Articles du Vendredi : Sélection du 28 juin

Christophe Cassou, climatologue : « Les valeurs du RN sont incompatibles avec la transition écologique »
Audrey Garric
www.lemonde.fr/planete/article/2024/06/26/christophe-cassou-climatologue-les-valeurs-du-rn-sont-incompatibles-avec-la-transition-ecologique_6243893_3244.html

Coauteur du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, Christophe Cassou dénonce le « rassurisme » du Rassemblement national en matière climatique.

Directeur de recherche (CNRS) à l’Ecole normale supérieure et coauteur du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le climatologue Christophe Cassou réagit à la situation politique créée par la dissolution de l’Assemblée nationale.

Quelles conséquences pour le climat anticipez-vous en cas d’accession de l’extrême droite au pouvoir ?

Le programme du Rassemblement national (RN) développe une illusion de protection mais nous met en réalité dans une position de grande insécurité. Le soutien aux énergies fossiles par des allégements de taxe, la promotion de la voiture thermique, l’opposition aux énergies renouvelables qui s’accompagne d’une politique de relance irréaliste du nucléaire, l’affaiblissement des réglementations qui visent à préserver la qualité des sols, de l’eau, etc., vont faire exploser les émissions de gaz à effet de serre et nous enfermeront dans des mondes d’insécurité alimentaire, sanitaire, énergétique, économique. Le RN ne propose rien de réaliste pour sécuriser les rendements agricoles – en jouant sur la confusion entre souveraineté et sécurité alimentaire –, rien pour lutter contre les vagues de chaleur qui vont devenir plus sévères avec une mortalité accrue, rien pour lutter contre les passoires thermiques. Les coûts humains, sociaux et économiques liés au changement climatique vont être de plus en plus élevés et seront portés de manière disproportionnée par les plus vulnérables.

Mais l’enjeu principal, à mon sens, n’est pas là. Commenter le programme du RN pour le climat et entrer dans un débat technique, c’est lui donner une forme de crédibilité. C’est le mettre au même niveau que les autres partis et participer ainsi au processus délétère de banalisation qui nous a conduits là où nous sommes aujourd’hui. On ne peut pas faire comme si l’on était à la veille d’une élection classique, alors que les fondamentaux de la vie démocratique sont en danger. Même si l’extrême droite était pro-climat, cela ne changerait rien. Ce n’est plus une question de solutions pour le climat, mais de valeurs. On ne peut pas séparer les mesures sur l’environnement du reste du programme du RN, qui attaque les valeurs humanistes.

Les valeurs du RN sont-elles compatibles avec la transition écologique ?

Non, elles sont incompatibles avec la transition écologique. Se diriger vers une société plus résiliente au changement climatique implique de promouvoir des valeurs humanistes, de solidarité et d’inclusivité. Les prises de décision doivent être le plus démocratiques, justes et équitables possible, elles doivent diminuer les inégalités et les risques pour les personnes les plus vulnérables. En remettant en cause la lutte contre les passoires thermiques, par exemple, le RN va accroître la précarité énergétique des plus modestes, qui grelottent l’hiver et étouffent l’été.

L’extrême droite joue sur les peurs, nourrissant les clivages et généralisant les haines, par idéologie xénophobe. A l’inverse, la transition écologique nécessite une société apaisée, plus solidaire et collaborative, et implique une ouverture, et non pas un repli sur soi. Dans les scénarios socio-économiques que nous avons évalués, au sein du GIEC, pour tracer des trajectoires futures possibles, l’hypothèse de résurgence des nationalismes est incluse dans un narratif nommé « rivalités régionales », qui se concentre sur les enjeux nationaux et les problèmes de sécurité, et qui s’illustre par des émissions de gaz à effet de serre élevées. A l’inverse, un scénario de forte coopération internationale, peu intensif en ressources et en énergie, avec une priorité donnée au développement durable, est celui qui conduit à limiter les risques climatiques.

Le RN est-il un parti climatosceptique ?

Ce parti était d’abord dans le climatoscepticisme pur et dur, où le changement climatique n’existait même pas, puis dans la remise en cause de la responsabilité humaine.

Aujourd’hui, il est dans un déni de vulnérabilité et adopte un discours qui tend à décrédibiliser les solutions possibles, qui seraient plus mauvaises que les impacts du changement climatique eux-mêmes.

Marine Le Pen a déclaré que le GIEC est « alarmiste », alors que la gravité de la situation repose sur les faits scientifiques établis de manière transparente par les chercheurs du monde entier. C’est du « rassurisme » : le RN laisse penser que l’on a du temps pour lutter contre le changement climatique, ce qui est une tromperie. Chaque jour qui passe, avec son lot d’événements extrêmes, aggrave notre vulnérabilité, augmente le nombre de morts, de communes qui n’auront plus accès à l’eau, de personnes qui ne peuvent plus s’assurer, d’espèces vivantes qui disparaissent.

