VGE, l’atome tranquille
Propos recueillis par Jean-Michel Bezat et Stéphane Lauer
Le Monde du 25.03.11
Le nucléaire est un bien public mondial
Jean-Pierre Mignard, Raphaël Romi, Sébastien Mabile et Michel Mabile auteurs d’un ouvrage à paraître aux Presses universitaires de Rennes L’harmonisation mondiale des normes de sureté du nucléaire civil.Jean-Pierre Mignard, Raphaël Romi, Sébastien Mabile, avocats, et
Michel Mabile, ancien ingénieur au Commissariat à l’énergie atomique
Le Monde du 17.03.11
Le nucléaire est l’un des plus grands fléaux du XXIe siècle
Charlotte Nordmann, essayiste et traductrice et Jérôme Vidal, éditeur (éditions Amsterdam)
Le Monde du 25.03.11
Avertissements en cascade
Txetx Etcheverry
Enbata-Alda du 24.03.11
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VGE, l’atome tranquille
Propos recueillis par Jean-Michel Bezat et Stéphane Lauer
Le Monde du 25.03.11
La décision de lancer un ambitieux programme électronucléaire a été prise par Georges Pompidou et son premier ministre, Pierre Messmer, après le premier choc pétrolier de 1973. Elu président de la République en 1974, Valéry Giscard d’Estaing l’amplifiera afin de réduire la dépendance de la France aux énergies fossiles importées.
Pour certains, l’accident de Fukushima sonne le glas du nucléaire.
Vous avez lancé le programme électronucléaire français en 1974. Le referiez-vous aujourd’hui ?
Oui. Le choix de la France en 1973, confirmé et amplifié en 1975 au début de mon septennat, était réfléchi. Il n’était dicté ni par la passion ni par l’improvisation, mais tenait au fait que la France n’avait plus d’énergie disponible sur son sol, et qu’il serait dangereux de dépendre entièrement des importations de l’étranger. Ce choix a été débattu dans les enceintes compétentes, et les meilleurs ingénieurs du pays y ont été associés. Il a été validé scientifiquement et politiquement – y compris par le Parti communiste, qui se situait pourtant alors dans l’opposition.
Depuis, il n’a jamais été remis en cause par les gouvernements successifs – notamment durant les deux septennats du président Mitterrand -, parce qu’il n’existe pas d’alternative ! Dès le départ, j’ai donné la priorité à la sécurité. Cela fait trente ans ou plus que les premiers réacteurs fonctionnent, et aucun incident grave n’est à déplorer.
Mais pourquoi ce choix du tout nucléaire ?
Nous l’avons fait au nom de notre indépendance énergétique. Nous nous étions fixé comme objectifs de produire, en 1985, 78 % de notre électricité à partir des centrales nucléaires et de ramener notre dépendance énergétique globale à environ 50 %. La France a atteint ces objectifs.
Quels enseignements faut-il tirer de l’accident de Fukushima ?
Contrairement à ce que montrent beaucoup d’images, ce qui se passe au Japon n’est pas un accident de la filière nucléaire, comme à Tchernobyl. C’est un tremblement de terre, suivi d’un tsunami, qui a fait plus de 20 000 morts, et qui a mis à mal le système de protection de la centrale. Il ne faut pas faire croire à l’opinion que c’est le cycle nucléaire qui est à l’origine de l’accident. Or, aussi loin que l’on cherche dans le passé, en Europe, on ne trouve pas de séisme d’une telle ampleur.
Il est néanmoins légitime de jeter un nouveau regard sur notre parc, notamment sur les centrales les plus anciennes. En France, ces examens de sûreté sont effectués en permanence. Dans le monde, il y aura certainement une période de pause et de réflexion. Quelques grands pays ont déjà fait savoir qu’ils poursuivraient leur programme nucléaire, et des pays émergents, comme la Chine et l’Inde, ne peuvent pas renoncer à cette énergie. Songez que 40 % de la population indienne n’a pas accès à l’électricité !
Que pensez-vous de la polémique actuelle, en France, sur la place du nucléaire et du référendum réclamé par les Verts ?
Ce n’est pas le problème du moment. C’est le peuple japonais qui souffre actuellement, et c’est à lui qu’il faut adresser notre solidarité. Se préoccuper des inquiétudes de l’opinion française et chercher à les amplifier, alors que nous ne sommes pas directement concernés par l’événement, n’est pas convenable. Dans ce contexte, proposer aussitôt un référendum n’est pas digne du peuple français. D’ailleurs, quelle question voulez-vous lui poser ?
