Articles du Vendredi : Sélection du 28 juillet 2023

Les vagues de chaleur actuelles sont bien causées par le changement climatique
Reporterre
https://reporterre.net/Les-vagues-de-chaleur-actuelles-sont-bien-causees-par-le-changement-climatique

Les vagues de chaleur extrêmes qui frappent, ce mois de juillet, le sud de l’Europe, une partie des États-Unis, du Mexique et de la Chine auraient toutes été « virtuellement impossible » sans l’action du changement climatique. C’est la conclusion des scientifiques du World Weather Attribution (WWA), un groupe de chercheurs regroupant plusieurs institutions de référence à travers le monde.

Le WWA a publié ce 25 juillet son analyse rapide d’attribution. « Rapide » car leurs résultats ont été publié sans relecture préalable par les pairs, comme c’est normalement d’usage pour les études scientifiques. Mais un tel process prendrait des mois, voire des années, et les chercheurs font valoir l’importance pour le débat public d’établir la causalité entre changement climatique et évènements extrêmes quelques jours après leur survenue.

Ils utilisent toutefois des méthodes d’attribution qui, elles, ont été validées par la communauté scientifique. Il s’agit de modèles qui simulent l’intensité et la probabilité des évènements climatiques dans un monde avec 1,2 °C de réchauffement global (le niveau de réchauffement moyen actuel) et dans un autre qui n’aurait connu aucun réchauffement.

Vers de tels extrêmes tous les 2 à 5 ans

Résultats : les vagues de chaleur actuelles, qui n’auraient théoriquement pas pu advenir sans la combustion d’énergies fossiles, la déforestation et l’influence d’autres activités humaines sur le climat, ont aujourd’hui une probabilité de survenir une fois tous les 15 ans concernant le phénomène Nord américain, une fois tous les 10 ans pour ce qui se passe dans le Sud de l’Europe et une fois tous les 11 ans en Chine.

Dans un monde atteignant 2 °C de réchauffement, ce qui devrait survenir d’ici 30 ans en l’état actuel des politiques, rappellent les chercheurs, ces évènements deviendraient même récurrents tous les 2 à 5 ans.

Autre précision du WWA : des phénomènes climatiques naturels, comme El Nino, contribuent à accentuer l’intensité de ces vagues de chaleur mais la cause principale de ces dernières et de leurs conséquences, comme la multiplication des mégafeux, est bien d’origine humaine.

« Nous devons en urgence arrêter de brûler des combustibles fossiles »

« Le monde n’a pas arrêté de brûler des énergies fossiles, le climat continue donc de se réchauffer et les vagues de chaleur continuent de devenir de plus en plus extrêmes. C’est aussi simple que cela », résume Friederike Otto, maître de conférence en science climatique à l’Institut Grantham pour le changement climatique et l’environnement, de l’Imperial College de Londres, qui participe au WWA.

« Nous avons toujours le temps d’assurer un avenir sûr et sain mais nous devons en urgence arrêter de brûler des combustibles fossiles […]. Sinon, des dizaines de milliers de personnes continueront de mourir des conséquences de la chaleur chaque année », prévient le scientifique.

« Promettre un avion vert est un pari hautement risqué : les technologies sont loin d’être au point »
Rachel Knaebel
https://basta.media/promettre-un-avion-vert-est-un-pari-hautement-risque-les-technologies-sont-loin-d-etre-au-point

 

Le secteur aérien nous promet un « avion vert » et des carburants durables, mais dans des décennies. Pour Charlène Fleury, du réseau Rester sur Terre, ce sont de fausses solutions. Il faut plutôt réduire immédiatement le recours à l’avion.

Basta!  : Petits avions, carburants durables, avions à hydrogène… que vous inspirent les récentes annonces d’Emmanuel Macron et de l’industrie aéronautique qui promettent de rendre l’avion moins nocif pour le climat ?

