Articles du Vendredi : Sélection du 28 janvier 2011

L’insoutenable probabilité d’un choc pétrolier

Gael Giraud, chercheur au CNRS et à l’École d’Économie de Paris
www.challenges.fr du 18.11.2010

Taxer les transactions financières :
en parler ou le faire ?

Attac France
www.france.attac.org du 24.01.2011

“La période la plus chaude depuis 125 000 ans”

James Hansen, climatologue
Le Monde du 2101.11

“L’Etat a décidé de l’omerta
sur le gaz de schiste”

José Bové, député européen Europe Ecologie, syndicaliste agricole de la Confédération paysanne et Via Campesina / Chat modéré par Emmanuelle Chevallereau
Le Monde du 24.01.11

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L’insoutenable probabilité d’un choc pétrolier

Gael Giraud, chercheur au CNRS et à l’École d’Économie de Paris
www.challenges.fr du 18.11.2010

Il faut taxer les énergies fossiles pour se préparer au pic énergétique, inévitable du fait de la très forte demande de pétrole et de la non-compétitivité actuelle des énergies de substitution.
Un des dossiers de la présidence française du G 20 a trait à la régulation des marchés financiers sur les matières premières – le pétrole en particulier. Les marchés dérivés sur le pétrole pèsent 30 fois plus lourd que le marché physique. Le prix du brut n’est plus dicté par l’offre et la demande, mais par les mouvements de capitaux sur des contrats financiers, soumis à des bulles spéculatives. Remettre de l’ordre dans ce marché est nécessaire. Mais insuffisant si nous voulons de la lisibilité sur le prix de l’énergie ces prochaines années.
Il se peut que nous connaissions un choc pétrolier dans moins de dix ans. Non pas qu’il n’y aura plus de pétrole : nous en avons pour un siècle au moins. Mais parce qu’il ne sera pas possible d’extraire chaque jour autant de pétrole que l’exigera la demande mondiale. Nous produisons près de 87 millions de barils par jour. Et une production journalière de 100 millions est sans doute impossible à dépasser, la plupart des provinces pétrolifères ayant atteint leur pic de production (depuis 2000, la production en mer du Nord baisse de 200 000 barils par jour chaque année malgré un flux d’investissement soutenu) ou allant l’atteindre. Et les gisements offshore permettront de retarder l’heure où la production mondiale va décroître. Or, d’ici à quelques années, la demande mondiale quotidienne dépassera les 100 millions de barils.
A combien pourrait alors s’élever le prix du baril, qui influence les prix de 80 % de l’énergie mondiale ? A 147 dollars, comme à l’été 2008 ? A 500 dollars ? Impossible de répondre. Cela nous coûtera plusieurs points de PIB par an, et c’en sera fini de l’importation à coût de transport quasi nul des produits du Sud (et de la grande distribution). Avons-nous les moyens de substituer d’autres énergies aux hydrocarbures ? Non, sinon partiellement. Le nucléaire exigerait des investissements massifs et il se heurte au problème du retraitement des déchets. La production hydraulique est déjà à son point de saturation en Europe. Les agrocarburants nous mettent en face d’un dilemme : celui d’une surface cultivable bornée, où il faut choisir entre nourrir l’humanité et cultiver des énergies de substitution. Le gaz est l’alternative prometteuse. Mais nous ne savons pas faire rouler au gaz une auto à grande vitesse et à bas coûts. Comment nous préparer au pic énergétique ? Par une augmentation progressive des taxes sur la consommation d’énergies d’origine fossile. Dans le cas du pétrole, elle permettrait de lisser la hausse future des carburants, tandis que ses recettes permettraient de financer l’effort de transition vers une économie sobre en hydrocarbures.

Taxer les transactions financières :
en parler ou le faire ?

Attac France
www.france.attac.org du 24.01.2011

« La France est favorable à une taxe sur les transactions financières » a répété ce matin le Président Sarkozy lors de sa présentation des objectifs de la Présidence française du G8-G20.

