L’appel des ONG à François Hollande pour une fiscalité verte
Rémi Barroux
www.lemonde.fr/politique/article/2012/06/27/l-appel-des-ong-a-francois-hollande-pour-une-fiscalite-verte_1725095_823448.html
« Décarboner » l’économie, voilà la priorité !
Marc Jancovici, Brice Lalonde et Bo Kjellen
www.lemonde.fr/idees/article/2012/06/19/decarboner-l-economie-voila-la-priorite_1721186_3232.html
Procès des Déboulonneurs de pub : et la liberté de (non) réception ?
Guillaume Dumas, Mehdi Khamassi, Karim Ndiaye, Yves Jouffe, Luc Foubert et Camille Roth, chercheurs en sciences cognitives et sociales
www.lemonde.fr/idees/article/2012/06/26/la-publicite-peut-avoir-des-effets-nocifs-sur-la-societe_1724489_3232.html
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L’appel des ONG à François Hollande pour une fiscalité verte
Rémi Barroux
www.lemonde.fr/politique/article/2012/06/27/l-appel-des-ong-a-francois-hollande-pour-une-fiscalite-verte_1725095_823448.html
Comment réduire les dépenses publiques et promouvoir une politique en faveur de l’environnement ? Au moment où le gouvernement peaufine sa politique fiscale, et s’apprête à présenter son projet de loi de finances rectificative, les organisations de défense de l’environnement s’invitent dans le débat. Et proposent leurs solutions.
Mercredi 27 juin, deux organisations non gouvernementales (ONG), Réseau Action Climat–France (RAC-F) et la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l’homme (FNH), représentant un réseau d’une trentaine d’ONG, ont présenté leurs propositions, dénonçant « les subventions à la pollution » que constitue un grand nombre de niches fiscales et d’aides actuelles.
« Depuis des années, et malgré la tenue du Grenelle de l’environnement, en 2007, la fiscalité n’a pas été corrigée en fonction de deux éléments majeurs : le changement climatique et la protection de la biodiversité », explique l’un des participants à l’initiative, Guillaume Sainteny, directeur de la chaire du développement durable à l’Ecole polytechnique et auteur du récent Plaidoyer pour l’écofiscalité (Buchet-Chastel, 272 pages, 20 euros). Les aides et dépenses défavorables à l’environnement représenteraient de 21 à 33,5 milliards d’euros par an, selon les modes de calcul. Une piste de réflexion sérieuse pour le gouvernement, à la recherche de quelque 10 milliards pour boucler son budget, estiment les ONG.
« VRAIE OPPORTUNITÉ »
« La fiscalité verte représente une vraie opportunité pour le gouvernement et François Hollande, qui avait annoncé, devant le congrès de France Nature Environnement, le 28 janvier, qu’il s’engagerait en sa faveur », plaide Morgane Créach, directrice du RAC-F. « Je m’engage à procéder, dès le début de mon quinquennat, à un examen systématique de l’ensemble des dispositions fiscales défavorables à l’environnement, et à évaluer tous les dispositifs qui ont été présentés comme favorables », avait alors déclaré le candidat Hollande.
Pour autant, les signaux politiques actuels inquiètent les ONG. Notamment le déplacement de Nicole Bricq du ministère de l’écologie à celui du commerce extérieur. « On peut regretter de l’avoir perdue, c’était une vraie spécialiste de la fiscalité verte, et elle était convaincue de son importance », regrette Benoît Faraco, coordinateur climat-énergie à la FNH.
L’entourage de la nouvelle ministre, Delphine Batho, dit attendre la déclaration de politique générale du premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Les ONG aussi, qui espèrent voir leurs revendications aboutir. Soutien de taille pour elles, la Commission européenne, dans une recommandation du 30 mai concernant « le programme national de réforme pour la France pour 2012″, explique que, concernant « la part de fiscalité verte dans les recettes fiscales, la France occupe l’avant-dernière place dans l’Union européenne, ce qui lui laisse une sérieuse marge pour augmenter ce type de taxes ».
Dans ses recommandations, elle encourage la France à prendre des mesures « qui déplacerait la pression fiscale du travail vers d’autres formes de fiscalité pesant moins sur la croissance (…), notamment vers les taxes vertes ».
