Bangkok sous les eaux en 2030 ?
Stéphane Foucart et Sophie Landrin
Le Monde du 25.06.2013
Prévoir l’évolution du climat, c’est (presque) possible
Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/prevoir-l-evolution-du-climat-c-est-presque-possible,35178?xtor=EPR-9
Obama dévoile son plan pour lutter contre le réchauffement climatique
Le Monde.fr avec AFP, 25.06.2013
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Obama: un discours climatique en trompe-l’œil
Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/obama-un-discours-climatique-en-trompe-l-il,35319?xtor=EPR-9
L’Amérique se réveille, enfin !
Editorial du « Monde » du 26.06.2013
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Le « meilleur discours sur le climat jamais prononcé par un président », selon Al Gore
Le Monde.fr avec AFP, 26.06.2013
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Les obstacles au plan climat d’Obama
Audrey Garric
Le Monde du 26.06.2013
L’indignation, patrimoine de l’humanité. Maintenant, le Brésil.
Esther Vivas
http://esthervivas.com/portugues/lindignation-patrimoine-de-lhumanite-maintenant-le-bresil/
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Bangkok sous les eaux en 2030 ?
Stéphane Foucart et Sophie Landrin
Le Monde du 25.06.2013
On s’en souvient. A l’automne 2011, la Thaïlande endurait les pires inondations qu’elle ait connues en cinquante ans : 64 des 77 provinces du pays étaient touchées, la moitié des districts de Bangkok étaient sous ordre d’évacuation. L’ampleur du désastre se lit dans le bilan final : plus de 600 morts, des dégâts évalués à quelque 35 milliards de dollars (26,7 milliards d’euros) et une croissance économique amputée pour l’année d’au moins 2 %.
Cette exception deviendra-t-elle, à l’horizon des prochaines décennies, une norme ? C’est ce que redoute la Banque mondiale qui, dans son rapport sur les impacts régionaux du réchauffement, publié le 19 juin, place Bangkok parmi les mégalopoles les plus vulnérables au changement climatique.
PONCTION TROP INTENSIVE DES RESSOURCES
La capitale thaïlandaise est vulnérable à plusieurs titres. Bâtie voilà trois siècles sur des terres marécageuses, à 1,5 mètre à peine au-dessus du niveau de la mer, la ville a ponctionné de manière trop intensive ses ressources. Les industriels prélèvent chaque année 2,8 millions de mètres cubes d’eau dans la nappe phréatique. Bangkok s’enfonce de 1 à 2 cm chaque année, sous l’effet non seulement de l’épuisement des eaux souterraines, mais aussi du poids des constructions, de l’érosion et des glissements de terrain. Bangkok est désormais dans une sorte de cuvette. Douze millions d’habitants sont menacés.
La ville est en outre bordée par une zone de l’océan Indien qui, soumise à certains courants marins, s’élève plus vite que la moyenne mondiale. « Sans politique d’adaptation, il est estimé que la superficie inondable de Bangkok du fait des événements de précipitation extrême et de la hausse du niveau de la mer sera de 40 % en cas d’une élévation du niveau de la mer de 15 centimètres », estime la Banque mondiale. Un scénario qui pourrait devenir réalité dès les années 2030, selon l’institution. Bien pire est attendu à l’horizon 2080, avec 88 cm d’élévation du niveau de la mer, si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas infléchies.
Menacée, au sud, par l’océan Indien, la ville est, au nord, très vulnérable aux crues provoquées par les épisodes de mousson abrupts. Or le changement climatique rend plus probables de tels épisodes – leur recrudescence récente semble déjà en témoigner. A l’automne 2011, c’étaient précisément de tels événements qui avaient plongé une grande part de la Thaïlande dans le chaos. Le centre de Bangkok, tout proche de la mer, avait alors été protégé des inondations par des digues dressées à la hâte, confinant l’eau dans les zones périphériques de la mégalopole. A l’avenir, le centre de la ville, coeur battant des milieux d’affaires du pays, sera pris en tenaille : la mousson au nord, la mer au sud.
