Articles du Vendredi : Sélection du 21 juin 2019


Urgence climatique et écologique : à peine actée, déjà oubliée ?
RAC
https://reseauactionclimat.org/urgence-climatique-actee-oubliee

Réaction au passage en commissions à l’Assemblée nationale du Projet de Loi énergie-climat

La loi sur l’énergie et le climat devrait avoir pour principal objet de créer les moyens immédiats pour crédibiliser et renforcer l’action climatique et énergétique de la France. Alors que des millions de citoyens jugeront l’action écologique du Gouvernement à l’aune de cette loi, après son passage en commissions, le compte n’y est pas. En l’état, le projet de loi ne corrige en rien les erreurs de la précédente mandature, ni celles du Gouvernement actuel et ne permettra pas à la France de rattraper son retard, souligné par l’Affaire du Siècle et, le 18 juin dernier, par la Commission européenne. Faut-il rappeler aux députés et au Gouvernement qu’il ne suffit pas de voter l’urgence climatique et écologique, mais qu’il faut y répondre maintenant, avec des mesures concrètes et applicables dès ce quinquennat ?

Sur la rénovation des logements : le Gouvernement et la majorité ont rejeté l’interdiction progressive de mise en location des passoires thermiques, ces logements impossibles à chauffer. Ce, malgré un soutien de la société civile et de nombreux députés en faveur d’un droit pour tous à un logement à la facture d’énergie abordable. Le Gouvernement a préféré défendre des mécanismes incitatifs. Pourtant, l’expérience montre que les incitations dans ce secteur sont nécessaires mais insuffisantes, à un moment où nous avons cruellement besoin de rénover plus de logements de manière performante pour tenir nos objectifs climatiques et énergétiques. La mise sous séquestre d’une partie du montant de la vente d’une passoire énergétique pour financer des travaux de rénovation est limitée à une expérimentation pendant deux ans dans les zones tendues et à partir de 2021. Seule consolation, les députés ont voté un plafond de consommation d’énergie dans les critères de décence des logements, une avancée dont l’efficacité dépendra des modalités (plafond de consommation, entrée en vigueur…) qui seront précisées par décret.

Sur les énergies fossiles dont le charbon, le projet de loi ne garantit pas en l’état la fermeture des centrales au charbon d’ici à 2022, les amendements sécurisant cette fermeture ayant été rejetés. Il échoue aussi à faire barrage au projet non durable de reconversion de la centrale de Cordemais à un mix de biomasse et charbon. Point positif : les dispositifs d’accompagnement de l’ensemble des salariés et de la chaîne de sous-traitance impactés par les futures fermetures ont été renforcés. Ces mesures d’accompagnement ainsi que leur financement seront précisées par ordonnance. Autre bonne nouvelle, si elle est confirmée : les députés ont, malgré l’avis défavorable du Gouvernement, voté la fin des soutiens publics aux entreprises françaises pour leurs investissements dans les énergies fossiles à l’étranger (garanties à l’export). Enfin, sur les importations d’hydrocarbures non-conventionnels comme le gaz de schiste, les députés n’ont pas jugé pertinent que les consommateurs aient le droit de savoir, via leur facture, la part de gaz de schiste importé qu’ils consomment.

Sur le nucléaire, la quasi-totalité des amendements pour renforcer la sûreté et améliorer la gestion des déchets nucléaires ont été déclarés d’emblée irrecevables. C’est problématique quand, dans le même temps, le projet de loi planifie le vieillissement du parc en repoussant à 2035 l’objectif de 50 %. Il est irresponsable de refuser d’en examiner les conséquences. D’autant plus, que les anomalies se multiplient et qu’EDF pratique une politique de dissimulation et de fait accompli qui complique dangereusement la tâche de l’ASN. Par ailleurs, de façon incompréhensible, le Gouvernement s’est fermement opposé à la volonté d’une majorité de députés de traduire l’objectif de réduction de la part du nucléaire en plafonds dégressifs de capacité installée conformément à la trajectoire prévue par la PPE. Le Gouvernement ne peut se contenter de reporter l’objectif de 10 ans – bien au-delà de son temps politique – sans s’assurer que l’objectif soit respecté par EDF, sans publier de calendrier de fermeture, sans prévoir dès maintenant les mesures d’accompagnement pour l’ensemble des salariés concernés. Or, le projet de loi ne comprend aucune disposition en ce sens à ce stade.