Quelles sont ces mesures que promeuvent les ONG dans leur « Appel pour l’arrêt des subventions à la pollution et la mise en place d’une fiscalité française cohérente et écologique » ? Pour M. Sainteny, il est difficile de calculer la somme exacte que représente l’ensemble des mesures défavorables à l’environnement. « On peut difficilement évaluer toutes les dépenses réalisées par les collectivités territoriales, notamment dans les domaines de l’urbanisme ou des transports« , explique-t-il.
LIGNES À GRANDE VITESSE
M. Sainteny évoque par exemple les aides des conseils généraux pour l’irrigation et le drainage, nuisibles à la biodiversité. Tout comme les sommes engouffrées dans les lignes à grande vitesse. « Si elles apparaissent favorables au développement durable, avec l’utilisation de l’électricité qui émet peu de CO2, elles détruisent la biodiversité », dit-il.
Idem pour les politiques d’aménagement urbain. En construisant plus de logements, notamment des maisons individuelles, on favorise l’étalement urbain qui, lui, accroît les distances et se montre énergivore. « Enlever le logement et la ville du ministère de l’écologie n’était pas une bonne idée », estime Guillaume Sainteny.
PRESSION URBAINE ACCRUE
Et de s’inquiéter des propos de la nouvelle ministre de l’égalité des territoires et du logement, Cécile Duflot, ancienne secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, le 20 juin, devant les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement : « Pour construire, il faut en premier lieu des terrains, et je souhaite que soit mis en œuvre un programme de mobilisation du foncier sans précédent. Il s’agira bien sûr du foncier public, dont la mise à disposition sera facilitée et simplifiée (…). Mais il s’agira aussi du foncier privé, et nous travaillons à l’instauration d’une fiscalité spécifique sur les terrains constructibles qui permettra de lutter contre la rétention foncière », a-t-elle déclaré. Pour M. Sainteny, libérer du foncier, c’est accroître la pression urbaine sur les terres agricoles et étaler la ville, augmentant les distances et les transports.
Si l’addition totale est difficile à dresser, les ONG présentent plusieurs niches ou aides bien identifiées, concernant en particulier le domaine énergétique. « Sur les 22,7 milliards d’aides de soutiens directs de l’Etat aux énergies fossiles, 8,8 milliards sont des soutiens aux transports », précise M. Sainteny. Parmi les économies possibles, les ONG citent, par exemple, les avantages fiscaux pour le diesel, l’exonération de taxe et de TVA pour le kérosène dans l’aviation, ou encore le remboursement des taxes sur les carburants aux transporteurs routiers.
REFISCALISER LES STATIONS DE SKI
Les propositions concernant d’autres secteurs ne manquent pas non plus, telle celle d’« exclure les stations de ski de certaines mesures de défiscalisation ». Les stations peuvent en effet bénéficier d’un mécanisme de déduction fiscale, destiné aux zones de revitalisation rurale. Résultat, avance l’organisation Moutain Wilderness, cela pousse à l’extension des stations de ski, aux frais du contribuable. « Si le dispositif est intéressant s’agissant d’ouvrir un gîte en plein cœur du Massif central, il est aberrant pour les stations de la vallée de la Maurienne, où la pression immobilière est très forte et le problème n’est pas la revitalisation rurale », explique le président de l’organisation, Patrick Vaguerese.
Sont proposées encore la suppression de l’exonération partielle de taxe pour les agrocarburants industriels, la fin de la TVA à taux réduit sur les engrais chimiques ou celle de dispositifs sur le traitement des déchets. Toutes ces mesures, donc certaines étaient déjà évoquées par Guillaume Sainteny dans un rapport du Centre d’analyse stratégique (octobre 2011), « Les aides publiques dommageables à la biodiversité », n’attendent plus qu’une volonté politique, martèlent les ONG. Le contexte de crise devient un atout. « On peut faire tout simplement faire des économies en améliorant l’environnement », conclut M. Sainteny.
Les pistes d’économies des ONG sur les aides aux transports
« Sur les 22,7 milliards d’aides de soutiens directs de l’Etat aux énergies fossiles, 8,8 milliards sont des soutiens aux transports », affirme Guillaume Sainteny. Dans leurs propositions, les ONG listent donc certaines des mesures sur lesquelles des économies pourraient être faites.
