Articles du Vendredi : Sélection du 24 avril 2020


Climat, santé: mieux prévenir, mieux guérir
Haut Conseil pour le Climat
www.hautconseilclimat.fr/publications/climat-sante-mieux-prevenir-mieux-guerir

Le Haut conseil pour le climat publie un rapport spécial “CLIMAT, SANTE: MIEUX PREVENIR, MIEUX GUERIR – Accélérer la transition juste pour renforcer notre résilience aux risques sanitaires et climatiques” consacré aux enseignements à tirer de la crise sanitaire du COVID-19 et aux suites à donner pour atteindre nos objectifs vers la neutralité carbone.

La baisse radicale des émissions de gaz à effet de serre liée à la crise du COVID-19 reste marginale. Elle n’est ni durable, ni désirable, sans un changement structurel organisé mettant les enjeux climatiques au cœur des décisions post-crise sanitaire.

Pour renforcer notre résilience et nos capacités d’adaptation face aux risques sanitaires et climatiques, la réponse du Gouvernement à la crise du COVID-19 doit soutenir la transition bas-carbone juste.

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Que recommandons nous?

1.Les systèmes d’alerte précoce doivent être renforcés au sein d’un cadre international fort, et la surveillance et la stratégie de gestion de crise doivent être basées sur des éléments scientifiques.
2. La résilience face aux crises multiples et simultanées doit être renforcée par des investissements cohérents avec les priorités définies dans le cadre de Sendaï 2015-2030 pour la réduction des risques de catastrophe.
3.L’indicateur de l’exposition aux risques climatiques doit être complété d’indicateurs de vulnérabilité spécifiques.
4.Ces vulnérabilités impliquent de réduire les inégalités sous-jacentes pour renforcer la résilience de l’ensemble de la population et ses capacités d’adaptation.
5. Pour répondre au choc économique, social, et financier qui s’annonce, la sortie de crise et la relance doivent intégrer l’urgence climatique – diminution des émissions de gaz à effet de serre et adaptation aux changements inéluctables présents et à venir.
6. Il est important pour faire avancer le débat public de valoriser les avancées de la Convention citoyenne pour le climat.
7.Il faut inclure les mesures de sortie de crise dans la feuille de route climat de chaque ministre. La mise en œuvre des mesures doit être suivie et évaluée par le Conseil de défense écologique.
8.Le plan d’urgence doit incorporer les recommandations publiées par le HCC en 2019, notamment celles sur le Pacte productif, et celles sur l’évaluation, pour une gouvernance efficace et transparente.
9. La « relance » devra intégrer les facteurs profonds de la situation actuelle, ce qui orientera vers des transformations profondes qui respectent les enjeux climatiques.
10. Cette « relance » doit être verte, pas grise, maximiser les co-bénéfices pour le climat et les écosystèmes et ne pas verrouiller des trajectoires carbonées.
11. Les synergies entre climat, environnement et santé doivent être renforcées – lutte renforcée contre les pollutions, contre la déforestation importée, amélioration nutritionnelle des régimes alimentaires, évolution des modes de transport.
12. L’octroi de mesures budgétaires ou d’incitations fiscales à des acteurs privés ou des collectivités devrait être clairement subordonné à l’adoption explicite de plans d’investissement et de perspectives compatibles avec la trajectoire bas-carbone et la programmation pluriannuelle de l’énergie.
13. Les investissements doivent être orientés vers l’innovation sociale comme technologique, l’efficacité énergétique, et les infrastructures résilientes favorisant les usages décarbonés, et les solutions basées sur la santé des écosystèmes. Les secteurs structurants et porteurs des emplois de la transition à long-terme doivent être privilégiés.
14. Le faible prix du pétrole doit permettre de faciliter la reconversion des exemptions fiscales et autres subventions aux énergies fossiles, dans les principes de la transition juste.
15. La dette doit être reconvertie vers des investissements destinés à la transition bas-carbone.
16. La réforme du système européen d’échange de quotas carbone doit être complétée par l’adoption d’un prix-plancher croissant.
17. Dans le cadre de l’accord de Paris, il faut défendre l’articulation des plans de relance européens et mondiaux avec les contributions nationalement déterminées qui seront déposées d’ici la fin de l’année, pour éviter un enfermement dans des modèles émissifs.
18. D’importantes évolutions du contexte international – lutte contre la déforestation, protocole de Montréal, doivent être maintenues dans les priorités.

Le non-respect de l’accord de Paris pourrait coûter 600.000 milliards de dollars
AFP
www.goodplanet.info/2020/04/15/le-non-respect-de-laccord-de-paris-pourrait-couter-600-000-milliards-de-dollars

Le non-respect des objectif de l’accord de Paris en matière de réchauffement climatique pourrait coûter jusqu’à 600.000 milliards de dollars d’ici la fin du siècle, selon une étude publiée mardi.

L’accord signé en 2015 affiche l’objectif de contenir le réchauffement « nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels » et si possible à 1,5°C, les pays s’engageant sur des « contributions nationales » (NDC) à renouveler tous les cinq ans.

Or, les NDC actuelles – qui devaient être révisées lors de la COP 26 en novembre à Glasgow, reportée pour cause de pandémie de Covid-19 – placent la planète sur la trajectoire d’un réchauffement de 3°C à 4°C d’ici 2100, selon les experts de l’ONU.

L’étude, publiée dans Nature Communications, étudie les coûts (dommages liés aux événements climatiques par exemple) comme les investissements (technologies bas-carbone par exemple) pour évaluer les pertes ou gains théoriques pour l’économie mondiale selon différents scénarios.

Un non respect des objectifs de l’accord de Paris pourrait ainsi coûter entre 126.000 et 616.000 milliards de dollars, alors que l’économie mondiale pourrait voir des gains de 336.000 à 422.000 milliards en respectant les objectifs de 2°C ou 1,5°C respectivement.

Et le non respect des NDC actuels, alors que les Etats-Unis de Donald Trump doivent se retirer de l’accord de Paris cet automne, pourrait de son côté entraîner des pertes allant de 150.000 à 790.000 milliards.

A contrario, un équilibrage des pertes et des recettes nécessiterait des investissements entre 18.000 et 113.000 milliards dollars, dont plus de 90% de la part des pays du G20, selon l’étude.

« Mettre en œuvre une stratégie pour se préserver nécessite de prendre conscience de la gravité du réchauffement climatique pour permettre des avancées dans les technologies bas-carbone », a déclaré Biying Yu, de l’Institut de technologie de Pékin, principal auteur de l’étude, relevant que les pays accordent en général la priorité aux gains à court terme sur les investissements en faveur du climat.

« Sans ces investissements, les émissions (de gaz à effet de serre) ne peuvent être réduites, et les dommages climatiques auront une plus grande probabilité de se produire, entraînant d’immenses pertes économiques. Si les pays sont conscients qu’ils vont encourir ces pertes s’ils ne réduisent pas leurs émissions, seront-il plus rationnels dans leurs choix, renforçant leur réponse au changement climatique? », interroge le chercheur.

Cyril Dion : « La crise du Covid-19 peut nous aider à construire le monde d’après »
Cyril Dion, Ecrivain et réalisateur
www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/13/cyril-dion-la-crise-du-covid-19-peut-nous-aider-a-construire-le-monde-d-apres_6036417_3232.html

Tirer les leçons du chaos que nous traversons doit nous permettre de rebâtir une société plus juste et plus vivable. Et surtout de mieux appréhender un autre grand danger : le dérèglement climatique, estime l’écrivain et cinéaste Cyril Dion.

Depuis que la majorité d’entre nous est confinée, les réseaux sociaux crépitent, appelant à faire de cette pause forcée un moment de réflexion collective sur ce que sera l’après-coronavirus.

Emmanuel Macron lui-même s’est risqué, dans son allocution télévisée le 12 mars, à affirmer qu’« il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour ». Oui, il y aura beaucoup de leçons à tirer : l’impréparation de nos pays qui ont ignoré les alertes de nombreux scientifiques sur la résurgence probable d’un syndrome de type SRAS, l’abandon de systèmes de santé qui crient, de longue date, leur manque de moyens, la prime à la rentabilité sur la santé…

Mais tirer les leçons de cette crise peut aussi nous aider à préparer l’après, à construire une société plus juste, plus résiliente, plus soutenable. Particulièrement en anticipant un autre danger : le dérèglement climatique couplé à la sixième extinction de masse des espèces.

Car le chaos que nous vivons n’est sans doute rien en comparaison de ce que nous pourrions traverser, livrés aux conséquences du péril climatique…

Des « points de bascule »

Les dernières estimations des plus grands laboratoires français de climatologie sont terrifiantes. Elles prévoient une augmentation de la température de 2 °C en 2040 et, si nous continuons à vivre comme aujourd’hui, de 7 °C en 2100. Dans ce monde à + 7 °C, les étés caniculaires seraient la norme, des villes comme La Rochelle, Calais, Arles, Le Havre, Dunkerque seraient partiellement sous les eaux.

Les rendements agricoles pourraient avoir chuté de 70 %, créant des émeutes de la faim, la forêt amazonienne se transformerait en savane, des pays entiers deviendraient inhabitables, propulsant des centaines de millions de réfugiés sur les routes, l’eau viendrait à manquer, de nouveaux virus feraient certainement leur apparition… Virus – particulièrement les zoonoses comme le Covid-19 – dont la propagation pourrait être accélérée par la déforestation, l’élevage intensif et la destruction de la biodiversité. Lorsqu’on mesure la panique et les déstabilisations que le nouveau coronavirus a créées, il ne faut pas être devin pour imaginer ce qu’il adviendrait de l’économie mondiale.