En réponse, le gouvernement prévoit la construction de digues le long du fleuve Chao Phraya, qui traverse la ville, la mise en place d’un système de pompage, la construction de canaux de détournement et la plantation des palétuviers. Face au péril, le cabinet d’architectes thaïlandais S+PBA propose de construire « Wetropolis », une véritable ville flottante et insubmersible conçue par rapport à la renaissance des mangroves. Faute de succès, le royaume risque de payer, à très court terme, un lourd tribut économique au réchauffement : les industriels japonais implantés dans le centre du pays risquent, simplement, de déménager leurs usines…
Prévoir l’évolution du climat, c’est (presque) possible
Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/prevoir-l-evolution-du-climat-c-est-presque-possible,35178?xtor=EPR-9
En intégrant les effets sur le climat des grandes oscillations océaniques, des chercheurs français avancent sur la voie de la prévision, à 10 ans, des changements climatiques. Une petite révolution.
C’est l’une des principales demandes des décideurs en matière de climatologie.
Politiques, entrepreneurs, urbanistes ou planificateurs de grandes infrastructures n’ont cure de savoir si la température moyenne grimpera, dans le monde, de 1,5°C ou de 2°C d’ici 2050. Pour savoir où et comment construire (adaptation), les bâtisseurs de la France de demain veulent savoir comment évaluera le climat dans les années qui viennent et à l’échelle la plus réduite possible. Hélas, les efforts des climatologues et des modélisateurs n’ont pas été couronnés de succès.
Jusqu’à présent (et le prochain rapport du Giec le redira), ils peuvent «tout juste» annoncer les évolutions plausibles de certains grands phénomènes régionaux (les moussons, par exemple) ainsi que les possibles changements de régime de précipitations. Un laboratoire privé français est en train de changer la donne.
Peu connu du grand public, le Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique (Cerfacs) est un labo privé développant, pour le compte d’industriels, des simulations numériques complexes: combustion, comportement d’aéronefs, etc. Comptant parmi ses dirigeants le climatologue Laurent Terray, il travaille aussi sur la modélisation du climat, l’une des plus complexes qui soient.
Adossé à Météo France et aux universités de Reading et de Toronto, et financé par la fondation BNP Paribas, le labo toulousain vient d’achever la première phase de son programme Preclide de prévisibilité du climat à court terme.
Prévoir les changements climatiques, rappelle Laurent Terray, suppose bien sûr de connaître le système climatique global, les effets des forçages naturels (variations du rayonnement solaire, éruptions volcaniques) et anthropiques (accroissement des concentrations de gaz à effet de serre, usages des sols), ainsi que leurs interactions.
Par exemple, les émissions de polluants atmosphériques russes assombrissent la glace arctique qui, réfléchissant moins la lumière solaire, contribuent à réchauffer (et à faire fondre) les glaciers. De quoi alimenter le moteur de l’élévation du niveau des mers.
La mer, c’est justement la grande préoccupation des chercheurs du Cerfacs. Les autres climatologues n’ont jamais mis de côté cet acteur majeur de notre système de climatisation planétaire. Mais ils ne l’ont sans doute pas suffisamment pris en compte. C’est du moins l’avis de Laurent Terray, dont la méthode tient compte de la capacité des oscillations océaniques, atlantiques et pacifiques à moduler le réchauffement climatique. Ce qui n’est pas sans effet local.
Intégrer au «reste» du système climatique et de ses interactions la variabilité interne de l’océan permet de modéliser l’évolution du climat à 10 ans. «Nous avons ainsi mis en évidence une anti-corrélation entre l’oscillation atlantique multi-décennale et le débit du Salat, un petit affluent de la Garonne», indique Laurent Terray.
Les premiers résultats de Preclide montrent qu’en intégrant dans les modèles l’état de l’océan réel aux dates de démarrage de la prévision, la prévisibilité du climat à 10 ans est de qualité, notamment sur l’Atlantique Nord et l’Europe, et en particulier pour les températures. Pour se faire la main, les chercheurs ont simulé l’évolution du climat pour la période 1960 à 2005, bien documentée.
Même si beaucoup reste à faire avant de classer Preclide dans la catégorie des outils de prévision, Laurent Terray estime que si nous ne réduisons pas nos émissions, la température augmentera, en France, de 1,5 à 2°C d’ici 2050. Bien plus que l’évolution enregistrée entre 1750 et 2000.
