Articles du Vendredi : Sélection du 29 novembre 2019


Climat : après une décennie perdue, les Etats doivent réduire drastiquement leurs émissions
Audrey Garric
www.lemonde.fr/planete/article/2019/11/26/climat-apres-une-decennie-perdue-les-etats-doivent-reduire-drastiquement-leurs-emissions_6020537_3244.html

Les pays devront abaisser de 7,6 % leurs rejets carbonés chaque année entre 2020 et 2030 s’ils veulent contenir le réchauffement climatique à un seuil soutenable. Les émissions augmentent au contraire irrépressiblement.

C’est une réalité implacablement mathématique. A mesure que le temps passe, les efforts à accomplir pour limiter l’ampleur de la crise climatique s’avèrent toujours plus importants, au risque de devenir insurmontables. Désormais, prévient l’ONU, après « une décennie perdue » (2009-2019), durant laquelle les Etats « ont collectivement échoué » à infléchir la croissance des émissions de gaz à effet de serre, les pays devront réduire de 7,6 % leurs rejets carbonés chaque année entre 2020 et 2030. C’est à cette condition qu’ils pourront respecter l’objectif de l’accord de Paris de maintenir le réchauffement climatique à + 1,5 °C.

Un effort deux fois plus important à fournir que s’ils s’étaient attelés à la tâche dès 2010. Et d’autant plus ardu qu’en réalité les émissions augmentent irrépressiblement, avec une hausse de 1,5 % en moyenne par an sur la dernière décennie.

Telle est l’alerte lancée par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), dans la 10e édition de son « Emissions Gap Report », publiée mardi 26 novembre. Un nouvel avertissement pour les 196 pays qui doivent se réunir du 2 au 13 décembre à Madrid, lors de la 25e conférence mondiale pour le climat (COP25). L’un des enjeux pour la présidence chilienne du sommet consistera justement à pousser les Etats à accélérer leurs efforts dans la bataille contre le dérèglement climatique, alors que ses symptômes se multiplient partout dans le monde, sous la forme d’inondations, d’ouragans ou de canicules.

Ecart trop important

Tous les ans, l’« Emissions Gap Report » du PNUE compare, sur la base des dernières données compilées par une équipe internationale de scientifiques, l’écart entre les engagements et les efforts réalisés par les Etats pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, et la baisse qui serait nécessaire pour respecter l’accord de Paris de 2015 – à savoir contenir la hausse de la température « nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels », si possible sans excéder 1,5 °C. En d’autres termes, le rapport regarde la différence entre ce que l’on fait et ce que l’on doit faire.

Le constat est sans appel : cet écart est bien trop important. Les émissions de gaz à effet de serre ont atteint en 2018 un record historique de 55,3 milliards de tonnes (gigatonnes ou Gt) équivalent CO2, soit une hausse de 3,2 % par rapport à 2017. La grande majorité sont imputables à la combustion des ressources fossiles (charbon, pétrole et gaz) pour la consommation d’énergie et l’industrie, le reste étant dû aux changements d’utilisation des terres, comme la déforestation ou l’artificialisation de terres agricoles. Pire, il n’y a « pas de signes d’un pic des émissions qui pourrait être atteint dans les prochaines années », relève l’agence onusienne.

Pour conserver  une chance de ne pas franchir la barre des 2 °C, ces rejets devraient être réduits de 25 % d’ici à 2030, par rapport à leur niveau de 2018 (soit une baisse de 2,7 % par an). Et chuter de 55 % pour que le seuil de 1,5 °C ne soit pas dépassé (soit – 7,6 % par an). Sans cela, la température du globe pourrait atteindre + 3,9 °C d’ici à la fin du siècle, « ce qui entraînera des impacts climatiques vastes et destructeurs ». « Chaque année de retard à partir de 2020 nécessitera des réductions d’émissions plus rapides, ce qui deviendra de plus en plus cher, improbable et difficile », insiste le PNUE. Conséquence de la hausse continue des émissions : le dioxyde de carbone, principal gaz à effet de serre persistant dans l’atmosphère, a battu un nouveau record de concentration en 2018, à 407,8 parties par million (ppm), soit 147 % de plus que le niveau préindustriel de 1750, selon le bulletin annuel de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) publié lundi.