Quelle position, en tant que scientifique, pouvez-vous tenir dans cette période électorale ?

A mes yeux, à ce stade, les enjeux de climat et de biodiversité sont malheureusement secondaires. Nous sommes face à une crise, un moment historique où le respect des valeurs fondamentales et démocratiques n’est plus garanti. Il faut plutôt axer les débats sur ces dernières.

D’autant que le climat et la biodiversité ne constituent pas un argument de vote. Au contraire, ils jouent un rôle de repoussoir. Les faits scientifiques sont devenus inaudibles ; pire, ils sont retournés pour en faire des armes contre ceux qui les portent. Par exemple, la fin de la vente des véhicules thermiques en 2035, décidée par l’Union européenne, conduira à réduire les émissions de gaz à effet de serre et la pollution de l’air, et s’avère bonne pour le climat, la santé, la sécurité, l’économie. Cette mesure a été retournée par l’extrême droite, qui avance qu’elle conduirait à davantage d’inégalités parce qu’elle entraînerait des coûts, sans préciser qu’il y aurait des accompagnements sociaux. L’extrême droite joue sur la défiance vis-à-vis de la science et la dénigre, supprimant toute la complexité du débat. Les scientifiques sont présentés comme étant déconnectés de la réalité sociale, économique, et assimilés aux élites.

« Toutes les campagnes contre les politiques climatiques depuis la fin des années 80 ont des liens avec le réseau Atlas. »
Anne-Sophie Simpere
https://multinationales.org/fr/enquetes/le-reseau-atlas-la-france-et-l-extreme-droitisation-des-esprits/toutes-les-campagnes-contre-les-politiques-climatiques-depuis-la-fin-des-annees

Jeremy Walker, professeur à l’University of Technology de Sydney en Australie, étudie depuis des années les agissement du réseau Atlas dans son pays et au niveau international. Pour lui, l’opposition aux politiques climatiques et environnementales est la clé du développement du réseau depuis les années 1980, et explique son alignement sur des positions ultraconservatrices sur les sujets de société. Rencontre.

Comment est-ce que vous avez commencé à vous intéresser au réseau Atlas ?

Jeremy Walker : Si je remonte aux origines, je crois que je pourrais aller jusqu’à mes années étudiantes, où on manifestait contre la destruction des forêts primaires. Les entreprises forestières nous accusaient de nous mettre en travers de la croissance économique et de l’emploi. Cette vision économique où les ressources seraient infinies et pourraient être exploitées jusqu’au bout, sans conséquences, m’a interpellé. Cela a continué en 1992 avec les conférences internationales sur la biodiversité ou le climat, avec beaucoup de frustration à chaque fois, car il n’y avait pas d’accord ambitieux. Et à côté, dans les médias, il y avait des discours qui remettaient en cause l’existence même des dérèglements climatiques, portés par des économistes. Pourquoi ces économistes contredisaient-ils la science ? Je me suis intéressé au néo-libéralisme, puis j’ai lu The Road from Mont Pèlerin [1]… C’est quand on établit leurs liens avec l’industrie fossile, qui a financé très tôt la construction de ces réseaux, que ce narratif prend tout son sens. Sinon ça n’a aucune logique de clamer que les ressources seraient infinies, qu’il n’y a pas de limites écologiques et que tous les scientifiques du GIEC se trompent. En réalité, ces « économistes » servent surtout à porter les revendications des grandes entreprises, en les masquant derrière un discours académique.

Dès 1976, John Bonython, l’un des fondateur de l’entreprise pétrolière australienne Santos, écrit à propos du fondateur du réseau Atlas, Antony Fisher : « Fisher a une technique qui consiste à amener les universitaires à dire et à écrire en leur propre nom ce que les entreprises ne peuvent pas dire pour elles-mêmes. […] La méthode de Fisher me semble être la meilleure que j’aie jamais rencontrée (…)

 [Cette méthode] n’est pas sporadique, c’est un processus continu [2]. » Le réseau Atlas a reçu des financements d’Exxon, mais aussi de milliardaires qui ont bâti leurs fortunes sur le pétrole, le tabac, d’autres industries polluantes ou la finance (Scaife Foundation, Koch Industries…). En Australie, les subventions qui ont permis de fonder le Center for independant studies (CIS) en 1979, qui rejoindra ensuite le réseau Atlas, viennent de Santos, Shell, BHP, Rio Tinto, Western Mining Corporation (WMC).