« Souhaitez-vous une sortie progressive du nucléaire ? », par exemple…
Pour répondre à cette question, il faut mettre sur la table les conséquences d’un tel choix. Les responsables politiques et les commentateurs français se posent rarement la question du « lendemain ». Or, il faut mesurer toutes les conséquences d’une sortie du nucléaire. C’est une énergie qui n’émet pas de CO2 et qui nous fournit près de 80 % de notre électricité. Quelles seraient les énergies de substitution ? De l’énergie importée ! Il y a certes le pétrole, le charbon et le gaz. Mais ces ressources sont aléatoires, il n’y a pas suffisamment de réserves pour répondre aux besoins des trente prochaines années, et leur prix est appelé à augmenter.
Notre électricité nucléaire coûte environ la moitié de ce que coûterait une électricité de remplacement. Il n’y a aucune raison que le budget de l’Etat, aujourd’hui en déficit, paye la différence. Il faudrait alors doubler les tarifs de l’électricité pour payer la matière première importée nécessaire à sa production. Dans un pays qui souffre déjà d’une croissance faible, ce choix renchérirait nos coûts de production et représenterait une ponction sévère sur le pouvoir d’achat des ménages. La France peut-elle se priver d’une source d’énergie nationale qui lui assure l’électricité la moins chère d’Europe ? Ma réponse est non. S’il y avait un référendum, il faudrait ajouter à la question posée : « Accepterez-vous de payer votre électricité près de deux fois plus cher qu’aujourd’hui, et de dépendre entièrement des importations de l’étranger ? »
Ne faut-il pas pour autant diversifier nos sources d’énergie en faveur des renouvelables ?
Si l’on pouvait le faire, j’y serais tout à fait favorable ! Mais, à l’heure actuelle, nous n’avons pas à notre disposition d’énergies de remplacement en quantité suffisante. L’énergie éolienne coûte deux à trois fois plus cher que le nucléaire, et les éoliennes ne produisent pas de courant de façon continue et régulière.
Il reste néanmoins l’énergie solaire…
Je suis partisan du développement de cette énergie. J’ai décidé à l’époque la création de Thémis, la première centrale solaire, et créé le Commissariat à l’énergie solaire, en espérant qu’on découvrirait comment stocker l’électricité d’origine solaire. Jusqu’à présent, on n’a pas réalisé l’avancée technologique qui aurait permis de fournir à terme 20 % de notre électricité. J’imagine qu’on y parviendra d’ici trente ou quarante ans. En attendant, le solaire ne peut pas répondre à l’ampleur de nos besoins.
Pourra-t-on se passer d’un débat sur le nucléaire lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2012 ?
Il n’y a jamais eu de débat sur le nucléaire lors des grandes consultations électorales, notamment celles des élections présidentielles. S’il devait avoir lieu, il devrait être serein et ne pas dégénérer en conflit partisan. Si certains prônent l’arrêt du nucléaire, ils devront dire ce que sera la politique énergétique de remplacement. Elle devra être crédible et répondre à la question : qui fournira l’électricité aux Français, et à quel coût ?
Le nucléaire est un bien public mondial
Jean-Pierre Mignard, Raphaël Romi, Sébastien Mabile et Michel Mabile auteurs d’un ouvrage à paraître aux Presses universitaires de Rennes L’harmonisation mondiale des normes de sureté du nucléaire civil.Jean-Pierre Mignard, Raphaël Romi, Sébastien Mabile, avocats, et
Michel Mabile, ancien ingénieur au Commissariat à l’énergie atomique
Le Monde du 17.03.11
Les nouvelles en provenance du Japon revêtent dorénavant un caractère tout simplement dramatique. A quelques jours du triste 25e anniversaire du drame de Tchernobyl, le monde vient de connaître sa seconde catastrophe nucléaire civile en moins d’un quart de siècle. Au delà des douleurs et des risques, la crise nucléaire japonaise démontre à l’évidence les limites du discours juridique de la « transparence »…
En période de choc grave, les pouvoirs publics continuent à hésiter – et c’est très compréhensible – entre informer au risque de paniquer et se taire au risque de ne pas gérer… S’il est encore trop tôt pour estimer les conséquences humaines et sanitaires de la catastrophe de Fukushima, il semble acquis que la confiance des opinions publiques dans cette source d’énergie sortira ébranlée de cette crise.