Charlène Fleury : Ce sont des annonces trompeuses, car elles laissent croire que l’avion tel qu’on le connaît aujourd’hui pourrait être décarboné, alors qu’il n’en est rien. Ces annonces sont à très long terme, ce sont des promesses d’atteindre « zéro émission nette de CO2 » d’ici à 2050. Mais c’est pour nous faire oublier que l’objectif de moins 55 % d’émissions de gaz à effet de serre en 2030 [par rapport à 1990], décidé par l’Accord de Paris sur le climat, ne sera pas atteignable par l’aviation avec ces promesses.

On nous vend des solutions technologiques, mais la seule solution qui existerait aujourd’hui pour décarboner le secteur aérien, c’est la modération du trafic. C’est-à-dire faire décroître le trafic aérien. Cela, malheureusement, n’est pas envisagé ni par le secteur ni par les décideurs politiques, et pas du tout par Emmanuel Macron.

Le développement de l’avion à hydrogène semble par exemple possible , mais sera-t-il disponible suffisamment tôt pour réduire les émissions du secteur aérien dans les prochaines années ?

L’avion à hydrogène n’est pas du tout au point. C’est une technologie qu’Airbus tente de développer, et qui, selon Airbus, verrait le jour en 2035. Ensuite, il faudrait plus de 15 ans pour renouveler l’ensemble de la flotte de l’aviation. Donc, cela nous conduit à 2050, au plus rapide.

« La seule solution qui existerait aujourd’hui pour décarboner le secteur aérien, c’est la modération du trafic »

D’autre part, ce n’est pas une solution pour remplacer l’avion tel qu’on le connaît aujourd’hui. Car l’hydrogène est très compliqué à stocker et prend beaucoup plus de place que le kérosène. Donc, ces avions remplaceraient des vols courts ou des moyens courriers, mais pas des longs courriers.

Pour nous, c’est absurde de développer cette technologie qui, si elle va être utilisée, le sera justement sur des trajets qui sont faisables en train, pour lesquels l’alternative existe déjà. Boeing n’a d’ailleurs pas du tout emboîté le pas à Airbus sur l’avion à hydrogène.

La même chose vaut pour les carburants durables, produits à partir d’autres sources que le pétrole, comme les huiles et graisses hydrogénées : arriveront-ils à temps ?

Quand on parle d’ « avion vert », on évoque soit l’avion à hydrogène soit avec des carburants durables. On nous vend ces carburants durables depuis très longtemps. Ce sont des carburants qu’on peut déjà mettre dans le réservoir des avions, à hauteur de 50 % du réservoir pour remplacer le kérosène. C’est une technologie mature, mais les filières n’existent pas. Nous n’avons pas de filières qui permettent de produire suffisamment de carburant durable pour pouvoir remplir les réservoirs des avions.

L’aviation internationale nous assure qu’elle va incorporer énormément de carburant durable dans ses réservoirs. Or, à chaque fois, elle manque ses objectifs. Nous en sommes aujourd’hui à moins de 1 % de carburant durable, alors que le secteur nous promet 5 % à 10 % de carburant durable en 2030… et cela fait plus de dix ans qu’il nous le promet !

L’autre problème est que ces carburants ont des impacts sur la biodiversité. Leur principale ressource, c’est l’huile de palme. Fabriquer ces carburants entrent donc en concurrence directe avec des terres arables qu’on pourrait cultiver pour l’alimentation. En produire en masse pour l’aviation risque également de faire exploser les prix des agrocarburants alors qu’ils sont aussi demandés pour d’autres secteurs, comme l’automobile.

Il faut remettre l’aviation à sa place. Une minorité de personnes prend l’avion : 1 % de la population mondiale est responsable de 50 % des émissions de CO2 de l’aviation. 80 % de la population du monde n’a jamais pris l’avion. En France, seulement un quart de la population voyage en avion chaque année. Veut-on engager les agrocarburants au bénéfice d’un usage de transport minoritaire ou les produire en priorité pour des usages du quotidien, comme les transports en commun ou la voiture ?

Selon vous, la seule véritable solution pour réduire les émissions du secteur aérien, c’est de réduire le trafic immédiatement. À quelle échelle, et concrètement par quelles mesures ?

