Articles du Vendredi : Sélection du 24 juillet 2020


L’inquiétude monte autour du méthane, l’autre bombe climatique
Alexandre-Reza Kokabi
https://reporterre.net/L-inquietude-monte-autour-du-methane-l-autre-bombe-climatique

Les émissions de méthane, un gaz à effet de serre très puissant, flambent à cause de nos modes d’élevage, du traitement de nos déchets et de l’extraction d’énergies fossiles. Ce phénomène amplifie considérablement le dérèglement climatique et ses conséquences.

C’est un gaz à effet de serre très puissant, souvent qualifié de « bombe climatique ». Les concentrations de méthane (CH4) dans l’atmosphère ne cessent d’augmenter, accélérant les dérèglements climatiques déjà palpables aux quatre coins de la planète : c’est le principal enseignement d’une analyse publiée, mercredi 15 juillet, par le Global Carbon Project (GCP), qui veille sur les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cette étude fait l’objet de publications dans les revues scientifiques Environmental Research Letters et Earth System Data. Elle a été pilotée par une équipe de recherche internationale, menée en France par le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE).

Depuis le début de la révolution industrielle, les concentrations de méthane dans l’atmosphère ont augmenté de plus de deux fois et demie. Elles atteignent désormais 1.875 parties par milliard, un taux inégalé depuis au moins 800.000 ans. Ces chiffres sont préoccupants, car si le méthane est le deuxième gaz à effet de serre en quantité dans l’atmosphère, après le dioxyde de carbone (CO2), il a un effet de réchauffement 28 fois plus important que ce dernier, sur un horizon de 100 ans. « Aujourd’hui, on estime que le méthane contribue à hauteur de 23 % du réchauffement lié aux émissions de gaz à effet de serre anthropiques », précise Marielle Saunois, enseignante-chercheuse au LSCE et coordinatrice de l’étude.

Les émissions de méthane sont très corrélées aux activités humaines, expliquent les scientifiques

Or, sur la période récente, la tendance s’accélère. Après une phase de stabilisation au début des années 2000, une augmentation continue des concentrations de méthane depuis 2007 a été observée par les réseaux de mesures internationaux. Pire, le rythme des émissions s’est accéléré depuis 2014.

Mais d’où viennent ces émissions de méthane ? Elles sont très corrélées aux activités humaines, expliquent les scientifiques. Au moins 60 % des rejets de CH4 dans l’atmosphère leur sont directement imputables. « Le méthane est émis par la décomposition de la matière organique en milieu anaérobie, c’est-à-dire sans oxygène, comme les décharges, la panse des bovins, ou dans les rizicultures, explique Philippe Bousquet, un des co-auteurs de l’étude. Le CH4 peut aussi se retrouver dans l’atmosphère à cause de fuites dans les chaînes d’extraction d’énergies fossiles, ou encore avec la combustion de biomasse dans des milieux peu oxygénés. »

Pour expliquer le boom des concentrations de méthane dans l’atmosphère, différentes hypothèses sont avancées par les scientifiques. Certains incriminent la flambée de l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste aux États-Unis dans les années 2000, dont les industriels ont sous-déclaré les fuites de méthane de leurs puits, et l’exploitation du charbon en Chine depuis les années 2010. D’autres pointent du doigt l’accroissement de la taille des élevages de bétail en Asie, en Amérique latine et en Afrique, également sources de rejet important de méthane, liés aux phénomènes de fermentation lors de la digestion des animaux — en d’autres termes, la flatulence des vaches.

L’étude du Global Carbon Project confirme ces deux hypothèses. « Les trois régions où la hausse des émissions est la plus marquée sont l’Afrique, la Chine et l’Asie, suivies par l’Amérique du Nord et les États-Unis, dit Marielle Saunois. En Afrique et en Asie, hors Chine, c’est principalement lié à l’agriculture et aux déchets. En Chine et en Amérique du Nord, aux énergies fossiles. » La chercheuse estime que 60 % de l’augmentation des émissions proviennent des régions tropicales, et le reste des moyennes latitudes.

L’Europe est la seule région du monde où les émissions semblent avoir diminué, entre moins quatre et moins deux mégatonnes de méthane par an, selon les méthodes d’estimation utilisée. « Cette décroissance est liée majoritairement au secteur agricole, à la diminution de notre cheptel, et à la gestion des déchets », précise Marielle Saunois. Mais la baisse des émissions européennes ne signifie pas que le Vieux Continent est plus vertueux que les autres. « Dans notre étude, nous ne prenons pas en compte les transferts d’émissions », reconnaît Marielle Saunois.