L’accident de Tchernobyl avait entraîné une remise en cause complète du cadre juridique international de l’énergie nucléaire et une forte évolution de son application dans les pays dotés de l’atome. Il a placé la notion de « sûreté » au cœur des débats juridiques et politiques internationaux, notion alors réservées aux seuls cadres internes aux Etats. Il fallait regagner la confiance des opinions nationales, déjà ébranlées par l’accident de Three Miles Island. Cette évolution du cadre juridique avait en partie atteint son objectif.
Déjà en 1979, après l’accident de Three Miles Island, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) avait exprimé son intérêt pour la coopération internationale en cas d’accident nucléaire. La catastrophe de Tchernobyl allait de manière dramatique rappeler à la communauté internationale la nécessité de se doter de solutions d’urgence. Face aux accidents nucléaires et aux situations critiques, le précédent de Tchernobyl témoignait d’une défaillance avérée des autorités soviétiques et de l’impuissance des Etats riverains impactés par le nuage radioactif. Conséquence, fait rarissime en droit international, deux textes conventionnels seront élaborés en un temps record : en moins de quatre mois, les négociations aboutirent le 26 septembre 1986.
La Convention sur la notification rapide d’un accident nucléaire et la Convention sur l’assistance en cas d’accident nucléaire ou de situation d’urgence radiologique entreront en vigueur en un temps record, respectivement le 27 octobre 1986 et le 26 février 1987. L’émotion passée, il a fallu encore attendre cinq années pour que s’impose un corpus juridique contraignant avec la Convention sur la sûreté nucléaire.
Au cours des vingt ans qui suivirent l’accident de Tchernobyl, ce ne sont pas moins de dix instruments conventionnels qui ont été négociés et adoptés par la communauté internationale. L’AIEA a un rôle déterminant pour coordonner les efforts internationaux destinés à régler les problèmes soulevés par cet accident, lequel a contribué à dessiner les contours d’une gouvernance du nucléaire mondial. Suivant ce mouvement, de très nombreux Etats ont également modifié en profondeur leur cadre juridique de manière à placer la sûreté nucléaire au cœur des problématiques. C’est d’ailleurs le cas du Japon, même si son autorité de sûreté (METI) ne présente des garanties d’indépendance moins évidentes qu’en France ou qu’aux Etats-Unis.
Ce mouvement législatif a certainement contribué à restaurer une partie de la confiance des opinions publiques. Le mouvement de baisse continue du nombre de réacteurs en construction dans le monde a commencé à se stabiliser au milieu des années 1990 aux environ de quarante réacteurs en construction (contre plus de 200 à la fin des années 1970).
Dix ans plus tard (2005), et pour la première fois depuis 1979, le nombre de réacteurs en construction était en progression d’une année sur l’autre et pas seulement en raison de l’amélioration et du renforcement des normes internationales en matière de sûreté nucléaire. Des facteurs, externes ont largement contribué à l’émergence d’un « nouvel âge » du nucléaire civil dans le monde, dont l’incursion du changement climatique en tant que question déterminante des choix des politiques d’environnement.
Les événements dramatiques du Japon interviennent alors que la crise énergétique mondiale est déjà problématique. Le prix du pétrole et du gaz s’envolent et les énergies renouvelables, de l’aveu même des experts, ne permettront pas à moyen terme de se substituer aux énergies fossiles. En parallèle, les catastrophes climatiques se multiplient, conduisant à une prise de conscience renforcée dans l’importance qu’il y a à limiter le rejet des gaz à effet de serre, dont le CO2.
Si le maintien d’une part d’énergie nucléaire dans le mix énergétique de la communauté internationale devait être confirmé, il n’en reste pas moins que l’ensemble de la filière devra être repensée. Il existera toujours et partout un scénario dans lequel une catastrophe comme celle de Fukushima pourra se produire. Aucun opérateur, aucun gouvernement ne pourra plus garantir qu’il assumera les conséquences économiques, environnementales, sociales et sanitaires d’un accident de ce type, d’autant plus si l’installation est située dans un pays non démocratique ou aux infrastructures juridiques ou technico-scientifiques médiocres.
