Articles du Vendredi : Sélection du 23 octobre 2015

Les Etats préparent un réchauffement climatique supérieur à 3°C !

Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France
http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes/211015/les-etats-preparent-un-rechauffement-climatique-superieur-3-c

COP21: «C’est comme si un cigarettier finançait un hôpital!»

Isabelle
www.liberation.fr/planete/2015/10/22/cop21-c-est-comme-si-un-cigarettier-financait-un-hopital_1407995

Exclusif: les bénéfices climatiques inattendus de la gestion des déchets

Stéphanie
www.journaldelenvironnement.net/article/exclusif-les-benefices-climatiques-inattendus-de-la-gestion-des-dechets,63207

Les Etats préparent un réchauffement climatique supérieur à 3°C !

Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France
http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes/211015/les-etats-preparent-un-rechauffement-climatique-superieur-3-c

Evaluation ! Une majorité d’Etats de la planète ont désormais rendu public leurs objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre pour la période post-2020. Le verdict est sans appel : les Etats proposent de sauter à pieds joints dans le chaos climatique qu’il nous faut éviter.

Sur les 195 Etats-membres de l’ONU, 150 ont désormais fait connaître leur contribution à la lutte contre les dérèglements climatiques (INDC dans le jargon de l’ONU). Ces contributions nationales, volontaires et non contraignantes, comportent notamment des objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre pour la période postérieure à 2020. Ces 150 pays représentent environ 90 % des émissions mondiales, soit un seuil suffisant pour avoir une idée de l’ampleur du réchauffement climatique qui découle de ces propositions.

2,7°C de réchauffement maximal ? Une tromperie !

Dans la presse, un chiffre a été repris par de nombreux négociateurs et commentateurs (voir ici sur FranceTVInfo, ici sur le site de l’Obs ou encore ici dans le Guardian) : la lutte contre les dérèglements climatiques serait sur la bonne voie car les engagements des Etats permettraient de maintenir le réchauffement climatique aux alentours de 2,7°C par rapport à l’ère pré-industrielle. Ce serait un premier pas avant d’aller plus loin, et pouvoir revenir sur une trajectoire de réchauffement maximal de 2°C d’ici à la fin du siècle.

Cette présentation est trompeuse. L’étude d’où est issu ce chiffre donne une fourchette allant de 2,2°C à 3,4°C. Soit un écart incroyable de 1,2°C, supérieur au réchauffement climatique actuel : bref, l’incertitude règne ! Il n’est d’ailleurs jamais rappelé que 2,7°C de réchauffement serait un réchauffement trois fois supérieur au réchauffement actuel (0,85°C) qui génère déjà de graves conséquences aux quatre coins de la planète. Plus important, ces contributions volontaires conduisent à un accroissement continu des émissions jusqu’en 2030, pour atteindre 53-55 gigatonnes de CO2e en 2030, soit un écart de 15-17 Gt CO2e par rapport à la limite maximale d’émissions que recommande le GIEC pour rester en deça des 2°C.

Plus important, de tels niveaux d’émissions en 2030 pourraient rendre impossible un retour sur une trajectoire de réchauffement maximal de 2°C, plus encore pour rester en deçà de 1,5°C. L’étude explique que pour revenir sur une trajectoire de 2°C, il faudrait passer à des taux de réduction d’émission annuels de 3 ou 4% – là où les Etats se sont engagés à des objectifs maximums de 1,5% par an d’ici 2030. Soit des objectifs annuels qui pourraient “ne pas être techniquement possibles” et qui seront en tout cas très “coûteux”. Il faut donc comprendre que le calcul conduisant à un réchauffement maximum de 2,7°C d’ici la fin du siècle est établi sur la base de ces taux de réduction de 3 à 4% par an à partir de 2030. Cette hypothèse est peu fondée et laisse croire qu’on pourrait attendre quelques années supplémentaires avant de s’engager pleinement dans la réduction des émissions. Ce n’est bien-évidemment pas le cas puisqu’en matière de climat, tout retard pris n’est pas rattrapable : les émissions s’accumulent au cours des années dans l’atmosphère et c’est bien le stock qui détermine le réchauffement climatique, plus que le flux d’une année donnée.

