Articles du Vendredi : Sélection du 28 avril 2023

« La Fresque du climat invisibilise les racines politiques et idéologiques du réchauffement »
Stéphane Foucart
www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/23/la-fresque-du-climat-invisibilise-les-racines-politiques-et-ideologiques-du-rechauffement

Comme des centaines de milliers de Français, les journalistes du « Monde » ont suivi l’atelier de formation aux enjeux du dérèglement. En se focalisant sur ses aspects techniques, l’exercice minimise sa dimension politique, estime Stéphane Foucart dans sa chronique.

Comme des centaines de milliers de Français, les journalistes du Monde ont commencé à suivre, ces dernières semaines, la formation sur le changement climatique créée par Cédric Ringenbach en 2015, la Fresque du climat. C’est un atelier ludique et pédagogique d’environ trois heures, au cours duquel le formateur (le « fresqueur ») guide les participants (les « fresqués ») dans un jeu de cartes dont l’objectif est de comprendre les causes et les conséquences du dérèglement climatique. Chaque carte incarne un élément du phénomène et doit être placée après les cartes représentant ce qui le cause, et avant celles figurant ses conséquences.

Schématiquement, la carte « combustion de ressources fossiles » est placée après la carte « activités humaines », mais avant la carte « émissions de gaz à effet de serre ». C’est logique : les activités humaines sont à l’origine de la combustion du gaz, du pétrole et du charbon, cette combustion étant elle-même une cause des émissions de carbone. En une quarantaine de cartes se compose ainsi un panorama du problème climatique – une fresque, donc – qui se comprend facilement et s’embrasse d’un coup d’œil.

Du bilan radiatif de la Terre à l’acidification des océans, des impacts du carbone atmosphérique sur la vie marine et les écosystèmes terrestres à ceux sur l’agriculture, la Fresque du climat donne à peu près tout à comprendre de la question. Et, à la fin de l’atelier, le « fresqueur » présente aux participants des affichettes indiquant à chacun l’empreinte carbone moyenne de ses activités les plus fondamentales (transport, chauffage, alimentation…) et met ainsi chacun face à ses responsabilités.

Une approche « neutre et objective »

Alors qu’un sondage (Ipsos/EDF) publié fin 2022 sur le sujet suggère que 37 % des Français demeurent climatosceptiques, nul ne saurait contester l’utilité de la Fresque. D’autant que celle-ci fonde sa crédibilité sur une approche « neutre et objective », appuyée sur le consensus scientifique le plus solide : une fois sorti de formation, on ne peut qu’être convaincu, et de la taille, et des causes humaines du problème, comme du risque existentiel qu’il y aurait pour les sociétés humaines à ne pas s’en préoccuper.

La Fresque a cependant les défauts de ses qualités. Pour pouvoir se targuer de neutralité et d’objectivité, elle n’aborde le réchauffement que sous son aspect technique. Elle en fait un problème physico-chimique, une question de sciences naturelles. Elle invisibilise de ce fait ses racines politiques et idéologiques et prend ainsi le risque de diffuser, en creux, deux idées dangereuses.

La première est celle du caractère performatif du savoir : produire et diffuser de la connaissance sur un problème reviendrait à le résoudre. Cette idée, très répandue dans le monde savant, a notamment présidé à la création du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC),en 1988. Or, on le voit, le célèbre panel scientifique a permis de consolider, de synthétiser et de diffuser la connaissance sur le réchauffement auprès des décideurs, mais cette connaissance accumulée ne s’est pas traduite par une diminution des émissions de gaz à effet de serre.

Quant à la seconde, elle fait accroire que, le réchauffement n’ayant pas de racines idéologiques bien identifiées, sa résolution ne tient qu’à une série de mesures techniques solubles dans tout projet politique. Il y aurait des solutions de droite, de gauche, des solutions libertariennes ou néolibérales, néofascistes ou sociales-démocrates.

Dérive oligarchique du néolibéralisme

Vouloir explorer les causes profondes du changement climatique, c’est au contraire accepter d’aller bien au-delà des sciences naturelles.