Pour Attac la mise en place d’une telle taxe ne saurait attendre une énième étude ou un nouveau rapport, comme le propose le Président, qui va confier une mission à une personnalité “de la société civile”. De nombreuses études de faisabilité ou d’impact existent déjà, c’est la volonté politique qui manque. Une taxe d’un niveau significatif sur les transactions financières est non seulement possible, mais indispensable, dès maintenant, pour réduire drastiquement la spéculation financière et pour financer la lutte contre la pauvreté et le réchauffement climatique. La France et ses partenaires européens ont les moyens de l’instaurer dans la zone euro dès qu’ils le décideront.
Mais Nicolas Sarkozy et ses collègues européens, avec le FMI, font aujourd’hui payer aux citoyens les dérives de la finance par des coupes sombres dans les dépenses sociales, des pertes d’emploi, le démantèlement des services publics. Depuis 2008, la France n’a rien mis en œuvre pour désarmer la finance. Elle lui a même donné des gages en adoptant une réforme des retraites payée par les seuls salariés. Comment croire qu’elle fera mieux au G20, où elle devra composer avec 19 interlocuteurs aux intérêts divergents ? Alors même qu’au sein de l’Union européenne – représentée au G20 – la France défend sans relâche une orientation néolibérale ? Il est permis d’en douter puisque le président français s’est à nouveau déclaré hostile à tout contrôle des mouvements de capitaux, qui est précisément l’objectif premier d’une vraie taxation.
Plus largement les propositions de la Présidence française pour le G20 en 2011 sont bien en deçà des attentes et des urgences. Il faudrait interdire les paradis fiscaux et les fonds hautement spéculatifs ainsi que la spéculation sur les produits agricoles, séparer les banques d’investissement et de dépôt, limiter drastiquement les rémunérations des banquiers et traders, proposer la mise en place d’une monnaie mondiale de coopération…
Concernant la « gouvernance mondiale », le quarté gagnant annoncé par Nicolas Sarkozy ne laisse guère d’illusions sur ses intentions : une nouvelle organisation sur l’environnement, une organisation agricole unique, mais surtout le FMI pour surveiller et l’OMC pour enrayer tout écart au dogme du libre-échange. Aucune mention des Nations unies. Belle leçon de démocratie et de « respect du droit des peuples à se gouverner eux mêmes », selon ses propres termes.
Les Nations unies restent pour Attac le seul cadre légitime pour mettre en place une régulation mondiale de la finance, de l’économie et de l’écologie.

“La période la plus chaude depuis 125 000 ans”

