Bienvenue dans une nouvelle ère géologique, l’anthropocène
Audrey Garric
Le Monde du 14.01.11
Les LGV servent les riches, pas la société
Julien Milanesi est économiste et militant associatif
Courriel à Reporterre
Les LGV sont nécessaires
Jean Sivardière est président de la FNAUT (Fédération nationale des usagers de transport)
Courriel à Reporterre
Les LGV sont inutiles et ruineuses
M Pachon Victor porte parole du Collectif des Associations de Défense de l’Environnement (CADE) Pays Basque et Sud des Landes
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Bienvenue dans une nouvelle ère géologique, l’anthropocène
Audrey Garric
Le Monde du 14.01.11
Sans le savoir, nous avons changé d’ère géologique. Nous avons quitté les dix mille années de l’ère holocène qui, du fait de sa température chaude et stable, a vu naître l’agriculture et l’industrie, après la dernière grande glaciation du pléistocène. Et nous sommes entrés dans l’anthropocène – du grec anthropos, être humain – ère dans laquelle l’homme est devenu la principale force géophysique de la planète, capable de modifier son environnement. Voilà la thèse exposée dans l’ouvrage Voyage dans l’Anthropocène, de Claude Lorius, paru la semaine dernière aux éditions Actes Sud. Le glaciologue français, membre de l’Académie des sciences et prix Blue Planet 2008, co-auteur avec le journaliste Laurent Carpentier, y expose les conséquences des émissions intensives de gaz à effet de serre : c’est l’entièreté de la Terre que l’homme modifie de la sorte. Interview.
Quand sommes-nous entrés dans cette nouvelle ère ?
Claude Lorius : Nous sommes dans l’anthropocène, c’est-à-dire une ère au cours de laquelle l’homme prend le contrôle de l’environnement de la planète, en 1784, date à laquelle James Watt a breveté la machine à vapeur. Le terme a été créé par le prix Nobel de chimie Paul Crutzen en 2000. Aujourd’hui, il est utilisé par une grande partie de la communauté scientifique et pourrait être officiellement ajouté au tableau des temps géologiques à l’occasion du prochain congrès international de Brisbane, en Australie, en 2012.
En quoi l’homme a-t-il modifié les caractéristiques géologiques de la planète ?
Claude Lorius : D’abord, il altère l’atmosphère de la Terre, en raison des émissions de gaz à effet de serre, au premier plan desquelles figurent le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane (CH4). Ensuite, il bouscule l’hydrosphère : les eaux de la planète deviennent plus acides en raison du gaz carbonique et voient leur niveau augmenter du fait de la fonte des glaciers. Il agresse aussi la lithosphère, l’enveloppe rigide de la planète, en érodant les sols, creusant des mines ou épuisant les ressources naturelles. Enfin, il trouble la biosphère, les organismes vivants qui peuplent la Terre ; de nombreuses espèces sont aujourd’hui menacées d’extinction.
De quelle manière avez-vous prouvé l’impact des gaz à effet de serre sur l’augmentation des températures terrestres ?
Claude Lorius : Avec mon équipe de scientifiques, nous avons mis en évidence, en 1987 dans la revue Nature, la corrélation entre gaz à effet de serre et températures, grâce à des carottages de glace réalisés en Antarctique, à la station Vostok. Cette zone est parfaite pour mesurer l’évolution de la planète car elle est éloignée de tout continent et ne s’avère donc pas polluée, par exemple par des poussières.
La glace contient deux indicateurs. Tout d’abord, sa constitution nous a permis de reconstituer les variations climatiques sur 400 000 ans. En mesurant la concentration en deutérium de la glace, on peut savoir quel était le climat à une période donnée car la proportion de cet isotope de l’hydrogène diminue avec l’augmentation de la température du site. Et plus on fore profondément dans la glace, plus on remonte dans le temps. Ensuite, la glace contient des bulles d’air qui permettent de mesurer la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère à l’époque où elles furent emprisonnées.
Au final, ces archives de la glace nous ont permis d’observer à la fois une envolée de la concentration en CO2 et une nette augmentation des températures depuis le début du XIXe siècle [données qui ne sont pas reproduites sur le schéma]. Une autre corrélation nous a alarmés : la courbe du niveau des océans déduite de l’étude des sédiments marins suit, elle aussi, un tracé parallèle aux températures.
