Ne revenons pas à la « normalité » !
Maxime Combes, Économiste, auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition, Seuil, coll. « Anthropocène », 2015.
www.politis.fr/articles/2020/03/ne-revenons-pas-a-la-normalite-41568
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La comparaison entre la crise du Covid-19 et la situation écologique trouve vite ses limites. Réfléchissons plutôt à la fragilité de nos systèmes.
Pour nombre de militant·es du climat, les réponses apportées par les pouvoirs publics à la terrible crise sanitaire déclenchée par la propagation du Covid-19 génèrent cette interrogation : « Pourquoi ce qui paraissait inimaginable pour lutter contre les dérèglements climatiques, comme écouter les scientifiques ou trouver beaucoup d’argent, devient d’un coup possible face au Covid-19 ? » Certains comparent même le nombre de « vies sauvées » grâce à la baisse de la pollution au nombre de victimes du virus pour montrer combien la crise écologique nous touche déjà et devrait justifier des mesures de même nature.
Avions cloués au sol, tourisme stoppé net, transports individuels rationnés, usines fermées : la réalité est frappante et l’impact immédiat. Pour ne prendre qu’un exemple, les grandes villes chinoises ont ainsi vu la concentration de dioxyde d’azote relâché par les véhicules et les sites industriels diminuer de 30 à 50 % par rapport à la même période en 2019. Tous les experts l’affirment : ils n’ont jamais observé de baisses aussi fortes des rejets de polluants en si peu de temps sur des zones aussi vastes. Démonstration serait donc faite des recettes qu’il faudrait appliquer face aux dérèglements climatiques et aux pollutions atmosphériques.
Si le parallèle est tentant, disons-le nettement, il est trompeur. Le Covid-19 frappe les humains, alors que la crise écologique détruit l’ensemble du vivant. Il est par ailleurs brutal, avec des effets immédiats et relativement égalitaires : chacun·e peut-être touché·e, quels que soient son statut et ses ressources. Chacun·e dispose dans son entourage de proches affaibli·es par l’âge ou la maladie qui courent un danger grave et immédiat en cas de contamination. Les chaînes causales de dissémination du virus, une fois présent sur un territoire, sont localisées et le résultat direct de nos comportements : sa propagation et le risque d’être touché·e sont fonction de l’intensité de nos relations sociales. Autant de caractéristiques bien moins nettes en matière climatique.
Là où la crise climatique oblige à prendre des mesures pérennes et à opérer des ruptures définitives, la crise sanitaire laisse penser que des mesures d’exception permettront de revenir à la « normalité » d’ici à quelques semaines, quelques mois tout au plus. Face à l’urgence climatique, il y a donc toujours une mauvaise raison de remettre à demain ce qui pourrait être fait aujourd’hui. Pas pour le Covid-19, comme le prouvent les critiques généralisées sur l’impréparation des pouvoirs publics.
Par ailleurs, les mesures prises exacerbent les inégalités sociales, là où l’urgence climatique impose de les réduire drastiquement : en période de confinement, être cadre supérieur pouvant télé-travailler dans un grand logement avec balcon ou jardin est une situation préférable à celle du livreur Amazon non protégé devant supporter la promiscuité d’un logement parfois indécent dans un quartier populaire tout-bétonné. Quartier pourtant mis à l’index pour sa prétendue incivilité.
Il nous faut donc collectivement nous départir d’une illusion : les mesures brutales de confinement, de réduction drastique des transports et de l’activité économique ne sont acceptées que parce qu’elles sont perçues comme pouvant être immédiatement efficaces et comme temporaires. Elles ne pourraient et ne sauraient être simplement transposées pour lutter contre le changement climatique, au risque d’emporter l’ensemble de nos libertés publiques et de ce qui reste de notre démocratie.
Il nous faut donc éviter les analogies trop rapides qui susciteront plus de rejet que d’adhésion. Préférons-leur une analyse intransigeante des facteurs qui concourent à aggraver la crise sanitaire : l’extrême fragilité de nos systèmes économiques, sociaux et sanitaires n’est pas une fatalité. Elle est le fruit d’une mondialisation économique et financière fondée sur la compétitivité-coût et la mise en concurrence des populations et des territoires, conduisant les pouvoirs publics à délaisser les services publics. Y compris notre système hospitalier.
Reconnaissons que la période nous livre donc une puissante leçon collective pour la suite : le refus de mener des politiques sociales et écologiques ambitieuses n’était pas dû au manque d’argent ou de moyens, mais le fruit d’un refus idéologique visant à satisfaire des intérêts bien éloignés de l’intérêt général. Chaque jour fait la démonstration que les « premiers de cordée » sont sans doute moins indispensables que celles et ceux qui prennent soin de nous, du champ à l’hôpital, en passant par les caissières et les éboueurs.
Saisissons-nous de cette opportunité sans nous tromper de combat. Oui, il faut sauver certaines entreprises. Mais pas toutes et pas sans conditions : les industries polluantes (aviation, automobile, etc.) doivent être reconverties et les banques reprises en main pour qu’elles financent l’intérêt général et non des activités spéculatives et nocives pour la planète. Oui, il faut relocaliser. Mais pas n’importe quoi et n’importe comment, et pas sans s’assurer d’une extension sans précédent de la coopération internationale : la reconversion de notre économie doit conduire à faire décroître les flux de capitaux et de marchandises et la place des secteurs toxiques pour la biosphère (énergies fossiles, chimie et agro-industrie, électronique, etc.), et renforcer la solidarité internationale. Le tout en garantissant les droits (emploi, revenus, etc.) des salariés et les libertés publiques. Ne revenons pas à la normalité, car la normalité, c’était le problème.
Résistance climatique : c’est le moment !
Collectif
https://reporterre.net/Resistance-climatique-c-est-le-moment
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La crise du coronavirus démontre qu’il est possible de changer rapidement le fonctionnement du système, pensent les auteurs de cette tribune. Afin de forcer nos dirigeants à prendre la mesure de l’urgence, ils proposent d’entrer sans attendre en résistance climatique.
Depuis deux ans, les mobilisations pour le climat se multiplient sans être écoutées. La crise du coronavirus vient démontrer à tous qu’une bascule rapide est possible et ne nécessite que deux choses fondamentales : de la volonté politique et du volontarisme citoyen. Afin d’y forcer nos dirigeants sans attendre, après le confinement, nous devons adopter une stratégie plus ambitieuse. Il ne nous faudra pas revenir à la normale mais entrer en résistance climatique.
Nous partons de l’idée qu’il est possible de maintenir une vie digne et heureuse sur Terre. Nous nous battons contre ce qui détruit le vivant. Nous agissons pour ce qui le préserve. Pour cela, suivant les recommandations scientifiques sur le climat et la biodiversité, nous visons une victoire climatique à travers une profonde transformation de nos vies et de nos sociétés. Notre objectif : une neutralité carbone effective en 2050 (accords de Paris, COP21) via une décroissance énergétique mondiale perceptible dès 2025. Attendu sans succès depuis des décennies, le miracle technologique ne nous sauvera pas. Nous devons quitter le business as usual, synonyme de mort précoce pour des milliards d’humains et d’espèces vivantes.
Nous travaillons à bâtir un rapport de force politique pour sortir du productivisme et du consumérisme destructeurs qui structurent le système économique actuel. Notre ennemi est cette norme sociale actuelle et non les individus. Étant sortis du déni, agissons ici et maintenant. Arrêtons de nous attendre les uns les autres de peur de se marginaliser en étant les premiers. Devenons cette minorité motrice, catalyseur enthousiaste d’une transition désirable capable d’initier le changement nécessaire dans toute la société.
L’atterrissage de nos sociétés doit être mené dans une perspective de justice sociale mondiale. Ceci impose de réduire nos émissions en deçà de 2 tonnes de eqCO2/humain/an (division par 6 de l’empreinte carbone moyenne d’un Français) [1]. Loin d’un sacrifice, cette transition est source d’émancipation.