Evidemment, diront les plus sceptiques, mais nous trouverons d’ici là des solutions. Peut-être, mais de nombreux chercheurs nous alertent sur le fait que les écosystèmes ne fonctionnent pas de façon linéaire et qu’il existe ce qu’ils appellent des « points de bascule » qui, une fois franchis, provoquent des réactions en chaîne accélérant les phénomènes jusqu’à un emballement potentiellement incontrôlable.

+ 2 °C est un point de bascule, comme le décrivait l’étude de 2018dite de « la planète étuve ». Même s’il faut, comme dans toute hypothèse scientifique, garder une certaine prudence, la raison nous commanderait de prendre toutes les précautions nécessaires. Car, si nous le franchissons dès 2040, le temps presse.

L’ère de la sobriété ?

Le dérèglement climatique et la disparition massive de la biodiversité ont une origine commune : nous vivons au-dessus de nos moyens. Pour ne parler que de la France, nous dépensons notre budget annuel de carbone – ce que nous pouvons émettre sans risquer de déséquilibrer le climat – en deux mois. Nous épuiserions notre budget de ressources naturelles – ce que nous pouvons prélever sans épuiser le stock – en six. Et je ne parle pas des Américains, des Chinois, des Anglais ou des Australiens. Nous avons besoin de rééquilibrer notre budget et décélérer.

L’épidémie due au coronavirus nous en offre une saisissante démonstration. Les émissions chinoises auraient baissé de 25 % en février, comparativement à 2019. Celles de l’Italie suivent le même chemin. La pollution de l’air a été réduite de façon si radicale qu’un chercheur de l’université de Stanford n’a pas hésité à affirmer que « la réduction de la pollution en Chine a probablement sauvé vingt fois plus de vies que celles qui ont été perdues en raison du virus »(même si cette affirmation serait à relativiser lorsque nous connaîtrons le véritable nombre de morts…).

Du côté de la vie sauvage, il en va de même. Des dauphins ont été filmés dans les canaux de Venise, des sangliers dans les rues de Rome, l’ensemble de la faune chinoise, française, italienne, espagnole… est pour la première fois depuis des décennies (peut-être même des siècles) préservé des collisions avec les voitures, de la présence prédatrice des humains…

En nous confinant, en faisant s’effondrer la croissance, le produit intérieur brut (PIB), les cours de la Bourse, nous sauvons le climat et la biodiversité. A quel prix ? Combien de faillites, de chômeurs, de morts liés à une récession mondiale que les Etats tentent de juguler en creusant leurs déficits et en débloquant des sommes considérables qui, en temps normal, sont supposées ne pas être disponibles pour les urgences climatiques ou les déboires des hôpitaux publics. Passons. Car c’est justement le nœud du problème : comment choisir de ralentir plutôt que de subir l’effondrement.

Se préparer aux chocs

Nous le constatons, avec dépit, nos sociétés ultramondialisées, spécialisées, sont fragilisées lorsqu’elles sont entravées dans leur mécanique d’échanges effrénés. Chaque mois de confinement « coûte » trois points de PIB à la France.

En quinze jours, dix millions d’Américains se sont inscrits à l’assurance-chômage. Nos sociétés dépendent dangereusement de la croissance, du cycle ininterrompu de production-consommation et des approvisionnements qui viennent du monde entier.

Face aux menaces climatiques, de nombreux collectifs écologistes appellent depuis des années à préparer nos territoires aux chocs qu’ils pourraient subir. Comment ?

D’abord en relocalisant une partie de notre alimentation. Chaque territoire devrait pouvoir assurer une part essentielle de la production de nourriture de ses habitants, tout en continuant à échanger une autre part, comme l’évoquait un rapport produit pour le groupe Vert du Parlement européen, par l’Institut Momentum et Pablo Servigne.

Ensuite en renforçant l’indépendance énergétique des pays et des territoires avec des énergies renouvelables. Nous sommes aujourd’hui dépendants d’un approvisionnement de pétrole, de gaz, de charbon, d’uranium et de métaux rares (pour le numérique, le solaire et l’éolien…) permettant le bon fonctionnement énergétique de nos sociétés. Etre capable d’assurer un minimum de l’énergie que nous consommons localement sera sans doute vital à l’avenir en cas de défaillance des réseaux.

Relocaliser

En sécurisant nos approvisionnements en eau. Ce qui signifie à la fois économiser (notamment dans l’agriculture), plus intelligemment récupérer les eaux de pluie dans les bâtiments, adjoindre aux centrales industrielles d’épuration des systèmes locaux de phytoépuration, protéger les nappes phréatiques des contaminations aux pesticides…

En préparant nos territoires à des circonstances extrêmes : végétaliser pour climatiser les villes soumises à des étés caniculaires, cesser d’artificialiser et laisser de larges parts de nos territoires absorber les précipitations, abriter la vie sauvage et les pollinisateurs dont l’agriculture a besoin…

Enfin, relocaliser une part de notre économie. Il est imprudent d’abandonner des pans entiers de nos économies, indispensables à nos vies quotidiennes, à des logiques de marché et à des entreprises multinationales dont nous ne pouvons maîtriser les choix.

Nous avons besoin d’une multitude d’entrepreneurs locaux et indépendants, d’agriculteurs, d’artisans, de PME qui répondent aux besoins essentiels de chaque territoire. Et, bonne nouvelle, plusieurs études américaines montrent que ce type d’économie locale diversifiée crée plus d’emplois et répartit plus équitablement les richesses.

Inventer un autre monde

Nous redécouvrons avec fracas que nous faisons intégralement partie d’un écosystème plus vaste, sur lequel l’économie, la technologie n’ont pas toujours de prise. Et c’est sans doute sur cette base que nous avons besoin de construire. Comment limiter notre prélèvement de ressources naturelles à leur capacité de renouvellement ? Comment construire des sociétés qui intègrent le reste des êtres vivants sur la planète comme des sujets et plus comme des objets ? Comment répartir les richesses de façon à permettre à chacun une vie digne et épanouissante ?

Depuis des années, des milliers de personnes expérimentent des idées qu’il nous appartiendra d’examiner : permaculture, revenu universel, villes zéro déchet, économie symbiotique, inscription de droits pour la nature, biomimétisme, réensauvagement de territoires, nouveaux indicateurs qui remplaceraient le PIB par la santé des enfants, démocratie délibérative, entreprises libérées…

Ces expériences sont non seulement passionnantes mais elles ont bien souvent fait la preuve de leur efficacité, tout en rendant ceux qui les portent plus heureux. Car il ne s’agit pas seulement de nous protéger d’une sorte d’apocalypse, mais, pour une fois, d’imaginer le monde dans lequel nous voudrions vraiment vivre. Et de s’y mettre.

Voilà la question la plus importante : comment y parvenir ? Engager une rupture collective avec notre modèle de société suppose un consensus sur les causes et un autre sur les remèdes.

Nos démocraties en danger

Pour cela, nous avons plus que jamais besoin d’espaces démocratiques dans lesquels délibérer. Internet en est un. Mais d’autres sont nécessaires, donnant lieu à des transformations structurelles et pas seulement culturelles.

Pourquoi délibérer ? D’abord parce que, si les chiffres décrivant les causes (le dépassement de tous nos budgets) sont difficilement discutables, les remèdes sont ardemment discutés.

De nombreuses voix s’élèvent pour expliquer que nous pourrions résoudre le problème écologique sans ralentir, mais en découplant seulement la croissance et la consommation de matière. En faisant de la croissance « verte », du développement durable. Une version un peu plus écologique de notre modèle actuel.

C’est une position qui me paraît difficilement tenable au regard des faits mais qui s’exprime toujours largement. Et tant que nous ne l’aurons pas tranchée, nous n’agirons pas de concert.

Ensuite parce que la crise climatique peut gravement mettre en danger nos démocraties.

Nous voyons, en cet épisode particulier de pandémie, que nous sommes prêts à accepter de restreindre massivement nos libertés lorsque notre sécurité – et parfois même notre survie – est en jeu. Mais nous acceptons aussi de le faire, parce que nous savons que cette situation est temporaire.

Se libérer des lobbys

Or, face au dérèglement climatique, les mesures à prendre, si nous dépassons les seuils fatidiques, ne seront en aucun cas transitoires, elles seront permanentes. Voulons-nous qu’elles nous soient imposées de façon autoritaire par la force tragique des événements ou voulons-nous anticiper et choisir démocratiquement comment nous voulons décélérer ?

Par démocratiquement, j’entends collectivement, mais également libérés des lobbys qui dépensent des quantités faramineuses de temps, d’argent et d’énergie pour empêcher ces changements. L’exemple le plus illustre et le plus documenté étant désormais les milliards investis par Exxon pour financer des études semant délibérément le doute sur la réalité du changement climatique, mais il est loin d’être isolé.

Délibérer, c’est notamment ce que tente de faire la convention citoyenne pour le climat, qui réunit depuis plusieurs mois cent cinquante citoyens tirés au sort, représentatifs de toute la France, pour élaborer des mesures permettant de réduire d’au moins 40 % (en réalité, il faudrait plutôt les réduire de 50 % à 65 %) nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, dans un esprit de justice sociale.

Lorsque les cent cinquante rendront leurs propositions, Emmanuel Macron s’est engagé à les transmettre sans filtre au Parlement et à les soumettre à référendum. Et il est indispensable qu’il le fasse car c’est la quadrature du cercle : la délibération à l’échelle du pays. C’est une opportunité que nous pouvons saisir pour commencer le travail tous ensemble.

Equité, réalisme, désirabilité

La réussite de ces délibérations collectives (qu’elles se tiennent à cent cinquante dans la convention citoyenne ou à plusieurs millions lors de référendums) nécessite à mon sens trois conditions.