« Il convient de rappeler que la dernière fois que la Terre a connu une teneur en CO2 comparable, c’était il y a 3 à 5 millions d’années : la température était de 2 à 3 °C plus élevée qu’aujourd’hui, et le niveau de la mer était supérieur de 10 à 20 mètres au niveau actuel », a souligné le secrétaire général de l’OMM, Petteri Taalas, dans un communiqué. « Il n’y a aucun signe de ralentissement, et encore moins de diminution, de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère malgré tous les engagements pris au titre de l’accord de Paris sur le climat », a-t-il ajouté. De fait, les engagements pris de manière volontaire par les 196 pays signataires du traité international – ce que l’on appelle les « contributions déterminées au niveau national », NDCs en anglais –, sont notoirement insuffisants. A supposer qu’ils soient intégralement tenus, ils mettent la planète sur une trajectoire de réchauffement d’au moins 3,2 °C d’ici à la fin du siècle, confirme le PNUE dans son étude de mardi. Respecter l’accord de Paris impliquerait que les pays triplent le niveau de leurs contributions nationales pour ne pas dépasser 2 °C, et le multiplient par 5 pour ne pas aller au-delà de 1,5 °C. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a montré, dans un rapport majeur publié en 2018, à quel point ce demi-degré de différence était lourd d’impacts, en matière de multiplication des événements climatiques extrêmes, d’élévation du niveau de la mer ou de baisse des rendements agricoles, et aussi à quel point chaque année est décisive pour l’action.

« Incapacité collective »

« Notre incapacité collective à agir rapidement et énergiquement contre le changement climatique signifie que nous devons dès maintenant réduire considérablement nos émissions, prévient Inger Andersen, la directrice exécutive du PNUE. Cela montre que les pays ne peuvent tout simplement pas attendre la fin de 2020 [et la COP26] pour intensifier leur action. Ils doivent agir maintenant, ainsi que chaque ville, région, entreprise et individu. » L’année 2020 est une année cruciale pour le climat dans la mesure où les Etats devront, pour la première fois depuis l’accord de Paris, soumettre de nouveaux plans climatiques, plus ambitieux, lors de la COP26 qui se tiendra à Glasgow (Royaume-Uni) en novembre. « Depuis le 4e rapport du GIEC en 2007, nous répétons que les émissions de CO2 doivent atteindre un pic en 2020 au plus tard pour garder une chance de rester sous les 2 °C, rappelle le climatologue Jean Jouzel, ancien vice-président du groupe de travail scientifique du GIEC. C’est aujourd’hui pratiquement impossible, sauf à pomper 10 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère chaque année jusqu’à la fin du siècle. » « Nous laissons aux générations futures un monde où non seulement le réchauffement sera très important, mais où il faudra aussi pomper le CO2 que nous émettons aujourd’hui. C’est très problématique d’un point de vue éthique », s’indigne-t-il.

Les émissions mondiales sont largement tirées vers le haut par la Chine et, à un moindre degré, par l’Inde. Mais, note le rapport du PNUE, « les pays développés ne peuvent pas se contenter de réduire leurs émissions nationales en les exportant vers les économies émergentes ». Lorsque l’on inclut les émissions de CO2 générées par la production des biens importés, un Européen pollue un peu plus qu’un Chinois – avec respectivement 8,1 et 6,1 tonnes par an et par habitant. Si tous les pays doivent accélérer leurs efforts, le rapport se focalise cette année particulièrement sur le G20, autrement dit les 20 plus grandes puissances mondiales, qui pèsent pour 78 % des émissions. Leur action, décisive, s’avère pour l’instant insuffisante. Seulement six de ses membres devraient réussir à tenir leurs engagements pour 2030 (Union européenne, Chine, Inde, Mexique, Russie et Turquie) alors même que ces objectifs sont insuffisants – l’UE prévoit par exemple une baisse de 40 % de ses émissions d’ici à 2030 par rapport à 1990 et la Chine a promis, entre autres, un pic de ses rejets au plus tard en 2030. Sept pays n’ont pas encore mis en place les politiques nationales nécessaires pour y parvenir (Afrique du Sud, Australie, Brésil, Canada, Corée du Sud, Japon et Etats-Unis), et seulement cinq membres du G20 se sont engagés à atteindre la neutralité carbone dans une perspective de long terme.

Pas la bonne trajectoire

Non seulement le G20 tarde à agir, mais en outre il n’est pas sur la bonne trajectoire. En 2018, les émissions de ses membres ont augmenté dans tous les secteurs : + 1,8 % pour l’énergie, + 1,2 % pour les transports, + 4,1 % pour le bâtiment, selon le rapport « Brown to Green 2019 » de Climate Transparency, publié le 12 novembre par un collectif de centres de recherche associé au groupe Banque mondiale. Les subventions des Etats du G20 fournies aux énergies fossiles se sont par ailleurs élevées à plus de 127 milliards de dollars. Seulement neuf pays les ont réduites.