- Exonération de taxe et de TVA pour le kérosène utilisé dans l’aviation
Datant des années 1940, une série d’accords a été signée dans le secteur aérien, dont l’exemption de toute taxe pour le carburant destiné aux vols internationaux. « Il en est de même pour les vols intérieurs, protestent les ONG, ce qui fait 1,3 milliard d’euros des 3,5 milliards que représentent au total ces exonérations. » Elles demandent notamment une taxation du kérosène, comme les Pays-Bas le font, et une taxation au taux normal de TVA pour les billets d’avion pour les projets nationaux. Actuellement, le taux de TVA est de 0 % pour les vols internationaux, ce qui représenterait par exemple un manque à gagner de 10 milliards d’euros par an. Les vols nationaux sont soumis à un taux réduit de 7 %.
- Remboursement des taxes sur les carburants aux transporteurs routiers
Les entreprises de transport routier bénéficient d’une exonération totale ou partielle de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP), pour les véhicules de plus 7,5 tonnes. Cela concernerait, selon les ONG, 600 000 véhicules français et 200 000 véhicules étrangers. Si le taux de remboursement varie en fonction des régions, cela représenterait au total 300 millions d’euros de manque à gagner pour l’Etat. Mettre fin à cette exonération permettrait, selon les ONG, d’« accompagner le secteur routier dans sa reconversion ».
- Avantages fiscaux pour le diesel
Le parc automobile est l’un des plus diésélisés du monde. Depuis dix ans, dénoncent les ONG, les taxes sur le gazole ont été réduites de 70 % à 50 %, et « la tonne de CO2 émise par la combustion essence était taxée de 250,25 %, contre seulement 160 % pour le diesel en 2011″. Il faut supprimer l’avantage donné au diesel, dangereux pour la santé, disent les associations, rappelant que les particules fines émises par le diesel ont été classées comme cancérigènes par l’Organisation mondiale de la santé.
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« Décarboner » l’économie, voilà la priorité !
Marc Jancovici, Brice Lalonde et Bo Kjellen
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En pleine crise européenne, alors que tant de nos concitoyens sont à la peine, l’environnement ne semble pas la première des préoccupations. Comment se convaincre que, pourtant, le changement climatique reste une priorité ? Comment, quand au surplus ses victimes semblent invisibles, à la différence de celles du tabac ou des accidents de la route ? C’est simple : il faut porter le regard vers le réservoir plutôt que vers la cheminée. De fait, les émissions de CO2 ne relèvent pas de la génération spontanée : elles proviennent de la combustion du pétrole, du charbon ou du gaz naturel. Or, en ce qui concerne le pétrole, les problèmes ne sont pas pour plus tard. Ils ont démarré il y a trente-cinq ans !
Dans les années 1960 et 1970, la production mondiale d’or noir croissait de 5,5 % par an. De 1980 à 2005, ce taux est descendu à 0,8 % par an. Depuis 2005, il est nul. Tous les ennuis que nous avons connus depuis – récessions, endettement croissant, financiarisation de l’économie, chômage structurel – ont commencé avec les premiers chocs pétroliers, et se sont aggravés à chacun des suivants. Le plafonnement de la production pétrolière depuis 2005 est bien à l’origine de la crise, plus violente encore car elle vient percuter l’accumulation de dette issue des chocs énergétiques précédents.
Rappelons que 98 % de ce qui roule, vole ou navigue utilisent du pétrole. De ce fait, une offre en pétrole qui devient contrainte bride les échanges, ce qui a un impact sur le PIB dans un système mondialisé. Les chocs ne causent pas des récessions seulement à cause de la hausse des prix, mais d’abord parce qu’ils traduisent une offre de pétrole inférieure en volume à ce qui serait nécessaire pour nourrir l’économie.
D’où vient le pétrole européen en 2010 ? De la mer du Nord pour 30 %, mais cette dernière a passé son pic en 2000, et sa production baisse de 5 % par an. Le reste est importé, pour la bagatelle de 350 milliards d’euros l’an. Or, depuis 2005, la production mondiale de pétrole a cessé d’augmenter. A cause de la compétition croissante avec la consommation domestique des pays producteurs, et avec les importations des émergents, toutes les deux en hausse, l’Europe voit aussi ses importations décliner. Avec une production domestique déclinante et des importations contraintes à la baisse, l’Europe a perdu – sans le vouloir – 8 % de son pétrole entre 2005 et 2010, et cela va s’accentuer.
Pour le gaz, c’est presque le même cas de figure : 60 % du gaz européen viennent de la mer du Nord, qui a entamé son déclin il y a quelques années. Ce déclin va s’accélérer, quand la Norvège – un tiers de la production de la zone – passera son pic, d’ici à 2020 environ. Les Russes et le gaz naturel liquéfié (GNL) ne compenseront pas la différence.