D’abord, l’équité. Personne ne consentira à changer son mode de vie si les plus riches (qui sont responsables de la majorité des émissions et sont les premiers à devoir décroître) ne donnent pas l’exemple, si les pollueurs ne sont pas en première ligne, si la redistribution des richesses n’aide pas à construire un monde où l’essentiel est assuré à chacun, plutôt que le superflu accumulé par une petite minorité.

Ensuite, le réalisme économique. Comment pouvons-nous ralentir sans que tout s’effondre ? Sur ce plan, les travaux d’économistes comme Eloi Laurent, Tim Jackson, Aurélie Piet (entre autres) sont précieux. C’est à cela que devraient s’atteler tous les chercheurs en économie du monde entier.

Enfin, la désirabilité. Nous avons besoin d’un récit, d’un horizon, d’une vision. Comment vivrions-nous ? Serait-ce moins bien ou mieux ? La question que nous pourrions peut-être nous poser est : qu’avons-nous à y perdre ? Dans cette période où notre vie se réduit à l’essentiel, que nous manque-t-il ? Qu’est-ce qui compte vraiment pour nous ? Peut-être de savoir que nous pourrons tous vivre libres, dignes, en bonne santé, sur une planète vivante, près de ceux que nous aimons…

Et je crois que c’est le projet auquel nous devrions nous atteler. Il est, plus que jamais, hautement politique.

Le confinement ne tient pas lieu de congés payés
Jean-Marie Harribey, Esther Jeffers, , membres des Économistes atterrés , Pierre Khalfa, Economiste, membre de la Fondation Copernic et Dominique Plihon, Economiste, membre d’
www.liberation.fr/debats/2020/04/17/le-confinement-ne-tient-pas-lieu-de-conges-payes_1785446

Travailler plus longtemps, comme le préconise le président du Medef, n’est pas la solution pour relancer l’économie. Il faut au contraire modifier en profondeur les structures productives et mieux rémunérer les métiers peu valorisés que la crise a mis en avant.

Tribune. Le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, affirme qu’«il faudra se poser la question des RTT et des congés payés». La période de confinement va se traduire, nous dit-il, par un arrêt de l’économie de 30 à 40 % en moyenne. Ce qu’il oublie, c’est que les estimations de l’Insee et de l’OFCE n’annoncent un tel chiffre qu’en annualisant l’impact mesuré sur un mois.

Quel serait le remède à la paralysie de l’économie ? «Retrousser ses manches et travailler plus longtemps» selon le président du Medef. Ainsi, ce sont les travailleurs qui font marcher l’économie ! Ainsi, ce sont eux qui permettent la fameuse «création de richesse» ! Quand ? Pendant leur temps de travail.

Il aura fallu une pandémie pour s’apercevoir que ce sont les soignants, les enseignants, les livreurs, les caissières, les éboueurs qui maintiennent la société debout. Pendant ce temps-là, où sont les actionnaires et leurs porte-parole, ceux qui ne paient pas d’impôts ou très peu ?

Allongement de la durée de travail

La déclaration du président du Medef a pour elle le mérite de la clarté. Il s’agit pour les élites économiques qui nous ont mis dans la nasse de profiter de la crise sanitaire pour renfourcher l’un de leurs principaux chevaux de bataille : augmenter la durée du travail. Cela ne leur suffit pas que la loi d’urgence sanitaire et les ordonnances l’accompagnant aient prévu de rallonger la durée hebdomadaire du travail jusqu’à 44 heures, voire 60 heures si l’employeur en ressent le besoin. Il s’agit d’aller encore plus loin en remettant en cause le principe des congés payés, ne serait-ce que pour l’année 2020. Et si ça ne suffisait pas, en 2021… aussi ?

Il y a quelques mois à peine, la société française débattait de la réforme des retraites. La pierre d’achoppement était l’âge pivot et l’âge d’équilibre, soit comment faire travailler les salariés jusqu’à 64, 65 ans ? Le Medef demandait même 67 ans. La réforme est suspendue, mais ne doutons pas que les préceptes qui y étaient contenus referont surface. Monsieur Roux de Bézieux prend date.

Métiers indispensables

Même le président de la République avait admis dans sa première intervention télévisée qu’il nous faudrait changer de modèle économique après la pandémie. L’augmentation du temps de travail voulue par le Medef nous conduirait-elle à un tel changement de modèle ? Sûrement pas. Elle consisterait à relancer la machine économique dans sa course folle au productivisme et dans la dégradation générale de la condition au travail. Ce serait oublier la leçon économique essentielle de la pandémie : distinguer les activités essentielles, celles qui sont utiles à la société, de celles qui conduisent au gaspillage et à la dégradation de la biodiversité, au réchauffement du climat et à l’enfermement des travailleurs les plus utiles dans des conditions de travail et de salaires les plus dégradées. De plus, alors que le chômage risque de faire un bond spectaculaire, travailler plus longtemps n’est pas la solution. Il faut au contraire reprendre le mouvement historique de baisse du temps de travail qui a permis de créer massivement des emplois malgré la persistance de gains de productivité plus ou moins importants suivant les périodes.

Alors, pas de retour à l’ancien monde ! Reconnaissons la valeur du travail, de celles et ceux qui ont permis que la société continue à fonctionner. Les femmes, infirmières, sages-femmes, aides soignantes, auxiliaires de vie, caissières sont en première ligne d’une longue liste. Mais ces métiers indispensables sont mal rémunérés, peu valorisés. Il est temps de leur accorder une vraie reconnaissance et d’augmenter leurs salaires.

Si le soutien à la relance économique était orienté pour modifier en profondeur les structures productives et employer tous ceux qui sont exclus à cause d’un chômage élevé, alors on aurait davantage de personnes au travail mais sur une durée plus faible pour chacune. Utopie ? La crise actuelle prouve qu’on peut en quelques jours transformer un appareil productif habitué à produire des pneus ou bien des sacs en cuir de luxe pour le mettre à produire des masques de protection. Les travailleurs confinés, les travailleurs mis en chômage partiel et les travailleurs obligés par nécessité d’occuper leur poste comprennent pour la plupart qu’ils ont entre leurs mains la clé d’un autre modèle. Elle n’est pas dans les mains du Medef.

Pour que les drames liés à la crise du Covid ne soient pas vains
Fabrice Bonnifet, président du Collège des Directeurs du développement durable (C3D)
www.wedemain.fr/Pour-que-les-drames-lies-a-la-crise-du-Covid-ne-soient-pas-vains_a4653.html

À l’instar des décisions récentes du gouvernement finlandais pour booster la relance post-crise sanitaire, exigeons des industriels qui bénéficieront des aides publiques des contreparties climatiques fortes et compatibles avec l’accord de Paris. L’enjeu est de profiter du choc généré par la pandémie pour repartir sur des paradigmes économiques de prospérité sans croissance des flux physiques (énergies) compatibles avec l’indispensable neutralité carbone et l’impérieuse nécessité de préserver la biodiversité.
Ainsi, la mémoire des milliers de victimes du covid-19 aura au moins servi à notre sursaut. Il n’y aura jamais de vaccin contre la crise climatique. Notons au passage que les scientifiques du climat nous avaient largement averti des risques accrus de zoonoses, du fait notamment de la destruction des forêts primaires. Il est regrettable, une fois encore, de n’écouter la science que lorsque les crises sont installées.

Bataille entre économistes néo-classiques et réalistes

Il est temps de faire preuve de courage, l’absence de décisions contraignantes à l’encontre des laudateurs du “monde d’avant” conduira, bien avant la fin de la décennie en cours, à mettre dans des bateaux de fortune des millions de réfugiés climatiques et à dégrader toujours plus violemment des écosystèmes déjà à bout de souffle, alors qu’ils sont indispensables à la vie et à l’économie.

Si le déconfinement tant attendu est forcément synonyme de relance économique, l’enjeu est de bien réfléchir à ce que nous voulons faire du monde d’après qui s’annonce. Il semble bien que nous allons entrer dans l’ultime bataille entre l’école économique néo-classique et les réalistes à l’écoute des scientifiques (les vrais).
Autrement dit le sujet ne sera pas de choisir dans les mois à venir entre les libéraux sociaux démocrates et les populistes pour nous sortir de la crise, mais entre les partisans du mondialisme cornucopiens et ceux de la sanctuarisation du vivant car il est la source de toutes les solutions.

Les économistes dans leur grande majorité sont persuadés de l’infinitude des ressources et considèrent que l’accroissement de la consommation d’énergie et le sacrosaint PIB découlent de l’activité des entreprises. Alors que c’est l’exact contraire !

Ils soutiennent les théories de soutenabilité faible en nous vendant à longueur de discours le mensonge de la “croissance verte” qui promeut la substitution des ressources pour poursuivre dans l’idéologie de l’économie sans limite. Leur credo est bien entendu de laisser opérer une concurrence mondiale “pure et parfaite” et l’équilibre des marchés comme remède à tous nos défis.

Limites de la mondialisation et des recettes du passé

Oui mais voilà toutes ces fables ont de plus de plus de mal à être crues par les gens, avec ou sans gilet jaune ! L’épisode dramatique en cours de la crise du covid-19 montre les limites de la mondialisation exacerbée et cela participe à faire sérieusement douter l’ensemble des parties prenantes.
Alors que l’humanité va entrer dans une récession inédite en temps de paix, les politiques et les industriels vont donc devoir faire preuve de lucidité pour décider des modalités de la relance.

La tentation d’activer les mêmes leviers prédateurs que ceux utilisés lors de la sortie de la crise de 2008 va être maximale de la part des partisans du modèle de la civilisation thermo-industrielle profondément ancré dans les certitudes du consumérisme sans boussole.

Mais les effets néfastes de plus en plus perceptibles de la crise climatique et la déplétion des réserves pétrolières (malgré le prix bas conjoncturel du baril actuel) vont vite montrer que les recettes du passé ne garantiront en rien la reprise tant espérée, bien au contraire.