C’est-à-dire que, alors que l’Europe importe du pétrole de schiste ou du bétail élevé hors de ses frontières, les émissions liées à ces importations n’est pas prise en compte dans le calcul de ses émissions.

Concernant les régions arctiques, sources d’inquiétude en raison des grandes quantités de méthane qu’elles pourraient produire, l’étude du Global Carbon Project se veut rassurante : « Les émissions de méthane n’y ont pas encore augmenté significativement, ce qui veut dire que, pour le moment, la forte sensibilité climatique des hautes latitudes ne se traduit pas par une forte hausse des émissions de méthane dans ces régions », observe Marielle Saunois.

« Les scientifiques recommandent donc aux décideurs de réduire drastiquement les émissions de méthane anthropiques »

Le dégel — déjà bien commencé — de ces régions est pourtant l’une des menaces les plus lourdes qui pèsent sur l’équilibre du climat terrestre. Elles abritent les pergélisols, des sols constamment gelés qui contiennent de grandes quantités de matière organique. « En dégelant, elles fermentent, ce qui pourrait produire des quantités importantes de méthane », prévient Philippe Bousquet, qui imagine « que ça arrivera progressivement dans les décennies à venir, mais dans des proportions qu’on n’arrive pas encore bien à estimer ».

Les clathrates de méthane (aussi appelées hydrates de méthane), qui correspondent encore mieux à l’idée de « bombe climatique », sont elles aussi « a priori stables » pour Philippe Bousquet. Ce sont des structures glacées, naturellement présentes dans les fonds marins, qui renferment du méthane sous une forme très concentrée — un mètre cube de clathrates peut contenir jusqu’à 165 mètres cubes de méthane. « Le réchauffement des océans tend à les rapprocher de zones d’instabilité mais, comme la pression augmente du fait de la hausse du niveau des mers, ça compense. Attention, toutefois, à ne pas trop réchauffer », prévient-il.

« Le changement climatique est déjà irréversible, mais si nous libérons ces sources potentiellement énormes de méthane, nous n’aurons plus aucune chance de respecter les objectifs de l’Accord de Paris pour le climat », s’inquiète le professeur, qui observe que « nous suivons déjà les pires scénarios du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), qui prévoient une augmentation de 3,3 °C à 5,5 °C d’ici 2100 ».

Trajectoire des émissions de méthane comparée avec les scénarios du GIEC

Pour recoller à des trajectoires — et à des futurs — plus désirables, les scientifiques recommandent donc aux décideurs de réduire drastiquement les émissions de méthane anthropique. « Ça peut passer par l’identification des fuites dans les infrastructures pétrolières et gazières, la réduction de la taille des élevages ou des changements dans l’alimentation des bovins », propose Marielle Saunois, qui ajoute que « des actions en ce sens seraient payantes à très court terme, beaucoup plus vite que pour le CO2, puisque la durée de vie du méthane dans l’atmosphère est d’à peu près dix ans. » (contre une centaine d’années pour le CO2)

Des marges d’erreur et des zones d’ombre importantes persistent encore autour de ces émissions. « Il existe une myriade de sources relâchant du méthane, difficiles à recenser et à quantifier », reconnaît Marielle Saunois. « Les contributions des sources naturelles telles que les zones inondées, les lacs, les réservoirs, les termites, ou les hydrates, sont encore assez méconnues », ajoute Philippe Bousquet.

Par ailleurs, les sources qualifiées de « naturelles » par les chercheurs sont elles-même très perturbées par le changement climatique anthropique. De sorte qu’« il est compliqué de savoir quelle part des émissions on peut attribuer à des activités humaines ou à des processus naturels, dit Marielle Saunois. Dans les zones humides, les émissions de méthane augmentent à la fois avec la température et avec l’humidité. Or, sous l’effet du changement climatique, elles deviennent plus chaudes et s’étendent, et elles peuvent relâcher plus de méthane. » Mais, conclut Philippe Bousquet, « il ne fait désormais plus aucun doute que les activités humaines sont motrices dans ces changements majeurs et ces taux de concentration de méthane inégalés ».