Ce n’est pas seulement nous qui disons cela. Un rapport de l’Ademe paru en septembre 2022 élaborait trois scénarios de décarbonation de l’aviation. Un scénario tout technologique était décrit comme hautement optimiste par l’Ademe. Un deuxième scénario s’appelait « modération de la demande ». Pour nous, ce serait le plus efficace, le plus sûr, et le plus rapide, car les autres technologies envisagées demeurent hautement improbables. Et c’est le plus rapide, car plus on réduit vite les émissions, plus on a de chance de respecter les objectifs.

Pour modérer le trafic, le scénario de l’Ademe mobilise plutôt des leviers politiques, qui consistent à plafonner le trafic aérien dans les aéroports ; à taxer le kérosène ; à créer une taxe sur les grands voyageurs et voyageurs fréquents à partir du deuxième voyage ; à taxer davantage le billet ; et à supprimer les vols courts facilement remplaçables par le train – les voyages que nous pouvons effectuer en quatre heures de train ou moins. Cette dernière mesure avait été demandée par la Convention citoyenne pour le climat, mais n’a malheureusement pas été respectée par le gouvernement dans son projet de loi climat.

Ne serait-ce pas au niveau européen qu’il serait le plus judicieux et efficace de prendre ces mesures ?

Ce serait génial que cela arrive au niveau européen. La France a été précurseur sur le sujet en interdisant les vols courts de moins de 2 heures 30, même s’il y a des grosses limites sur cette mesure, car le décret d’application a été largement façonné pour préserver certaines lignes. On peut donc encore faire un Lyon-Marseille en avion aujourd’hui alors que la durée du trajet est de 1h30 en train.

La mesure a été validée par l’Union européenne (UE). Cela crée donc un précédent et signifie qu’il est tout à fait possible d’appliquer ce type d’encadrement au sein de l’UE. Et une telle interdiction est tout à fait intéressante pour réduire les émissions de manière significative. Le problème est qu’en France, on a supprimé seulement trois lignes, plutôt opérées par Air France d’ailleurs. Cela reste donc du saupoudrage. De la proposition initiale de la Convention citoyenne, on a abouti à une mesure très anecdotique.

Où est en est-on sur la limitation, la régulation, ou l’interdiction des jets privés ?

Au printemps, des parlementaires EELV ont proposé dans leur niche parlementaire l’interdiction des vols en jet privés, en excluant évidemment les vols médicaux. Cela a été débattu à l’Assemblée nationale le 6 avril, mais a été rejeté par la majorité et toute la droite.

Ils n’ont pas non plus voté pour la deuxième proposition qui était d’étendre la loi sur l’interdiction des vols courts aux jets privés. Ce qui signifierait seulement que le droit commun s’applique aux jets privés. Actuellement, il n’y a aucun projet de loi en discussion au niveau du gouvernement pour réguler le trafic des jets privés. Le ministre des Transports Clément Beaune a simplement annoncé une taxation plus forte à partir de 2024. Mais les personnes qui peuvent se payer un vol en jet privé ne vont pas se restreindre parce que leur vol est taxé. Cela n’aura aucun effet.

À un moment, si on veut respecter les objectifs climatiques de la France et préserver une planète vivable, il va falloir interdire un certain nombre d’usages qui ont un impact disproportionné sur le climat. Par ailleurs, il existe des alternatives aux jets privés. Il y a des lignes commerciales en nombre suffisant.

Jugez-vous que le secteur aérien refuse de sérieusement réduire rapidement ses émissions ?

Ils sont dans un déni total. Aujourd’hui, le secteur continue à prévoir un doublement du trafic tous les 20 ans. Ils misent tout sur des technologies pour décarboner, mais plus tard. Y a-t-il eu un débat démocratique pour décider qu’on allait laisser l’aviation se laisser le temps pour décarboner ?