LA SOUVERAINETÉ DES ETATS DOIT CÉDER FACE À L’EXIGENCE DE SURETÉ
D’ores et déjà, il faut donc appeler à un nouveau changement de cap. En premier lieu, réaffirmer l’exigence de transparence. Les informations communiquées par l’autorité de sûreté nucléaire japonaise et par l’exploitant Tepco auraient été – et seraient toujours – plus que parcellaires. Certains japonais admettent que les médias nationaux ne reflèteraient pas tout à fait la gravité de la situation actuelle. Les autorités japonaises ont attendu près de 72 heures pour solliciter l’assistance des experts de l’AIEA et de l’autorité de sûreté américaine, la NRC. Au-delà de la population japonaise, la communauté internationale est en droit, au regard des conséquences potentielles de l’accident sur leurs propres populations, d’obtenir des informations fiables. La sûreté nucléaire doit définitivement sortir du domaine de la souveraineté nationale.
Le rôle de l’AIEA s’est considérablement renforcé depuis 1986. Il faut continuer et amplifier ce mouvement. L’Agence de l’énergie atomique (AEN) de l’OCDE doit s’associer avec l’AIEA pour créer une agence mondiale unique dont un « conseil de sécurité » détiendrait des prérogatives supra nationales décisives. Les experts internationaux doivent être mis en mesure d’intervenir sans attendre la demande officielle des autorités, toujours trop tardive, ou des exploitants, souvent débordés comme ce fut le cas au Japon : un droit d’auto saisine.
La gestion de cette énergie nécessite la transparence démocratique, des exploitants de grande qualité et à l’éthique irréprochable, des réacteurs présentant des garanties irréprochables, une société civile vigilante. Une liste de pays insusceptibles d’accueillir la technologie nucléaire doit être adoptée et rendue opposable aux pays producteurs de réacteurs sur des critères de transparence. Les sites d’installation doivent offrir le maximum de sécurité environnementale. La proximité avec les grandes métropoles et les littoraux doivent être des critères de sélection. Un corridor nucléaire dans chacun des Etats hôtes de centrales nucléaires doit être tracé sous la responsabilité de l’AIEA. Les digues de la souveraineté nationale doivent céder devant l’importance du risque et sa dimension extraterritoriale en cas d’accident grave. Un véritable conseil de sûreté et de sécurité nucléaire mondial doit être mis en place sous l’égide des grandes agences internationales.
Les formes d’exclusion du nucléaire civil doivent être aussi drastiques que celles du nucléaire militaire et s’inspirer du traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Le parallélisme doit être complet. Un Etat ne peut accéder au nucléaire civil qu’à la condition de souscrire à l’ensemble des critères de la sûreté et de la sécurité.
Le concept émergent de bien public mondial devrait utilement s’appliquer à l’énergie nucléaire. Si le Japon, l’Italie, la Turquie, le Chili ou le Mexique, du fait du handicap de risques sismiques, n’offrent pas les garanties de sûreté suffisantes, réévaluées partout, c’est ailleurs qu’il faudra installer les centrales. Rechercher les mécanismes techniques, juridiques, politiques et entrepreneuriaux susceptibles d’en faire bénéficier l’ensemble des Etats selon des mécanismes d’échange à inventer est une nécessité. La notion de partage de l’énergie serait alors placée au centre d’un modèle de société mondiale qui refuserait les scenarii de guerre du feu. Il s’agit là d’un noble choix politique. Et de l’hommage que nous devrons au peuple japonais amis et frère dans la peine.
Le nucléaire est l’un des plus grands fléaux du XXIe siècle
Charlotte Nordmann, essayiste et traductrice et Jérôme Vidal, éditeur (éditions Amsterdam)
Le Monde du 25.03.11
Même au cours des événements les plus atroces, il y a toujours des optimistes pour se réjouir. A l’heure où le Japon vit une catastrophe nucléaire majeure, ils nous exhortent à assumer la « noble » tâche qui nous incombe : l’heure n’est pas à la désolation, nous disent-ils, car pourrait s’ouvrir une ère nouvelle, plus rationnelle, plus démocratique et plus juste, où il serait enfin reconnu que « le nucléaire est un bien public mondial » exigeant une gestion transnationale responsable et éclairée.
