Les droits des écosystèmes bientôt reconnus en France ?
Valérie Cabanes, porte-parole de End Ecocide on Earth,et Marie Toussaint, eurodéputée EELV. Juristes, cofondatrices de Notre affaire à tous.
www.politis.fr/articles/2020/10/les-droits-des-ecosystemes-bientot-reconnus-en-france-42435
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De plus en plus de voix s’élèvent pour qu’une personnalité juridique soit reconnue à la nature. Loin d’amoindrir les droits humains, c’est une révolution civilisationnelle appelée à s’amplifier.
En mars, nous vous parlions de l’initiative du parlement de Loire, portée par un pôle d’urbanisme, le Polau, visant à donner une voix à ce fleuve. Une initiative qui était encore isolée, tant reconnaître les droits de la nature semblait encore folklorique. Lors de sa réponse à la Convention citoyenne pour le climat, le président Macron a d’ailleurs raillé celles et ceux qui défendent la voix des écosystèmes, en déclarant, au sujet de la proposition de modification du préambule de la Constitution, qu’« il est essentiel […] de ne pas mettre un droit de la nature au-dessus des droits humains, parce que […] ce n’est pas cohérent avec le projet et la philosophie des Lumières que porte notre République ». Comme si nous ne faisions pas partie de la nature, comme si réclamer des droits pour les écosystèmes revenait à amoindrir les droits des humains, alors qu’il s’agit, au contraire, d’une révolution civilisationnelle qui devrait permettre à la vie humaine sur Terre de perdurer dans le respect des droits humains, notamment des droits à la vie et à un environnement sain !
Mais le parlement de Loire n’est plus seul. Il ne l’était déjà pas, d’ailleurs. Le 5 avril 2019, l’association Arbres avait déclamé, à l’Assemblée nationale, une déclaration pour les droits des arbres, depuis lors soutenue par plusieurs collectivités et élu·es aux niveaux local, national et européen. Un appel similaire avait été lancé depuis la France, mais à visée internationale, un an plus tôt, autour d’un projet de Déclaration universelle des droits de l’arbre.
À la suite de la mégapollution de l’Escaut, en avril dernier, par la multinationale sucrière Tereos, l’association Valentransition portait à son tour la proposition d’un parlement pour le fleuve qui traverse la France, la Belgique et les Pays-Bas. En septembre, c’est une association suisse, ID·eau, qui lançait l’« Appel du Rhône » pour reconnaître une personnalité juridique à ce fleuve transfrontalier, de sa source, le glacier du Rhône, à son embouchure, le delta de Camargue. Des collectifs citoyens se constituent depuis pour les droits de la Durance, de l’étang de Berre, du fleuve Tavignanu, de la Loue et des autres rivières comtoises. Des collectivités, de la Corse à Paris-Saclay, s’intéressent à la reconnaissance des droits de la nature, mais aussi à la condamnation des écocides et à la création de nouvelles formes démocratiques qui tiendraient compte de la voix du vivant.
À la suite de la campagne lancée par l’Alliance mondiale des droits de la nature, la ville de Paris a décidé de lancer une étude pour remettre la Bièvre, aujourd’hui enterrée, à l’air libre. Elle va aussi s’enquérir de la manière dont pourraient être reconnus les droits de la Seine, en réponse à l’appel que nous avions lancé en août 2019.
Enfin, le 13 octobre, un cycle de travail était lancé au Parlement européen, réunissant plusieurs centaines de personnes de toute l’Union européenne et du monde entier, avec la participation de juristes ainsi que de l’historienne polonaise de la littérature Ewa Kulis. Une rencontre prometteuse : la vidéo en ligne a très vite compté plus de 10 000 visionnages.
Prochaine étape, dès janvier 2021, un « tribunal citoyen des droits des systèmes aquatiques en Europe » se tiendra en ligne une fois par mois pour mettre en lumière des cas de violation des droits de la nature, comme ceux des boues rouges dans les calanques de Marseille, de la pollution du fleuve Maroni en Guyane, ou de la mer de Glace disparaissant sous l’effet du dérèglement climatique. L’année 2021 sera sans aucun doute marquée par une montée en puissance d’initiatives concrètes pour faire reconnaître les droits du vivant par les citoyen·nes et les collectivités bien décidé·es à ne pas attendre une hypothétique reconnaissance des droits du vivant par un gouvernement encore très anthropocentré et obnubilé par le dogme de la croissance infinie dans un monde fini. Ces initiatives se déploient, entrent en contact et se coordonnent. De quoi tracer, en partant des territoires, et dans le respect des droits humains et de la participation démocratique, une nouvelle voie pour l’avenir de l’humanité.
Rôle et impact du Haut Conseil pour le Climat
Olivier Fontan
https://bonpote.com/role-et-impact-du-haut-conseil-pour-le-climat-olivier-fontan/
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J’ai une bonne nouvelle pour celles et ceux qui critiquent la Convention Citoyenne car ‘elle n’est pas composée d’experts’ : il existe également le Haut Conseil pour le Climat ! Ses membres sont tous des experts des questions climatiques et remettre en cause leur légitimité n’est cette fois plus vraiment d’actualité. En revanche, le fait d’être experts donne-t-il plus d’écho auprès du gouvernement ? Pour y répondre, Olivier Fontan, directeur exécutif du Haut Conseil pour le Climat, a pris le temps de répondre à mes questions.
Bonjour Olivier ! Merci d’avoir accepté l’invitation, je suis ravi de pouvoir échanger avec vous. Avant de rentrer dans le vif du sujet, pourriez-vous vous présenter et nous expliquer votre parcours, jusqu’à votre poste de directeur exécutif du HCC ?
Bonjour et merci de votre invitation ainsi que du travail que vous réalisez. Je suis régulièrement vos publications, principalement sur l’environnement, et elles représentent une belle contribution à une information éclairée et rigoureuse du public. C’est un élément essentiel non seulement pour la prise de conscience des dérèglements planétaires mais aussi pour réfléchir aux actions possibles.