Par ailleurs, quand la situation économique va empirer pour l’aviation et l’aéronautique – parce que les entreprises du secteur n’auront pas fait le choix stratégique de la nécessaire reconversion –, ce sont les salariés qui vont se retrouver sur le carreau. On ment aux salariés sur leur avenir et on fait un pari hautement risqué et improbable sur les promesses de l’avion vert.

Êtes-vous en lien avec des syndicats du secteur ?

Nous discutons souvent avec des salariés du secteur qui sont sur des positions différentes des entreprises. Il y a le collectif « Pensons l’aéronautique pour demain », Pad ; le collectif Icare, qui réunit des ingénieurs du secteur aéronautique. Avec eux, on essaie de porter une autre voix. Nous discutons aussi souvent avec la CGT Aéro. Certains représentants syndicaux sont très préoccupés par la situation, mais il y a globalement une omerta au sein du secteur.

Pensez-vous que la société française n’a pas pris conscience de l’impact de l’aviation sur le climat ?

Cela a quand même bien progressé. L’impact de l’avion est connu et les gens questionnent leur recours à l’avion. En revanche, je pense que le greenwashing opéré par le secteur, et relayé par la voix de porte-parole comme Emmanuel Macron, a encore beaucoup de poids dans la société. Il y a ce double mouvement. La prise de conscience est là, la croyance qu’une solution va survenir et que la situation est sous contrôle est aussi présente, alors que ce n’est pas le cas.

Le mouvement Rester sur terre / Stay Grounded est européen. Y a-t-il des pays où le message est plus entendu que d’autres ?

Il y a une prise de conscience plus forte en Scandinavie. La vague Flygskam [« honte de prendre l’avion » en suédois], avec la médiatisation de Greta Thunberg, a eu un impact concret sur le trafic aérien en Suède. Celui-ci a baissé d’environ 5 %, alors que normalement le trafic aérien augmente de l’ordre de 3 % par an. Cela a conduit à la fermeture de certaines lignes et de certains aéroports.

Je formule le vœu que cela se produise dans d’autres pays. La France est, malgré le poids du secteur aéronautique, plutôt en pointe sur la remise en question de notre recours à l’avion. Pour autant, on cède encore beaucoup aux annonces du secteur et on ne met pas suffisamment d’alternatives sur la table.

« Dans le système actuel, si vous voulez préserver la planète, il faut en détruire la moitié »
Jordan Pouille
www.mediapart.fr/journal/ecologie/230723/dans-le-systeme-actuel-si-vous-voulez-preserver-la-planete-il-faut-en-detruire-la-moitie

 

L’université néerlandaise de Wageningue règne sur les sciences alimentaires. L’anthropologue Robert Fletcher y met à nu les chimères du « développement durable », face à des étudiants tiraillés entre l’impératif productiviste et la tentation d’une radicalité écologiste.

WageningueWageningue (Pays-Bas).– Le 23 mai 2023, minuit approchant, il a fallu appeler la police pour disperser une quinzaine d’étudiant·es, des irréductibles accroupi·es au milieu du campus, qui manifestaient contre le pétrolier Shell, l’une des multinationales mécènes de l’université. Cet événement vient rappeler que Wageningue est aussi un lieu de réflexion, d’indignation même, peuplé d’étudiant·es conscient·es de l’urgence climatique. Pour qui l’anthropologue Robert Fletcher met à nu les chimères du « développement durable » et donne des clés pour le dépasser.

Nous voici attendus dans le bâtiment Life de l’université de Wageningue, à l’étage des sciences sociales de la ruralité où souffle un vent frais de pensée anticonformiste. Ici, par exemple, des professeur·es-chercheurs et chercheuses planchent sur l’avenir alimentaire « post et anticapitaliste », dépassant la notion admise de durabilité. Dans le couloir, une affichette montrant une main serrant fort un crayon et ces mots : « L’éducation n’est pas un produit. Les étudiants ne sont pas des clients. Les professeurs ne sont pas des outils. L’université n’est pas une usine… Alors que sommes-nous ? »

Selon le classement GreenMetric, l’université de Wageningue est déjà « la plus durable au monde ». L’énergie y est d’origine éolienne ou géothermique. Les toits, végétalisés autant que faire se peut, régulent la température des bâtiments. Les pelouses ne sont pas tondues et les déchets triés en 15 catégories. Le vélo, Hollande oblige, est partout.