Aider seulement ceux qui réduisent leur impact environnemental

Le collège des directeurs du développement durable propose une autre voie. Bien entendu il convient tout d’abord de sauver prioritairement les milliers de PME et petites entreprises en leur apportant les liquidités nécessaires à leur survie, il n’y a pas de débat sur ce point.

En revanche, la question est de savoir comment flécher les milliards qui vont être injectés dans l’économie réelle. Contrairement aux crises précédentes nous n’avons ni le temps ni les moyens de simplement saupoudrer les subsides vers tous ceux qui crient ou menacent le plus, à grand renfort de chantage à propos de la préservation des emplois du “monde d’avant”.

Définitivement non ! Un programme pour un monde d’après décarboné, ultra-sobre en ressources et inclusif ne fera pas que des gagnants. Si l’on continue de penser que les acteurs économiques qui génèrent le plus d’externalités négatives pourront gagner le combat climatique juste en usant des outils de la compensation ou des activités des fondations d’entreprises, nous continuerons dans notre déni mortifère.

La conditionnalité de tout type d’aides ou régulations ne doit suivre qu’une seule règle : la réduction mesurable de l’impact environnemental à l’échelle requise par une trajectoire 1,5°, tout autre critère ne sera qu’une excuse pour refuser l’évidence. Arrêtons de nous mentir, il y a clairement des activités, des produits et des comportements individuels et collectifs auxquels il va falloir renoncer.

S’inspirer de la Convention Citoyenne pour le Climat

Entendons-nous bien. Oui, il faut sauver l’automobile, l’agriculture, l’aviation civile ou le tourisme, particulièrement sinistrés. Mais uniquement en réinventant les bases de leur offre. Voulons-nous vraiment continuer avec le tourisme de masse dévastateur des paysages, avec des billets d’avion à 50 €, des voitures de plus de 2 tonnes en ville fussent-elles électriques, des opérations promotionnelles telles le pitoyable blackfriday pour combler notre vide émotionnel, des fraises gorgées de pesticide en hiver, des produits manufacturés assemblés à l’autre du bout du monde dans des conditions de travail déplorables…. et la liste est infinie comme la bêtise humaine.

Sachons profiter dès maintenant des conclusions des travaux de la Convention Citoyenne pour le Climat et du programme Green New Deal européen qui visent à décarbonner notre continent en le rendant plus résilient et indépendant d’un point de vue énergétique et alimentaire.

En outre, la nécessaire relocalisation de plusieurs activités stratégiques doit être l’occasion de ne laisser personne sur le bord de la route. Bonne nouvelle, des milliers d’entreprises ont des solutions pour faire autrement et créer des emplois par millions !

Frugalité et nouveau vivre ensemble

La voiture à 2 litres au 100km, le bâtiment hybride à économie positive, la rénovation industrielle des logements, la construction hors site, l’agroforesterie et la permaculture, l’écotourisme, l’électro mobilité intégrée au bâti… et tant d’autres solutions et innovations de rupture ne sont pas des utopies mais des réalités tangibles.

La difficulté n’est pas de savoir quoi faire mais comment initier une accélération décisive dans le changement d’échelle de la transition. Pour cela les entreprises les moins avancées vont devoir prendre des décisions stratégiques en aval des réflexions sur leur raison d’être. L’objectif est d’établir un nouveau narratif du mieux vivre ensemble. Ce qui induit une nouvelle forme de collaboration entre acteurs basée sur la confiance, d’arrêter de penser qu’il faut toujours travailler plus alors qu’il faut surtout travailler mieux et d’une manière plus utile, et ce afin de rendre plus désirable pour tous un avenir pour le moins incertain.

Enfin, la révolution numérique doit être mise au service exclusif de la frugalité dans l’utilisation des ressources, du partage des infrastructures et des produits pour accroître leur intensité d’usage et lutter contre les effets rebonds. La finance ne doit plus être un instrument de spéculation mais un moyen pour soutenir les investissements réellement utiles pour l’intérêt général sur le long terme. L’économie circulaire du réemploi et non du recyclage doit être privilégiée en tout domaine.

La vraie liberté de demain pour les citoyens sera de pouvoir jouir de tout sans pour autant vouloir tout posséder. Devenons tous les co-propriétaires responsables des communs que nous aurons à cœur de préserver.

 

Sortie de confinement, ou la somme de tous les dangers
Covid-19 : chronique d’une émergence annoncée, 2

Philippe Sansonetti
https://laviedesidees.fr/Sortie-de-confinement-ou-la-somme-de-tous-les-dangers.html

Expliquant les raisons du confinement par l’insuffisance de la seule distanciation sociale, Ph. Sansonetti pose les conditions nécessaires pour un futur déconfinement – qui ne mettra pas fin aux mesures de distanciation.

La stratégie initiale « d’écrasement du pic » afin d’étaler la période de progression de l’épidémie de Covid-19 et préserver les systèmes de santé, a reposé sur la mise en place d’une distanciation sociale. Fondée sur le respect des gestes barrières (distances, pas d’embrassade ni de serrage de main) et sur une hygiène stricte préconisant essentiellement le lavage fréquent des mains, elle s’est avérée insuffisante.

Deux marqueurs en témoignaient dès la seconde semaine de mars : l’augmentation exponentielle des cas de Covid-19 hospitalisés et la menace de saturation rapide des capacités de réanimation. On avait vu le drame italien les deux semaines précédentes et tous les éléments étaient réunis pour que ce scénario « à l’italienne » se reproduise en France. Se présentaient alors deux solutions : le pari sur l’immunité de groupe ; la distanciation sociale.

Les deux méthodes pour endiguer une épidémie

1/ La première méthode consiste à ne rien changer, comme on l’a envisagé en Hollande et initialement au Royaume Uni, et attendre que la prévalence de l’infection dans la population génère un pourcentage assez élevé d’individus immunisés pour constituer une immunité de groupe empêchant le virus de circuler faute de trouver assez de cibles immunologiquement naïves. Le taux de reproduction de base (R0) de Covid-19 étant de 2,5, le pourcentage de population infectée nécessaire pour obtenir cette immunité de groupe et ramener le R0 au-dessous du seuil épidémique (R0<1) se calcule à partir de l’équation : % population infectée nécessaire = 1-1/R0, soit 60 %. Sous réserve bien sûr que la maladie génère dans tous les cas une solide immunité protectrice, ce qui n’est pas encore formellement démontré pour ce virus très performant pour neutraliser les réponses immunitaires cellulaires indispensables à son éradication totale chez les patients infectés. Cette option n’était pas tenable, compte tenu du nombre de malades graves qu’allait générer l’épidémie déjà en croissance exponentielle dans un espace de temps très court.

Il s’avérait en parallèle que le virus était très contagieux, en particulier du fait de son excrétion importante par de très nombreux sujets porteurs asymptomatiques, pauci-symptomatiques, ou en tout début de maladie. Clairement le nombre réel de sujets infectés était déjà à ce moment très supérieur au nombre de cas biologiquement confirmés correspondant quasi exclusivement aux malades hospitalisés. En un mot, on était aveugle, faute de données épidémiologiques même approximatives du réel taux d’attaque de la maladie. L’histoire des épidémies nous apprend à quel point la capacité d’identifier exhaustivement les patients, y compris les porteurs sains, est importante pour engager un contrôle efficace de la diffusion du pathogène.

Au tournant du XIXe et du XXe siècle, l’Europe et les États-Unis furent régulièrement frappés d’épidémies de fièvre typhoïde qui, en milieu urbain, pouvaient prendre une ampleur dramatique. Robert Koch identifia très vite que l’origine, souvent mystérieuse, de ces épidémies, était l’existence de porteurs chroniques asymptomatiques du bacille typhique excrétant le pathogène dans leurs selles et contaminant leur environnement. Un cas caricatural fut la fameuse « Typhoid Mary » à New York qui, comme cuisinière de restaurant, contamina des centaines d’individus de manière itérative, car elle refusait obstinément de changer de métier. Ceci amena les autorités à la jeter en prison… Robert Koch et ses élèves établirent, dès le début des épidémies de fièvre typhoïde, une approche de diagnostic à grande échelle, y compris de dépistage des porteurs asymptomatiques, avec mise en quarantaine de tout sujet présentant une coproculture positive. Cette approche était si bien rodée et efficace, au prix d’un travail intensif d’agents sanitaires et de laboratoires de diagnostic, qu’avant sa mort en 1911, Robert Koch doutait ouvertement de la nécessité de vacciner contre cette maladie…

100 ans plus tard, sans capacité de diagnostic suffisante, donc sans capacité d’identifier les contaminateurs, particulièrement les porteurs asymptomatiques, nous avons été réduits à une extrapolation du nombre de cas et de porteurs. Prenant une base minimale de 10 fois le nombre d’hospitalisations, on pouvait facilement conclure qu’avec 10 % de formes graves, les capacités hospitalières seraient submergées en quelques jours. Il y avait un précédent : lors de la pandémie de grippe asiatique de 1957, au Royaume Uni, le National Health Service débordé avait sombré pendant 10 jours devant la marée de patients sévèrement atteints et l’amputation massive de ses effectifs de personnels eux-mêmes malades. Qui a dit que l’histoire ne se reproduisait jamais à l’identique ? Plus près de nous, en 2002-2003, l’épidémie de SRAS a montré à quel point le personnel médical était exposé et infecté. À Hong Kong, le « patient 0 » était d’ailleurs un professeur de médecine de Canton confronté aux premiers patients dans sa ville, berceau de l’épidémie. Même scénario à Toronto, l’autre foyer secondaire majeur. Pire, le personnel médical contaminé devenait lui-même source de contamination. Un comble… Une leçon aurait dû être tirée de ces épisodes dramatiques (et de bien d’autres) : la première cible d’une épidémie de cette nature est le personnel médical, d’où la nécessité de maintenir des stocks suffisants de matériel adapté à la protection contre le risque microbiologique.