Obama dévoile son plan pour lutter contre le réchauffement climatique
Le Monde.fr avec AFP, 25.06.2013
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Le président Barack Obama a estimé mardi 25 juin que les Américains payaient déjà, « partout dans le pays », le prix du changement climatique et qu’il est impératif d’agir.
« La question est de savoir si nous aurons le courage d’agir avant qu’il ne soit trop tard et la manière dont nous répondrons aura un profond impact sur le monde que nous laisserons… à nos enfants et nos petits-enfants », a-t-il déclaré, en dévoilant une stratégie nationale pour réduire les émissions de gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement climatique en cours. « En tant que président, en tant que père et en tant qu’Américain, je suis ici pour vous dire que nous devons agir », a-t-il poursuivi.
LE PROJET CONTROVERSÉ KEYSTONE XL DÉPEND DE LA POLLUTION DE CO2
M. Obama a indiqué avoir ordonné à l’Agence de protection de l’environnement (EPA) d’élaborer des normes réglementant les émissions de gaz à effet de serre des centrales électriques à charbon. Le président Obama a également indiqué que le projet controversé de pipeline Keystone XL entre le Canada et les Etats-Unis ne serait approuvé que s’il ne génère pas un accroissement des émissions de gaz à effet de serre.
M. Obama s’était engagé en 2009 à réduire les émissions de gaz à effet de serre des Etats-Unis de 17 % au-dessous de leur niveau de 2005 d’ici à 2020. Le Congrès avait rejeté en 2009 un ambitieux projet de loi sur l’énergie et le climat visant à atteindre cet objectif.
Mais depuis sa réélection en novembre 2012, M. Obama a réaffirmé à plusieurs reprises sa ferme intention de reprendre l’initiative sur le climat, « une obligation morale à l’égard de nos enfants ». En février, lors de son discours sur l’état de l’Union, il a appelé le Congrès à agir, avertissant qu’en l’absence d’avancées, il procéderait par décrets utilisant la loi sur la pureté de l’air (Clean Air Act) pour réglementer les émissions carboniques.
Les Etats-Unis comptent 1 142 centrales au charbon et 3 967 centrales au gaz naturel, nettement moins polluantes, qui, au total, produisent 68 % de l’électricité américaine, contre 19 % pour le nucléaire et 6,7 % pour l’hydroélectricité.
Obama: un discours climatique en trompe-l’œil
Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/obama-un-discours-climatique-en-trompe-l-il,35319?xtor=EPR-9
Très attendu, le discours sur le climat du président américain aura plus d’effets économiques et politiques qu’environnementaux. Voici pourquoi.
Le président américain a tenu sa promesse. Mardi 25 juin, Barack Obama a bien prononcé un discours présentant la politique climatique qu’il entend mettre en œuvre durant les trois dernières années de son ultime mandat. Très attendue, cette série d’annonces a pourtant de quoi décevoir.
Que promet le locataire de la Maison blanche?
Barack Obama va demander à l’agence fédérale de protection de l‘environnement (EPA) de fixer des limites d’émission de gaz carbonique pour les centrales thermiques actuelles et à venir. Ces deux propositions de normes devront être respectivement sur la table en juin 2014 et en septembre 2013. Rien de vraiment nouveau puisque les textes existent déjà. L’EPA avait présenté une première mouture de ces textes en avril… 2012. Mais l’avait vite remballée devant le tollé qu’elle avait suscité, dans les rangs républicains et chez les partisans de l’industrie charbonnière.
Attachée à alléger l’empreinte carbone du secteur électrique (responsable de 40% des émissions US de CO2), l’administration démocrate adoucira la rudesse des normes futures par 8 milliards de dollars (6 Md€) d’aides fiscales pour faciliter la transition énergétique des producteurs et des consommateurs de charbon. Une ligne budgétaire qui pourrait être financée par l’arrêt des subventions octroyées jusqu’ici aux compagnies pétrolières et gazières. A condition que le Congrès l’accepte, bien sûr.
Washington entend aussi faciliter la construction de fermes éoliennes et de centrales photovoltaïques sur les terres fédérales. Barack Obama espère ainsi que 10.000 mégawatts de capacités éoliennes et solaires nouvelles seront mises en service d’ici 2020. Ce qui équivaut à l’effort que la France devra accomplir dans les mêmes domaines et sur la même période.