Pour ma part, en sortant de ScPo j’ai intégré le Quai d’Orsay et suis donc diplomate depuis 1995. J’ai passé une quinzaine d’années à l’étranger, d’abord à Sarajevo, puis en Bolivie et en Colombie. Plus récemment j’ai été membre de l’équipe de négociation de la COP21 et sous-directeur pour le Climat et l’environnement au ministère des Affaires étrangères. Ceci m’a conduit à connaître l’ensemble des négociations environnementales, de l’ozone à l’océan, et de l’insertion de ces sujets dans la politique extérieure et de coopération de la France. Après avoir participé à la négociation de ces cadres internationaux, ce poste au Haut conseil pour le climat m’a donné l’occasion en juin 2019 de passer de l’autre côté du miroir et de voir comment ces politiques sont mises en œuvre au niveau national.
Pourriez-vous revenir sur le rôle du Haut Conseil pour le Climat, notamment sur son financement et son indépendance ?
Le Haut conseil pour le climat est un organisme indépendant, fonctionnellement rattaché à France Stratégie et donc aux Services du Premier ministre. Il est chargé d’émettre des avis et des recommandations sur la mise en œuvre des politiques publiques et des mesures prises pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France. Il a été dans un premier temps créé par décret puis inscrit dans la loi Energie climat. Il ne peut recevoir aucune instruction, d’aucune institution qu’elle soit publique ou privée.
Le HCC est composé de treize personnes représentant un éventail d’expertise dans les domaines directement ou indirectement liés au climat. Elles se réunissent une fois par mois et doivent une autre journée de travail au HCC en moyenne, contre une indemnité de 400 euros – le double pour la présidente. Elles orientent, encadrent et précisent le travail de recherche et de confection des rapports du secrétariat que je dirige, au sein duquel nous sommes six. Une enveloppe de 507 835 euros en 2020 est destinée à couvrir notre fonctionnement ainsi que les études extérieures que nous commandons à des tiers pour nous appuyer dans notre travail de recherche.
Concernant l’indépendance, je crois qu’elle se démontre plus qu’elle ne se proclame. La rigueur et le sérieux du travail du HCC depuis son premier rapport annuel ne laissent, me semble-t-il, pas de doute, même si on peut toujours s’améliorer. Pour autant une évolution de l’institution serait envisageable pour la doter des garanties d’une autorité administrative indépendante et garantir sa présence et ses moyens dans le paysage institutionnel sur le long terme de cette transition bas-carbone. L’indépendance, c’est aussi avoir les moyens des ambitions qui nous sont confiées et de la crédibilité qui est attendue du travail du Haut conseil. On est aujourd’hui loin du compte. A titre de comparaison, l’équivalent britannique du HCC créé douze ans auparavant, dans un pays que l’on sait sourcilleux du denier public, est actuellement doté de 25 emplois depuis l’origine et d’un budget de fonctionnement de 3,5 millions de £.
Pour citer l’un de vos membres, Jean-Marc Jancovici, le Haut Conseil pour le climat est-il ‘une des commissions créées tous les six mois par E.Macron ‘ ou avez-vous vraiment le sentiment d’apporter quelque chose de différent ?
Il y a un petit mécanisme intéressant s’agissant du HCC, qui est à ma connaissance assez unique. Le rapport annuel, publié en juin, est remis au Premier ministre – c’est la loi qui le dit et Edouard Philippe nous a effectivement reçu avec attention en 2019, comme il avait prévu de le faire cette année, même si la fin de ses fonctions a bouleversé l’agenda. Six mois plus tard, toujours selon la loi, le Premier ministre fait une réponse au Parlement et au Conseil économique social et environnemental (CESE), qui peuvent en débattre, sur le contenu et les recommandations de ce rapport. L’idée est d’enclencher un cercle vertueux d’échanges autour de ces politiques climatiques. Elles appellent de grands changements et il est normal et sain qu’elles suscitent régulièrement un débat entre les pouvoirs et la société. Cette alternance rapport annuel à l’été / réponse en hiver donne deux bonnes occasions pour le faire.
Le premier cycle a formellement bien fonctionné même si la réponse du gouvernement reflète le côté encore « patchwork » des politiques publiques, ce qui pouvait être attendu d’un premier exercice. Le CESE s’est emparé du débat, le Parlement ne l’a pas fait et là aussi on espère progresser d’année en année. Le rapport annuel 2020 a été envoyé, plus que remis, à l’actuel Premier ministre – faute d’interlocution directe avec lui sur le contenu ou les prochaines étapes – en juillet ; on attend donc la réponse en janvier 2021.
Sur le fond, la richesse du HCC tient à sa composition. Vous avez des membres travaillant ou ayant travaillé pour le GIEC, des physiciens, des représentants de sciences humaines et sociales – sociologie, économie, géographie – des experts en agriculture, en politiques publiques, etc.
Chacun vient avec son cadre de pensée et vous avez donc à la fin une production qui est à la fois rigoureuse – je vous assure que la relecture des projets de rapport par treize regards aussi acérés ne laisse rien passer – et consensuelle au meilleur sens du terme, puisqu’il faut accorder les représentations, les priorités, essayer d’en faire des recommandations les plus opérationnelles possibles pour les acteurs publics, et ceci dans un temps limité.
Comment avez-vous réagi lorsque, malgré l’avis du HCC, le gouvernement (via Edouard Philippe) avait annoncé que le budget carbone 2019-2023 serait augmenté ? N’est-ce pas encore repousser les efforts à faire ?
C’est absolument ça. Le budget précédent, 2015-2018, accusait un déficit de 62 Mt éqCO2, soit 3,5%. Dans son rapport 2019 le HCC recommandait que le budget carbone 2019-2023 soit maintenu au niveau prévu initialement, en mettant en place des mesures additionnelles pour rattraper le retard pris dans le premier budget. Cet avis n’a pas été suivi et le HCC a regretté dans son rapport 2020 que la nouvelle version de la stratégie nationale bas-carbone entérine un affaiblissement de l’ambition de court-terme, car toute la trajectoire prend du retard quand on reporte les objectifs. On ne peut pas faire de cavalerie budgétaire avec le budget carbone. Il y a probablement une forme de confusion due au fait que l’on parle de budget et de déficit, des termes plutôt employés en matière de finance publique et auxquels on s’est habitués.