La stratégie de résistance climatique consiste en cinq phases qui se cumulent :
- Phase 1 – les 4 actions. Nous invitons celles et ceux prêts à adopter ce socle fondateur à nous rejoindre. Ces quatre actions — non exhaustives — sont indispensables à la bascule vers un mode de vie à moins de 2 tonnes de eqCO2, dans les 5 années à venir :
- (1) repenser sa manière de se déplacer et ne plus prendre l’avion, redécouvrir les transports doux et rouler moins de 2.000 km/an en voiture,
- (2) développer la cuisine végétarienne et se nourrir d’aliments biologiques, locaux et de saison, avec de la viande maximum 2 fois/mois,
- (3) réinterroger ses véritables besoins pour limiter les achats neufs au strict minimum,
- (4) agir collectivement en portant des actes politiques traduisant ces choix à l’échelle de la société.
Par cette mutation à la hauteur de l’enjeu, nous mettons au cœur de l’action la décroissance énergétique et matérielle. Cette contrainte créative nous amène à développer de nouvelles solidarités et à trouver collectivement les adaptations qui constitueront les modes de vie post-pétrole. Nous ne renonçons certainement pas au bonheur, mais montrons que ces changements nécessaires sont désirables, émancipateurs et moteurs de joies souvent plus puissantes. Dans notre combat, cohérence personnelle et action collective se renforcent l’une l’autre.
- Phase 2 – Alliances et influence. Notre approche — alliant action individuelle d’ampleur et politisation du discours — est destinée à être diffusée en créant des liens par l’action avec les acteurs du mouvement climat. Cela passe notamment par la construction d’un nouvel imaginaire donnant à voir ce futur frugal et désirable.
- Phase 3 – Conflictualité et premières victoires. Cette bascule semble encore impossible à beaucoup. La porter et l’incarner est source de tensions avec son entourage ou ses envies immédiates. Cette conflictualité assumée et génératrice de débat s’incarne dans des campagnes ciblées sur des thèmes structurants. Pour commencer : abolir l’aviation de masse (l’avion est le mode de transport le plus émissif et inégalitaire) pour envoyer le message que la crise climatique est réelle. Cette victoire permettra de pulvériser la norme sociale destructrice à laquelle l’avion appartient. Nous l’obtiendrons en créant des alliances avec de nombreuses autres organisations pour accroître le rapport de force. Ce combat est aussi efficace sur le plan de l’imaginaire que structurant sur le plan de l’économie.
Ces trois premières phases sont déjà en cours, à l’initiative d’individus ou de collectifs. Elles doivent gagner en ampleur et se structurer afin de pouvoir ensuite porter les deux dernières.
- Phase 4 – Mise en œuvre d’une décroissance énergétique nationale coordonnée massive et rapide. Elle devra s’appuyer sur un effort de pédagogie de la vérité, une revitalisation des solidarités à toutes les échelles et la mise en place d’alternatives dont la plupart existent déjà. Le volet législatif pourra inclure quotas carbone, limitation de la puissance, du poids et du nombre de véhicules… Cela permettra de refondre nos sociétés en accompagnant les plus fragiles.
- Phase 5 – Passage à l’échelle mondiale. Dans la décennie qui vient, ce mouvement de décroissance énergétique doit réussir à s’amplifier afin d’atteindre la division par deux d’ici 2030 des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) puis la neutralité carbone mondiale d’ici à 2050. Pour le mener dans le temps imparti, l’ensemble des outils de la diplomatie politique et économique devra être mis à contribution pour convaincre les gouvernements réfractaires, et l’existence de nouvelles sociétés sobres aidera grandement.
Ce monde peut paraître utopique, mais c’est surtout l’avenir du monde tel qu’il va qui est profondément dystopique. Si, d’ici dix ans, nous n’arrivons pas à réduire drastiquement les émissions de GES, nous aurons perdu. Compte tenu des effets d’emballement, dépasser les + 2 °C, c’est jouer à la roulette russe avec le vivant. Cette bataille conditionne toutes les autres, il faut impérativement la gagner ! Par la cohérence personnelle DANS l’action collective, nous pouvons y arriver.
Voulez-vous gagner ?
Liste des 20 premiers signataires pour la version numérique : Yann Arthus Bertrand, photographe, Aurélien Barrau, astrophysicien, Dominique Bourg, professeur Honoraire à l’Université de Lausanne, Maxime de Rostolan, fondateur de Fermes d’avenir, Cyril Dion, réalisateur et militant écologiste, Gaël Giraud, directeur de recherche CNRS, Delphine Grinberg, cofondatrice de Paris sans voiture, Bruno Latour, sociologue, anthropologue, philosophe, Charlotte Marchandise, entrepreneuse, Marie-Antoinette Mélières, physicienne, climatologue, Stéphanie Monjon, enseignante-chercheuse en économie, Magali Payen, fondatrice d’On est prêt, Pierre Rabhi, paysan, agroécologiste et écrivain, Cécile Renouard, philosophe, fondatrice Campus de la Transition, Marie Sabot, cofondatrice de We Love Green, Pablo Servigne, chercheur interdépendant, Agnès Sinai, fondatrice de l’Institut Momentum, Marie Toussaint, fondatrice de Notre affaire à tous, Gildas Véret, permaculteur, cofondateur de Résistance climatique, Françoise Vernet, présidente de Terre & Humanisme.
Les signataire soutiennent cette stratégie mais tous n’ont pas encore pleinement mis en œuvre les quatre actions de la phase 1. Plus de 1.700 Résistant•e•s climatiques changent déjà leurs vies à travers ces quatre actions. Plus d’informations et liste complète des signataires sur resistanceclimatique.org.
Dépister et fabriquer des masques, sinon le confinement n’aura servi à rien
Gaël Giraud, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), professeur à l’École nationale des ponts Paris Tech’, et jésuite. Il travaille actuellement en Italie.
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Pour sortir efficacement de la pandémie du Covid-19, le confinement seul ne suffira pas, explique l’auteur de cette tribune. Qui rappelle la priorité dans un contexte d’hôpital public martyrisé par des décennies de politiques néolibérales : permettre le dépistage et distribuer des masques de protection.
Ce dont nous sommes en train de faire l’expérience, au prix d’une souffrance inouïe pour des pans significatifs de la population, c’est que l’Occident vit au Moyen Âge, et pas seulement sanitaire. Comment sortir du Moyen Âge sanitaire très vite et entrer au XXIe siècle ? C’est cet apprentissage que les Occidentaux doivent faire, en quelques semaines. Voyons pourquoi et comment.
Il faut commencer par le redire, au risque de choquer aujourd’hui, la pandémie du Covid-19 aurait dû rester ce qu’elle est : une pandémie un peu plus virale et létale que la grippe saisonnière, dont les effets sont bénins sur une vaste majorité de la population mais très graves sur une petite fraction. Au lieu de cela, le démantèlement du système de santé européen et nord-américain commencé depuis plus de dix ans a transformé ce virus en catastrophe inédite de l’histoire de l’humanité qui menace l’entièreté de nos systèmes économiques.
Je ne suis pas épidémiologiste mais les communications des spécialistes du domaine (ici et là), aujourd’hui, sont concordantes : il aurait été relativement facile de juguler la pandémie en pratiquant un dépistage systématique des personnes infectées dès l’apparition des premiers cas, en traçant leurs déplacements et en plaçant en quarantaine ciblée le (tout petit) nombre de personnes concernées. Tout en distribuant massivement des masques à toute la population susceptible d’être contaminée afin de ralentir encore davantage les risques de dissémination. C’est ce qu’ont fait notamment la Corée du Sud et Taïwan avec succès, puisqu’elles ont enrayé le mal sans aucun confinement collectif.