Pourtant, au WICC, le principal hôtel du centre-ville, les forums entre industriels mondiaux et universitaires locaux s’enchaînent. Cette semaine, place au « All about feed », dédié à un « marché de l’alimentation animale plus durable et plus efficace ».

On y débat, entre autres, de la réintroduction dans leur alimentation des protéines tirées des déjections des volailles d’élevage. Un productivisme pur et dur, teinté de préoccupation écologique, ici adoubé par l’université. « Il est difficile de caractériser la position de l’université de Wageningue sur n’importe quelle question car elle semble aller, en tous points, dans des directions opposées », tranche Robert Fletcher, professeur et anthropologue de l’environnement.

Même en se montrant très sensibles aux enjeux environnementaux, les étudiant·es venu·es d’autres pays sont d’abord là, pour beaucoup, pour maîtriser et adapter à leurs singularités locales des modèles intensifs d’élevage piscicole, animal ou d’agriculture, capables d’accompagner l’essor démographique de leurs pays. Ils repartent avec de solides enseignements sur la manière de produire plus, à budget contraint, avec peu ou pas d’engrais. Ils savent que la demande mondiale en nourriture devrait doubler d’ici 2050. 

Robert Fletcher, qui enseigne en master, a grandi en Californie, de parents hippies régulièrement chassés par la spéculation immobilière, jusqu’à se retirer dans une communauté alternative. « Je me suis rebellé contre mes parents, je leur ai dit par exemple que je voterais républicain (rires)… Et puis j’ai compris tardivement leur volonté de changer les choses, de transformer radicalement leur société. » Il est l’auteur de Failing Forward. The Rise and Fall of Neoliberal Conservation, publié en mars dernier. Rencontre.

Mediapart : Comment se comportent vos étudiant·es face au changement climatique ?
Robert Fletcher : Ils sont de plus en plus anxieux pour leur futur. Ils portent un fardeau, ressentent une pression. Ils ont le sentiment que c’est à eux de devoir régler les problèmes ! Je comprends mais je pense qu’il est injuste de faire peser cela sur des individus qui n’ont pas créé le problème et qui n’ont pas encore le statut pour le résoudre. Il leur faudra attendre vingt ou trente ans avant d’atteindre une position institutionnelle pour être en mesure de changer les choses.

 

Parallèlement, mes étudiants ne croient pas aux politiques actuelles du climat. Ils sont déjà convaincus qu’un changement radical serait nécessaire. Ici, on leur fournit des outils pour analyser cette croyance, leur faire comprendre que cela nécessiterait parallèlement encore plus de réflexion sur la manière dont on gère notre économie. 

Pouvez-vous leur insuffler de l’espoir ?

Je ne veux pas leur inculquer un faux optimisme, alors je cherche un équilibre, un juste milieu entre identifier les véritables problèmes, connaître les outils existants, avoir conscience de la foule d’obstacles en place, de la force actuelle des idées qui promettent d’atteindre la durabilité sans offrir le changement radical auquel ces jeunes aspirent. 

Vous leur expliquez aussi que la protection de notre environnement, la conservation de la nature telles qu’elles sont pratiquées actuellement, sont le fruit du capitalisme.

La perception commune de la conservation, c’est de protéger la nature. Mon travail vise en partie à prouver et à expliquer que la conservation a été essentielle pour le développement du capitalisme, aux États-Unis, en Europe, dans les colonies mais aussi en Chine à mesure qu’elle entrait dans l’économie de marché. À chaque fois, on a déplacé les paysans de la campagne à la ville pour en faire de la main-d’œuvre. 

L’un des processus a ensuite été de considérer les campagnes comme des terres récréatives. Des gens ont été privés de leurs territoires, devenus des parcs nationaux. Or ces territoires fournissaient les ressources pour le maintien de leur propre existence. 