Une nouvelle étude, menée par la société civile

Les ONG, associations et syndicats internationaux (voir liste ci-dessous) ont décidé de réaliser leur propre évaluation des contributions volontaires des Etats. L’étude a été rendue publique ce mardi 20 octobre à Bonn, en Allemagne, à l’occasion de la dernière semaine de négociation intermédiaire avant la conférence de Paris – Le Bourget. Les résultats sont sans équivoque : les contributions volontaires des Etats sont inacceptables car elles préparent un réchauffement climatique supérieur à 3°C et elles ne sont absolument pas équitables. C’est un des points saillants de cette étude que de prendre en compte la responsabilité historique des Etats et leur inégale capacité à agir pour analyser leurs contributions initiales. La société civile appelle donc les Etats à revoir leur copie. Un verdict bien éloigné de tous ces négociateurs et commentateurs qui laissent entendre que les Etats seraient sur la bonne voie en matière de lutte contre les dérèglements climatiques.

Voici les principaux résultats de l’étude (résumé en anglais ici – et démarche présentée sur ce site) :

  1. Pris conjointement, les engagements des Etats ne permettent pas de rester en deçà des 2°C, et encore moins 1,5°C. Même dans le cas (hypothétique) où tous les Etats réalisaient effectivement leurs promesses, le réchauffement climatique pourrait être supérieur à 3°C, soit une très forte probabilité d’embarquer sur un scénario d’emballement climatique dangereux et non maîtrisable ;
  2. Les contributions des Etats représentent moins de la moitié des réductions d’émission qu’il faudrait réaliser pour 2030 ; les engagements actuels représentent donc une très faible part de ce qui devrait être fait (voir le schéma ci-dessous) ;
  3. Si l’on tient compte de leurs engagements financiers, les contributions de la majorité des pays développés sont très éloignées de la juste part qu’ils devraient réaliser : la contribution du Japon représente 10% de ce qu’il devrait mettre sur la table en terme de réduction d’émissions et de financement, les Etats-Unis 20% et l’Union européenne un peu plus de 20%.
  4. La majorité des pays en développement ont mis sur la table des objectifs de réduction d’émission qui sont compatibles avec leur juste part, ou qui s’en rapprochent, tout en ayant un potentiel de réduction d ‘émissions supérieur à leurs engagements actuels ;
  5. Alors que les financements climat sont absolument clefs pour que les pays développés prennent leur juste part dans l’effort global, il y a clairement un manque de moyens mis à disposition pour faire face aux coûts de l’adaptation et aux pertes et dommages que subissent notamment les pays les plus vulnérables face aux dérèglements climatiques.

L’écart entre le nécessaire et ce qui est sur la table !

Les exigences :

  1. l’accord de Paris devrait se baser sur une approche en terme de budget carbone afin de déterminer les objectifs des pays, à la fois en terme de réduction d’émission et de financement. Sur cette base, des objectifs agrégés devraient être adoptés pour 2020, 2025, 2030, 2040 et 2050, afin de fournir une feuille de route permettant de conserver une chance raisonnable de rester en deçà de 1,5°C ou, au pire, 2°C de réchauffement. L’objectif de décarbonisation totale de l’économie mondiale doit-être fixé à 2050 et non à la fin du siècle.
  2. L’accord de Paris doit inclure un mécanisme efficace afin que les engagements des Etats soient revus à la hausse à chaque échéance, sur la base des recommandations scientifiques et des exigences d’équité, sans possibilité de revenir en arrière.
  3. De substantiels engagements supplémentaires doivent être pris en terme de financements publics pour des politiques efficaces de réduction d’émission et d’adaptation dans les pays qui en ont besoin.
  4. Les Etats doivent revoir à la hausse leurs politiques nationales de transition énergétique afin de sortir de l’âge des énergies sales.