C’est accepter de se frotter à des questions politiques, par exemple s’interroger sur les modalités de la création monétaire et du financement des économies, sur la sacralisation du marché et de la croissance, sur la fétichisation de l’innovation technique, sur le mépris de la condition animale, sur le rapport à l’oisiveté, sur la dérive oligarchique du néolibéralisme, sur les effets environnementaux de la différenciation sociale…

Les exemples récents de dépolitisation de l’enjeu climatique ne manquent pas. Le 11 avril, à l’Assemblée nationale, le ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, déclarait : « Le dérèglement [climatique] est une réalité qui n’est pas politique, mais qui est naturelle. Cessez d’en faire des objets de polémique ! » Deux jours plus tard, le journaliste et animateur Hugo Clément , devenu une figure du mouvement environnementaliste en France, débattait avec Jordan Bardella (RN) à l’invitation du magazine d’ultradroite Valeurs actuelles . Il s’est immédiatement attiré une tempête de critiques, lui objectant qu’il risquait de servir de caution verte à un parti d’extrême droite dont le système de valeurs le rend ontologiquement incapable de répondre à la crise environnementale.

A l’inverse, l’émergence du mouvement Scientifiques en rébellion montre qu’une part de la communauté savante ne se satisfait plus du rôle pédagogique auquel elle s’était assignée. Le temps n’est plus seulement à expliquer la science du réchauffement – comme le fait la Fresque du climat –,mais à la prise de position, voire à l’action politique.

Même la climatologue Valérie Masson-Delmotte , coprésidente du groupe 1 du GIEC, qui a toujours eu le souci d’être apolitique, factuelle, prudente et mesurée dans son expression publique, est intervenue, le 12 avril, à la soirée de soutien aux Soulèvements de la Terre – mouvement dont le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, cherche la dissolution . Le temps est certainement venu, pour les concepteurs de la Fresque du climat, de réfléchir à un second volet de leur célèbre atelier.

L’étonnant laxisme de l’État face à la colère des agro-industriels
Marie Astier
https://reporterre.net/L-etonnant-laxisme-de-l-Etat-face-a-la-colere-des-agro-industriels

L’État réprime durement les manifestants écologistes, mais ne touche pas aux mobilisations d’agriculteurs productivistes. La preuve en trois exemples.

« Des volontés de manifestations extrêmement violentes contre les forces de l’ordre et contre les symboles de l’État. » Tels ont été début avril les mots du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin pour décrire la mobilisation prévue les 22 et 23 avril prochains contre le projet d’autoroute A69, entre Toulouse et Castres. Une déclaration qui sonne comme un énième avertissement aux opposants à ce projet et aux Soulèvements de la Terre, l’un des organisateurs de l’événement.

Comme pour la mobilisation contre les mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) le 25 mars dernier, le scénario se répète : le gouvernement alerte sur les violences possibles, préparant les esprits à un maintien de l’ordre massif et lourdement armé. Pourtant, rien de tel quand, à l’inverse, une manifestation d’agriculteurs conventionnels ou de pêcheurs se profile. Alors que des symboles de l’État sont régulièrement visés. Trois exemples sont significatifs.

1. La FNSEA, toujours proche des pouvoirs publics malgré des manifestations destructrices

Le mercredi 22 mars, avant Sainte-Soline, entre 120 et 200 tracteurs de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) 17 ont manifesté à La Rochelle contre l’interdiction des pesticides et pour les mégabassines. Ils ont pu décharger purin et pneus usagés devant la direction départementale des territoires et de la mer sans que cela ne soit considéré comme une atteinte à un symbole de la République. Ils ont même été reçus par le préfet.

