La canicule pourrait devenir la norme
RAC
https://reseauactionclimat.org/rechauffement-canicule/
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La canicule de 2003 a fait près de 15 000 morts en France et 70 000 en Europe. A Paris, plus de neuf jours à plus de 36 °C de température maximale ont été enregistrés et, dans le Gard, le 12 août, le record absolu de température en France de 44°C a été dépassé. Un évènement d’une intensité exceptionnelle. Mais plus pour très longtemps…
Serge Planton, climatologue au Centre national de recherches météorologiques de Météo France et expert du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), répond à ces questions :
Les canicules sont-elles déjà plus fréquentes ?
En France, entre 1900 et 2017, la température a augmenté en moyenne de 1,5°C et, dans le sud-ouest, de 1,8°C. Par ailleurs, sur l’année, les jours dont la température dépasse les 25°C sont de plus en plus nombreux.
Mais une canicule n’est pas qu’un pic de chaleur : elle se définit par une température dépassant de 5°C la normale pendant au moins cinq jours consécutifs. Et, oui, on est en mesure aujourd’hui d’affirmer que leur nombre a augmenté de façon significative.
A quoi doit-on s’attendre avec le réchauffement à venir ?
Pour faire des projections, nous utilisons des modèles mathématiques qui permettent de représenter l’évolution du climat, à l’échelle mondiale comme à celle de la France. Actuellement, les plus sophistiqués d’entre eux ont un point de calcul tous les 2 à 3 km et ils donnent des estimations assez fiables pour la fin du siècle.
La fréquence des vagues de chaleur va augmenter. Si rien n’est fait pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, une canicule comme celle de 2003 [1] [2] [3], qui était jusqu’à présent un évènement exceptionnel, pourrait devenir banale à la fin du siècle . On est dans le scénario que nous qualifions de « laisser faire », dans lequel on prévoit une augmentation de la température de 3,2°C à 5,4°C d’ici 2100. Dans ces projections-là, après 2070, une canicule comme celle de 2003 pourrait se produire tous les deux ans en moyenne [4]. Et, bien sûr, il pourra y en avoir des moins importantes, comme des plus intenses [5] !
Si l’on respecte l’accord de Paris, la température mondiale continuera de croître pour se stabiliser en 2050 à 2°C d’augmentation, voire 1,5°C dans le meilleur des cas. Elle serait alors de 2°C en France, par rapport à celle moyenne de 1900. Les canicules y auront augmenté, dès le milieu du XXIe siècle, en nombre, en intensité et en durée [6].
Quelles sont les solutions pour se protéger des canicules ?
La première solution est la prévision, qui s’améliore d’un jour tous les dix ans. En 2003, la canicule avait été prévue plusieurs jours à l’avance mais nous n’avons pas su réagir devant l’ampleur du phénomène.
Nous avons appris d’évènements comme celui-ci et les tempêtes de fin décembre 1999. De là est née la carte de vigilance météo qui sert à communiquer rapidement sur des évènements exceptionnels et à avertir le grand public. De même pour ce qui concerne les mesures de précautions comme celles du plan national canicule : les leçons de 2003 ont permis de réduire les effets de celle de 2006, moins intense mais plus longue.
Ce dispositif est un premier exemple d’adaptation au réchauffement climatique et il y en a d’autres. Dans une ville comme Paris par exemple, on a calculé que si l’on généralisait la climatisation, la température extérieure augmenterait de 2°C [7] ! Elle est donc une mauvaise solution. A contrario, la végétalisation des rues et des toits, elle, pourrait y réduire la température de 2°C [8].
Références
[1] The 2003 HeatWave in France : Dangerous Climate Change
Here and Now Marc Poumadiere et al., Risk Analysis, Vol. 25, No. 6, 2005
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1539-6924.2005.00694.x
[2] Hot news from summer 2003 Christoph Schär and Gerd Jendritzky NATURE|VOL 432 | 2 DECEMBER 2004
https://www.researchgate.net/publication/8149683_Climate_change_Hot_news_from_Summer_2003
[3] Retour sur la canicule d’août 2003 Météo-France 20 août 2003
[4] The role of increasing temperature variability in European summer Heatwaves
Christoph Schär at al., Nature 427(6972):332-6 · February 2004
[5] Météo France CERFACS IPSL. Drias les futurs du climat, projections climatiques pour l’adaptation de nos sociétés.