Comment affirmer que ce réchauffement climatique est d’origine humaine et non la résultante d’une ère climatique plus chaude, notamment due aux variations du rayonnement solaire, comme l’affirment certains scientifiques climatosceptiques ?
Claude Lorius : Le CO2 est le meilleur marqueur de l’activité humaine : vous brûlez une forêt, vous faites tourner une usine, vous conduisez une voiture, c’est du dioxyde de carbone. Aujourd’hui, tous les climatologues, de même que l’Académie des sciences, le reconnaissent : le changement climatique a une origine anthropique. Les phénomènes naturels, comme la variation de l’activité solaire ou les éruptions volcaniques, ont bel et bien une incidence sur les changements climatiques mais leur effet s’avère minime par rapport aux conséquences de la hausse des concentrations en CO2.
Les données du Giec confirment d’ailleurs que le réchauffement climatique observé actuellement est extrêmement proche des modélisations qui prennent en compte les phénomènes naturels mais surtout l’augmentation des concentrations en gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
La situation est-elle irréversible comme l’affirment, dans une étude récente publiée par Nature, des chercheurs canadiens ?
Claude Lorius : Il est vrai que si l’humanité décidait d’arrêter totalement, dès aujourd’hui, ses émissions, la concentration de CO2 dans l’atmosphère ne se réduirait qu’à un rythme très lent. Il faudra des siècles pour enrayer le réchauffement climatique. Mais la situation sera pire si l’on ne fait rien. A titre personnel, je suis toutefois pessimiste sur l’évolution de la planète dans les années à venir : je ne pense pas que l’homme soit capable d’arrêter le développement et de faire passer l’intérêt de la planète avant le sien et celui des Etats. Nous nous dirigeons donc certainement vers le pire scénario du Giec [qui prévoit une augmentation de 6°C d’ici la fin du siècle]. Malgré tout, les jeunes sont plus sensibles au respect de l’environnement. J’aime donc penser que nous sommes à l’aube d’un crépuscule, annonçant soit un coucher soit un lever de soleil.
Les LGV servent les riches, pas la société
Julien Milanesi est économiste et militant associatif
Courriel à Reporterre
Les nouvelles lignes à grande vitesse sont promues comme un gage de modernité écologique. Mais le prix du TGV le réserve aux plus aisés, et les sommes investies dans leur construction serait plus utile dans d’autres domaines.
Julien Milanesi – 30 décembre 2010
En ce moment, dans la presse et sur les murs du grand Sud-Ouest, des affiches vantent les mérites du projet de nouvelles lignes à grande vitesse (LGV) GPSO (Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest). Quelques images accompagnées d’un mot : une jeune femme est assise dans l’herbe, un train chargé de voitures passe derrière elle (« Responsable ») ; un homme en cravate somnole en souriant dans un fauteuil de TGV (« Utile ») ; une autre jeune femme se détend allongée prés de l’eau (« Rapide ») ; un enfant embrasse un vieux monsieur qui sourit (« Proche »).
Si nous laissons de côté le message à teneur écologique (« Responsable ») qui s’adresse clairement à l’intérêt général, ces affiches s’adressent aux individus : « Avec les LGV vous pourrez aller travailler plus facilement, partir en week-end au bord de la mer et voir votre famille plus souvent ». Mais ces perspectives réjouissantes s’adressent-elles pour autant à tous, voire à la majorité d’entre nous ?
Non, indéniablement, et c’est là tout le problème de justice que pose le financement public de ces nouvelles infrastructures. Nous sommes en effet peu nombreux à avoir besoin de faire un aller-retour dans la journée à Paris pour des raisons professionnelles et peu nombreux à pouvoir se payer régulièrement, au prix actuel du TGV, un week-end au bord de la mer ou en famille. L’utilité de ces infrastructures est donc limitée aux plus mobiles et aux plus aisés d’entre nous.
Pour les autres, de loin les plus nombreux, la priorité en terme de transport est le développement de transports collectifs de proximité bon marché permettant de faciliter les déplacements quotidiens domicile-travail. Ce sont ces équipements qui permettront par ailleurs de diminuer significativement l’usage de l’automobile et les émissions de CO2 afférentes. Alors, faisons tout, me direz vous : les LGV et les transports de proximité ! Le problème est que l’on ne pourra pas, l’argent public est rare et le coût des LGV est astronomique. Un kilomètre de ligne LGV coûte en effet 20 millions d’euros. Le projet GPSO coûterait ainsi environ 20 milliards d’euros, dont au moins les deux tiers seraient versés par la collectivité (pour réaliser cet ouvrage concédé à une exploitation privée durant 50 ans).