Si l’on écoute les commentateurs – et notamment les négociateurs français – le processus de récolte des contributions nationales volontaires serait un immense succès, compte tenu que la majorité des pays ont rendu leur copie et qu’elles seraient une base pour aller plus loin. Cette étude – dont il se dit qu’elle ne plait pas vraiment à la présidence française de la COP21 – montre que ces commentaires sont bien trop optimistes et qu’ils ne sauraient cacher le manque d’ambition de ces contributions volontaires nationales.

Complèments :

  • parmi les organisations à l’initiative de cette évaluation : Action Aid International, Climate Action Network, CARE international, Christian Aid, CIDSE, Friends of the Earth International, Iternational Trade Union Confederation, Oxfam, Third World Network, WWF International, etc.
  • Ce travail d’évaluation a été réalisé sur la base d’un budget carbone offrant une faible probabilité de rester en deçà de 1,5°C de réchauffement climatique, et 66 % de chance de rester en deçà de 2°C. C’est un budget carbone très risqué et relativement peu ambitieux : les résultats de l’évaluation n’est que plus frappant. L’évaluation tient compte des responsabilités historiques des différents pays, et des différences dans les capacités à agir.

COP21: «C’est comme si un cigarettier finançait un hôpital!»

Isabelle
www.liberation.fr/planete/2015/10/22/cop21-c-est-comme-si-un-cigarettier-financait-un-hopital_1407995

Une ONG veut mettre fin à l’interférence des sociétés très émettrices en gaz à effet de serre sur les négociations climatiques vers la COP21.

 

Dans l’enceinte du World Conference Center de Bonn, où se tiennent cette semaine les négociations intermédiaires vers la COP21, les entreprises peuvent se balader, un badge «observateur» autour du cou. Qui leur donne accès, au même titre que les syndicats, les scientifiques et les ONG, à certaines négociations, pas forcément ouvertes à la presse. Pilotée par l’ONG Corporate Accountability International, la campagne «Kick Big Polluters Out of Climate Policy» («dégagez les gros pollueurs des négociations sur le climat») est lancée ce jeudi pour tenter de mettre fin à l’interférence des sociétés très émettrices en gaz à effet de serre – énergéticiens, entreprises pétrolières, gazières, charbonières… – sur les négociations climatiques sous l’égide de l’Onu. Jesse Bragg, l’un des porte-parole de Corporate Accountability International, qui a fait ses classes chez les Démocrates américains, établit un parallèle entre lutte contre les responsables du changement climatique et combat contre l’industrie du tabac, mené dans le passé par son organisation.

Comment le secteur privé peut-il influencer les négociations?

Les choses se passent surtout au niveau national, avec des actions de lobbying plus ou moins discrètes. Cela arrive fréquemment dans les pays du Nord, en Europe et aux Etats-Unis. L’entreprise charbonnière Peabody Coal, par exemple, travaille étroitement avec ALEC, the American Legislative Exchange Council [une organisation ultra-libérale qui réunit le pouvoir législatif de certains Etats républicains et des entreprises privées, ndlr]. Ils sont incroyablement efficaces, et font pression sur toutes sortes de législations environnementales. Par exemple, en ce moment, ils attaquent le Clean Power Plan d’Obama! Ces actions ont forcément un impact sur le niveau d’engagement des Etats-Unis. Mais une de nos plus grandes préoccupations, c’est le «revolving door» («porte à tambour», ou «pantouflage inversé») entre les industriels et les gouvernements au niveau national: des anciens salariés du secteur fossile  sont embauchés au ministère de l’Energie du pays, et influencent ensuite les politiques mises en place.

C’est une influence difficile à mesurer…

La plupart de ces échanges se font à huis clos. Mais on peut regarder certaines données, comme les dépenses en matière de lobbying aux Etats-Unis. Et puis, certaines choses sont difficiles à rater. Par exemple, c’est Shell qui a dicté les objectifs de l’Union européenne en matière d’énergies renouvelables, comme l’a révélé le Guardian. Il faut mettre en place un ensemble de mesures pour diminuer cette influence du secteur privé. Afin que les politiques environnementales soient faites pour protéger l’environnement, et pas pour augmenter les bénéfices des entreprises du secteur fossile.

Avez-vous d’autres exemples récents d’influence des lobbies du secteur fossile sur les négociations?