Paris veut lier son plan local d’urbanisme à l’action climatique
Stéphanie Senet
www.journaldelenvironnement.net/article/paris-veut-lier-son-plan-local-d-urbanisme-a-l-action-climatique,108148

La maire de Paris Anne Hidalgo entame son deuxième mandat avec le projet de doter la ville d’un plan local d’urbanisme bioclimatique. Ce long processus pourrait être lancé d’ici à la fin de l’année, en vue d’aboutir en 2024.

Le puzzle réglementaire de l’action climatique parisienne devrait s’enrichir d’une pièce importante avec le «plan local d’urbanisme bioclimatique». Le premier de France selon Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris en charge de l’urbanisme, qui présente le projet lors du premier Conseil de Paris depuis la réélection d’Anne Hidalgo, qui se tient les 23 et 24 juillet. Officiellement, la révision n’est pas encore lancée.

Une conférence de 100 citoyens

Pour l’instant, la mairie compte lancer une vaste concertation autour de la révision du PLU actuel, qui remonte à 2006, sous la mandature de Bertrand Delanoë. Pour cela elle met en une conférence citoyenne, sur le modèle de la convention citoyenne pour le climat qui a rendu ses travaux le 21 juin. 100 Parisiens (hommes et femmes à parité) seront ainsi tirés au sort pour débuter leurs réflexions dès le mois de septembre. Ces citoyens participeront à trois journées réparties sur 4 semaines. Leurs conclusions sont attendues fin octobre. Les maires d’arrondissement, conseils de quartier, maires de la métropole et associations seront aussi invitées à formuler un avis. Un dispositif qui devrait être adopté le 24 juillet par les conseillers de Paris.

Cinq champs d’investigation

Pour l’heure, cinq thématiques ont été retenues pour lancer les débats: un environnement plus favorable à la santé et moins exposé aux nuisances dans une ville plus résiliente et adaptée aux changements climatiques, une ville solidaire au sein de la métropole, de nouveaux enjeux patrimoniaux, une économie circulaire du bâti, et un développement économique durable (commerce, tourisme, logistique).

Retouches à la marge

Dans l’actuel PLU, la protection de l’environnement se résumait à la création de zones N (naturelles et forestières) et UV (espaces verts publics), aux servitudes d’espaces verts protégés (EVP) et aux dispositions relatives aux espaces libres. Ce document d’urbanisme avait ensuite été modifié en 2009, à la suite du premier plan Climat d’octobre 2007, pour soutenir le développement des dispositifs économisant l’énergie ou produisant de l’énergie renouvelable. Objectif : favoriser l’émergence des panneaux solaires thermiques ou photovoltaïques, éoliennes, toitures végétalisées, isolation par l’extérieur.

Une deuxième modification est intervenue en 2016, cette fois en mémoire du Grenelle de l’environnement. Son nouvel article 15 a ainsi intégré des dispositions favorables à la gestion des eaux pluviales, la collecte des déchets, et la performance acoustique et énergétique des bâtiments neufs ou réhabilités.

Objectifs du PCAET non intégrés

En revanche, les objectifs du Plan climat air énergie territorial (PCAET) adopté en mars 2018, dont la réduction de 50% des consommations énergétiques des constructions existantes et la neutralité carbone en 2050, ne sont pas pris en compte dans le PLU. Ce pourrait être le cas dans la prochaine version, comme le propose la délibération. Autre hypothèse: ses objectifs seraient intégrés dans le PLU actuel, modifié de façon simple, pour une entrée en vigueur plus rapide.

«Le PLU actuel n’apporte qu’une réponse partielle à la lutte contre le réchauffement climatique», reconnaît la délibération. Même chose pour la lutte contre la multiplication des locations touristiques au détriment du logement des habitants et pour le développement d’habitats collectifs et alternatifs.

 Dispositions opposables

La municipalité compte aussi freiner l’artificialisation des sols. «Pour 1 mètre carré construit, on doit trouver 1 m2 de désartificialisation, selon un principe de compensation stricte», assure Emmanuel Grégoire. Alors que la métropole fait partie des zones les plus soumises à l’artificialisation, avec le littoral français, la mairie n’aura d’autre choix que de favoriser le recyclage du bâti existant et d’augmenter l’efficacité des constructions. Ces dispositions seraient opposables aux promoteurs. L’équipe d’Anne Hidalgo devance en tout cas le Comité interministériel de lutte contre l’artificialisation, dont la stratégie de lutte contre l’artificialisation est attendue à l’automne.