 Sur les objectifs de baisse d’émissions de gaz à effet de serre, l’urgence climatique et écologique a été inscrite en début du texte… mais cette urgence n’a pas amené les députés à inscrire la division par 8 des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, ni revoir à la hausse les objectifs à plus court-terme (2030). Pourtant, la Commission européenne venait de rappeler la France à l’ordre, en lui demandant de rehausser ses objectifs sur les énergies renouvelables et les économies d’énergie à horizon 2030… L’objectif de neutralité carbone n’a pas non plus été ramené à 2040 plutôt que 2050. Le transport international reste quant à lui hors des radars (non inclus dans la neutralité carbone prévue en France). Enfin, des objectifs de baisse de l’empreinte carbone de la France seront fixés dans la SNBC, mais seulement en 2022.

Sur l’autorité environnementale, la disposition scélérate du projet de loi affaiblissant les études d’impact de certains projets n’a pas été remise en cause par les députés, qui ne semblent pas avoir jugé cette question, pourtant bien concrète, intéressante. Non seulement ce texte manque de disposition concrètes positives, mais avec cette disposition, il aura des effets négatifs pour l’environnement, très concrets sur le terrain.

Dès la semaine prochaine, l’Assemblée nationale peut et doit corriger le tir en séance publique afin de fabriquer une loi réellement au service de l’urgence climatique et écologique.

Le grand écart climatique libéral
Guillaume St-Pierre
www.journaldemontreal.com/2019/06/19/le-grand-ecart-climatique-liberal

Le hasard fait souvent bien les choses, sauf hier, lorsque Justin Trudeau a donné le feu vert au projet d’expansion du pipeline Trans Mountain quelques heures après avoir déclaré l’urgence climatique.

Les libéraux se sont en quelque sorte fait prendre à leur propre petit jeu parlementaire.

Le mois dernier, le gouvernement Trudeau a proposé que le Canada se déclare officiellement « en situation d’urgence climatique nationale ».

La ruse visait à embêter le Parti conservateur, qui tarde à faire connaître son plan pour l’environnement (il sera présenté aujourd’hui).

Sauf que le hasard du calendrier a fait en sorte que le Parlement a adopté le texte symbolique seulement ce lundi… à l’aube de l’annonce sur Trans Mountain.

De nombreux groupes écologistes et les oppositions néo-démocrates et bloquistes n’ont pas mis de temps à crier à l’hypocrisie.

Pendant ce temps, les conservateurs d’Andrew Scheer, pour qui la construction de pipelines ne va jamais assez vite, se cherchaient une raison de s’indigner. Pourtant, sous leur gouverne de dix ans, le pétrole albertain n’a pas trouvé de nouveaux marchés à l’étranger.

La perspective d’agrandissement du projet de pipeline Trans Mountain vise à tripler sa capacité, pour la porter à 890 000 barils de pétrole par jour.

Les experts comparent son impact environnemental à l’ajout de 3 à 4 millions de voitures sur nos routes.

Ce projet énergétique a suscité une vive opposition de groupes environnementaux et de communautés autochtones en Colombie-Britannique.

Les sondages indiquent toutefois qu’une majorité (60 %) de Britanno-Colombiens sont en faveur.

Pour dorer la pilule, M. Trudeau a annoncé que les revenus supplémentaires tirés du nouveau pipeline vont financer des projets d’énergie verte à hauteur de 500 millions.

La perche tendue ne risque pas d’apaiser la colère des écolos les plus convaincus. Mais elle réussira peut-être à en rassurer certains.

Accord de Paris

Le chef libéral a affirmé sans rire que le projet d’oléoduc ne vise pas à « augmenter la production de pétrole » du Canada, mais plutôt à diversifier nos clients.