« Des transformations sociétales et économiques majeures doivent avoir lieu au cours de la prochaine décennie pour compenser l’inaction du passé, notamment en ce qui concerne la décarbonisation rapide des secteurs de l’énergie, du bâtiment et des transports », écrivent les auteurs. Le passage aux renouvelables pourrait réduire les émissions de CO2 du secteur électrique de 8,1 Gt par an d’ici à 2050 tandis que l’électrification des transports abaisserait les rejets du secteur de 6,1 Gt par an sur la même période. Le PNUE défend également la sortie du charbon et l’amélioration de l’efficacité énergétique. Une transition énergétique qui nécessite toutefois des investissements – entre 1 600 et 3 800 milliards de dollars par an dans le monde au cours de la période 2020-2050. Une telle action climatique de grande ampleur, au-delà de contenir le réchauffement, bénéficierait également à l’humanité en limitant la pollution de l’air, en améliorant la santé ou en réduisant la pauvreté, selon le PNUE. Là encore, c’est une réalité mathématique : le coût le plus élevé, tant du point de vue économique que sanitaire, est celui de l’inaction.

L’accord qui protège les pollueurs
Maxime Combes
www.politis.fr/articles/2019/11/laccord-qui-protege-les-pollueurs-41073

La France doit quitter le Traité sur la charte de l’énergie, car il est une arme entre les mains des multinationales pour ralentir ou bloquer des politiques climatiques ambitieuses. Il existe bien un accord contraignant en matière de #Climat … et ce n’est pas #AccorddeParis C’est le Traité sur la Charte de l’énergie qui protège les pollueurs et garantit à lui tout seul que les 2°C seront dépassés L’UE doit en sortir !

Longtemps resté dans l’oubli, le Traité de la charte de l’énergie (1), regroupant plus d’une cinquantaine d’États (de l’Europe occidentale au Japon en passant par l’Asie centrale), est aujourd’hui utilisé par les multinationales de l’énergie pour attaquer les pouvoirs publics lorsque ces derniers prennent des mesures en matière de transition énergétique qui contreviennent à leurs intérêts. Ainsi, parmi des dizaines de cas, l’entreprise suédoise Vattenfall poursuit l’Allemagne pour sa décision d’abandonner le nucléaire ; l’entreprise allemande Uniper attaque les Pays-Bas pour leur décision de fermer des centrales à charbon ; l’entreprise britannique Rockhopper s’en prend à l’Italie à la suite de son moratoire sur les forages offshore.

De « l’Affaire du siècle » aux mises en demeure de Total, une grande attention a récemment été portée sur les actions entreprises par des ONG, des citoyens ou même des collectivités territoriales pour obtenir devant la justice des décisions favorables concernant le climat : il s’agit de mobiliser les embryons de droit international et national sur les enjeux climatiques pour obliger les entreprises et les États à faire plus en matière de lutte contre les dérèglements climatiques. Une moindre attention est portée aux outils de droit dont disposent les multinationales pour dissuader et sanctionner les États ainsi que les collectivités territoriales.

Le cas hollandais est emblématique. On se souvient de la décision de justice condamnant l’État à faire davantage en matière climatique après une action menée par l’ONG Urgenda au nom de 886 citoyens (2). Cette décision a accéléré le débat sur la sortie du charbon, ce qui reste le moyen le plus rapide pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, après Uniper, déjà cité, ce sont coup sur coup les entreprises allemande et suédoise RWE et Vattenfall qui annoncent vouloir poursuivre les Pays-Bas en cas de vote d’une loi qui planifie la fermeture de centrales à charbon et prévoie d’interdire l’utilisation du charbon pour la production électrique d’ici à 2030. Elles s’estiment victimes d’une expropriation indirecte et de pertes de profits.

Une étude (3) a documenté l’utilisation du Traité de la charte de l’énergie par les multinationales de l’énergie qui réclament des sommes faramineuses aux États. Si elles ne sortent pas gagnantes à chaque fois, elles peuvent faire pression sur les pouvoirs publics pour retarder ou amoindrir la portée des lois de transition énergétique. C’est ce qui est advenu en France lors de l’examen de la loi Hulot sur les hydrocarbures : il a été montré (4) que l’entreprise canadienne Vermilion a menacé le gouvernement de poursuites après une première mouture du projet de loi assez ambitieuse. Résultat : Nicolas Hulot et le gouvernement ont fait machine arrière, protégeant ainsi les droits acquis des industriels.

