Articles du Vendredi : Sélection du 29 juillet 2022

Canicule : « Aujourd’hui, on voit se développer le climatorassurisme : on ne nie plus le problème, mais on le minimise »
Le Monde
www.lemonde.fr/planete/article/2022/07/19/canicule-aujourd-hui-on-voit-se-developper-le-climatorassurisme-on-ne-nie-plus-le-probleme-mais-on-le-minimise_6135374_3244.html

Magali Reghezza-Zitt, géographe, membre du Haut Conseil pour le climat (HCC), a répondu à vos questions sur la façon de s’adapter au changement climatique après la canicule qui a traversé la France.

L’épisode caniculaire qui s’abat sur la France depuis jeudi a atteint son point culminant lundi, mais la vague de chaleur se déplace vers l’est du pays mardi, et soixante-treize départements restent en vigilance orange. En Gironde, deux feux gigantesques, qui ne sont toujours pas maîtrisés, ont déjà brûlé 19 000 hectares de végétation.

Le Royaume-Uni subit aussi une canicule sans précédent, avec des températures qui risquent de dépasser 40 °C mardi. Cette vague de chaleur touche aussi l’ensemble de l’Europe occidentale, provoquant également des feux de forêt en Espagne et au Portugal.

La multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes est une conséquence directe du dérèglement climatique, selon les scientifiques, les émissions de gaz à effet de serre augmentant à la fois leur intensité, leur durée et leur fréquence.

La géographe Magali Reghezza-Zitt, membre du HCC, a répondu aux questions des lecteurs du Monde sur la façon de s’adapter au changement climatique.

Lucie : Quelle solution à la bétonnisation à outrance existe-t-il pour rendre nos grandes villes viables dans les années à venir ?

Magali Reghezza-Zitt : Il existe de nombreuses solutions d’adaptation, en fonction des villes. Les actions peuvent d’abord concerner le bâti et les infrastructures. A l’avenir, on va soit construire en utilisant de nouveaux matériaux, en inventant de nouvelles formes, de nouvelles techniques, soit rénover l’existant. Pour le bâti, on va, par exemple, isoler pour garantir le confort d’été des logements. J’insiste sur les infrastructures, car elles subissent les effets de la chaleur : les routes, rails, réseaux divers nous servent dans notre vie quotidienne.

Au-delà de l’action ponctuelle, on va retravailler la forme des villes, l’allocation des espaces à telle ou telle activité. Les solutions fondées sur la nature sont à privilégier pour leurs cobénéfices et pour leur caractère réversible : on parle beaucoup de végétalisation, par exemple. L’idée est de partir d’actions ponctuelles, qui vont s’appuyer sur les innovations techniques, mais aussi des changements de pratiques individuelles et collectives, pour développer un projet global d’aménagement qui traite plusieurs risques à la fois, évite les maladaptations (en gros, quand les solutions sont mauvaises à long ou moyen terme) et qui permette d’avoir des cobénéfices.

Ainsi, la végétalisation a des conséquences positives sur la santé, y compris mentale, la biodiversité, etc. L’action sur les logements permet de lutter contre la précarité énergétique, d’améliorer le confort général, de lutter contre le mal-logement.

Il n’y a donc pas une, mais des solutions, qui vont dépendre des territoires, des risques auxquels ils sont exposés, de leurs ressources, des besoins et des souhaits des habitants, de l’équilibre entre les pouvoirs locaux, des relations entre le public et le privé, de l’histoire de l’espace urbain, des inégalités existantes, etc.

Jemedemande : La climatisation permet de se rafraîchir, mais augmente également la température à l’extérieur. Ne pourrait-on pas renforcer les règles afin d’être sûr que la climatisation ait l’impact le plus bas possible ?

La climatisation est l’exemple type d’une maladaptation. Il faut d’abord rappeler que, dans certains cas, du moins pour l’instant, il est impossible de s’en passer. Je pense aux hôpitaux et aux Ehpad. En revanche, plus on tarde à engager la rénovation visant le confort d’été, plus on se condamne à climatiser.

Ensuite, la question de l’équilibre entre l’incitation et la contrainte se pose effectivement. L’augmentation du coût de l’énergie va possiblement peser sur l’usage de la climatisation. On peut aussi penser à la pression des consommateurs et aux risques pour l’image de certaines entreprises.

Mes collègues sociologues vous expliqueraient que les actions individuelles, nécessaires, doivent aussi être sous-tendues par des dimensions collectives : informations, incitations, coercitions parfois. Je vous renvoie à l’excellent podcast du Monde, « Chaleur humaine », idéal pour apprendre en ces temps de fortes chaleurs !

Dess6 : Quelles sont les actions radicales à mettre en œuvre dès aujourd’hui pour inverser les tendances climatiques ?

La réduction des émissions de gaz à effet de serre pour atteindre le zéro émission nette en 2050 est aujourd’hui bien définie en France par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). On en est à la numéro deux, et la numéro trois arrive. Cette stratégie comprend cinq secteurs avec des cibles au niveau national. C’est d’ailleurs la mission du Haut Conseil pour le climat que d’évaluer le respect des trajectoires annoncées pour répondre aux engagements internationaux de la France.

Parallèlement à cela, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié en début d’année le troisième volet de son sixième rapport d’évaluation. Dans ce rapport, les différentes solutions sont évaluées sur la base de la littérature scientifique pour les différents gaz à effet de serre (pas seulement le CO2) d’origine anthropique. La question de la séquestration du carbone, du captage, de la géo-ingénierie est aussi évaluée. Et les cobénéfices sont évoqués.

Vous trouverez de nombreux articles, blogs, fils Twitter qui vulgarisent ce rapport. Et je vous renvoie de nouveau au podcast du Monde, notamment l’intervention de Céline Guivarch, qui est aussi membre du HCC, qui rappelle que nous pouvons tenir les objectifs climatiques (1,5 °C à la fin du siècle) en mettant en place ces solutions, qui offrent en plus des cobénéfices (santé, emploi, qualité de vie, formation, etc.) et ce, sans compromettre le développement humain dans les territoires et les groupes sociaux qui sont aujourd’hui en mal-développement.

Mikadabbel : On n’entend plus beaucoup parler des climatosceptiques. Sont-ils toujours aussi nombreux ou y a-t-il une prise de conscience de plus en plus importante du dérèglement climatique ?

Les études réalisées en particulier dans les enquêtes de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et, plus largement, les enquêtes d’opinion, montrent que la conscience que le climat change se généralise. Cela ne signifie pas, cependant, qu’elle est uniforme en fonction de l’âge, de la catégorie socio-économique, du niveau d’éducation, etc. Par exemple, il semble que, dans la précédente mandature, une part non négligeable des élus n’étaient pas encore au clair sur le fait que 100 % du réchauffement global constaté est d’origine anthropique.

En outre, savoir que le climat change ne signifie pas que l’on a conscience, et encore moins connaissance, des ordres de grandeur, des conséquences attendues, des données des problèmes que cela pose pour la réduction des émissions ou pour l’adaptation. Il existe toujours des climatosceptiques purs et durs, qui soit nient le réchauffement, soit en nient l’origine humaine.

Aujourd’hui, on voit se développer ce que l’on appelle le climatorassurisme : on ne nie plus le problème, mais on le minimise, en pensant qu’il se résoudra par l’innovation technique seule ou que ce n’est pas si grave parce que l’homme s’est toujours adapté. Plus largement, les scientifiques ont étudié les discours dits « du délai » ou « de l’inaction ». Il y a aussi des travaux sur la désinformation liée au climat (qui s’intègrent dans ceux sur la post-vérité, entre autres). Je touche aux limites de mes compétences. Il y a en tout cas un énorme travail de vulgarisation pour essayer d’informer, de sensibiliser, de diffuser les connaissances, afin d’éclairer le débat démocratique et de permettre aux citoyens de choisir en toute connaissance de cause.

Agustin : On parle beaucoup d’adaptation au changement climatique, mais est-ce que cela veut dire que la bataille contre le changement en lui-même est d’ores et déjà perdue ?

Plusieurs choses peuvent être dites à ce sujet. D’abord, la bataille n’est pas perdue, c’est même tout le contraire. Le rapport du GIEC démontre, sur la base de faits scientifiquement établis, qu’il est possible de contenir le réchauffement global dans la limite de 1,5 °C. C’est l’atténuation. Les solutions existent, elles sont applicables, elles permettent, par ailleurs, d’avoir des cobénéfices. J’insiste, parce que c’est souvent oublié.

Ensuite, le climat a déjà changé depuis 1900 : + 1,7 °C pour la France. Face à un environnement qui change, avec des impacts qui s’intensifient, il est nécessaire de mettre en place des réponses pour minimiser les impacts négatifs. C’est l’adaptation. Je précise qu’on doit aussi s’adapter à l’érosion de la biodiversité, aux pollutions, aux crises diverses et variées que nous traversons.

Par le passé, les humains ont su s’adapter. Ça ne s’est pas fait sans casse (des morts, des coûts financiers et environnementaux, etc.).

Le problème aujourd’hui, c’est que le rythme est très rapide, trop parfois. Par exemple, les écosystèmes sont soumis à rude épreuve. On peut accompagner leur adaptation, mais à un moment ils sont poussés à leur limite. C’est pour cela qu’il faut faire les deux : se battre pour contenir le changement climatique dans les limites qui ne mettent pas en péril la biodiversité, qui est pour nous, humains, une ressource vitale (indépendamment des autres valeurs qu’on peut lui accorder), et développer les réponses pour limiter au maximum les impacts, en protégeant les plus faibles, d’ores et déjà victimes.