À l’occasion de cette manifestation, pneus et fumier ont également été déversés devant la mairie de L’Houmeau, dont le maire souhaite racheter des terres pour y faire du maraîchage biologique. « Ce n’était qu’un premier avertissement. S’il faut séquestrer le maire dans sa mairie, nous le ferons », menaçait à cette occasion Sébastien Brochet, président de la FNSEA pour le canton de La Rochelle, dans le journal Sud Ouest. Une autre mairie, celle de Nieul-sur-Mer — dont le maire a réclamé un moratoire sur le pesticide prosulfocarbe — a eu droit au même traitement.

Les démonstrations de force sont un classique des manifestations d’agriculteurs de la FNSEA. En février dernier, à Mont-de-Marsan (Landes), les agriculteurs laissaient derrière eux une facture de 120 000 euros de nettoyage. Toujours en février, les agriculteurs gardois faisaient un feu de vigne géant devant la préfecture à Nîmes et déversaient du fumier devant la sous-préfecture du Vigan.

En 2014, Reporterre recensait déjà les coups d’éclat du syndicat agricole majoritaire : saccage du bureau de la ministre de l’Environnement Dominique Voynet en 1999, destruction du mobilier et des ordinateurs pour 60 000 euros de dégâts à l’hôtel des impôts de Morlaix en 2004, destruction de zone humide et prise à partie des agents du parc naturel régional du Morvan en 2013… Le tout a donné lieu à des peines d’amende symboliques ou des relaxes.

L’habitude est ancrée depuis plusieurs dizaines d’années. « En 1974, Alexis Gourvennec [syndicaliste et entrepreneur agricole] déclarait : “2 000 agriculteurs qui cassent tout, c’est plus payant que 10 000 manifestants qui défilent dans le calme” », rappelait la journaliste Inès Léraud lors de la soirée de soutien aux Soulèvements de la Terre coorganisée par Reporterre. Et d’ajouter : « Depuis, à l’appel de la FNSEA, on ne compte plus les tonnes de pneus, de palettes brûlées sur la voie publique, les installations ferroviaires sabotées, les véhicules de police et de gendarmerie détériorés, les denrées alimentaires et récoltes détruites, les bâtiments officiels aspergés de lisier ou mis à sac, les fonctionnaires molestés. »

Lire aussi : Passages à tabac, intimidations… Les écologistes pris pour cible

Malgré ces atteintes aux personnels et aux bâtiments de service public, les manifestations de la FNSEA ne déclenchent pas la mobilisation de milliers de forces de police et l’utilisation de milliers de grenades. Pour rappel, l’action des forces de police à Sainte-Soline a fait 200 blessés dont 40 graves selon les organisateurs. Un manifestant est toujours entre la vie et la mort, dans un état très préoccupant.

2. Protection pour les agriculteurs, pas pour les militants écologistes

Après la manifestation à La Rochelle, les agriculteurs de la FNSEA 17 ont aussi fait un crochet par le domicile de Patrick Picaud, membre de l’association Nature Environnement 17, qui mène des recours juridiques souvent gagnants contre les mégabassines. « Ils ont éparpillé pneus, gravats, fumier et tuyaux dans mon jardin », raconte-t-il à Reporterre. Sa femme, présente, a dû faire face à une cinquantaine d’agriculteurs en colère. « Ils ont aussi dit qu’ils allaient revenir brûler ma maison », indique M. Picaud. Les intimidations contre lui durent depuis 2012. Il a connu « des affiches avec [s]on portrait et un avis de recherche placardés dans les communes alentours, des pneus crevés, [s]a boîte aux lettres vandalisée, énumère-t-il. Toutes les plaintes ont été classées sans suite ». Cette fois-ci, les auteurs étaient facilement identifiables et une enquête est en cours.

Après dix ans d’intimidations, il n’a pas demandé de protection. « Ce n’est pas la peine, on met des milliers de forces de l’ordre pour défendre les bassines, mais il n’y a pas de volonté de défendre les gens qui s’impliquent. » La journaliste bretonne Morgan Large, qui s’est fait déboulonner une roue de sa voiture à deux reprises et empoisonner son chien — probables représailles à son travail sur l’agriculture industrielle —, a elle demandé une protection policière. Un simple numéro à appeler en cas d’urgence, qui lui a été refusé. Le fait que l’association France Nature Environnement ait recensé cinquante-deux cas d’agressions, d’atteintes aux biens ou de menaces contre ses membres depuis 2015 — une bonne partie émanant du monde agricole productiviste — n’a pas non plus ému le ministre de l’Intérieur.