Pourquoi ne l’avons-nous pas fait ? Tout simplement parce que nous n’avons plus de système de santé publique digne de ce nom mais une industrie médicale en voie de privatisation. Ce qui n’empêche que des héros et des saints aient continué, et continuent, de travailler dans les services sanitaires publics : nous en avons l’illustration éclatante en ce moment même. La privatisation de la santé a conduit nos autorités à négliger les avertissements qui avaient été lancés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au sujet des marchés d’animaux sauvages à Wuhan.
Il ne s’agit pas de donner des leçons ex post à qui que ce soit mais de comprendre notre erreur pour agir le plus intelligemment possible dans les jours qui viennent. Prévenir des événements comme une pandémie n’est pas rentable à court terme. Nous ne nous sommes donc prémunis ni en masques ni en capacité de procéder à des tests massifs, là où Séoul et Taïpei l’on fait. Et nous avons réduit à l’étiage nos capacités hospitalières au nom d’une idéologie de destruction du service public qui montre, à présent, ce qu’elle est : une idéologie qui tue. Parce qu’ils n’ont jamais adhéré à cette idéologie, et parce qu’ils ont su tirer les leçons de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (severe acute respiratory syndrome, Sars) de 2002, la Corée du Sud et Taïwan disposaient d’un système de prévention extrêmement efficace : dépistage systématique, traçage, mise en quarantaine ciblée et population éduquée au port du masque. Aucun confinement. Les dommages sur leurs économies sont négligeables.
Impossible d’entretenir la fiction anthropologique de l’individualisme véhiculée par l’économie néolibérale
Au lieu d’un dépistage systématique, nous, Occidentaux, avons donc adopté une stratégie moyen-âgeuse, celle du confinement. Déjà en 1347, le médecin champenois Pierre de Damouzy recommandait le confinement aux habitants de Reims pour échapper à la peste noire [1].
Là où la Corée du Sud et Taïwan ont agi rationnellement et de manière organisée (la technique des tests de dépistage n’est nullement compliquée, elle requiert seulement de l’organisation et du matériel que nous savons produire), nous mettons à présent en danger notre économie et la santé physique et mentale de la plupart d’entre nous, alors qu’une toute petite fraction d’entre nous est infectée et qu’une fraction encore plus faible est susceptible d’avoir des complications sérieuses.
Mais, si faible soit-elle, cette dernière fraction est encore supérieure à la capacité de charge ridicule de nos hôpitaux. La stratégie est-asiatique étant ignorée, ne rien faire revenait à condamner à mort des centaines de milliers de citoyens selon les projections qui circulent au sein de la communauté des épidémiologistes, notamment celles de l’Imperial College londonien. Même si certains aspects de ce papier sont discutables, il a le mérite de mettre les choses au point : l’inaction est tout simplement criminelle. C’est cette perspective qui a fait renoncer Emmanuel Macron et Boris Johnson à leur stratégie initiale d’immunisation collective et qui a « réveillé » l’administration Trump. Trop tard, malheureusement : ces pays risquent de payer le prix fort en vies humaines de leur retard à prendre la mesure de la gravité de n’avoir pas dépisté.
Le confinement partiel de l’Europe a ressuscité l’idée que le capitalisme est décidément un système bien fragile et que l’État-providence est de retour.
De fait, la faille de notre système économique que révèle la pandémie est malheureusement simple : si une personne infectée est capable d’en contaminer plusieurs autres en quelques jours et si le mal possède une létalité significative, comme c’est le cas du Covid-19, aucun système de production économique ne peut survivre sans un puissant service public. En effet, les salariés au bas de l’échelle sociale contamineront tôt ou tard leurs voisins et le patron ou le ministre lui-même finira par contracter le virus. Impossible d’entretenir la fiction anthropologique de l’individualisme véhiculée par l’économie néolibérale et les politiques de démantèlement du service public qui l’ont accompagnée depuis quarante ans : l’externalité négative induite par le virus défie radicalement l’imaginaire de la start-up nation façonnée par le volontarisme d’autoentrepreneurs atomisés. La santé de chacun dépend de la santé de tous. Nous sommes tous des êtres de relations interdépendants.
Bien sûr, certains peuvent espérer que leurs privilèges leur faciliteront l’accès à des services hospitaliers privés si le pire devait leur arriver. Mais ceux-ci ont été réquisitionnés en Espagne et devraient l’être partout ailleurs. Ce serait en tout cas un pari personnel bien risqué de la part des « premiers de cordée » que de construire un système économique sur un tel risque.
Car cette pandémie n’est nullement la dernière, le Big One qui ne reviendra plus avant un siècle. Au contraire : le réchauffement climatique promet la multiplication des pandémies tropicales, comme le rappellent depuis des années la Banque mondiale et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Et il y aura d’autres coronavirus.
La Corée du Sud a multiplié les lieux de dépistage du Covid-19, notamment à destination des automobilistes.
Sans un service de santé public efficace qui permette de dépister et soigner tout le monde, il n’y a donc plus de système productif viable en période de coronavirus. Et donc pas davantage dans les décennies qui viennent. L’appel lancé par le Medef (Mouvement des entreprises de France) le 12 mars dernier à « rendre l’outil productif plus compétitif » trahit une profonde incompréhension de la pandémie.
Qu’en est-il du « retour de l’État-providence » ? Son fantôme avait reparu en 2008. L’expérience a montré que la manne monétaire des Banques centrales réservée aux banques privées n’a pas profité à l’économie réelle. Aujourd’hui encore, à Dublin (Irlande), des jeunes insolvables survivent dans la rue après avoir été expropriés de leur appartement en 2010 par un système bancaire dont les dettes ont été entièrement reprises à son compte par l’État — c’est-à-dire par les contribuables irlandais eux-mêmes. En 2020, c’est l’appareil productif qui est mis en partie à l’arrêt dans la plupart des grandes nations industrielles. Cela va entraîner diverses crises de solvabilité et, éventuellement, un nouveau krach financier. Or, la manne monétaire des Banques centrales peut maintenir artificiellement à flot un certain nombre de banques mais elle ne peut pas immuniser des humains. Les bourses sont en train de le comprendre : le problème venant de l’économie réelle, il ne peut être résolu par la seule politique monétaire. C’est ici que l’État doit entrer en scène.
Le vrai retour de l’État, unique moyen de sauver « l’outil productif » et, surtout, de sauver des vies
Courbes de la pandémie du Covid-19 :
Pour comprendre comment, il est utile de revenir à ce graphique qui a déjà fait le tour du monde des réseaux sociaux : sans mesures de protection, le « pic » des cas d’infections graves (en rouge) dépasse la ligne horizontale des capacités d’accueil du système hospitalier ; avec des mesures de protection, le « lissage » de la courbe (bleue) permet de la maintenir en dessous de la ligne de flottaison.
Deux types d’intervention publique peuvent s’esquisser à l’aide de ce graphique et, à travers elles, deux conceptions de l’État. Ce qui les distingue, c’est leur rapport à la droite horizontale. Cette dernière ne tombe pas du ciel : elle est le résultat des politiques de santé publique menées au cours des décennies qui ont précédé. En France, nous disposons de 0,73 lit de réanimation pour 10.000 personnes. En Italie, 0,58. Outre-Rhin, 1,25. Si, aujourd’hui, des Occidentaux meurent du coronavirus, c’est parce que trois décennies d’austérité budgétaire (sans fondement scientifique) ont réduit à presque rien la capacité de charge de notre système hospitalier public. En particulier, en France, la loi « Hôpital, patients, santé et territoire » (HPST) de Roselyne Bachelot promulguée en 2009, aggravée par la réduction d’un milliard d’euros des dépenses publiques pour l’hôpital en 2018.
- S’il est capturé par les intérêts privés de quelques-uns, l’État tend à considérer la droite horizontale comme une donnée « naturelle », intangible. Il n’a pas « d’argent magique » pour financer un dépistage systématique, ses hôpitaux, accroître leur capacité d’accueil, sauver des vies. Il ne lui reste qu’à tenter d’agir sur la seule courbe rouge en pratiquant, ou non, diverses variantes de confinement.