[6] Des canicules plus fréquentes et des régions sèches plus étendues dans un monde plus chaud Réseau Action Climat 11-07-2017
https://reseauactionclimat.org/canicules-frequentes-regions-seches-etendues/
[7] Rapport final du projet CLIM2, climat urbain et climatisation, novembre 2010
http://www.umr-cnrm.fr/vurca/IMG/pdf/rapport_scientifique_clim2.pdf
[8] Rapport final du projet MUSCADE, 2014
https://www.iau-idf.fr/fileadmin/DataStorage/Recherche/passeurrecherche/MUSCADE_RapportFinal_2_.pdf
Haut Conseil pour le climat : la France réduit beaucoup trop lentement ses émissions
Justine Guitton-Boussion
https://reporterre.net/Haut-Conseil-pour-le-climat-la-France-reduit-beaucoup-trop-lentement-ses
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Le Haut Conseil pour le climat publie, ce mercredi 26 juin, son premier rapport annuel. L’organisme est chargé d’émettre des recommandations au gouvernement sur la mise en œuvre des politiques publiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. D’après le rapport, les objectifs fixés par le gouvernement ne sont pas atteints. Le Haut Conseil propose plusieurs pistes d’amélioration.
C’est un constat sans surprise, mais décevant malgré tout. D’après le premier rapport du Haut Conseil pour le climat, publié mercredi 26 juin, « les objectifs que la France s’est fixés pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre sont ambitieux, mais loin d’être réalisés ». L’organisme a été installé par Emmanuel Macron le 27 novembre 2018 et créé par décret le 14 mai 2019. Il doit rendre chaque année au Premier ministre un rapport consultatif sur le respect de la trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre, et sur la mise en œuvre des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et développer les puits de carbone. Le gouvernement devra répondre sous six mois devant le Sénat et l’Assemblée nationale. « Ce n’est pas juste un rapport comme les autres. C’est un rapport sollicité par le gouvernement, qui va le communiquer au reste des institutions, et auquel le gouvernement va devoir répondre : ce qu’il fera, ce qu’il ne fera pas, pourquoi, etc. Cela permet d’enclencher une logique de mise en œuvre, de transparence (…) vers la transition », estime Olivier Fontan, directeur exécutif du Haut Conseil pour le climat.
Le Haut Conseil pour le climat a rendu son premier rapport à Édouard Philippe mardi 25 juin.
L’organisme indépendant observe que le budget carbone 2015-2018 (le plafond d’émission de gaz à effet de serre fixé sur cette période) n’a pas été respecté. Il a même été dépassé de 62 millions de tonnes de CO2 [1]. De plus, « la réduction réelle des émissions de gaz à effet de serre, de 1,1 % par an en moyenne pour la période récente, est quasiment deux fois trop lente par rapport au rythme nécessaire pour la réalisation des objectifs ».
La stratégie nationale bas-carbone est la feuille de route, créée en 2015, pour conduire le pays à une politique d’atténuation du dérèglement climatique. Elle vise la neutralité carbone (zéro émission nette de gaz à effet de serre) à l’horizon 2050. Les onze membres du Haut Conseil pour le climat (choisis pour leur expertise en économie, en sciences du climat ou en transition énergétique) ont émis plusieurs recommandations pour que cette stratégie ne reste pas « à la périphérie des politiques publiques ».
Évaluer systématiquement les politiques et mesures publiques
Selon eux, avant chaque proposition de loi ou investissement public, le gouvernement devra systématiquement prendre en compte l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et de conservation des puits de carbone. Ils proposent pour ce faire un outil : la valeur de l’action pour le climat. Il s’agit d’une « référence en euros par tonne de CO2 que se donne la collectivité pour évaluer et sélectionner les actions utiles à la lutte contre le changement climatique ». Elle est évaluée à 87 €/tonne de CO2 en 2020, 250 €/tonne de CO2 en 2030 et 500 €/tonne de CO2 en 2040. Adopter cet outil signifierait qu’en 2030, pour investir dans un projet public permettant la réduction d’émissions de gaz à effet de serre, le gouvernement devra évaluer le nombre de tonnes de CO2 émis par ce projet. Si le coût de construction est inférieur à 250 euros par tonne de CO2, le gouvernement pourra investir. Cela signifie également que ce projet devra être crédité de 250 euros pour chaque tonne de CO2 qu’il permet d’éviter.
La matérialisation d’une tonne de CO2 lors de la COP15, en décembre 2009, à Copenhague (Danemark).
Le Haut Conseil recommande également d’évaluer systématiquement les conséquences en émissions de gaz à effet de serre des politiques et mesures existantes « pour s’assurer de [leur alignement] avec les objectifs climatiques, identifier rapidement les problèmes et y remédier, ainsi que déterminer les succès et les répliques ». Ainsi, le gouvernement devrait réfléchir à l’impact carbone de chaque mesure (déjà existante ou non) avant sa mise en place, pendant, et après.