Cette confrontation entre un droit du climat encore incomplet et peu contraignant et un droit de l’investissement robuste et contraignant ne fait sans doute que commencer. La transformation des soubassements énergétiques de notre formidable machine à réchauffer la planète qu’est l’économie mondiale doit nécessairement conduire à revoir fortement à la baisse la durée de vie des infrastructures pétrolières, gazières et charbonnières. Les entreprises privées, qui en sont le plus souvent propriétaires, ne vont pas s’abstenir de faire valoir leurs droits devant ces outils de justice parallèle (les mécanismes d’arbitrage entre États et entreprises : ISDS, ICS, etc.) auxquels les pouvoirs publics leur ont donné accès.

Le Traité de la charte de l’énergie fonctionne donc à la fois comme une arme de dissuasion massive à disposition des multinationales de l’énergie pour ralentir ou bloquer des politiques de transition énergétique et comme un outil de sanction financière envers les États lorsqu’ils décident néanmoins de mener des politiques climatiques plus ambitieuses. De ce fait, ce traité protège les pollueurs. On peut même calculer qu’il garantit l’émission de cinq fois plus de gaz à effet de serre que ne le permettrait le budget carbone européen s’il était respecté (5).

C’est la raison pour laquelle une vingtaine d’organisations de la société civile en Europe, parmi lesquelles l’Aitec, Attac France, les Amis de la Terre France ou le CCFD-Terre solidaire, ont appelé les États membres de l’Union européenne à quitter le Traité de la charte de l’énergie (5). Alors que la COP 25 a été transférée à Madrid, l’UE et les États européens, à commencer par la France et Emmanuel Macron, feraient bien de suivre ce conseil plutôt que nous entraîner droit dans le mur.

(1) Le Traité sur la charte de l’énergie, appelé aussi Charte énergétique européenne, a été signé en 1994 et est entré en vigueur en 1998. (2) « Pays-Bas : l’État condamné pour ses gaz à effet de serre », Politis, n° 1525, 31 octobre 2018.

(3) Résumé du rapport « Un traité pour les gouverner tous », Corporate Europe Observatory (CEO) et Transnational Institute (TNI), juin 2018.

(4) « Loi Hulot : nouvelles révélations sur le lobbying au sommet de l’État », Observatoire des multinationales, 30 août 2018.

(5) « The Energy Charter Treaty (ECT). Assessing its geopolitical, climate and financial impacts », septembre 2019, disponible sur www.openexp.eu

(6) « Lettre ouverte de la société civile sur le Traité sur la charte de l’énergie », 23 septembre 2019, www.collectifstoptafta.org

Climat, le désir de sécession des riches
Jérôme Correia
https://comptoir.org/2019/11/01/climat-le-desir-de-secession-des-riches

Nous vivons une période profondément anxiogène. La crise environnementale actuelle semble une crise de fin du monde. Tout laisse à croire que sans un véritable tournant, tout pourrait s’effondrer : nos modes de vie, l’organisation sociale et économique, le confort de la société moderne (déjà réservé à une fraction de la planète), les quelques régimes politiques non autoritaires qui subsistent… Tout pourrait disparaître. La survie même de l’humanité semble être en jeu. Et les puissants s’en contrefichent.

Si cette crise suscite à juste titre de vives inquiétudes parmi les populations, elle ne semble guère provoquer l’émoi parmi les élites dominantes, aussi bien économiques, médiatiques ou politiques. Le mal-nommé Champion de la Terre (Emmanuel Macron) a beau couler quelques douces larmes pour l’Amazonie en feu, il apparaît clairement que son gouvernement agit le plus souvent contre la cause environnementale (refus d’interdire le glyphosate, suppression du train de Rungis, démantèlement programmé de l’Office national des forêts, vote du CETA, projet minier en Guyane, extraction d’uranium au Kazakhstan, etc.). Et pour les grandes fortunes de ce monde, c’est toujours Business as usual. Il semblerait que ces gens ne puissent imaginer vivre sans ces bénéfices colossaux, dont même une vie entière ne saurait venir à bout.

Pourtant, d’aucuns ont encore espoir en un revirement. On veut en appeler à une sorte de nouvelle « union nationale » de toute la société (des grands entrepreneurs aux travailleurs, en passant par les ONG, les politiques, les scientifiques, les peoples, les journalistes, les artistes, etc.). Nous serions en guerre et tout le monde devrait se serrer les coudes.

« Le mal-nommé Champion de la Terre (Emmanuel Macron) a beau couler quelques douces larmes pour l’Amazonie en feu, il apparaît clairement que son gouvernement agit le plus souvent contre la cause environnementale. »

Ce discours s’insère opportunément à celui des structures militantes écologistes traditionnelles selon lesquelles il faut d’abord s’entendre sur les actions écologiques urgentes : ce qui nécessite de ne pas débattre de questions politiques ou sociales. Peu importe que tu sois macroniste, insoumis, frontiste, ou vieux gaulliste, peu importe que tu sois riche ou pauvre, il faut agir.