Au moins trois ans de débats

La révision du PLU reste encore un chemin semé d’embûches. Tout d’abord, elle nécessite au moins quatre accords de l’assemblée parisienne: pour la prescription de sa révision (sans doute avant la fin 2020), pour ses grandes orientations compilées dans le projet d’aménagement et de développement durables (PADD), pour le contenu des modifications et pour l’approbation du document définitif, qui devrait intervenir en 2024 avant les Jeux olympiques.

Le point de vue d’un écologue : la poursuite de la croissance économique est incompatible avec la préservation de la biodiversité
Jean-Louis MARTIN, Directeur de Recherche au Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive du CNRS à Montpellier
www.goodplanet.info/2020/07/14/le-point-de-vue-dun-ecologue-la-poursuite-de-la-croissance-economique-est-incompatible-avec-la-preservation-de-la-biodiversite

La croissance économique est-elle conciliable avec la préservation de la biodiversité ? À cette question, il convient de réponde afin de déterminer les mesures à prendre afin de sauvegarder la patrimoine naturel. Dans une communication récente dans la revue Conservation Letters sous le titre Biodiversity policy beyond economic growth et résumée en français sur le site du CNRS Perte de biodiversité et croissance économique : quelles politiques ? , les chercheurs appellent à sortir du dogme de la croissance. L’écologue Jean-Louis Martin, directeur de Recherche au Centre d’Écologie Fonctionnelle et Évolutive du CNRS à Montpellier, qui a pris part à ces travaux, explique dans cette tribune en quoi les paradigmes économiques sont à revoir afin de protéger efficacement les équilibres naturels.

Tôt ou tard l’écologue, par son étude des interactions reliant les êtres vivants entre eux et avec leur milieu, finit par s’interroger sur les conséquences des activités humaines sur le tissu vivant qui nous fait vivre.  Il bute alors sur l’opposition profonde entre sa perception aigüe des limites de la biosphère et l’injonction de croissance à laquelle nos économies sont soumises.

L’injonction de croissance source de perplexité ?

L’injonction de croissance est au cœur de l’économie productiviste. Elle nourrit sa fabrication soutenue de biens de ressources minérales, végétales et animales, et d’énergie. Elle a pour conséquence l’artificialisation des sols, la destruction des milieux naturels, la production de pollutions diverses, des effets sur le climat et une perte irréversible de biodiversité. Elle prospère grâce à la conjonction d’une augmentation phénoménale de la consommation individuelle par toujours plus de personnes, et d’une croissance quasi exponentielle de la population humaine.

Pour l’écologue, cette injonction de croissance sans limite contredit tout ce qu’il observe dans le monde qui nous entoure. La croissance y est temporaire, limitée dans son expression et bornée dans le temps. Il est d’autant plus perplexe qu’il semble admis qu’une dynamique économique intrinsèquement exponentielle puisse s’inscrire durablement dans un monde fini. En effet, un taux de croissance annuel de 2 % appliqué à une consommation de ressources initialement de 100/an viendrait, en appliquant ce taux de croissance à chaque itération, à presque tripler la consommation de ressources annuelle au bout de 50 ans, et à la multiplier par 18 si la croissance annuelle atteignait 6 %.

L’injonction de croissance dans quel but ?

La croissance est souvent acceptée comme une nécessité permettant d’assurer la prospérité des personnes. Cette hypothèse ne résiste guère à l’analyse. En effet, l’indicateur utilisé pour caractériser et quantifier la croissance économique, le produit intérieur brut (PIB), mesure la vitesse de l’économie, les flux de matière qu’elle mobilise, l’intensité du travail rémunéré et les niveaux de consommation de biens des ménages. Il exclut le travail non rémunéré et le bénévolat. Surtout, il n’intègre pas les éléments clés qui définissent le bien-être des personnes comme leur état de santé, l’absence de privation matérielle, la capacité à travailler, l’absence de décrochage scolaire, l’accès à la culture, la justice, la liberté d’expression, la démocratie et un support social de qualité. Si ces indicateurs de bien-être augmentent effectivement en même temps que le PIB pendant une courte période initiale, un découplage s’observe rapidement, avec d’abord un plafonnement, puis une baisse continue des indicateurs de bien-être au fur et à mesure que le PIB continue à augmenter. En Belgique, pour ne citer qu’un exemple, le niveau de bien-être recule depuis 2005.