En Île-de-France, les militants contre l’urbanisation du plateau de Saclay ont eux aussi pu expérimenter ce parti pris des gendarmes. Alors qu’ils distribuaient des tracts à l’entrée d’un festival organisé par les Jeunes agriculteurs — un syndicat proche de la FNSEA —, en octobre 2022, « des agriculteurs nous ont bousculé, arraché et détruit nos tracts et pancartes pour nous faire partir, sous l’œil impassible d’une vingtaine de gendarmes, raconte Sabrina Belbachir, du Collectif contre la ligne 18 et l’artificialisation des terres. Et quand on est sorti du champ, les gendarmes ont pris le relais en nous menaçant de nous accuser de trouble à l’ordre public ».

À l’inverse, la gendarmerie nationale prend soin des agriculteurs de la FNSEA. Elle a signé avec le syndicat, en 2019, une convention pour la création d’une cellule spéciale dédiée aux « atteintes au monde agricole ». Nommée Déméter, elle doit lutter contre les vols sur les fermes, mais aussi surveiller les militants antipesticides ou opposés à l’élevage industriel.

Quand ses missions ont été partiellement retoquées par la justice, début 2022, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et deux ses collègues ministres se sont même empressés de rassurer la FNSEA au Salon de l’agriculture quant au maintien du dispositif.

3. Les pêcheurs incendient le service public de la biodiversité

L’affaire a laissé les agents de l’Office français de la biodiversité (OFB) sous le choc. Le 31 mars, un incendie a dévasté les bureaux de ces fonctionnaires en charge de la protection de la biodiversité marine, à Brest. Il s’est probablement déclenché à la suite d’une manifestation des pêcheurs devant le bâtiment, la veille. « Le responsable du site a donné le chiffre de 300 fusées de détresse tirées sur notre bâtiment le 30 mars, déplorait Sylvain Michel auprès de Reporterre, représentant syndical à l’OFB. Il y en a eu des dizaines voire des centaines, dont certaines directement sur notre bâtiment, en plus d’un feu allumé en face. »

Surtout, « la police n’a pas cherché à s’opposer et a même reçu l’ordre de laisser-faire, nous indiquait un agent de l’OFB sous couvert d’anonymat. […] Une dizaine de policiers étaient présents lors de la manifestation et avaient ordre de ne pas intervenir tant qu’il n’y avait que des dégâts matériels ». C’est pourtant la protection de biens matériels qui a, entre autres, justifié la forte mobilisation des forces de police lors de la manifestation à Sainte-Soline.

En revanche, l’atteinte à un bâtiment de la République par les pêcheurs qui défendaient le chalutage industriel n’a pas suscité de réaction de Gérald Darmanin. Le secrétaire d’État à la mer Hervé Berville est, lui, accusé d’avoir mis de l’huile sur le feu. L’association Bloom a porté plainte, dénonçant les propos « mensongers » du secrétaire d’État qui ont, selon elle, attisé la colère des pêcheurs et fait croire que les mesures de protection de la biodiversité pourraient porter préjudice à la pêche artisanale, ce qu’elle conteste.

Dans le cas des mégabassines comme de la pêche, « l’État se range du côté de ceux qui exploitent le vivant et contre ceux qui essayent de le défendre », se désespère auprès de Reporterre un agent de l’OFB.

Timothée Parrique : « La décroissance est incompatible avec le capitalisme »
Hervé Kempf
https://reporterre.net/Timothee-Parrique-La-decroissance-est-incompatible-avec-le-capitalisme

Il n’est pas trop tard pour aller vers la décroissance, selon l’économiste Timothée Parrique. Cela suppose de changer tout notre système capitaliste.