Ce discours est-il lucide ?

Il est bon de se rappeler que l’idée d’union nationale est un héritage de la Première Guerre mondiale. Lorsque la bourgeoisie européenne voulut faire la guerre et envoyer les travailleurs sur le front, c’est ce discours national-xénophobe (relayé comme aujourd’hui par les politiques et les médias) qu’elle mit en avant pour contrer la propagande des diverses organisations de travailleurs qui affirmaient jusqu’alors la fraternité des travailleurs de tous les pays.

Il est également opportun de se rappeler que lors des crises précédentes, économiques, sociales ou politiques, ce sont le plus souvent les plus pauvres qui ont trinqué. Même si on a voulu nous faire croire le contraire, les grandes fortunes de ce monde n’ont guère été perturbées. Ou, pour peu qu’elles l’aient été, l’État s’est empressé de voler à leur secours, comme lors de la crise des Subprimes [i]. Certains en ressortiront même plus riches.

Mais de cette crise, affirme-t-on, ils ne pourront pas s’en préserver. Face à « Mère Nature » les différences de classes ne comptent pas. Et on y va allègrement de son « il faudra bien que l’humanité réagisse, car tout le monde est concerné ».

Est-ce que la grande bourgeoisie, les magnats de la finance internationale, les leaders de la Silicon Valley, les fameux 1%, sauront prendre conscience de l’effondrement possible de leur monde ? Quelques-uns pourraient se sentir l’âme philanthrope et se lancer dans des investissements pour des énergies plus propres. C’est même déjà le cas. Les multinationales Total et Vinci par exemple, investissent sporadiquement dans ces secteurs. On rase quelques forêts pour installer des parcs solaires ; toujours dans l’espoir d’en récupérer des bénéfices.

Mais il est à croire que la plupart se comporteront, et se comportent déjà, comme lors de précédents effondrements de civilisation. Pour prendre un exemple plus ou moins récent, on peut évoquer l’effondrement du vieux « monde communiste ». Lorsqu’ils comprirent que leur système n’avait plus d’avenir, comment donc ont réagi les membres de la Nomenklatura ? Les bureaucrates soviétiques se sont-ils démis de leur fonction pour jouer un rôle dans la « transition démocratique » ? Loin de là ! La réaction première fut de s’enrichir aux dépens de l’ancien État soviétique. Ils ont fini par proprement ruiner le pays en bradant le patrimoine russe. Dès la fin de la décennie, Henri Alleg qualifiait cela de « plus grand hold up de tous les temps » (Le grand bond en arrière, 1997). L’élite soviétique, les proches de Boris Eltsine notamment, se sont empressés de revendre des pans entiers de l’infrastructure industrielle russe aux entrepreneurs américains. Ceux-ci les rachetaient pour une bouchée de pain et les fermaient aussitôt pour pouvoir vendre leur propres produits d’exportation sur ce nouveau marché prometteur de plusieurs centaines de millions de clients potentiels. Les magnats russes touchaient le pactole et mettaient leur petit trésor à l’abri. À la fin des années 90′, le directeur de recherches socio-politiques de l’Académie des Sciences, Guennadi Ossipov, estimait déjà à 200 milliards de dollars le montant des richesses russes transférées dans les paradis fiscaux.

Aujourd’hui, que constate-t-on ? De nombreux indices laissent croire que le même phénomène se reproduit, à l’identique.

Ne voit-on pas les patrons s’octroyer des rémunérations de plus en plus scandaleuses (Renault, Air France, Carrefour) alors que souvent l’entreprise déplore la crise et jette par milliers les travailleurs sur le pavé ? Ce n’est guère mieux du côté des élites politiques : sans parler de leurs augmentations de salaires en période de « ceintures serrées », combien de ministres actuels sont suspectés dans des affaires de détournement de fonds ? L’argent n’a jamais autant migré sans aucune contrainte vers les paradis fiscaux (dernière estimation en date : 80 à 100 milliards d’euros par an rien que pour la France [ii]). Pensent-ils que le système court à sa perte ?

Comme la mafia russe après l’effondrement de l’Union Soviétique, ne sont-ils pas en train de détourner toutes les richesses, tant qu’ils le peuvent ?

Macron n’est-il pas en train de vendre (brader) à ses amis tous les biens de l’État français (Aéroports, barrages électriques, SNCF, etc.), comme l’ont déjà fait ses prédécesseurs (Autoroutes, EDF, etc.) ?