La rationalité qui sous-tend cette injonction est ailleurs. Elle se trouve dans les constructions intellectuelles qui régissent la mise en place et la gouvernance des économies productivistes. La croissance y est consubstantielle et exige une société mise à son service.

Elle repose sur des présupposés irréalistes, comme la non-prise en compte des limites d’un monde fini, faisant ainsi une lecture partiale et partielle des penseurs auxquels elle se réfère, que ce soit Smith, Ricardo ou Mill. Cette fragilité conceptuelle contraste avec la solidification des données qui documentent les effets négatifs de cette injonction à la croissance perpétuelle sur nos vies, et sur la vie en général.

L’injonction de croissance économique est-elle compatible avec la préservation de la biodiversité et du tissu vivant dont nous dépendons ?

Le constat des effets négatifs de nos activités sur la vie qui nous entoure est très ancien. Au 20ième siècle, ces répercussions ont pris, avec l’apogée du productivisme, une ampleur inégalée. Le constat s’avère simple. La production de biens exige de consommer toujours plus de ressources naturelles, de matières premières et d’espace alors que tous ont des limites et sont de plus en plus difficiles à obtenir. Elle produit des déchets en quantité sans cesses plus importante dans un monde ayant une capacité limitée à les absorber et au prix de modifications profondes de son fonctionnement. C’est ce que montre le défi climatique.

Cela fait près d’un demi-siècle que ce constat s’est hissé au rang des préoccupations internationales à la suite de la première conférence des Nations Unies sur l’environnement en 1972, à Stockholm. Elle faisait échos au rapport du Club de Rome, ou rapport Meadows, publié quelques mois auparavant. Tout y était dit, et l’idée de croissance était radicalement mise en cause. Mais ses conclusions furent englouties par la révolution libérale qui suivit. La motivation de cette révolution n’était probablement pas étrangère aux menaces que ce début de prise de conscience planétaire faisait peser sur des pans entiers du système économique.

Depuis, les conférences des Nations Unies sur l’environnement se sont succédées pour aboutir aujourd’hui à l’IPBES (Plate-forme Intergouvernementale sur la Biodiversité et les Services Ecosystémiques). Ce long processus, dont faisait partie le sommet de la Terre de Rio en 1992, a permis quelques avancées dont une prise de conscience accrue du couplage entre justice environnementale, justice sociale et lutte contre la pauvreté. Parmi les ambitions affichées se trouvait l’arrêt de l’érosion de la biodiversité en 2010. Face à l’échec constaté, de nouveaux objectifs furent fixés lors de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) à Nagoya en 2010. Ces 20 objectifs, dits d’Aichi, avaient pour horizon 2020… Malgré une visibilité accrue de l’enjeu, l’objectif central, qui était de s’attaquer aux causes sous-jacentes de la perte de biodiversité et de réduire significativement son rythme d’appauvrissement, est loin d’être atteint. C’est ce que confirme le bilan inquiétant établit par le premier rapport d’évaluation de l’état de la biodiversité produit en 2019 par l’IPBES . Une analyse récente par Otero et al. (2020) souligne que les politiques internationales sur la biodiversité et sur la durabilité de nos activités restent ancrées dans le paradigme économique en cours. Ces politiques se basent toutes sur des scénarios de croissance et sur une évaluation de la nature conforme aux attendus de l’économie de marché. Elles font l’hypothèse que des gains d’efficacité dans l’usage des ressources (produire plus en consommant moins) permettraient de découpler croissance et perte de biodiversité. Ce découplage n’a pas eu lieu. De nombreux travaux suggèrent qu’il n’est pas réalisable. Un premier correctif, a minima, suggéré par ces auteurs, serait de tempérer dans les négociations internationales le présupposé favorable à la croissance grâce à une reconnaissance explicite des problèmes que celle-ci pose au maintien de la biodiversité. Un début de reconnaissance semble avoir été amorcé récemment par l’IPBES. Pour aller plus loin, les auteurs proposent que l’IPBES intègre à ses réflexions un scénario de trajectoire socio-économique partagé (SSP) qui prenne en compte l’hypothèse d’une croissance faible, nulle ou négative (SSP0) avec une analyse des effets sur la prospérité, le bien-être social et la biodiversité. Mais, devant l’ampleur du défi à relever, c’est une révision encore plus radicale du fonctionnement, du rôle et de la place de l’économie qui semble devoir s’imposer afin de la mettre sans ambigüité au service des personnes et de la viabilité de leur environnement.