Timothée Parrique est économiste et auteur d’une thèse sur la décroissance et du livre « Ralentir ou périr — L’économie de la décroissance » (éd. Seuil).

Reporterre — Peut-on faire de la sobriété énergétique sans décroissance ?

Timothée Parrique — La décroissance est une réduction de la production et de la consommation, avec quatre aspects : on le fait pour alléger l’empreinte écologique, de manière planifiée démocratiquement, en faisant attention aux inégalités et dans le souci du bien-être. C’est devenu une boîte à outils formidable pour repenser l’économie aujourd’hui.

Vouloir la sobriété tout en maintenant l’activité économique, c’est l’équivalent de vouloir freiner tout en maintenant le pied sur l’accélérateur. Cette croyance que l’on pourrait produire plus et polluer moins est une fake news. Le dernier clou sur le cercueil de cette hypothèse de la croissance verte a été posé dans le volet 3 du dernier rapport du Giec [1]. Tous les auteurs cités le disent : on a observé des verdissements ici et là, la plupart du temps seulement sur le carbone, et dans tous les cas c’est insuffisant.

Est-il possible de faire croître le produit intérieur brut (PIB) tout en réduisant nos effets sur l’environnement ?

Une croissance véritablement verte serait une croissance où il n’y aurait aucun coût environnemental. Ça ne sert à rien d’en supprimer un si on le déplace ailleurs. Aujourd’hui, les discussions sur la croissance verte ne regardent que le carbone. Donc ce n’est pas une transition écologique.

Quelles sont les autres pressions que le CO2 ?

Un deuxième grand indicateur est l’empreinte matière, qui concerne notre dépendance à l’extraction de biomasse, de minéraux, de métaux. Cela rassemble 90 % des impacts sur l’environnement. On approche 17 tonnes par an par habitant en France d’empreinte matière, alors qu’on n’aurait jamais dû dépasser 3 à 6 tonnes.

Le but est une économie de production et de consommation conciliable avec la soutenabilité écologique définie par les scientifiques. Pour simplifier, le respect des limites planétaires. On en est loin. Il faudrait faire le plus de décroissance possible dès le départ et ensuite se concentrer pour verdir ce que l’on n’aura pas pu faire décroître.

Ça, c’est la théorie officielle.

C’est l’approche du Giec : éviter, substituer, améliorer. La meilleure façon d’éviter est de sélectionner les biens et services les plus polluants, par exemple dans les transports : prendre moins l’avion, la voiture. La décroissance dans ce sens est une stratégie d’atténuation du changement climatique non seulement rapide, mais aussi certaine parce qu’elle permet d’éviter les émissions dès maintenant. Et il y a énormément de marge de manœuvre pour réduire des productions et des consommations qui ne contribuent plus ou n’ont jamais contribué au bien-être.

Le PIB reste pourtant l’instrument de pilotage essentiel des décideurs économiques.

C’est un obstacle majeur. On a créé toute une culture, tout un imaginaire autour du PIB qui ne correspond pas du tout à la réalité de l’indicateur. Le progrès, l’innovation, l’éradication de la pauvreté, l’amélioration du vivre-ensemble, la cohésion sociale, la paix ne sont pas des choses mesurées par le PIB. Il faut arrêter d’utiliser le PIB comme indicateur du bien-être.

En 2008, une commission lancée avec l’appui de la Commission européenne a étudié le moyen de se passer du PIB. Et puis rien ne s’est passé.

Tout le monde est d’accord sur les limites du PIB. Mais on n’a pas réussi à le changer. Des pays comme l’Islande, la Finlande, le Pays de Galles, l’Écosse et la Nouvelle-Zélande se sont lancés dans le défi d’une alternative au PIB. Mais cette question des indicateurs est la moins radicale, avec le moins de conséquences.

Si cela n’avait pas de conséquences, ça ne devrait pas poser problème de le changer. Or le système refuse. C’est problématique, non ?