Une transition juste et équitable
Le Haut Conseil pour le climat estime que le gouvernement doit renforcer tous les instruments des politiques climatiques : normes, réglementations, subventions, ainsi que les taxes. L’organisme vise notamment la taxe carbone : « Les évidences disponibles démontrent que la taxe carbone est un outil économique puissant pour atteindre l’objectif de neutralité carbone à moindre coût pour la société dans son ensemble. Le contexte de la société française [le mouvement des Gilets jaunes] a conduit à suspendre la remontée de la taxe carbone dans sa forme actuelle, son design actuel ne permettant de la rendre ni juste ni efficace. L’expérience des autres pays suggère que le soutien de la société est essentiel pour que la taxe soit maintenue et augmentée sur le long terme. » Les experts recommandent notamment au gouvernement de modifier la taxe pour qu’elle touche un maximum d’acteurs, et qu’elle soit redistribuée aux ménages les plus modestes. En outre, le Haut Conseil demande une meilleure transparence de l’utilisation des recettes de la taxe carbone.
« La transition bas-carbone doit être juste et perçue comme telle pour que les actions soient durablement soutenues par l’ensemble de la société », juge le Haut Conseil pour le climat. Il recommande donc au gouvernement de « veiller à l’équité de la transition et au caractère soutenable des solutions mises en place », et de « garantir une juste répartition des coûts et efforts entre les ménages, les entreprises, les collectivités locales et l’État ».
« Il s’agit de financer de nouvelles infrastructures, en particulier pour le transport »
Au niveau des transports, les experts observent une croissance de la demande des voyageurs, un retard dans l’électrification des véhicules et aucun report des automobilistes vers les trains, le vélo ou la marche, sur la période 2015-2018. « Il s’agit d’agir sur l’urbanisme et l’aménagement du territoire, de développer et financer de nouvelles infrastructures, en particulier pour le transport, de faire évoluer les filières d’approvisionnement, les marchés, les comportements de consommation, et les pratiques agricoles », écrivent-ils.
D’après eux, la stratégie nationale bas-carbone devrait être articulée à toutes les échelles, notamment régionale et infrarégionale, pour permettre « une appropriation des enjeux par les acteurs locaux ». De plus, le Haut Conseil encourage le gouvernement à agir pour que tous les budgets et actions politiques de l’Union européenne soient en cohérence avec les objectifs de l’Accord de Paris, et les objectifs français de neutralité carbone à l’horizon 2050.
Enfin, les experts recommandent que « le niveau du deuxième budget carbone présenté dans [le projet de stratégie nationale bas-carbone en cours de consultation] soit revu à la baisse, en cohérence avec la trajectoire à long terme et les dernières données sur les émissions nationales, et que les budgets carbone soient inscrits dans la loi et figés une fois leur niveau fixé ».
Le Haut Conseil pour le climat se veut critique et exigeant. « Bien qu’il n’y ait pas énormément de surprises dans notre rapport, c’est quand même la première fois, je pense, qu’on porte un regard avec des recommandations de fond pour dire quels sont les aspects, les blocs à mettre en place pour atteindre la neutralité en carbone en 2050 », se félicite la présidente du Haut Conseil, Corinne Le Quéré. Selon elle, la neutralité carbone d’ici à 2050 est parfaitement réalisable. Mais cela implique une transformation profonde de la société, et des efforts politiques conséquents.
1,5 °C : pourquoi il faut tout changer
Blog : Alternatiba : Changeons le système, pas le climat !
https://blogs.mediapart.fr/alternatiba/blog/170619/15-c-pourquoi-il-faut-tout-changer
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Rapport à la consommation, aux inégalités, à la production, au sens donné à la vie collective, à l’État : rester sous le seuil de 1,5 °C de réchauffement global suppose de réinterroger nos fondamentaux. On en a discuté avec Charles-Adrien Louis, du bureau d’études B&L évolution.
CAL, on a découvert l’étude de B&L Évolution, et on n’a jamais rien lu d’aussi concret sur la question du 1,5 °C. Est-ce que tu peux nous expliquer votre démarche ?
Aujourd’hui, on pense que les gens ont besoin d’éléments clairs pour pouvoir se positionner et comprendre le monde tel qu’il est et tel qu’il évolue. L’étude est partie du constat que, quand le GIEC nous dit qu’il faut faire des changements radicaux et prendre des mesures drastiques, on l’entend mais concrètement on ne voit pas ce que ça veut dire dans nos vies quotidiennes.
On pourrait avoir l’impression qu’il est possible de rester sous la barre de 1,5 °C sans remettre en cause nos modes de vie. Sur la base de notre expérience de gens qui manipulent des données climat à longueur de journée, on s’est dit qu’on allait essayer de calculer ça concrètement. Notre question de base, c’était : en prenant en compte la responsabilité historique de la France et les données du GIEC, où faudrait-il arriver en 2030 et comment faudrait-il faire ?