Dans les dernières décennies, on a augmenté la pression sur ces zones préservées. Il a fallu qu’elles prouvent qu’elles étaient économiquement viables pour recevoir des financements.

C’est le début du tourisme de plein air puis de l’écotourisme, et cela a créé ce que j’appelle des « compensations de biodiversité » : on détruit des zones protégées pour faire naître une activité économique, et on aménage d’autres zones protégées en expliquant qu’elles constitueront un nouvel habitat pour la biodiversité. En clair, on sait qu’un projet de développement va menacer des espèces déjà fragiles mais au lieu de stopper le projet, on investit dans l’habitat des espèces à d’autres endroits. Des zones plus pauvres où le coût d’opportunité de ne pas convertir le territoire est plus faible. Les zones de protection contemporaines sont donc des zones de création de richesses. 

La conservation de la nature est-elle cynique ?

Dans le système actuel, pour préserver la nature, il faut faire du profit et donc exploiter des ressources. C’est ce que j’observe comme chercheur. Si vous voulez préserver la planète, il faut en détruire la moitié pour préserver l’autre moitié. La destruction doit encore s’accroître pour augmenter la conservation. Je ressens donc de l’empathie pour ceux qui se battent dur pour convaincre les décideurs politiques et chefs d’entreprise de l’importance de préserver les ressources ! Ils tentent de parler leur langage pour les convaincre de s’impliquer. Mais on bascule souvent encore vers la « compensation » de style de vie : on consomme, on produit et on compense avec des actions, que l’on médiatise à outrance au passage. Finalement, c’est un résultat nul, cela fait juste ne pas empirer les choses mais ça ne les améliore pas non plus.

Quelles solutions ?

La question se pose ainsi : est-il possible de supprimer la valeur économique d’un territoire donné, tout en restant dans une logique de croissance économique à long terme ? Peut-on créer de la valeur en n’y faisant rien, en laissant les ressources au sol ? On sait qu’il est difficile de créer de la valeur grâce à la conservation puis de l’accroître sur le long terme, ou alors on prétend protéger les ressources mais on ne le fait pas. Si on veut garder une croissante continue, l’idée de découplage absolu doit continuer de cheminer. L’accumulation par conservation doit être faisable à large échelle, la non-consommation de ressources un objectif. Une solution, c’est de revenir à la proposition originale : considérer que les ressources naturelles n’ont pas vocation à payer pour elles-mêmes. Elles doivent alors être subventionnées de manière permanente puisqu’elles ne peuvent se financer elles-mêmes. Une autre voie serait de s’intéresser aux blockchains, aux cryptomonnaies. La forêt aurait sa monnaie virtuelle, par exemple. Les revenus de l’abattage d’arbres, dans le cadre d’une gestion raisonnée, permettraient à la forêt de s’acheter elle-même pour s’agrandir. On peut alors déplacer le contrôle économique vers les ressources elles-mêmes et non pas vers les gens qui gèrent ces ressources.

EKOFEMINISMOA : Haziz hazi, urratsez urrats, Euskal Herrian ere lurreratuz doan mugimendua 2/2

Estitxu Eizagirre & Jenofa Berhokoirigoin
www.argia.eus/argia-astekaria/2834/ekofeminismoa

Udako Euskal Unibertsitarearen baitan, egun osoko jardunaldia antolatu zuten ekaina bukaeran Gasteizko Sumendi espazio autogestionatuan Mirene Begiristainek eta Marta Barbak: Ekofeminismoak konpos(t)atzen Euskal Herrian. Ekofeminismoari dagokionez, Euskal Herri mailan duela bizpahiru urte abiaturiko hausnarketaren baitan kokatu zuten hitzordua: “Aletxo bat gehiago da”. Kolektibotasunetik eta kolektiboki heldu nahi diote Euskal Herriko mugimendu ekofeminista osatzeko erronkari.