Parallèlement, les agences fédérales devront installer 100 MWc de photovoltaïques sur leurs immeubles. On frôle là le ridicule.
L’ancien sénateur de l’Illinois (l’Etat automobile) a aussi annoncé un durcissement des normes d’émission des poids lourds, pour 2018. Ce qu’il a déjà fait avec les véhicules légers et les voitures en 2012 [JDLE].
Quelle efficacité climatique?
Au total, Barack Obama espère que la mise en œuvre de ces mesures permettra d’éviter l’émission cumulée de 3 milliards de tonnes de dioxyde de carbone d’ici 2030. Impressionnant? Pas vraiment. Cela permettra tout juste aux Etats-Unis de tenir l’engagement pris à Copenhague en 2009: réduire de 17% le bilan carbone américain entre 2005 et 2020.
Car, avec la reprise économique, les courbes d’émission repartent à la hausse. Entre 2005 et 2011, les émissions nationales ont diminué de près de 10%, estime le service de statistiques du secrétariat à l’énergie (EIA): les dividendes de la crise économique et du boom des gaz non conventionnels. Hélas, avec le renchérissement du prix du gaz et l’effondrement de ceux du charbon, industriels et électriciens reviennent au King Coal. Et selon des prévisions de l’EIA, l’Oncle Sam pourrait voir, cette année, son bilan carbone s’alourdir de 2,5%. Une tendance qui pourrait se poursuivre encore longtemps.
Business as usual?
En fait, c’est sur l’aspect économique de la lutte contre le changement climatique que Barack Obama fait montre d’un réel dynamisme. Grâce au récent accord arraché au président chinois sur les HFC [JDLE], le président américain va promouvoir les techniques alternatives à ces gaz réfrigérants dotés d’un dramatique pouvoir de réchauffement global.
Dans la même veine, la Maison blanche entend initier des négociations, au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), pour libéraliser le commerce des biens environnementaux, parmi lesquels on peut classer les sources de production d’énergies renouvelables, en général, et solaire en particulier. Autre perche tendue à la Chine.
Des mesures symboliques?
Même pas. Nombre d’observateurs attendaient du président américain qu’il annonce l’abandon du projet de super oléoduc canado-américain. Il n’en a rien été. Barack Obama a bien évoqué le Keystone XL mais pour aussitôt préciser que «notre intérêt national sera préservé seulement si cet oléoduc ne contribue pas significativement au problème climatique». Le calcul est vite fait. Avec une capacité annoncée de transport de 800.000 barils de pétrole par jour, le super «pipe» contribuera à l’émission d’environ 125 millions de tonnes de CO2 par an. Soit 2% des émissions nationales.
Un sans-faute politique?
Au-delà de la lettre de son discours, Barack Obama fait néanmoins preuve d’une certaine habilité. Les mesures annoncées ne sont pas suffisamment fortes pour hérisser durablement le poil des républicains. Le locataire de la Maison blanche a d’ailleurs pris soin de rappeler que 75% des capacités éoliennes du pays étaient installées dans des districts tenus par des élus… républicains.
A l’extérieur, l’initiative américaine devrait susciter l’enthousiasme. Et notamment dans les pays les moins avancés (PMA) qui ont bien entendu que les Etats-Unis allaient investir 7 Md$ (5,3 Md€) dans l’aide à l’adaptation aux changements climatiques des PMA. Reste à savoir d’où viendra l’argent. Les grands émergents ont noté que Washington voulait dynamiser le commerce des sources «d’énergies propres». Ce qui ne peut qu’intéresser la Chine, premier producteur mondial de panneaux solaires.
Les parties prenantes à la négociation internationale y voient aussi la volonté de l’Hyperpuissance d’aller de l’avant. Dans un communiqué commun, les ministres français des affaires étrangères, de l’écologie et du développement saluent «les mesures présentées» par Barack Obama. «Elles marquent l’engagement des Etats-Unis dans ce combat majeur et devraient contribuer à une dynamique positive dans les négociations internationales», poursuivent Laurent Fabius, Delphine Batho et Pascal Canfin. L’important, c’est d’y croire.