- Un État qui se préoccupe de ses citoyens est celui qui, non seulement tente de lisser la courbe des infections en confinant ses citoyens (s’il a commis l’erreur de ne pas mettre en œuvre la stratégie sud-coréenne d’entrée de jeu) mais qui agit sur la droite horizontale, investit dans son hôpital public, achète des machines d’assistance respiratoire et dégage les fonds publics pour aménager en urgence des services de soins intensifs « de campagne ». Cela prendrait trop de temps ? Aujourd’hui, le nord de l’Italie réquisitionne des hôtels pour les transformer en hôpitaux. Entre le CHU high-tech dont la construction exige dix ans et une chambre d’hôtel, il existe un moyen terme. L’Angleterre et les États-Unis, à juste titre, transforment au pas de course une partie de leur industrie pour produire des respirateurs. Nous avons aussi, en France, une industrie automobile qui peut être réquisitionnée, non pour produire des moteurs thermiques qui tuent, mais pour produire des respirateurs qui sauvent des vies.
Là se situe, en partie, le vrai retour de l’État aujourd’hui. Unique moyen de sauver « l’outil productif » et, surtout, de sauver des vies. Mais l’État doit aussi organiser la sortie du confinement.
C’est l’ensemble du système de production économique de nos pays qui s’effondrerait
Puisque la droite horizontale est ridiculement basse, nous risquons de provoquer l’effondrement de notre système hospitalier, comme cela semble se dérouler en ce moment même en Italie, à Bergame, Brescia et, dans une moindre mesure, à Milan. Il faut donc que l’État accélère et favorise la diffusion des anti ou rétroviraux, de manière à permettre très vite, partout, de soulager nos systèmes hospitaliers au bord de la rupture. Et que les citoyens de tous nos pays fassent enfin preuve de responsabilité : à l’heure où j’écris me parviennent des photos de certaines rues de Paris encombrées de passants qui se promènent ou font leur jogging sans masque ni gants. Attitude irresponsable. Il n’est que de regarder ce qui se passe aujourd’hui en Lombardie pour le comprendre : à Bergame, on ferme un cercueil toutes les demi-heures en moyenne. Il n’y a plus de cérémonie d’enterrement, les parents du défunt étant eux-mêmes malades ou en quarantaine… Devant la détresse, le maire vient de décider la mise à l’arrêt total de toute l’économie de sa ville, entreprises incluses.
Pour que le confinement soit rigoureux (accompagné des gestes d’hygiène élémentaires), il faut que, dès à présent, chacun en comprenne le sens et l’utilité. Le confinement permet de ralentir efficacement la diffusion du virus et, redisons-le, en l’absence de stratégie de dépistage initiée dès le début de l’épidémie, il reste la moins mauvaise stratégie à court terme. Pourtant, si l’on s’en tient là, il ne sert à rien : si nous sortons de nos enfermements dans, disons, un mois, le virus sera toujours là et provoquera les mêmes morts que ceux qu’il aurait causés aujourd’hui en l’absence de confinement.
Faut-il repousser sine die le jour de la sortie ? Attendre, via la réclusion, que la population s’immunise elle-même ((en gros, la stratégie initiale de Boris Johnson mais “a casa”), exigerait de tabler sur plusieurs mois de confinement.
Pour le comprendre, il suffit de revenir au paramètre essentiel d’une pandémie : R0, le nombre de personnes à qui un humain infecté peut transmettre la maladie. Tant que R0 est supérieur à 1 — c’est-à-dire, tant que je peux transmettre le virus à plus d’une personne —, le nombre de personnes infectées croît exponentiellement. Si nous sortons du confinement sans autre forme de procès avant que R0 ne soit descendu en dessous de 1, nous aurons les centaines de milliers de morts que, depuis le début, la pandémie menace de provoquer. Or, pour que l’immunisation collective fasse redescendre R0 sous la barre de l’unité il faut qu’environ 50 % de la population soit immunisée, ce qui, compte tenu du temps moyen d’incubation (cinq jours), prendrait probablement plus de cinq mois de confinement (à supposer que nous soyons un million à être contaminés aujourd’hui, deux mois et demi si nous ne sommes que 500.000, mais qui le sait puisque nous n’avons pas dépisté ?). C’est ce type de calcul qui est sous-jacent aux annonces publiques du gouverneur de l’Etat de New-York, selon qui le confinement pourrait durer jusqu’à neuf mois.
Or c’est probablement impossible à la fois en termes économiques, sociaux et psychologiques. C’est l’ensemble du système de production économique de nos pays qui s’effondrerait (à commencer par nos banques, extrêmement fragiles). Sans compter que, dès à présent, les plus pauvres d’entre nous — les réfugiés, les personnes à la rue, les populations du quart-monde — sont acculés à la mort, non pour cause de virus, mais parce qu’elles ne peuvent pas survivre sans une société qui tourne. Sans compter non plus que nous n’avons aucune assurance que nos circuits d’approvisionnement alimentaire peuvent tenir le choc de la quarantaine très longtemps : veut-on contraindre par les armes les ouvriers et les salariés à revenu modeste à risquer leur vie pour acheminer de la nourriture aux cadres qui restent, aujourd’hui, tranquillement chez eux ou dans leur maison de campagne ?
Il faut donc organiser une sortie « précoce » de confinement, au plus tard dans quelques semaines. Prendre collectivement ce risque n’a de sens qu’à une seule condition : mettre en œuvre, cette fois, la stratégie est-asiatique avec la plus grande rigueur. C’est à cela que doit servir le temps que nous achetons en nous enfermant chez nous :
- Ramener R0 (qui était probablement autour de 3 au début du confinement) aussi proche que possible de 1 ;
- Favoriser la reconversion de l’industrie pour produire en masse les respirateurs dont les services d’urgence ont besoin, maintenant, pour sauver des vies ;
- Permettre aux laboratoires occidentaux de produire, maintenant, le matériel de dépistage tout en nous organisant pour le mettre en œuvre dans quelques semaines. ll y a aujourd’hui deux enzymes dont les stocks, très insuffisants, limitent notre capacité à procéder à des dépistages : la reverse transcriptase (Reverse transcrites, AMV ou MMLV) et la Taq ou Pfu, qui amplifie la réaction chimique permettant d’identifier la présence du COVID-19. Ce sont les deux enzymes que différents laboratoires, à présent, s’efforcent de produire jour et nuit.
- Produire les masques indispensables pour freiner la diffusion du virus (qui sera toujours là) quand nous sortirons de chez nous.
- Eduquer la population aux gestes de “distanciation sociale” qui seront toujours de rigueur, même lorsque nous sortirons de la quarantaine.
Les tests devront se poursuivre durant tout l’été pour être certains d’avoir éradiqué le virus quand l’automne reviendra
Si nous mettons fin à notre enfermement collectif alors que nos moyens de dépistage ne sont pas prêts ou que nous manquons de masques, nous courrons de nouveau à la tragédie.
Impossible, malheureusement, de mesurer R0 aujourd’hui. Il faut donc, surtout, attendre que nous soyons organisés pour le dépistage et organiser le plus rapidement possible la sortie ordonnée de la quarantaine.
Que se passera-t-il, alors ? Celles et ceux qui seront « libérés » devront être soumis à un dépistage systématique et porter le masque pendant plusieurs semaines. Sans cela, la sortie sera pire que le début de la pandémie. Ceux qui seront encore positifs seront remis en quarantaine, ainsi que leur entourage. Les autres pourront aller travailler ou se reposer ailleurs. Les tests devront se poursuivre durant tout l’été et sans doute même à l’automne pour être certains d’avoir éradiqué le virus quand l’hiver reviendra. De nouveaux clusters localisés de contamination feront leur apparition mais nous pourrons alors les circonscrire, comme nous eussions dû le faire dès le début.