Comment peut-on en venir à proférer des énoncés aussi obscènes dans de telles circonstances ? Comment peut-on défendre l’industrie nucléaire alors que nous sont rappelées de la façon la plus terrible les conséquences de ce choix, toujours fait en dépit de l’opinion publique ?
La plaidoirie parue sur Lemonde.fr (Jean-Pierre Mignard, Raphaël Romi, Sébastien Mabile et Michel Mabile : « Nucléaire : un bien public mondial ») est un modèle du genre. Au nom du progressisme, de l’intérêt général de l’humanité, il s’agit de faire apparaître le nucléaire comme le choix qui s’impose à des « responsables » à la fois probes et compétents.
Le discours auquel la classe politique française – à l’exception des Verts et d’une partie de l’extrême gauche – se rallie aujourd’hui avec une émotion où se mêlent atterrement devant la catastrophe et inquiétudes pour un fleuron de l’industrie française est donc de reconnaître que le nucléaire comporte des risques (difficile, pour l’heure, de l’oublier !), mais qu’une gestion responsable peut nous en préserver, étant entendu que les « bienfaits » du nucléaire seraient « incontestables ».
Toute la question est là. Est-il vrai que nous ne pouvons pas nous passer du nucléaire ? Est-il vrai que le développement du nucléaire civil serait souhaitable, parce qu’il contribuerait à limiter le réchauffement climatique ? Est-il vrai qu’il est possible de « faire les choses bien » ? Autrement dit, peut-on réellement, dans le respect de la démocratie et grâce à l’imposition de strictes normes techniques, jouir des « bienfaits » du nucléaire civil sans s’exposer à tout instant à la catastrophe ?
A ces trois questions, nous répondons : non. C’est d’abord une imposture que de dire que nous n’aurions pas le choix, que « les experts » s’accorderaient pour dire que nos besoins en énergie seraient tels que nous ne pourrions nous passer du nucléaire. Dès lors qu’on remet en question le dogme selon lequel la consommation en énergie serait vouée à augmenter, il est possible d’envisager une sortie du nucléaire : l’Association négaWatt a ainsi élaboré un scénario énergétique reposant sur la réduction des gaspillages d’énergie et l’efficacité énergétique qui permet d’envisager la fermeture des centrales françaises dès 2030. Nous avons donc le choix, et prétendre le contraire est mentir, purement et simplement.
Les promoteurs du nucléaire n’ont pas hésité à tirer parti de la sensibilisation de l’opinion aux dangers du réchauffement climatique : le maintien et même le développement du nucléaire seraient souhaitables, car ils permettraient de lutter contre l’augmentation des gaz à effet de serre. Or, en France, c’est-à-dire dans le pays d’Europe où le développement du nucléaire a été le plus massif, la production d’électricité d’origine nucléaire ne contribue que pour 16 % à la consommation d’énergie finale. Si cette contribution était assurée par une production d’électricité d’origine renouvelable, les émissions totales de gaz à effet de serre seraient légèrement inférieures. Et si elle l’était par des centrales à gaz à cycle combiné, ces émissions seraient supérieures de seulement 15 % à 20 %.
L’Agence internationale de l’énergie, qui promeut pourtant le développement de l’industrie nucléaire, calcule que, si le nucléaire parvenait à se développer, sa contribution à la réduction des émissions mondiales de CO2 serait d’à peine 6 % en 2050, contre 54 % pour les économies d’énergie et 21 % pour les énergies renouvelables, à un coût très inférieur. Cette réduction dérisoire interviendrait par ailleurs bien trop tard. Surtout, toutes les options ne sont pas compatibles : le nucléaire exige des investissements considérables en matière d’infrastructures et monopolise d’énormes subventions publiques, dont les deux tiers des budgets européens de recherche sur l’énergie, au détriment des autres énergies et du développement de politiques d’économies d’énergie.
Troisième point – bien sûr le plus important : il n’est matériellement pas possible de garantir les populations contre les risques inhérents à l’industrie nucléaire civile. Parler de « réacteurs aux garanties irréprochables » serait presque comique, si ce n’était tragique, quand la majorité des réacteurs en activité auraient déjà dû être arrêtés, et alors que les nouveaux modèles de réacteurs, les fameux EPR, dont les représentants de commerce d’Areva nous vantent la fiabilité à l’envi (« Ah, ma bonne dame, ça, ça ne vous serait pas arrivé avec notre nouveau modèle !… »), ne cessent de révéler leurs fragilités.