2/ La situation dans le Grand-Est où s’était créé un foyer très virulent « à l’italienne » a confirmé rapidement la crainte d’un dépassement irréversible du personnel de santé et de ses moyens thérapeutiques. Cela a conduit dès la mi-mars à la deuxième solution : le renforcement de la distanciation sociale en introduisant une vraie dimension suppressive avec la fermeture des écoles, des lieux publics et commerces « non essentiels » et, dans les jours qui ont suivi, au confinement de l’ensemble de la population, en toute conscience du risque économique et social de cette décision. L’observation de petits signes de ralentissement de la dynamique de l’épidémie ne survenant qu’après quatre semaines de confinement laisse à penser ce qu’aurait été l’ampleur de la catastrophe si l’on était resté aux mesures de distanciation sociale telles qu’initialement appliquées. Dans cette période incertaine, la tenue héroïque du front par les personnels soignants, eux-mêmes maintenant principales victimes de l’infection, méritera d’être inscrite dans nos livres d’histoire.

La distanciation devra continuer après le déconfinement

Il est dès maintenant essentiel d’analyser les causes possibles de l’échec de la distanciation sociale qui a amené au confinement dans notre pays, mais aussi en Italie, en Espagne et au Royaume Uni, ces quatre pays supportant actuellement l’essentiel du poids de la maladie en Europe, et de s’interroger sur la faible mortalité observée en Allemagne qui avait appliqué une approche similaire. En effet, la sortie de confinement ne pourra se concevoir autrement que par la reprise de la distanciation sociale au moment où les conditions seront réunies et en engageant tous les moyens de sa réussite.

Si la Chine a opté en une étape pour une approche de confinement total, rigoureusement exécuté par un appareil étatico-politique qui en a les moyens, d’autres pays asiatiques comme Singapour, Taïwan et la Corée du Sud ont réussi à ce stade une politique de contrôle de l’épidémie par la mise en place précoce de la distanciation sociale, bien suivie par des populations plusieurs fois traumatisées par ces événements infectieux émergents. Cette approche est marquée par des mesures d’hygiène individuelle intensive comprenant l’usage de masques dans la population générale, une large utilisation de tests diagnostiques visant à identifier et isoler les malades et les porteurs du virus, combinée à des enquêtes exploitant les progrès de l’intelligence artificielle pour détecter les sujets contact et les mettre en quatorzaine. Les sujets à risque étaient confinés, en particulier les personnes âgées. La Corée a ainsi réussi à contrôler l’épidémie, alors qu’elle subissait un foyer très virulent dans le sud de la péninsule, qui menaçait sérieusement l’ensemble du pays. Ces pays ne sont bien sûr pas à l’abri de rebonds car ils n’ont vraisemblablement pas, du fait de ce succès précoce, atteint la prévalence d’infections nécessaire pour développer une immunité de groupe. Singapour, considéré comme un des « bons élèves », après un semblant de contrôle initial, a vu ces derniers jours s’envoler le nombre de cas, y compris de décès, et a décidé pour le 7 avril un confinement total de sa population. C’est, quoi qu’il arrive, très inquiétant et les échanges que j’ai avec mes collègues chinois qui ne pratiquent pas la langue de bois traduisent aussi une profonde crainte d’un rebond après s’être réjouis des premiers succès impressionnants dans le contrôle du Covid-19.

Il est clair que les « Tigres Asiatiques » ont voulu préserver en priorité l’outil économique et ont adopté des stratégies en ce sens. Tout tiendra à leur durabilité. Rien n’est manifestement définitivement scellé à ce stade… Des pans entiers de ce que Charles Nicolle appelait « le génie évolutif des maladies infectieuses » nous échappent encore. Peut-être le prix humain que nous payons pour cette épidémie sera-t-il payé en retour d’un niveau d’immunité de groupe, certes insuffisant, mais qui, joint à des mesures de distanciation sociale rigoureuses, permettra de bloquer efficacement la circulation du virus.

De l’analyse objective de l’échec de la distanciation sociale en entrée de crise et de l’accumulation rapide de données sur la maladie et le virus causal ces dernières semaines, peut émerger un schéma pour sortir de la crise, en gardant toujours à l’esprit que rien ne ressemblera à un retour total à la normale tant que nous ne disposerons pas d’un vaccin. On peut plus précocement espérer qu’une combinaison de molécules antivirales repositionnées permettra de traiter les formes graves et de diminuer la charge virale des patients, donc de ralentir la circulation du virus, sans risquer la sélection de résistance que comporterait la monothérapie. Ceci pourrait faciliter un passage plus rapide sous le seuil épidémique. Sur le long terme, les médicaments ne remplaceront cependant pas un vaccin efficace, comme on le voit pour le SIDA, en particulier dans les pays à bas revenus où les coûts des molécules et la nécessité d’une administration prolongée ont un poids logistique et financier difficile à tenir.

Il est essentiel d’expliquer dès maintenant ces perspectives à nos concitoyens. Il faut les aider à comprendre que cette situation d’exception va durer. La fin du confinement ne sonnera pas la fin de l’épidémie ! L’épidémie sera toujours présente, moins virulente, certes, que la vague que nous sommes en train de subir, mais ne demandant qu’à rebondir. Non seulement le déconfinement devra être progressif comme déjà annoncé, par zones, sur des critères qu’il conviendra de définir rapidement, mais il devra s’accompagner du maintien des mesures de distanciation sociale, adaptées, améliorées… intelligentes, sur lesquelles nous allons revenir. Notre pays, son économie, son personnel médical, ses forces vives ne tiendront pas face à un ou plusieurs rebonds qui nécessiteraient une reprise de mesures de confinement « en accordéon ». C’est inimaginable, nous devons réussir notre déconfinement, et n’avons que peu de temps pour le préparer. Son succès sera facteur de confiance de nos concitoyens dans les autorités politiques et sanitaires, mais aussi pour les grands organismes bancaires, qui prêtent encore à taux zéro à l’État Français pour aider à la reconstruction rapide de notre économie. Ils perdront vite patience, si nous ne montrons pas une discipline et une intelligence collective exemplaires. Une fois encore, notre destin est entre nos mains…

Les raisons de l’échec de la stratégie initiale

Réfléchissons aux raisons possibles de l’échec de la stratégie initiale de distanciation sociale en France, puisque son efficacité sera la clé du succès de notre sortie de confinement.

1 – Nos concitoyens ne se sont clairement pas sentis assez tôt concernés par le risque épidémique en dépit des images en provenance de Chine, puis d’Italie. Ce fut en particulier le cas des adultes jeunes qui, devant l’idée initialement entretenue que n’était touchée que la population des plus de 65 ans, se sont moins motivés pour une stricte prévention. La « pandémie du siècle » annoncée en 2009 lors de l’émergence d’une souche de virus grippal A-H1N1 avait donné lieu à une mobilisation générale précoce, sans précédent, des services sanitaires nationaux et internationaux.

Elle avait finalement déjoué les prévisions en s’avérant relativement bénigne, créant ainsi un référentiel négatif démobilisant les esprits et entamant la confiance dans les autorités scientifiques, médicales et politiques qui après tout avaient – certes au prix de quelques maladresses – rempli leur rôle.

2 – Nous avons manqué de moyens de diagnostic à la hauteur de l’ampleur et de la rapidité de progression de l’épidémie : nombre insuffisant de tests moléculaires (q-RT-PCR) disponibles, complexité initiale des prélèvements et de la réalisation technique de ces tests. Par manque de capacité, nous n’avons pu développer une approche proactive de diagnostic élargi, particulièrement dans les zones les plus touchées, au moment clé où l’épidémie s’accélérait. Aveugles sur le nombre, même approximatif, des cas réels, nous n’avons pu procéder à un large isolement de sujets contagieux et à une mise en « quatorzaine » de leurs contacts directs, voire à un confinement plus précoce. Ce qui a laissé se développer la transmission exponentielle d’un virus dont le R0 est supérieur à celui de la grippe saisonnière.

Les pays qui ont largement pratiqué ces tests, comme la Corée, Taiwan, Singapour et même l’Allemagne présentent à ce jour un bilan plus favorable, particulièrement en nombre absolu de décès. Certes il y a toujours loin de la corrélation à la causalité et beaucoup de facteurs confondants possibles, mais rappelons-nous l’exemple de Robert Koch et du contrôle des épidémies de fièvre typhoïde par le dépistage systématique des porteurs asymptomatiques.

3 – Les mesures d’hygiène individuelles ont été insuffisantes, ce qu’illustre la non-disponibilité de masques. Face à cette pénurie, la communication visant à convaincre la population que ces masques, en nombre cruellement insuffisant, devaient être parcimonieusement utilisés et réservés aux personnels de santé était logique et louable. Mais devant la circulation active du virus et la connaissance de sa transmission par gouttelettes et aérosols, pourquoi avoir discrédité l’usage des masques dans la population générale et affirmé avec assurance qu’ils étaient inutiles ou que les experts étaient à ce sujet divisés ? Nos collègues asiatiques n’en sont toujours pas revenus. Pourquoi au contraire ne pas avoir invité la population à fabriquer, même imparfaits, des masques personnels ? Les sites officiels auraient même pu s’emparer du sujet et donner des consignes et des modus operandi. Sans doute ces masques artisanaux sont-ils imparfaits, mais le mouvement aurait aussi contribué à responsabiliser plus encore nos concitoyens sous réserve de leur expliquer clairement que le masque était complémentaire et non exclusif des autres mesures d’hygiène. Dans une épidémie tout est bon pour ralentir la circulation du pathogène, réduire l’excrétion et la contamination, même si les dispositifs utilisés ne protègent pas à 99 %… C’est l’addition des mesures qui va ramener la circulation du virus sous le seuil épidémique.