Les deux seules urgences sanitaires, aujourd’hui, sont donc de :
- Se doter des moyens de diminuer le nombre de morts dans nos services d’urgence et, pour cela, reconvertir immédiatement une partie de notre industrie, exactement comme l’industrie nord-américaine fut reconvertie par Franklin Delano Roosevelt aux États-Unis en industrie de guerre en quelques jours ;
- Se doter des moyens de dépistage et des masques pour la sortie ordonnée du confinement le plus rapidement possible.
Le confinement ne nous permet que d’acheter du temps au prix d’une casse humaine, sociale, économique et financière phénoménale, mais si ce temps n’est pas utilisé pour les deux priorités susdites, il est juste perdu et le pire nous attendra au bout du tunnel.
Il faut dépister, dépister… et fabriquer des masques.
[1] Cité par Yves Renouard, « La Peste noire de 1348-1350 », Revue de Paris, mars 1950, p. 109.
Dominique Méda : « La crise du Covid-19 nous oblige à réevaluer l’utilité sociale des métiers »
Dominique Méda est philosophe et sociologue. Ses travaux portent notamment sur le travail, les politiques sociales, la croissance, les indicateurs de richesse, les femmes. Professeur de sociologie à l’Université Paris-Dauphine, elle est également directrice de l’Institut de recherches interdisciplinaires en sciences sociales et titulaire de la chaire « Reconversion écologique, travail, emploi et politiques sociales » au Collège d’études mondiales.
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A l’avant, une armée de soignants se battant contre le coronavirus, les mêmes qui depuis des semaines hurlaient à l’appauvrissement de l’hôpital public. A l’arrière, des millions de confinés, forcés d’interroger l’utilité d’un quotidien temporairement empêché. Cette guerre sanitaire sans précédent affiche l’absurdité d’une hiérarchie sociale des métiers à repenser, estime Dominique Méda. Travailler, mais pour construire quelle société ? Celle qui saura faire face aux multiples fronts, pandémique aujourd’hui, climatique demain ? Des mesures de rupture ont été promises une fois la sécurité sanitaire retrouvée. « Chiche », répond la sociologue du travail.
Pour l’Eco. La crise sanitaire du Covid-19 semble redonner un statut à certaines professions essentielles à notre vie de démocratie et de société : personnels soignants, agriculteurs… La pandémie peut-elle conduire à réinterroger la valeur travail ?
Dominique Méda. Cette crise va nous donner l’occasion d’une double réflexion : sur le rôle social du travail, d’une part, et sur l’importance relative accordée aux différents métiers, d’autre part. Concernant le travail, le confinement va confirmer, comme l’ont fait de nombreux sociologues (1), le caractère très structurant de son rôle dans notre vie.
Le travail, même à distance, va peut-être détourner notre esprit de ce moment angoissant. Peut-être va-t-on également prendre conscience de l’inutilité d’un certain nombre de réunions et de dispositifs, ou encore, comprendre, grâce au télétravail, que les salariés ont de nombreuses ressources. Bref, nous allons apprendre énormément de choses sur la place du travail dans nos vies.
Mais il s’agit aussi d’un moment opportun pour prendre en considération l’importance sociale des différents métiers. Dans son ouvrage Bullshit Jobs, l’anthropologue américain David Graeber (voir son portrait ici) explique que pour savoir si un métier est essentiel ou si c’est un « boulot à la con », il faut imaginer les conséquences sociétales de sa disparition. Par ce prisme et à l’heure d’une crise sanitaire mondiale, l’enseignement est clair : aujourd’hui, les métiers essentiels sont ceux qui nous permettent de continuer à vivre : tous les personnels de santé, du médecin à l’aide-soignante, mais aussi tous les métiers dits du « care ».
Des bataillons d’aides-soignantes et d’aides à domicile – en très grande majorité des femmes – assument des tâches cruciales pour la solidarité entre les générations. Ils assurent la toilette, les repas, l’aide aux gestes essentiels de nos seniors dépendants. Faute de reconnaissance et de rémunération suffisantes, de moins en moins de personnes effectuent ces activités difficiles. Mais on peut aussi penser aux éboueurs, aux personnels des commerces alimentaires…
Soudainement, les titulaires des métiers les mieux payés nous apparaissent bien inutiles et leur rémunération exorbitante. L’un des premiers enseignements de la crise sanitaire, en somme, c’est qu’il est urgent de réétudier la « hiérarchie » sociale des métiers, en accord avec nos valeurs et relativement à leur utilité réelle.
« Soudainement, les titulaires des métiers les mieux payés nous apparaissent bien inutiles et leur rémunération exorbitante. »
Des millions de Français seront en chômage partiel. Est-ce déstabilisant pour les salariés ? Ce temps libre sera-t-il un moment de réflexion pour chacun ?
Au-delà des incertitudes sanitaires et économiques qui nous inquiètent tous, je pense que chaque citoyen sera amené à se questionner. Lors de la période de confinement, certains se sentiront sans doute inutiles pendant que d’autres, encore en activité, sauveront des vies, agissant directement pour la collectivité. De cette introspection peut naître un désir de transformation fort.
Le confinement peut aider à se rendre compte du caractère précieux des choses, de l’importance de certains biens ou services, notamment des services publics trop souvent vilipendés et méprisés, et de la nécessité de vivre autrement.
Mais pas d’angélisme : la potentielle prise de conscience citoyenne, qui conduirait à interroger le sens de son travail mais aussi le modèle économique dans lequel on vit, pourrait bien se fracasser sur le système en vigueur. Les « règles » du jeu, notamment le pacte budgétaire européen, limitent pour le moment les possibilités de changement radical. Le risque, c’est une confrontation entre une volonté citoyenne de changement et un pouvoir incapable de répondre aux nouvelles aspirations.
« Le confinement peut aider à se rendre compte de l’importance des services publics trop souvent vilipendés et méprisés »
Cette crise sanitaire intervient dans un contexte où le personnel hospitalier était en grève depuis plusieurs mois afin d’obtenir plus de moyens. Comment en sommes-nous arrivés-là ?
Cette crise met en pleine lumière la légitimité des revendications des soignants de voir leur rémunération augmentée. L’état de santé du secteur public hospitalier est une démonstration éclatante de ce qui ne fonctionne pas. Les soignants dénoncent un manque d’investissement chronique alors qu’en même temps, l’activité augmente drastiquement. C’est le résultat de plusieurs réformes visant à rendre l’hôpital soi-disant plus « efficient », réformes dont on voit aujourd’hui les limites.
Pour comprendre la situation actuelle, il faut se rappeler l’offensive des idées libérales contre le modèle d’État providence à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Les économistes de la Société du Mont-Pèlerin, autour des penseurs autrichiens Friedrich Hayek (voir son portrait ici) et Ludwig von Mises (voir sa fiche là) considéraient l’intervention de l’État comme un frein à l’activité économique.
Le consensus de Washington, corpus des mesures libérales mises en œuvre sous la présidence américaine de Reagan (1981-1989), a acté politiquement cette doctrine économique. Elle est marquée par l’ouverture des marchés, la privatisation, la déréglementation et la discipline budgétaire. Même si la France a mieux résisté que d’autres pays à cette vague « néolibérale », nos services publics – et en premier lieu l’hôpital – en payent tout de même le prix.
Eco-mots
Privatisation
Transfert au secteur privé de la totalité ou une partie du capital d’une entreprise ou d’un secteur qui appartenait à l’État.
Dérégulation
La dérégulation consiste à diminuer le nombres de “règles” qui encadrent les marchés afin de privilégier la loi de l’offre et de la demande. Il s’agit de freiner l’intervention de l’Etat.
La crise du Coronavirus est un coup de semonce qui prouve que nous n’avons pas pris les bonnes décisions depuis des décennies. Nous le voyons bien aujourd’hui : nos économies interdépendantes sont à l’arrêt. Le président Macron l’a lui-même reconnu dans son allocution, jeudi dernier. Il faut des « ruptures » a-t-il dit. Je lui réponds « chiche ! ».