Mais une différence fondamentale existe : la dette des Etats, elle se perpétue, se renégocie ou s’annule, et ça ne froisse que ceux qui la détiennent. Nos manquements à tenir les réductions d’émissions sont d’ordre physique. On n’annule pas un déficit carbone. Il n’y a toujours pas d’artifice magique pour sortir le CO2 de l’atmosphère dans les quantités dont nous avons besoin et les impacts du réchauffement vont tous nous affecter de plus en plus brutalement – même si ceux qui sont en bas de l’échelle en souffriront davantage.
Pourriez-vous nous expliquer pourquoi on comptabilise nos émissions en inventaire national et non en empreinte carbone ? Rappelons que le CO2 n’a pas de frontière…
Les inventaires nationaux sont établis par les Etats, comme le demande la convention cadre des Nations unies sur le changement climatique. Dans ce cadre onusien c’est le principe de la souveraineté des Etats qui préside, donc chaque Etat rapporte à titre national ses émissions et ses politiques. L’idée d’empreinte carbone est apparue un peu plus tard, à la suite de l’empreinte écologique, pour refléter la réalité de l’impact des modes de vie sur les émissions, mieux connaître leur structure et juger de leur compatibilité avec les limites planétaires. L’empreinte carbone considère les émissions produites nationalement, en retranche celles des produits qui sont exportés et y ajoute les émissions des produits importés, ainsi que celles liées à l’usage des biens sur le territoire.
Dans le cas de la France, l’empreinte carbone par personne est presque doublée par rapport aux émissions territoriales. Cela questionne ce que nous importons et d’où nous l’importons : faut-il continuer à importer des produits qui conduisent à la déforestation par exemple, ou importer des biens fabriqués dans des pays qui n’ont pas l’ambition de réduire leurs émissions ? C’est l’objet du dernier rapport du HCC, dans lequel nous avons aussi choisi d’élargir la réflexion à l’empreinte des transports internationaux, pour mieux restituer la responsabilité globale de la France.
J’ai deux questions concernant le rapport grand public sorti en septembre. Je suis personnellement très inquiet des chiffres présentés : -0.9% d’émissions en 2019, pas vraiment mieux pour les 3 prochaines années.. Le gouvernement a-t-il bien intégré qu’il faut baisser les émissions de -7.6% par an ?
Vous mélangez deux choses. La première est l’estimation du rythme annuel de baisse des émissions selon les budgets carbone que s’est donnés la France dans sa stratégie nationale vers la neutralité carbone en 2050. Le budget carbone 2019-2023 sous-entend une baisse annuelle des émissions de 1,5% – et l’an dernier c’était 0,9% seulement. Cette baisse annuelle devra passer à 3,2% à partir de 2024, on est donc très loin de l’effort à réaliser annuellement en France. L’autre chiffre que vous mentionnez concerne l’ensemble des émissions de la planète, relatif à un objectif de limitation de la hausse de la température mondiale à +1,5°C par rapport aux niveaux pré-industriels. La façon dont il a été calculé pour le Gap Report de 2019 du Programme des Nations unies pour le développement ne fait pas l’unanimité. Reste que dans un cas comme dans l’autre les efforts collectifs actuels sont clairement insuffisants pour limiter la hausse du réchauffement climatique.
Le HCC a-t-il imposé des conditions au gouvernement pour que son travail soit non seulement entendu, mais aussi appliqué ?
Ce n’est ni notre mandat ni notre rôle d’imposer des conditions à un gouvernement. Le HCC évalue les politiques en cours et recommande les inflexions et changements à prendre pour que ces politiques publiques soient plus efficaces vers la réduction de l’ampleur et de l’impact d’un climat qui change. Nos recommandations comme nos travaux sont publiques et accessibles à toutes et tous. Ensuite il revient aux gouvernements de choisir de suivre, ou pas, ces recommandations, et de l’assumer politiquement devant le Parlement et devant les citoyens. C’est le principe de fonctionnement d’une république, et c’est tant mieux. L’ajustement de nos sociétés au nouveau cadre de l’anthropocène mérite un débat public approfondi. Les travaux du HCC veulent contribuer à la qualité de ce débat, loin des anathèmes et des simplifications abusives.
Au niveau des institutions, le mécanisme d’aller-retour que j’évoquais tout à l’heure, entre rapports annuels du HCC et réponses du gouvernement, est l’occasion de s’interroger collectivement sur les choix opérés et la capacité des dirigeants à inscrire leur action dans le cadre de plus en plus étroit des évolutions climatiques.
Au Parlement de s’en emparer. Quant aux citoyens, ils ont de multiples façons d’exprimer leurs idées ou leurs désaccords, depuis les médias jusqu’aux manifestations organisées par les jeunes ou le monde associatif, en passant par l’engagement personnel autour des solutions à la portée des individus.
Comme on l’entend partout depuis quelques semaines, pourriez-vous nous expliquer ce que veut dire ‘neutralité carbone ‘ ?
C’est un concept qui a émergé dans les années 2000 et qui a été inscrit dans l’article 4.1 de l’accord de Paris, qui mentionne l’équilibre entre les émissions anthropiques et les absorptions anthropiques dans la deuxième moitié du XXème siècle. Globalement c’est l’idée que pour stabiliser le climat on n’émette pas plus de gaz à effet de serre que le système-terre ne peut en absorber – on trouve aussi des scénarios dits ZEN pour « zéro émissions nettes ». Après, le diable est dans les détails et on peut trouver beaucoup de détails dans la neutralité carbone : gaz à effet de serre concernés, rôle des technologies ou de la compensation carbone, etc. Il reste que c’est à la fois un mot-obus, qui remplit son office de déclencheur du débat, et un concept à la fois clair et souple qui peut être utilisé par tous les acteurs.
En France, la loi nous engage à atteindre la neutralité carbone en 2050. C’est-à-dire qu’en 2050 nous ne devrons plus émettre de gaz à effet de serre qui ne puissent être absorbés par un puits de carbone anthropique – concrètement les sols, les forêts et les techniques artificielles qui aujourd’hui ne sont pas déployées. Cela implique donc deux choses : d’abord réduire au maximum les émissions de tous les secteurs pour ne laisser que des émissions incompressibles – quelques procédés industriels, des secteurs agricoles comme l’élevage, les déchets – ensuite préserver et développer nos puits de carbone, prendre soin de nos forêts et de nos sols notamment à travers les pratiques agricoles.