L’idéologie de la croissance s’est développée indépendamment de cet indicateur. Pour elle, le but du gouvernement est d’augmenter la croissance du PIB, celui de l’entreprise est de faire des profits, et celui de l’individu de générer des revenus. Mais les coopératives, qui se sont débarrassées de la lucrativité, ont leurs propres indicateurs. On pourrait faire la même chose si l’on posait un cadre de comptabilité écologique dans les entreprises : le financier serait encastré dans le social, lui-même encastré dans l’écologique.

La décroissance est-elle compatible avec le capitalisme ?

Non.

Pourquoi ?

Le capitalisme a pour objectif l’accumulation du capital. Des objectifs de convivialité sociale et de soutenabilité écologique, avec comme priorité le renoncement, sont contraires à l’objectif du capitalisme. Si l’on veut prospérer sans croissance, il va nous falloir changer les institutions qui composent le système capitaliste — l’organisation du travail sous le salariat, la concentration des moyens de production, l’organisation de la production avec l’objectif de la lucrativité et la vente de marchandises sur des marchés.

« Quand on parle de décroissance, ça fâche »

Quel mot fait le plus peur, « décroissance » ou « anticapitalisme » ?

« Décroissance. » Le capitalisme est un concept beaucoup trop abstrait : à la télé, dans les journaux, personne ne parle de capitalisme. Alors que la croissance est le sens commun d’aujourd’hui. Et quand on parle de décroissance, ça fâche et si l’on veut transformer un système, il faut des mots qui créent un désaccord pour que l’on puisse discuter.

Le mot « besoin » n’est-il pas fondamental ?

Si. Le but de l’économie est de satisfaire les besoins. La critique de la croissance est celle d’une économie qui a perdu de vue les besoins.

Parce que la maximisation du PIB, des profits ou des revenus n’a aucune correspondance avec des besoins concrets. On ne peut pas utiliser plus de tonnes de carbone qu’il n’y en a dans notre budget, de même que vous ne pouvez pas dépenser plus d’euros que vous n’en avez dans votre porte-monnaie. Donc, il faut des priorités. Comment les choisir ? On va par exemple regarder les jets privés, et se rendre compte que si l’on réduit les jets privés en France, il n’y aura pas une baisse de l’espérance de vie, une dégradation des services publics, une baisse du taux moyen de bonheur. Alors que si l’on baisse quelque chose lié au chauffage des ménages en situation de précarité énergétique, il y aura un impact sur le bien-être.

Vous avez comparé le budget carbone avec le budget euro. La grande différence, c’est que, en monnaie, on peut emprunter.

Et c’est extrêmement surprenant : les contraintes financières, la monnaie étant une construction sociale, sont assez flexibles. Alors que la contrainte carbone, non, parce qu’on ne peut pas négocier avec le climat. Mais on se retrouve dans des situations où l’on fait fluctuer le social et l’écologique en fonction des budgets financiers. Cette obsession du financier, on doit la renverser. On l’a déjà fait pendant la pandémie, quand on a levé la règle européenne de ne pas dépasser un déficit de 3 % du PIB.

Le changement climatique, ce devrait être la même chose. Mais les pays du Nord empruntent du budget carbone aux pays du Sud depuis des décennies, voire des siècles. Or les pays du Nord ne vont pas pouvoir rendre. Parce qu’à la différence de l’argent, le carbone, une fois qu’il a été brûlé, il n’est pas récupérable. Donc il y a une question de justice globale : si on a un budget limité, il faut le partager. Devrait-on l’utiliser dans des pays du Sud qui vont en avoir extrêmement besoin ? Ou dans nos pays riches pour faire ces choses qui ne contribuent plus au bien-être ?

La décroissance est elle compatible avec l’énergie nucléaire ?