Le temps presse : la crise est aujourd’hui sanitaire, mais elle sera demain climatique. Nous devons absolument nous donner les moyens de faire face aux prochaines crises et se donner les moyens pour bifurquer vers une société plus résiliente.
« Nous devons nous donner les moyens pour bifurquer vers une société plus résiliente »
Face aux limites de la mondialisation et pour répondre aux défis climatiques, comment réagir ?
La responsabilité est collective. Nous devons aller vers une société de la sobriété, en instaurant, par exemple, des quotas d’émission de CO2 par personne. Nous devons sortir de la discipline budgétaire. Nous devons rompre avec le capitalisme financiarisé qui ne finance plus l’activité économique réelle. Nous devons nous émanciper de l’indicateur du Produit Intérieur Brut (PIB) et suivre des indicateurs alternatifs qui prennent en compte les dégâts infligés par la croissance à nos patrimoines naturel et social. De nouvelles règles doivent être imposées à la mondialisation.
Une telle approche pourrait favoriser des politiques de relocalisation. Oui, le défi est énorme. L’investissement nécessaire à la mise en œuvre de ces ruptures sera très élevé. Mais les bénéfices économiques, sociaux et politiques pourraient être à la hauteur.
Les relocalisations sont-elles une solution ?
Le défi de relocalisation des activités dans un contexte de reconversion écologique imposera la remise en route de nouvelles filières, de production, de réparation, de recyclage. Elle devrait constituer une opportunité massive d’emplois. Dans une forme d’antithèse à la théorie du déversement d’Alfred de Sauvy, de nouveaux emplois pourraient être créés dans des secteurs hier supprimés : plus d’emplois dans l’agriculture et dans le secteur secondaire et de nouvelles organisations du travail.
La théorie du déversement
Pour l’économiste et géographe français Alfred Sauvy (1898-1990), le progrès technique change la nature des emplois, mais ne diminue pas leur nombre. Le “déversement” est l’idée d’un transfert de la population active du secteur primaire, l’agriculture, vers le secteur secondaire, l’industrie – conséquence de la révolution industrielle – puis vers le secteur tertiaire, les services, notamment par l’arrivée des nouvelles techniques de la communication et de l’information.
Ce grand défi que représente la transition écologique et sociale est une formidable opportunité pour entraîner les classes populaires. Hier, elles subissaient de plein fouet les fermetures d’usines. Leur donner une perspective d’emploi stable et rémunéré à sa juste valeur, qualifié et valorisé, c’est les aider à sortir du dilemme « fin du monde versus fin du mois ».
Enfin, ne négligeons pas l’aspect politique. Des travaux ont démontré le lien entre vote d’extrême droite et désindustrialisation d’un territoire. Redonner du boulot aux gens, c’est aussi limiter les votes pour les extrêmes.
Egun denak ez dira berdin
Unai Oñederra
https://unaionederra.wordpress.com/2020/03/27/egun-denak-ez-dira-berdin/
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“Laino ilunak ikusten goizean goizez zeruan” Delirium Tremens
Hau bai da historikoa. Historia liburuetan azalduko da. Errealitateak fikzioa gainditzen du. Jada ez dakigu zer ezkutatzen duen jasotzen ari garen datu uholdeak. Kutsatuak, ospitalizatuak, hildakoak. Kurba exponentzialez betetako grafika horietaz haratago, zer kontatuko dute etorkizunean?
Mundua. “Birus txinatarra” vs. “AEBetako militarrek Wuhanen zabaldu zuten birusa”. Huawei, 5G, gerra komertziala. Irani enbargoa, Oman golkoko gertaerak, Ali Jameneiren hilketa. Petrolio prezioaren amiltzea, AEB-Saudi Arabia vs. Errusia. Siriako gerra.
Europar Batasuna. Egonkortasun itun ez hain ukiezina. Koronabonoak, jai-jai. Brexita, lehena, zein da hurrena? Batasuna, bai, migranteei mugak ixteko.
Espainiar estatua. Birusak ez du lurralderik, diote, baina espainiar batasuna indartzeko erabiliko dute, monarkia salbatzeko, PSOE-PP koalizio handia, azkenean, agintean jartzeko.
Ekonomia. Birusak ez du ideologiarik diote, baina bankuak salbatzen dituzte pertsonen kaltetan. Pribatizazio eta murrizketak langileen dedikazioarekin eta balkoietako txaloekin estaltzen dituzte. “Bai, momentu batean bazirudien neurri neoliberalak baztertuko zituztela, baina zor publikoa ordaindu egin behar zenez…”
Lana. Shocka. Beldurra. Arriskua, ekonomia koman ez sartzeko aitzakian. Zahar etxeak, etxez etxeko laguntza, garbitzaileak, ostalaritza, telemarketing, etxeko langileak… ERTE. Langabezia. Prekaritatea, izan zaitez autonomo/ekintzaile, enpresa kultura berria, outsourcing. Emakumeen doako zaintza lan ikusezina.
Demokrazia. Autoritarismoa hemen da. Alarma egoera. Militarrak kalean, bizilagunak polizia lanetan. Etxean sartuta, aste bat, bi aste, hilabete. Bakarrik. Kolektiboa lantzeko klandestinitate garaia.
Digitalizazioa. Auzolana diote, baina denda txikiak itxi eta Amazon, Glovo, Apple… garaile. Telelana, aplikazioak, datuak… zelatatuak. Anaia Handia. Google hezkuntza eta osasungintzaren jabe.
Gerra. “Hau gerra bat da, koronabirusaren kontrako gerra”. III. mundu gerra. Bitartean, gu denak etxean gaudela, AEBetako 30.000 soldadu etorri dira Europara. Zertara? apirilean NATOren Europe Defender 20 ariketa militarra egitera. Europa konfinatua dagoenean soldadu estatubatuarrak kaletik lasai ibil daitezke “osasuntsu daudelako”.
Ziurgabetasun aroa. Kezkak, galderak. Fokoa zabaltzeko garaia da, argi luzeak jartzekoa. Hatzak ez dezala ilargia estali, zuhaitzak basoa ere ez. Historia ez dago idatzia, guk egiten dugu. Nola egin dezakegu, bizi dugun egoera honetan, datorren erasoaren aurrean, kolektiboki antolatu eta bizitza erdigunean jartzeko?
Itxaropena zaindu eta inoiz ez galdu.
Koronabirus: Eta kalte egitetik gelditzea, aterabidea balitz…
COVID-19 garaian, Biziren jarrera hartze testua
Bizi Mugimendua
https://bizimugi.eu/eu/covid-19-garaian-biziren-jarrera-hartze-testua
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Memento honetan XXI. mende hastapeneko osasun krisirik handienetako baten erdi-erdian gara. Egunez egun, Covid-19arekin kutsatuak diren pertsonen kopurua beti gorantz doa. Pandemia mundu osoa zehar zabaltzen da abiadura ikaragarrian eta Estatu bakoitzak erabiltzen du bere protokoloa, bere egutegia koronabirusaren mugatzeko.
Politika neoliberalek mendebaleko osasun sistemak desegin edo serioski ahuldu dituzte. Hego Korea eta Taiwan bezalako zonbait herrik duela aspaldi prebentzioaren antolakuntzan parioa egin dute: detekzio sistematikoa, berrogeialdi zehaztua, maskaren erabiltzeari buruzko sentsibilizazioa eta krisia balitz, beharrezko erreserben presentzia. Gaitza gelditzea lortu dute konfinamendu kolektiborik gabe. Alta, aitzineko osasun krisietarik eta Mundu Mailako Osasunaren Erakundetik aspaldian abisatuak ziren Europar eta ipar Amerikako Estatuak ez dira gai izan ber maneran antolatzeko.