MB : Quelles sont les différences entre le GIEC et le HCC, et, plus particulièrement, quelles sont leurs véritables marges d’action ?

Le GIEC est une organisation intergouvernementale, qui regroupe donc des Etats. Les Etats nomment des scientifiques reconnus dans leur domaine, qui sont bénévoles, et qui vont évaluer l’état des connaissances sur la base de tout ce qui a été publié selon les normes de la production scientifique. Le GIEC s’appuie ainsi sur plusieurs dizaines de milliers d’articles et de publications revues par les pairs.

Le GIEC ne recommande rien, il ne préconise rien et il ne fait pas de recherche (ce n’est pas un « mégalaboratoire », si vous préférez). Une fois le rapport écrit, le résumé aux décideurs est ensuite validé mot à mot (oui, oui) par chaque gouvernement. Dans ce résumé, les gouvernements ne peuvent pas faire écrire ce qui n’est pas écrit dans le rapport (qui fait des milliers de pages). En revanche, certains points du rapport peuvent ne pas y figurer.

Le HCC, c’est différent. C’est une instance indépendante (j’y tiens) avec treize experts (scientifiques en exercices, ingénieurs, etc.) qui s’appuient sur un secrétariat composé d’analystes. Le HCC évalue de manière indépendante (j’y tiens encore) l’atteinte des objectifs climatiques de la France en matière d’atténuation et d’adaptation (un peu plus compliqué, car il n’y a pas vraiment d’objectifs aussi clairs que pour la SNBC).

Nous assortissons l’évaluation de recommandations. Chaque année, nous remettons un rapport annuel auquel le gouvernement doit répondre dans les six mois. Nous pouvons aussi nous saisir de sujets et être saisi par les assemblées. Nos rapports sont publics et nos « webinaires » sont très bien (je fais de la pub). Et si vous avez Twitter, suivez nos membres, ils font des fils de vulgarisation vraiment super…

Sarah Py : Ne croyez-vous pas que la question de l’eau est centrale dans cette crise climatique ? Et que pensez-vous du récent rapport qui notait que la pluviométrie en France diminuait ?

La question de l’eau est absolument centrale. Le changement climatique d’origine humaine s’ajoute à la variabilité naturelle pour les extrêmes humides et secs, et il se conjugue aux pollutions et à la crise de la biodiversité. Quand on parle de la ressource en eau, il faut considérer toutes ces dimensions. Dans les territoires, il a toujours fallu gérer la quantité (par rapport à la demande et, donc, aux besoins et aux usages) et la qualité. Il faut aussi regarder l’accès à la ressource : tout le monde n’a pas accès à la même eau partout. L’eau est une ressource pour laquelle on doit payer, par exemple.

De manière schématique, le changement climatique d’origine humaine accroît la pression sur des territoires où la ressource en eau était déjà sous tension. Dans le même temps, il peut y avoir des dégradations de cette ressource (en quantité ou en qualité) là où elle existait jusque-là de manière satisfaisante par rapport aux besoins. S’ajoutent les évolutions propres aux territoires : démographie, économie, valeurs individuelles et collectives, etc.

L’enjeu est donc de garantir un accès à l’eau en quantité et en qualité suffisantes, dans un contexte plus contraint, ce qui suppose d’arbitrer et de prioriser les besoins, et avec les mêmes options que pour le reste : gagner en efficacité tout en développant une sobriété des usages (et éviter de gaspiller), répartir équitablement l’effort, protéger les vulnérables, etc. Il s’agit aussi de faire attention aux maladaptations, qui verrouillent les émissions et détruisent la biodiversité ou les sols.

Concrètement, la question de l’eau est un problème ancien, avec déjà de multiples instruments : qu’il s’agisse de prévention des risques, de gestion des milieux aquatiques, du grand cycle de l’eau, on a des instruments réglementaires, juridiques, normatifs, des instances de gouvernance (rôle des agences de bassin, rôle des comités locaux de l’eau, SAGE, Sdage, etc.), des solutions techniques (y compris des solutions fondées sur la nature), etc., mais on manque de mise en cohérence et d’une évaluation plus régulière, qui intègre pleinement le climat qui change.

But : Comment rassurer ses enfants que l’avenir angoisse ?

Je me pose la question tous les jours. J’entends l’angoisse des étudiantes et des étudiants, des jeunes, désormais des tout-petits. Je sors de mon rôle de scientifique pour partager une opinion uniquement fondée sur mon expérience. Je n’ai pas la solution miracle, mais j’ai l’impression que parler, mettre des mots sur ce qui se passe, proposer des supports de vulgarisation adaptés qui montrent l’état des connaissances et les solutions, montrer aussi que nous, les adultes, on ne baisse pas les bras, qu’on essaie d’agir chacun à notre microscopique niveau, sans opposer mais en montrant que ce qui nous rassemble est plus grand que ce qui nous sépare, ne pas mentir, dire que ce n’est pas gagné, que ce n’est pas et ne sera pas facile, mais que des milliers de gens se mobilisent et agissent, eh bien ça aide. Je l’espère en tout cas.

Six mesures pour réduire dès maintenant la consommation d’énergie
Margaux Lacroux et Olivier Monod
www.liberation.fr/environnement/les-six-bonnes-idees-pour-reduire-des-maintenant-la-consommation-denergie-20220704

La hausse des prix de l’énergie et l’urgence climatique imposent de réduire notre consommation d’énergie. «Libération» suggère six décisions faciles à prendre pour les pouvoirs publics afin de diminuer tout de suite la facture énergétique.L’heure est à la sobriété, voire à l’économie. La guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie font flamber le prix de l’énergie, tout comme les vagues de froid et de chaleur, à l’instar de celle qui enveloppe la France depuis le début de la semaine. Le gouvernement français prévoit de rallumer cet hiver une centrale à charbon, en Moselle. Même les patrons d’entreprises commencent à s’y mettre. Après ceux d’Engie, d’EDF et de Total qui demandaient la semaine dernière d’«engager un grand programme d’efficacité énergétique et de chasse au gaspillage national», 84 dirigeants d’entreprise, appartenant pour beaucoup à l’économie sociale et solidaire ou au milieu associatif, ont appelé début juillet à faire de «la sobriété énergétique un choix collectif», dans une tribune au JDD.

Libération liste six mesures – simples mais non exhaustives – qui dépendent du gouvernement et des dirigeants d’entreprise, pour réduire la consommation d’énergie et, ainsi, limiter le changement climatique engendré par l’activité humaine.

Réduire la vitesse maximale autorisée

Lever le pied sur les routes permet d’économiser de l’or noir. «Mise en place en juillet 2018, la réduction de la vitesse autorisée sur route nationale (de 90 à 80 km/h) a été motivée par des enjeux de sécurité routière. Cette mesure a également des effets bénéfiques sur la consommation d’énergie», estime le think tank Negawatt, dans son scénario sur la sobriété énergétique. La mesure impopulaire d’Edouard Philippe est un bon début dans le secteur des transports, même si de nombreux conseils départementaux ont depuis rétabli les 90 km/h.

Pour compléter, le think tank recommande une réduction de la vitesse aussi sur l’autoroute, à savoir passer de 110 à 100 km/h et de 130 à 110 km/h. Cette limitation permettrait de réduire la consommation de carburant de 25% et de faire baisser la facture de carburant de 7% en moyenne (tous déplacements confondus) pour seulement huit minutes de trajet en plus tous les 100 kilomètres.

Interdire les panneaux publicitaires éclairés et vidéos

C’est probablement l’un des gaspillages énergétiques les plus irritants au quotidien. Passer devant ces grands écrans numériques qui vantent les mérites de vols aériens low-cost est l’un des exemples frappants que notre société n’a pas pris la mesure de la réduction de consommation énergétique à entreprendre. La métropole de Lyon vient de les interdire dans ses 59 communes à compter de 2023.

Malheureusement ce n’est pas la tendance nationale. Selon le rapport sur les futurs énergétiques de RTE de février, la France comptait 9 000 panneaux de cette sorte en 2019, avec une hausse de 20% de leur nombre par an. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), dans son rapport de 2020 sur le sujet, estime leur émission de gaz à effet de serre à 245 kg de CO2 par année d’utilisation. Côté consommation, si le panneau a une durée de vie de dix ans, il aura consommé 20 477 kwh d’électricité dans la décennie, soit quasiment autant qu’un Français sur la période (environ 2 223kWh par personne et par an).

Eteindre l’éclairage public et les vitrines la nuit

C’est la mesure qui se multiplie ces derniers temps. Dans le Val-d’Oise, en Lorraine ou encore dans le Nord, des centaines de communes ont décidé d’éteindre leur éclairage public la nuit, totalement ou partiellement. Elles rejoignent ainsi plusieurs milliers de communes qui avaient déjà sauté le pas. Selon l’Ademe, l’éclairage public représente 41% des consommations d’électricité des collectivités territoriales. L’extinction des lampadaires la nuit permettrait une réduction de près de 50% des factures d’électricité des villes. Une décision aussi économique qu’écologique, car cela réduit la pollution lumineuse et perturbe moins la biodiversité la nuit.

Dans la même logique, un arrêté gouvernemental datant de 2013 impose l’extinction de l’éclairage des façades, vitrines et bureaux après 1 heure en France. Cette règle, «pas suffisamment contrôlée» ni appliquée, regrette Negawatt dans son scénario sur la sobriété énergétique, représente elle aussi un gros gisement d’économies d’énergie.