Les conditions pour prononcer le déconfinement

Quand faudra-t-il sortir du confinement ? Le plus tôt serait bien sûr le mieux, la santé mentale de notre population et les chances de relance de notre économie en dépendent. Impossible d’attendre médicaments et vaccin. Mais ne confondons pas vitesse et précipitation. Deux conditions doivent absolument être réunies, elles sont affaire de bon sens, plus même que de science :

Sommes-nous clairement sortis du pic épidémique ? Non ! Même si l’on observe aujourd’hui quelques signaux que l’on aimerait considérer comme positifs, comme la stabilisation du nombre de nouveaux patients hospitalisés et de ceux nécessitant la réanimation, la situation reste incertaine, car la tension sur les personnels de santé et les moyens hospitaliers demeure extrême, en dépit de quatre semaines de confinement, alors que se fait sentir un véritable relâchement dans l’adhésion de certains.

Réunissons-nous à ce jour les éléments permettant de donner à la stratégie de déconfinement des chances maximales de succès ? Non ! Et il y a encore beaucoup à faire, alors que le temps nous est compté.

Il faut dire clairement à nos concitoyens que la date de déconfinement ne se décidera pas comme celle des vacances scolaires. Elle se décidera sur des critères objectifs, sur des données montrant clairement l’état, région par région, du statut de l’épidémie, donc sur la disponibilité des outils de diagnostic moléculaire et sérologique nécessaires à ces enquêtes. Elle se décidera aussi sur la disponibilité des outils de protection individuelle de la population « libérée » contre la circulation persistante du virus. Tout ceci peut certes être modélisé, avec des scénarios optimistes et pessimistes, mais il faut avoir le courage de dire à nos concitoyens qu’aussi brillants que soient nos modélisateurs, aussi importante que soit l’intégration des mathématiques sous forme d’algorithmes performants et sophistiqués, il persiste des zones d’ombre dans la biologie de l’interaction entre le SARS-CoV-2 et l’homme, qui rendent difficile les prédictions. On l’a vu dans la période précédant le confinement. Voici quelques questions essentielles non encore résolues, même si avec le temps – mais en avons-nous ? – quelques points tendent à s’éclaircir.

S’il devient clair que les sujets infectés émettent une charge virale importante, dès le début de leur maladie, à un stade asymptomatique ou pauci-symptomatique auquel beaucoup vont demeurer, les données sur la durée d’excrétion virale après guérison clinique sont rares, et pour celles qui existent ne sont guère rassurantes. Les sujets guéris sont-ils protégés naturellement contre l’infection, qu’ils aient ou non développé ces fameux anticorps spécifiques neutralisants dont on espère tant ? A fortiori, les sujets demeurés asymptomatiques ou pauci-symptomatiques sont-ils protégés et pour combien de temps ? En effet le virus sera demeuré dans ce cas circonscrit à la muqueuse rhinopharyngée, ce qui peut donner lieu à une immunité locale, mais de quelle durée ? De quelle efficacité protectrice ? De quelle capacité à faire transition vers une immunité systémique globalement efficace ? En un mot, l’immunité de groupe offerte par beaucoup de maladies infectieuses et par les vaccins répondra-t-elle aux équations habituelles ? La connaissance de ces éléments serait importante pour se projeter dans l’avenir et éviter le « pilotage à vue ». Ce virus est retors et nécessite donc aussi d’encourager et de financer une recherche clinique et fondamentale de haut niveau, visant à éclairer des zones obscures et néanmoins essentielles de cette maladie.

Tentons finalement de résumer les conditions dans lesquelles un déconfinement pourrait se faire dans des conditions évitant au maximum un rebond local ou général de l’épidémie.

1 – Il pourra être envisagé sur une base régionale à condition que les données épidémiologiques disponibles indiquent que la vague épidémique est bien passée lorsque des foyers très actifs y ont été observés (Grand-Est, Île-de-France…), ou que le taux d’attaque n’augmente pas sur plusieurs semaines dans les régions relativement préservées. Ces évaluations s’appuieront bien sûr sur les données remontant des hôpitaux et des médecins de ville, confirmant une nette baisse de tension sur le système de santé. Elles devraient aussi pouvoir rapidement s’appuyer sur l’organisation d’études sérologiques très larges, méthodologiquement indiscutables, visant à évaluer, via la présence d’anticorps spécifiques, le taux d’attaque global, c’est-à-dire le pourcentage de la population ayant été infectée par le SARS-CoV-2.

Par ailleurs, il semble difficile de ne pas aussi s’appuyer sur l’impact épidémiologique complémentaire procuré par une large pratique de tests de diagnostic moléculaire par q-RT-PCR, utilisés pour identifier les cas cliniques, nous y reviendrons.

Il conviendra aussi de sérieusement s’interroger sur les conséquences d’un déconfinement total si y sont mêlées les populations présentant un haut risque de développer des formes graves comme les sujets au-dessus de 65 ans, les sujets immunodéprimés et les sujets diabétiques et en surpoids important. Il n’y a pas de tabous lorsqu’il s’agit de préserver la vie de nos concitoyens.

2 – Une fois décidée, la sortie de confinement doit s’accompagner d’un dépistage moléculaire de la présence du virus aussi large que possible chez les sujets symptomatiques, pauci-symptomatiques ou asymptomatiques, pas seulement dans le secteur hospitalier et les EHPAD, dans la population générale avec un effort particulier sur des populations, professions et zones à risque de manière à isoler les sujets positifs dans des conditions qui restent à déterminer et organiser, car le problème sera humainement et logistiquement très complexe, aussi complexe d’ailleurs que la mise en place de la réalisation de ces tests à grande échelle : conditions de prélèvement en masse, transport des échantillons, réalisation technique, retour de l’information et exécution de la décision d’isolement.

À cette approche sera naturellement associée la recherche des contacts de ces patients infectés. Le fameux « contact tracing » qui fait déjà l’objet d’un débat sociétal compréhensible, car on y voit d’emblée un pas supplémentaire dans l’atteinte de nos libertés individuelles, déjà passablement entamées par les lois antiterroristes. Il faut au plus vite aborder ce débat et clairement exposer les extraordinaires appuis à la détection et à la mise en « quatorzaine » des sujets en contacts étroits et/ou renouvelés avec les sujets dépistés positifs. Intelligence artificielle, « machine learning  », « big data », tout cela peut se conjuguer avec les méthodes plus classiques pour assurer ce quadrillage épidémiologique indispensable pour éviter les rebonds après déconfinement. Il est clair que ce paradigme inédit, s’il est choisi, doit s’accompagner d’un encadrement légal et éthique incontournable, et doit être organisé et piloté pour sa logistique complexe et l’intégration de ses dimensions méthodologiques multidisciplinaires par des personnalités de haute valeur morale et scientifique. Il doit aussi être accompagné par les citoyens, et non imposé, grâce à une pédagogie transparente et à l’incitation à leur participation active. Le confinement, le « restez chez vous ! » pour sauver des vies et ménager nos personnels de santé est vital, mais crée une situation socialement paradoxale où les seuls horizons du citoyen deviennent l’hôpital, la queue dans les supermarchés ou la police contrôlant les autorisations dérogatoires… Nos concitoyens doivent pouvoir sortir de cette perspective étroite et dès maintenant se préparer à jouer un rôle actif lorsque le confinement sera levé.

Cette « troisième ligne » devrait dès maintenant être mobilisée en préparation de la phase de déconfinement où des citoyens volontaires et formés pourraient prendre dans les immeubles, dans les quartiers, dans les zones pavillonnaires, dans les transports, des responsabilités organisationnelles du déconfinement que l’on ne pourra pas faire porter uniquement aux représentants de l’autorité sanitaire et de la police.

Et si Covid-19 nous aidait à retrouver les fondements de notre démocratie et de notre esprit républicain ? Charles Nicolle écrivait que « les maladies infectieuses apprennent aux hommes qu’ils sont frères et solidaires ». Après la « réserve sanitaire » au sens le plus large qui a fait merveille, il faut une place pour la « réserve citoyenne ». N’oublions cependant pas une autre réserve, la « réserve scientifique ». Hors la minorité travaillant dans nos centres de recherche sur Covid-19, des centaines, des milliers de scientifiques capables de concevoir, d’innover, de réaliser des tests sophistiqués « piaffent » de ne pouvoir participer au combat. Ils/elles sont souvent inscrits sur des listes de volontaires et ont montré quand nécessaire une générosité exceptionnelle. Certains/certaines, bravant le danger, avait mis leurs projets de recherche, leur travail de thèse, entre parenthèse pour partir en Guinée en 2015 comme volontaires pour soutenir le laboratoire de diagnostic que l’Institut Pasteur avait monté sur la ligne de front de l’épidémie d’Ebola. Sur le front italien du Covid-19, plusieurs de nos collègues ont très tôt reconverti leurs laboratoires en centres de diagnostic. Il faut trouver une place aux scientifiques dans le dispositif. Si « nous sommes en guerre », alors « faisons la guerre », oublions un peu les barrières administratives, les régulations et autres certifications, engageons la « réserve scientifique ».

3 – Une fois décidée, la sortie de confinement devra s’accompagner d’un maintien rigoureux des mesures de distanciation sociale et d’hygiène individuelle et collective, incluant le port de masques, « professionnels » selon disponibilité ou « artisanaux ». Impossible de déconfiner tant que les pharmacies seront en rupture chronique de stocks de masques et de gels hydro-alcooliques. Comme proposé, la « réserve citoyenne » pourrait jouer à plein dans ce contexte pour informer, aider, accompagner, dans la rue, dans des lieux se prêtant aux regroupements, dans les transports en commun qui risquent d’être un lieu de recrudescence de la contamination lorsque reprendront les activités professionnelles.