Mediku eta farmazia industriak, merkatuaren esku ikusezinak eta garapenaren erlijioak, prebentzio politikaz bost axola dute: azken honek ez baitu etekinik sortzen. Ondorioz: egoera gure eskuetarik kanpo ihesi joan da eta arriskua da gure osasun sistemen osoki gainditzea, azken hauek gaitasunak murriztuak ukan dituzte, zerbitzu publikoaren hainbat urteko desegitea dela medio. Garaia zeno beharrezkoa ez egiteagatik (prebentzioa, maskaren eta gel hidro-alkoholikoaren banatze masiboa, detekzio masiboak eta berrogeialdi zehaztuak), gure gobernuburuek oraingo egoerara ekarri gaituzte: konfinamendu orokorrak du txarrena saihestea baizik ez du lortzen ahal.
Frantses gobernuak «lekualdatze eta harremanak beharrezkoaenak direnetara baizik ez mugatzea» hautatu du «gerlan garela» adieraziz. Alta, kontseilu zientifikoak epidemia «menperatzeko» egokiena litekeen konfinamendu orokorra gomendatzen duen unean, gobernuak, bere aldetik, baitezpadakoak ez diren enpresei gomendatzen die beren jardueren atxikitzea. Zein da gure buruzagien lehentasuna: kosta ahala kosta ekoizpenaren atxikitzea, nahiz eta ekoizpen horrek loturarik ez izan baitezpadako beharrekin, ala jendartea babestea? Jakinez konfinamendu orokorrak ondorio baikor eta baieztatuak dituela birusaren hedatzearen emekitzean baita ingurumenaren gain ere, berotegi efektuko gasen isurketak ttipituz, argi ikusten dugu kasu honetan jendartearen jarduerak arazoaren iturburu direla. Ondorioz, zergatik ez gaitzaren erroetara jo? Egiazko “etsaia”, ez ote da bizi giren sistema kapitalista, produktibista, finantzarizatu eta mundializatua?
Osasun krisia izan aitzin, sistemaren krisia
Oroz gainetik hazkundeari eskainitako gure garapen ereduan leporaino sartuak, Lurreko baliabide naturalak erabiltzen eta gure ingurunea kaltetzen jarraitzen dugu. Ezagutzen dugun jendarte-eredu honek, beti gehiagoarena, ekosistemak suntsitzen ditu eta beste izaki bizidunen desagertze masiboa eragiten du. Gaur egungo pandemiaren eta honen desmasien hedadurak, ingurumen mailako nahasmenduen, osasun publikoaren politika publikoen desegitearen eta sistema kapitalistak sortu duen mundializazio neo-liberalaren eite handia du.
Epidemiologo anitzen arabera, badirudi Covid-19 osasuna krisiaren abiatzea pangolin baten edo saguzar baten birusa pertsona bati transmititzetik etorri dela. Izan ere, XX. mendearen erdiaz geroztik, birus patogenoak, ordura arte ikusi ez ziren guneetan agertu dira. Haietako gehienak animalia etorkizkoak dira, eta horietarik 2/3ak baino gehiago animalia basatiek eramaten dituzte. Ez zaie haiei errua leporatu behar, zinezko arduraduna bizi garen sistema da. Neurrigabeko deforestazioa, urbanizazioa, industrializazioaren bortxaz, eta, era berean, animalia basatien legez kanpoko merkataritzaren bidez, haien habitatak suntsitu ditugu eta horrela espezie anitzen lekualdatzea eragin dugu gure bizilekuetara. Hurbiltasuna dela eta, birusa daramaten animaliek, berentzat gaizgabeak, askoz errazago transmititzen dizkiote jendeari, hauentzat patogenoak izanik. Horregatik, argi da sistema kapitalista, produktibista, ustiatzailea eta mundializatua ez baldin bada errotik zalantzan ezartzen, datozen hamarkadetan horrelako epidemia gero eta gehiago bizitzeko arriskua dugula.
Epidemiaren larriagotzearen iturburua den sistema kapitalista, koronabirusak kordokarazi du
Osasun krisi honek lehenago aipatu dugun gizarte eredua zalantzan ezartzen du. Sortzen dituen logikek: hazkunde lehiaketa, produktibismoa, estraktibismoa, mundializazioa, legerik gabeko diru merkatuak etab., hauskor bilakarazten dute eta lurraren gaineko bizia arriskuan ematen dute. Gure bizimoduak du izurrite hau sortu eta mundu guzirako zabalkundea errazten du.
Covid-19aren pandemia, historia garaikidean ezagutu ditugun osasun krisien segidan sartzen da. Gripe birusak, H5N1 bezalakoa hegazti hazkuntza intentsiboarengatik (1997) edo H1N1 delakoa, jatorria urde hazkuntzan duena, «espezieen barrera» eta mugen gainetik pasatu dira. Krisi horiek alde humanitarioaren alderditik beti konpondu dira, urgentziazko aterabide tekniko eta biomedikoei esker, horien kausa diren mundu mailako politika neoliberalak sekula santan zalantzan ezarri gabe. Kerosenoaren zerga-gabetzea aire garraioaren onetan, Europako Laborantza Politika laborantza intentsiboaren alde, lurren artifizializazio eroa sortzen duen lurraren gaineko espekulazioa, ekoizpen kateen lekutzea eta merkantzien garraio soberakeria bultzatzen duten trukaketa libre hitzarmenak… Hauek dira gure gobernamenduek eramaten dituzten politika ekozidoak.
Covid-19ak mundu mailako aktibitate ekonomikoa azkarki moteldu du. Pandemiak sortzen duen beldur-ikarak, finantza merkatuen uzkailtzea eta jadanik egoera bereziki ezegonkorrean zen petrolioaren prezioen lurreratzea ekartzen ditu. Frantses Estatuan krisi honek agerian ezartzen ditu ere ikerketari, ospitaleei eta osasun sistemari orokorrean ematen zaizkien baliabideen murrizketa politiken eragin suntsitzaileak. Adibide gisa, birusaren hedapena apaltzeko ezinbestekoak diren maskaren eta gel hidro-alkoholikoaren zorigaitzeko kudeaketak, herritarrak arrisku larrian ezartzen dituela gaur egun. Osasun publikoaren aldeko egiazko politika publiko baten eskasean, epidemiaren artatzeko erdi-aroko medioekin gabiltza, jendarte osoaren atera gabe egote behartuarekin. Argi uzten du gure buruzagiek aurreikuspen eskasa ukan dutela, nahiz eta duela hiru hilabete Txinan zen egoeraren berri bazuten.
Ospitaleek ere pairatzen dituzte beren baliabide eta ahalmenen murrizketa politika deliberatuak, eta gaur egun giza baliabide, arta intentsiboendako ohe eta arnas hartzeko makina eskasean gertatzen dira. Kutsadura maila gorenera iritsiko delarik, Italian dagoen egoera katastrofiko bera bizitzeko arriskua dute, alta krisi honen hedadura azkarki mugatzen ahal zen, detekzio masibo bat aski goiz egin izan balitz.
Mundu mailako osasun krisi honen aitzinean, Philippe gobernuak kontraerrana dakarten neurriak hartu ditu: eskolen hestea, unibertsitateena, ostatu, jatetxe, museo, «nazioaren bizitzarendako ezinbestekoa ez den guzia», baina enpresak irekiak jarraitzera bultzatuak dira aldi berean. Herri hauteskundeen lehen itzulia mantentzeaz zer pentsa, osasun krisi betean sartuak ginela? Zer pentsa Amazonek gauzak banatzen jarraitzen ahal izateaz, funtsezkoak ez ziren hurbileko saltegi ttipiak hestera behartuak izan direnean? Zer pentsa eraikuntza arloa berriz lanera itzul dadin egin den deiaz, gutieneko segurtasun neurriak bermatu gabe? Konfinamendu partzial honekin, arduradunek telelanaren luxuaz gozatu ahal dute eta langile prekarioek, beren lana etxetik egiterik ez dutenez, egunero arriskuan daude. Saltegietako kutxazainak, erizainak, garbiketako emazteak, eta beste, arriskuan ezartzen direnen artean hein handi batean emazteak dira. Berriz ere, gobernuaren erabakiak sozialki zuzengabeak dira eta emazteak dira galtzaile handiak.