De temps en temps, on arrive à avoir un aperçu du phénomène. Par exemple, le rapport de la semaine dernière de l’ONG Influence Map [qui montre le «double langage» des majors pétrolières et gazières en matière de politique climatique, et notamment le fossé entre leurs déclarations publiques et leurs véritables activités de lobbying, ndlr]. Ou l’enquête qui est envisagée sur ExxonMobil aux Etats-Unis [alors que des experts connaissaient dès 1977 le lien entre énergies fossiles et réchauffement climatique, Exxon finançait des études climatosceptiques, ndlr]. Une enquête similaire sur l’industrie du tabac avait permis de rendre publics des millions de documents qui révélaient leur stratégie: ils savaient que le tabac donnait le cancer, les enfants étaient une de leurs cibles…

Votre ONG s’est battue contre les cigarettiers…

Lors des discussions autour du Framework Convention on Tobacco Control, nous avons pu contribuer à la sécurisation de l’Article 5.3, une liste de recommandations pour faire face aux conflits d’intérêts chez les cigarettiers qui participaient aux discussions sur la Loi sur la santé publique. Cet article a permis, par exemple, d’interdire les revolving doors, et d’obliger à la transparence – les politiques doivent déclarer s’ils rencontrent des représentants de l’industrie. Cet Article 5.3 a permis de passer d’un simple traité de santé publique à un traité de responsabilité des entreprises. Cela a changé le fonctionnement de l’industrie du tabac. C’est une clé pour comprendre comment nous pouvons appliquer ce sujet au changement climatique. Nous devons réussir à faire changer le fonctionnement des industries du secteur fossiles. Parce que dans beaucoup d’endroits, elles agissent impunément, tout en faisant d’énormes dégâts sur l’environnement.

Vous comparez Big Tobacco avec Big Oil?

Absolument. Si vous regardez leur attitude, les industries fossiles semblent appliquer à la lettre la méthode des cigarettiers. Dans les années 50 et 60, l’industrie du tabac a fait de la propagande avec de la science bidon, qui affirmait que le tabac n’était pas addictif, qu’il ne causait pas de cancers… L’industrie fossile a, pendant plusieurs décennies, asséné publiquement que le changement climatique n’était pas réel, ou alors qu’il n’était pas causé par les activités humaines. Il ont installé des experts comme Willy Soon, un scientifique américain qui, a-t-on découvert, était payé par les entreprises charbonnières et pétrolières. Cela a pour effet de ralentir d’autant la prise de conscience du public, et les possibilités de lutter. Mais je crois qu’aujourd’hui, le message est passé: on sait que le changement climatique et réel et que nous en sommes responsables.

La présence du secteur privé est encouragée par la présidence sortante (péruvienne) et entrante (française) de la COP, notamment avec le «Lima Paris Action Agenda», une liste d’initiatives en faveur du climat venues des collectivités et des entreprises.

Il y a eu de nombreux messages, de la part du Secrétariat de la Convention de l’Onu sur le changement climatique, pour inviter les entreprises à se labelliser «vertes». Le Secrétariat n’est pas le seul à encourager l’engagement du secteur privé, mais d’une certaine façon, ça mine le travail qui est fait pour l’Accord de Paris. Et ça donne à des entreprises avec des états de service catastrophique en matière environnementale la possibilité de se labellisée «vertes», et de dégonfler toute critique sur leurs pratique environnementale.

Total, par exemple, a proposé des initiatives dans le Lima-Paris Action Agenda. C’est très inquiétant, quand on regarde ses états de services en matière de politique environnementale. Il y a aussi des énergéticiens, ou même des grands cigarettiers. Et puis, c’est une attitude classique de ce type de secteurs: quand la règlementation commence à bouger, ces industries sont très volontaires pour s’engager, dans le but d’éviter des régulations contraignantes et permanentes. Ce n’est pas surprenant qu’ils soient prêts à prendre des engagements… Tant qu’ils ne sont pas légalement redevables.