Et comment obtenir un tel calcul ?
Il faut se poser plusieurs questions. La première, c’est le niveau de gaz à effet de serre que pourra émettre un⋅e Français⋅e en 2030. C’est d’abord directement lié à la façon dont on perçoit l’évolution des inégalités. Si on considère que tous les humains sont égaux en termes d’émissions de gaz à effet de serre, ça ne donne pas le même chiffre que si on maintient les inégalités actuelles qui sont socialement inacceptables. Nous sommes partis sur un scénario intermédiaire qui nous paraissait réaliste, à savoir que chacun va réviser ses émissions de manière proportionnée, ce qui va permettre de réduire les inégalités.
Puis, on a choisi d’adopter une réflexion en matière d’empreinte carbone, c’est-à-dire en intégrant la consommation. Se cantonner à une approche par la production, c’est trop simple car ça permet de se dédouaner et de se dire qu’on a une politique climatique ambitieuse seulement parce qu’on a délocalisé, alors qu’en réalité c’est nous qui consommons les smartphones et les vêtements fabriqués en Asie. Inclure nos importations, ça rajoute 40 % d’émissions de gaz à effet de serre.
Ensuite, on a choisi parmi les différents scenarii proposés par le GIEC dans son rapport 1,5 °C. Pour rappel, le GIEC propose plusieurs scenarii : un sans captage et stockage de carbone, un qui se base sur une utilisation raisonnée de ces techniques-là et deux qui y ont recours massivement. Le premier nous semble irréaliste car il implique de réduire les émissions de façon tellement drastique que ça semble impossible sans provoquer un conflit généralisé. Nous on a fait un calcul de coin de table, et on s’est rendus compte que sur les deux derniers, quand le GIEC dit qu’en 2050 il faut stocker 20 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère par des techniques du type bois-énergie avec capture et stockage de carbone, les fameux BECCS, ça suppose que la moitié de la surface agricole actuelle soit plantée d’arbres. Donc en gros ça veut dire de ne plus manger, ou en tout cas de revoir notre capacité à alimenter la population. Et puis, il faut se rappeler qu’on s’appuierait sur des technologies qui ne sont ni prouvées, ni matures, ni développées au niveau industriel, et que ces scenarii supposent de dépasser largement les 1,5 °C, certes provisoirement, mais sans garantie aucune de ne pas se retrouver face à des boucles de rétroaction qui rendraient plus difficile la redescente.
Donc on a plutôt choisi le scénario qui nous semble le plus raisonnable, qui, lui, prévoit de dépasser 1,5 °C légèrement au milieu du siècle pour redescendre à la fin du siècle. Enfin, la dernière hypothèse qu’on a retenu, c’est l’absence de mesures en matière de démographie, tout simplement parce que son impact est marginal en 2030. Selon le GIEC, en gros, entre une politique très ambitieuse sur la démographie et une politique où on laisse faire, ça varie entre 8 et 8,5 milliards d’êtres humains sur terre, donc pas grand’chose.
Et tout ça, ça donne quoi ?
On est arrivés au chiffre de 3,7 tonnes de CO2 par français en 2030. On a choisi 2030 car c’est une année qui est beaucoup utilisée dans les objectifs au niveau français, mais aussi européen et international, mais également parce que c’est du court terme. On arrive à se projeter dans dix ans alors que 2050 ça parait loin. 2030, ça permet de montrer que les mesures drastiques dont on parle doivent être prises sur un temps relativement court.
Une fois qu’on a eu ce chiffre, on s’est demandé comment répartir ces 3,7 tonnes de CO2 et on a choisi de faire un peu comme la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) française, c’est-à-dire de diviser par secteur et de chercher comment réduire notre empreinte carbone au sein de chacun de ces secteurs. Le premier résultat global auquel on arrive, c’est qu’en 2030, on doit être deux fois plus ambitieux que la trajectoire de la SNBC si on veut être cohérent avec les hypothèses qu’on vient d’exposer.
Ensuite, secteur par secteur, on a essayé de calculer à combien d’émissions de gaz à effet de serre on a droit et comment il faut faire pour parvenir à réduire. Pour ça, on a eu une approche inverse de celle de négaWatt qui dit : d’abord on fait de la sobriété, puis de l’efficacité et ensuite des renouvelables. Nous, on a cherché le maximum qu’il est possible de développer en efficacité, en considérant que le reste de l’effort devait être fait en sobriété.