Favoriser le télétravail et les dimanches sans voitures

Diminuer globalement l’utilisation de la voiture est un levier évident. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) recommandait dans un rapport en mars de passer à trois jours par semaine en télétravail pour économiser du carburant. Elle estime que dans les économies de pays développés telles que la France, un tiers des métiers le peuvent. La mesure est encore plus pertinente en été car la consommation des véhicules augmente lorsque la climatisation est déclenchée. L’AIE a calculé qu‘à court terme, l’instauration de trois jours de télétravail par semaine permettrait de réduire la consommation de pétrole d’environ 500 milliers de barils par jour dans le monde.

Elle préconise aussi d’instaurer des dimanches sans voitures dans les grandes villes, comme c’est déjà le cas à Paris. Depuis début avril, l’Albanie s’y est aussi mise chaque premier dimanche du mois grâce à un plan national. «Ces initiatives peuvent alors être soutenues en réduisant les tarifs des transports en commun, voire en instaurant leur gratuité.» L’absence de voitures améliore la qualité de l’air, précise l’AIE.

Réduire la climatisation dans les administrations

La climatisation, dont les ventes explosent ces dernières années, représente environ 6% de la consommation d’électricité en France, avec des pics significatifs pendant les canicules. Limiter la consommation de ces engins polluants épargnerait le climat et économiserait de l’énergie. En France, où un quart des foyers français sont équipés, il est conseillé de rafraîchir à 26°C au plus bas. Une circulaire du 13 avril 2022 stipule que le gouvernement sera attentif à «la stricte application de la réglementation existante en matière de climatisation des locaux, qui ne peut être mise en marche que si la température des locaux dépasse 26°C» dans les bâtiments de l’Etat.

L’Espagne a de son côté déjà sauté le pas. Depuis le 26 mai, le «plan d’efficience énergétique» interdit de fixer le thermostat des climatiseurs en dessous de 27°C dans les bâtiments publics. L’Italie a de son côté fixé début mai le plancher à 25°C dans les écoles, universités, bâtiments administratifs et même certains hôtels.

Interdire les vols privés en avion

L’avion de Bernard Arnault est devenu une star d’Instagram, grâce à un compte qui suit à la trace son jet privé. En un mois, l’appareil du patron de LVMH a effectué 18 trajets, a volé quarante-six heures et a rejeté 176 tonnes de CO2. C’est beaucoup pour un seul homme. «L’aviation d’affaires génère entre 3 et 20 fois plus de CO2 par passager que l’aviation commerciale», explique le Shift Project dans son rapport sur l’aviation de mars 2021. Les transports aériens privés des plus riches représentent à eux seuls 2% des émissions de CO2 de l’aviation mondiale, selon l’association. Interdire l’aviation privée, représenterait donc une baisse non négligeable de la consommation d’énergie sans changer la qualité de vie de l’écrasante majorité de la population. On part de loin, Jean Castex, quand il était encore Premier ministre, avait utilisé un Falcon de la République pour aller voter à Prades lors du premier tour de l’élection présidentielle.

Sans aller jusqu’à l’interdiction, la pandémie de Covid-19 a prouvé que deux voyages d’affaires par avion sur cinq sont évitables, selon l’AIE. «Plusieurs grands groupes ont déjà annoncé dans leurs objectifs vouloir réduire jusqu’à 70% les émissions de CO2 liées aux voyages d’affaires», note-t-elle. De quoi réduire la consommation de pétrole à court terme de 260 kilobarils par jour.

“Il y a des crimes climatiques, donc il y a des criminels”- Entretien avec Mickaël Correia
Rédaction
www.frustrationmagazine.fr/correia

Entre la canicule « Total énergies 1 » et la canicule « Total énergies 2 » (nous reprenons cette idée trouvée sur les réseaux sociaux de nommer les épisodes caniculaires du nom des responsables du réchauffement climatique) nous avons rencontré Mickaël Correia dont le dernier livre, Criminels Climatiques, met un uppercut à l’écologie bourgeoise du « tous responsables, tous les petits gestes comptes » en montrant le visage de ceux à cause de qui nous suffoquons. Journaliste issu de médias indépendants, Mickaël Correia propose une écologie du rapport de force, qui désigne des responsables et propose donc des leviers d’actions autre que le désespoir ou la complaisance : deux positions généralement tenus par la partie aisée de la population. Grâce à ses travaux, on sait désormais que la révolution sera écologique ou ne sera pas et que l’écologie sans révolution et démantèlement du capitalisme fossile, c’est du macramé. Entretien par Nicolas Framont et Hamana B

Pourrais-tu nous parler un peu de toi : tu es journaliste, mais tu as un parcours peu conventionnel pour la profession ?

En effet, je ne suis pas passé par l’école de journalisme. J’ai suivi une formation universitaire axée agroécologie et agroforesterie, d’une mouvance appelée “l’école de Montpellier” qui au début des années 1980, a eu une approche systémique des écosystèmes. Mais à l’origine, je viens d’une famille ouvrière du Portugal. Ma mère est femme de ménage et mon père était ouvrier du textile. Je suis le seul de ma famille à avoir eu le bac. Je me suis intéressé à l’agroécologie par hasard. La fac de biologie me plaisait, j’aimais avoir la tête dans les plantes. Je n’ai jamais grandi à la campagne, je viens d’un milieu très urbain et industriel. Peut-être que ces études étaient pour moi une échappatoire. J’ai commencé une thèse que je n’ai pas terminée, j’ai travaillé quelque temps comme travailleur associatif dans le militantisme écologique, puis j’ai commencé à écrire pour le journal indépendant CQFD. Pris au jeu de l’écriture journalistique, j’ai co-créé la revue Jef Klak avec des amis. Petit à petit, j’ai commencé à militer dans les milieux écologistes et je me suis investi dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Finalement, j’ai eu envie de déserter ces milieux-là. Politiquement parlant, il y avait un truc dans lequel je ne me retrouvais pas. J’ai commencé à écrire Une histoire populaire du football. C’est un peu mon “Retour à Reims” [du nom de l’ouvrage de Didier Eribon, ndlr] : j’ai eu besoin de m’éloigner des milieux écologistes parce qu’il y a un truc qui ne me convenait pas d’un point de vue social. Bosser sur le foot, ce n’était pas un sujet “légitime” dans ces milieux militants, c’était même un sujet tabou. Dans les milieux politisés, le foot était perçu comme vecteur d’aliénation et pas comme quelque chose qui pouvait être synonyme d’émancipation. J’avais besoin de retourner un peu aux sources… Entre temps, j’ai commencé à piger pour le Monde Diplo, pour le Canard enchaîné, puis pour Mediapart qui m’a embauché.

Parlons de Criminels climatiques, paru cette année. Pourquoi as-tu écrit ce livre ?

L’idée c’était de revenir, après cette parenthèse, sur la question climatique écologique. Il y a une origine scientifique et une origine politique. Le point de départ scientifique, c’est cette étude de 2017 qui a été coproduite par une grosse ONG britannique qui s’appelle le Carbon Disclosure Project, qui a initié la mesure des gaz à effet de serre à l’échelle des entreprises. Cette étude montre que 100 multinationales émettent 70% de l’effet de serre mondial. C’est un chiffre assez hallucinant qui renversait beaucoup de choses, politiquement, dans l’imaginaire écolo.

100 multinationales émettent 70% de l’effet de serre mondial

Quant au point de départ plus politique, ce sont des discussions qu’on avait avec des copines féministes, notamment Aude Vidal. Elle vient d’écrire un livre qui s’appelle Egologie. Ecologie, individualisme et course au bonheur, et qui porte sur la critique de l’écologie individualiste. Il est édité aux éditions Le Monde à l’Envers, une petite maison d’édition grenobloise et critique l’écologie des “colibris” [mouvement écologique impulsé par Pierre Rabhi, basé sur un “changement intérieur préalable au changement sociétal”, ndlr] que l’on retrouvait chez beaucoup de militants des squats, toute cette culture du yoga, du développement personnel qui pour nous, tuaient, à l’époque, les dynamiques collectives. Selon nous, la domination du développement personnel écologique empêchait l’existence d’une culture du rapport de force, de l’organisation collective.

Ensuite, le livre se concentre sur trois entreprises les plus polluantes : Saudi Aramco (Arabie Saoudite), China Energy (Chine) et Gazprom (Russieà. Ce sont respectivement le premier producteur de pétrole, le premier producteur de charbon et le premier producteur de gaz au monde. Je trouvais ça intéressant journalistiquement de cibler trois ennemis, c’était un fil intéressant à tirer. Il s’agit aussi de prendre le contrepied de toute cette écologie sans ennemi, cette écologie colibri où l’on n’essaye pas de mettre en avant les rapports de domination et toute la structure sociale qui est autour de la crise climatique.

Ton livre tranche avec “l’écologie des petits gestes”, l’écologie qui dilue les responsabilités des plus riches,  il rompt avec ce que l’on trouve parfois dans la critique anticapitaliste, qui consiste à parler de grands concepts, de grandes entités, et pas vraiment à des entreprises. Là, tu donnes des noms.