Il est vrai que le pétrole albertain se vend au rabais aux États-Unis, faute de débouchés à l’international.  Mais il est aussi acquis que l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain entraînera une hausse de la production dans les champs de sables bitumineux.  Ottawa souhaite plafonner les émissions de l’exploitation du pétrole albertain à 100 mégatonnes par année. Un plafond que rejette le nouveau premier ministre de la province de l’Ouest, Jason Kenney.  Une fois le pipeline construit, l’Alberta voudra sans doute relancer des projets d’exploitation abandonnés dans les dernières années, faute de rentabilité.  Justin Trudeau jure que l’agrandissement de Trans Mountain ne met pas en péril l’atteinte des cibles de l’Accord de Paris.  Il s’agit des mêmes cibles que promet d’atteindre le Parti conservateur de M. Scheer.  Les plus cyniques diront que ces cibles valent autant que le papier sur lequel elles sont écrites.  De Kyoto à Copenhague, le Canada a toujours raté ses engagements internationaux en matière d’environnement.

Trans Mountain, un pipeline controversé

  • En exploitation depuis 1953
  • Capacité de 300 000 barils par jour
  • Le projet d’agrandissement porterait ce nombre à 890 000 barils par jour
  • En 2016, le projet d’agrandissement est approuvé par le régulateur fédéral, l’Office national de l’énergie
  • Mai 2018, le gouvernement Trudeau nationalise le pipeline au coût de 4,5 G
  • Août 2018, la Cour fédérale d’appel bloque le projet, statuant qu’Ottawa n’a pas consulté adéquatement les Premières Nations ni évalué les risques environnementaux
  • L’ONÉ enclenche de nouvelles consultations.
  • Février 2019, l’ONÉ donne à nouveau son feu vert au projet, plaidant l’intérêt national.
  • Juin 2019, le gouvernement Trudeau donne son feu vert

Le pic pétrolier approche, la transition énergétique patine
Vincent Rondreux journaliste et auteur du blog Dr Pétrole & Mr Carbone et le fondateur du site Sortirdupetrole.com. Il est également l’auteur de Climat – Comment tout changer, aux éditions Vagnon.
https://reporterre.net/Le-pic-petrolier-approche-la-transition-energetique-patine

 « On fonce droit vers un monde de pénurie », assure l’auteur de cette tribune. On découvre de moins en moins de pétrole et de gaz conventionnels, les hydrocarbures de schiste ne pourront plus longtemps combler la chute des hydrocarbures conventionnels… Et pourtant les investissements dans les énergies sales augmentent. À quand la transition énergétique ?

Et si très prochainement notre soif permanente de pétrole n’était plus totalement comblée ? Et si la Terre commençait maintenant à fermer ostensiblement le robinet ? L’hypothèse est de plus en plus probable. Paru en mai, le dernier rapport World Energy Investment 2019 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) fait écho à l’avertissement que cette organisation a déjà émis fin 2018 au sujet d’une baisse probable, dès les années 2020, c’est-à-dire demain, de la production d’or noir, véritable sang de notre société basée sur des déplacements faciles et permanents. Cette fois, l’AIE souligne que les investissements traditionnels dans l’énergie ne sont plus suffisants « pour maintenir les habitudes de consommation actuelles », selon Fatih Birol, son directeur exécutif.

Les investissements bas-carbone stagnent tandis que ceux pour les énergies fossiles augmentent

L’AIE confirme ainsi que les projets approuvés de pétrole et également de gaz conventionnels, ne sont pas assez consistants pour satisfaire une demande toujours croissante. Elle souligne également qu’il y a peu de signes de réaffectation substantielle de capital vers l’efficacité énergétique et les énergies bas-carbone, pour espérer que ce type d’investissements soit à la hauteur de l’Accord de Paris sur le climat, ayant pour objectif, rappelons-le de limiter le réchauffement global bien en dessous de +2°C, en visant 1,5°C (ce qui n’est en fait déjà plus possible). Autrement dit, après avoir allumé la bombe d’une fièvre planétaire destructrice, on fonce droit vers un monde de pénurie. Sans même le préparer. Collapse.

D’après l’AIE, les investissements globaux dans l’énergie ont été stabilisés en 2018 à plus de 1.800 milliards de dollars, et les investissements dans la production d’électricité devancent depuis trois ans maintenant les investissements dans l’approvisionnement en pétrole et en gaz, du fait principalement de l’effondrement de ces derniers, amplifié en 2015 (-25 %) et en 2016 (-26 %) par la chute du prix du brut. Surprise : les investissements 2018 restent stables pour l’efficacité énergétique (240 milliards) et accusent même une légère baisse pour la production d’électricité (775 milliards), y compris celle qui est produite à partir d’énergies renouvelables (un peu plus de 300 milliards de dollars). Au total, les investissements dans les énergies bas carbone (dans lesquelles l’AIE place les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, les batteries, les réseaux électriques mais aussi les agrocarburants, l’énergie nucléaire ou encore la capture et le stockage du carbone), stagnent à environ 620 milliards de dollars en 2018, soit 35 % du total. Quid donc de la grande transition énergétique annoncée ?