Prenons l’exemple du secteur des bâtiments : on considère qu’on peut faire 1 million de rénovations énergétiques par an. C’est déjà ultra-ambitieux car l’objectif national aujourd’hui c’est 500 000 rénovations par an, or on ne parvient à en faire que 250 000, et elles ne sont pas toutes performantes. En fonction des sources, on serait à 40 000 rénovations performantes, et selon Dorémi, le programme de rénovation de l’institut négaWatt, à 10 ou 20 000 très performantes sur les vingt dernières années, donc rien du tout ! Et même si on rénove et si on change les systèmes de chauffage, ce n’est pas suffisant ; il faut faire des mesures de sobriété.
Elle se concrétiserait comment, cette sobriété ?
Déjà, la loi dit qu’on n’est pas censés chauffer à plus de 19 °C, alors qu’en moyenne on chauffe à 21 °C. La première mesure c’est de revenir à 19 °C, mais même là ce n’est pas suffisant et au bout d’un moment on doit passer à 17 °C. Et pour que ce soit respecté, il faut qu’on puisse imposer une sorte de couvre-feu thermique où à partir de 22 h la température diminue. C’est avec ces raisonnements qu’on est parvenus à atteindre des mesures concrètes.
Un autre enjeu par exemple c’est qu’on doit chauffer moins par personne. Aujourd’hui, on a trop de surface par habitant. Donc soit on a des pièces non chauffées, comme des pièces d’été qu’on n’utilise pas l’hiver ou la cuisine en considérant qu’elle se chauffe toute seule avec le four, soit il faut que les gens se remettent à cohabiter pour vivre plus nombreux sur la même surface. On peut faire ça via la mixité intergénérationnelle, en retrouvant deux ou trois générations par habitat comme cela se faisait avant, plutôt que de mettre les personnes âgées en maison de retraite, ou alors par de la mixité intra-générationnelle, en poursuivant le système de colocation que les gens expérimentent beaucoup quand ils sont étudiants mais arrêtent très vite quand ils vont dans la vie active.
Chercher à illustrer les chiffres par secteur avec des mesures, c’était pour que les gens comprennent bien tout ce que ça suppose quand on dit : “on va rénover un million de logements”, et ne pensent pas que si on le dit c’est juste que c’est faisable sans modifier profondément la façon dont on fonctionne. Pour poursuivre l’exemple du secteur de l’habitat : il fallait aussi montrer qu’en se fixant un tel objectif, cela suppose de former 50 000 artisans du bâtiment en plus chaque année et que ceux-ci se répartissent partout sur le territoire. Aujourd’hui, on a un peu la vision que l’emploi c’est le tertiaire, tout le monde derrière son ordi, mais en fait il va vraiment falloir retrouver des emplois de terrain, les pieds dans la boue.
Il va falloir repenser toutes nos manières de penser. Par exemple, le rêve du pavillon individuel isolé en banlieue avec 200 m2 de jardin, c’est pas compatible. Il faut arrêter de construire ça dès aujourd’hui car ça consomme trop d’énergie, ça suppose de se déplacer en voiture, etc.
Mais on est vraiment en mesure de mettre en œuvre ce programme hyper ambitieux ?
Tout ce travail, il permet de montrer que le chemin pour rester sous la barre de 1,5 °C est compliqué et suppose de revoir notre rapport à des éléments fondamentaux. La croissance à tout prix, l’augmentation du pouvoir d’achat : tout ça c’est incompatible. Evidemment, on ne le dit jamais. À la télé, on dit toujours : ”Poursuivez la croissance et augmentez le pouvoir d’achat !” et pas “Diminuez les gaz à effet de serre, par contre voilà ce que ça implique”.
En réalité, le temps de réfléchir et les deux, trois ans qu’on perd à ne pas mettre ces mesures en place vont faire que l’objectif est quasi inatteignable. Pourtant, le chemin que l’on décrit reste celui qu’il faut prendre car chaque dixième de degré compte. Si on atteint 2 °C, c’est déjà mieux que 2,5 °C, etc.
Une autre difficulté bien sûr c’est que la France, c’est seulement 1 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. On n’est qu’une goutte d’eau ! C’est pour ça qu’il faut enclencher une dynamique internationale et bien entendu il y aura une certaine inertie, d’autant que certains pays n’ont pas une culture de réduction des émissions de gaz à effet de serre, comme on peut avoir quand même en Europe.
Atteindre tout ça est un travail extrêmement ambitieux, et pourtant nécessaire. En parallèle, au-delà de la diminution de nos émissions, c’est vital de penser l’adaptation. Et ça aussi on le fait très mal. Pour caricaturer, on est en train de diminuer nos émissions de gaz à effet de serre pour atteindre +4 °C et on s’adapte à un monde à +1,5 °C, alors qu’on devrait faire le chemin inverse.