L’Amérique se réveille, enfin !
Editorial du « Monde » du 26.06.2013
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Bonne nouvelle : les Etats-Unis sont de retour sur le front de la lutte contre le changement climatique. C’est le message qu’a souhaité envoyer Barack Obama en annonçant un « premier plan d’action global » dans un discours prononcé, mardi 25 juin, à l’université de Georgetown, à Washington.
Atténuation des émissions de gaz à effet de serre des centrales électriques les plus polluantes, relance des énergies renouvelables, plan d’adaptation aux événements climatiques extrêmes dans un pays encore meurtri par les ravages de l’ouragan Sandy : ce discours était attendu par des Américains déçus par le piètre bilan de son premier mandat.
Il ne l’était pas moins par tous ceux qui considèrent que les Etats-Unis, par leur inertie, tiennent depuis plusieurs années la négociation climatique internationale en otage. Les Américains ne sont pas les seuls responsables. Il reste que sans eux – deuxième pollueur de la planète après la Chine – aucun accord ambitieux n’est possible.
Or le temps presse. Depuis la conférence de l’ONU sur le climat, à Copenhague, en 2009 – lors de laquelle le fameux seuil des 2 °C de réchauffement maximal a été adopté –, les statistiques démontrent jour après jour que les engagements ne sont pas tenus. Ce qui se profile d’ici à la fin du siècle, c’est une hausse moyenne des températures proche de 4 °C.
Les promesses de M. Obama peuvent-elles faire la différence ? Dès 2009, juste après son élection, le président démocrate avait érigé la lutte contre le réchauffement au premier rang de ses priorités. Il affirmait : « Différer n’est pas une option. » Deux ans plus tard, face à l’intransigeance du Congrès, il abandonnait son projet de marché du carbone. Et l’urgence climatique était remisée au second plan.
Il n’est plus question, cette fois, d’attaquer frontalement l’opposition républicaine. Pour contourner l’obstacle du Congrès, M. Obama a choisi d’emprunter la voie réglementaire. L’Agence de protection de l’environnement sera chargée d’établir, d’ici à 2015, des normes de pollution pour les centrales à charbon qui fournissent – en dépit de la montée en puissance du gaz de schiste – encore 40 % de l’électricité aux Etats-Unis.
C’est bien, mais rien ne garantit que ces futures normes seront ambitieuses. Tout comme il est difficile d’évaluer la portée de la palette de mesures présentées à Georgetown. Au mieux, celles-ci devraient permettre aux Etats-Unis d’atteindre les objectifs fixés en 2009, à savoir une réduction de 17 % des émissions de gaz à effet de serre en 2020 par rapport à 2005. Au-delà, M. Obama ne dit plus rien. Que fait-on après 2020 ? C’est tout l’enjeu de la négociation internationale.
Le président, qui affirme l’ambition des Etats-Unis de mener le combat contre le changement climatique sur la scène mondiale, ne pourra faire l’économie du débat sur l’avenir s’il veut être jugé crédible par ses partenaires. Après des années d’immobilisme américain, le temps est au mouvement. Il faut s’en réjouir. D’autant que la Chine vient d’annoncer qu’elle allait bouger en ce sens. C’est important : sans les numéros un et deux de l’économie mondiale, rien n’est possible.
Le « meilleur discours sur le climat jamais prononcé par un président », selon Al Gore
Le Monde.fr avec AFP, 26.06.2013
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Le vaste plan révélé mardi 25 juin par le président américain, Barack Obama, pour combattre le changement climatique a été largement salué par les groupes de défense de l’environnement, qui le jugent crédible tout en soulignant que la bataille est loin d’être gagnée. Pour Al Gore, il s’agit même « du meilleur discours sur le climat jamais prononcé par un président ». Colauréat du prix Nobel de la paix 2007 pour son engagement dans la lutte contre le réchauffement, grâce en particulier au film Une vérité qui dérange, l’ancien vice-président se félicite sur son blog de « la décision de limiter la pollution carbonique de toutes les centrales électriques ».