L’opposition aux politiques climatiques est l’un des enjeux clés derrière l’expansion massive du réseau Atlas

Dès la fin des années 80, le public commençait à être informé des risques de dérèglement climatique à cause des énergies fossiles – une information que les entreprises pétrolières avaient depuis longtemps. Ces dernières ont alors orienté leurs stratégies de relations publiques avec l’idée « d’accentuer l’incertitude ». Il y a eu les premiers groupes climato-sceptiques, les premiers ouvrages sur le sujet comme celui de Fred Singer, qui a également créé en 1990 le Science & Environmental Policy Project (SEPP), qui a été domicilié à la même adresse que les bureaux du réseau Atlas, et ensuite de la Fondation Charles Koch. Pour autant que je sache, toutes les campagnes pour s’opposer aux politiques climatiques depuis la fin des années 80 ont des liens, d’une nature ou d’une autre, avec le réseau Atlas. Et je pense que cette opposition aux politiques climatiques est l’un des enjeux clés derrière l’expansion massive du réseau (d’une quarantaine de think tanks fin des années 90 à plus de 500 aujourd’hui).

Dans plusieurs pays, on voit aussi que ces think tanks portent des idées très conservatrices socialement, à côté du libéralisme économique, et se rapprochent de l’extrême-droite. A quoi est lié cet agenda réactionnaire selon vous ?

Il n’y a rien de libéral dans le néo-libéralisme : ils travaillent pour les multinationales, ils ne veulent pas de taxes sur les entreprises, pas d’obstacles aux transferts des capitaux, ils veulent maximiser les profits… La démocratie ne les arrange pas forcément. Ils ne veulent pas d’un parlement fort qui va pouvoir établir des régulations environnementales ou mettre en place des politiques de redistribution. Dans les années 1980 et 1990, ils ont largement gagné la « guerre économique » de la mondialisation : ils ont eu le libre-échange, des tribunaux d’arbitrage, la dérégulation de la finance… Bien sûr, ils continuent à se battre sur le plan économique : on a encore une éducation publique, un système de santé publique, auxquels ils s’attaquent. Mais ils ont beaucoup avancé dans ces domaines là aussi. En Australie, par exemple, les écoles privées reçoivent aujourd’hui plus de fonds que les écoles publiques.

Aujourd’hui, leur nouveau champ de bataille est la « guerre culturelle ». Ca leur permet d’avoir des votes, de mobiliser une partie de la population en attisant leurs colères, leurs frustrations. C’est plus facile de faire réagir les gens sur les sujets de « guerre culturelle » que sur la dérégulation bancaire. Et puis ils peuvent utiliser les idées réactionnaires pour pousser leurs intérêts. Par exemple, ils détestent les aides sociales. Pour les attaquer ils vont utiliser le cliché de la « black welfare queen », c’est-à-dire la mère célibataire afro-américaine qui profite de l’État providence. Cela permet d’avoir le soutien de personnes racistes. En Australie, le racisme a été mobilisé stratégiquement dans la campagne pour s’opposer au référendum accordant des droits aux communautés aborigènes. Et ce, même si l’opposition de départ des think tanks du réseau Atlas repose davantage en réalité sur le fait que donner aux aborigènes une Voix permanente au Parlement national menace l’accès des industries extractives à leurs terres.

Cette campagne contre le référendum « The Voice » est l’un des récent succès du réseau Atlas en Australie. Comment est-ce qu’ils s’y sont pris ?

Il faut savoir que l’Australie est un pays très riche en ressources minérales. Et aussi un État qui n’a pas reconnu ses populations indigènes dans sa constitution. L’an dernier, il y a eu une tentative pour obtenir cette reconnaissance, et le réseau Atlas s’est mobilisé pour que ça échoue. On est passé de 65 % de soutien à la reconnaissance des droits des aborigènes à 40 %. Ils ont été très efficaces, ils ont trouvé un homme et une femme issus de communautés aborigènes qui étaient liés depuis des années à leur think tanks, qui étaient là pour répéter les slogans qu’ils avaient conçus contre le référendum. Et ils les ont envoyés partout, dans tous les médias, tout le temps, comme s’ils représentaient une opinion majoritaire parmi les aborigènes. Ce qui n’était absolument pas le cas.

Les droits constitutionnels des communautés aborigènes sont aussi remis en cause, parce qu’ils sont des obstacles au développement pétrolier et minier, chez notre voisin néo-zélandais. Le traité de Waitangi de 1840 reconnaît les droits préexistants des Maori à la terre et leur assure une position forte au Parlement. Les think tanks Atlas étaient très opposés à la politique de Jacinda Ardern et ont mené des campagnes contre elle, jouant sur les colères des électeurs autour de la gestion de la crise du covid ou l’opposition au vaccin. Maintenant, le nouveau gouvernement veut s’attaquer aux droits des populations indigènes et au traité de Waitangi.