Jusque là, on cherchait surtout à souligner la responsabilité des multinationales pollueuses et des dirigeant⋅e⋅s, notamment pour contrecarrer une approche qui prônait essentiellement des éco-gestes individuels. Là, on a le sentiment que la responsabilisation individuelle est particulièrement soulignée : est-ce parce que c’est le message qu’il faut faire passer dans l’opinion publique ?
Encore aujourd’hui, nous sommes dans l’utopie de la croissance verte : c’est ça qui provoque une politique de petits pas. Bien évidemment, les gestes individuels ne suffisent pas tant qu’on est face à un système capitaliste dont le modèle s’appuie sur l’extraction des ressources, et qu’aucune limite ne vient entraver sa capacité à générer de la pollution. On a trop tendance à vouloir culpabiliser l’autre, sans se rendre compte que le “système”, c’est d’abord l’ensemble des êtres humains. Si une entreprise fabrique un produit et qu’il ne se vend pas, elle fait faillite. C’est la base : aucune entreprise n’est indestructible, même si maintenant on a des entreprises “too big to fail” dont l’effondrement pourrait faire tomber un État. Mais n’empêche : le pouvoir est toujours entre les mains des gens, même si on essaie de bien leur cacher.
Notre parti pris à nous par rapport à cette responsabilisation des gens, c’est que tant qu’ils ne sont pas conscients de ce qu’il faut réellement faire, ils ne bougeront pas. Prenons l’exemple de l’avion. Le fait de dire qu’il faut arrêter de prendre l’avion nous a valu beaucoup de critiques car les gens voient ça comme une liberté fondamentale. Donc on pourra toujours dire à Air France d’arrêter ses vols ou à Airbus d’arrêter de construire des avions, mais ça ne servira à rien tant que les gens n’auront pas compris que ce n’est plus possible de prendre l’avion. C’est pour ça qu’il faut aider l’État à mettre des choses en place, car c’est ça le rôle de l’État : des gens qui s’organisent collectivement pour se donner des contraintes car ils savent qu’individuellement ils ont peut-être du mal à les respecter.
Et justement, dans le scénario et l’éventail de mesures que vous proposez, on a l’impression qu’il y a la nécessité de structures sociales solides permettant leur mise en place : est-ce que ça veut dire qu’on a nécessairement besoin d’un État fort ?
La vraie question c’est comment on considère l’État. Avec l’exemple de l’avion, on voit bien qu’il faut que les gens soient responsables et comprennent concrètement qu’on ne peut plus être dans un système de croissance et exiger du pouvoir d’achat. Attention, ce n’est pas incompatible avec du mieux-vivre. Il faut arrêter de penser qu’on vit mieux parce qu’on achète plus ! D’ailleurs, je propose de renommer le “pouvoir d’achat” par le terme “d’asservissement par l’achat”. Plein de gens en ont marre d’être asservis par l’achat. Il faut qu’on accepte le fait d’être dans une société de décroissance choisie. Rechercher la simplicité n’est pas incompatible avec le fait de vivre mieux, ça ne veut pas dire une situation apocalyptique.
Par contre, on ne connaît pas la démocratie comme système de gestion de la décroissance. Aujourd’hui, notre démocratie représentative est faite pour gérer une société de croissance où chaque année on a un petit plus, et on se demande qui va en bénéficier. Dans cette perspective-là, c’est facile d’accepter les inégalités : tu peux accepter qu’untel en aura plus, mais parce que tu sais que toi aussi tu vas en avoir quand même un petit peu. Au final personne ne régresse, c’est juste que les gens ont le sentiment de perdre des choses parce que l’augmentation de leurs besoins, imposée par la publicité notamment, augmente plus vite que leur capacité à assouvir ce besoin. Mais globalement on a plus de choses aujourd’hui qu’avant.
Dans la gestion de la décroissance, c’est différent : on doit répartir chaque année qui aura un peu moins qu’avant. On a jamais été confronté⋅e⋅s à ça, on ne sait pas faire ! Ça veut dire qu’il faut une démocratie différente, qui soit capable de gérer ça. Ça veut aussi dire quelque chose de fondamental : tu ne peux pas accepter d’inégalités dans une démocratie en décroissance. Tu ne peux pas accepter que toi tu vas perdre plus et que quelqu’un d’autre va gagner. Tu as besoin que tout le monde perde pour ne pas te sentir lésé, et que tout le monde perde la même chose proportionnellement. Aujourd’hui, on est dans un entre-deux : on a du mal à conserver une croissance et ce qui coince c’est le rapport aux inégalités qui sont exacerbées, ce que les gens ont de plus en plus de mal à tolérer.