En revanche, les investissements sont en hausse pour l’approvisionnement en… énergies fossiles : plus de 700 milliards de dollars en 2018 dont près de 500 milliards dans les investissements amonts, c’est-à-dire l’argent injecté dans le secteur avant même de produire. Même les investissements dans l’approvisionnement en charbon augmentent en 2018 (pour la première fois depuis 2012), de +2 %, atteignant 80 milliards de dollars, avec une progression dans beaucoup des principales régions productrices : Chine, Inde, Australie… Et si les investissements dans les centrales à charbon (moins de 60 milliards de dollars) sont eux à leur plus bas niveau depuis le début de ce siècle tandis que les fermetures atteignent un niveau record, cela n’empêche pas le parc global de ces centrales thermiques de continuer à progresser, du fait de leur développement dans les pays en développement d’Asie, indique l’AIE.

Les hydrocarbures de schiste ne pourront plus combler longtemps la chute des hydrocarbures conventionnels

 

Ce n’est pas tout : après un net déclin depuis les années 2000-2010 et suite à une forte réduction des coûts du secteur, les investissements dans l’exploration en pétrole et gaz conventionnels (dont la part dans les investissements amonts était en 2018 de l’ordre de 10 %, deux fois moins qu’en 2010) devraient bondir de 18 % en 2019, à environ 60 milliards de dollars, promet l’AIE. Comme s’il y avait urgence donc… C’est que la découverte de pétrole brut conventionnel, le meilleur, le moins cher, a en fait chuté à 5,2 milliards de barils équivalent pétrole (bep) en moyenne par an sur la période 2014-2018, soit le tiers seulement de la précédente décennie. Trois fois moins ! Et l’AIE fait le même constat pour le gaz conventionnel : cinq milliards de bep contre 15,1.

Découvertes globales de pétrole et de gaz conventionnels depuis le début du siècle.

Fin 2018, l’Agence internationale de l’énergie estimait que, ces trois dernières années, les projets approuvés de pétrole conventionnel ne représentaient « que la moitié du volume nécessaire pour équilibrer le marché jusqu’en 2025 » et qu’il faudrait que l’offre en pétrole de schiste fasse plus que tripler d’ici là pour qu’elle comble le volume manquant… Si, à force de centaines de milliers de forages, ce pétrole de schiste a jusqu’alors comblé la baisse du pétrole conventionnel qui a atteint son pic il y a plus de dix ans, il ne peut donc plus continuer à le faire bien longtemps selon l’IEA qui ne prévoit qu’un doublement de son offre d’ici cinq, six ans, ce qui est déjà beaucoup. Et ce resserrement de l’offre semble maintenant d’autant plus envisageable que les investissements dans les hydrocarbures de schiste s’annoncent bien contrastées : hausse en moyenne en 2019 des investissements chez les majors mais baisse, de l’ordre de 6 % selon l’AIE, chez les « purs opérateurs » américains, qui ne gagnent pas d’argent…

Bien plus coûteux en énergie, matériel et technologies que les hydrocarbures conventionnels, les hydrocarbures de schiste atteignent aujourd’hui le quart des investissements amont du secteur (contre 4 % pour les années 2000-2009), quasiment autant que le offshore, où une accélération des projets approuvés est également envisagée par l’AIE en 2019, du Golfe du Mexique à la Mer du Nord, en passant par le Brésil, la Guyane, l’Angola, le Mozambique…

À l’instar de toxicomanes, si on ne trouve pas toutes les « doses » désirées par notre société – ce qui est en fait déjà prévisible donc – le sevrage pourra alors commencer, version peak oil [pic pétrolier, en français], déplétion… Et cela reste cohérent avec les dates du pic pétrolier données par les experts du secteur. Mauvaise nouvelle : pour tous les drogués, notamment les pays riches, le manque ne s’annonce pas drôle du tout. Bonne nouvelle : les émissions de CO2 pourraient alors commencer à baisser… Et si, enfin, on se préparait ?