Le but de la décroissance est de faire baisser la demande énergétique, notre besoin en ressources naturelles et nos impacts environnementaux. Une fois qu’on aura minimisé ce besoin et changé notre mode de vie, il y aura une demande minimum d’énergie. Quelle sera alors la manière la plus soutenable, la plus juste de nous approvisionner ? C’est là que devrait entrer la question du nucléaire. Ivan Illich critiquait le nucléaire, non pour son aspect écologique, mais pour les formes d’organisation sociale que cette technologie implique. La décroissance va vers une relocalisation, dans l’idéal du municipalisme libertaire. Dans ce concept de souveraineté énergétique, pas à l’échelle du pays, mais de la biorégion ou du village, des technologies comme le nucléaire sont très compliquées à utiliser.

« Il est encore temps d’orienter les choix autrement. »

Elon Musk, qui est la figure de proue du technocapitalisme, déploie une vision du futur qui peut plaire à un certain nombre de gens. Qu’est-ce qui pourrait séduire dans la société postcroissance ?

La lucrativité aurait disparu. Les décisions économiques seraient centrées sur la satisfaction des besoins. Le volume des incitations financières baisserait pour laisser resplendir l’économie la plus ancienne du monde, celle des réciprocités, des systèmes de dons et des priorités liées aux besoins. Ce qui me fait le plus rêver dans ceci, c’est notre relation au travail, alors qu’aujourd’hui la plupart des personnes sont déçues par le leur.

Une société de décroissance, c’est une société où l’on aime le travail qu’on fait, parce qu’il a du sens et ne dévore pas la vie ?

C’est une société où l’on peut se permettre de choisir un travail en fonction d’objectifs, de convivialité et de soutenabilité, en mettant l’impératif financier de côté. Ça demande un encadrement des salaires avec une revalorisation des bas salaires et un salaire maximum, dans une stratégie de limite de la richesse et des revenus.

Le revenu maximal ne devrait pas déranger beaucoup de gens, en fait ?

Oui, ça ne changerait pas grand-chose à la situation de la majorité des gens. Même Bernard Arnault y gagnerait, parce que les pays qui ont les plus faibles taux d’inégalité ont les plus hauts indicateurs du bien-être.

 

 

Mais Bernard Arnault, Vincent Bolloré ou Elon Musk sont-ils préoccupés par le bien-être des populations en France ou aux États-Unis ?

Je ne pense pas. Il est anormal que des individus aient pu accumuler autant de richesses. Quand on fait l’historique de la croissance dans un pays comme la France, qui exerce une pression environnementale énorme depuis des décennies, on se rend compte qu’une grande partie de la richesse accumulée n’a pas de légitimité, du fait de la colonisation. Si le carbone avait été taxé depuis 1960 et que l’on passait la note aux industries pétrolières, la somme serait énorme.

Les néolibéraux ne bloquent-ils pas la recherche économique et la discussion sur la décroissance ?

Si. Les sciences économiques sont fermées, pas seulement à la décroissance, mais à l’économie hétérodoxe en général, qu’elle soit marxienne, institutionnelle, féministe ou écologique. Depuis que j’ai publié ma thèse en mars 2020, j’ai dû faire 200 ou 300 interventions sur la décroissance, mais jamais dans un département d’économie. Les économistes ne sont pas intéressés par le concept.

Imaginons que l’Europe entre en décroissance choisie. Si les États-Unis et la Chine continuaient dans la croissance, que se passerait-il ?

Si la Chine et les États-Unis veulent continuer à croître, il va falloir trouver les ressources. Premier problème. Alors que si l’Europe décide de la décroissance et parvient à une certaine souveraineté énergétique, elle sera beaucoup plus résiliente. Donc le jour où il y aura une crise énergétique ou une crise de l’eau, elle sera prête à y faire face. Les pays qui refusent ou qui retardent ce processus subiront un jour ou l’autre l’effondrement. Et le jour où ils seront confrontés à la réalité, plus grosse sera leur empreinte écologique, plus violente sera la chute.

En Suède, l’extrême droite prend une place inattendue, comme en France ou en Italie. Comment analysez-vous ce phénomène ?