James Hansen, climatologue
Le Monde du 2101.11

L’année 2010 a été la plus chaude depuis le milieu du XIXe siècle au moins, et sans doute depuis beaucoup plus longtemps. Dans une analyse publiée jeudi 20 janvier, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) estime qu’en 2010 la température moyenne globale de la Terre a excédé de 0,53 °C la moyenne de la période 1961-1990, battant tous les records et devançant de peu 2005 et 1998. Et ce malgré un hiver très froid sur certaines zones d’Europe.
Ce diagnostic est la moyenne des résultats de trois équipes de chercheurs. Chacune d’entre elles établit, tous les ans, sa propre estimation de température moyenne globale. Le Goddard Institute for Space Studies (GISS), de la NASA est l’un de ces laboratoires. Son directeur, James Hansen, professeur à l’université Columbia de New York, détaille ce travail pour Le Monde et le replace dans l’histoire géologique de la Terre.
La notion de température moyenne de la basse atmosphère est-elle pertinente ?
Bien sûr, la température moyenne globale n’est ressentie par personne, mais elle a des implications énormes pour tout le monde. Elle n’est ressentie par personne parce que les fluctuations locales – non seulement les variations journalières du temps, mais aussi celles des saisons – sont beaucoup plus grandes que les petits changements de température globale. Au mieux, un individu peut remarquer les changements de son environnement immédiat sur la longue durée, en se le remémorant tel qu’il était voilà des décennies…
Cependant, tout le monde ressentira les conséquences du réchauffement si nous continuons dans la voie actuelle. Une étude que je viens d’achever montre que la température globale est désormais à quelques dixièmes de degrés Celsius de la dernière période chaude interglaciaire, l’éémien, il y a 125 000 ans. La hauteur de la mer était alors de 5 mètres supérieure au niveau actuel.
Bien sûr, le niveau marin ne va pas beaucoup augmenter en un an ou même une décennie, mais si nous continuons à faire croître les concentrations des gaz à effet de serre, nous pouvons garantir de manière presque certaine que l’élévation des océans sera importante au cours de la vie des enfants d’aujourd’hui, et qu’elle sera hors de leur contrôle.
Une fois que la désintégration d’une calotte glaciaire (comme celles du Groenland et de l’Antarctique de l’Ouest, dont la réduction est la principale cause d’élévation du niveau des mers) a commencé de manière substantielle, il est trop tard : vous ne pouvez pas “ceinturer” un inlandsis qui s’effondre.
La raison pour laquelle la notion de température moyenne globale est importante est qu’elle nous dit jusqu’où nous sommes allés sur le chemin que nous suivons.
La décennie actuelle est la plus chaude depuis le début des relevés thermométriques. Mais, le plus probablement, depuis combien de temps le climat terrestre n’a-t-il pas été aussi chaud ?
Autant que nous puissions en juger, les enregistrements paléoclimatiques – en particulier les carottes de sédiments marins collectées autour du globe – montrent que la température mondiale a excédé, au cours des deux dernières décennies, le précédent pic de température de l’holocène. Ce dernier a commencé il y a 11 700 ans, avec la fin de la dernière période glaciaire.
La température globale a progressivement monté pour atteindre ce pic de l’holocène il y a environ 8 000 ans. Depuis, il y a eu une relative stagnation, avec un déclin de seulement quelques dixièmes de degré Celsius à l’échelle globale – même s’il y a eu des changements régionaux plus importants.
Dans une étude qui est en cours de revue par les pairs, je présente des arguments selon lesquels nous venons tout juste, avec le réchauffement de 0,5 °C à 0,6 °C des trente dernières années, de dépasser ce pic atteint il y a 8 000 ans. Ce qui veut dire que pour trouver une période plus chaude que l’actuelle, il faut remonter au-delà du dernier âge glaciaire. La Terre serait donc aujourd’hui à son point le plus chaud depuis la dernière période interglaciaire, l’éémien, il y a environ 125 000 ans.
Quelles données utilisez-vous pour déterminer la température moyenne globale actuelle ? Ces données sont-elles publiques ?
Nous utilisons les mesures de températures de trois sources : stations météorologiques terrestres, mesures satellite de la température de surface des océans et mesures depuis une station de recherche en Antarctique. Ces données sont combinées en une analyse globale produite par un algorithme que nous avons publié, accessible sur notre site Internet et décrit dans des publications scientifiques. Nous utilisons aussi des données satellite d’observations nocturnes : cela permet d’identifier et d’utiliser les stations météorologiques situées dans les zones les plus “noires”, celles qui sont éloignées de toute influence urbaine. Et nous offrons un accès public à toutes les données que nous utilisons.
Les deux autres laboratoires qui établissent la température moyenne globale de la Terre parviennent à des résultats un peu différents des vôtres. Pourquoi ?
Si vous regardez les courbes des différents résultats, vous voyez qu’ils sont en réalité en bon accord en ce qui concerne les tendances de long terme. La plus grande différence réside dans la manière dont nous traitons l’Arctique. De notre côté, nous essayons d’extrapoler les températures dans cette région en utilisant les stations météorologiques des zones alentour. Les autres institutions excluent l’Arctique, ou estiment ses fluctuations différemment. Cela n’affecte le résultat global que de quelques centièmes de degré, mais cela peut affecter l’ordre dans lequel on classe les années les plus chaudes.
Est-il possible de faire des prévisions pour les toutes prochaines années ?
Oui. Le Pacifique est entré (depuis juillet 2010) dans une phase froide très marquée, dite la Niña, la plus forte depuis des décennies. Il est donc très peu probable que 2011 soit une année record, même si le réchauffement accru provoqué par les gaz à effet de serre empêchera la température globale de tomber très bas…
Une phase chaude El Niño, antagoniste de La Niña, pourrait se déclencher l’été prochain. Je m’attends donc à ce que 2012 soit l’année la plus chaude jamais enregistrée, d’autant que le Soleil émergera d’un minimum solaire qui dure depuis plusieurs années. Dans tous les cas, nous atteindrons un nouveau record de température entre 2012 et 2015.