L’enjeu est exactement le même au niveau mondial, avec évidemment d’autres ordres de grandeur et surtout l’inconvénient que ces puits de carbone nécessaires au bien commun sont territorialement situés et donc appartiennent à des Etats. Il est absolument essentiel de préserver les grands massifs forestiers comme ceux du bassin de l’Amazone ou du Congo ou encore ceux de l’Indonésie, tout comme les tourbières et les marais. Outre le dialogue politique à établir avec les pays qui gèrent ces espaces, nous devons aussi veiller à ce que notre consommation et nos importations ne favorisent pas leur dégradation – le HCC mentionne évidemment ce point dans son dernier rapport émissions importées. L’affaiblissement de ces écosystèmes est une source potentielle de déstabilisation majeure du climat, et donc de la sécurité internationale. Il n’est pas suffisamment perçu comme tel.
Comment croire sur le long terme à cette compensation, alors que les forêts françaises sont déjà en train de mourir à cause du changement climatique ?
Comme tout ce qui concerne le climat, il ne s’agit pas de croire mais de constater et de faire. Les forêts françaises sont effectivement déjà fragilisées par un climat qui change et le seront encore plus dans les décennies à venir. Les spécialistes des forêts, qui ont l’habitude de réfléchir à cette échelle de temps, y travaillent et le HCC a prévu de se pencher sur cet enjeu des puits de carbone, qui ne sont pas limités aux forêts. Il faut de surcroît y inclure les enjeux de biodiversité, qui est aussi dans un état critique en raison de nos activités.
Il faut faire attention avec le terme compensation. Dans le cadre de la stratégie française, on parle bien d’absorption de nos émissions par nos puits de carbone. La compensation, c’est émettre du CO2 ici et par exemple acheter un arbre, souvent sur une terre lointaine, pour stocker l’équivalent de votre dépense de CO2. Cela suppose par ailleurs que votre arbre ne va pas être brulé, déraciné ou abattu dans quelques années quand vous aurez oublié votre petit geste, et c’est bien là toute l’ambiguïté des programmes de compensation de certains secteurs, notamment dans le transport. Pour en revenir aux croyances, cela relève plus du commerce des indulgences au XVème siècle qu’à de l’action climatique raisonnée. La France s’est interdite de compenser ses émissions, elle doit donc les réduire ou les absorber.
Il est écrit dans le dernier rapport du HCC : ‘les solutions néfastes ou inefficaces sont aussi bien connues, notamment les soutiens publics sans condition ferme à l’aviation’. Comment avez-vous réagi lorsque l’Etat est ENCORE venu en aide au secteur aérien pendant la crise, sans contrepartie ou presque ?
Déjà dans le rapport spécial climat / santé que le HCC a publié pendant le confinement, une des recommandations relatives aux plans de relance à venir visait à « transformer plus que sauvegarder à tout prix et à n’importe quel coût » et à privilégier les aides aux travailleurs des secteurs très émetteurs comme l’automobile ou l’aérien. Dans le rapport annuel 2020 nous avons synthétisé les analyses mondiales des plans de relance post-crise, qui laissaient clairement apparaître que la politique la plus mal évaluée tant du point de vue de l’effet économique et de l’emploi que climatique était le soutien sans condition à l’aviation – et par conditions je pense à des trajectoires fermes de réduction des émissions, pas des hypothèses technologiques lointaines.
Or le transport aérien est un secteur dont les émissions ont explosé – plus un quart depuis 2012 au niveau européen – et qui a le plus mauvais bilan d’émissions par passager par kilomètre dans le secteur du transport. Au-delà de nos écrits il n’y a pas eu de réaction spécifique. Comme je vous le disais auparavant, le HCC documente et souligne clairement les enjeux, les gouvernements assument ensuite leurs choix au sein du jeu démocratique.
Pourquoi continue-t-on de suivre un objectif comme la croissance verte, alors que l’on a des preuves scientifiques empiriques de son impossibilité ?
Concernant la croissance verte, on est clairement dans le discours, dans une dimension idéologique. Ce n’est pas un défaut en soi, on a besoin de grilles de lectures, encore faut-il le reconnaître et ne pas obscurcir son jugement. Dans le cas d’espèce, il s’agit de concilier une aspiration et une inquiétude légitimes – ne pas détériorer notre environnement de vie – et un système économique qui fonctionne par une accumulation matérielle et énergétique incessante – qui détériore notre environnement de vie. C’est un des derniers avatars de la notion de développement, une notion très politique dès l’origine puisqu’elle naît dans un contexte de guerre froide avec le discours de Truman en 1949. Sur les dernières décennies on a eu le développement humain dans les années 80, puis le développement durable dont les objectifs officiels ont été adoptés par les Nations unies il y a cinq ans, peu de temps avant l’accord de Paris. Et donc sa variante croissance verte. Tout cela reste fondé sur une accumulation matérielle sans fin.
Derrière le discours de la croissance verte il y a la théorie qu’on peut découpler la croissance du PIB de ses conséquences environnementales négatives, en premier lieu les émissions de gaz à effet de serre. Dans son rapport annuel 2020 le HCC a publié un encadré sur la croissance du PIB et les émissions de GES – on ne s’est pas penché sur la question de la quantité de matières premières extraites, qui elle ne cesse d’augmenter depuis le début du siècle. Concernant la relation PIB/GES, on constate depuis plusieurs décennies un découplage relatif – plus de croissance du PIB pour la même quantité d’émissions – voire depuis 2005 un découplage absolu–croissance du PIB, décroissance des émissions – dans certains cas d’économies dites développées, principalement d’Europe du nord. Ce qui ressort tout aussi clairement, c’est que le rythme constaté de ce découplage, même à supposer qu’il s’étende à la planète dans son entier, n’est absolument pas compatible avec les objectifs de température de l’accord de Paris dans l’état actuel des technologies et des comportements. Et ce serait aussi faire abstraction des risques que font courir les impacts d’un changement climatique qui lui, ne décroît pas.
Donc vous pouvez appeler ce découplage croissance verte, développement durable ou capitalisme radieux, peu importe : c’est insuffisant pour respecter les objectifs de l’accord de Paris. Il faut mettre en place des politiques d’atténuation et d’adaptation solides. (…)
Pour finir notre entretien, imaginez que vous ayez un.e ami.e d’une trentaine d’années qui souhaite quitter son travail pour se consacrer à la lutte contre le changement climatique. Quels seraient vos conseils pour être le plus efficace possible ?