Même la moitié du charbon consommé en Europe est importée ! Et faut-il rappeler que l’énergie, c’est le sang de nos sociétés industrielles ? Sans énergie, pas d’usines, pas de transports, pas d’hôpitaux, pas de lumière le soir ou en hiver, pas de chauffage, pas d’ordinateurs (donc plus de banques)… Privés d’énergie, ce n’est pas un recul de 8 % du PIB que nous aurions (soit la part de l’énergie dans la consommation finale), mais toute l’économie qui s’effondrerait.
Bref, ne rien faire pour le climat, ce n’est pas avoir une économie qui se porte mieux, au prix d’émissions croissantes et d’ennuis reportés à « plus tard ». « Ne rien faire pour le climat » équivaut à « ne rien faire pour éviter d’importer des combustibles fossiles de plus en plus rares ».
Alors nous continuerons à enchaîner des récessions de plus en plus délétères, certes très efficaces pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre, mais qui ont quelques conséquences moins sympathiques par ailleurs !
La fin de l’histoire pourrait bien être le retour des régimes totalitaires en Europe, jetant bas l’oeuvre des pères fondateurs qui nous a permis de vivre en paix pendant soixante-dix ans.
Décarboner notre économie est donc une impérieuse nécessité. Mais voyons-le comme une bonne nouvelle : l’énergie ayant tout structuré, décarboner l’Europe nous oblige à tout repenser. Il faut reconfigurer les villes, redynamiser les campagnes, changer nos 150 millions de véhicules, modifier la production électrique, mettre l’industrie sous pression maximale pour sa propre survie, rendre l’agriculture moins dépendante d’intrants de synthèse (fabriqués au gaz) et de transports longue distance, bref, tout changer pour mieux tout reconstruire. Il faut aussi modifier l’enseignement, changer la fiscalité, mobiliser notre politique étrangère… cela ne serait pas un magnifique projet européen, par hasard ?
Jean-Marc Jancovici est consultant et enseignant. Il a participé, en 2007, à l’élaboration du pacte écologique de la Fondation Nicolas Hulot. Il est l’auteur notamment de Changer le monde, tout un programme ! (Calmann-Lévy, 2011).
Brice Lalonde est coordinateur de la préparation de Rio+20 ;
Bo Kjellen est président du comité de préparation du Sommet de la Terre en 1992.
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Procès des Déboulonneurs de pub : et la liberté de (non) réception ?
Guillaume Dumas, Mehdi Khamassi, Karim Ndiaye, Yves Jouffe, Luc Foubert et Camille Roth, chercheurs en sciences cognitives et sociales
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« Il serait inique que des barbouilleurs animés par un esprit civique de dépollution des images soient poursuivis et condamnés, alors que tant d’ignominies dues à la recherche du profit maximum sont tolérées. » Edgar Morin.
Le 3 avril, huit personnes du collectif « les Déboulonneurs » comparaissaient à la chambre d’appel correctionnelle de Paris pour avoir barbouillé des panneaux publicitaires. Lors du procès, le réquisitoire du procureur a largement reposé sur l’argument d’une atteinte à la liberté d’expression des annonceurs. Le jugement devant être rendu mardi 26 juin, il nous est apparu urgent de rappeler les éléments montrant que la publicité, par ses mécanismes mêmes, porte atteinte à certaines libertés de l’individu et qu’elle peut avoir des effets nocifs sur la société en termes de santé publique (surcharge cognitive, stress, obésité…).
Les sciences cognitives et sociales (neurosciences, psychologie et sociologie notamment), disciplines dont nous relevons, tendent à montrer que la publicité biaise nos comportements les plus automatiques, y compris de façon inconsciente. Et si l’émergence des techniques d’exploration du cerveau nous permettent de mieux comprendre ces mécanismes, nous voulons montrer ici que ces nouvelles connaissances et leur appropriation par le domaine publicitaire (en particulier via le neuromarketing) requièrent un débat le plus large possible sur la présence de la publicité dans l’espace public.