Guztien artean konposatu beharreko mugimendua

Jenofa Berhokoirigoin

Geroari begira jarri ziren bigarren solasaldian, Euskal Herri mailako mugimendu ekofeministaren osaketaren bidean urrats bat aitzina egiteko asmoz. Mugimendu gisa irudikatzen den heinean, komunitateko hainbat esparrutako jendea batu zuten ariketara. Bistan da, mugimendu ekologistatik eta feministatik begiratu zitzaion erronkari, baina ez bakarrik: hirigintzatik, landa eremutik, euskalgintzatik, zuzenbidetik, energiaren sektoretik eta kazetaritzatik ere egon zen jendea –ikuspegi antiespezista ere egotekoa zen, baina azkenean, Junkal Arruti Tenak ezin izan zuen bertaratu–. Hurrenez hurren, Sukar Horia taldeko Ainara Kaltzakorta Urresti, Bilgune feministako Osatze Feministako Maite Zabala Idigoras, Miren Vives Urbieta arkitektoa, Arantza Arrien Goitiandia, Lorea Agirre Dorronsoro, Amanda Dias Verrone, Estitxu Villamor Lomas eta kronika honen idazle Jenofa Berhokoirigoin Hirigarai. Eremu guzietan txertatu beharreko gogoeta eta praktika multzoa delako ekofeminismoa, eta horrela baizik irauliko lukeelako sistema, edo –”gauza eskandalagarri hori”, Amaia Perez Orozco ekonomialari feministaren hitzak berriz hartuz–. Lehenik eta behin, gehiegitan bakoitza beretik eraman ohi diren ekologismoa eta feminismoa elkar elikatu eta osatu beharko lirateke, bakoitzaren praktikei eta gogoetei bertzearen irakurketak txertatuta. Ideia horrekin zabaldu zuen gogoeta Kaltzakortak. Hausnarketa, galdera eta helmuga andana partekatu ziren guzien artean:

Kolektibotik

“Alternatiba pertsonalak ez dira sostengarriak, taldeko alternatibak ditugu osatu behar”, Arantza Arrienen hitzetan. Oinarri hori berme gisa harturik, lekuan leku diren hainbat borroka elkar lotu eta aliantzak sortzeko beharra azpimarratu zuen Lorea Agirrek, ikuspegi intersekzionala osagai zentral gisa kokatuta. Hor euskarak lekua duela oroitarazi zuen, hizkuntza ez delako komunikatzeko tresna soila: “Botere harremanen agerpena probokatzen duen tresna da, eta gainera, gizartea eraikitzeko baliabide ere bada, geure buruak egiteko tresna inportante bat”.

Dekolonialitatetik

“Ekofeminismoaren ekarpen nagusietakoa da ikusaraztea gure eredu energetikoaren atzean dauden bizitzak”, Estitxu Villamorren oharrari segi. Hau da, mendebaldetarrok bideraturikoak zer-nolako suntsiketa eragin dezakeen munduaren beste puntan –batez ere Hego Globalean–. Ikuspegi dekolonialetik begiratu behar diogu gure kontsumo ereduari: “Jarraitzen dugu berdin kontsumitzen eta kalteak esternalizatzen. Pribilegio bat da gurean jarraitzea bizitza eredu horrekin. Pribilegio bat da makroproiektuen aurka borrokatzea eta geldiarazten lortzea, beste lurralde batzuetan ezin dituzte geldiarazi”. Deserosoa zaizkigun galderak luzatzeko espazio segurua jasorik, ondokoak zabaldu zituen: Nola eginen dugu kontsumoaren murriztearena? Zeinen ardura da? Herri mugimenduarena? Politikariena?

Zentzu beretik hitz egin zuen Jenofa Berhokoirigoinek, eta argi utzi zuen gaur egungo instituzio politiko eta finantzarioek bideratu trantsizio ekologikoa “erabat koloniala” dela, eta desazkundea daukagula aterabidea: “Gure ardura da desazkundearen proposamena lantzea eta zabaltzea, eta hori modu baikorrean eta beti ere plazerretik”.