Une démocratie en décroissance, ce n’est plus une démocratie de partis, mais de citoyens. Si on n’a plus des gens qui sont dans une perspective de faire carrière sur le long terme mais plutôt des gestionnaires de la société de décroissance pour qu’elle soit le plus possible acceptée par tout le monde, ça peut marcher. Ce qu’il faut, c’est que collectivement les gens puissent se mettre des contraintes. Ça ne veut pas dire qu’il faut un État autoritaire, mais que collectivement on soit en mesure de se mettre des contraintes fortes.
Certain⋅e⋅s trouvent vos mesures liberticides. Vous répondez quoi ?
On a été attaqués sur ça et on essaie de montrer que non, qu’il s’agit bien de gérer collectivement les contraintes. Mais au-delà du sens philosophique de liberté, concrètement c’est quoi ? Toute ma vie est régulée par des normes, des contraintes, des lois, autant de choses qui font que je ne suis pas libre de faire ce que je veux quand je veux. Tout est fait de contraintes. Il y a des gens qui disent “Se déplacer en avion, c’est une liberté fondamentale, et j’exige de continuer à en avoir le droit.” Bon, déjà, il n’y a qu’un humain sur sept qui a déjà pris l’avion. En France, il n’y a qu’une personne sur deux qui prend l’avion. On ne peut pas dire que ça fait partie des libertés fondamentales ou des droits fondamentaux des êtres humains comme le fait d’avoir le droit de respirer un air sain ou de boire de l’eau. Et puis j’ai jamais entendu, ou très marginalement, dire qu’ils prenaient l’avion pour prendre l’avion parce qu’ils kiffaient ça.
En réalité, ce que veulent les gens c’est consommer du déplacement : partir loin et vite, et ça ne peut se faire qu’en avion. C’est là où en fait collectivement on peut se demander ce qui nous semble fondamental. Si tu convertis l’interdiction de l’avion en interdiction de se déplacer, ça pose problème aux gens et c’est compréhensible. En plus, dans une société de déclin où on veut éviter les conflits, avoir du brassage culturel c’est super important. Mais continuer à aller loin ne veut pas dire forcément prendre l’avion. Consommer du déplacement ce n’est pas quelque chose de kiffant en soi. Par contre, voyager, oui, c’est intéressant. Mais aujourd’hui on ne voyage jamais : on ne prend pas le temps. Changer ça, ça suppose de repenser notre organisation collective. Quand tu as deux, trois semaines de vacances, tu ne peux que consommer du déplacement. Si on veut voyager sans prendre l’avion, ça veut simplement dire qu’il faut aussi qu’on revoie notre rapport au travail, ou plutôt à l’asservissement par le travail.
Au fond, sur chaque mesure où il y a marqué “interdiction”, c’est plutôt l’occasion de faire le point sur nos besoins fondamentaux pour voir comment on continue à les assouvir en retirant la partie superficielle qui est la plus émettrice de gaz à effet de serre.
Tu parlais des inégalités et du fait que dans une société de décroissance, il fallait que chacun perde la même chose proportionnellement pour conserver un sentiment de justice. En quoi cette trajectoire peut permettre la résorption des inégalités concrètement, et quelles seront les limites ?
Déjà, il faut relativiser le terme “perdre”, je n’ai pas le sentiment, aujourd’hui, qu’à chaque fois que le PIB augmente, on y gagne quelque chose. En tout cas, on n’est globalement pas plus heureux, pas véritablement plus épanoui, plutôt plus anxieux et toujours aussi dépendant d’une activité rémunératrice, dont le sens laisse de plus en plus de gens perplexes. Donc décroître, c’est surtout redevenir raisonnable dans sa consommation d’énergie, donc dans la quantité de choses qui vont être produites pour nous.
Aujourd’hui, pour schématiser, notre consommation est faite de besoins, plus ou moins fondamentaux, et de superflu. Une part significative de notre activité consiste à faire du superflu un besoin. Ça, c’est la première chose que nous devons arrêter, c’est de nous obliger à avoir de nouveaux besoins qui n’ont rien de nécessaires. Attention, je ne dis pas que les innovations ne servent à rien, mais que certaines de nos pratiques sont parfois superflues. Prenons l’exemple de notre rapport aux habits. Les vêtements sont un besoin des humains. D’abord physique, nous devons nous couvrir pour nous maintenir au chaud. Ensuite social, nous véhiculons pas nos vêtements un “style”, une appartenance à tel ou tel groupe, c’est depuis longtemps un marqueur de notre identité. Là on reste dans le besoin. Le superflu, c’est le fait qu’on achète en moyenne 20 kg de vêtements neufs par an et par personne. Que presque un quart des vêtements achetés ne sont jamais mis ou très peu. À quoi ça sert de dépenser de l’argent, de créer des flux de matières et d’énergie, uniquement pour posséder puis jeter un vêtement ?