Parmi les ministres, on trouve David Seymour, qui sera vice-premier ministre à partir de mars 2025 (selon l’accord de coalition), et qui a travaillé pour des think tanks du réseau Atlas au Canada (Frontier centre for public policy et Manning Center) et a suivi un programme de formation de l’Atlas Network, le think tank MBA.

Sur quels autres sujets les partenaires d’Atlas en Australie sont-ils mobilisés ?

En parlant constamment du nucléaire dans les médias, les think tanks du réseau Atlas ont réussi à changer les termes du débat public.

En Australie, nous avons sept ou huit partenaires du réseau Atlas, les deux plus gros étant l’Institute of Public Affairs (IPA) et le CIS, l’un portant des discours qui vont apparaître plus raisonnables, à destination des classes moyennes, du monde du business, et l’autre beaucoup plus virulent et radical. Mais tous coordonnent dans une certaine mesure leurs campagnes. En ce moment, on a une énorme campagne visant à convaincre le public qu’il y a besoin d’énergie nucléaire en Australie. Ce qui est fou, c’est que personne ne proposait ça sérieusement avant. On s’est opposés aux mines d’uranium, aux essais nucléaires français dans le Pacifique… Et aujourd’hui, alors que l’on pourrait avoir un déploiement massif des énergies renouvelables, avec du solaire et de l’éolien peu coûteux, on a cette idée ridicule qu’on aurait besoin de nucléaire. Les réacteurs, on mettrait dix à vingt ans à les construire, on n’a pas les ressources en eau pour les refroidir, et les « mini-réacteurs » dont on nous parle, ça n’existe pas et aucune communauté n’en voudra à côté de chez elle. Tout ça vise à empêcher que l’on développe les renouvelables le plus vite possible, avec notre potentiel énorme. Mais, en parlant constamment du nucléaire dans les médias, les think tanks du réseau Atlas ont réussi à changer les termes du débat public, et les oppositions se sont engouffrées dedans.

Ils ont aussi des campagnes systématiques contre l’éolien offshore, qui permettrait de se passer de l’électricité à base de charbon ou de gaz dans les grandes villes. Elles sont menées sur le même modèle que les campagnes similaires aux États-Unis, avec des fausses informations conçues là-bas et diffusées à travers des groupes Facebook ou d’autres canaux. D’une part, il va y avoir de fausses « associations locales » (community groups) qui sont montées. Aux États-Unis, des journalistes ont montré que des partenaires d’Atlas étaient derrière, comme le Caesar Rodney Institute ou le Heartland Institute. En Australie, c’est pareil : on se retrouve face à des organisations un peu mystérieuses, et derrière on se rend compte que leurs « experts » ont des liens avec l’IPA, le CIS ou d’autres think tanks du réseau. Et d’autre part, ces campagnes se basent sur une fake news » : que les éoliennes offshore tueraient les baleines. Ce n’est pas vrai, mais ils le répètent partout.

Comment ces think tanks peuvent-ils avoir autant d’influence, et comment pourrait-on la réduire ?

Ils ont des entreprises et fondations très puissantes derrière eux – on a déjà parlé des géants du gaz et du pétrole, des banquiers. Mais il y a aussi des liens avec l’empire Murdoch par exemple. Le père de Rupert Murdoch, Keith Murdoch, a été l’un des co-fondateur de l’IPA en Australie. Et ces think tanks ont toujours quelqu’un de prêt à aller à une interview à la télévision. Ici les médias sont très concentrés, et les médias Murdoch sont dominants.

Les porte-parole des partenaires du réseau Atlas peuvent aller y dire ce que les entreprises ne peuvent pas exprimer directement, sans être accusés de défendre des intérêts établis. Ils se font appeler « Instituts » pour avoir l’air universitaire, ils se qualifient de « fellow », « researchers », mais ils ne sont pas vraiment des centres de recherche. D’ailleurs, ils passent aussi du temps à tenter de discréditer de vrais chercheurs, notamment en sciences sociales. Comme ils le formulent eux-mêmes, leur rôle est de « propagandiser » des idées pour le compte d’entreprises qui restent cachées. C’est de la propagande car ils trompent le public à des fins politiques. Ils diffusent des messages qui sont faux : les changements climatiques n’existent pas, les éoliennes tuent les baleines, les communautés aborigènes ne veulent pas la reconnaissance de leurs droits… Et ils cachent les intérêts commerciaux qu’ils défendent (ceux de très grandes entreprises) ainsi que le fait qu’ils coordonnent leur action à travers le réseau Atlas.