Sur le Web : pour en savoir plus, www.giss.nasa.gov. / Propos recueillis par Stéphane Foucart

“L’Etat a décidé de l’omerta
sur le gaz de schiste”

José Bové, député européen Europe Ecologie, syndicaliste agricole de la Confédération paysanne et Via Campesina / Chat modéré par Emmanuelle Chevallereau
Le Monde du 24.01.11

André Gramont : Peut-on évaluer les réserves existantes en gaz de schiste ou est-ce que tout cela n’est que chimère ?
José Bové : Je pense qu’aujourd’hui les évaluations données par les compagnies sont de pures spéculations, qui ne s’appuient pas sur une réalité mais uniquement sur la multiplication des kilos de gaz possibles par les surfaces de sous-sol en roche de schiste. On est donc dans un cadre spéculatif qui n’a pas de réalité chiffrée. De plus, les compagnies pétrolières reconnaissent qu’elles ne peuvent pas récupérer plus de 10 % à 20 % du gaz emprisonné. C’est donc très aléatoire.
Solenne : Les recherches de gaz de schiste ont-elles commencé en France ?
Le ministère de l’environnement, à l’époque Jean-Louis Borloo, a signé des permis de prospection avec un certain nombre d’entreprises. Les premiers permis ont été accordés en mars, les derniers, en août.
Aujourd’hui, ces permis recouvrent entre un dixième et un huitième du territoire national. Les entreprises, à partir de ces permis, font des recherches géologiques à partir des documents miniers existants, puis lanceront des prospections sismiques pour vérifier que ce qui figure sur les documents est là, dans le sous-sol. Après ces deux phases, il y a un potentiel de forages de prospection à partir duquel ils verront si leurs attentes seront récompensées.
Pour l’instant, selon le calendrier, prévu, c’est le permis de Villeneuve-de-Berg (Ardèche) qui est le plus en avance et qui pourrait être le premier sur lequel des camions viendraient faire des prospections sismiques.
Paloma : Pouvez-vous nous expliquer ce qui distingue l’extraction classique du gaz naturel de celle du gaz de schiste ?
Le gaz naturel est exploité en allant chercher des nappes, des poches de gaz dans le sous-sol. En France, par exemple à Lacq, il y a eu une exploitation pendant plusieurs décennies de gaz naturel qui était dans les poches.
Avec le gaz de schiste, le gaz est prisonnier dans la roche. Et pour l’extraire, il faut faire exploser la roche. C’est la technique dite de fracturation, qui se fait en injectant de l’eau sous très haute pression, additionnée de produits chimiques qui permettent d’ouvrir la roche. C’est donc suite à ces fracturations que du gaz peut s’échapper de cette roche. Pour extraire du gaz de schiste, il faut faire des forages très rapprochés, tous les 200 à 500 mètres.
Stéphane : Quels sont les dommages prouvés ou avérés de ce nouveau type de production de gaz ?
Pour l’instant, les éléments d’étude proviennent des Etats-Unis, mais aussi du Canada. Aux Etats-Unis, notamment dans la région de Pennsylvanie, où ces gaz ont été exploités, et dans d’autres régions, on a vu à la fois des pollutions de nappes phréatiques par la technique de la fracturation, puisque les tuyaux de fracturation se sont lézardés, et l’eau sous très haute pression, chargée de produits chimiques et de gaz, s’est répandue dans les nappes phréatiques. Il y a aujourd’hui, dans certaines communes des Etats-Unis, des milliers de personnes qui n’ont plus accès à l’eau potable.
Un des problèmes majeurs liés à cette pollution des nappes, c’est que les firmes pétrolières ont refusé de donner la liste des produits chimiques utilisés pour la fracturation au ministère de l’environnement des Etats-Unis, sous prétexte de brevet industriel. Ce qui pose évidemment des problèmes pour pouvoir évaluer les pollutions et les conséquences sur la santé publique.
D’autres problèmes existent aussi, en surface : il faut stocker l’eau qui a servi à la fracturation et qui est chargée de produits chimiques (chaque fracturation consomme entre 15 et 20 millions de litres d’eau, et il faut répéter cela plusieurs fois avant d’exploiter). Cette eau polluée, il faut ensuite l’évacuer et la stocker dans des bassins grands comme des terrains de football, car cette eau ne peut pas revenir dans le circuit de traitement des eaux usées.
Autre pollution importante, au niveau des territoires, car il faut forer de manière rapprochée, il faut des routes très larges pour les camions qui doivent accéder à chaque puits pour amener les produits chimiques et l’eau, et pour évacuer les produits chimiques. Pour cela, il faut des routes d’au moins 15 mètres de large, et le problème posé en termes d’infrastructures sera très important, d’autant plus que l’exploitation des puits ne dure pas plus de cinq à six ans.
Geoffrey : N’est-il pas incroyable que les permis d’exploration aient été délivrés par le ministère sans même que les collectivités locales n’en aient été informées ?
Je suis tout à fait d’accord avec votre remarque. C’est scandaleux que M. Borloo, le père du Grenelle de l’environnement, ait agi de la sorte.
Le débat n’a eu lieu ni à l’Assemblée nationale, ni au Sénat, ni au Conseil économique et social. Et quand les permis ont été signés, l’Etat ne s’est même pas donné la peine de prévenir les collectivités locales concernées. Ni les mairies, ni les conseils généraux, ni les conseils régionaux, ni les parcs régionaux, ni le parc national des Cévennes.
L’Etat a véritablement décidé de l’omerta en espérant que personne ne réagisse. C’est aujourd’hui la seule analyse qu’on puisse faire, ou alors il faut dire qu’ils sont irresponsables et n’ont pas étudié le dossier.
Maaramu : L’exploitation du gaz de schiste concernera très peu de pays en Europe, donc quelle peut être la voix de l’Europe sur ce sujet ? D’autant que grâce à ces ressources, le prix du gaz va baisser ou sera stable, donc ce sera tout bénéfice pour les consommateurs européens. Mais peut-être êtes-vous pour une augmentation du prix de l’énergie, ce qui entraînera une précarité énergétique pour les plus fragiles.
Le problème est de savoir si le gaz de schiste sera une énergie de substitution au gaz naturel ou au pétrole dans les dix à quinze ans à venir. Cela n’a jusqu’à présent fait l’objet d’aucun débat scientifique sérieux. Les seuls qui affirment qu’il y a des réserves et que leur exploitation pourra se faire sans problème sont les compagnies pétrolières.
C’est pourquoi, en même temps que nous demandons l’arrêt des permis de prospection, nous demandons un débat public au niveau national et au niveau européen sur la question de l’énergie et sur une prospection à 30 et 50 ans, à la fois des besoins, mais aussi des modes de production et des conséquences.
Car aujourd’hui, on ne peut plus traiter cette question sans en même temps évaluer l’émission de CO2, que la France s’est engagée à réduire de 20 % à 30 %, comme l’ensemble de ses partenaires européens. Le débat aujourd’hui sur l’énergie est indispensable avant toute mise en avant d’une technologie par rapport à une autre.
Romain : Quelles sont les entreprises françaises qui sont sur ce marché, ces entreprises sont-elles déja connues et si oui avez-vous un avis sur elles… ?
Pour l’instant, les deux entreprises françaises qui ont obtenu des permis sont Total d’un côté, et GDF-Suez de l’autre. Ces entreprises sont adossées à des entreprises américaines déjà engagées de l’autre côté de l’Atlantique dans l’exploitation du gaz de schiste. Une autre entreprise a obtenu un permis d’exploration pour de l’huile de schiste sur le Bassin parisien. Il s’agit de Toreador, dont le dirigeant est M. Balkany.