 

Archipéliser nos résistances

www.terrestres.org/2019/06/07/archipeliser-nos-resistances

Bonnes feuilles – Autrice d’un essai qui réhabilite le refus de parvenir, Corinne Morel-Darleux s’interroge ici sur la place que devrait prendre la politique dans l’écologie. Elle promeut dans ce court essai la « dignité du présent » et la puissance transformatrice de l’individu face aux bouleversements inouïs qui se présentent.

Extrait de Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, paru aux éditions Libertalia le 6 juin 2019.

On peut (…) faire autant de pas de côté qu’on le veut pour mieux guider sa propre vie, un coup de canif isolé ne suffira pas à ébranler les fondations du système. Le cadre reste le même qui dessine les contours, bride et malmène. Seul, on ne fait qu’effleurer la surface du système sans rien résoudre ni en profondeur ni sur le long terme, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Plusieurs coups portés simultanément en des endroits ciblés peuvent s’avérer plus efficaces, mais des îlots séparés ne peuvent former un archipel sans concertation ni conscience collective. Or face au Monstre, à la Machine, aux destructions qu’engendre le monde moderne, c’est bien d’un archipel dont nous avons besoin.

Après des années à chercher à forcer l’unité politique en vain, à s’acharner à convaincre tout le monde de rentrer dans la même case, à confondre rapport de forces et culture du nombre, à essayer de s’imposer, d’un groupe à l’autre, les mêmes mots d’ordre et modes d’action, nous avons oublié que chacun peut être à son poste tout en contribuant à un plan plus large.

Ce dont nous avons besoin n’est pas de former un continent, mais d’archipéliser les îlots de résistance. Édouard Glissant, pour qui la culture archipélique et la poétique de la diversité pouvaient s’appliquer au champ politique, écrivait aussi à propos du rhizome : « La racine unique est celle qui tue autour d’elle alors que le rhizome est la racine qui s’étend à la rencontre d’autres racines. »

Nous avons besoin de ce rhizome, de cet archipel. Nous avons besoin d’îlots organisés et unis par une stratégie et un but commun. Or cette appartenance à un même ensemble, qu’on le qualifie de classe sociale, d’espèce humaine ou de monde vivant, cet intérêt général est aujourd’hui brutalement réactivé autour d’un enjeu universel à préserver les conditions de vie sur Terre. Cela ne se fera pas sans une vision à la fois systémique et archipélique des combats à mener. C’est ce double principe qui devrait aujourd’hui guider toute réflexion politique sensée.

Je suis attristée, parfois en colère ou découragée, de voir se développer une écologie « intérieure » dépourvue de conscience de classe, qui se drape dans l’apolitisme et s’exonère d’analyse systémique. Se piquer d’harmonie avec la Terre et d’humanisme en regardant s’organiser les luttes collectives au mieux de loin, au pire avec dédain, me semble une absurdité. Comment se soucier de son « cosmos intérieur » sans se préoccuper des océans de misère qui l’entourent ? Comment avoir à cœur de se nourrir sainement dans une coopérative locale, sans éprouver un jour l’envie de s’attaquer à la grande distribution ? J’ai toujours du mal à comprendre que des mouvements vegan ou pro-loup s’en prennent aux petits éleveurs, des militants antinucléaires aux salariés des centrales, des antivaccins aux médecins, des antipollutions aux automobilistes, mais que les mêmes ne fassent pas le lien, au nom d’une pureté apolitique, avec les décisions prises ailleurs. Dans les conseils d’administration des grands laboratoires pharmaceutiques complaisamment relayés par certains ministères, au sein des multinationales semencières qui déforestent outre-Atlantique et nourrissent le bétail ici, dans les couloirs de l’Union européenne qui décide des critères de la politique agricole commune, de la libéralisation du rail et des traités de libre-échange, au Parlement national qui vote les lois sur l’alimentation, la santé ou les transports, dans les conseils municipaux qui financent des ronds-points pour l’installation d’énièmes supermarchés en périphérie de ville… Ces décisions ne sont-elles pas éminemment politiques ? Peut-on prôner une vie harmonieuse avec le monde vivant, défendre la biodiversité et lutter contre les dérèglements climatiques sans chercher à s’opposer à ces politiques qui, pourvues d’un but réfléchi, sont responsables, voire criminelles, et porteuses d’un projet de société inique qu’elles sont en train de nous imposer ? Voilà où se situe le véritable adversaire à combattre projet contre projet : pas chez son voisin de café hâbleur, le petit gérant de franchise ou la vieille diesel de sa belle-sœur. Eux sont à convaincre et à rallier. Le véritable ennemi est celui qui sait, qui possède les leviers pour que ça change, peut choisir de les activer, et qui ne le fait pas. De manière délibérée.