Rappelons que, outre les analyses suggérant qu’en cas d’accident ces réacteurs et leur « double enceinte de confinement » pourraient s’avérer plus dangereux que les précédents, les autorités de sûreté française, finlandaise et britannique ont toutes émis des doutes sur la capacité de leur système de commande à répondre aux exigences de sûreté de base.
Les risques et les dommages causés par le nucléaire ne sont d’ailleurs pas limités aux réacteurs, ils sont présents sur l’ensemble de la filière : des mines d’uranium à la production de combustible, en passant par le problème insoluble des déchets, dont le prétendu « retraitement » produit en fait plus de matières radioactives et un nouveau combustible, le mox, plus dangereux encore que l’uranium.
Nos promoteurs d’une gestion éclairée et cosmopolite du nucléaire le reconnaissent d’ailleurs. Ils déclarent en passant qu' »il existera toujours et partout un scénario dans lequel une catastrophe comme celle de Fukushima pourra se produire ». Sommes-nous prêts à assumer un tel risque à seule fin de produire de l’électricité ? Pouvons-nous accepter qu’une telle décision soit prise par des « experts » – voire par les promoteurs du nucléaire – hors de tout débat démocratique ?
Mais si le nucléaire est toujours imposé aux peuples, en dépit du rejet qu’entraîne la conscience de ses risques, c’est parce que, né de l’industrie militaire et encore profondément lié à elle, cette industrie, d’une technicité et d’une dangerosité extrêmes, n’est pas susceptible d’être gérée démocratiquement. Elle exige l’opacité ; elle nécessite une gestion centralisée et autoritaire. Le nucléaire est un régime politique – et il n’est tout simplement pas possible de lui appliquer les principes de « transparence » ou de « contrôle citoyen ».
De deux choses l’une : soit ce discours témoigne d’une méconnaissance de la question, soit d’un véritable cynisme, mais quoi qu’il en soit, cela n’augure rien de bon pour cette « nouvelle gouvernance mondiale irréprochable » censée nous préserver des dangers du nucléaire.
Pas sûr qu’à tenir un tel discours nos « responsables » parviennent à restaurer la « confiance » nécessaire à l’avenir en la filière nucléaire. Ce serait en tout cas un tour de force, mais nos habiles manipulateurs du langage ont du moins l’avantage de bénéficier du soutien presque unanime de la classe politique en France, et d’une bonne partie des médias.
Avertissements en cascade
Txetx Etcheverry
Enbata-Alda du 24.03.11
Nous vivons une époque décisive. Chaque jour qui passe est porteur d’une actualité nous avertissant de manière claire et nette que notre modèle économique actuel nous amène droit au gouffre : catastrophe nucléaire du Japon, marée noire du Golfe du Mexique, émeutes de la faim, accélération de la fonte des glaces du Groenland et de l’Antarctique, pic du pétrole, etc.
Ce modèle, la croissance capitaliste, repose sur de gigantesques besoins en énergie. Mais il s’est violemment heurté contre un mur -celui des limites de la planète- et les conséquences en sont multiples : premiers enchaînements des conséquences sociales et économiques de la fin du pétrole pas cher, guerres du pétrole, risques accrus pris pour son exploitation (plateformes pétrolières en mer profonde, marées noires…), dégâts environnementaux colossaux pour certains modes d’extraction telles que celui des sables bitumineux au Canada et d’une manière générale tentation d’un recours plus important au charbon malgré les conséquences climatiques catastrophiques d’une telle pratique.
Car la poursuite de l’exploitation massive des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) provoque d’ores et déjà changements climatiques et multiplication des évènements climatiques extrêmes (326 catastrophes climatiques ont été enregistrées en moyenne chaque année entre 2000 et 2004, près de trois fois plus qu’entre 1980 et 1984).
Elle nous fait foncer vers les seuils d’emballement -incontrôlable et irréversible- du climat. Pour éviter ce pire là, nous devons réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, d’au moins 50% à l’échelle mondiale en 2050 par rapport à 1990.