Les nombreuses collectivités locales qui s’apprêtent à s’engager dans ce financement verraient ainsi leur budget d’investissement considérablement amputé pour de longues années, au détriment des services publics de proximité dont elles ont la charge. Pour donner un ordre de comparaison, un collège coûte autant que 2 kilomètres de nouvelle ligne à grande vitesse.La construction de ces lignes se traduirait ainsi par une subvention au mode de vie des plus aisés au détriment du quotidien des plus pauvres d’entre nous. On objectera à cet argument que ces LGV s’inscrivent dans une logique de compétitivité des territoires, qu’elles sont indispensables pour ne pas perdre la guerre économique, que nos élites doivent bouger et que nos territoires doivent attirer les urbains fortunés pour ne pas se retrouver au ban de l’économie mondiale, ce qui nuirait au final à tous.
C’est vrai, en partie, mais cela ne clôt pas le débat pour autant, au contraire. La compétitivité est tout d’abord une notion relative (on est plus ou moins compétitif que quelqu’un) et ce qu’il y a derrière ces projets de LGV, c’est une question de concurrence territoriale. Ces équipements ne créent pas, en effet, d’activité, mais la déplacent vers les grands centres urbains. Les articles récents dans la presse locale sur la concurrence entre Bordeaux et Toulouse en sont l’illustration parfaite. La question est dès lors de savoir si ce mode de développement misant sur la concentration dans les grandes agglomérations d’activités à forte valeur ajoutée, tournées pour la plupart vers l’exportation, est soutenable socialement (et écologiquement).
Organiser le territoire et orienter l’action publique (et ses financements) à la seule faveur de ces grands pôles de compétitivité aggrave les fractures déjà existantes dans notre société : celle entre travailleurs qualifiés et mobiles et les autres, celle entre urbains et ruraux (ou péri-urbains), celle entre gagnants et perdants de la mondialisation, celle entre ceux pouvant faire Paris-Biarritz en trois heures pour passer le week-end et ceux ayant des difficultés à remplir le réservoir de leur automobile pour se rendre tous les jours sur leur lieu de travail (ou ceux utilisant au quotidien des transports ferroviaires de proximité dont la fiabilité se dégrade). Un modèle de développement différent, qui serait notamment plus centré sur l’économie locale, est indispensable pour réduire ces fractures. Mais la transition vers ce type d’organisation économique sera coûteuse en argent public et il est d’autant plus urgent de ne pas le dépenser dans des infrastructures comme les LGV qui aggravent les difficultés. Un compromis est possible, c’est celui de l’amélioration des voies existantes pour que puissent y circuler plus rapidement les TGV sans pour autant atteindre les vitesses de 300 ou 350 km/h. Ce serait bien moins coûteux que les LGV (de l’ordre de 1 à 5) et ce que nous perdrions en vitesse, nous le gagnerions en justice sociale !
Les LGV sont nécessaires
Jean Sivardière est président de la FNAUT (Fédération nationale des usagers de transport)
Courriel à Reporterre
Dans une tribune récente, Julien Milanesi critiquait le développement des LGV, “utiles aux riches mais pas à la société” et affirmait la nécessité de développer plutôt le réseau traditionnel. Jean Sivardière lui répond en soulignant la popularité des TGV et leur utilité pour réduire les trafics aériens.
Jean Sivardière – 13 janvier 2011
Selon Julien Milanesi Les LGV servent les riches, pas la société, les nouvelles lignes ferroviaires à grande vitesse sont des projets injustes et dangereux. Cette opinion repose sur plusieurs idées contestables.
1 – « Les LGV sont réservées aux plus mobiles et aux plus aisés ». En 2009, le TGV a transporté 97 millions de voyageurs. Si seuls les Français riches, dont les hommes d’affaires, utilisaient le TGV, un tel chiffre n’aurait pu être atteint. La clientèle du TGV (comme celle de l’avion) est plus diversifiée socialement qu’on ne le croit généralement. Les jeunes sont attirés par les tarifs Prem’s, et les retraités bénéficiant de la carte Senior préfèrent le TGV aux longs parcours automobiles. Le niveau élevé des tarifs concerne essentiellement les voyages pour motif personnel qui ne peuvent être planifiés longtemps à l’avance, et les voyages en famille. On peut imaginer une autre politique tarifaire qui atténuerait ces difficultés.