Il y a plusieurs manières d’être efficace – notion à manier avec précaution, elle nous a en partie conduits là où nous en sommes. On peut l’être à son échelle individuelle ou porter ses efforts dans la transformation du collectif. Par exemple ce pourrait être trouver un job dans un secteur émetteur et en changer les pratiques, les process, les produits. Ou travailler sur les aspects très enthousiasmants de cette transition – on n’est pas obligé de s’enfermer dans le discours très négatif, qui n’évoque que des pseudos privations, des climatosceptiques. C’est pour cela que les mouvements pro-climat des étudiants en tant que futurs employés sont si importants – spontanément je pense à Pour un réveil écologique, à SupAéro décarbo, mais il y en a d’autres. C’est aussi là que ça va se jouer. Aujourd’hui les cursus universitaires et les formations qui n’intègrent pas la dimension climatique et environnementale sont à côté de la plaque. Les nouveaux travailleurs, cadres, fonctionnaires, doivent avoir en tête les enjeux et les ordres de grandeur de cette problématique. Il n’est pas nécessaire d’en faire une obsession mais ça ne peut pas non plus rester un impensé collectif. Donc être efficace, c’est aussi en parler, faire changer les regards et les mentalités.
Déni du réchauffement, mépris pour les renouvelables, haine des réfugiés climatiques : le ‘ fascisme fossile ‘
Sophie Chapelle
www.bastamag.net/extreme-droite-Europe-rechauffement-climat-negationnisme-vote-energie-fossile-automobile-renouvelables-frontiere-racisme-ecologie
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Que disent les principaux partis d’extrême droite en Europe à propos du changement climatique ? Négationnisme, promotion des énergies fossiles et de l’industrie automobile – souvent au détriment des ouvriers qui y travaillent –, opposition à toute mesure de lutte contre le changement climatique…
C’est un étrange paradoxe. L’intensification des évènements météorologiques extrêmes et le dérèglement du climat coïncident avec la montée de l’extrême droite, une force politique qui nie catégoriquement ces phénomènes. Le Zetkin Collective [1], un groupe composé de chercheurs, d’activistes et d’étudiants, vient de publier un livre sur le « fascisme fossile » aux éditions La Fabrique. Ils examinent ce que les principaux partis d’extrême droite ont dit, écrit et fait à propos du climat et de l’énergie dans treize pays européens, dont la France [2].
Entre déni et mensonges
Parmi les enseignements, le négationnisme climatique pur et dur – c’est-à-dire le déni des causes et des conséquences du réchauffement – constitue encore aujourd’hui la ligne majeure de plusieurs partis d’extrême droite en Europe. En Allemagne, l’AfD, lorsqu’elle est entrée au Bundestag en 2017, affiche une position sans équivoque sur le changement climatique. Ce dernier serait « à l’œuvre depuis le début de l’existence même de la Terre ». Selon l’AfD, l’alternance froid-chaud des températures a toujours eu lieu. Davantage de CO2 permettrait même des récoltes plus abondantes… Ce dernier argument a aussi été utilisé en 2016 par le parti réactionnaire polonais Droit et justice. Selon son ministre de l’environnement, « il n’y a pas de consensus scientifique » sur le changement climatique.
Même tonalité aux Pays-Bas avec le Forum voor Democratie (FVD). En Grande-Bretagne, Nigel Farage, fondateur de UKIP (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni) a brandi en 2013, devant le Parlement européen, deux imprimés de la Nasa censés prouver que la calotte glaciaire arctique s’était accrue de 60 % en un an, et dont il faisait une lecture erronée. « Nous entrons actuellement dans une période de 15 à 30 ans de refroidissement climatique global. Nous avons fait l’une des plus grosses et stupides erreurs collectives de tous les temps en nous inquiétant d’un réchauffement climatique », tonne alors celui qui a également allègrement menti lors de la campagne pour le Brexit. En Espagne, l’entrée au Parlement en avril 2019 du parti néo-franquiste Vox a aussi été marquée par le retour du négationnisme climatique. Pour Santiago Abascal, président de ce parti d’extrême droite, le réchauffement est la « plus grande escroquerie de l’histoire ».
Au fondement de cette machine du déni figure une doctrine, le « capital fossile » qui se développe depuis le début du 19ème siècle en puisant et brûlant du charbon, du pétrole et du gaz. Une pléthore de think tanks américains ont germé pour contester les alertes sur le réchauffement que les énergies fossiles génèrent. Ils ont reçu l’appui de multinationales de l’énergie comme Exxon, Shell ou BP, de constructeurs automobiles comme General Motors, Ford et Chrysler, ou de géants de la chimie tel DuPont… L’industrie pétrolière connaissait pourtant dès 1965 les conséquences de l’extraction d’énergies fossiles sur le réchauffement [3].
Il a fallu attendre le milieu des années 1990 pour qu’une partie de ces multinationales reconnaissent l’existence du changement climatique et le besoin d’y remédier. Depuis, elles rivalisent d’imagination pour communiquer sur leurs stratégies « charbon et pétrole propres », leurs projets de capture et de stockage du CO2, de « gaz vert », de marché du carbone, de mécanismes de « compensation volontaire », de plans d’entreprises pour la neutralité́ carbone… Plusieurs partis d’extrême droite européens continuent de défendre ardemment ce capitalisme fossile. En Finlande, l’industrie de la tourbe, qui produit massivement des gaz à effet de serre, est ainsi vivement soutenue par le Finns Party (Parti des Finlandais) qui a même envisagé d’exempter cette production de toute taxe. Le fief du Finns se situe à l’ouest du pays, bastion de cette industrie : sur les quinze municipalités qui ont le plus voté pour l’extrême droite finlandaise en 2015, quatorze produisent de la tourbe.