Il est donc important d’exposer ces liens et ces intérêts. De préciser qu’une personne appartient au réseau Atlas quand elle s’exprime pour influencer l’opinion ou les décideurs. Ils détestent ça. Leur succès tient aussi au fait qu’ils bombardent le public de messages prétendument « indépendants » en faisant croire qu’ils viennent de plusieurs sources, alors qu’ils viennent tous d’une même source : le réseau Atlas et ses alliés les médias. Ils n’aiment donc pas qu’on montre ça non plus.

Notes

[1The Road from Mont Pelerin : The Making of the Neoliberal Thought Collective, livre collectif publié par Harvard University Press en 2015.

[2] Bonython, J. 1976, Letter from Bonython to Murchison, 19 August 1976

Dans un quartier populaire, un PMU transformé en bar des luttes

Estelle Pereira
https://reporterre.net/A-Nimes-un-PMU-transforme-en-bar-des-luttes

Dans un quartier pauvre de Nîmes, trois amis ont transformé un bar PMU en un lieu d’écologie populaire. Rencontres, cafés des luttes, cantines solidaires… Les classes sociales s’y mêlent et les luttes locales s’y organisent.

Le long du boulevard Gambetta, la terrasse du Bar du midi se remplit vite en ce mercredi ensoleillé. Tout le monde cherche de l’ombre en bougeant les tables qui finissent par endroit à n’en former plus qu’une. Le repas à prix libre, servi en solidarité avec une famille de réfugiés, fait l’unanimité à coup de « miam, c’est drôlement bon ! », « à ton avis, c’est quoi comme épice ? ». « Rien de tel que la nourriture pour délier les langues et déclencher des discussions », commente Romain, 37 ans, chercheur indépendant en histoire sociale et cogérant de ce bar PMU à vocation sociale.

L’envie des trois amis, lorsqu’ils ont racheté le lieu en décembre 2022 grâce à un emprunt bancaire, était de parvenir à mélanger des groupes sociaux qui jusqu’alors ne se côtoyaient pas en conservant dans son jus le PMU installé là depuis 60 ans. Ainsi, les anciens clients du bar, plutôt pauvres et racisés, sont restés et ont vu débarquer à leur table des étudiants, des syndicalistes, des militants. « Beaucoup n’y croyaient pas, nous disaient que ça n’allait pas marcher à cause de la réputation du quartier », se remémore Clément, 35 ans, cogérant.

Concrètement, on y va pour boire un verre ou pour aller à une réunion militante, assister à une projection ou écouter une conférence. Début juin, ils ont même lancé le premier festival d’écologie populaire Les Vers du ter-ter, avec une question : « Comment reprendre le pouvoir sur notre alimentation ? »« La nourriture est une question éminemment politique », résume Romain.

Leur ambition : faire de l’écologie populaire. Et cela commence avant tout, pour Romain, par casser les barrières symboliques et géographiques entre les quartiers nîmois en permettant aux habitants de se retrouver, de discuter, d’échanger. Si le bar met à disposition ses locaux pour la campagne des législatives anticipées, Romain insiste : « Même si nous sommes contre l’arrivée du Rassemblement national au pouvoir, nous ne voulons pas être utilisés par un parti politique. Nous entendons plutôt favoriser le mouvement social, l’organisation des citoyennes et citoyens par eux-mêmes pour qu’ils puissent mettre à leur tour la pression aux élus. »

Quartier coupé du reste de la ville

Le quartier Gambetta-Richelieu est classé « quartier prioritaire de la politique de la ville » pour son niveau de pauvreté (selon l’Insee, 43 % de sa population vivait sous le seuil de pauvreté en 2022). Bien que situé à la lisière du centre-ville nîmois, le quartier est coupé du reste de la ville — Nîmes fait partie des dix villes les plus ségréguées en France [1]. Autrement dit : le revenu détermine le lieu de vie des habitants, et les riches et les pauvres peuvent vivre à 100 mètres de distance sans jamais se croiser.

« Les personnes les plus précaires sont aussi les plus confrontées aux effets du changement climatique, à la hausse du coût de l’énergie, de l’alimentation et elles sont aussi celles que l’on entend le moins sur ces questions. Pourtant, elles pratiquent une écologie

“subie” : prendre les transports en commun, consommer moins, les quartiers populaires le font déjà au quotidien », insiste-t-il.

Créer des passerelles après des années de ségrégation et de banalisation des idées racistes : le défi est immense. Avec son air joyeux, Mohsen, 72 ans, est ravi de l’ouverture du bar. « La politique de la France est de mettre les immigrés dans des ghettos. Un lieu comme le Bar du Midi casse cette spirale de séparation. Mais pour sortir les gens d’un ghetto, il faut du temps ! Il y a des immigrés qui vont au bar, qui ne discutent pas forcément au début, parce qu’ils ont des difficultés de langage, mais au moins il y a un contact. Petit à petit, les gens oublient leur appréhension », observe le retraité plein d’espoir.