Le principal obstacle pour Barack Obama sera de finaliser, avant la fin de son mandat début 2017, des normes fédérales forçant les centrales électriques au charbon à réduire leurs émissions de dioxyde de carbone (CO2), juge Alden Meyer, responsable de la stratégie pour l’Union of Concerned Scientists. Ces centrales fournissent encore plus de 37 % de l’électricité des Etats-Unis.
Premier président américain à s’y attaquer, Barack Obama demande à l’Agence de protection de l’environnement (EPA) de proposer des normes réglementant le CO2 des centrales au charbon d’ici juin 2014 et de les finaliser en 2015. Pour Alden Meyer, réglementer les émissions de carbone ne sera pas suffisant, il faudra en plus un mécanisme pour taxer le carbone afin de décourager les pollueurs et encourager les énergies propres comme le solaire et l’éolien.
« Nous aurons également besoin de donner un prix aux émissions carboniques qui reflétera les coûts grandissants du changement climatique et le Congrès devra alors agir », explique-t-il. Le Sénat américain, à majorité démocrate, avait rejeté en 2010 un projet de loi prévoyant la création d’un marché d’émissions de CO2 (« Cap and trade ») qui aurait pénalisé les plus gros pollueurs.
« DÉCLARER LA GUERRE AU CHARBON »
Eileen Clausen, présidente du Center for Climate and Energy Solutions, une ancienne de l’administration Clinton, juge « crédible cette stratégie étendue d’utiliser les outils à la disposition du président pour muscler la réponse contre le changement climatique ». Mais, ajoute-t-elle, « mettre en œuvre ce programme va être extrêmement difficile… et requerra un plein engagement présidentiel pour traduire les bonnes intentions en mesures concrètes ».
Pour Bill Snape, du Center for Biological Diversity à Washington, l’initiative de M. Obama « n’est pas assez ambitieuse et ne va pas assez vite pour faire face à l’ampleur terrifiante de la crise climatique ». Le plan Obama a néanmoins reçu un accueil favorable en Europe. « Je me félicite naturellement de voir que les Etats-Unis avancent finalement sur le climat », a déclaré la commissaire européenne sur le climat, la danoise Connie Hedegaard.
De leur côté, les producteurs américains d’électricité, représentés par l’Edison Electric Institute, « veulent être sûrs que toutes les nouvelles politiques ou réglementations pour réduire les émissions de CO2 des centrales au charbon prévoient des limites et un calendrier réalistes et minimisent les coûts pour les consommateurs ». Pour sa part, l’opposition républicaine a accusé M. Obama d’avoir « déclaré la guerre au charbon » en imposant des réglementations coûteuses et en fixant des objectifs environnementaux qu’elle juge irréalistes aux opérateurs des centrales électriques.
Les obstacles au plan climat d’Obama
Audrey Garric
Le Monde du 26.06.2013
Le vaste plan révélé mardi 25 juin par le président américain, Barack Obama, pour combattre le changement climatique a été largement salué par les groupes de défense de l’environnement. Cependant, si son discours sur les marches de l’université de Georgetown, à Washington, marque une « étape importante », reste à voir « si Barack Obama remplira ses engagements », prévient Elliot Diringer, vice-président exécutif de l’ONG américaine Center for Climate and Energy Solutions.
Ce plan est-il un pas décisif dans la lutte des Etats-Unis contre le changement climatique ?
C’est le plan le plus important proposé par un président américain sur le climat. Barack Obama a exprimé à la fois l’urgence à lutter contre les émissions de dioxyde de carbone (CO2) et celle à se protéger des conséquences du changement climatique. Ce n’est pas un plan idéal, qui aurait requis un Congrès qui veut agir sur le climat avec le président. Mais c’est sans doute le meilleur qu’il peut proposer alors que les républicains du Congrès bloquent toute avancée.
Comment Barack Obama a-t-il contourné cette opposition du Congrès ?
Barack Obama a changé de stratégie. Lors de son premier mandat, il avait proposé un projet de loi, le Cap and Trade Act, instaurant un système de marché d’émissions de gaz à effet de serre, qui aurait débouché sur un plan bien plus ambitieux de réduction des émissions en pénalisant les plus gros pollueurs. Mais le texte a été abandonné en juillet 2010, faute d’avoir été adopté par le Sénat, sous la pression des républicains.