Cette influence du secteur privé, et des gros pollueurs, est en train de s’institutionnaliser dans le traité. Quand vous ajoutez le fait que la COP21 à Paris est sponsorisée par de gros pollueurs… A Varsovie (en 2013), 3 à 5% de la COP avait été financée par le secteur privé. Paris, ce sera au moins 20%! Avec des sponsors comme Engie, Veolia, Suez… Cela donne à l’industrie du charbon un accès privilégié aux négociations. Pendant ce temps, la société civile doit quémander pour avoir petit badge d’accès.


Christiana Figueres, la patronne de la Convention, a dit dans une interview à Libération qu’il fallait que les entreprises du secteur fossile soient présentes, parce qu’elles ont les compétences, la technologie, la surface financière, etc.

Ok, alors trouvez-moi un autre processus où on demande à la cause du problème de trouver une solution au problème! On n’a pas consulté l’industrie du tabac pour savoir comment arrêter de fumer. Nous savions que ça ne marcherait pas. Pourquoi on le ferait avec le climat, en espérant des résultats différents? Cette idée que nous devons impliquer l’industrie fossile dès maintenant, pour qu’on ait l’expertise pour se débrouiller plus tard, est un peu erronée. Le plus important, c’est que l’accord reflète les besoins de ceux qui sont ou seront affectés le plus par le changement climatique, et qui ont le plus besoin de construire une transition juste et durable. Une fois que c’est établi, on aura certainement des occasions, dans l’avenir, de consulter ces industries. Mais les voir co-écrire les règles, maintenant, c’est beaucoup trop tôt. On n’aura que des demi-mesures, pas à la hauteur des enjeux.

Comment comptez-vous vous y prendre pour sortir ces industries de la négociation?

La première étape, c’est de mettre en lumière le conflit d’intérêt que représente le fait d’avoir les industries du secteur fossile, les gros pollueurs, à la table des négociations. Ensuite, il faut que les parties qui négocient réfléchissent au type de protection qu’elles doivent mettre en place. Vu la gravité du problème, ce serait un peu le b.a-ba que ces mesures soient un préalable avant toute décision. Pour protéger le processus contre ceux qui veulent le voir échouer, malgré tout ce qu’ils peuvent déclarer publiquement.

Les gens sont de plus en plus préoccupés par le changement climatique. Même aux Etats-Unis, c’est devenu un thème de campagne! C’est pour ça qu’on doit être très clairs pour dire quels sont les obstacles sur la route de l’Accord de Paris. L’interférence de l’industrie en est un. C’est comme si un cigarettier finançait un hôpital! Ils veulent être là, montrer qu’ils se préoccupent du processus. Mais nous savons qu’ils n’ont aucun intérêt à limiter leurs propres profits.

Exclusif: les bénéfices climatiques inattendus de la gestion des déchets

Stéphanie
www.journaldelenvironnement.net/article/exclusif-les-benefices-climatiques-inattendus-de-la-gestion-des-dechets,63207

Pour être efficaces, les stratégies d’atténuation doivent cibler la prévention et le recyclage des déchets textiles et d’aluminium, ainsi que la prévention des déchets alimentaires et plastiques, selon un rapport européen à paraître le 28 octobre. Une stratégie aux antipodes des politiques actuelles.

 

3%. A lui seul ce chiffre est responsable d’un énorme malentendu. Il représente la part du secteur des déchets dans les émissions européennes annuelles[1]. Un impact si faible que les responsables de Paris ou de Bruxelles n’ont pas jugé utile de l’intégrer dans leur stratégie Climat. Sauf que ce chiffre est loin du compte, selon un rapport réalisé par le cabinet Eunomia[2] pour Zero Waste Europe, Zero Waste France et ACR+, consulté par le JDLE.

 

Vastes lacunes

«La comptabilisation des émissions liées aux déchets relève de la méthodologie mise au point par la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Elle se focalise sur les émissions de méthane provenant des décharges et sur les émissions de CO2 des incinérateurs ne valorisant pas l’énergie. Mais toute une partie des émissions réelles n’est pas prise en compte», analyse Delphine Lévi-Alvarès, responsable du plaidoyer et des relations institutionnelles à Zero Waste France, partenaire de l’étude. Parmi les oublis récurrents: les émissions liées au transport des déchets (incluses dans la partie Transports des inventaires nationaux), celles qui relèvent de l’incinération avec valorisation d’énergie (comprises dans la partie Energie). Sans oublier le gaspillage alimentaire (cf. encadré).