Dans le livre, il y a effectivement l’obsession de donner des noms : Qui est Amine Nasser, le PDG d’Aramco ? Qui est Alex Miller, le PDG de Gazprom ? Quels sont ses liens avec le clan Poutine ? Et je voulais aussi mettre en avant leurs discours : quand Amine Nasser dit que le pétrole est indispensable à la lutte contre le réchauffement climatique, quand le PDG de Total Patrick Pouyanné dit que grâce au plastique, le pétrole a de beaux jours devant lui… Ces gens sont d’un cynisme total.

Ensuite, ce qui m’intéresse, c’est de décrire la matérialité : c’est quoi la matérialité de ce capitalisme fossile ? Quelles en sont les infrastructures ? Qu’est-ce qu’un pipeline ? Une centrale à charbon ? Que sont les complexes pétrochimiques ? Qu’est-ce que ça représente concrètement dans un espace donné ? J’ai essayé de visibiliser cette matérialité-là.

L’effet que j’ai eu en lisant le livre, c’est que ces entreprises sont assez peu connues, et j’ai fait le parallèle avec BlackRock, la société de gestion d’actifs, qui a été soudainement très médiatisée lors des mobilisations contre la réforme des retraites. 

Le fait est que ce sont des entreprises publiques, liées à des États. 70% des revenus de l’Etat saoudien viennent d’Aramco. Pour Gazprom, c’est le camp Poutine qui a fait main basse sur cette boîte. Pour China Energy, c’est le Parti communiste chinois qui a la main dessus. Le but c’est de montrer ce lien très fort entre les entreprises et les Etats. Un des meilleurs exemples que je donne dans le livre, c’est quand Gazprom commence à mettre en place une plateforme pétrolière au nord du cercle arctique : des militants, notamment Greenpeace, ont tenté d’alerter l’opinion internationale pour dire que cela devenait vraiment n’importe quoi d’aller forer dans un si gros sanctuaire de biodiversité. La tentative d’arraisonner la plateforme s’est soldée par une intervention violente des forces spéciales, sur ordre de Poutine. Une trentaine de militants ont fait deux mois de prison. Greenpeace a dit à l’époque que c’était l’acte le plus violent commis contre eux depuis le Rainbow Warrior en 1986, lorsque les services secrets français avaient posé une bombe sur le navire de Greenpeace envoyé pour empêcher les essais nucléaires dans le Pacifique, causant la mort d’un activiste. Cela montre bien comment un Etat se met au service d’une entreprise et de ses intérêts.

Il s’agit de prendre le contrepied de toute cette écologie sans ennemi, cette écologie colibri où l’on n’essaye pas de mettre en avant les rapports de domination et toute la structure sociale qui est autour de la crise climatique.

En plus, pour irriguer en capitaux de façon permanente ce capitalisme fossile, l’industrie bancaire a investi plusieurs milliers milliards de dollars entre le début des accords de Paris (2015) et 2019. JPMorgan, c’est la banque qui finance le plus ce capitalisme fossile. Pour l’anecdote, cette banque est un sponsor officiel de la COP26, et elle avait un espace de débat en son sein qui s’appelait le “resilience hub”. On allait y parler “résilience et responsabilité des consommateurs”, pas du tout de ce qu’ils faisaient eux.

Il y a donc un triangle des Bermudes : les Etats, les entreprises, et les banques. On peut faire le parallèle avec la France : Total reçoit 2 milliards d’euros avec les plans de relance de la part de l’Etat Français, et ne paye quasi pas d’impôts. L’Etat français soutient un projet terrible en Ouganda, d’ouvrir 400 nouveaux puits, dans la zone des Grands Lacs. Macron a écrit au gouvernement ougandais pour soutenir ce projet. BNP Paribas est la banque qui a le plus augmenté son soutien entre 2019 et 2020 ; globalement, les banques françaises ont accru leur financement aux énergies fossiles d’en moyenne 19% par an entre 2016 et 2020. On parle beaucoup des saoudiens, mais c’est exactement la même chose qui se déploie en France autour de Total.

 

Du coup, ton bouquin détruit cette rhétorique de gauche qui dit que les Etats sont pris en otage par la finance. Toi, tu montres que les deux se confondent.

L’exemple que je donne de ça, c’est avec Gazprom. Gerhard Schröder a été chancelier d’Allemagne avant de partir travailler pour cette entreprise : en tant que chancelier, il a milité pour la mise en place de Nord Stream, un grand pipeline pour abreuver toute l’Europe en gaz de Gazprom. Deux mois après sa défaite aux élections législatives, il est nommé à la tête du conseil de surveillance du consortium qui gère Nord Stream. Je ne sais pas si c’est du cynisme : son choix s’explique probablement par un millefeuille d’hypothèses. Il y a tout le soft power que Gazprom a développé en Allemagne. Dans le livre, je raconte comment Gazprom est venu au secours d’un club de football très populaire de la Ruhr. Il y a de l’attachement à Gazprom pour ça, ainsi que pour le deal sur le gaz russe… tout cela est entremêlé. C’était malin de la part de Gazprom de sauver ce club de foot de la Ruhr car toute une partie des réserves de gaz d’Europe sont dans la Ruhr. Et en sauvant un club de foot, l’entreprise s’est drapée d’un vernis populaire.

Il y a bien sûr d’autres exemples : les élites tournent entre le secteur privé et la technostructure des Etats. On a toujours cet imaginaire de l’Etat qui tente de mettre des contraintes, ce n’est pas toujours vrai. Le meilleur exemple est avec Macron : depuis le début de la loi Climat, des centaines de députés ont proposé des amendements pour inscrire dans la loi le fait de pouvoir taxer les entreprises qui ne respectent pas un certain quota d’émission de CO2… et ça a été censuré de facto par le président de l’Assemblée nationale : il n’y a même pas eu de débat, sur cette proposition qui est pourtant basique. Un dernier exemple, China Energy : on voit qu’il y a des forces de lobbying puissantes au sein de l’Etat chinois, et que China Energy a toujours empêché la création d’un vrai ministère de l’énergie en Chine.

On a des exemples en France de ces pratiques de pantouflage entre secteur de l’énergie et politique ?

Il y a eu François Fillon [nommé au Conseil d’Administration d’un groupe pétrolier russe en 2021, ndlr], ou encore Jean-Baptiste Djebbari [ancien député LREM puis ministre des Transports jusqu’en mai 2022, ndlr], qui devait travailler dans une entreprise de voitures à hydrogène, mais ça a été retoqué.. Mais la Macronie, ça n’a été que ça : Brune Poirson qui est partie chez Accor Hotel en tant que directrice du développement durable, en cours de mandat ! Les entreprises savent jouer de ça.

Ce sont des modes de fonctionnement peu connus…

Prenons l’exemple de Davos : là-bas, il y a les dirigeants d’entreprises publiques et privées, et les institutions financières. Quand Aramco a fait une grande opération financière, tout le monde à Davos était au courant. Dans ces cercles-là, il y a un entre-soi bourgeois ou financier, avec toujours l’idée de perpétuer son modèle de croissance.

Quand The Chemistry Club, le plus grand club de l’industrie chimique, a nommé le PDG d’Aramco à un prix, c’est un signal très fort envoyé aux investisseurs.

Ce terme de “criminels climatiques” t’a-t-il attiré des ennuis ?

Ce n’est pas un mot que j’ai choisi de façon anodine. C’est le chercheur Christophe Bonneuil qui a commencé de parler de ça dans les années 2015 : il a montré qu’il y avait des crimes climatiques à l’œuvre, des gens qui meurent de situations climatiques extrêmes. Et s’il y a des crimes, il y a des criminels.

Aujourd’hui, on sait que Total est au courant depuis 1971, en interne, que son activité est nocive pour le climat. Les Big Oil américains le savent depuis 1965. Désormais c’est l’Agence internationale de l’énergie – qui est loin d’être un repère d’écologistes – qui a dit : “il faut arrêter maintenant les projets fossiles”. Toutes les études disent qu’il faut laisser les ressources fossiles dans le sol si l’on veut survivre au chaos climatique. Ces entreprises le savent bien, mais elles n’ont même pas commencé à diminuer leur production. Ce sont des entreprises qui veulent augmenter leur production de 20% jusqu’en 2030. Maxime Combe dit : “cette canicule-là, on pourrait l’appeler “Total Energies N°2””.

Il y a des crimes climatiques à l’œuvre, des gens qui meurent de situations climatiques extrêmes. Et s’il y a des crimes, il y a des criminels.

Il y a tout un imaginaire à remettre en place : depuis le mouvement ouvrier, il y a cette idée qu’on subit une violence directe de la part des industries, et on s’organise contre cette violence dans notre lieu de travail qui est l’usine. Aujourd’hui, c’est plus compliqué de s’organiser dans le travail. Mais il y a une réflexion à mener sur l’existence de ces violences industrielles. Elles s’opèrent de façon indirecte à travers l’atmosphère.

Et cette violence crée une condition commune : les canicules qu’on vit en ce moment, les Indiens et les Pakistanais les vivaient en mai. Il y a donc un internationalisme qui peut se créer.

Tu parles de solidarité internationale : ne peut-on pas imaginer une institution internationale qui traduirait ces criminels climatiques en justice ?

Oui, il faudrait ça, évidemment. Il y a des procès en cours, par exemple Exxon aux Etats-Unis. Oui, il faudra juger ces crimes-là et il y aura des réparations. Un sujet qui revient souvent dans les COP, c’est la question du dédommagement des pays du Sud qui subissent plus fort l’impact du changement climatique. Et l’Europe fait tout pour que ça n’arrive pas. Or, on sait maintenant attribuer tel événement climatique au réchauffement climatique. On sait par exemple que tel cyclone qui a eu lieu dans le Pacifique peut être attribué au réchauffement climatique. Dans un monde idéal, on pourrait ainsi dire que la France, qui est dans le top 10 des premiers émetteurs historiques de CO2, ou qu’une boite comme Total qui émet autant que la France, doivent être mis en lien avec des catastrophes subies par des pays du Sud. Et que c’est donc à tel Etat ou telle entreprise de payer les réparations.

C’est donc bien possible de remonter la chaîne des possibilités ! Bien loin du discours du “on est tous responsables ».

Oui, c’est de l’enfumage total, c’est le mythe libéral : c’est un discours qui permet aux vrais responsables de socialiser les effets de leurs choix. Les archives commencent à être ouvertes : j’ai vu, documents à l’appui, que Total avait saboté une grosse mesure européenne et que cette perte nous a fait perdre 30 ans de retard dans la lutte contre le changement climatique. À l’époque, le PDG de Total et celui d’Elf envoient des lettres à Alain Juppé, qui font pression sur le ministre de l’Industrie de l’époque, Dominique Strauss-Kahn, pour saboter une mesure de taxation du carbone ! Ils savaient très bien qu’il s’agissait d’améliorer leur business, au-delà de toute considération écologique. On peut retracer ces responsabilités-là. Cette semaine, The Guardian a déterré un mémo de 1977, envoyé à Jimmy Carter (ancien président des Etats-Unis) et qui dit “il faut agir maintenant sinon on va tout droit à une catastrophe climatique” : c’est écrit noir sur blanc !

Il y a déjà, à l’époque, les chiffres. Il y a ce mythe selon lequel depuis la création du GIEC, le consensus commence à se solidifier, et qu’il faut diffuser ces connaissances dans la population puis dans nos élites et qu’on sortira comme ça.

Ton livre brise enfin ce mythe selon lequel “il faut que les gens sachent” et “il faut interpeller nos dirigeants”…

Oui, le mouvement climat est en train de revenir là dessus : cette idée qu’il faudrait prévenir les élites et qu’elles agiront. Or, on sait maintenant que depuis les années 70, nos élites politiques et économiques le savent. Il y avait déjà des rapports scientifiques très complets, bien avant le GIEC, qui ont solidifié ces connaissances !

On peut donc dire que depuis les années 70, tous les gouvernements occidentaux savent ce qu’il se passe ?

C’est encore pire : il y avait plus de volontarisme politique dans les années 90 qu’aujourd’hui ! A l’époque, le sommet de la Terre de Rio est en préparation ainsi que toute une série de conférences internationales, une dynamique portée par la France. A l’époque, Mitterrand dit qu’il faut qu’on crée une autorité mondiale qui autorise des subsidiarités de souveraineté sur la question climatique : une superstructure climatique qui puisse imposer aux Etats la diminution de la consommation d’énergie. L’Europe voulait aussi faire une grande taxe carbone – c’est ça qu’a saboté Total -, et même l’administration Bush père était d’accord !

Aujourd’hui, c’est impossible de penser ça : réguler le marché. Maintenant c’est régulé par le marché ! Tous les gens qui ont suivi ça de près disaient que c’était des mesures ambitieuses. De nos jours, ça nous semble inimaginable tellement on entend qu’il est impossible de mettre des contraintes aux entreprises, qu’il faut plutôt des incitations… Penser la contrainte et la sobriété, c’est impossible : ce sont des mots interdits dans le champ politique actuel.

Le livre ne devrait-il pas être vendu avec un Lexomil ? Parce que ta démonstration “ils savent – on sait – et ils continuent et veulent augmenter leur production de 20% d’ici 2030”, c’est très angoissant ! D’autant plus que la pensée écologique dominante est une pensée des petits gestes et de la responsabilité citoyenne !

Et oui, la pensée dominante c’est “n’envoyez pas des mails rigolos”, nous dit l’ancienne ministre de la Transition écologique Amélie de Montchalin… Il y a trois choses à réfléchir concernant les pratiques de lutte qu’on veut mettre en place.

La première question c’est qu’il faut vraiment, face à ces gens, sortir l’artillerie lourde. On sent ça dans le mouvement climat : on tergiverse moins, vu la violence de la situation. Aujourd’hui, on peut aller sur le front judiciaire. Il y a le procès contre Exxon, des procès contre Total. Il y a eu le premier procès pour Greenwashing contre Total… C’est lent, mais c’est une pratique de lutte à ne pas oublier.

Total a saboté une grosse mesure européenne et que cette perte nous a fait perdre 30 ans de retard dans la lutte contre le changement climatique.

La deuxième question, c’est comment littéralement faire corps contre ça. Comment nous, en tant que puissance collective, on bloque cette industrie-là. C’est ce qui se passe en Allemagne avec le mouvement Ende Gelände, qui organise des blocages très importants, chaque été, d’industrie du charbon, de pipeline, de projets en cours. La question c’est de savoir comment on bloque ces infrastructures, avec son corps.

Enfin, il y a tous les discours autour de la bifurcation. Bon, moi ça m’embête un peu car ce sont surtout les élites qui peuvent faire ça. Ce sont des gens qui ont les conditions matérielles pour déserter… Mais il y a quelque chose qui se passe à l’intérieur de ces industries. Plus largement, les travailleurs au sein de ses industries fossiles : une étude de novembre dernier montre que près de 40% des ouvriers de ce secteur veulent partir. Ils savent qu’ils font de la merde. Quand les raffineurs de Grandpuits se sont mis en grève, ils étaient les premiers à dire “on travaille là pour remplir le frigo, mais on est les premiers à souffrir de la pollution de cette industrie”.

Tu penses que les travailleurs de ces entreprises peuvent être des alliés ?

Oui, ils peuvent être un levier de transformation de l’intérieur. On le voit beaucoup dans l’industrie aéronautique : à Toulouse, des collectifs de travailleurs se sont constitués, notamment pendant le Covid. Ils prenaient conscience que produire autant d’avions ne servaient à rien alors qu’ils avaient des savoir-faire de ouf. Ces femmes et ces hommes se sont dit qu’ils pouvaient aussi construire des bus, des éoliennes… Ceux de Grandpuits réfléchissent à comment reconvertir leur raffinerie. Ils sont dans le milieu rural, en Seine-et-Marne, et se disent que leur raffinerie pourrait devenir un endroit où l’on construit des matériaux d’isolation pour aider leur territoire à avancer là-dessus.

Là, on est au croisement du mouvement ouvrier et du mouvement écolo, car la réappropriation de l’appareil productif est une revendication ancestrale du premier !

Oui, il y a un croisement à faire entre le mouvement écolo et le mouvement du travail.

Sur les pratiques de lutte, on peut donc faire tout ça. Il y a aussi les grandes marches, des actions symboliques comme le blocage de l’AG de Total en mai dernier. C’était super bien, on a vu la tête des actionnaires de Total, on a vu leur violence, leur virulence. “Mon petit-fils travaille dans le pétrole, connard !” balance un des actionnaires à des activistes. C’est une phrase révélatrice ! Cela montre qu’il s’agit de reproduction sociale dans la direction de ce modèle. Et cette phrase montre que le seul prisme générationnel pour penser la question écologiste ne marche pas.

Mais alors, les dirigeants ne pensent pas aux conséquences, ils sont dans le déni ?

Oui, c’est l’imaginaire d’Elon Musk : l’idée qu’ils auront toujours l’argent pour s’en sortir, pour aller sur Mars… C’est déjà le cas dans certaines métropoles, comme à Miami par exemple. Les riches sont déjà dans leurs quartiers protégés de la montée des eaux et des intempéries. Cette ségrégation des riches est très vieille : déjà dans le Paris du 19e, les bourgeois vivaient à l’ouest pour éviter la fumée des usines, et les prolétaires à l’est.

Sur la question de l’imaginaire, il faut penser une écologie de la fermeture. Qu’est-ce qu’on va faire des centrales nucléaires, des pipelines, des raffineries ? Comment on fait le deuil social d’une centrale à charbon ? Pourquoi il n’y a pas un seul candidat à la présidentielle qui dit “Total est l’entreprise la plus pollueuse de France (et d’une partie du monde), voici mon projet de démantèlement, de socialisation, de nationalisation » ? Personne n’a cette position. Elle a été posée à Sandrine Rousseau et Yannick Jadot, ils n’étaient pas préparés à ça. Or, ce qu’on fait de cette industrie et de ses travailleurs est important pour avoir un imaginaire cohérent.

 

 

Il y a une écologie inhérente aux classes populaires.

L’autre imaginaire, celui de la sobriété, est très piégeux. Pour ça, il faut revenir au mouvement ouvrier, qui avait des revendications sur le cadre de vie. La sobriété, c’est vivre dans un logement décent et vivre de son travail. Sans vivre chichement mais vivre bien. Toutes les grandes revendications ouvrières portent là-dessus. On s’est beaucoup fait piéger par l’imaginaire de la sobriété porté par Pierre Rabhi, cet imaginaire de la ruralité. Je viens d’un quartier populaire, le travail dur à la campagne ne fait envie à personne ! Moi, ça ne me fait pas envie. Et il faut avoir les ressources matérielles pour partir dans la ruralité… Il y a d’autres imaginaires que celui-là.

C’est très intéressant, mais on se dit qu’il y a du travail idéologique à faire, car l’écologie reste imprégnée par l’écologie bourgeoise du développement personnel… 

Oui, dans les quartiers populaires, l’écologie reste un marqueur de classe, un marqueur bourgeois. Il y a un vrai travail à faire. Quand j’étais à Roubaix, j’ai participé à cette période où Lille était capitale de la culture. On s’est dit qu’il fallait vraiment rompre avec le discours selon lequel “on va apporter la culture dans les quartiers populaires”. Il y a une culture propre aux quartiers populaires ! Apporter l’écologie aux quartiers populaires, ça ne sert à rien ; il y a une écologie inhérente aux classes populaires. Moi j’ai passé mon enfance dans l’entraide, sur les travaux d’isolation, sur la réparation des voitures… À Roubaix, il y a une vraie culture du garage de rue par exemple. C’est une vraie façon de lutter contre l’obsolescence programmée, de bricoler ses machines… Tout ce que les écologistes ont formalisé comme les SEL (Systèmes d’échanges locaux), c’est déjà ce qu’on faisait ! Tu m’aides à faire le papier peint, en échange tu viens manger à la maison : c’est du SEL ! Et le jardin ouvrier, c’est une revendication qui date du 19e siècle. Il y a donc toute une écologie populaire à laisser comme telle et qui n’a pas à être apportée de l’extérieur. 1% des plus riches en France pollue plus que la moitié des Français donc pourquoi, de toute façon, aller dire aux quartiers populaires “réduisez votre empreinte carbone” ?

La question climatique est inhérente à la structure sociale. Nos civilisations basées sur l’imaginaire de l’abondance – qui est un imaginaire colonial – sont le problème.

Pour conclure, il faut sortir de l’angoisse – j’en parle à la fin du livre – et pour cela il faut sortir de l’idée que le climat serait une menace extérieure, comme dans Don’t look up. Alors que non, la question climatique est inhérente à la structure sociale. Nos civilisations basées sur l’imaginaire de l’abondance – qui est un imaginaire colonial – sont le problème. C’est donc d’abord une question sociale : 63 milliardaires en France qui ont un impact carbone équivalent à la moitié des Français, ça montre que quand on travaille à plus d’égalité sociale, on participe à changer le statu quo climatique. Il y a des alliances à faire : quand la CGT milite pour les 32h, c’est pour travailler moins mais aussi polluer moins. Au Royaume-Uni, une étude a montré que travailler un jour de moins par semaine d’ici à 2025 équivalait à retirer tout le parc automobile privé. La revendication, c’est donc de travailler moins pour vivre mieux et polluer moins.

C’est aussi une question féministe : les études montrent que les hommes émettent 16% de gaz à effet de serre de plus que les femmes avec les signes de virilité : la bagnole et l’alimentation carnée. En cas de catastrophe climatique, les femmes ont plus de chance de mourir… Lutter pour plus d’égalité entre les genres et les minorités sexuelles participe à lutter contre ce statu quo climatique. Ça vaut aussi pour le combat LGBT : aux Etats-Unis, 40% des SDF se considèrent comme LGBT+. C’est donc une des premières populations vulnérables aux catastrophes climatiques…

C’est également une question coloniale : quand Total va faire ses projets dégueulasses, il s’inscrit dans une logique coloniale. Imaginons qu’une compagnie ougandaise vienne faire un pipeline de 1400 km de long dans le parc des Ecrins, ce serait complètement inacceptable !

La revendication, c’est donc de travailler moins pour vivre mieux et polluer moins. 

Et enfin, la question antifasciste : le GIEC, dans son dernier rapport, a fait des modèles sociétaux. Ils se sont aperçus que le modèle actuel va entraîner l’augmentation des conflits régionaux et la montée en puissance des nationalismes. Et ce modèle-là provoque le réchauffement qui va faire de la vie sur terre un enfer. On l’a bien vu avec Trump, on le voit avec Le Pen qui veut arracher les éoliennes. Le discours de l’extrême-droite sur le climat est très proche de son discours sur les minarets ! Les éoliennes visibilisent nos besoins énergétiques et notre dépendance, et ça ils ne veulent pas le voir. La lutte contre le réchauffement climatique est donc une lutte antifasciste.

Il y a cinquante ans, le rapport Meadows abattait le mythe de la croissance infinie
Gérard Vindt

www.alternatives-economiques.fr/y-a-cinquante-ans-rapport-meadows-abattait-mythe-de-croissance-infi/00104077

En alertant sur la situation inquiétante pour l’avenir de l’humanité et en appelant à des politiques volontaristes pour assurer le bien-être de tous, Les limites à la croissance a fait l’effet d’une bombe en 1972.

Avant même que survienne le premier choc pétrolier de 1973, bien avant que l’impact dramatique de l’activité humaine sur les écosystèmes et sur le climat soit devenu un sujet de préoccupation majeur, la publication du rapport Meadows à New York en mars 1972 fait grand bruit. Il est rédigé par quatre chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) spécialistes de la dynamique des systèmes, Donella Meadows, Dennis Meadows, Jorgen Randers et William Behrens, qui présentent les résultats d’une recherche réalisée par 17 scientifiques de six pays (surtout des Etats-Unis, mais aussi d’Allemagne, d’Inde, d’Iran, de Norvège et de Turquie) sous la direction de Dennis Meadows, alors âgé de 30 ans.

Commandé par le Club de Rome (un think tank d’industriels, de scientifiques, de hauts fonctionnaires internationaux), ce rapport donne une base scientifique aux inquiétudes liées à l’évolution incontrôlée de cinq paramètres déterminants pour l’avenir de l’humanité : l’accélération de l’industrialisation, la croissance de la population, l’extension de la malnutrition, la réduction des ressources non renouvelables et la détérioration de l’environnement.

Les multiples limites à la croissance

Partant du constat chiffré de la croissance exponentielle de ces différentes variables, les chercheurs étudient les limites pour chacune d’entre elles. En faisant tourner sur ordinateur un modèle mis au point par Jay Forrester pour étudier les variations des cinq paramètres et leurs interactions, ils formulent plusieurs scénarios : tous, à plus ou moins long terme, finissent par se heurter à des limites qui stoppent les processus de croissance.

Dans le scénario « standard », sans changement majeur dans le système actuel, la croissance de la population et de la production industrielle sera certainement stoppée au plus tard pendant le XXIe siècle par manque de ressources. Si l’on admet que la durée des ressources disponibles est doublée, dans ce cas, la première limite atteinte sera celle de la pollution, causée par un dépassement de la capacité d’absorption de l’environnement, entraînant hausse de la mortalité et carences alimentaires.

Même dans le scénario le plus « optimiste » supposant des ressources illimitées, un contrôle de la pollution, une croissance de la production alimentaire et un contrôle des naissances, la croissance incessante de la production et de la consommation se heurtera avant 2100 à trois crises simultanées : surexploitation des sols entraînant érosion et baisse de la production alimentaire, surexploitation des ressources par une population mondiale à haute consommation, explosion de la pollution entraînant une hausse de la mortalité.

Le mirage technologique

A tous ceux, alors sans doute très majoritaires, qui imaginent que les progrès technologiques sauront répondre aux défis, le rapport fait sien la devise d’un club écologiste américain : « Pas d’opposition aveugle au progrès mais opposition au progrès aveugle. » En effet, même en supposant que le nucléaire résolve le problème de l’énergie et que l’on ne soit pas limité en ressources, la production croissante entraînera une forte augmentation de la pollution : le coût pour la combattre sera alors très élevé, au détriment d’autres investissements dans des domaines vitaux.

Pour les auteurs, « la confiance dans la technologie comme solution ultime à tous les problèmes détourne notre attention du problème le plus fondamental – celui de la croissance dans un système fini – et nous empêche d’entreprendre des actions effectives pour le résoudre. Il faudra alors réagir dans l’urgence, et ce sera beaucoup plus douloureux que si la société avait fait elle-même ses choix ».

Les changements nécessaires

L’humanité est donc à l’heure des choix, « ce qui entraînera certainement de profonds changements dans les structures économiques et sociales qui ont imprégné la culture humaine au long des siècles de croissance ».

Les auteurs esquissent ces « profonds changements » : il faut tendre vers un « état d’équilibre global », « un système durable sans effondrement soudain et incontrôlable, capable de satisfaire les besoins matériels de base de tous les peuples ». Dans cet état d’équilibre, la population et le capital investi dans les services, l’industrie, l’agriculture doivent cesser de croître. En revanche, toutes les activités qui ne requièrent pas de puiser largement dans des ressources non remplaçables ou qui ne produisent pas de sévères dégradations de l’environnement peuvent continuer à croître indéfiniment : « Education, art, musique, religion, recherche scientifique fondamentale, sports, interactions sociales pourront fleurir. »

Le rapport, adressé d’abord aux décideurs, cherche à les convaincre, chiffres à l’appui, qu’il est urgent d’agir, que le modèle de croissance actuel accroît le fossé entre riches et pauvres, provoque famines et misère, et à plus long terme mène à la catastrophe.

« Dans le passé, écrivent ses auteurs, l’idée que l’on pouvait repousser les limites au lieu de vivre avec a été confortée par l’apparente immensité de la Terre et de ses ressources et par la relative petitesse de l’homme et ses activités. »

Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et il y a urgence d’autant plus qu’il y a une forte inertie du système : il s’agit d’agir maintenant pour modifier la donne dans quelques décennies. Et d’appeler à un large débat démocratique sur ce sujet qui n’est rien d’autre que l’avenir de l’humanité.

Un message peu écouté

Cet appel a-t-il été alors entendu ? Il entre certes en résonance avec le premier Sommet de la Terre organisé par l’Organisation des Nations unies (ONU) à Stockholm, en juin 1972. Mais rares sont ceux qui, comme le commissaire européen Sicco Mansholt, sonnent l’alerte : « Cela a été pour moi une révélation terrible. J’ai compris qu’il était impossible de s’en tirer par des adaptations : c’est l’ensemble de notre système qu’il faut revoir, sa philosophie qu’il faut radicalement changer. » Et les réactions hostiles dominent, chez les économistes comme chez les politiques. Il faut dire que le rapport Meadows est à rebours des credo productivistes à gauche comme à droite.

Les auteurs du rapport n’en continuent pas moins de travailler. En 1992, ils publient une mise à jour de leur rapport, Beyond the Limits (Au-delà des limites) : l’humanité a déjà dépassé les limites de ce que la planète peut supporter. Il est urgent de revenir en arrière. En 2004, une nouvelle mise à jour paraît (The Limits to Growth. The 30-Year Update), utilisant une modélisation informatique plus perfectionnée. Le constat est hélas plus pessimiste : l’humanité et ses décideurs, malgré un début de prise de conscience, en particulier sur le changement climatique (le Giec est fondé en 1990), n’ont pas pris de décisions à la mesure des enjeux. Les retards accumulés pour appliquer les bonnes résolutions de la COP 21 sur le climat, tenue à Paris en 2015, continueront à le montrer.

Déjà depuis 1999, l’activité humaine, par son « empreinte écologique » – définie par Mathis Wackernagel en 1994 –, a dépassé de 20 % ce que la Terre peut fournir comme ressources et absorber comme émissions. En 2000, le chimiste Paul Crutzen et le biologiste Eugène Stoermer, constatant que l’homme est devenu le principal responsable des déséquilibres naturels de la planète, y voient l’entrée dans une nouvelle ère, « l’anthropocène ». Et l’alerte lancée par les scientifiques du MIT il y a cinquante ans est plus que jamais d’actualité. En 2008, le chercheur australien Graham M. Turner compare les scénarios des Meadows de 1972 avec trente ans de données (1970-2000) : il retrouve les projections du scénario standard (c’est-à-dire sans changement fondamental) de The Limits to Growth.

En 2020, la chercheuse américaine Gaya Herrington confirme la pertinence de deux des scénarios initiaux du rapport Meadows qui conduisent à un arrêt de la croissance mondiale, et pense que le scénario optimiste, celui du « monde stabilisé », est encore possible en limitant la croissance économique. Tout espoir n’est pas perdu, nous dit lui aussi, encore aujourd’hui, Dennis Meadows : le pire, l’effondrement, n’est jamais sûr. Mais il y a urgence.

Yayo Herrero. Gordin bezain itxaropentsu
Danele Sarriugarte Mochales
www.argia.eus/albistea/bero-boladek-gutxienez-beste-40-urte-iraungo-dutela-adierazi-du-munduko-meteorologia-erakundeak

Duela bi urte entzun nuen lehen aldiz Yayo Herreroren hitzaldi bat, Feministaldia jaialdian, eta orduz geroztik ezin izan ditut burutik kendu haren galdera eta hausnarketa zorrotzak. Ingeniaria, antropologoa eta irakaslea da Herrero, eta ekofeminismoa du borrokarako esparru. Badaki hainbat dimentsioko krisi baten aurrean gaudela gizarte moduan, eta horregatik aldarrikatzen ditu eguneroko utopiak.

Ikasketaz, antropologo soziala, nekazaritza ingeniaria eta gizarte-hezitzailea da Yayo Herrero, baina aktibismoari tinko lotuta egin du bidea. Ekologistak Martxan erakundeko koordinatzailea izan da –bertako kidea da oraindik–, eta hezkuntza ekosoziala bultzatzen duen FUHEM fundazioaren presidentea ere bai. Hainbat liburu eta artikulu argitaratu ditu ekofeminismoaren eta ekologismo sozialaren inguruan, hala taldean nola bakarka.

Ibilbide luze-oparoa egina duzu aktibismo ekofeministan, baina atzera begiratuta, gogoan al duzu noiz hartu zenuen gaiaren gaineko kontzientzia?

Oso ondo gogoratzen naiz. Gaztetatik aritu naiz gizarte-mugimenduan, 14 urte nituenetik. Hasieran, elkartasun internazionalaren kontuarekin hasi nintzen, eta gero sindikalgintzan ere bai. Kaletar petoa izan arren, lotura estua izan dut beti naturarekin. Ingeniaritza ikasten ari nintzela, oilategi batean egon nintzen. Argi ikusi nuen, baldin eta halako gauzak egin behar bagenituen jateko, zerbait gaizki zebilela. Hori izan zen nire iratzartze ekologista, eta laster asko ekologismo sozialarekin bat egin nuen, aurrez nekarren eskarmentuagatik. Ekologistak Martxan erakundean ari nintzela, Cristina Carrasco, Ana Bosch eta Elena Grauren artikulu bat irakurri nuen, ekologismoa eta feminismoa uztartzen zituena, eta horrek, nolabait ere, dena lotu zuen, eta kosmobisio desberdin bat eman zidan. Hor entzun nuen lehen aldiz bizitzaren iraunkortasunaren kontzeptua.

Antropologia Feministaren Nazioarteko lehen Kongresuaren aitzakian etorri zara Donostiara [ekainaren 10ean bildu ginen].

Kongresuaren planteamenduari dagokionez, izugarri gustatzen zait gizarte-mugimenduekin eta gizartearekin berarekin duen lotura. Funtsezkoa deritzot. Kongresu honetan lantzen den ezagutza- eta ikerketa-arloak eraldaketarako borondatea du. Eta oso garrantzitsua da hori.

Hain zuzen ere, antropologia feministaren, feminismoaren eta gizartearen arteko loturak aztertuko dituzue mahai-inguru batean.

Ni ez naiz sekula ibili emakumeen talde feminista batean, mugimendu ekologistako kidea naiz, eta aktibista feminista naiz mugimendu horren barruan, jakina, baina gure mugimenduan ez gara emakumeak bakarrik, eta ez gara pertsona feministak bakarrik. Nire antolakundeak, bere printzipio ideologikoetan, feministatzat jotzen du bere burua, baina horrek ez du esan nahi dinamika patriarkalez libratu garenik, ezta horien aurrean denok erne gaudenik ere. Bide luzea daukagu egiteko. Posizio horretatik hitz egingo dut.

Eta, horren harira, zer erronka ikusten dituzu mugimendu ekologistan?

Uste dut subjektua berrikusi behar dela, hau da, zer den gizakia, eta uste dut zenbait dinamika gainditu behar ditugula: gure kulturan lurrari eta gorputzei kanpotik, gailentasunetik eta instrumentalizaziotik begiratzeko joerak. Gainera, uste dut feminismoak eta begirada antropologikoak oso lagungarriak izan daitezkeela kolapsoari eta krisi ekologikoari buruzko ikuspegi matxo samar bati begiratzeko, eta kolapsoa edo hainbat alderdiko krisia deitzen dugun hori eguneroko bizitzarekin, gorputzekin eta ondoezekin konektatzeko. Leku horrek gizartea mobilizatzeko aukera gehiago ematen du, itxaropentsuagoa da, gainera datorkizun eta harekin zer egin ez dakizun kolapsoaren beste ikuspegi hori baino.

“Nahikotasunaren printzipiotik abiatuta irudikatu behar dugu bizitza: nahikoarekin bizitzen ikasi,
eskubidetik eta betebeharretik”

Kolapsoa aipatu duzula-eta, zer diozu pandemiaz eta pandemia-osteaz?

Pandemiak, hasieran batez ere, halako argitasun-une bat eman zigun, normalean ikusteko zailak diren zenbait gauza ikusteko aukera.

Adibidez, agerian geratu zen metabolismo ekonomikoaren hauskortasun izugarria. Halaber, zenbait debate pizteko bidea eman zuen –pertsonen artean esan nahi dut–, hala nola zein diren oinarrizko lanak, eta nola oinarrizko lanak, maiz, emakumeek egiten dituzten, eta gaizki ordainduta dauden. Bestalde, eta hau behin eta berriro aipatzen dut, oso garrantzitsua iruditzen zaidalako, eztanda komunitario bat gertatu zen. Egoera oso gogor batean, jende askok, pauso bat aurrera egin, eta besteak zaintzeko prest zegoela erakutsi zuen. Eta horrek beste ideia bat dakar: jendeak jakingo balu egoera zein den benetan, gizartearen puska handi bat behintzat prest egongo litzateke bere bizimoldea modu nabarmenean aldatzeko, berek, maite dituztenek eta, ondorioz, gizarteak oro har, bizitza onak izateko helburuarekin.

Kezkatzeko motiborik ere utzi du pandemiak.

Diskurtso arriskutsuak ikusi ditugu. Adibidez, halako diskurtso militarizatu batzuk, guztiok etsaiaren aurrean batzeari buruzkoak-eta, problematikoak dira, antzeko diskurtsoak erabiltzen baitira migratzaileen, disidenteen edo emakumeen aurka. Bestalde, adineko jendea soberakintzat hartzea beldurgarria da; izugarria iruditu zitzaidan nola, zerbitzu publiko batzuetan, jende zaurgarria negoziorako lehengaitzat hartzen den. Eta auzokideak zelatatzearen kontu hori ere oso larria iruditu zitzaidan. Azken batean, polarizazio bat bizitzen ari gara: elkar babestuz, elkarri lagunduz eta antolatuz egingo dugu aurrera, ala etsai komun bat sortuz eta arazoen kudeaketa estatuaren eta segurtasun-indarren esku utziz? Uste dut bi korronteak presente egon zirela pandemian, eta gaur egun bizi dugun tentsioaren isla direla.

Pandemia lasaitu da, baina egoera larria bizi dugu hala ere. Hori aho-bilorik gabe kontatzearen eta azaltzearen aldekoa zara.

Gaitzaren larritasuna apaldu da, eta osasun-sistemak jada ez daude krisian, baina energiari eta materialei dagokionez sekulako arazoa daukagu: tokiko hornikuntza-kateak hautsita daude, eta une honetan, herrialde askotan, elikaduraren hornikuntza murrizten eta arautzen ari dira. Oso probablea da hilabete batzuen buruan elikadura-krisi bat izatea, elikagaien prezioaren igoeragatik, eta oso larria iruditzen zait horren harira ezer ez egitea.

Hala, ezinbestekoa iruditzen zait, lehenik, jende gehienak ahalegin ahalik handiena egitea gure egoera zehatza zein den ulertzeko. Ezinezkoa iruditzen zait jendearen bizi-baldintzak babesten dituen bestelako eredu bat irudikatzea, jendeak ez baldin badaki zer egoeran gauden. Horregatik, errealitatea bere gordinean erakustearen babesle porrokatua naiz. Eta, hortik aurrera, planetaren muga fisikoekin bat datozen bizitza desiragarriak irudikatzen hasi.

Nolako bizitzak lirateke?

Nahikotasunaren printzipiotik abiatuta irudikatu behar dugu bizitza. Nahikoarekin bizitzen ikasi, eskubidetik eta betebeharretik. Izan ere, batzuek ez daukate nahikoa, eta eduki behar dute, eta beste batzuok dagokiguna baino gehiago daukagu –alderdi materialaz ari naiz etengabe–, eta desazkundeari heldu behar diogu, aberastasunak banatuz eta bizitza komuna eta bizitza ona iparrorratz moduan hartuz, bai politika publikoetan bai egunerokoan.

Erregai fosilak agortuko direla aintzat hartuta, argi dago gutxiagorekin bizitzen ikasi beharko dugula. Hala ere, desazkundearen ideiak errefusa sortzen du oraindik ere.

Ni ez nago ados desazkundearen ideia proposamen politiko gisa aurkeztearekin. Desazkundea ez da proposamen politikoa, gure testuingurua da. Gure sistema sozioekonomikoak desazkundea jasango du maila materialean, ez dagoelako hazten jarraitzeko baliabiderik. Nahitaez gertatuko da. Eta hori bi modutan gerta daiteke: onez edo txarrez. Txarrez eginez gero, faxismoa eta ekofaxismoa ikusiko ditugu. Onez, berriz, gutxiagorekin bizitzen ikasi beharko dugu, globalki noski, zeren badira oraintxe bertan bizitzeko nahikoa ez daukatenak ere.

Gainera, desazkundea gertatzen ari da jada: faktura ordaindu ezin zuela-eta argia kendu diotenak desazkundea bizi du, kalitate eskasagoko janaria jaten duenak berdin, etxetik botatzen dutenak ere bai. Eta beste herrialde batzuetan aspalditik jo dute behea jendearen bizitzek.

“Niri ere gertatu zait. Eta dolu hori egin behar da: saldu zaigun aurrerapen materiala ezinezkoa dela onartzeko dolua”

Orduan zergatik kostatzen zaigu hainbeste diagnostiko hori onartzea?

Gure kulturan, aurrerapenaren ideia hazkunde materialarekin eta ekonomikoarekin lotu izan da; ondorioz, desazkundea atzerapenaren zantzutzat hartzen da.

Batetik, elementu hori hor dago. Horrekin lotuta, kontuan hartuta aurrerapenaren ideia zer garrantzitsua den gure gizartean eta, bestalde, teknologiak den-dena konponduko duela zin egin zaigula, ondo baino hobeto ulertzen dut bat-batean jendeak sekulako disgustua hartzea egoeraz ohartzen denean. Niri ere gertatu zait. Eta dolu hori egin behar da: saldu zaigun aurrerapen materiala ezinezkoa dela onartzeko dolua.

Beste adibide bat jarriko dizut: bazoaz medikutara, eta minbizia daukazula esaten dizute. Sekulako disgustua da. Beste pare bat medikutara joaten zara, ziur jakiteko, eta behin onartzen duzunean minbizia daukazula benetan, ba dena bideratzen duzu sendatzeko helburu horretara. Eta, bat-batean, gauza mordo batek garrantzia galtzen dute, eta osatzea da inportanteena. Ba, hemen, antzera. Behin diagnostikoa onartu duzunean eta ulertu duzunean non gauden, etorkizunera begiratu nahi duzu, ea zer egin daitekeen zerorrek eta ingurukoek orainari eta etorkizunari gogoz heldu ahal izateko.

Tartean zabiltzan pare bat proiekturi buruz galdetu nahi dizut. Batetik, Garúa kooperatibako kide-sortzailea zara. Zer da, eta zer egiten duzue?

Duela hamabost urte inguru sortu genuen lau kidek. Elkarrekin genbiltzan aktibismoan, eta ikuspegi antzeko samarra geneukan hezkuntzaren arloan. Proiektu bat sortu nahi genuen ekonomia sozial eraldatzailearen sarearen barruan, bertan gure lanbidea garatzeko. Ondoren, beste kide batzuk elkartu zaizkigu, eta gaur egun hamahiru lagun gara. Esan bezala, hezkuntzarekin hasi ginen, baina gaur egun trantsizio ekosozialak bideratzen laguntzen dugu, ikuspegi feministarekin. Aholkularitza-, ikerketa-, prestakuntza- eta bidelagun-zerbitzuak eskaintzen ditugu, arlo horretan proiektuak abiatzeko edo garatzeko. Halaber, agroekologiarekin lotutako proiektuak ere lantzen ditugu, esate baterako elikadura agroekologikoa txertatzea eskolako jangeletan.

Zuen webgunean, garrantzi handia ematen diezu kontakizunei.

Beharrezkoa iruditzen zaigu kosmobisioa aldatzea eta bestelako narrazioak eta azalpenak sortzea bizi dugun unea ulertzeko. Museoekin eta kultur erakundeekin lan egiten dugu, iruditzen baitzaigu bestelako mintzaira batzuk –fikzioa, poesia, artea– baliagarriak direla kezkagai ditugun auzi guztiak komunikatzeko, gorputzetik pasatuta.

Bestalde, Trantsizioen Foroa guneko bozeramailea zara. Zer da?

Horrela esanda apur bat harroputza eman dezake, baina halako think tank txiki bat izan nahi dugu, erabaki-guneetan eta botere-espazioetan eragiten saiatzeko, hala nola instituzioetan, enpresetan eta mugimendu sozialetan ere bai. Baina, lehenik eta behin, gai hauen guztien bueltan jardun nahi dugu. Argitalpenen bilduma bat daukagu, eta, adibidez, hirietan egin diren aldaketek zer ondorio ekarri dituzten edo zertan diren aztertu dugu. Orain dela gutxi txosten bat prestatu dugu, Europar Batasunak eta Espainiako Estatuak iragarri dituzten politika publikoek iraunkortasunean zer eragin erreal izango duten aztertzeko. Eta, hortik abiatuta, saiatzen gara politikoki eragiten udaletan, estatu-politikan, unibertsitatean edo enpresetan.

“Hirietako dinamika hori, hein batean behintzat, landa-eremuan ere ari da gertatzen. Landa-gentrifikazio larria gertatzen ari da, eta oso arriskutsua iruditzen zait”

Donostiako erdigunean gaude, hamabost egun barru hasiko da uda, eta zuzenean landu ez duzun gai bati buruz galdetu nahi nizuke: turistifikazioa.

Ikaragarria da, hiri guztietan gertatzen ari da. Bartzelonako kasua da ezagutu dudan basatiena, itsas bidaldien iritsierarekin-eta. Baina Madrilen bizi izan nintzen azken hiru urteetan, aldaketa izugarria izan zen. Oso problematikoa da: batetik, lurralde baten zama-ahalmenak nola gainditzen diren, eta, bestetik, horrekin batera sortzen diren gentrifikazio-prozesuak, jendea bere auzotik kanporatzea, etxebizitzaren prezioa izugarri garestitzen da, sekulako desberdinkeriak sortzen dira, eta hiria jada ez da komunitatean bizitzeko leku bat. Hiriak parke tematiko bihurtzen dira, turismoaren zerbitzura. Gainera, petrolioaren gailurraren kontua aintzat hartuta, hiriaren iraupena izugarri kaltetzen da, azkenean hiria eta bertako bizitza ekonomikoa, biztanleen bizia, turismoaren zerbitzura zuzentzen delako. Dinamika hori, hein batean behintzat, landa-eremuan ere ari da gertatzen. Landa-gentrifikazio larria gertatzen ari da, eta oso arriskutsua iruditzen zait. Esandako guztiaz gainera, ur eta garraio mordoa xahutzen da. Turismoaren industria, azken batean, beste estraktibismo bat gehiago bihurtu da, eta pila bat hazten ari da, gainera.