Défendre le charbon et l’automobile aux dépens du climat et… des ouvriers
L’UKIP de son côté rêve de donner un nouveau souffle à l’industrie du charbon. « Notre politique c’est la réouverture des mines, confiait Roger Helmer, membre du parti. Nous avons assez de réserves de charbon pour les 200 prochaines années au moins ». En Allemagne, l’AfD multiplie les messages pro-charbon. Une stratégie payante : l’AfD a obtenu plus de 30 % des voix dans la région de la Lusace, à l’Est, riche en lignite. En Pologne, Droit et justice (PiS), qui a obtenu en 2015 une majorité́ parlementaire absolue, mise aussi sur le charbon. Pour son ministre de la Défense, « la Pologne est fondée sur le charbon, et cela ne changera pas ». Le PiS défend l’idée d’un « charbon propre » aux dépens des énergies renouvelables qu’il méprise.
En Hongrie, le gouvernement Fidesz (droite extrême) pourvoit assidûment aux besoins du secteur automobile. Une loi de 2018 connue sous le nom de « Slave Law » (loi esclavagiste) a autorisé les entreprises à exiger de leurs employés jusqu’à 400 heures supplémentaires contre 250, et à attendre trois ans, au lieu d’une année, pour les rémunérer. La même année, BMW annonçait la construction d’une nouvelle usine en Hongrie. La part des voitures dans les exportations du pays pourrait, selon les prévisions, passer d’un tiers à presque la moitié́.
Haine des énergies renouvelables
Répondant à une question au parlement au sujet du rapport récent du GIEC, un ministre du Fidesz déclare, en octobre 2018, que « le degré́ auquel les activités humaines impactent le climat est discutable ». Pas question, donc, d’envisager de changer de modèle. « Avec des impôts enlevés, des normes environnementales importantes et une législation climatique absurde, nous mettons notre socle industriel en danger alors qu’il constitue la base de nos emplois et de notre prospérité́ », déclare Manfred Haimbuchner, ancien vice-président du FPÖ (Parti de la liberté́), l’extrême droite autrichienne.
Si les partis d’extrême droite défendent la souveraineté nationale, ils abhorrent généralement le développement des énergies renouvelables sur leur propre territoire, vouant une haine particulière à l’énergie éolienne. En 2012, Roger Helmer (UKIP) admet détester les grands parcs solaires, mais « [haïr] par-dessus tout les éoliennes car elles sont le symbole de déchets inutiles et colossaux, et du politiquement correct futile ». Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national (ex-Front National) qui dit ne rien avoir contre le solaire ou les bio-carburants, souhaite un moratoire immédiat sur la construction des éoliennes car « c’est immonde et ça ne marche pas ». Au printemps 2019, son parti a lancé une campagne spécifique contre les éoliennes qualifiées de « pollution sonore et visuelle » et de « drame pour l’environnement ».
En 2018, au Danemark, le DF (Parti populaire danois) annonce qu’il s’opposerait à toute construction de parcs éoliens terrestres et n’acceptera que des projets offshores. Sous pression, le gouvernement a réduit le nombre d’éoliennes terrestre de 4300 à 1850 d’ici 2030 tout en planifiant la construction de trois nouveaux parcs offshores. Plus de la moitié des éoliennes actuelles vont donc être démantelées dans les dix années à venir. En Allemagne, l’AfD considère les renouvelables comme non fiables, chères, destructrices de « l’image de nos paysages culturels » et constituant un « danger mortel pour les oiseaux ». Le même rejet de la part des partis d’extrême droite est observé en Hongrie, en Espagne et en Suède, qui n’ont pourtant pas ou peu de ressources pétrolières, charbonnières ou minières. Pour Martin Kinnunen, porte-parole des Démocrates suédois (DS, le parti d’extrême droite local), « il n’y a pas de bonnes alternatives aux énergies fossiles ». Plutôt que de recourir aux énergies renouvelables, il préconise l’importation de gaz et du charbon.
L’extrême droite européenne unie contre l’accord de Paris
Le Collectif Zetkin observe également une résistance systématique des partis d’extrême droite en Europe à toute tentative d’instaurer une gouvernance climatique – même capitaliste. Suite à la signature de l’Accord de Paris fin 2015, le Finns Party en Finlande, a jugé l’accord « catastrophique » pour l’économie nationale, exigeant qu’on épargne le secteur privé et les contribuables de ses conséquences économiques désastreuses. Les Démocrates suédois ont été le seul parti à voter contre la ratification de l’accord, puis à défendre un retrait. Aux Pays-Bas, le PVV (Parti de la liberté́) qualifie le texte d’ « inepties qui ne font qu’ajouter un fardeau supplémentaire sur notre peuple ». Au Royaume-Uni et en Allemagne, les droites extrêmes font pression pour une sortie de l’accord de Paris comme de tous les accords climatiques signés par leur pays. En Autriche, le FPÖ le qualifie de « tromperie ».
Le Front National est sur la même ligne : entre 2009 et 2014, le parti de Marine Le Pen vote contre chacune des treize réformes climatiques – réduction des pollutions, augmentation de la production renouvelable… – débattues au Parlement européen.
« Le meilleur allié de l’écologie, c’est la frontière »
En France, Marine Le Pen rallie initialement les négationnistes climatiques. Puis, en 2014, le FN lance un « Collectif Nouvelle Ecologie » où l’on aborde la protection de « la famille, la nature et la race »… À la veille de l’élection présidentielle de 2017, le FN se redéfinit comme un parti « éco-nationaliste » luttant pour « une écologie patriotique ». « En défendant le protectionnisme, la production à l’intérieur de nos frontières […], on lutte contre les émissions de gaz à effets de serre », estime-t-elle. Tête de liste durant les élections européennes de 2019, Jordan Bardella semble tout aussi dévoué́ à l’écologie : « C’est par le retour aux frontières que nous sauverons la planète. » « Le meilleur allié de l’écologie, c’est la frontière » résume assez bien ce courant de l’extrême droite.
Pour le Collectif Zetkin, ce nationalisme vert semble avant tout arrimé à la conviction que la protection de la nature passe par celle de la nation blanche. S’il ne nie pas la crise écologique, il l’utilise comme argument pour fortifier les frontières. Le motif qui gouverne tous les autres, c’est de stopper et d’inverser l’immigration.