Bleuen : La France exige-t-elle la communication de la liste des produits chimiques utilisés pour l’extraction ?
Pour l’instant, aucune étude française, et aucun cahier des charges, n’ont été mis en avant par le ministère de l’environnement dans ce dossier. Le ministère de l’environnement dira qu’il met en place des études environnementales uniquement quand les demandes de puits d’exploration se feront. On est donc à mon avis dans une situation pas du tout prospective, et j’engage Mme Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie et du développement durable, à se joindre à nous pour demander, au nom de son ministère, l’annulation des permis d’exploration tant que l’ensemble des données ne seront pas transparentes et que les risques environnementaux n’auront pas été évacués.
NM : Pourquoi le problème du pic pétrolier n’est-il pas plus présent dans le discours des écologistes ? Ne pensez-vous pas que l’après-pétrole devrait être l’un des thèmes majeurs de la campagne de 2012 ?
Je pense effectivement que la question du pic pétrolier est une des questions importantes à moyen et long terme, et qu’elle nécessite une véritable stratégie de lutte contre le gaspillage des matières fossiles pour une meilleure efficacité énergétique et pour le développement d’énergies alternatives renouvelables. Cela ne pourra se faire que dans un cadre européen, avec un budget de la recherche conséquent.
Amis de la Terre Midi-Pyr : Puis-je refuser les forages exploratoires sur un terrain qui m’appartient ?
Dans le cas du gaz de schiste, ce n’est pas le code civil qui prédomine, mais le code minier. Donc le sous-sol appartient à l’Etat, et en cas de demande de forage sur une propriété privée, l’Etat sera obligé d’exproprier le propriétaire.
Carole : En tant que député européen, pensez-vous pouvoir utiliser les pétitions contre les forages de gaz de schiste qui circulent pour que le Parlement européen se prononce sur le problème ? Que peuvent faire les députés européens pour arrêter ces projets de forage ?
On envisage de lancer une pétition au niveau européen dans le cadre de la nouvelle procédure qui est autorisée par le traité de Lisbonne. Nous allons donc en même temps, au niveau des députés européens, lancer un intergroupe avec d’autres formations politiques et d’autres pays, notamment de l’Est, concernés par les projets de prospection, pour organiser à ce niveau-là aussi le débat et, à terme, la suspension dans un cadre européen de cette exploitation.
Dominique : Si l’on parvient à sécuriser les techniques d’extraction des gaz de schiste pour préserver l’environnement, ce gaz se révèle beaucoup moins polluant que le charbon. Qu’en pensez-vous ?
Il est un peu tôt pour le dire. Certaines études aux Etats-Unis, de l’université de Cornell, montreraient que cette exploitation du gaz de schiste pourrait se révéler au moins aussi polluante que le charbon, si ce n’est plus. Mais pour l’instant, nous n’avons pas assez de recherches pour pouvoir nous prononcer de manière définitive et indiscutable.
Lapetitemaison : Quand le film “Gazland” sera-t-il visible en France ?
Le film “Gazland” est déjà visible en France, puisqu’on peut le télécharger sur Internet. Actuellement, nous sommes en discussion avec le réalisateur pour essayer de mettre en place une version française. Nous espérons pouvoir avoir une sortie en salles aux alentours du mois de mars ou du mois d’avril.
Je rappelle, pour ceux qui n’ont pas encore entendu parler de ce film, qu’il relate la traversée, de la Pennsylvanie notamment, par le réalisateur du film, qui se retrouve du jour au lendemain avec une proposition de forage chez lui. Donc il décide de traverser les Etats-Unis pour aller se rendre compte directement de la réalité de cette exploitation.

