

Voilà plus d’une semaine que nous sommes officiellement confinés. Une situation totalement inédite dans l’Histoire mondiale et très perturbante pour la plupart d’entre nous. Une actualité totalement inattendue alors que celle-ci était surtout marquée ces derniers temps par les mouvements sociaux et les actions de désobéissance civile. Depuis des mois, on ne compte plus les personnes qui s’engagent pour alerter les décideurs politiques et économiques, l’opinion publique aussi, sur l’impasse écologique et sociale dans laquelle l’Humanité s’engouffre chaque jour un peu plus. Il y a quelques jours seulement, beaucoup étaient encore mobilisés contre la réforme des retraites et plus largement contre les ravages de l’ultra-libéralisme parmi lesquels le détricotage sans fin des services publics et de ce qu’il reste de lien et de fraternité dans notre société. Des luttes inévitables et indispensables. Des luttes qui s’inscrivent désormais dans une perspective aussi anxiogène que probable d’effondrement et d’extinction de masse.

Face à ces prévisions inquiétantes, nous adoptons toutes et tous des comportements différents ce qui continue de creuser un peu plus l’immense fossé qui nous sépare aujourd’hui les uns et les unes des autres. Il y a celles et ceux qui s’engagent encore plus fort, préoccupés par les multiples fractures de notre société et par l’urgence climatique. Il y a celles et ceux qui ne changent rien ou presque à leurs habitudes, préférant jouir du présent, faire l’autruche en quelque sorte. Il y a celles et ceux qui continuent ostensiblement à alimenter ce système malgré son caractère mortifère, n’hésitant pas à s’opposer voire à discréditer les actions menées par les plus engagés. Enfin, il y a celles et ceux qui pensent que le temps n’est plus au dialogue et au consensus, qui souhaitent en découdre le plus vite possible quitte à user de moyens de plus en plus violents.

Laisser parler notre humanité et agir…

Nous en étions donc là, dans cette situation où la tension semblait déjà maximale, et dans le fond nous étions nombreuses et nombreux à nous demander où cela allait-il bien pouvoir nous mener à moyen terme. Or, voilà qu’un événement brutal est venu nous cueillir sans prévenir. Une crise sans précédent que, malgré un contexte déjà lourd, absolument personne n’a anticipé. Une crise qui nous éprouve toutes et tous profondément que ce soit physiquement ou moralement. Une crise dont nous pouvons et devons peut-être déjà tirer des enseignements. Le premier d’entre eux peut-être : l’heure n’est plus à l’affrontement mais bien à la concorde. Nous devons faire corps et lutter ensemble pour répondre à cet immense défi.  Bien sûr, il sera nécessaire d’analyser ensuite ce que nous sommes en train de vivre. Il faudra évidemment réaborder les sujets qui fâchent sans tarder parce que l’urgence climatique est toujours là, aussi parce que la crise actuelle montre à quel point notre système de protection sociale est précieux et à quel point nos fonctionnaires hospitaliers méritent notre respect et notre admiration. Idem pour toutes les personnes qui se lèvent chaque jour pour nous permettre de répondre à nos besoins les plus élémentaires. Nous ne pourrons faire l’économie de toutes ces questions. Car au regard de la situation, nous sommes plus convaincus que jamais que le changement réclamé est infiniment urgent et qu’il va nous falloir mettre les bouchées doubles dans quelques semaines. Mais nous sommes également convaincus que notre devoir aujourd’hui est d’appeler à nous relier, à rassembler notre énergie pour faire front et pour laisser parler notre humanité.

La non-violence ou comment concilier lutte et solidarité…

Au cœur de la non-violence, il y a toujours eu un message fort. Celui de respecter chaque être humain, chaque vie, de viser la réconciliation et non la vengeance, de promouvoir une organisation sociale et politique à visage humain basée sur la responsabilité écologique et la solidarité. Plus que jamais aujourd’hui, nous pensons que ce message prend tout son sens. Alors, avec cette newsletter, nous souhaitons simplement vous témoigner toute notre affection et tout notre soutien. Vous dire que nous sommes avec vous comme vous avez toujours été avec nous. Que nous continuons à travailler bien sûr car nous sommes absolument déterminés à placer le projet non-violent au cœur du processus de changement et du modèle de société que nous espérons voir émerger. Mais notre volonté première aujourd’hui est simplement de vous dire que nous sommes là, administrateurs, personnalités, associations membres et partenaires de Non-Violence XXI, à vos côtés, fières et fiers de vous compter parmi nos soutiens, nos sympathisants et de vous témoigner toute notre affection. Avec vous. Ensemble et solidaires !!!

“Combattre de toutes nos forces pour que l’après ne soit pas l’avant”
Vincent Message
www.telerama.fr/livre/chronique-dun-confine,-par-vincent-message-combattre-de-toutes-nos-forces-pour-que-lapres-ne-soit,n6623402.php

 

Dans ce journal à plusieurs mains, des écrivains nous offrent chaque jour la chronique de leur confinement… Aujourd’hui, Vincent Message, auteur du récent et entêtant “Cora dans la spirale” (Seuil, 2019), livre un puissant appel à l’écologie, au respect de l’animal et à la nécessité de changer. Enfin.

Nous n’en sommes qu’au début. 40 000 morts au moins, sûrement bien plus en fait, puisque la Chine ment sur les chiffres.

Cela va durer des mois, se fondre un peu dans l’été, ressurgir cet automne – refrain macabre pour des années peut-être. Les Malgaches, aujourd’hui encore, savent que la peste n’est pas que littérature ; les Haïtiens ont leurs retours de choléra. Dans le cas présent, tout part de la violence qu’on fait aux animaux, de leurs habitats qu’on détruit en les forçant à se rapprocher des zones d’occupation humaine. Les chauves-souris co-évoluent avec une trentaine de coronavirus, un pangolin en attrape un, il nous le refile et c’est parti. Les animaux vendus vivants dans des cages minuscules, environnés de nuées d’insectes, ou bien embrochés et rôtis. Le trafic d’animaux sauvages, aussi lucratif que le trafic de drogue. Alors on se rassure en disant que les Chinois vont trop loin dans l’omnivorisme. Mais les élevages de porcs ou de poulets ont souvent été eux aussi, dans notre histoire récente, les déclencheurs de pandémies.

Il n’y a pas de surprise. Pour celles et ceux qui ont pris le temps de lire de l’écologie, ce qui nous tombe dessus était tristement prévisible. On ne savait pas d’où ça viendrait, quand ça viendrait, mais il était forcé que ça arrive. L’avoir vu venir, avoir cherché à l’empêcher ne réserve d’ailleurs pas la moindre satisfaction. Ça renforce plutôt la colère.

J’ai peur que des proches meurent, de ne pas pouvoir leur dire au revoir, de ne pas pouvoir les enterrer.

“Le ravage écologique et le ravage social ont atteint une telle ampleur que la civilisation industrielle est désormais vulnérable de partout.”

Nous n’en sommes qu’au début. Cette fois, c’est une pandémie d’origine animale. Une autre fois, ce sera la dette, dans une redite de 2008. Une autre fois encore, le renchérissement du pétrole, puisque, depuis 2006, le pic est derrière nous. Ou alors le déclin de la production agricole dans des régions brûlées par la sécheresse, par les grands incendies et sur des terres débarrassées, grâce aux soins de l’agro-industrie, de tous leurs pollinisateurs. Le ravage écologique et le ravage social ont atteint une telle ampleur que la civilisation industrielle est désormais vulnérable de partout.

Dans les histoires que je lis à mon fils, les animaux peuplent toutes les pages. L’écureuil et la souris, partis chercher du bois, trouvent un corbeau gelé et le réchauffent près du feu. Je lui demande quels bruits font le canard et le cochon – et où, sur les cartes de loto, il aperçoit la libellule, le rouge-gorge et l’abeille. Je ne lui dis pas que les cochons passent leur vie confinés, ni qu’on empoisonne les insectes, ni que les rhinocéros, les éléphants et les girafes seront sans doute tous morts, quand ce sera son tour de faire la lecture à ses enfants.

On sent bien qu’il ne faut pas que les choses recommencent comme avant. La trajectoire d’avant, c’est au moins 3 °C de plus à la fin de notre siècle – Le Caire, Shanghaï et New York sous les eaux, et des régions entières où les températures rendront strictement impossible de passer du temps dehors. La trajectoire d’avant, ce sont les populations animales réduites de moitié depuis 1970, et sur les 8 millions d’espèces que compte la Terre, un million menacées d’extinction.

Alors que la littérature a toujours été liée à l’idée de durer, au refus que les êtres et les choses disparaissent sans laisser de traces, l’ironie est cruelle d’écrire à une époque où le vivant s’effondre.

“Les élites libérales font l’éloge du risque, mais quand il est là, c’est aux États qu’on laisse reprendre la main, avec ce qui leur reste d’impôts.”

Il va falloir des voix très fortes et beaucoup plus nombreuses si on veut se donner une chance que l’après ne soit pas l’avant. Les élites libérales vont rejouer leur sale coup, socialiser les pertes après avoir autant que possible privatisé les gains. Elles font sans cesse l’éloge du risque – c’est lui que les dividendes sont supposés rémunérer –, mais quand le risque est là, que les marchés ne se régulent plus, que les faillites menacent, c’est aux États qu’on laisse le soin de reprendre la main, avec ce qui leur reste d’impôts. Aux heures du business as usual, impossible de trouver l’argent dont on a besoin pour les services publics et les urgences écologiques. Quand un virus menace tout le monde, que les puissants, même confinés, ne sont pas à l’abri, les milliards pleuvent quoi qu’il en coûte.

Je prends des nouvelles de chacun. C’est une chance d’avoir Internet, d’entendre les voix, de voir les visages en temps réel. Mais ça ne remplace pas. Ça n’empêche pas que les proches manquent.

“Manger n’est pas un choix individuel, c’est un acte politique.”

Qu’est-ce qui devrait changer, alors ? Que sommes-nous en droit d’espérer, quand il s’agit du monde d’après ? Qu’on arrête d’entasser les animaux, de les enfermer, de les mettre en cage.

Que les humains végétalisent leur alimentation et que ceux qui croient encore que la cause animale tient simplement de la mode y regardent à deux fois. Manger n’est pas un choix individuel où s’exerce la liberté que nous chérissons tellement, mais un acte politique, qui a de lourdes conséquences collectives, qui affecte profondément les milieux que les vivants façonnent autour de nous. Que les humains privilégiés consentent à être moins mobiles, tant que se déplacer ne peut pas s’imaginer sans brûler du carbone. Moins de long-courriers et plus de visioconférences. Des voyages espacés dans le temps, dans l’idéal plus longs, et en tout cas plus lents. Plus de toits pour les sans-abri et pour les réfugiés, moins de terrasses chauffées. Au lieu d’exploiter à bas coût des pauvres à l’autre bout du monde, en stigmatisant la paresse bien connue de tous ces chômeurs que nous créons, raccourcir les chaînes de valeur, produire plus près ce dont nous avons un besoin essentiel. Faire enfin l’inventaire de nos intérêts vitaux. À quoi tenons-nous le plus ? À la beauté glaciale des centres commerciaux ou à des hôpitaux publics où on ne vide pas les lits à toute blinde pour accueillir d’autres patients ? À nos agendas surchargés ou à garder du temps pour soi, pour celles et ceux qu’on aime – quitte à renoncer, pour les plus aisés d’entre nous, à une partie de notre confort ?

Je voudrais vivre longtemps encore, voir mes parents vieillir, les enfants qui m’entourent grandir dans un monde habitable, écrire encore des livres. Mais les épidémies ne transforment pas par magie une société pour le mieux. En temps de crise, les inégalités se creusent et ce sont les plus pauvres qui s’en prennent plein la gueule. À l’heure de la relance, il est tellement commode de jouer comme d’habitude l’économie contre l’écologie, en créant toutes les conditions pour que la crise suivante soit plus dévastatrice encore. Ces désirs-là nécessitent aujourd’hui de combattre, de toutes nos forces, pour que l’après ne soit pas l’avant.

Pourquoi les femmes pourraient sauver la planète
Sophie Viguier-Vinson
www.lexpress.fr/actualite/pourquoi-les-femmes-pourraient-sauver-la-planete_2118327.html

Une trentaine de femmes engagées dans la lutte contre le réchauffement climatique formulent des propositions dans un “manifeste éco-féministe”, publié chez Marabout.

Pourquoi les femmes vont sauver la planète“. C’est sans complexe le titre de la seconde édition d’un “manifeste éco-féministe” publié pour la première fois en France, chez Marabout, après une première version anglaise en 2015. Une trentaine d’actrices de la lutte pour la protection de l’environnement, maires de grandes villes pionnières dans le monde, universitaires, leaders écologistes, représentantes d’entreprises engagées, signent des contributions argumentées dans cet ouvrage, fruit de la collaboration entre deux organisations, C40 Cities Climate Leadership Group et les Amis de la Terre. Avec un postulat de base : la sauvegarde de l’environnement et la défense de l’égalité femmes-hommes sont intimement liées. Voici cinq bonnes raisons de penser que les femmes pourraient sauver la planète.

Elles montrent la voie

Nous ne sommes pas dociles. Nous ne sommes pas faibles. Nous sommes en colère, pour nous-mêmes, pour nos soeurs et nos enfants, qui souffrent, et pour la planète entière, et nous sommes déterminées à protéger la vie sur Terre.” C’était le cri du coeur Petra Kelly, députée verte allemande (1947-1992). L’une des inspiratrices des éco-féministes d’aujourd’hui, citée par Caroline Lucas, députée du Royaume-Uni, dans son texte sur le rôle que peuvent jouer les femmes face aux urgences environnementales. La génération montante prend d’ailleurs la relève, à l’instar de la suédoise Greta Thunberg bien sûr (17 ans), de la Sud Africaine Ayakha Melithafa (17 ans), de la zambienne Natasha Mwansa (18 ans), de la canadienne Autumn Peltier (15 ans), de l’américaine Naomi Wadler (13 ans) ou encore de l’indonésienne Melati Wijsen (17 ans)… récemment rassemblées à Davos sous le nez des grands de l’économie. Non, elles ne sont décidément pas dociles, ces femmes qui secouent les consciences pour engager des changements vertueux. Nombre de leurs aînées prennent la parole dans l’ouvrage, telles la diplomate costaricaine Christina Figueres, l’ex-maire de Durban en Afrique du Sud Zandile Gumede, l’éthiopienne Atti Worku fondatrice et P.-D.G. de Seeds of Africa, la philosophe et militante indienne Vandana Shiva, l’activiste néerlandaise Cecilia Aldridge pour la Marche Mondiale des femmes, ou la maire de Paris Anne Hidalgo et la directrice générale de la RSE de L’Oréal, Alexandra Palt. Toutes défendent la place stratégique des femmes pour la protection de la planète.

Elles sont davantage exposées aux risques climatiques

Inondations, tempêtes, sécheresse et famine… fragilisent d’abord les femmes. “Environ 90 % des 150 000 victimes du cyclone qui a frappé le Bangladesh en 1991 étaient des femmes, rappelle l’essayiste Nicola Baird. Elles étaient marginalisées dans leur communauté. Beaucoup sont mortes en attendant que leurs proches rentrent à la maison et les conduisent dans un endroit sûr.” Un exemple parmi de nombreux autres qui ont suivi. Elles sont donc plus facilement conscientisées, engagées. Et souvent dévolues aux tâches relatives à l’eau, au feu, à l’agriculture vivrière dans bien des régions du monde, elles se montrent particulièrement sensibles à la gestion des ressources naturelles immédiatement accessibles.

On les retrouve à la tête d’initiatives innovantes, comme celle de l’ONG marocaine “Dar Si Hmad”, ayant permis de développer le plus grand système du monde de transformation du brouillard en eau qui permet d’alimenter 400 personnes de cinq villages très vulnérables. Zandile Gumede présente également un important projet de reforestation en Afrique du Sud où les femmes sont leaders. Pour autant, bien des activistes de l’éco-féminisme ne veulent pas s’en tenir à cette image de femmes victimes des aléas climatiques, qui pourraient être naturellement plus proches des besoins de la terre. Point d’essentialisme qui tienne. Et c’est aussi dans le secteur des sciences et technologies, la finance, la diplomatie où elles sont sous-représentées, que leur présence sera décisive, justement pour les sortir du silo de l’économie à faible valeur ajoutée, aussi cruciale soit-elle au quotidien des populations. Une idée notamment défendue par Atti Worku, fondatrice de Seeds of Africa en Ethiopie.

Elles sont mieux préparées à relever des défis impossibles

Exposées depuis toujours aux discriminations, officielles ou implicites, elles ont dû apprendre à contourner les obstacles, à imposer leur point de vue contre vents et marées, à composer avec les oppositions. Rien ne les a mieux préparées à faire face aux difficultés gigantesques de la transition écologique qui se joue aujourd’hui.

C’est notamment l’avis d’Anne Hidalgo. “En tant que femmes, nous sommes préparées à devoir beaucoup travailler et parfois plus que les hommes, pour obtenir les mêmes chances. Nous savons également que nous serons tôt ou tard confrontées à la discrimination et au mépris. Ces épreuves, si elles nous placent dans une position difficile, nous conditionnent à relever les défis.” Et ceux qui se jouent pour la sauvegarde de la planète sont peut-être les plus importants que l’humanité ait eu à relever. Christina Figueres a pu le vérifier : “la plupart des femmes sont plus ouvertes aux divergences d’opinions et sont habituées à surmonter ces divergences pour obtenir une collaboration plutôt que d’imposer un résultat. Elles ont tendance à faire preuve de coopération et de sagesse collective – ce que j’appelle le “leadership collectif” – pour régler les problèmes.”

Elles sont douées pour fédérer les talents

Comme toute minorité, les femmes savent s’organiser, et particulièrement bien autour des questions climatiques. La sororité a pu favoriser l’essor de collectifs féminins très actifs, comme le Women 4 Climate issu du C40 qui fédère des femmes du monde entier développant des solutions pragmatiques en réponse aux défis climatiques. Il existe aussi pléthore d’initiatives impliquant spécifiquement les femmes et leur permettant d’être des acteurs clé du changement, telles que le mouvement international Via Campesina qui lutte pour le droit des paysans à produire des aliments bons pour la santé, sans nuire à la terre. Ou dans un tout autre domaine, le réseau d’organisations, d’experts et d’activistes Gender CC oeuvrant pour l’égalité, le droit des femmes et la justice climatique.

La chercheuse allemande Gotelind Alber rend justement compte de ses travaux sur l’interdépendance de ces objectifs à partir d’observations en milieu urbain. Car “les villes sont l’endroit idéal pour apprendre ce qu’est une politique climatique sensible au genre et la mettre en pratique, estime-t-elle. Des travaux menés par GenderCC avec des partenaires du monde entier – notamment avec des groupes de femmes à Bombay, en Inde, à Makassar en Indonésie, et à Johannesburg en Afrique du Sud – ont débouché sur une approche d’évaluation du genre et du climat des institutions et procédures urbaines, ainsi que sur des mesures d’atténuation et d’adaptation.

Elles veulent la parité, levier pour la défense de l’environnement

Le lien entre entre parité et justice climatique s’est imposé, en particulier depuis les accords de Cancùn en 2010 lors de la 16ème conférence de la convention cadre des Nations Unies, précisant pour la première fois que “l’égalité des sexes et la participation effective des femmes et des peuples autochtones sont d’une grande importance pour agir efficacement sur tous les aspects des changements climatiques“. Et les femmes y veillent spécialement, comme en témoigne le présent manifeste, rendant compte de multiples initiatives conjointes. Les observations fines du GenderCC en témoignent. L’OCDE y prête aussi une attention particulière, notamment par l’une de ses études vérifiant qu’en 2014, plus de 30% de l’aide bilatérale avait à la fois porté sur le changement climatique et l’égalité femmes-hommes. Reste à augmenter effectivement la proportion de femmes dans les institutions politiques liées au changement climatique, à assurer un accès équitable aux ressources et à la terre notamment, à reconnaître le travail domestique et encourager un meilleur partage avec les hommes, à veiller à l’éducation des filles au meilleur niveau en particulier dans les sciences et technologies où l’on décidera aussi du monde (plus vert) de demain..

Naomi Klein: “Jendeak normaltasunera noiz itzuliko garen galdetzen du, baina normaltasuna zen krisia”
Maria Ortega Zubiate
www.argia.eus/albistea/jendeak-normaltasunera-noi-itzuliko-garen-galdetzen-du-normaltasuna-hilgarria-da

Naomi Klein Shockaren doktrina liburuaren egilearen adierazpenak jaso ditu El Salto aldizkariak. Eliteek koronabirusaren krisia nola baliatu duten azaldu du, jendeak beste egoera batean onartuko ez lituzkeen politikak ezartzeko, eta horrela klase arteko banaketa areagotzeko.

“Hau mugarik errespetatzen ez duen mundu mailako krisia da. Zoritxarrez, munduko agintariak hori esplotatzeko ahaleginetan dabiltza. Hortaz, guk ere estrategiak elkarbanatu behar ditugu”, dio Kleinek. 2008ko krisiaz geroztik mundu mailako agintariek osasun-sistemen diru-sarrerak murriztu zituztela dio, batez ere Europako hegoaldean, eta horren adierazle dela oraingo krisiak eremu horretan sortu duen kolapsoa. “Sistema kapitalista beti egon da prest bizitzak sakrifikatzeko, irabaziak lortzearen truke”, Kleinek adierazi duenez. Hori erakusten dute koronabirusaren krisiaren aurrean zenbait aberatsek proposatutako neurriek ere. Izan ere, langileei lanera bueltatzeko eskatu diete, nahiz eta bizia arriskuan jarri. Baina Kleinen ustez, jendea hasi da konturatzen horretaz, besteak beste telebistako komentaristak ikusi dituenean esaten adineko jendea sakrifikatu beharko litzatekeela, akzioen prezioa igo ahal izateko.

Krisi mota berri bat

Orain arte munduak krisi andana bizi izan badu ere, oraingoa erradikalagoa da eskatzen duen sakrifizioari dagokionez. Kleinek argudiatu du osasun krisiari ekologikoa ere batu zaiola, eta horregatik jendarteak zaintzan oinarritutako ekonomia exijitu behar diela agintariei. Horrez gain, urruntze sozialak “Sillycon Valley distopia” sorrarazten diola adierazi du. “Gure gizarte-harremanak plataforma korporatiboen bitartez egiten ditugu: YouTube, Twitter, Facebook… Gure eguneroko elikagaiak Amazon Primek ekartzen dizkigu. Eta lan hori egiten dabiltzanak izugarri zaurgarriak dira”. Normaltasunera bueltatzearen ideiarekin ere kritiko agertu da. Jendeak normaltasunera bueltatzeko nahia azaltzen duenean, “normaltasuna krisia zela gogoratu” behar dutela adierazi du. “Normala hilgarria da. Bizitzen babesean oinarritzen den ekonomia baterako trantsizioa egin behar dugu”.

Egoera honen aukera

Krisi egoerak sozialki aurrera egiteko aukera ere badirela uste du Kleinek. “2008 eta 2009an baino egoera hobean gaude. Gizarte mugimenduetatik lan handia egin dugu pertsonen plataformak sortzeko”.

Utopikoak baina inperfektuak
Artea Sarea
www.argia.eus/albistea/utopikoak-baina-inperfektuak

Artea Sarea harrera-etxeen eta enpresa sozialen sare solidarioa da, bizitzeko modu berriak entseatzen dituena desobedientzia zibilaren filosofian oinarrituta. Desobedientzia zibila, ez bakarrik ukapen gisa –lege bat desobeditzea–, baizik eta proposamen moduan: konfrontazioa esperimentu sozialetik.

Arteara iritsi aurretik, komunitate k’iche’-etan ziharduen, batetik bestera, huipil-ak bordatzen eta emakumeak ahalduntzen.  Buruzagi honek kontatu digu, egun batean, trocha-n zebilelarik, ohartu zela emakumeei irakasten ziena ez zetorrela bat berak etxean egiten zuenarekin.

Gogoeta. Erraza da diskurtso biribila eraikitzea, baina horrek ez du baliorik izango ekintzen eskutik ez badoa. Aktibismo berriak EGIN egin behar du, erretorika praxiarekin txirikordatu. Kontuan harturik, beti ere, konplexuagoa eta ausartagoa dela egitea desegitea baino.

* * *

Muga igaro dugu emakume ginear batekin eta haren seme autistarekin. Haiekin batera doaz beste migratzaile batzuk. Itsasartea pateran zeharkatu berri dute: bortxaketaren bidesaria duen bidaia. Mugak legez kanpo gurutzatzen laguntzen dugu, elkartasunez, dakigun modurik hoberenean. Bidaia Agentzia deitzen diogu, ironiaz.

Gogoetak. Baga: zer nagusitasunen ondorioz bidaia dezakegu europar zuriok Afrikara normaltasunez, eta afrikarrek Europara, aldiz, pateraz? Biga: sistemari desobeditzen diogu, giza eskubideei obeditzen diegu. Higa: munduko desparekotasun izugarria zuzendu ezin dugun bitartean, epe luzeko elkartasunerako prestatu behar dugu herri gisa.

* * *

Bere izateak Pakistango legea urratu du: transexuala da. Zizelkatu, jo, bortxatu egin dute. Daukagun bakarra eskaintzen diogu: maitasuna, janaria eta koltxoia. Irribarre egiten du, artean haurra zen garaian bezala. Besarkatu egiten gaitu. Elkar besarkatzen dugu.

” Maitasunen katea politika da. Konfiantza politika da. Samurtasunerako eta zaintzarako espazio askeak sortzea sistema emozional berri bat eratzea da”

Gogoeta: une errepikaezin horri politika deitzen zaio Artean. Maitasunen katea politika da. Konfiantza politika da. Samurtasunerako eta zaintzarako espazio askeak sortzea sistema emozional berri bat eratzea da. Komunitate afektiboa da; ongi bizitzea deitzen diogu.

* * *

Aljeriar bikote gaztea dira, Oranen zutenaz bestelako bizitza bat nahi dute. Emakumezkoa haurdun dago. Artean ez dugu ohe librerik. Hurbileko herri batean, Zornotzan, gazte-asanbladak  banketxe baten pisu okupatu bat eskaintzen digu.

Gogoeta: legezkoaren eta legez kanpokoaren arteko muga naturaltasunez gurutzatzen dugu. Garrantzirik eman gabe. Beldurrez, baina ekintza soziala geldiarazten duen izurik gabe. Ekintzaileok arriskuaren funanbulista izan behar dugu, ez dago eraldaketarik bestela.

* * *

Koltanaren meatzaritzak bere lurra lapurtu zion Kongoko jaioterrian. Egoera berdina bizi dute, egunero, multinazionalen eraginez beren bizitokietatik kanporatutako milaka pertsonek: enpresek lehengaiak, lur emankorrak eta baliabide naturalak arpilatzen dituzte.

Gogoeta: Kontraesana dago desiratzen dugun munduaren eta egiten dugun bizitzaren artean. Sistema neokolonialari probetxua ateratzen badiogu, inplikatuta gaude, eta geure buruaren aurka borrokatzera behartuta. Gure barnetik zomorroa erauzteko (bitxoa erauzteko???) profilaktikoa: ohiturei desobedientzia egitea edo sistemarekin ez kolaboratzea eguneroko bizitzan.

* * *

Teknikariak iritsi dira sei hektareako gure baratze-proiektuaren lurretara. “Negozio, finantzaketa eta diru-laguntza plana behar duzue, marketina, bezeroen zerrenda, merkatua eta konpetentzia aztertu… misioa, ikuspegia, helburuak … Aztertu al duzue zenbat tomate, letxuga, piper, ziazerba, leka, perrexil saldu behar dituzuen? Zer preziotan eta zein bezerori?” Ideiarik ez. Noraeza. Bada, jauzi uretara.

” Igerilekuaren metodologia; alegia, ura dagoen ala ez jakin gabe botatzea edo erori ahala betetzea. Egia da hamar arte zenbatzen dugula, baina ez askoz gehiago. Muturrekoa hartuz gero, gora zutik berriz”

Gogoetak. Baga: igerilekuaren metodologia; alegia, ura dagoen ala ez jakin gabe botatzea edo erori ahala betetzea. Egia da hamar arte zenbatzen dugula, baina ez askoz gehiago. Muturrekoa hartuz gero, gora zutik berriz. Biga: jateko, bere onera ekarri behar dugu lurra. Permakultura ardatz, ekonomia zirkularra, ekonomia sozial eraldatzailea, nekazaritza politikoa. Higa: nekazaritza sozialean ezagutza partekatu egiten da. Zer arrazoi dago beste borroka batzuetan ez egiteko?

* * *

“Kolapso ekologikoak bilera batean harrapatuko gaitu, kolapsoaz hizketan”, zirikatzen genituen geure buruak jardunaldi eko-sozialista batzuetan.

Hausnarketak: ‘bileritisak’ aktibismoa kolapsatzen du. Bilerak eta asanbladak, ezinbestekoak baino ez; ez gehiago. Burokrazia gutxi eta malgutasun handia. Konfiantza handia. Bizitza laburregia da, eta militantzian denbora asko joaten da –batzuetan alferrik–. Horizontaltasunaren eta eraginkortasunaren arteko dialektikan dago erronka.

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Tente, beisboleko txanoarekin, futbol izarra bailitzan doa aireportuan zehar, trolley fuksia arrastaka. Aljeriako jaioterrira itzuliko da, aitari erakutsi behar dio aurrera egin duela. Gure mantretako bat errepikatzen diogu: “Aberatsak imitatzeak ez dakar zoriontasun handiagorik”. Barrez erantzuten digu: “Bekatu pixka bat zilegi izango da, ezta?”

Gogoeta. Ironia kide komunitario ona da. Ez ditugu zertan geure buruak flagelatu dogmari bekatu egiteagatik. Dramarik ez. Koherentea izatea da garrantzitsuena; konturatzea eta zuzentzea. Malaletxea, erresistentziarako; umore ona, erlatibizatzeko.

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Galdetzen badugu “nor da paternalista?”, gizon gehienek eta emakume zenbaitek eskua altxatuko dute. Harreran areagotu egiten da gaitz hori, eta infantilizazioa eta bertikaltasuna hauspotzen ditu.  Babesak eta autoritate onberak bat egiten dute, eta besteen ordez erabakitzen dute zer den ona, zer txarra. Gainerako aktibismoetan ere errepikatzen da hori, modu batean edo bestean.

” Paternalismoak eta asistentzialismoak, pobrezia borrokatu ordez, betikotu egiten dute. Pertsona kritikoak eta independenteak izan behar dugu”

Gogoetak. Baga: antolakunde sozial bati lekzio-emaile usaina darionean, kontuz. Paternalismoak eta asistentzialismoak, pobrezia borrokatu ordez, betikotu egiten dute. Pertsona kritikoak eta independenteak izan behar dugu. Biga: elkartasuna, adiskidetasuna bezala, elkarrekikoa da edo ez da izango. Bi ekintza uztartu behar dira; bata, humanitarioa –sufritzen duen gizakiarekiko enpatia–; eta, bestea, politikoa –zergatien salaketa–. Higa: botere eza. Autoritatea ez erabili, horretarako aukera izanik ere; akaso besteak baino gehiago jakinik, entzun; irakasteko parada edukita, ikasi; erdigunean kokatu ordez, ertzean geratu; ziurtasuna eskura izanik, zalantza egin.

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Artea Sarean 130 bat lagun bizi gara, erlijio eta pentsamendu hibridoetakoak. Batzuk igarobidean daude, edo asilo-programetan. Beste batzuek, berriz, gurekin bizitzen geratu nahi dute. Batzuk hemengoak dira; beste batzuk, hangoak. Denok berdinak gara. Denok, komunitate berekoak.

Gogoetak. Baga:”Utopikoak gara, baina inperfektuak”, diogu. Perfekzioa blokeatzailea da, ez zara inoiz iristen. Biga: herria gara, askotarikoa, bikaintasunetik salbuetsita. Edertasun soziala entseatzen dugu, lortu gabe bada ere: 0 matxismo, 0 arrazismo, 0 hondakin … eta  gure kodiziak mugatu. Higa: arazo komunitario handiak eguneroko arazo txikien ondorio dira. Ez dira normalean gai ideologikoak; ozpindu egiten zara, besterik gabe. Konfiantza pozoitzen denean, erruduntasunak loratzen dira.

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Ez dago bukolismorik; esperientzia sozialak horietatik salbuetsita daude. Kontraesanak normaltasunez bizi ditugu. Mugetan bizi gara, eta badakigu edozein akats txiki porrot gisa interpretatuko dutela. Dena den, ba al da saiakuntza sozialik gabeko eboluziorik?

“Artisautza soziala. Mugimendu soziala, mugimendu izango bada, mugitzen garelako izango da. Gasolina eta haize freskoa. Barra librea, ametsei irekia”

Eraldaketa, diskurtsoaz haratago, esperientzia bihurtu behar da: artisautza soziala, saihesten duena sare sozialen kontsumo intentsiboa, hedabide handiena, pertsona famatuena; ekiditen duena emari magistralaren eta instituzionalaren kontsumo etengabea. Mugimendu soziala, mugimendu izango bada, mugitzen garelako izango da. Gasolina eta haize freskoa. Barra librea, ametsei irekia.

** Poema hau Militantzia eredu zahar-berriak agertoki ezezagunetan Larrun monografikoan 251. alearen parte da.