Bien sûr, il y a une bataille culturelle à mener, des mentalités à faire évoluer, des comportements individuels à modifier. Mais soyons lucides : le saut en matière de climat et de biodiversité paraît désormais bien trop grand pour pouvoir être réalisé, à la bonne échelle et à temps, par une somme d’actes individuels, sans s’attaquer aux grandes masses que sont les oligarchies financières, industrielles et politiques qui concentrent à la fois captation des richesses et dégâts sur les écosystèmes. En outre, beaucoup de personnes sont aujourd’hui conscientes des changements de fond à mener mais n’en ont tout simplement pas la possibilité. Leurs conditions matérielles d’existence entre précarité, disparition des services de proximité, nécessité de travailler, dévissage culturel, laissent peu d’énergie et de disponibilité d’esprit à la fin de la journée pour se préoccuper de l’avenir ou du reste de l’humanité.

Cela ne signifie pas qu’il ne faille rien faire ni « prendre sa part ». Mais en arrêtant de croire que la société peut se résumer à la somme des individus qui la compose : le changement par contagion d’exemplarité est une belle histoire, hélas elle ne fonctionne pas. Des initiatives éparses, des alternatives qui permettent à un petit groupe, localement, de s’organiser et vivre différemment, il en existe depuis des décennies. Si elles ont permis à des individus de vivre mieux : très bien, c’est toujours ça de pris. Mais en quoi ont-elles ébranlé le système ? Les dérives dénoncées dans les années 1970 n’ont fait que s’amplifier depuis.

Fermer son robinet en se brossant les dents est une bonne chose et ne nuit pas. Tant qu’on est lucide sur l’impact et la raison de le faire. Si vous le faites pour sauver le monde vous risquez d’être déçu, et ceux qui vous font miroiter cette ambition sont des faussaires qui, en général, y trouvent leur affaire. Si vous le faites plus modestement l’été pour vous sentir en droit d’arroser vos  Cosmos sulphureus assoiffés, ou juste pour vous sourire dans le miroir à la fin de la journée, alors oui. Pour la dignité. Mais n’y mettons pas trop de portée révolutionnaire. Il s’agit là de comportements qui ont une visée non explicite mais implicite : on ne les adopte pas pour convaincre d’autres et ainsi changer le monde, juste pour être cohérent avec ses propres convictions. Il n’y a pas de quoi en faire la publicité, encore moins un programme politique.

Il y a au mieux une forme de naïveté égoïste à cultiver son jardin en rejetant l’idée d’engagement politique, au pire une imposture quand l’écologie de vitrine va jusqu’à se marier avec les lobbies de l’industrie, faire appel au mécénat des pétroliers ou vendre des conférences à un grand patronat en quête de virginité. Dissocier l’écologie d’un positionnement politique clair sur le capitalisme, le libre-échange, la mondialisation et la finance, c’est la priver d’une ancre primordiale et prendre le risque de dérives inquiétantes. Ainsi de la « terre qui ne ment pas » pétainiste ou de la récupération du lien sacré au vivant par tous les obscurantismes, xénophobes comme religieux.

L’analyse systémique de l’écosocialisme, qui postule que l’écologie est incompatible avec le capitalisme, consiste précisément à ne pas dissocier les effets sociaux, environnementaux, économiques et démocratiques du système d’organisation productiviste. Sa radicalité, au sens d’une analyse exigeante qui s’obstine jusqu’à pénétrer la racine des causes, est ce qui lui permet de ne pas s’égarer du côté de l’imposture du capitalisme vert, de l’écologie libérale, des accommodements qui consistent à n’agir qu’en surface, sur les conséquences, sans s’attaquer aux causes du problème ni bouleverser le système.

Gerretatik eta jazarpenetik ihes egin duten 70 milioi pertsona zeuden munduan iaz, historiako daturik altuena
Iñaut Gonzalez de Matauko
www.argia.eus/albistea/gatazkak-eta-jazarpena-ekiditeko-70-milioi-pertsona-desplazatu-ziren-2018an-mundu-osoan

Iheslarientzako Nazio Batuen Goi Agintaritzak 2018an 70 milioi pertsona desplazatu zirela salatu du, batzorde honen 70 urtetako historia osoan erregistratu den zifra handiena. Desplazatu hauek gerrek, jazarpenak eta gatazkek eragindakoak direla diote, eta 108 pertsonatik bati eragiten diete.

Iheslarientzako Nazio Batuen Goi Agintaritzak argitaratutako Tendentzia Globalen txostenaren arabera, 1998tik bikoiztu egin da desplazatzera behartuta izan diren pertsonen kopurua. 70,8 milioi horietatik, 25,9 errefuxiatuak dira, 41,3 barne-desplazatuak eta 3,5 babes-eskaleak.

Filippo Grandi Goi Agintariak adierazi duenez, datu hauek erakusten dute babesa behar duten pertsonen kopurua etengabe hazten ari dela: “Zifra hauek epe luzeko goranzko tendentzia adierazten dute, gerra eta gatazken aurrean babesa behar duten pertsonekiko. Eskuzabaltasun eta elkartasunaren testigu izaten ari gara azken aldian hala ere, errefuxiatu asko jasotzen dituzten komunitateen aldetik batez ere. Gainera, aktore berrien aldetik laguntza asko jasotzen ari gara” adierazi du Grandik.

Egoeraren datu batzuk

Iheslariak laguntzeko Nazio Batuen Erakundearen Goi Agintaritzak publikatu duen ikerketa sakonean errefuxiatu eta desplazatuen inguruko hainbat datu argitzaile ikus ditzakegu, gaur egungo egoeraren eskema mental bat egiteko. Zifra orokorretik 3,5 milioi pertsona babes-eskaleak dira, hau da, beraiena ez den herrialde batean dauden eta nazioarteko laguntza jasotzen duten pertsonak dira, baina errefuxiatu-izaera oraindik lortu ez dutenak. 25,9 milioi errefuxiatuak dira, errefuxiatu palestinarren laguntzarako NBEren Agentziaren laguntzapean dauden 5,5 milioi pertsonak barne.

Beste 41,3 milioiak barne-desplazatuak dira, hau da, beren herrialdean hiri edo eskualdez aldatzera behartuak izan diren pertsonak. 70,8 milioi desplazamendu horietatik, 13,6 iaz gertatu ziren; hau da, 2018an 10,8 milioi barne-desplazatu berri eta 2,8 milioi errefuxiatu berri izan ziren. Haien bizilekura itzuli direnak, berriz, 2,3 milioi barne-desplazatu eta 600.000 errefuxiatu izan dira.

Gaur egun munduko errefuxiatuetatik 6,7 milioi siriarrak dira, eta Turkiak 3,7 milioi errefuxiatu jasotzen ditu; biak lehen herrialdeak dira bakoitzaren zerrendan (nongo errefuxiatuak eta herrialde-hartzaileak).

Errefuxiatuen fluxua

Errefuxiatuak nondik nora mugitzen diren ere aldatu egin da. Geroz eta gehiago dira hiri-eremuetara doazenak, eta errefuxiatu-zelaiek pisu gutxiago dute. Errefuxiatuen %61 hiri-eremuetan bizi da, zehazki. Errefuxiatuen %80 beren herrialdeekin mugakide diren herrialdeetara doaz. Diru-sarrera altuko herrialde-hartzaileek, bataz beste, 2,7 errefuxiatu jasotzen dituzte mila biztanleko. Diru-sarrera erdi-baxuko herrialdeek, berriz, 5,8 pertsona jasotzen dituzte mila biztanleko batez beste. Bizitza prekarioagoa den herrialdeek jasotzen dituzte errefuxiatu gehiago, beraz; honek errefuxiatuen bizitza-kalitatea bermatzea zailtzen du.