2 – « Les LGV déplacent l’activité vers les grands centres urbains ». Les effets pervers des autoroutes sont bien connus : les zones riveraines sont asséchées sauf au voisinage de certains échangeurs, les grandes villes aspirent les petites villes les plus proches, l’étalement urbain est encouragé. Les LGV n’ont pas ces inconvénients, elles servent à mieux relier entre elles les métropoles et contribuent à la revitalisation économique de leurs centres menacés par l’étalement des activités tertiaires périphériques ; elles sont neutres économiquement pour les territoires traversés.
Si elles ont des effets pervers pour l’aménagement du territoire, c’est parce que la SNCF favorise les relations par TGV et abandonne la desserte des villes moyennes ou les maintient dans un état médiocre, voire déplorable, et parce que de nombreuses gares nouvelles ont été implantées stupidement à la campagne, sans connexion avec le réseau existant. Ces effets pervers ne sont pas intrinsèques aux LGV, ils sont correctibles (à la demande de la DATAR, la FNAUT a réalisé une étude sur les gares TGV et recense actuellement les villes pénalisées par la politique de la SNCF).
3 – Il faut jouer sur « l’amélioration des voies existantes » pour accélérer les relations ferroviaires entre grands centres urbains, selon le leit-motiv persistant des opposants aux LGV. Mais porter la vitesse à 200 km/h est souvent très difficile techniquement et très coûteux, et ne permet pas de concurrencer l’avion et la voiture, d’autant que les TGV doivent alors coexister avec des TER et des trains de fret bien plus lents : abandonner le programme des LGV conforterait les trafics aérien et autoroutier, et leurs impacts environnementaux locaux et globaux négatifs (curieusement, les opposants aux LGV n’évoquent jamais les conditions de vie des riverains de Roissy et Orly) ; compte-tenu de la croissance prévisible de ces trafics, ce serait le retour d’un “programme autoroutier Balladur“, de diverses relations aériennes que seul le TGV a permis d’éliminer, et du projet toujours menaçant de troisième aéroport parisien.
Cet abandon aurait aussi pour conséquence immédiate de pérenniser la saturation de nombreuses lignes classiques (Tours-Bordeaux, et les lignes littorales d’Aquitaine, Languedoc-Roussillon et PACA, qui ne sont doublées par aucun itinéraire de détournement des trains) et de rendre impossible l’intensification souhaitable des dessertes TER et la fiabilisation du trafic de fret : comment provoquer des reports massifs de trafic de l’avion et de la route sur le rail sans une augmentation décisive de la capacité du réseau ferroviaire ? Même si, à l’avenir, la mobilité des personnes et des marchandises diminue, l’explosion prévisible du prix du pétrole rendra ces reports inéluctables : il faut s’y préparer dès aujourd’hui.
4 – « On ne peut financer à la fois les LGV et les transports de proximité ». C’est oublier que le montant des crédits affectés aux transports collectifs n’est pas une donnée de la nature et qu’il peut être élargi d’une part en réduisant les dépenses routières, d’autre part, dans l’esprit du Grenelle de l’environnement, en mettant en place des écotaxes sur les modes de transport nocifs pour l’environnement : voiture, camion et avion.
Une taxe poids lourds analogue à la MKW Maut allemande sera effective en 2013 ; une taxe sur les péages autoroutiers vient d’être introduite par l’Etat pour financer, certes très partiellement (35 millions en 2011), le déficit d’exploitation des trains Corail ; la loi Grenelle 2 autorise la mise en place d’un péage urbain dans les agglomérations de plus de 300 000 habitants. On peut aller bien plus loin dans cette direction, par exemple en taxant le billet d’avion en trafic intérieur et en augmentant la TIPP (comme l’a montré une étude de l’économiste Jean-Marie Beauvais commandée par la FNAUT et financée par l’ADEME, le carburant nécessaire pour parcourir 100 km en voiture coûte trois fois moins cher, en termes de pouvoir d’achat, qu’en 1970).