Un monde invivable ?

Mais cette fois ils n’auront nulle part où aller, objectera-t-on. Nous sommes tous sur la même planète. Les puissants de ce monde ont aussi des enfants pour lesquels ils devront bien faire un effort pour préserver la planète. Peut-être…

Pourtant, force est de constater que si nous sommes bien tous sur la même planète, nous n’avons probablement pas tous la même éthique, et surtout, pas les mêmes moyens.

L’augmentation des températures, la raréfaction de l’oxygène, l’augmentation de la pollution se retourneront, comme toujours, contre les plus faibles. Les riches eux, pourront se protéger plus ou moins bien. À Lyon, lors d’une Marche pour le climat, un manifestant arborait un écriteau où l’on pouvait lire « l’air pur ne se vendra pas sur Amazon ». Et pourquoi pas ? Mickaël Jackson avait bien son propre caisson à oxygène. Quand on a de l’argent, il n’y a guère de limites. Mais évidemment, cela se vendra à prix d’or, et les populations les plus pauvres ne pourront certes pas en commander sur Amazon.

« L’augmentation des températures, la raréfaction de l’oxygène, l’augmentation de la pollution se retourneront, comme toujours, contre les plus faibles. »

La dégradation du cadre de vie, sur cette unique planète, ne les arrêtera pas. François Ruffin disait il y a peu : « On le sait maintenant : ils iront jusqu’au bout. Ils raseront les forêts. Ils videront les mers des thons, des baleines, des sardines. Ils pressureront les roches. Ils feront fondre les pôles. Ils noirciront l’Alaska. Ils réchaufferont l’atmosphère jusqu’à ébullition. Ils nous vendront un air côté en bourse. Ils affameront des continents… »

Aucun scrupule moral ne semble les arrêter. Ni même le fait que leurs descendants survivraient dans un monde quasi-invivable.

Le politique s’occupe de tout

L’État, véritable béquille des classes sociales favorisées, s’applique depuis plusieurs décennies à casser le modèle social. Un véritable travail de sape de tout ce qui peut représenter une protection pour les populations les plus fragiles, qui se couple à un travail idéologique de fond sur le « chacun pour soi ». Sous prétexte de « responsabiliser » l’individu, on supprime tous les outils de solidarité entre citoyens. Le « pognon de dingue » censé être dépensé dans les aides sociales est un exemple de cette attaque. Au nom du « chacun doit se débrouiller selon ses moyens », on supprime les aides. L’ignominie de cette philosophie ressort clairement lorsque l’ont voit des PDG évincés suite à des scandales partir avec un parachute doré alors que les travailleurs eux se retrouvent bien souvent gravement endettés ou à la rue. Au final, nulle responsabilisation n’en découle, on ne fait qu’augmenter la part des richesses sociales détournées par les classes les plus riches. Et au passage, leurs amis politiciens prélèvent leur part.

L’atomisation de la société civile est une conséquence de cette vase entreprise de privatisation, de dilapidation des acquis sociaux, de destruction de la République sociale. Comment ne pas s’interroger sur le délitement de la société que cette entreprise amène nécessairement. L’atomisation prônée par en haut est une tentative de destruction de l’esprit de solidarité, de destruction des liens sociaux.

Criminalisation des contestations

Depuis novembre dernier, les attaques gouvernementales contre les communs ont poussé les classes moyennes et populaires à la rue. En retour, la répression policière s’expose dans toute sa nudité.

L’échec des syndicats à faire reculer le gouvernement sur ces projets n’y est sans doute pas pour rien. Fin de mois, fin du monde, même combat : les gilets jaunes viennent amplifier la contestation de la Macronie et son monde.

La grande réussite du mouvement des gilets jaunes est d’avoir rendu visible les invisibles, de les avoir introduit sur la scène politique. On discute de politique partout, sur les ronds-points, dans les rues, partout. On discute de temps à autres avec les gilets verts, avec les gilets noirs quelques fois. Des liens se sont créés. Face à une répression implacable, cruelle, les gilets jaunes restent soudés. Une solidarité qui, manifestement, dérange. Au point que l’on tabasse, éborgne, mutile, tue [iii].

« La grande réussite du mouvement des gilets jaunes est d’avoir rendu visible les invisibles, de les avoir introduit sur la scène politique. »

La seule réponse gouvernementale à ce mouvement de contestation sociale et politique, hormis quelques discours lénifiants, aura été une répression policière et judiciaire démesurée.