Le réchauffement climatique, un « complot » contre « les Blancs » et « les pays développés »
C’est une règle qui n’a pas encore été́ démentie : chaque fois qu’un parti européen d’extrême droite dément ou minimise l’importance du changement climatique, il fait dans le même temps une déclaration sur l’immigration. Lors de l’été 2018, la Suède est affectée par des événements météorologiques intenses, marqués par l’absence de pluie entre la fin du mois de mai et août. « Beaucoup y voient la preuve ultime que le monde est en train de sombrer. Est-ce vraiment le cas ? Je ne le crois pas, déclare alors Jimmie Åkessons, le chef des Démocrates suédois. Extrapoler en politique la météo d’un été́ isolé n’est simplement pas sérieux. C’est la pire sorte de populisme qui puisse exister ».
Pour soulager néanmoins les agriculteurs, il suggère d’abaisser considérablement les taxes sur le diesel et l’essence. Åkesson retourne ensuite sur son terrain favori, répétant qu’« il n’y a qu’un seul parti qui priorise la Suède et les besoins des Suédois devant l’immigration de masse venant des quatre coins du monde, et ce parti c’est le nôtre. » Cette année-là, les Démocrates suédois consolident leur position de troisième force politique du pays lors des élections.
En France, lors d’une conférence en 2010 dédiée au climat, Jean-Marie Le Pen évoque le « catastrophisme » qui « permet de faire accepter une hausse du nombre de réfugiés climatiques ». Il considère le changement climatique comme un « complot politique » contre « les Blancs, les pays développés, [tenus pour] responsables de la misère du monde ». En Italie, Matteo Salvini, secrétaire fédéral de la Ligue du Nord, n’a de cesse de tourner en dérision la notion de « réfugiés climatiques » : « Ça suffit maintenant, nous en avons déjà̀ trop accueilli. Est-ce que quelqu’un qui quitte Milan car il n’aime pas le brouillard doit être considéré́ comme un migrant climatique ? » Lors des élections autrichiennes de 2017, le FPÖ déclare que les impacts du changement climatique ne doivent jamais devenir une justification pour l’asile en Europe. Depuis 2010, observe le Collectif Zetkin, l’extrême droite a dans son écrasante majorité́, retiré le sujet du climat de l’agenda politique, par peur qu’il ne détourne l’attention de ses obsessions migratoires.
L’Europe, incubateur du lien entre race et énergie fossile
Les auteurs pointent enfin la façon dont l’extraction des énergies fossiles est inextricablement liée à la question raciale. Si les énergies fossiles marquent l’apogée de la domination de la nature, elle marque aussi la domination sur des peuples non-blancs comme les Amérindiens ou les Ogoni dans le delta du Niger. « L’accaparement et l’empoisonnement de leurs terres n’est admissible que si leur valeur humaine est diminuée, observent les chercheurs. Les exploits qui font la fierté́ des « races civilisées » n’auraient jamais pu être accomplis sans les matières premières, les marchés d’outre-mer et l’esclavage africain. » Or, le danger à leurs yeux du fascisme fossile est de réactiver ces articulations anciennes de la race et de l’énergie.
À ce titre, le cas de l’Autriche inquiète, après l’accord électoral finalisé en 2020 entre les Verts et les conservateurs de l’ÖVP. « Nous avons réussi à unir le meilleur des deux mondes. Il est possible de protéger à la fois le climat et les frontières » déclarait ainsi le chancelier Sebastien Kurz (ÖVP). Le programme du gouvernement inclut un plan pour une électricité́ issue à 100 % des énergies renouvelables d’ici 2030 et l’interdiction du hijab pour les écolières jusqu’à 14 ans ; la réduction du prix des transports publics et le placement des demandeurs d’asile en « détentions préventive » – tout en baissant les impôts des entreprises. Pour le Collectif Zetkin, un « fascisme écologique n’est plus inimaginable ».
Zetkin Collective. Fascisme fossile. L’extrême droite, l’énergie, le climat. Coordonné par Andreas Malm. La fabrique éditions. Sortie : 22 octobre 2020.
Notes
[1] Le collectif tire son nom de l’auteure Clara Zetkin qui, en 1923, acheva l’écriture du premier essai s’intéressant en profondeur au fascisme de l’intérieur du mouvement ouvrier. Clara Zetkin y lançait un appel en faveur « d’une structure spécifique pour mener le combat contre le fascisme, constitué des partis et organisations des travailleurs de tous horizons » et énumérait six grandes tâches. La première étant de « collecter des faits sur le mouvement fasciste dans chaque pays ».
[2] Les 13 pays européens sont l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Hongrie, l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, la Suède, et la Grande-Bretagne.
[3] « Early Oil Industry Knowledge of CO2 and Global Warming », Nature Climate Change 8 (2018, p. 1024-5).
Herri xehea antolatu, egunerokoa alda dadin
Ekhi Erremundegi Beloki
www.berria.eus/paperekoa/2003/008/001/2020-10-22/herri-xehea-antolatu-egunerokoa-alda-dadin.htm
Article
Alda mugimendu sortu berriak auzoetako kolektiboak eta erabiltzaile kolektiboak osatu nahi ditu, herri xehearen eguneroko arazo materialei erantzun bat emateko. AEBetatik eratorritako ‘community organizing’ teknikak erabiliko dituzte.
Herri xeheari tresna bat eskaintzea. Hara zer den Alda mugimenduaren xedea. Isolamendua nagusitu den eremuetan antolaketa kolektiboa sortu nahi dute, auzoetako kolektiboak eta erabiltzaile kolektiboak sortu, herri xeheak egunerokoan dituen arazo materialei erantzuteko.
Malika Peyrault (Akamarre, Nafarroa Beherea, 1987) eta Xebax Christy (Aiherra, Nafarroa Beherea, 1979) izendatu zituzten Alda mugimenduaren presidente urriaren 10ean Baionan egin zuten biltzar nagusi eratzailean. ELA sindikatuaren Manu Robles Arangiz fundazioko kideak dira biak. Izatez, egitura horretan abiatu zuten Alda mugimendua ekarri duen gogoeta, 2016. urtean. Egiaztapen batetik abiatu ziren: herri xeheak arazo materialak ditu, baina usu bakarrik eta isolatuak dira horien aitzinean. «Deskonexio sozial bat bada». Garai batean langile auzoak biziarazten zituzten mugimendu egituratu handiak erori dira azken bi hamarkadetan, izan Eliza ala sindikatuak, eta elkarte mugimendua ere itzalean da. Zenbat eta bakartuago egon, «segurtasunik ezaren sentimendu handiagoa dute herritar horiek», eta horrek bozetan abstentzioa eta eskuin muturra indartzen ditu. «Ohartu gara gure mugimenduetan ez dugula inolako loturarik herri xehearekin: eskasia bat bada. Mugimendu militante orotan egiten den galdera da: nola iritsi jende horiengana?», azaldu du Christyk.