INFLUENCE DE LA PUBLICITÉ SUR NOTRE COMPORTEMENT ET NOTRE CERVEAU
Rappelons tout d’abord l’origine historique de la publicité. Le premier grand saut technique s’opère au début du XXe siècle, en passant d’une simple répétition mécanique du message à une méthodologie élaborée de persuasion des masses. L’un des principaux pionniers de cette « manufacture du consentement » s’appelle Edward Bernays et n’est autre que le neveu de Freud. Il décide d’utiliser les découvertes de la psychanalyse pour parvenir à une « manipulation consciente, intelligente des opinions et des habitudes » par des « chefs invisibles » (The Century of the Self, 2002). L’exemple le plus frappant de cette nouvelle démarche publicitaire est la diffusion dans la presse de photos de jeunes femmes belles, modernes et indépendantes, fumant des cigarettes appelées « torches de la liberté ». En incitant les femmes à fumer à une époque où ce comportement était réprouvé, Bernays se vanta d’avoir doublé la taille du marché potentiel de l’industrie du tabac !
Grâce à l’imagerie cérébrale, les neuroscientifiques ont récemment commencé à s’intéresser à l’effet de l’image de marque d’un produit sur nos cerveaux. Dans ce contexte, on se focalise sur le système de récompense, un ensemble de régions du cerveau évolutionnairement très ancien. Ce système fait interagir émotions et prises de décision de telle sorte que ces dernières échappent à la rationalité pure.Il se révèle aussi très sensible à certains signaux de notre environnement qui peuvent influencer nos comportements même quand ils ne sont pas perçus consciemment (ce dont on peut s’assurer en laboratoire).
A partir de ces connaissances, une équipe de chercheurs américains a comparé l’activité cérébrale du système de récompense chez des individus invités à goûter deux marques de sodas.
Lorsque le test se fait en aveugle, les deux marques de boissons sont autant appréciées l’une que l’autre et activent le système de récompense de façon équivalente. Par contre, lorsque les étiquettes sont rendues visibles, l’un des deux sodas active soudainement beaucoup plus le système de récompense et est préféré par la majorité. Cette étude fut la première à montrer par la mesure de l’activité cérébrale comment l’image de marque construite par la publicité peut biaiser les préférences des consommateurs.
Depuis lors, les études visant à mesurer ces préférences au moyen de l’imagerie cérébrale se sont multipliées sous la bannière de ce que l’on appelle le neuromarketing. Jusqu’à présent, cette approche a essentiellement cherché à calibrer le message publicitaire de façon à activer le plus possible le système de récompense. Bien que le neuromarketing soit aujourd’hui vivement critiqué pour son absence de rigueur scientifique, il pourrait devenir, avec les progrès des neurosciences, un véritable outil d’ingénierie publicitaire.
ENJEUX SANITAIRES DE LA PUBLICITÉ À GRANDE ÉCHELLE
Le ciblage de notre système de récompense par la publicité doit aussi être considéré en termes de santé publique. On sait que le système de récompense est plus vulnérable chez certains individus. Les personnes souffrant d’obésité par exemple voient leur système de récompense activé de façon anormale par des images de nourriture ultra-calorique. La publicité exploite leur vulnérabilité et renforce leurs comportements de surconsommation. Les enfants ayant un système nerveux encore en développement sont aussi très sensibles à la publicité. Sur la base de multiples études issues des plus grands journaux médicaux, l’Agence de l’alimentation britannique demande, pour ces mêmes raisons, que « les enfants aient le droit de grandir à l’abri des pressions commerciales, lesquelles encouragent la consommation d’une nourriture trop riche, trop sucrée et trop salée qui fait courir un risque pour la santé actuelle et future des enfants ».
Les estimations menées aux Etats-Unis montrent ainsi que l’obésité infantile pourrait être réduite de près d’un tiers en régulant mieux la publicité des produits alimentaires. Plus généralement, on sait maintenant que la dérégulation du système de récompense accompagne de nombreux troubles psychologiques et psychiatriques. Dans l’attente de travaux scientifiques évaluant l’effet de la publicité sur les populations à risque, il nous semble indispensable d’en appeler au principe de précaution pour réguler les messages commerciaux à destination de nos concitoyens les plus fragiles.
ENJEUX ÉTHIQUES DE LA PUBLICITÉ AU XXIE SIÈCLE
Tous ces éléments révèlent que ce qui est en jeu s’avère beaucoup plus complexe que la simple liberté d’expression invoquée pour le publicitaire. Or cette liberté-là ne va sans une autre liberté complémentaire de la première : la liberté de non-réception. Il s’agit de garantir à chaque citoyen le droit de choisir où et quand il souhaite accéder à de l’information publicitaire. Ceci pour lui permettre de se protéger de son influence ou simplement de se reposer de la surcharge d’information. Selon les estimations, les enfants sont exposés quotidiennement à plusieurs dizaines de spots publicitaires, voire plusieurs milliers aux Etats-Unis. Face à ce bombardement quotidien, la liberté de non-réception des citoyens doit être assurée, en particulier dans l’espace public. L’Etat se doit en effet d’y être le garant de la neutralité commerciale autant que de la sureté psychologique de tout un chacun.
Or, selon nous, les évolutions récentes sont inquiétantes. Par exemple, les usagers du métro parisien auront pu constater le remplacement progressif des affichages sur papier par de très larges écrans plats. Cette technologie exploite le fait que toute image en mouvement dans la périphérie du champ visuel capture automatiquement l’attention de l’individu.
Cette réaction automatique, héritage de notre évolution au cours de laquelle le danger pouvait surgir sans prévenir, s’accompagne d’une augmentation du niveau d’alerte et de stress qui favorise la mémorisation du message. En outre, l’intégration dans ces écrans de capteurs mesurant l’intensité du regard peut transformer, à leur insu, les passants en cobayes d’expérimentation publicitaire à grande échelle.
Nous déplorons que les usagers des transports n’aient pas été consultés, ni même informés, de cette évolution qui touche directement leur environnement visuel et entraîne la collecte d’informations sur leur comportement. A cela s’ajoutent les dizaines de milliers d’enquêtes d’opinion que les régies publicitaires ont déjà accumulées (depuis leur apparition, dans les années 1960). Ce traçage prend aujourd’hui un essor sans précédent avec le développement des technologies numériques (puces RFID des badges en tout genre, GPS des smartphones, réseaux sociaux omniprésents, etc.). Aujourd’hui ce « temps de cerveau disponible », profilé et géolocalisé est vendu au prix fort par les afficheurs : la diffusion d’un message publicitaire est quantifiée en Occasion de voir (ODV), facturée à l’unité entre 0,1 et 0,7 euro. Ainsi une personne vivant en Ile-de-France rapporte une cinquantaine d’euros par jour à l’industrie publicitaire, sans même le savoir.
En l’absence de débat citoyen, le politique cède trop facilement aux pressions des annonceurs et afficheurs, réclamant toujours moins d’entraves pour faire davantage de profits. Ainsi, loin d’en limiter la présence dans l’espace public, la loi du 12 juillet 2010 issue du Grenelle de l’environnement laisse place, selon le ministère lui-même, à « un développement important de secteurs comme ceux du micro-affichage, des bâches, des dispositifs innovants, des publicités sur aéroports ou gares […], permettant d’envisager une progression de 10 à 30 % des chiffres d’affaires des entreprises investissant dans ces domaines d’activité ».
SOLUTIONS ET ALTERNATIVES
Pourtant, réduire la place de la publicité dans l’espace public n’est pas une simple revendication idéaliste. En 2006, le conseil municipal de la ville de Sao Paulo a voté à une quasi-unanimité une loi « Ville propre » bannissant tout affichage publicitaire dans l’espace public. Cinq ans après son entrée en vigueur, un sondage montre que 70 % des résidents de Sao Paulo ont trouvé les effets de cette loi bénéfiques.
Devant les enjeux révélés par les dernières avancées scientifiques, nous souhaitons encourager toute démarche de régulation du système publicitaire actuel et en premier lieu dans l’espace public. En barbouillant des publicités, le collectif des Déboulonneurs a osé un acte de désobéissance civile afin d’être entendu par la collectivité et de pousser le politique à accepter une ré-ouverture du débat. A travers eux, c’est la liberté de non-réception des citoyens que nous devons défendre.
Guillaume Dumas est chercheur à la Florida Atlantic University ;
Mehdi Khamassi est chercheur au CNRS ;
Karim Ndiaye est chercheur à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière ;
Yves Jouffe est chercheur à l’université Paris-Est ;
Luc Foubert est docteur de l’Université Pierre et Marie Curie-Paris-VI ;
Camille Roth est chercheur au CNRS.
Les auteurs remercient Célya Gruson-Daniel pour son aide.
Guillaume Dumas, Mehdi Khamassi, Karim Ndiaye, Yves Jouffe, Luc Foubert et Camille Roth, chercheurs en sciences cognitives et sociales
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