Pire, en se servant de l’appareil judiciaire pour tenter d’étouffer cette révolte, on en vient à la criminalisation [iv] de toute opposition sociale ou politique, au-delà même du seul cadre des gilets jaunes. Se mobiliser pour sauver la planète, dénoncer l’injustice des institutions, sauver des migrants en danger de mort, défendre le droit des femmes, affirmer son droit à prendre part aux décisions politiques : tout cela est devenu un CRIME. Ils ont même tenté le « délit de solidarité » !

Individualisme et sécession

Dès lors, dans un monde où l’on jette l’anathème sur toute forme de solidarité, où l’individualisme est érigé en quasi-religion dominante aussi bien par l’État que par les puissants de ce monde, comment croire que ceux-là même qui promeuvent cette idéologie de tout le poids de leur presse et de leur service de communication, se poseront le problème autrement que par le prisme de leurs propres intérêts personnels ?

Pourtant, leur vision n’est peut-être pas si court-termiste qu’on peut le penser. Il est possible que l’avenir les préoccupe. Mais, c’est ici et maintenant qu’il faut engranger de l’argent. Surtout, si le temps se gâte, ajouteront-ils ! Face à une tempête imminente, on peut raisonnablement penser que leur réaction ne sera pas de se questionner sur les origines de celle-ci. Elle sera de chercher les moyens d’accaparer un maximum de richesses avant le chaos.

Et ce chaos à venir, plusieurs récentes enquêtes journalistiques montrent qu’ils en sont conscients. En Nouvelle Zélande, plusieurs dizaines de milliardaires de la Sillicon Valley auraient acquis des terres pour faire face à l’Apocalypse. C’est ce que révèle le journal L’Humanité dans un article d’avril dernier. Selon cet article, le cinéaste James Cameron serait de la partie. Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook, lui, chasse les insulaires à coup de dollars, non loin d’Hawaï pour se créer un refuge sur mesure. S’appuyant sur la culture survivaliste qui se développe parmi les fortunes de la Silicon Valley, le commerce d’abris post-apocalypse se porte à merveille. Certaines sociétés, comme Survival Condo, Vivos, Ultimate Bunkers ou encore Terra Vivos se sont spécialisés dans la construction ou le réaménagement luxueux d’anciens bunkers.

Qu’est-ce qui peut motiver des milliardaires à acquérir des terres sur ces îles ? À l’évidence, elles ont l’avantage d’être peu peuplées, donc moins polluées. Mais aussi, ces îles sont montagneuses, et donc résisteront à la montée des eaux. Selon leur propres propos, ces milliardaires anticipent aussi la possibilité d’une « révolution ou d’un conflit social qui s’en prendrait au 1 % ».

« Le capitalisme est par essence le pillage en coupe réglée du monde. »

Une autre étude fait état de la même tendance à se prémunir face au dérèglement climatique et les probables révolutions politiques qui pourraient s’ensuivre.

En septembre 2017, l’enquête de Hors-sol et Pièces et Main d’œuvre évoque le projet Seasteading, à l’initiative du milliardaire Peter Thiel (Paypal, Facebook, Palantir…). Sachant que les terres vont être de plus en plus peuplées, polluées, ravagées, le capitalisme high-tech semble voir son salut dans la conquête de la surface des océans. Le Seasteading Institute vient donc de signer un accord avec le gouvernement polynésien pour la création d’une Zone Économique Spéciale. Il est envisagé de construire des îles flottantes high-tech énergétiquement autonomes qui miseraient sur la culture des algues pour en faire un carburant propre, dépolluer l’océan et l’air. Les îles polynésiennes étant particulièrement menacées par la montée des eaux, les habitants y voient nécessairement un radeau de sauvetage ! Et c’est ainsi que le projet leur est présenté. Dans son protocole d’accord avec Seasteading, le gouvernement de Polynésie s’engage « à tout mettre en œuvre en faveur de la préservation du patrimoine naturel et culturel polynésien pour devenir une vitrine mondiale du développement durable » ! La richissime Californie au secours des îles perdues de Polynésie…

Pourtant le Seasteading Institute vise déjà le large. Toutes précautions sont prises pour s’assurer d’une autonomie par rapport au gouvernement polynésien. Le statut de Zone Économique Spéciale leur offre des conditions fiscales et juridiques avantageuses qu’ils ne sauraient trouver sur terre. Le rêve libertarien de pouvoir faire de la recherche hors de toute contrainte juridique pointe à l’horizon. Or, 45% de la surface de la terre n’appartient à aucune nation. Ces îles flottantes, mobiles, seraient donc libres de toutes contraintes juridico-politiques.