Faut-il penser décroissance ou changer de cadre de référence ?

Il parait en effet nécessaire de s’interroger sur la pertinence du cadre conceptuel retenu pour répondre aux défis qui nous assaillent. Si la décroissance se définit comme le revers du concept de croissance par un PIB négatif, ne s’inscrit-elle pas dans le même schéma mental construit par l’approche productiviste ?

Si ce schéma, ses indicateurs et ses fondements idéologiques discutables sont le problème, ne faut-il pas les remplacer par une alternative compatible avec les impératifs de bien-être des humains et non-humains, de justice environnementale et sociale ? Elle devrait se focaliser sur le respect des limites de la biosphère. La production des biens devrait s’inscrire dans les limites des ressources disponibles, être locale chaque fois que possible, et focalisée sur ce qui répond aux exigences du bien-être. Elle devrait éviter de localiser les activités extractives là où elles compromettent la conservation de la biodiversité. Une alimentation produite via une agroécologie centrée sur l’approvisionnement local et non financiarisée, la re-naturalisation de zones artificialisées, des infrastructures évitant le gigantisme et implantées sur des zones déjà utilisées pour le bâti, seraient autant d’éléments clés d’une économie mise au service de la société et d’une planète hospitalière. Les notions de consommateur et de producteur pourraient à nouveau faire place à celles d’usager, de client, de bénéficiaire et de pourvoyeur. Ces mutations faciliteraient le passage d’une société hétéronome, soumise à l’injonction productiviste, à une société plus autonome capable de continuellement réévaluer ses priorités et ses décisions à l’aune du bien-être des humains et non-humains, dans ce qui a pu être vu comme une sobriété heureuse.

Condamnés ou libérés ?

Ces changements de pratiques vers plus de sobriété sont souvent décrits comme nécessitant de gros efforts. Est-ce une certitude ? Sommes-nous vraiment condamnés à faire en voiture des trajets qui n’excèdent pas cinq kilomètres, ou pouvons-nous libérer le cycliste ou le piéton enfermé dans ces voitures ? Sommes-nous condamnés à respirer un air pollué ? Sommes-nous condamnés à produire une nourriture susceptible de nuire à notre santé et à détruire nos sols et la biodiversité pour continuer à alimenter des flux financiers ? Sommes-nous condamnés à une planète surchauffée ? Sommes-nous condamnés à la stratégie de conquête et de compétition en lieu et place de solidarité et de coopération ? Une ville avec un air respirable et plus hospitalière à la vie, des espaces naturels fonctionnels et accueillants, une nourriture plus saine, dont nous connaitrions l’origine et les pourvoyeurs, une nature qui ne soit plus réduite à des ressources et une société où le respect de la vie et du bien-être seraient devenus non-négociables, seraient-ils synonymes d’effort ou de libération ? La question mérite d’être posée.

 

Pour en savoir plus :

Martin, J.-L., Maris, V. & Simberloff, D.S. (2016) The need to respect nature and its limits challenges society and conservation science. Proceedings of the National Academy of Sciences 113, 6105–6112. National Acad Sciences.

Meadows, D.H., Meadows, D.L., Randers, J. & Behrens, W.W.I. (1972) The limits to growth, 2nd edition. New American Library, New York.

Mill, J.S. (1848) Of the stationary state. Book IV.

Otero, I., Farrell, K.N., Pueyo, S., Kallis, G., Kehoe, L., Haberl, H., Plutzar, C., Hobson, P., García‐Márquez, J. & Rodríguez‐Labajos, B. (2020) Biodiversity policy beyond economic growth. Conservation Letters, e12713. Wiley Online Library.

La poursuite de la croissance économique est incompatible avec la préservation de la biodiversité : le point de vue d’un écologue par Jean-Louis Martin, Directeur de Recherche au Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive du CNRS à Montpellier

Donostiako pisu turistikoen ugaritzeak alokairuen garestitzea eragin duela frogatu du EHUko ikerlari talde batek
Argia
www.argia.eus/albistea/donostiako-pisu-turistikoen-ugaritzeak-alokairuen-garestitzea-eragin-duela-frogatu-du-ehuko-ikerlari-talde-batek

Pisu turistikoen eskaintzaren eta etxebizitzaren prezioaren arteko lotura aztertu dute ikerlariek. Ateratako ondorioen arabera, alokairu turistikoen ugaritzeak etxebizitzaren prezioa igotzen du. BiziLagunEkin plataformaren arabera, egungo testuingurua baliatu daiteke azken urteetako bilakaerari konponbidea emateko.