 

Même constat dans l’Hexagone

«Pour compléter les lignes directrices définies par le Giec[3], on a ajouté dans l’inventaire français les émissions provenant des feux de véhicules ou de déchets verts», précise Céline Gueguen, ingénieure au Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa), en charge de l’inventaire national pour le ministère de l’écologie. Cet apport minime ne change guère la donne. Selon l’inventaire 2015 du Citepa, les émissions imputables au secteur hexagonal des déchets ne représentent que 4,6% des émissions nationales (contre 3,2% en 1990).

 

Le poids inexact de l’incinération

Cette comptabilité met en relief le poids des décharges dans les émissions de méthane (23,75% des émissions françaises). Insuffisant pour évaluer une politique Déchets sur le plan climatique. «Un pays d’Europe du Nord qui stocke peu, va au contraire incinérer massivement, et générer de nombreuses émissions de CO2 avec l’importation de déchets qui n’apparaissent pas dans le classement de la convention de l’ONU sur le changement climatique», note Delphine Lévi-Alvarès. «Au niveau européen, l’évaluation d’un Etat membre se borne souvent à son taux d’enfouissement, alors qu’il faudrait au contraire évaluer le taux de prévention, de réemploi et de recyclage, plus importants du point de vue du climat», conclut l’étude d’Eunomia.

 


Des bénéfices climatiques inattendus

Il s’agit du deuxième apport intéressant de ces travaux. En plus de tracer les limites de la comptabilisation actuelle, le cabinet d’études évalue les bénéfices climatiques attendus de toute action sur les déchets, que ce soit la prévention d’une tonne de déchets de papier, de verre, d’aluminium, ou le recyclage de déchets électriques et électroniques, le compostage de déchets verts, la méthanisation de déchets organiques…

Résultat: les économies les plus fortes proviennent –en ordre décroissant- de la prévention des déchets textiles (21 tonnes équivalent CO2 par tonne de déchets évités), et des déchets d’aluminium (13 teqCO2), du recyclage d’une tonne d’aluminium (10 teqCO2), et de textiles (6 teqCO2), de la prévention des déchets alimentaires (4 teqCO2) et des déchets plastiques (3,5 teqCO2) en raison de leur faible valorisation. Ces déchets sont en effet encore fortement dirigés vers les décharges ou les incinérateurs.

«Ce résultat montre que l’impact climatique de nombreux déchets, comme l’aluminium ou les textiles usagés, n’est pas pris en compte par les politiques publiques», commente Delphine Lévi-Alvarès. «Que ce soit au niveau européen ou mondial, les stratégies climatiques font l’impasse sur les déchets alors que la prévention, le réemploi, le recyclage et le compostage présentent des atouts évidents», poursuit-elle. Un message destiné à Bruxelles, alors que le nouveau paquet Economie circulaire doit être présenté le 2 décembre.

 

Le gaspillage alimentaire, ennemi du climat
En septembre 2013, une étude de la FAO a précisé l’empreinte climatique du gaspillage alimentaire au niveau mondial, soit 3,3 milliards de tonnes équivalent CO2 par an. Si c’était un pays, ce serait le troisième pays le plus émetteur après les Etats-Unis et la Chine. Et si rien n’est fait, ce gaspillage devrait encore s’accroître de 50% d’ici 2030.

 

A noter: un débat autour des conclusions du rapport d’Eunomia est organisé le 27 octobre à 18h30 à Paris, à l’espace Superpublic, en présence de Delphine Lévi-Alvarès de Zero Waste France, des parlementaires Sabine Buis, Ronan Dantec, Evelyne Didier, du maire de Roubaix Guillaume Delbar, et de Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat au ministère de l’écologie.
[1] Estimation de l’Agence européenne de l’environnement

[2] Le cabinet d’étude britannique a notamment participé à l’étude d’impact des directives Déchets pour la Commission européenne

[3] Giec: Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat