« Adieu à la croissance », de Jean Gadrey : l’écologie, c’est l’emploi
Hervé Kempf
Article paru dans Le Monde daté du 22.10.10
Le Mexique pessimiste à l’approche
du sommet sur le climat de Cancun
AFP/ROMEO GACAD
Article paru dans Le Monde daté du 19.10.10
Millionnaires : la France se classe au 3e rang mondial
AFP/PHILIPPE LOPEZ
Article paru dans Le Monde daté du 11.10.10
Pour une guérilla sociale durable et pacifique
Philippe Corcuff
Article paru dans Médiapart
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« Adieu à la croissance », de Jean Gadrey : l’écologie, c’est l’emploi
Hervé Kempf
Article paru dans Le Monde daté du 22.10.10
Dans le numéro marquant le trentième anniversaire d’Alternatives économiques, le deuxième magazine économique français, son fondateur, Denis Clerc, fait part d’un regret : « Il y a un point sur lequel je m’interroge : l’ambiguïté entretenue sur la question de la croissance depuis le début du journal. » Certes attentif aux questions d’environnement, Alternatives économiques juge pourtant trop souvent le bien-fondé d’une mesure ou d’une donnée à son effet sur la croissance du produit intérieur brut (PIB). « Il nous faut cesser d’être chauves-souris, mammifères à certains moments, mais animaux volants quand ça nous arrange. Le dernier livre de Jean Gadrey m’a convaincu qu’il faudra finir par trancher. On ne peut plus être favorable à la croissance à court terme et réservé ou critique dans le long terme. »
Il faut saluer l’honnêteté de Denis Clerc, et y voir un tournant : la doxa de la croissance est enfin remise en cause par la fraction la plus éclairée des économistes. Et il faut lire le livre de Jean Gadrey, pour comprendre la pertinence de ce tournant.
Jean Gadrey est professeur honoraire d’économie à l’université de Lille. C’est un expert des comptes de la richesse, et il a participé au travail de la commission Stiglitz sur la mesure du PIB. Son livre commence par un exposé clair des imperfections de cet indice qui fascine politiques et économistes. Jean Gadrey rappelle que le PIB ne mesure ni le bien-être, ni la soutenabilité écologique et sociale. Et que, en revanche, sa croissance est clairement associée avec les dommages à l’environnement. Le livre démontre qu’on ne peut attendre du progrès technologique qu’il résolve le problème écologique dans une société qui voudrait maintenir un taux de croissance de 2 % par an.
Mais Jean Gadrey va plus loin : organisant sa réflexion autour de la nécessité de parer à l’aggravation de la crise écologique, il va chercher à démontrer qu' »une société post-croissance est non seulement une nécessité, mais, moyennant une redéfinition des priorités, correspond à une perspective désirable et crédible de progrès social et de développement humain ».
Une condition en est la remise en question de l’augmentation de la productivité du travail, habituellement considérée par les économistes comme un bien en soi. En réalité, elle est destructrice : produire plus avec autant de travail serait une bonne chose, sauf que, rappelle Jean Gadrey, « il faut en général plus de matériaux, d’eau et d’énergie, que les uns et les autres sont disponibles en quantités limitées, et que certaines ressources naturelles sont proprement vitales ».
Voie féconde
L’abandon de la recherche de gain de productivité est la clé de la nouvelle économie écologique : la plupart des modes de production écologiques demandent plus de travail que les productions polluantes. Une politique environnementale est donc créatrice d’emplois.
Jean Gadrey dresse une prospective pour les principaux secteurs d’activité des créations et des destructions d’emplois entraînées par une politique écologique. Le bilan est sommaire, mais ouvre une voie féconde. Le niveau de vie matériel diminuera. Cela sera compensé par de meilleurs services (transports, logements sociaux, etc.), une meilleure alimentation, plus de temps libre, des biens plus durables, plus de lien social, etc.
Deux conditions, pour parvenir à cette situation : abandonner le PIB comme boussole de l’économie et opérer une redistribution drastique des revenus.
ADIEU À LA CROISSANCE de Jean Gadrey. Les Petits Matins, 192 p., 15 €.
Le Mexique pessimiste à l’approche
du sommet sur le climat de Cancun
AFP/ROMEO GACAD
Article paru dans Le Monde daté du 19.10.10
« Les conditions ne sont pas remplies » pour qu’un « nouveau protocole » sur les émissions de gaz à effet de serre remplace celui de Kyoto à la conférence de l’ONU sur le climat à la fin de novembre à Cancun, au Mexique, a déclaré lundi la ministre des affaires étrangères mexicaine, Patricia Espinosa.
La chef de la diplomatie mexicaine espère cependant que Cancun servira à consolider « un agenda de base » pour la poursuite des négociations.
Le protocole de Kyoto pour réduire les gaz à effet de serre, conclu à la fin de 1997 et entré en vigueur en 2005, arrive à terme en 2012. Par ailleurs, deux des plus gros pollueurs de la planète, la Chine et les Etats-Unis, ne sont pas liés par des obligations de réduction de leurs émissions. La perspective d’obligations contraignantes pour ces deux pays a provoqué d’âpres discussions la semaine dernière lors d’une réunion des ministres de l’environnement européens à Luxembourg. La Grande-Bretagne et l’Italie ont demandé que l’accord de l’UE à une nouvelle phase du protocole de Kyoto soit conditionné à de telles obligations, une position jugée « irréaliste » par les autres pays européens, notamment la France.
Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, considère impossible, lui aussi, un accord international à Cancun et plaide pour une « position réaliste » de l’UE à ce rendez-vous.
« L’offre de l’UE de réduire de 30 % ses émissions [en 2020] reste sur la table comme une offre conditionnelle », a-t-il ajouté. L’Union européenne, qui représente 14 % des émissions de la planète, s’est déjà donné pour obligation de réduire celles-ci de 20 % en 2020 par rapport à leur niveau de 1990. M. Barroso a insisté sur l’engagement de l’UE de financer à hauteur de 2,4 milliards d’euros par an pendant trois ans, de 2010 à 2012, des projets pour aider les pays les plus pauvres à lutter contre les conséquences du réchauffement du climat. Il souhaite que ces engagements soient confirmés au sommet européen organisé dans deux semaines, les 28 et 29 octobre à Bruxelles.
« Les autres pays doivent s’engager à réduire leurs émissions, s’engager sur des objectifs, a souligné la commissaire à l’environnement Connie Hedegaard. Sans conditions, il n’y a plus de pression sur les autres acteurs clés de la négociation. »
« La Chine va compter pour 30 % des émissions globales de gaz à effet de serre, a-t-elle souligné. Il est crucial que [les pays hors UE] s’engagent à faire quelque chose. »
Millionnaires : la France se classe au 3e rang mondial
AFP/PHILIPPE LOPEZ
Article paru dans Le Monde daté du 11.10.10
Le « Quotidien du peuple » relève avec satisfaction que la Chine est devenue le troisième producteur mondial de richesses, derrière les Etats-Unis et le Japon, mais devant la France et l’Inde.
Avec Liliane Bettencourt, François Pinault, Bernard Arnault et consorts, l’Hexagone est la troisième terre d’asile des millionnaires, assure La Tribune, avec 2,2 millions de millionnaires, soit 9 % du total mondial. Loin devant l’Italie (6 %), la Grande-Bretagne (5 %), l’Allemagne (5 %), le Canada (4 %) et la Chine (3 %), mais derrière le Japon (10 %) et surtout les Etats-Unis (41 %), qui comptent 9,94 millions de millionnaires.
Selon le Rapport 2010 sur la richesse mondiale de l’Institut de recherche de Crédit Suisse, la richesse par adulte en France a triplé entre 2000 et 2007, avant de refluer de 15 % depuis. Ce bond a été permis par la forte appréciation de l’euro par rapport au dollar et le faible taux d’endettement des ménages. Si l’Europe fournit 35 % des plus riches, la France fournit un quart de ce contingent.
Par ailleurs, la richesse détenue par les 4,4 milliards d’adultes sur Terre a augmenté de 72 % depuis 2000, pour s’établir aujourd’hui à 195 000 milliards de dollars. Elle devrait encore progresser de 61 % d’ici 2015.
0,5% DE LA POPULATION POSSEDE 35.6% DES RICHESSES MONDIALES
Selon cette même enquête, 24,4 millions d’individus (0,5 % de la population) détiennent plus d’un million de dollars de richesse, soit 35,6 % des richesses mondiales. L’étude révèle que 3,03 milliards disposent de moins de 10 000 dollars de richesse, ce qui signifie que 68,4 % de la population mondiale ne possède que 4,2 % de sa richesse. Si l’on prend en compte la richesse moyenne par adulte, les Suisses sont à la première place. Ils se placent devant la Norvège, l’Australie et Singapour. La France se classe cinquième et les Etats-Unis septièmes.
Par pays, les Etats-Unis restent en tête avec une richesse évaluée à 54 600 milliards de dollars), devant le Japon (21 000 milliards de dollars) et la Chine (16 000 milliards de dollars).
Le Quotidien du peuple relève avec satisfaction que la Chine est devenue le troisième producteur mondial de richesses, derrière les Etats-Unis et le Japon, mais devant la France et l’Inde. » La richesse de la Chine est de 35 % plus élevée que celle de la France et à peu près cinq fois celle de l’Inde. Le Crédit Suisse assure que la richesse des familles chinoises devrait augmenter de 111 % à 35 000 milliards de dollars d’ici à 2015, en dépassant le Japon et devenant le deuxième producteur mondial de richesses, si la tendance de cette augmentation continuait. » La France est la première nation européenne (4ème rang avec 12 100 milliards de dollars), devant le Royaume-Uni et l’Allemagne.
Pour une guérilla sociale durable et pacifique
Philippe Corcuff
Article paru dans Médiapart
Plutôt que s’enfermer dans le « tout ou rien », grève (vraiment) générale ou effilochement du mouvement : des pistes pour un mouvement durable, multiforme et convergent…
Quelques réflexions particulièrement intéressantes de Philippe Corcuff sur le mouvement pour les retraites et ses perspectives possibles, issues d’un texte publié par Mediapart. A lire attentivement…
Bizi !
Un mouvement d’ampleur saisit le pays depuis début septembre en s’opposant à la contre-réforme Sarkozy des retraites : des millions de personnes engagées dans des manifestations à répétition et des grèves ponctuelles ou reconductibles, des centaines de milliers de lycéens ayant rejoint depuis quelque temps la mobilisation, entre 3/4 et 2/3 de la population exprimant sa sympathie avec les secteurs mobilisés.
(…)
Des risques et des pistes en germe
Pour l’instant, les grèves reconductibles ont eu un certain écho, mais n’ont pas connu de vagues généralisantes. On entend dans les cortèges syndicaux et dans les assemblées générales des secteurs les plus mobilisés, ou de ceux qui ont été les plus mobilisés par le passé, des appels pour ne pas « partir » seuls en reconductible ou pour ne pas s’y inscrire trop longtemps de manière trop isolée. Or le niveau de convergences et de radicalisation au sein de l’intersyndicale nationale ne laisse pas espérer la possibilité d’un mot d’ordre national de grève reconductible interprofessionnelle. On peut le regretter, mais on doit en tenir compte. Localement comme nationalement, des freins et des hésitations existent donc.
Par ailleurs, à l’approche du vote définitif de la loi, des voix syndicales commencent à se faire entendre selon lesquelles le mouvement pourrait difficilement perdurer au-delà de cette échéance parlementaire. Voix syndicales qui pourraient être bientôt rejointes par des voix politiques de gauche essentiellement préoccupées par l’échéance électorale de 2012.
Un scénario de démobilisation pour l’après vacances de la Toussaint apparaît donc envisageable, bien que non inéluctable si l’on en prend conscience : effilochement du mouvement, divisions plus vives et plus publiques entre prudents et radicaux, impression d’avoir été floués pour ceux qui sont partis en reconductible, sentiment diffus de déception et amertume face au cynisme d’un pouvoir arrogant « droit dans ses bottes », recul de l’esprit de résistance devant la succession de défaites (depuis la victoire du CPE en 2006), attrait du repli néolibéral d’individus atomisés en concurrence les uns avec les autres à la place de l’action coordonnée d’individualités et de collectifs en quête du respect de soi dans la justice sociale… Envisager cette possibilité ne renvoie pas ici à un attrait morbide pour le goût de la défaite, mais doit stimuler un sursaut afin de l’éviter, quand il est encore temps. Car le dynamisme et l’enthousiasme, la joie de défendre sa dignité personnelle en disant « non » comme la gaieté d’être ensemble et de goûter aux plaisirs de la solidarité retrouvée (le « je lutte des classes », indissociablement individuel et collectif !) sont encore très présents, et même avivés par l’arrivée des lycéens (le magnifique « Je me révolte donc je suis » d’une banderole lycéenne à Nîmes samedi 16 octobre !) dans les manifestations. L’enjeu principal n’est-il pas, ce faisant, de préserver et de développer cette énergie en donnant un caractère plus durable au mouvement, dans la cohabitation inéluctable du pôle des prudents et du pôle des radicaux ?
Or on a déjà sous les yeux des éléments de réponse dans le mouvement tel qu’il s’est spontanément construit au jour le jour : relative fluctuation des individus, des secteurs professionnels et des localités actifs dans les manifestations avec le maintien d’un niveau global élevé de mobilisation, des entrées et des sorties dans la grève ponctuelle, la grève reconductible et/ou les actions de blocage qui ne doivent pas être nécessairement interprétées comme une faiblesse du mouvement mais comme un potentiel de mobilité, des passages localement transversaux entre des aspects différents du combat anti-sarkozyste (retraites et solidarité entre générations, emploi, précarité, salaires, écologie, sécuritaire, discriminations racistes et stigmatisation des roms, sans papiers, médias, université et recherche, justice, « affaire Woerth/Bettencourt »…), des initiatives de solidarité permettant aux secteurs les plus combatifs de durer davantage, notamment. Une guérilla sociale et citoyenne anti-sarkozyste est ainsi en train de prendre forme, plus mobile, plus diffuse, plus protéiforme que l’idée qu’on pouvait se faire d’une « grève générale ».
Ne peut-elle devenir plus consciente d’elle-même, afin d’acquérir plus de repères stratégiques partagés et davantage d’efficacité tactique ? Pour se prolonger bien au-delà des vacances de la Toussaint dans un mouvement à l’horizon temporel élargi, qui irait pourrir le remaniement gouvernemental et même le Noël de Nicolas Sarkozy. Un mouvement qui accepterait pleinement la cohabitation de la prudence des modérés et des audaces des radicaux, qui mêlerait dans une dynamique commune ceux qui croient beaucoup à l’échéance électorale du 2012 (mais qui auraient compris qu’un défaite sociale aujourd’hui obèrerait leurs chances de victoire électorale demain) et ceux qui pensent que le principal pour l’avenir d’une politique démocratique réellement alternative se joue dans de tels processus d’auto-organisation populaire et citoyenne, comme de tous les autres plus perplexes… Un mouvement qui aurait donc un minimum de conscience commune d’un intérêt général du mouvement, par-delà les inévitables et légitimes divergences.
Plutôt le « Mai rampant » italien que le Mai 1968 français ? Pour pourrir le remaniement gouvernemental de Nicolas Sarkozy et son Noël…
(…)
L’horizon de « la grève générale » est une très bonne chose si, face à la tendance à l’éparpillement des luttes, il élargit notre espace mental à des convergences souhaitables. S’il se présente comme une exigence de généralisation à partir d’expériences concrètes dans des situations concrètes, et pas comme un marteau qui s’abat dogmatiquement d’en haut. Mais « la grève générale » perdrait de cette dynamique fort utile si on la comprenait comme un « modèle » à appliquer de manière rigide, sans tenir compte des caractéristiques de la situation. Si on considérait la généralisation de la grève à l’ensemble des salariés, des étudiants et des lycéens à un moment donné comme la seule modalité de construire un mouvement social convergent susceptible de remporter des victoires.
Or, en un instant où les grèves reconductibles, bien que significatives, n’apparaissent pas en mesure de peser suffisamment, une vision mécanique et étriquée de « la grève générale » pourrait empêcher d’envisager d’autres possibilités, ou du moins des petits déplacements, plus adaptés à la situation présente. Une tyrannie de la lettre de « la grève générale » pourrait contribuer à tuer l’esprit de « la grève générale » : 1) en nous enfermant dans un « tout ou rien » mortifère et à terme démobilisateur ; 2) en nous poussant dans la voie de la déception plutôt que de celle du développement de l’enthousiasme ; et 3) en oubliant que la perspective de généralisation suppose au minimum de garder au sein de la mobilisation les secteurs les plus prudents et/ou les plus modérés.
Parmi les autres chemins possibles, il y aurait donc celui d’une guérilla sociale et citoyenne durable, un mouvement social protéiforme, dans le style du « Mai rampant » italien, associant des mobilisations localisées et professionnelles fortes avec des journées nationales de manifestations, des grèves et des manifestations, des grèves ponctuelles et des grèves reconductibles, des va-et-vient entre les deux, des paralysies partielles (SNCF, métro et transports collectifs urbains, raffineries et dépôts pétroliers, routiers, etc.), des grèves tournantes ou la répétition de grèves sporadiques limitant le coût de la grève sur les salariés, la constitution de caisses de solidarité en direction des secteurs engagés de manière la plus durable dans la grève reconductible, des liaisons inédites avec les milieux intellectuels et artistiques critiques pour amplifier la délégitimation du pouvoir sarkozyste, la promotion de passages entre combats revendicatifs et expériences alternatives
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