Une des scènes de son film les plus reprises sur Internet montre un habitant d’un village qui, après avoir fait couler de l’eau dans son évier, allume son évier avec un briquet, et l’évier s’enflamme parce que la nappe phréatique s’est trouvée remplie de gaz.
Ce film est véritablement le premier reportage sur ces extractions de gaz de schiste.
Romain : Des recours pour excès de pouvoir ont-ils été engagés contre les permis d’exploitation ? Des référés suspension ont-ils été déposés ?
Pour l’instant, aucun recours juridique n’a été déposé. Nous étudions, avec plusieurs cabinets d’avocats, les recours à mettre en place. Et nous allons, avec les collectivités locales et les régions, mettre en commun une stratégie juridique complémentaire à la mobilisation sur le terrain. C’est l’objet notamment de la coordination qui se tiendra dans le courant du mois de février dans le Sud-Est.
Emmanuel : Quels sont les arguments portant sur la sûreté de l’exploitation avancés par GDF et Total ?
Il est difficile pour moi de parler à la place des pétroliers. Mais comme à chaque fois, les arguments qui sont avancés sont de dire que les techniques françaises sont plus sûres que les techniques américaines, et que bien évidemment, tout se fera dans le respect des règles environnementales. C’est ce que j’appelle la langue de bois industrielle.
Arthur : Existe-t-il un organe de contrôle national ou international sur ce genre de gisements ?
A ma connaissance, il n’en existe pas. Et malheureusement, quand il s’agit de prospection minière, les Etats ont pris l’habitude de se coucher devant les compagnies.
Caroline : Concrètement, que faire ? Des réunions publiques d’informations, des pétitions ? Quel poids peut avoir la société civile face à de tels enjeux et comment s’y opposer ?
Sur l’ensemble des territoires où les permis ont vu le jour, des collectifs se mettent en place, regroupant à la fois des citoyens, des associations de l’environnement, des organisations syndicales et politiques. Les premiers éléments, évidemment, sont l’information. C’est pourquoi j’incite tous ceux qui nous lisent à participer à l’organisation de débats publics dans l’ensemble des communes, à faire signer massivement la pétition “Gaz de schiste ? Non merci”, et en même temps, à faire circuler les délibérations des communes qui demandent l’annulation des permis.
A l’heure qu’il est, nous avons déjà plusieurs dizaines de communes qui ont pris de tels arrêtés. Le conseil général de l’Ardèche va en faire de même, et le conseil régional de Rhône-Alpes a été le premier à prendre une telle délibération. Les conseils régionaux de Midi-Pyrénées et de Languedoc-Roussillon vont suivre très certainement au mois de février.
En lançant la mobilisation très en amont des risques de forage, nous pouvons obtenir l’annulation de ces permis et la mise en place d’un débat public. En tout état de cause, il faut alerter au maximum et interpeller tous les responsables politiques pour qu’ils se situent par rapport à ces projets.
Casimir : Qu’en pensent vos collègues d’Europe Ecologie ?
L’ensemble des élus d’Europe-Ecologie, que ce soit au Parlement européen ou au niveau national, ont compris l’enjeu de cette mobilisation et sont prêts à la porter dans toutes les instances politiques dans lesquelles ils siègent.
Le rôle des conseillers régionaux Europe-Ecologie est à ce niveau-là très important, puisqu’ils participent à la mobilisation sur le terrain avec l’ensemble des acteurs locaux de toutes composantes politiques, syndicales ou environnementales.
Cela ne doit pas être uniquement le combat de ceux qui se reconnaissent dans Europe-Ecologie, mais bien de tous les citoyens qui se sentent concernés.