Aitziber Etxezarreta Etxarrik, Julen Izagirre Olaizolak, Jon Morandeira Arcak eta Imanol Mozo Carollok landu dute ikerketa, eta beronen emaitza apirilean argitaratu dute Economic Research-Ekonomska Istraživanja aldizkari zientifikoan. Alokairu turistikoaren eta etxebizitzaren prezioaren artean dagoen lotura aztertzea izan da ikerketaren helburua, eta ondorioztatu dute pisu turistikoen areagotzeak etxebizitzaren prezioa garestitzea dakarrela: “Dokumentu honetan egindako azterlan enpirikoak erakusten duenez, Airbnb-ren intentsitatearen desbideratze estandar bat handitzeak alokairuen prezioetan %7,3ko igoerarekin lotura duela. Hau da, batez beste hilabeteko 74 euroko igoera, 1013 euroko batez besteko alokairu-prezioarekiko”.

Ikerketak frogatu duena kezkagarria da kontuan hartuta BiziLagunEkin desazkunde turistikoaren aldeko donostiarren plataformak zehaztu duena: 2017an etxebizitza turistikoen eskaintza ia hotel eskaintzaren adinakoa zela hirian. Pisu turistiko horien zati handia, gainera, esku beretan egon ohi da EHUko ikerlari taldeak zehaztu duenez: “Airbnb-n Donostiako 10 anfitrioi nagusiek (ondasun kopuruaren arabera), plataforman iragarritako 1472 pisu edo geletatik, 328 (%22) biltzen zituzten, 2018 bukaeran. Hiru iragarle nagusiek eskaintza guztien %12a zuten (Inside Airbnb, 2019). 2017ko Airbnb-ko hamar iragarle nagusiek 2.355 ostatu plaza eskaini zituzten (guztiaren %31)”.

Azterketaren bidez Airbnb plataforma “elkarlan ekonomia” gisa sailkatzea ere ezbaian jarri dute: “Praktikan, anfitrioi profesional eta inbertitzaileek gero eta errepresentazio handiagoa daukate Airbnb plataforman, eta horrek ez ditu betetzen elkarlan ekonomiaren oinarrizko printzipioak (Gil & Sequera, 2018). Hauek (higiezinen agentziak, enpresa espezializatuak eta jabe handiak eta txikiak),  Airbnb-n ipintzeko eta urte osoan oporraldiko alokairu tenporalean eskaintzeko, etxebizitzak merkatutik kentzen dituzten agenteak dira”.

Bestetik, turistifikazioak herritarren artean eragin dezakeen kanporatze-efektuaz ere ohartarazi dute ikerlariek: “Etxebizitzak alokatzeko prezioak igoz gero, maizter tradizionalak merkatutik kanpo geratuko lirateke, eta inbertsioa eta, beraz, etxebizitzen erosketa-prezioak igoaraziko lirateke. Hala, turismoak etxebizitzen merkatuan duen eragina alokairuaren merkatutik higiezinen merkatu osora heda liteke. Horrelako prozesu batek etxebizitzak alokatzeko eta erosteko prezioei aurre egin ezin dieten ohiko biztanleak kanporatu ditzake”. Etorkizunerako iker-lerro gisa identifikatu dute kalkulatzea turismo-ostatuen sektore osoak zein eragin duen epe luzeko alokairuetan.

BiziLagunEkin plataformaren irakurketa

Desazkunde turistikoaren aldeko donostiarren plataformaren iritziz, COVID-19ak eragindako egungo testuingurua baliatu daiteke azken urteetan turismoak izan duen bilakaerari aterabidea emateko. “Orain aurrerapauso bat emateko unea da. Donostiar gehienen aldeko urratsa, espekulazioa eta eskrupulurik gabeko etekina geldiarazteko. Alokairu turistikoa berriro arautzeko unea da, gaur egun dagoena kudeatuz, urratsez urrats praktika hori desagerrarazi arte”.

ARGIAren 2694. zenbakian etxebizitza krisiaren gaia mahai gaineratu genuen. Besteren artean, alokairu turistikoen merkatuak etxebizitza arazoa nola areagotu duen ere azaltzen da erreportajean.