Si dans les années 70 on avait fait des choix différents, je ne pense pas qu’aujourd’hui on serait confrontés à des poussées d’extrême droite aussi prononcées. Si l’on n’agit pas aujourd’hui, des crises migratoires seront d’une ampleur inégalée comparé à ce qu’on a pu observer dans les dernières décennies, et on se retrouvera avec des problèmes insurmontables.

Est-il encore temps d’orienter les choix autrement ?

Oui. Il y a toujours une opportunité pour réduire une empreinte écologique. Si l’on commence aujourd’hui, cela nous prendra quelques décennies de travail avec des choix très difficiles. Si l’on attend dix ans, cela s’étalera sur quarante ou cinquante ans. Si on avait commencé dans les années 70, ça serait déjà terminé.

Eguraldiaz
Josebe Blanco
www.argia.eus/albistea/eguraldiaz

Ezezagunekin ohikoa den bezala, eguraldiaz arituko naiz. Hizpide neutroa delakoan eta anonimotasuna mantentzearren erabiltzen da eguraldia. Halere, neutrotzat jotzen dugun horretaz hitz egitean ere, geure buruaren berri ematen diogu solaskideari, nahi gabe. Ondokoak “zer eguraldi ona!” edota “hau eguraldi petrala!” esatean, munduan egoteko duen eraz ari den bezala, erantzunak ere agerian uzten du solaskidearen soslaia. Inork ez du, ordea, dagokion galdera egiten –ezta bere buruari ere–: zertarako, baina? Terraza batean egoteko? Patatak ereiteko? Mendira joateko? Baratzean rotabatorea pasatzeko? Hondartzara joateko? Belarretan aritzeko?

Bakoitzak eguraldia ona ala txarra dela erabakitzeko arrazoiak izango ditu, barru-barruan; kontua da inork ez duela zalantzan jartzen eguraldi onaz ari denean eguzkiaz ari garela, eta euria, hotza eta abarrak ezkutatzen direla txarraren lainotan.

Gutxi aztoratzen gara neguko zenbait egunetako udaberriko tenperaturarekin, eguraldi ona omen. Neguko ohiko elurteei denborale deitzera pasa gara. Eta lehorte betean, egun eguzkitsuari giro ederra deitzen diogu.

Intsumisoa naiz. Ondorioak neure haragitan bizi ditudalako, akaso. Izango da orain dela aste batzuetako tenperatura goxoak –hego haizeak lagunduta– belarraren hazkuntza moteldu duelako. Edota sahatsak kimuak askoz lehenago erakutsi zizkigulako. Dena den, berandu baino lehen, denoi azalduko zaizkigu ondorioak, lurrarekin eta animaliekin bizi garenoi lehenago; geroago, hiri-eremuko lagunei.

Iazko lehorteak behartu zituen abeltzainak negurako gordeta zuten bazka uztailean ematen hastera. Nekazariek ere ereindako soroak basamortu bilakaturik ikusi zituzten. Baratzezainek letxugarik gabeko uda ezagutu zuten. Etxean ere eguraldi on haren lorratza presente dugu, gaur gaurkoz.

Orain dela bi urte erositako sail batean –pinudia bota berri–, belar-hazia zabaldu genuen, udaberrian. Iragarrita zegoen arren, ez zuen euririk egin; hau da, eguraldi txarra izan genuen. Egun, sail hori biluzik daukagu; belar apur bat dago izkinen batean, putzuak egin ziren tokietan.

Urte hasieran Rafaren deia jaso ohi dugu. Aurten olio gutxiago, askoz gutxiago, egokitu zaigu: hirurogei bat litro jaso beharrean, hamabost. Ohikoa den uztaren herena baino ez du jaso-eta.

Aspaldikoak dira pazientzia eta etorkizuna; berehalakotasunak baztertu ditu, eta gu bahituta gauzka. Eguraldi onak ematen digun berehalako gozamenean itotzen ditugu horrek ekarriko dizkigun etorkizuneko ifrentzuak.

Eguraldiaz ari nintzelakoan, irakurle.