Le mythe de la croissance verte
Certains prônent dès lors la fameuse «croissance verte». Grâce aux progrès technologiques, nous allons pouvoir continuer à produire plus en polluant moins. Hélàs, les chiffres sont têtus et nous montrent le contraire. Depuis les années 70, ces avancées technologiques ont permis le résultat d’une baisse de l’intensité carbone -proportion d’émissions de gaz à effet de serre par unité de P.I.B.- égale à 40% ! C’est remarquable ! Mais dans la même période, le P.I.B. Mondial à triplé (en volume). Les émissions de gaz à effet de serre ont donc été multiplié par 1,9, rendant la situation climatique plus qu’inquiétante. La crise de la bio-diversité, l’acidification des océans etc. accompagnent dramatiquement le mouvement. Il n’y a pas de croissance verte ! Le recours au nucléaire ou aux agro-carburants
D’autres invoquent des solutions miracles pour tout continuer comme si de rien n’était : on fera rouler le même nombre de voitures aux agro-carburants ou à l’électricité, grâce au nucléaire, énergies plus propres en gaz à effet de serre. Les agro-carburants combinés aux effets du réchauffement climatique vont alors participer à la raréfaction et au renchérissement des denrées alimentaires de base, faisant basculer des dizaines ou centaines de millions de personnes supplémentaires au dessous du seuil de pauvreté. Le nucléaire ne constitue que 5% environ de l’énergie primaire consommée par les hommes. De l’avis même d’un partisan de cette énergie, Jean-Marc Jancovici, il faudrait construire 8000 réacteurs (contre 400 aujourd’hui) pour que l’atome remplace le pétrole et le charbon. C’est infaisable en 20 ou 30 ans, échéance que nous avons pour réduire massivement nos émissions de gaz à effet de serre, cela rendrait ridicules les réserves prouvées d’uranium (il y a en a pour un siècle environ avec le parc actuel !) et l’on voit déjà, de Tchernobyl en Fukushima, le problème que nous pose ce parc actuel, sans parler de la question des déchets radioactifs et du risque de prolifération de l’armement nucléaire que cela induirait.
La transition énergétique
Nous allons devoir -à moins d’assumer le pire pour la génération de nos enfants actuels- effectuer une transition radicale et massive vers un modèle plus économe et efficace en énergie, et vers un système de production d’énergies entièrement renouvelables et propres. Mais du coup, il nous faudra consommer de l’énergie pour réaliser les reconversions (aménagement du territoire, transports, industrie, agro-alimentaire), les aménagements (isolation des logements…), et produire les dispositifs qui vont permettre de générer ces énergies renouvelables et propres. Le défi de la transition va donc exiger une importante consommation d’énergie, et dans le même temps, on peut prévoir que l’adaptation aux premières conséquences du réchauffement climatique va également en exiger de plus en plus. Or, dans l’immédiat, cette énergie sera majoritairement d’origine fossile, et nous savons que nous devons impérativement diminuer nettement sa consommation -dés 2015/2020- pour limiter le changement climatique et éviter les seuils d’emballement à ce niveau.
Vers le bien-vivre soutenable
Alors, comment faire ? Comment boucler la quadrature du cercle ? Il n’y a qu’une voie possible : il faut massivement réduire notre consommation d’énergie actuelle, et pour cela diminuer considérablement la production matérielle, la consommation, la transformation et le transport de matières. Cela va à l’encontre de toutes les politiques actuellement menées et prônées, qui consistent à «aller chercher la croissance avec les dents», à faire travailler plus (et donc produire, transformer et transporter plus)…
Et pourtant, c’est la seule alternative rationnelle et lucide. Loin de signifier une baisse de la qualité et du niveau de vie de la majorité des gens, elle est au contraire la base du bien-vivre soutenable du plus grand nombre. Les chemins qui y mènent existent, ils peuvent commencer ici et maintenant, et doivent structurer nos luttes et revendications d’aujourd’hui. Ils passent par la suppression des productions inutiles ou nuisibles, la fin de l’obsolescence programmée des produits, la réduction du temps du travail, la relocalisation de la production, le ralentissement de nos rythmes de vie et de déplacement, la reconversion d’une partie de l’industrie et des services, un réaménagement radical du territoire, la fin de l’agriculture industrielle, la réduction drastique des inégalités sociales, la démarchandisation d’un certain nombre d’activités…
Ces chemins seront évoqués en long et en large tout au long du Forum «Capitalisme : c’est par où la sortie ?» qui aura lieu d’Hendaye à Mauléon en passant par Bayonne, Espelette et Hasparren du 15 avril au 1er mai.
Commençons sans plus tarder à les découvrir et à les emprunter !