Cette fois, maintenant que l’enjeu des élections est passé, le président a décidé d’utiliser tous les outils à sa disposition et les autorités existantes pour avancer malgré tout sur ce point, comme il l’avait promis lors de son discours sur l’état de l’Union, en février. Il a donc décidé d’utiliser le seul instrument actuellement disponible, la loi sur la pureté de l’air (Clean Air Act), adoptée en 1970 pour lutter contre les polluants atmosphériques traditionnels – comme par exemple le dioxyde de soufre (SO2) –, et dont l’application dépend de l’Agence de protection de l’environnement (EPA).
Depuis une décision de la Cour suprême américaine de 2007, Massachusetts v. EPA, les gaz à effet de serre entrent dans la définition légale des gaz polluant l’atmosphère. L’EPA est donc légalement tenue de limiter leurs émissions. Le président a alors demandé à l’EPA de préparer des normes de pollution pour les centrales électriques en vertu du Clean Air Act, ce qui n’est pas soumis à l’obligation d’une approbation par le Congrès.
Ces limites contraignantes sont-elles une première pour les centrales électriques ?
L’an dernier, l’EPA avait déjà proposé des normes pour limiter la pollution des nouvelles centrales, mais elles n’avaient pas été finalisées. L’agence avait reçu plus de 2 millions de commentaires et estimé que l’approche choisie (le fait de séparer les standards pour les centrales au charbon et pour celles au gaz naturel) n’était pas la bonne. Barack Obama a donc demandé à l’EPA d’édicter de nouvelles normes, d’ici à septembre 2013 et juin 2014, qui s’appliqueront cette fois à toutes les centrales, nouvelles comme existantes. C’est une avancée car les centrales existantes sont responsables d’un tiers des émissions de CO2 des Etats-Unis. Reste à voir en quoi elles consisteront.
Quels sont les obstacles à l’application de ces normes ?
Le calendrier, à savoir la finalisation des normes d’ici à juin 2015, est très, même trop, ambitieux. C’est un sujet complexe techniquement, dans la mesure où le secteur électrique diffère entre chaque Etat. Il y a aussi des obstacles légaux. L’EPA doit en effet s’appuyer sur une loi qui n’a pas été prévue pour lutter contre le CO2. Elle risque donc de rencontrer des difficultés juridiques pour réguler ces émissions. Or, si les normes ne sont pas bien rédigées, cela pourrait ouvrir la voie à des procès de la part d’industriels ou d’Etats.
Il faudra voir si le président continue de défendre l’adoption de ces normes dans les mois à venir, notamment au moment des élections de mi-mandat, en 2014, dans la mesure où les républicains vont très certainement utiliser ce thème pour l’attaquer.
En quoi peuvent consister ces standards ?
L’EPA est contrainte par le type de régulation qu’elle peut proposer : le Clean Air Act ne permet ainsi pas de mettre en place une taxe carbone ou un marché carbone, qui seraient nécessaires pour lutter efficacement contre les émissions de gaz à effet de serre. Elle pourra seulement définir la quantité d’émissions de gaz à effet de serre autorisée pour chaque unité d’énergie produite.
Les industriels auront à leur disposition différents moyens pour y parvenir, tels que gagner en efficacité énergétique ou se convertir à des sources d’énergie moins polluantes – gaz naturel, énergies renouvelables ou nucléaire. A plus long terme, si l’on continue de brûler du charbon, il faudra aussi capturer et stocker du CO2. C’est trop tôt pour savoir si les nouvelles normes vont requérir cette technologie. Il y a peut-être d’autres moyens moins coûteux de réduire les émissions.
Les autres mesures annoncées, comme le plan d’adaptation aux événements climatiques extrêmes, sont-elles suffisantes pour permettre aux Etats-Unis d’éviter de nouvelles catastrophes comme Sandy ?
Non, nous aurons besoin de bien plus que ces promesses. Mais je pense qu’avec le temps, la sensibilisation croissante de la population aux conséquences du changement climatique – du fait des événements climatiques extrêmes – forcera le Congrès à prendre des mesures plus fortes. Il faudra ainsi fixer un prix au carbone – qu’il s’agisse de taxe ou de marché –, afin de forcer les entreprises comme les particuliers à limiter leurs émissions et réduire la demande en énergie.