2013ko urrian Bretainian sortu zen Buruko Gorrien mugimenduak piztu zuen gogoeta fundazioan, eta 2018an abiatu zen Jaka Horien mugimenduak baieztatu zuen. «Langile klase horiez okupatzen ez garen bitartean, gure borroka ekologiko eta sozialetan beti izanen ditugu gure parean, gure aurka. Hor ikusi zen herri xehearekin eta haren baitan lan egiteko beharra», dio Christyk. Hiru eginkizun finkatu dituzte: herri xehe horren eguneroko arazoak konpontzea, komunitate bat eskaintzea eta jendearen bila banan-banan joatea. «Ezin dugu jendea noiz etorriko beha egon».
Saul Alinsky soziologo-militanteak zabaldutako community organizing kontzeptuan oinarritu dira. Bi oinarri aipatzen dituzte: atez ate jendearengana joatea eta haserreak bertikalizatzea. Christy: «Haserreak lehenik horizontalki adierazi ohi dira. Adibidez, bizitegi batean, beti bada harrabotsa, gazteak atarian egoten direlako. Zergatik daude atarian? Ez dute gelarik? Ez: lehen zentro sozial bat bazen, baina itxia izan zen. Ala bizitegiak gaizki isolatuak dira, eta horregatik entzuten da dena. Hori ez da gazteen erantzukizuna: gizarte alokatzailearen ala botere publikoen erantzukizuna da». Horrek eramaten ditu desberdin ikustera arazoa, eta, beraz, erantzuleak. Horri deritzote haserreen bertikalizazioa.
2018ko otsailean, Frantziako zenbait hiritan community organizing tekniken bidez zeramaten lana ezagutzera joan ziren. «Kontzientzia hartu genuen mugimendu berezitu bat behar zela, eta denbora beharko zela emaitzak lortzeko», azaldu du Christyk. Community organizing metodoak barneratzeko saio bat egin, eta aurtengo otsailean hogei bat kideren artean hasi dira lanean. Elkarrizketa kualitatiboak egin dituzte, pertsona identifikatuekin: gizarte langileak, eskoletako zuzendariak, auzoetako erreferenteak… Proiektua landu, ikasi eta osagarritasunak irudikatzeko. Christy: «Metodo batekin, antolaketa batekin eta praktika militante batzuekin gatoz; ez ditugu soluzioak eta proiektuak eginak prest. Jendearekin batera definituko dugu». Uztailean bost eguneko mintegi batean osatu zituzten taldearen ituna, estatutuak, antolaketan, xantierrak eta egutegia. Manu Robles Arangiz fundazioaren eta ELAren baitako baieztapen prozesuaren ondotik, larunbatean sortu ziren.
Kolektiboetan antolatua
Bi egitura nagusi izanen ditu Aldak: auzoetako kolektiboak eta erabiltzaile kolektiboak. «Helburua da herritarrak ahalduntzea. Ohar daitezela antolatuz arazoak eta erantzuleak identifikatu ditzaketela, ekintza batzuen bidez gauzak aldatu ditzaketela», azaldu du Peyraultek. Auzo mailako «kanpaina txikiak» bultzatu nahi dituzte, herritarrak ez daitezen «indargabe» sentitu. Erabiltzaileen kolektiboak logika berari erantzunen dio, baina, antolaketa geografikoa izan ordez, erabiltzen duten zerbitzu batean pairatzen duten injustizia bati erantzutea izanen da ideia. Urtarrilean hasiko dira zehazki lanean: Baionako bi auzo hautatuko dituzte bertan kolektiboak sortzeko, eta erabiltzaile kolektibo bat: printzipioz, gizarte laguntza andana kudeatzen duen CAF familien laguntza kutxako erabiltzaileena. Denborarekin, auzo gehiagotara eta Baionatik kanpora ateratzea lukete xede, baita erabiltzaile kolektibo gehiago sortzea ere.
Bestetik, zuzenbide arloa erabiliko dute, laguntza juridikoa emanez, izan kasu kolektiboei, edo kasu indibidual enblematikoei. Prestakuntzak ere emango dituzte, hainbat egiturak nola funtzionatzen duten ulertzeko.
Urtarrila bitarte, prestaketa lanean arituko dira. Baionako hamasei auzotako herritarrengana joko dute Eta aldatuko balitz? izeneko galdeketa batekin. Auzoen argazki bat atera nahi dute, analisia egin, gerora ezarriko dituzten lehentasunak identifikatzeko; eta, era berean, mugimendu sortu berria ezagutarazteko aukera bat ere izanen da. Mugimenduaren izen bereko aldizkari bat banatuko dute, 20.000 aletan, dohainik, urtean lau aldiz.
Mugimendu independentea
Antolaketa aldetik, Robles Arangiz fundazioaren eta ELAren babesa izanen dute, baina mugimendu independentea izanen da. Biltzar nagusiak izendatutako administrazio kontseiluak kudeatuko du elkartea urtarrilera arte. Baina urtarriletik aitzina berrituko dute, hunkitua den jendeak integratuz. Urteroko biltzar nagusi batek gidatuko du mugimendua, eta, horren alboan, lau hilabetean behin bildu den kontseilu estrategiko bat izanen du, kolektibo eta lan batzorde bakoitzeko arduradun batekin. Kolektiboek autonomia handia izatea nahiko dute. Hiru-lau urtean behin kongresua eginen dute, bide orriak zehazteko.
Komunikazio elebiduna izanen du mugimenduak, baina nagusiki frantsesez funtzionatuko du. «Ahalik eta elebitasun handiena nahi dugu komunikazioan, baina jendeak hasieratik pentsatu gabe ‘Hau ez da niretzat, euskaldunentzat da’. Egunerokoan, frantsesa izanen da gure hizkuntza. Bestela ere, hori da hemen errealitate soziolinguistikoa», azaldu du Christyk. Malika Peyrault: «Guk nahiko genukeena da Alda zubi bat izatea euskara eta euskal kulturara heltzeko».