Lurretik

Lurraren aldeko borrokek eta lurrarekilako loturek aipamen zabala izan zuten jardunaldietan, landa eremua mugimenduaren zentroan kokatuz. Nekazariak, abeltzainak eta basozainak izanen dituen landa eremua ezinbestekotzat jotzen da, eta nola ez, feminismotik ere aitzina eginen duen baserri eremua.

Lurraren kontrolaren eta ustiapenaren arazoari zuzenbidetik eta begirada ekofeministatik begiratzen dio Amanda Diasek: “Lurraren kontrola eta kontzentrazioa dira eredu heteropatriarkalaren, kapitalistaren, kolonialaren eta ekozidaren oinarrian”, eta gizon zis-en esku geratzen da ondasuna. Hori horrela, heteroarauaren aurkako eta agrofeminismoaren aldeko borroken garaipenik ez du irudikatzen emakumeen eskuetatik at gelditzen direino lurrak.

Lur honek barne biltzen duen aniztasuna kontuan hartzen duen mugimendua da ekofeminismoa: “Sostengarria izango da edo ez da izango; izango da pertsona, animalia, landare eta izaki orori bizitza duina bermatzen diona hil arte”, Arrienen hitzetan. Botere-harreman guziak –antropozentrismoa barne– kontuan hartzen dituen ikuspegia delako ekofeminismoa.

Bizi(tza) oro errespetatuz

Besteen bizia eta norberarena, nola ez. Ez pentsa gure bizitza eredu frenetikoan erraza denik bizitza guziei eta biziari errespetua eta begirunea bideratzea. “Apaltasuna” eta “onarpena” galdatzen du, Maite Zabalaren hitzetan: “Bizitzak agintzen du, dena ezin dugu kontrolatu… Bai naturak bai gorputzak euren ibilbideak dituztela onartu beharrean gaude”. Jarrera aldaketa andana dakar horrek: gure gorputzari konektatzea –ez soilik buruari, arrazoiari–; naturaren zein gorputzaren zikloei arreta jartzea; intimoa politizatzea; ohiturak eta erritualak berreskuratzea ala berriak asmatzea; plazerez hitz egitea…

Miren Vivesek ere jorratu zuen bizitzak zentroan jartzearen garrantzia. “Hurbiltasunaren kontzeptua berreskuratu behar dugu, eta hirigintzatik erran nahi luke auzoak eta herriak direla oinarrizko unitateak, eta ez hiriak”. Batez ere, “baliabide pertsonal garrantzitsua” den denbora lapurtzen digulako hiriak. Denboraz hitz egin zuen Kaltzakortak ere, eta zehaztu zuen ekofeminismoak ekarri dezakeela mugimendu ekologistak beharko lukeen erritmo aldaketa: “Larrialdi klimatikoa dela-eta, askotan hitz egiten da arazoaren eta aldaketen berehalakotasunaz, baina etorkizun sostengarriak bestelako erritmoak eskatzen ditu”.

Hirigintzaren denbora-espazioa luzea dela ohartarazi zuen Vivesek: gaur egun gogoetaturiko eta marrazturiko hiria hemendik 10-15-20 urtera gauzatuko da. Tamalez, hiriak ez dira ez ekologismotik ezta feminismotik ere irudikatzen. Ekofeminismotik irudimena martxan jarri eta nolako hiriak nahi ditugun imajinatzeko ariketari lotzeko gomita luzatzen du arkitektoak, bizitza gertatzea posible eginen lukeen biharko hiria osatzeko: “Nola nahi dugu bizi gure auzoan? Bizitza guziak dira ezberdinak, premia eta behar guziei erantzuteko nolako espazioak sortu behar dira? Bizitza anitzak posible dira etxe eta kale guztiak berdinak direnean? Zergatik kale batean ongi gaude eta bestean ez? Jarri gara horri buruz pentsatzen?”.

Homogeneizazioaren kontrako bidean doan proposamena delako ekofeminismoarena. Monokultura beti delako gaitza, izan bioaniztasunarentzat ala kulturentzat.