Emmanuel Macron bete-betean menperatzen duen diskurtso bikoitzean ari da beti. Itxuraz ospitaleetako langileekin urrikaltsu eta elkartasunezkoa ageri da alde batetik -baina haren zorroztasun politikaren aurka greban direla badu urtebete luzea-, eta beste aldetik, ez dizkie ematen osasun krisi honi buru egiteko baliabideak. Horrez gain, frantziar gobernuak osasun krisi hau guk lortu gizarte onuren aurka jotzeko baliatzen du eta betiko logika neoliberalean murgilduz: enpresei parada eskainiz bere langileak behartzea lan denboraren laburtzeek (RTT) edo opor ordainduetako aste baten hartzera (enpresa-akordioa negoziatua bada), lan denboraren emendatzea, sektore batzutan astean 60 ordu arte. Etxetik atera gabe egoteko garai honetan galera handiak jasaten ari diren enpresa eta merkatari ttipiei zuzenean laguntzeko ordez, frantziar estatuak eta Europaren banku nagusiak bankuei ematen diete dirua eta finantza merkatuen egonkortasuna ehunka mila milioien bidez bermatzen dute. Alabaina, ikusi genuen jada nolako emaitzak ekarri zituen halako politikak 2008ko krisian: zorroztasun plan batetik bestera ari direlarik, beste behin ere ahulenak dira, behartsuenak, ondorioak jasanen dituztenak.
Alta, krisi honek desberdintasunak eta ekosistemen suntsiketa areagotu ordez, egiazko metamorfosi ekologiko eta soziala indartzeko parada izan behar du. Krisiak frogatzen du aldaketa sakonak eta lasterrak posible direla hexagono mailan, nahikari politikoak eleak gainditzen baditu eta ekintzetara pasatzen bada. Nolaz gaitezke gisa horretako neurri erradikalen hartzeko gai, birus honi aurre egiteko, alfer egonak garelarik hamarnaka urtez bizidunak sekula ezagutu ez duen mehatxuaren parean: nahasmendu klimatikoa? Ez dezagun ahantz pandemiaren bukaeran, makur honetatik ikasgaiak atera beharko ditugula. Oraingoz, ekin dezakegu gure lurraldearen mailan.
Gure bizi-baldintzak berreskuratu eta kalte egitetik gelditzea
Bioaniztasuna kaltetzea, aldaketa klimatikoa eta koronabirusaren osasun krisiak sekula baino gehiago bortxatzen gaitu gure lurraldeetan konkretuki eragitera. Aldaketa orokorra eta sistemikoa dugu plantan ezarri behar. Amankomunean berriz pentsatu eta gure bizi-baldintzak berreskuratu. Finantza merkatuak arautu, haietaz libratu berdin, zerbitzu publiko azkarrak plantan ezarri, biosferaren mugak errespetatzen eta ezberdintasun sozialak ttipitzen dituen ekonomia ezarri. Gainerako bizidunei, Lurrari eta guhauri kalte egitetik gelditu. Gaur egungo bizimoduen kontra joan eta gizarte neurritsu baterantz abiatu.
Azken bi urteetan, Bizi lurralde burujabe, iraunkor eta solidario* baten proiektua lantzen ari da. Zenbait erabaki, adibidez, energia fosilen erauzketaren gelditzea, jarduera klimatizidoetarako dirulaguntzen debekatzea, aberastasun gutien duten herrien egokitze eta ondorio arintze beharren laguntza-funts bat finantzatzea, mundu mailan modu adostuan hartu behar baldin badira ere, klimaren aldeko konponbideen % 50 – % 70 tokiko eskalan aurkitzen dira, bertan subsidiariotasun printzipioa biziki gutitan aplikatzen delarik. Hein handi batean, guregandik urrun hartutako eta usu gure beharretara egokitzen ez diren erabakien menpe gaude. Herriaren burujabetza prozesu demokratikoaren zentroan berrezarri behar da. Lurralde-eskala funtsezkoa da egiazko eraldaketa sozialerako, demokrazia benetan gauzatu daitekeelako eta gure lurraldearen erronkak berehala hautematen baitira.
Guhauren garapenaren eragilea izateko, ekoizmolde kapitalistatik askatu behar gara, eta aktibitate ekonomikoa birtokiratu behar dugu. Merkatuaren legeek, gaur egun, ez dute trantsizio ekologikoa eta gizarteratzea bultzatzen, orduan salerosketen tresnaz jabetzen hasi behar dugu. Horrela, Euskoa, Ipar Euskal Herriko tokiko moneta, berreskuratze horren tresna egokiena da. Gure esku den moneta da eta gure balioen zerbitzuan erabil dezakeguna. Zirkulazioan diren eusko guziak sistema espekulatzailetik kendu hainbat diru dira eta egiazko eta tokiko ekonomiaren zerbitzura emanak. Iparraldean birtokiratzeko tresna garrantzitsua da.
Halaber, elikadura burujabetza helburutzat hartuz, gure elikagaiak birtokiratu behar ditugu, ahal bezain bat tokitan ekoitziz eta kontsumituz. Euskal Herriko Laborantza Ganbara azken 15 urte hauetan lanean ari da, lurralde osoan zabaldutako etxaldeetan, tokiko, osasuntsu eta kalitatezko janaria ekoizteko asmoarekin. Horri esker, laborari asko beren lanbidetik, duintasunez, bizi dira eta biharko baliabide naturalak zaintzeko aukera ematen du.
Azkenean, gure burujabetza energetikoa eskuratu eta kontrol demokratikoa bermatuko duten erakunde parte-hartzaileak eraiki behar ditugu. Biharko energia, herritar energia izan behar da, I-ENERek eta Enargiak Iparraldean proposatutako konponbideak bezala, energiaren neurritasunari buruz joateko aukera emanen diguten eragileak dira.
Birtokiratze prozesuak eta lurralde-burujabetza demokratikoarenak elkarreraginean dira. Iparraldearen kasua hartzeko, gaur egun eremu horretako erakunde bakarra den Euskal Elkargoak ingurumenaren eta gizartearen aldeko politika anbiziotsu bat errazkiago eramaten ahalko du bere ekonomia birtokiratua baldin bada eta ondorioz nazio arteko lehiarekiko ez bada hain ahula. Eta alderantziz, baitezpadakoa da beharrezko eskumenak ukan ditzan subsidiaritate printzipioa indarrean ezartzeko, eremuari egokitua zaion politika sustatzeko gisan.
Osasun krisi hau, 2008ko finantza-krisiaren ondotik heldu da, eta beste anitzen aitzinetik dator. Frogatzen du baitezpadakoa dela elkartasunen indartzeari, elkar-laguntza sareei eta antolaketa kolektiboari buruz lan egitea. Lan hori sakonki eginez, lagunduko dira herritarrak ihardukitzen etorkizunean gertatuko diren krisi klimatiko, ekologiko, sozial eta sanitarioen ondorioei eta kalteei aurre egiten.
Egun kolektiboki bizi dugun gertakariak gako guziak eskutan ditugulako kontzientzia harrarazi behar digu gizarte erresiliente baten eraikitzeko, gero eta erregularkiago eta bortitzago iraganen diren txokeei aurre egiteko, klima nahasmenduaren ondorioz eta gure ingurumen ekologiko eta sozialaren ahultzearen ondorioz. Gizarteak birtokiratua eta autonomoagoa izan beharko du, gure beharrei tokian tokiko erantzunak emateko gisakoa. Pertsona bakoitzak, natura zainduz, bere toki zuzena atzemanen duen jendarte jasangarri eta solidarioa izan beharko du, gure hazten, gure loriatzen eta gure babesten segitu dezan.