Régine Peyrat : La pénurie d’énergie est là et le pétrole augmente de 9,49% par an depuis 1974, sachant qu’en l’an 2100 toutes les énergies fossiles seront épuisées sur la planète selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), comment préparons-nous nos petits-petits enfants à faire face ? Pour faire cuire le mouton et chauffer nos maisons par exemple ?
C’est pour cela que je reviens sur ce que je disais précédemment : la nécessité d’un débat au niveau européen et national sur à la fois les besoins en énergies, les réserves de différentes sortes, et la façon d’aborder la raréfaction des énergies fossiles.
Aujourd’hui, par exemple, on parle de bâtiments à énergie positive, et c’est une très bonne chose, mais un des plus grands gouffres énergétiques est représenté par l’habitat ancien, non isolé ou mal isolé. Traiter cette question, c’est aussi orienter l’économie vers le local, et donc créer des emplois en grande quantité pour faire face à ce gaspillage énergétique qui est l’un des plus problématiques aujourd’hui.
Thomas : M. Bové, serez-vous candidat aux primaires des écologistes pour la présidentielle de 2012 ?
Ma réponse est non. Aujourd’hui, deux candidats ont déjà fait acte de candidature à l’intérieur d’Europe-Ecologie, Mme Eva Joly, que je soutiens, et M. Yves Cochet. Y aura-t-il d’autres candidats qui se feront connaître ? L’avenir nous le dira, mais en tout état de cause, nous ouvrirons le débat à tous ceux qui se sentent proches de l’écologie pour choisir en définitive notre candidat à la présidentielle.