Ce discours était une étape importante. Mais la vraie question est de savoir si Barack Obama poursuivra dans cette voie et remplira ses engagements. Nous aurons besoin d’un engagement continu du président pour asseoir une crédibilité américaine sur la scène internationale en matière de climat.
L’indignation, patrimoine de l’humanité. Maintenant, le Brésil.
Esther Vivas
http://esthervivas.com/portugues/lindignation-patrimoine-de-lhumanite-maintenant-le-bresil/
Inattendue, intempestive et non planifiée, ainsi se présente l’indignation. On l’a vu en Tunisie, en Egypte, en Islande, dans l’Etat espagnol et plus récemment en Turquie. Et aujourd’hui au Brésil. La vague de l’indignation atteint ainsi deux pays géopolitiquement clés. Si, il y a quelques semaines, le Printemps turc surprenait les Turcs eux-mêmes et à l’étranger, aujourd’hui l’histoire se répète avec l’explosion sociale brésilienne.
Le cycle de protestations inauguré par les révoltes dans le monde arabe est toujours ouvert. Et en dépit du fait que tous ces processus de changement, de mécontentement de ceux d’en bas, partagent des éléments communs, ils ne sont pas strictement le décalque des uns et des autres. Chacun d’entre eux répond à ses propres particularités, contextes, expériences et écrivent ainsi leur propre histoire. Cependant, la dynamique de contamination mutuelle est indubitable, d’autant plus dans un monde globalisé, fortement connecté et avec le rôle clé et amplificateur des réseaux sociaux et des médias.
L’indignation qui s’exprime ces jours ci au Brésil signifie son entrée dans le continent latino-américain, qui constituait récemment la référence à l’échelle mondiale en termes de luttes sociales contre le néolibéralisme et l’impérialisme. Les protestations massives des étudiants au Chili en 2011 signalaient déjà le ras-le-bol de la jeunesse vis-à-vis d’une caste politique soumise aux intérêts des marchés. La protestation brésilienne actuelle, avec toutes ses particularités, reproduit et à réinvente à la fois des discours, des instruments 2.0, des acteurs du cycle de protestation indigné global.
Les jeunes des grandes villes, oubliés des politiques des hautes sphères, sont une fois de plus ceux qui impulsent la lutte. Majoritairement non organisés, la plupart d’entre eux expriment pour la première fois leur mécontentement dans la rue, en occupant l’espace public et en faisant entendre leurs voix. Ce qui a commencé comme une protestation contre l’augmentation abusive des tarifs du transport public, dans l’un des pays où ils sont déjà élevés en comparaison au pouvoir d’achat des couches populaires, s’est développé en une mobilisation citoyenne sans précédent, la plus importante dans l’histoire récente du pays.
La corruption, l’inégalité, la mauvaise qualité des services publics, les grands événements « tape à l’œil » et les infrastructures pharaoniques qui vident les caisses de l’Etat constituent seulement une partie des causes. Car c’est aussi le dégoût vis-à-vis d’une caste politique qui renforce ses pratiques de corruption et qui fait la sourde oreille aux revendications sociales, qui s’allie à des banquiers et des technocrates accros à l’usure et au vol et aux conservateurs religieux qui veulent dicter des lois pour « soigner les homosexuels », dans une croisade contre les libertés sexuelles et reproductives. C’est aussi le dégoût des latifundistes assassins des peuples indigènes et des écologistes. Un mécontentement latent contre tout cela qui, finalement, explose.
Face à une telle mobilisation sociale, les autorités de dizaines de villes, parmi elles Río de Janeiro et São Paulo, ont annulé l’augmentation des tarifs. Mais cette réaction officielle arrive trop tard. Comme avant à Sidi Bouzid (Tunisie) ou à Taksim (Turquie), la mèche a déjà pris feu. Ce qui a commencé comme une expression de rage face à une injustice s’est entrelacé à un malaise beaucoup plus profond. Et la peur a commencé à changer de camp. La démonstration est faite que l’indignation est un patrimoine de l’humanité. Aujourd’hui, c’est au tour du Brésil. A qui le tour ?