Si je parle de ça, c’est que j’ai le sentiment qu’une grosse partie de notre perception des inégalités provient de la gestion du superflu. Dans les pays riches, comme chez nous, les besoins de base sont couverts pour pratiquement tout le monde. Les inégalités arrivent par le fait que certains se limitent aux besoins de base, alors que d’autres repoussent toujours les limites du superflu.
De mon point de vue, la gestion de la décroissance, c’est décider collectivement de ce que nous considérons comme des besoins de base et nous assurer que tout le monde puisse les conserver.
La décroissance intervient donc sur le superflu et les contraintes que nous nous mettrons collectivement viseront à limiter la part de superflu d’un individu.
On peut traduire ça sur les salaires. Aujourd’hui, nous avons un salaire minimum et pas de salaire maximum. C’est quelque chose de possible dans une société dont le PIB est en croissance. Mais ça devient impossible en décroissance. La décroissance du PIB, c’est la diminution de la masse globale de salaire. Alors, comment gère-t-on le fait que les gens auront globalement moins de salaire ? Soit vous faites sauter le salaire minimum, soit vous mettez un maximum de gens au salaire minimum pour que quelques-un⋅es puissent continuer de se gaver, mais je ne vois pas comment ces deux options peuvent être acceptées socialement ; soit vous fixez un salaire maximum et automatiquement ça réduit les inégalités.
La limite de tout cela, c’est que plus nous attendons, plus nous devrons revoir à la baisse nos besoins de base. C’est ça le drame du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité. Parce qu’on n’ose pas franchir le pas, qu’on poursuit notre utopie de la croissance infinie, qui ne nous apporte finalement plus grand’chose collectivement, nous diminuons ce que nous pourrons faire plus tard et nous accélérons le rythme auquel nous devrons nous priver du superflu.
Larrialdi klimatikoak mundu mailako « apartheid » bat sortuko duela ohartarazi du NBEk
Urko Apaolaza Avila
www.argia.eus/albistea/larrialdi-klimatikoak-mundu-mailako-apartheid-bat-sortuko-duela-ohartarazi-du-nbek
Article
Philip Alston Nazio Batuen Erakundeko kontalariak klima aldaketak eragin ditzakeen desberdintasun sozialak eta pobrezia salatu ditu txosten batean.
« Apartheid klimatikoa » deitu dio Alstonek datorren mehatxuari. Pobreen eta aberatsen arteko bereizketa gero eta handiagoa aldaketa klimatikoaren kalteen aurrean. Lehenek aldaketa hori gehien eragin duten bitartean, bigarrenek nozituko dituzte kalte handienak. « Azken 50 urtetan pobrezia desagerrarazteko egin dugun aurrerabidea desegin dezake », dio kontalariak.
Muturreko pobreziaren eta giza eskubideen inguruko txostenean atera ditu ondorio horiek NBEko ordezkariak, Txostena ostiral honetan aurkeztuko du Genevan NBEen Giza Eskubideen Batzordearen aurrean.
« Gaur egungo helburuak beteko balira ere, milioika lagun pobretuko dira, migrazio eta gosete orokorra ekarriko baitu [larrialdi klimatikoak] ». Hala, bere esanetan 2030erako gutxienez 120 milioi lagun gehiago egongo lirateke muturreko pobrezian. Aurreikuspen baikorrenek tenperaturaren 1,5 graduko igoera globala etorriko dela diote, hortaz, elikadura-segurtasun falta handia ekarriko du horrek: « Askok aukeratu beharko dute, migratu edo gosea pasa ». 30 urteren buruan 140 milioi lagun tokiz aldatzera kondenaturik egongo lirateke, batez ere Afrikan, Asian eta Hego Amerikan.
Apartheida agerikoa izango dela dio Alstonek, aberatsek korporazio pribatuei ordainduko baitiote larrialditik ihes egiteko, « gainerako munduak sufritzen duen bitartean ». Aldaketa klimatikoa interes pribatuen mesederako erabiltzeak dakartzan arriskuak ere gogorarazi ditu, natur baliabideak are gehiago ustiatu eta mundua gehiago berotuko delako gisa horretan.
Eragina oinarrizko beharretatik harago ere nabarituko da, demokraziaren kalitatean adibidez: « Eskubide zibil eta politikoak oso zaurgarri bihurtuko dira », azaldu du kontalariak. Alarma horien guztien aurrean, AEBetako Trumpen, Brasilgo Bolsonaroren eta antzeko administrazioei kritika zorrotza egin die, alarma horiek ez entzuteagatik eta « neurri miopeak » hartzeagatik. Brasilen, esaterako Amazoniako oihana meatzaritzara irekitzeko saiakera dagoela gogorarazi du.