En fait de projet écologique, il ne s’agit rien moins que de la poursuite de l’accaparement, de l’appropriation privé des biens de la nature. Après avoir exploité à outrance terres, montagnes, lacs, fleuves, bords des océans, l’homme s’apprête à conquérir le large. L’auteur de l’étude conclut : « Les lagons polynésiens sont au XXIe siècle ce que les commons anglais étaient au XVIIe : la proie des enclosures dans une sorte d’accumulation primitive du capital maritime, aurait dit Marx ».

Nous n’en sommes plus au stade de projet. Milliardaires et technocrates sont passés à l’expérimentation in situ. Dans l’attente de l’apocalypse, environnementale ou sociale, ils se préparent un monde à part, réservé aux élites. C’est bien là leur philosophie : que chacun sauve sa peau selon ses moyens ! Ils ont beau essayer de se redonner un vernis humaniste de temps à autre – comme les dons pour Notre-Dame de Paris récemment – on peut être certain qu’ils montreront leur vrai visage en cas de grave crise sociale ou environnementale.

Les 1%, ces élites haineuses, préparent là activement leur sécession. Les puissants de ce monde s’acclimateront. Du moins, c’est ce qu’ils espèrent. Comme l’affirme Pierre Madelin dans son dernier ouvrage (Après le Capitalisme, 2017) on ne peut pas attendre que le capitalisme s’effondre de lui-même pour laisser émerger des sociétés résilientes. Le capitalisme est par essence le pillage en coupe réglée du monde. Le mouvement social et écologique en cours doit prendre acte de cette volonté de sécession des riches et, sans attendre quoique ce soit des élites dominantes, inventer lui-même les formes d’émancipation qui pourront assurer un avenir à l’humanité.

Notes :

[i] Une étude du magazine l’Express l’Expansion de 2012 chiffrait à 1 600 milliards d’euros les aides consenties aux banques par les États de l’Union Européenne
[ii] Estimation du syndicat Solidaires Finances Publiques, largement relayé par toute la presse économique.
[iii] Le nombre de victimes et les types de blessures sont largement documentés par le remarquable travail du journaliste David Dufresne, notamment via son Allo Place Beauvau.

[iv] Sur la criminalisation, et la tentative de dépolitisation du mouvement que cela suggère, voir notamment la récente étude de Vanessa Codaccioni, Répression, L’État face aux contestations politiques, Éditions Textuel, avril 2019

Europako Legebiltzarrak klima larrialdia deklaratu du
Jone Bastida Alzuru
www.berria.eus/albisteak/174411/klima-larrialdia-adierazi-du-europako-legebiltzarrak.htm

Europako Batasunean klima larrialdia deklaratzeko ebazpena onartu du, Europako Legebiltzarrak, eta ekintza zehatzak egiteko eskatu die Europako Batzordeari, estatuei eta instituzioei.

Europako Batasunean klima larrialdia adierazteko ebazpena onartu du Europako Legebiltzarrak, Madrilen egingo den COP25 klima larrialdiaren aurkako goi bileraren atarian; abenduaren 2tik 13ra bitartean egingo dute. Guztira, 429 boto izan dira aldekoak, eta 225 kontrakoak. 19, berriz, abstenitu egin dira. Alderdi kontserbadoreek ezezkoa bozkatu dute. Hala, ECR Europako Kontserbadore eta Erreformisten taldeak aldaketa klimatikoa «asmakizun» bat dela esan du. Ebazpena neurri sinbolikoa izango da.

Arazoari aurre egin eta geldiarazteko, «ekintza zehatzak egiteko» eskatu die Europako Legebiltzarrak Europako Batzordeari, estatuei eta instituzioei, «berandu izan baino lehen». Horrez gain, abenduaren 1ean ekingo dion Europako Batzorde berria estutu du ingurumenean inpaktua duten lege eta aurrekontu proposamen esanguratsuak ebaluatzeko.

Halaber, Ursula von der Leyen Europar Batasuneko exekutiboari eskatu dio haren legegintzaldian aldaketa klimatikoaren aurkako borroka lehentasunezkoa izan dadila: «Proposamen guztiak lerrokatuta egotea ziurtatu behar du, berotze globala 1,5 graduko hazkuntzara mugatzeko».

Berdeak alderdi ekologistak ere testua babestu du, nahiz eta asmo handiagoko konpromisoak hartu nahi zituen. «Erne» egongo direla adierazi dute, ebazpena «sinbolo hutsean» gera ez dadin. «Gure politiketan funtsezko aldaketarik ez badago, mende amaierarako tenperatura ia lau gradu igotzea eragingo dugu», ohartarazi du Karima Delli eurolegebiltzarkideak.