« Les rencontres faites au Bar du Midi nous permettent de toucher terre »

, réagit Odessa, 35 ans, membre du comité de quartier Gambetta-Révolution. L’association chargée de porter la voix des habitantes et habitants auprès des pouvoirs publics ne dispose pas de locaux pour se réunir.

L’arrivée du Bar du Midi, qui met une salle de réunion à disposition, est une bouffée d’air selon Isabelle, 62 ans, coprésidente du comité : « Les gens se referment de plus en plus sur eux-mêmes. Ils sont happés par les écrans et cela s’est accentué avec le Covid. Notre combat est de les faire sortir de chez eux, qu’ils voient qu’il existe autre chose que l’argent et la société de consommation et que l’on peut agir à son échelle pour son quartier. »

Un lieu pour parler politique

« Dans les autres quartiers populaires de la ville, il n’existe aucun lieu pour discuter de la politique », déplore Madani, 55 ans. Accolé à l’entrée du bar, ce militant de longue date pour le droit au logement dans les quartiers populaires estime avoir « réglé plus de problèmes ici que dans n’importe quel endroit ». Un ami d’enfance, originaire comme lui de la ZUP Nord, le quartier populaire de Valdegour, l’accoste, les yeux gonflés de fatigue. Il lui raconte avoir subi la veille un contrôle de police dans son épicerie et lui montre une vidéo de son arrière-boutique saccagée. « Pourquoi ont-ils été obligés de tout détruire ? », enrage-t-il. Pendant qu’il vide son sac, des gens lui tapent dans le dos en signe de soutien.

Madani rebondit : « Faire de l’écologie populaire, c’est aussi et surtout se sentir concernés par les difficultés des habitants des quartiers : le racisme, les violences policières, le mal-logement. Autant de sujets qui nécessitent aussi des actions politiques et de la solidarité. »

Derrière le bar, tout sourire, Clément, ancien designer social, sert tour à tour cafés et bières. Un client paye sa tournée à son voisin. Une coutume à en croire le tableau où sont notés les « cafés suspendus », payés par certains pour ceux qui n’en auraient pas les moyens. Le cogérant trouve son rôle sur le lien social plus important dans un tel lieu que lorsqu’il travaillait pour des ministères : « Nous voyons des amitiés qui se créent, des solidarités qui se mettent en place. »

Sur un kiosque, une vingtaine de titres de presse indépendante et des livres sont à disposition. Des conférences, des projections sont régulièrement organisées. Les trois associés ont voulu un bar où l’accès au savoir est facilité. Mais aussi un endroit où l’on peut s’informer sur les initiatives locales. « La ville de Nîmes compte énormément d’associations, mais chacune bosse dans son coin. Je constate beaucoup d’épuisement parmi les militants. La question est : comment faire pour s’entraider, se soutenir ? » explique Romain.

Autour d’un « café des luttes », des associations locales ont pu partager leur combat : celui contre le contournement ouest de Nîmes – un projet de 2×2 voies sur 15 km qui menace d’artificialiser 150 hectares de zones naturelles – ou encore celui du comité de quartier pour la création d’un îlot de fraîcheur à la place d’un immeuble. La Confédération paysanne du Gard et le collectif nîmois de soutien aux Soulèvements de la Terre ont pu annoncer leur projet de création de la Sécurité sociale de l’alimentation.

« Il y avait besoin d’un lieu comme celui-ci pour que chacun puisse sortir de sa léthargie et de son entre-soi », appuie Odessa. Une façon de réapprendre à vivre ensemble, à faire société, en somme. « Parler des quartiers alors que tu n’y vis pas, parler de l’agriculture alors que tu ne cultives pas, si tu ne côtoies pas les gens et que tu restes sur la théorie, tu loupes forcément des choses », pense Josépha, 24 ans. Militante et bénévole, elle espère que pour sa prochaine édition, le festival se tiendra en lien avec tous les autres quartiers populaires nîmois.

Vandana Shiva: «Patriarkatuak dio natura hilda dagoela, eta aldarrikatzen du zerbait sortuko duela suntsitzen ari den horrekin»
Isabel Jaurena
www.berria.eus/euskal-herria/patriarkatuak-dio-natura-hilda-dagoela-eta-aldarrikatzen-du-zerbait-sortuko-duela-suntsitzen-ari-den-horrekin_2126561_102.html

Emakumeak eta natura hertsiki lotuta daudela sinesten du Vandana Shiva ekofeministak. Haren ustez, lotura hori badagoela atzendu zaie herritar anitzi, eta azpimarratzen du garrantzitsua dela ikuskera horretara itzultzea, «ama lurraren demokraziaren» bidez

Feminismoa eta ingurumena. Ingurumena eta feminismoa. Maiz elkarrekin ageri dira bi kontzeptuok. Baina ba al dago loturarik mugimendu horien artean? Emakumeak al dira ingurumenaren alde gehien lan egiten dutenak?