4 – Les transports interrégionaux devront rester limités, sauf exceptions à définir, aux nécessités professionnelles.

5 – Les rassemblements devront rester interdits avec certaines exceptions, mais sous des formes très limitées comme les enterrements. Certains rassemblements sportifs et religieux semblent avoir malheureusement joué un rôle important dans la création de foyers de transmission hyperactifs en Italie, Espagne et France. Les entreprises devront soigneusement organiser la distanciation sociale. Pour ce qui concerne les métiers d’accueil de population, les commerces, la restauration, l’hôtellerie qui sont un pan important de notre vie économique et sociale, il est urgent de réfléchir à des solutions, sans-doute contraignantes, mais vitales. Certaines ont été expérimentées dans les commerces de première nécessité. Pour les spectacles et l’école, projetons-nous dès maintenant vers la rentrée de septembre.

Conclusion provisoire

En fait, ce n’est que lorsque l’on commencera à disposer d’une vraie cartographie de l’évolution de l’épidémie, suite au déconfinement, lorsque le R0 se sera stablement établi au-dessous de 1, c’est-à-dire sous le seuil épidémique, indiquant l’absence de tendance au rebond, que l’on pourra commencer à relâcher prudemment, rationnellement, progressivement la pression des mesures ci-dessus, car il faudra bien entendu accompagner le redémarrage de la vie et de l’économie afin d’éviter que le traitement fasse plus de mal que la maladie.

Combien de temps ? Un certain temps, serait-on tenté de répondre… Mais encore ?

Il faut avoir l’humilité de dire que l’on ne sait pas vraiment à ce stade, qu’une partie du « génie évolutif » de la maladie nous échappe encore et que SARS-CoV-2 peut à tout instant modifier son comportement dans un bon ou un mauvais sens, du fait d’une mutation. Des modèles indiquent même que le confinement actuel pourrait ne faire que pousser l’épidémie à rebondir après l’été… Mais ce délai dépendra d’abord de l’adhésion citoyenne aux mesures prises.

Pour s’avancer, disons au mieux dans le courant de l’été – sauf si un traitement efficace intervenait rapidement, ce que les essais cliniques en cours vont nous dire dans les semaines qui viennent. Sa large disponibilité permettrait d’atténuer d’un coup ce qui fait le spectre de cette maladie, à savoir ses formes graves voire mortelles, et de diminuer la charge virale globale en circulation, donnant un coup de pouce significatif et possiblement définitif à la stabilisation du R0 sous le seuil épidémique.

Quoi qu’il advienne, les mesures de distanciation sociale et d’hygiène renforcée devront être maintenues tant que nous ne disposerons pas d’un vaccin, c’est-à-dire pas avant plusieurs mois, sans doute une année. Nous nous y habituerons, l’espèce humaine est résiliente.

Pour terminer, une note personnelle d’espoir, une de tristesse et une d’angoisse.

Espoir et confiance d’abord : la science apportera les solutions à cette crise qui paralyse notre pays, notre continent et la planète. Recherche biomédicale, fondamentale, académique et industrielle, toutes les forces sont mobilisées et globalement financées pour découvrir, tester, valider et développer molécules thérapeutiques et vaccins.

Tristesse pour le rêve européen. L’Europe a raté l’examen du Covid-19. Raté son examen d’entrée dans la crise, sans coordination, avec des replis nationalistes malheureusement attendus. Les pays européens particulièrement touchés garderont cette cicatrice des égoïsmes nationaux. L’Europe semble aussi être en passe de rater son examen de sortie. La nécessité d’une gestion intégrée, sanitaire, scientifique, économique, sociale, de ce moment clé du déconfinement des citoyens européens, ce moment qui porte en lui la somme de tous les dangers et de tous les espoirs, semble devoir être aussi géré à l’aune des égoïsmes nationaux. Que vaudront les milliards d’Euros de la BCE sans une intelligence européenne collective et solidaire ? Le pire n’est pas certain, un miracle est toujours possible, mais que deviendra l’Union Européenne après cette crise ?

Une note d’angoisse enfin. Cette réaction massive, scientifique, médicale, sociale, économique, à la pandémie serait-elle survenue si Covid-19 n’avait pas d’abord touché les pays nantis ? La pandémie se développe lentement mais sûrement sur le Continent africain et dans d’autres régions pauvres de la planète. Faisons tout, dès maintenant, pour que le Sud bénéficie en toute équité des moyens thérapeutiques et des vaccins qui vont être développés. « Frères et solidaires… », n’oublions pas Charles Nicolle.

Yayo HERRERO: «Salbuespen egoera honetan hartutako neurri batzuei eutsi egin beharko genieke»
Iñaki Petxarroman
www.berria.eus/paperekoa/1926/012/001/2020-04-17/salbuespen-egoera-honetan-hartutako-neurri-batzuei-eutsi-egin-beharko-genieke.htm

Herrerok uste du osasun krisiak agerian utzi dituela ereduaren «aje guztiak». Eta hartu diren erabakien irmotasuna ikusita, galdera egin du: «Posible litzateke hondamendi jakin bat izan gabe ere?»

Ekofeminismoaren Europako ahotsik erreferentziazkoenetako bat da Yayo Herrero (Madril, 1961) antropologo, irakasle eta ekintzailearena. Krisi honetan hartu diren erabaki batzuk lurrarentzat eta pertsonentzat onuragarriak izan direla ohartarazi du, eta haietako batzuei eutsi egin beharko litzaiekeelakoan dago.

Zer ondorio nagusi atera daitezke koronabirusaren krisi honetatik?

Bagenekizkien gauzak are eta argiago erakutsi dizkigu krisi honek. Lehenik eta behin, munduko ekonomia globalizatuaren ahulezia. Bestalde, gogoetatzeko aukera eman digu ea zein diren gizakien beharrak eta haiek asetzeko ezinbesteko lanak. Oso adierazgarria izan da: bat-batean utzi ezin ziren lanak dira azken urteotan okerren ordaindu direnak, bazter batera botatakoak, gehien prekarizatuak, ikusgarritasun txikienekoak eta, kasu asko eta askotan, gehien feminizatuak: zaintza eta etxeko lanak, zahar etxeetakoak, osasungintzakoen zati handi bat, garbiketak…

Arlo publikoa ere indartuta atera da, behintzat, gizartearen iruditerian, ezta?

Bai, eta ez osasun publikoa bakarrik, nahiz eta hark eduki duen ikusgarritasunik handiena. Pentsa egunotan behin-behineko milaka lan-erregulazio dosier tramitatzen aritu diren funtzionarioengan. Nabarmentzekoak dira udalek egindako lanak ere. Halaber, azpimarratuko nituzke hainbat etxetan egindakoak, nahiz eta eremu pribatukoak izan. Berriro ere, familiak dira krisia apur bat leuntzen duten koltxoiak. Arreta jarri dugu osasungintza publikoan, murrizketen ondorioz kolapsatu egin baita, baina krisiaren zatirik gogorrena familiei egokitu zaie.

Krisiak elkartasuna eta laguntasuna ere bultzatu ditu.

Oso nabarmen. Sortu dira hainbat elkartasun eta laguntza sare. Segur aski, lehendik baziren auzo taldeak izan dira, baina batu zaie pila bat jende, bat-batean hasi dena kezkatzen ondoan bizi direnez, eta dituzten beharrez.

Tokiko nekazaritzak ere garrantzia hartu du, ezta?

Aipatu dudan sistema ekonomikoaren ahuleziaren muinean dago. Espainiako Estatua, adibidez, guztiz menpekoa da energian eta materialetan, eta baita, azken hamarkadetan gailendutako politikengatik, elikagaietan ere. Garatutzat ditugun herrialde gehienak antzera daude. Landa eremuak abandonatu egin dira, eta, jarduera mantendu den kasuetan, azpiegitura handiak eta haztegi industrialak ezarri dira, txerri edo abere hazkuntzarako. Baserri eta ekoizle txikiak, autogestioaren bidetik eta harreman askoz zuzenago eta bidezkoekin, euren ekoizpena zabaltzen ari dira, baina trabak besterik ez diete jartzen, pandemiaren aitzakian. Bizitzari eusteko beharrezkoak diren ekoizpenei bizkar eman diegu, eta atzeratutzat jo izan ditugun urrutiko herrialdeek eman digute bizirik irauteko aukera, lehen sektoreari eutsi diotelako.

Pandemia arintzean, izango dira ekonomia globalizatuari are eta indartsuago eutsi nahiko diotenak ere.

Zalantzarik ez. Marshall plan haren moduan saltzen ari diren horiek zer dira, ez bada sistemaren ahuleziaren atzean dauden eredu ekonomikoak mantentzeko apustuak? Europako Batasunaren laguntzaren zati handi bat finantza eremura bideratu dute, bankuek maileguak errazago eman ditzaten. Nabarmena da nola aprobetxatzen ari diren zenbait tokitan lurra eta pertsonak babesteko neurriak deuseztatzeko. Beraz, etorkizunean zer gertatuko den erabakiko da sortzen diren indar korrelazioen arabera, eta gizarte zibilaren antolatzeko gaitasunaren arabera.

Normaltasuna berreskuratzea bihurtu da agintarien helburua.

Normaltasuna da lehenagoko egoera. Hau da, prekarizazio baldintza gogorretan oinarritu dena, gizarte multzo zabalak pobrezian zituena, langabezia tasa itzelak zituena, osasun sistema oso higatua utzi duena, adinekoak baliabide eta zaintza gutxiko zahar etxeetan zituena, menpekotasuna eta zaintza lana negozio borobil bat bihurtu duena sektore pribatuarentzat… Normaltasun horrek aire pozoitua arnastera behartu gaitu, eta beroketa dakarten gas isurketekin bizitzera. Larrialdi ekologikora ekarri gaituen normaltasuna da berreskuratu nahi duten hori.

Batzuek esango dute egoera hau ez dela askoz hobea.

Salbuespen egoera honetan kutsadura eta berotegi gasak amildu egin dira, eta aldagai biofisikoak hobetu. Gainera, debekatu dira lan kaleratzeak, ordaindu ezin dutenei ura eta argindarra moztea… Alokairua ordaintzen duten pertsonak babesteko erabakiak hartu dira, eta lehen sekula onartu ez diren laguntza batzuk… Beraz, paradoxikoa bada ere, jendea eta haren ongizatea babesteko neurriak etorri dira. Zein da kosta ahala kosta ekarri nahi duten normaltasuna? Lurraren xahuketan eta desberdintasun sozialetan oinarritutako hazkunde ekonomikoa.

Bestelako egoera larri batzuek lortu ezin izan dutena lortu du koronabirusak.

Bai, klima larrialdiko testuinguruan gaude, petrolioaren gailurraren fasean, non baldintza objektiboak dauden ekonomia haztea zailtzeko… Pandemia iritsi baino lehen, atzeraldi ekonomiko sakon bati buruz hitz egiten ari ziren adituak, baina honek ekarri ditu aldaketak. Orain ikasi dugunak ez al digu balio behar baldintza hobeak sortzeko, jendearen ongizatearen aldetik, etor daitezkeen beste egoera batzuei erantzuteko? Osasun hondamendi hau berarekin eramaten ari da gizartearen pertsonarik ahulenak: zaharrak, pobretutakoak, osasun egokirik ez zutenak, izan elikadura txarragatik izan kutsadura handiko guneetan bizitzeagatik… Salbuespen egoera hau hondamendia da, baina indarrean jarri diren neurri batzuei eutsi egin beharko genieke aurrerantzean ere.

Adibidez?

Zientzialariek esan digute bakartze soziala beharrezkoa zela birusa zabaltzea saihesteko. Zientzialariek ohartarazi digute, halaber, larrialdi egoera askori aurre egin beharko diegula, besteak beste, klima aldaketarengatik. Hartu beharreko neurriek eredu ekonomikoari eragiten diote, baina hartu egin behar dira jendea babesteko. Beraz, egoera hau saio gisa har genezake, beste normaltasun berri bat eraikitzeko, non helburua herritar guztiak babestea izango den, eta baita herritar guztien eskubide eta askatasunak ere.

Kezka sortu du poliziek eta armadek jokatu duten rolak…

Ez ote zaion zelatatze lanari gehiegizko legitimitatea eman, jakin gabe horrek nora eramango gaituen. Santiago Alba Ricok zioen bazegoela borroka bat balkoi solidarioen eta lintxatzaileen artean. Nire susmoa da ez dagoela horrenbeste balkoi lintxatzaile. Baina izan badira. Eta badira egoera baliatu nahi izan dutenak paperik gabeko pertsonak babes gabe uzteko… Begirada baztertzaileak daude, planteatzen dutenak gure pribilegioei eutsi behar diegula beste pertsonen bazterketari eutsiz… Eta badira begirada irekiak, planteatzen dutenak mundu berri horretan ere denok dugula toki bat.

Egoera berriak balioko al du lurrarekin daukagun harremana birplanteatzeko?

Gure kulturak lurrarekin izan duen harremana ezin txarragoa da. Ez gara jabetzen izaki ekodependenteak garela. Uste izan dugu teknologia gai izango zela ia arazo guztiak konpontzeko, eta sinetsi dugu edozer gauza sakrifika genezakeela ekonomiaren hazkundearen izenean. Baina orain ikusi dugu bizitzarentzat ezinbestekoak diren baldintzak ere zapuztu ditugula.

Aditu askok diote bioaniztasunaren galerak erraztu egin dezakeela birusen transmisioa animalietatik pertsonengana.

Bioaniztasunak gizakien eta animalien arteko harresi eta babes lana egin izan du. Eta hori ez da kontu mistikoa, baizik eboluzioaren milaka urteetan bioaniztasunak jokatu duen rolarekin zerikusia daukana. Bioaniztasunak babestu egin du bizitza sistema, eta, hura suntsituz gero, bizitza asegururik gabe geratuko gara. Beraz, bioaniztasunaren galera, klima larrialdiarekin eta naturaren zikloen hondatzearekin batera, gizakien bizitzarentzako eraso bat da, gure bizitza askoz ere modu ahulagoan ateratzen delako aurrera.

Globalizazioak dakarren garraio eta komunikazio sistema horrek ere zeinen ahul bihurtzen gaituen frogatu da.

Daniel Bernabek ikertu du nola zabaldu den koronabirusa, eta planteatu du sistema globalizatuak dakarren gehiegizko mugimendu eta bidaia horiek guztiak direla birusaren transmisioa bideratu dutenak. Pentsa zenbat enpresaburu, agintari eta abar mugitzen diren egunero Txinaren, Europaren eta AEBen artean. Eta ez bakarrik pertsonak, baizik eta salgaiak. Sistema horrek ezinezko bihurtzen du birus bat etetea, munduan dauden natur harresiak kendu eta hondatu egin ditugulako. Horri zerbitzu publikoen narriadura gehitzen badiozu, koktel perfektua daukazu halako pandemiak zabaltzeko eta egoerarik ahulenean dauden sektoreak babes gabe uzteko.

Birusak gogorren jo dituen sektoreak dira klima larrialdiak gogorren jo ditzakeenak ere.

Birusak ez du bereizketarik egiten, baina, behin iristen denean, ez gaude egoera berean hari aurre egiteko. Hau da, ez gaude berdin elikatuta, ez daukagu osasun egoera bera, besteak beste, batzuk kutsadura handiko tokietan bizi direlako. Gauza bera gertatzen da pertsona zaharrekin. Beldurgarriak izan dira entzun ditugun zenbait gauza; adibidez, AEBetan, eskatu dute adinekoak sakrifikatzeko ekonomiaren izenean, pertsona horiek babestu beharko ez balira bezala.

Konfinamendua ere ez da berdina txalet batean edo 30 metro koadroko etxe batean.

Noski, eta pertsona asko pilatuta bizi diren etxeetan ere ez. Eta ez da gauza bera kobratzen jarraitzen dutenentzat eta lehen zuten soldata apurra galdu dutenentzat, horrek sortzen duen ezinegonarekin.

Badira tentsioak ere sistema ekonomikoa ez gelditzea nahi dutenen eta euren burua babestu nahi dutenen artean.

Gure kulturaren kontraesan hori, funtsean, zibilizazio arazo bat da. Esan nahi baita ekonomiaren eta bizitzaren artean dagoen elkar hartu ezin hori. Eredu ekonomiko batzuek hazteko beharra daukate geratu gabe, eta ezin dira eten, oso hauskorrak direlako, zorraren eta etengabeko diru sarreren menpe daudelako. Oinarrian dagoen finantza sarea guztiz lotuta dago harekin, eta horren adibide dira burtsan izaten diren gorabeherak. Eredu horiek hazten direnean, natura hondatzen da nabarmen, eta bizitzari eusten dioten oinarri materialak ahuldu egiten dira. Ez bakarrik hori, ekonomia hazten da, ez gehiago ekoizten delako, baizik eta lan eskubideak eta soldatak gutxitu direlako, prekaritatea handitu delako. Beraz, batzuen hazkundeak dakar herritar gehienek ezinegon handiagoarekin eta duintasun txikiagorekin bizitzea.

Hori gertatu zen 2008ko krisiaren ostean ere. Gaur egun ere arrisku bera izango dugu ,ezta?

Ekonomia uzkurtzen denean, oraingo indar korrelazioarekin, badago boterearen zati garrantzitsu bat horren aldeko apustua egiten duena. Hau da, etxe bakoitzaren barruan bizitzaren arriskuak pribatizatuz eta, erreskateen bidez, enpresen arriskuak sozializatuz. Esan nahi da, pertsonen bizitza erdigunean jartzen ez duen ekonomia bat daukazunean, aurkitzen duguna da bizitza bera sakrifika daitekeela helburua ekonomiaren hazkundea baldin bada.

Ikuspegi feminista batetik, baikor al zara krisiak ekar ditzakeen ondorioei begira?

Arlo publikoan egin dena aipatzen da, baina ez hainbeste etxeetan egin dena, aintzat ere ez delako hartzen. Berezkotzat jotzen den nahitaezko familia zerbitzu hori da, egunero eta belaunaldiz belaunaldi, bizitzaren oinarria. Krisi honek ageriago utzi ditu eredu honek dituen aje guztiak. Eta agerian utzi du, gainera, borondate politikoa denean, erabakiak azkar har daitezkeela pertsonak babesteko. Eta, aldi berean, pertsonok ere errotik alda dezakegula gure bizimodua ikusten dugunean ingurukoen bizitza babestu egin behar dela. Kontua da ea hori bera egin dezakegun hondamendi jakin bat izan gabe ere? Uste dut honek erakutsi digula baietz.

Klima krisia, adibidez, ez da nahikoa akuilu izan halako neurriak hartzeko.

Itzela izan da hedabideek egindako lana krisi hau mahai gainean jartzeko, modu zuzen edo okerrean. Posible litzateke gauza bera egitea ekologia krisiarekin? Egia da ez dugula mehatxu zuzen gisa bizi, baina Gloria ekaitzak jadanik Ebroko delta uztera behartu ditu hainbat lagun, eta itsasaldean bizi diren batzuk ere beste toki batzuetara joatera bultzatzen ari da. Hobe genuke berandu baino lehen mehatxu larri gisa hartzea.