Eta, kontrara, ingurumena suntsitu duen sistema lotuta al dago maskulinitatearekin? Vandana Shiva (Dehradun, India, 1952) ekintzaile ekofeministak urteak eman ditu horren inguruan hausnartzen. Shivak uste du gizakia eta natura elkarri lotuta daudela, eta ingurumen larrialdiari erantzuteko modua dela lotura horretaz jabetzea; ez, ordea, Lurra hilda dagoela pentsatzea eta diru iturri soiltzat hartzea.

Calcuta Ondoan GKE gobernuz kanpoko erakundeak gonbidatuta, bere filosofiaz mintzatu eta hausnartu du berriki Shivak, Donostian.

Apartheid ekologikoa kontzeptua erabiltzen duzu maiz. Zeri egiten diozu erreferentzia: gizakiaren eta naturaren arteko banaketari, edo, oro har, gizartean ugaritu den nagusitasun sentimenduari?

Bi planteamenduekin zuzen zabiltza. Izan ere, guztia dago konektatuta: gizakiaren eta naturaren arteko bereizketa artifiziala guztiz lotuta dago gizaki batzuk bertzeengandik modu bortitz eta basati batean banatzearekin. Betiere, boterea eta pribilegioa oinarri izanda. Urteen joanak erakutsi du aldatu egin dela hori gertatzen den modua, baina ez prozesua bera.

Prozesu horiek guztiek, beraz, hierarkia baten beharra dute?

Ezagutzaren hierarkiak eraikitzen diren moduen beharra, esanen nuke. Apartheid epistemiko deritzot nik horri. Hau da, badago pertsona talde bat ez duena deus ere sortzen baina tresnak asmatzen dituena bertze herritar batzuek edo naturak berak sortzen dutenaren jabe izateko. Adibidez, apartheid ekonomikoa ageria da ez zaionean baliorik ematen emakumeek, laborariek eta naturak ingurumenaren alde egiten duten lanari; ordea, horiek erabiltzen dituzten haziak, erraterako, enpresa handien jabetzakoak bihurtzen dira azkenerako. Beraz, haien lanari baliorik ez emateaz gain, aitortza eta lan hori bera kendu egiten diete.

Feminismoaren eta mugimendu ekologistaren arteko lotura hertsia dela erranen zenuke?

Bai. Enpresa handien kontra borrokatzen ziren kasu jakin batzuen berri izan nuenean jabetu nintzen ni horretaz, guztiek faktore bat zutelako komunean: emakumeak ari ziren ingurumenaren alde. Adibidez, Indiako Plachimada eskualdean Coca-Cola enpresak planta bat egin nahi zuen, bertan ur anitz zutelako. Bada, enpresak egunean 1,5 milioi litro ur erabiltzen zituen edaria egiteko, eta herritarrei ur zikina eta toxikoz betea gelditzen zitzaien. Gainera, gehienak laborariak zirenez, egoera horrekin ezin zuten aurrera egin. Herriko emakumeak antolatu egin ziren, eta laguntza eskatu zidaten. Azkenean, 2005ean, planta hura ixtea lortu genuen.

Momentu hartan, neure buruari galdetu nion: emakumeak zer ari dira ikusten, bertzeek ikusten ez dutena? Sinplea da: naturaren alde egiten duten andreek ikusten dute basoek ura, lurzorua eta haizea ematen digutela. Kontrara, kapitalismoak egurra ikusten du, moztu eta saldu dezakeena; baina, horrekin batera, ikusten du zer irabazi izanen dituzten arbola horiek guztiak moztuz gero: haientzat, suntsiketa irabazia da.

Alde horretatik, zer lotura dago egungo sistema ekonomikoaren, patriarkatuaren eta maskulinitatearen artean?

Azpimarratu nahiko nuke patriarkatuaz mintzatzean ezin garela mugatu sistema ekonomikora soilik, botere basatia duen sistema bat baita. Eta, testuinguru horretan, ulertzen da emakumeak gizonak baino gutxiago garela; natura hilda dagoela, eta gizakiak baino gutxiago dela; eta landareak bizigabeak eta pasiboak direla. Baina hori ez da horrela: munduko landaredia da bizitzaren oinarria. Patriarkatuak dio natura hilda dagoela, eta, ekintza horren bidez, aldarrikatzen du zerbait sortuko duela suntsitzen ari den horrekin. Sistema berriztagarri eta birsortzaile gisa suntsitzen denean, hori lotzen da botere maskulino, patriarkal, militarizatu eta bortitzarekin, diru gosea duen ekonomia batekin.

Diru gosea dute batzuek, erosteko beharra bertzeek. Zer egin daiteke hain zabaldua dagoen pilatzearen kulturarekin?

Ez parte hartu. Eta hori egiteko modu bakarra da erostea ez den bertze zerbaitekiko konpromisoa hartzea. Horregatik diot nik baratzeak irakasle onak direla: tomate landare bat baduzu, eta ikusten baduzu horiek jaten dituztenak pozik daudela, edo haziak barrideei ematen ahal dizkiezula haiek ere baratzeak izateko, askoz ere poztasun handiagoa sentituko duzu zuk ere. Ordea, kamiseta edo soineko gehiago erosteak ez dizu poztasunik emanen epe luzera, beti egonen delako zerbait erosi ez duzuna eta eskuratu nahi duzuna.

Horri guztiari aurre egiteko trantsizio ekosozialaz mintzo dira anitz. Zer neurritan da prozesu teknologiko bat, eta zer neurritan pentsamoldeari lotutako prozesu bat?

Trantsizioak mundu osoan eragin beharko luke aldaketa; bertzela, ez da egokia izanen, dagoeneko arazoak ekarri dizkigun sistema hori errepikatzea bertzerik ez baitugu lortuko. Teknologia aipatu duzu, baina gaur egungo krisia ama lurraren krisi bat da, ingurumenarenarena eta haren prozesuena; hori guztia kontrolatzeko tresna teknologikoak bilatzea ez da inondik inora ere erantzuna. Lurrarekin dugun harremana da aldatu behar duguna, eta horren arabera egin behar ditugu aldaketa guztiak. Markoa eraikitzen ari garen bitartean iritsiko dira tresnak, baina horiek lortzea ezin da lehentasuna izan.

Apartheid ekologikoaren ondoriorik handienak pairatzen dituzuen herrialdeetan nola ikusten dituzue herrialde aberatsek trantsizio ekosozialari buruz egiten dituzten eztabaidak?

Hausnarketa horiek badituzte arazoak: horietako bat, adibidez, boteretsuenak, arazoa sortu dutenak ari direla trantsizio prozesuari forma eman nahian. Hau da, herritarren %1 dira kutsadura isurpenen %60ren erantzule. Bada, arazo hori sortu duten berberak ari dira diseinatzen isurpen sistema berriak, emisio horiek berdearen izenean ezkutatuz. Hori ez da legezkoa; kutsatzen duenak ordaindu egin behar du, mindutako pertsona guztiak nolabait konpentsatzeko bederen.

Zuriketa berdea da bertze arazoetako bat. Izan ere, ingurumenak pairatu behar duen mehatxua ez da mugatzen esplotaziora bakarrik: esplotazio horren zuriketa berdeari ere aurre egin behar diogu. Gure herrialdeak eta lurrak, ditugun baliabide naturalengatik, kolonizatu egiten dituzte enpresa eta herrialde aberatsek: India espezieengatik, Hego Amerika urreagatik eta zilarragatik, eta, gaur egun, bertze hainbat lurralde litioagatik. Gure askatasuna eta demokrazia aberatsei ematen ari dira, eta hori guztia zuriketa berdearen bidez ezkutatzen.

Horri guztiari aurre egiteko, «ama lurraren demokrazia» martxan jartzea da zure proposamena. Zertan datza?

Natura eta gizakia elkarri lotuak daudela onartzea da planteamendu horren gakoetako bat. Adibidez, arnasten dut; beraz, banago arbolei konektatuta. Barazkiak jaten ditut; beraz, banago lurzorura konektatuta. Ura edaten dut; beraz, banago errekara konektatuta. Planteamendu horren bigarren gakoa da ezerk ez duela erraten naturaren elementu horietako bat baino zerbait gehiago naizela. Hau da, ama lurraren demokrazian ez dago hierarkiarik. Guk ezin dugu erabaki ama lurra baino gehiago garenik, berak ez baitu erabaki gu mikrobio bat baino gehiago garenik. Ez du inoiz erran gizonak emakumeak baino gehiago direnik; guztiei eman digu errespetua eta leku bat, modu batera edo bertzera. Planteamendu hori ulertu eta bultzatu behar dugu.

Jendeari nola ulertarazten ahal zaio hori?

Lan egin dezatela baratzean. Ama lurraren demokraziarako heziketarik onena eta eraginkorrena eskuak lurrean jartzea da, hazi bat hartu eta landatzea. Landatutako tomate hori hazi eta ondu orduko, ama lurraren demokrazia ulertu izanen dute guztiek.