La FNAUT a présenté, en 2009, un projet de réseau ferré Intercités, complémentaire du réseau TGV et des réseaux TER, permettant, à partir du réseau existant, de relier entre elles la quasi-totalité des villes de plus de 100 000 habitants et de desservir au passage la majorité des villes moyennes : le coût serait modéré, équivalent à celui de 500 km de LGV, et son financement n’exigerait pas l’abandon du programme des LGV (environ 2000 km pour la première phase définie dans la loi Grenelle 1).
A l’inverse, il est illusoire d’espérer que l’abandon de l’extension du réseau des LGV bénéficierait automatiquement aux transports de proximité. Il est plus vraisemblable que les crédits libérés seraient immédiatement récupérés par les grands élus territoriaux, qui ne rêvent que de grands projets, pour étoffer le réseau autoroutier et renforcer inutilement la capacité des aéroports de province.
En conclusion, la FNAUT n’hésite pas à critiquer certains projets de LGV (par exemple Limoges Poitiers et les projets de grande traversée Est-Ouest du Massif Central) quand les coûts et impacts environnementaux sont disproportionnés par rapport aux résultats attendus et que d’autres solutions existent en modernisant des voies existantes ou en utilisant mieux le reste du réseau LGV. Mais elle estime que, sur les grands axes radiaux et internationaux, le TGV est l’outil indispensable d’une politique écologique des transports.
Les LGV sont inutiles et ruineuses
M Pachon Victor porte parole du Collectif des Associations de Défense de l’Environnement (CADE) Pays Basque et Sud des Landes
En réponse à une tribune de Julien Milanesi, Jean Sivardière de la FNAUT, vole au secours des LGV.
1) Il conteste l’argument de Julien selon lequel les LGV répondent aux besoins d’une « élite circulatoire ». Certes nous avons tous pris, marginalement, un jour ou autre un TGV (même ceux qui roulent à vitesse normale sur les voies existantes comme les autres trains de grandes lignes ce qui explique le nombre de voyageurs que M Sivardière avance), mais ceux qui sont la clientèle institutionnelle des TGV, ce sont ceux que l’objet même des TGV visait : la classe affaire, 1ère classe que l’avion a ravi au rail. La SNCF, puis RFF les ont appelé « l’élite circulatoire, », « les néonomades », « les cadres du tertiaire », « les naveteurs ». Il n’est que de lire les colloques des villes TGV pour comprendre le rêve éveillé des pro TGV : M Billardon, président de l’association européenne des villes TGV dans « TGV et aménagement » du territoire 1991, p 124 explique :
” C’est autour des gares TGV que doivent se concentrer les fonctions tertiaires supérieures, les structures de matières grises susceptibles de desservir l’ensemble du territoire régional tout en restant en communication avec l’ensemble du réseau de villes TGV dans le territoire national”.
Il n’est que de voir les acteurs des spots publicitaire TGV : des cadres uniformisés, costard cravate et ordinateur portable.
2) De là, il n’est qu’un pas (que nous franchirons allègrement) pour observer le second point d’achoppement qui en découle : les TGV sont un formidable outil d’accélération de la concentration des activités (tertiaires notamment) autour des métropoles de niveau européen au détriment des villes moyennes. Citons M François Plassard, chercheur du laboratoire d’économie des transports de Lyon dans “la vie du rail”, revue de la SNCF du 1 au 7 novembre 1990:
“Le système TGV ne peut fonctionner qu’entre des villes de taille suffisamment importante pour générer un trafic qui justifie l’existence d’une nouvelle ligne(…). En ce sens, le TGV ne fait qu’accompagner une tendance lourde de l’évolution économique actuelle qui concentre l’activité entre quelques grands groupes rassemblés en des pôles stratégiques. Le TGV, de la même façon, contribue progressivement à une nouvelle structuration de l’espace autour de pôles de moins en moins nombreux et de plus en plus importants”.
On peut verser des seaux de louanges sur Paris Lyon, mais qui se soucie désormais de Montchanin ou Le Creusot dont « les emplois ont été aspirés » (dixit le président du Conseil général) par les deux grosses métropoles ? Et pour parler plus précisément de ce que nous vivons au pays basque (et qui s’applique ailleurs hélas), observons ceci : autour de la gare de Bordeaux, sur 784 hectares on construit en prévision de l’arrivée de la grande vitesse, 30 000 m2 de bureaux par an pendant 15 ans. La cité du tertiaire voit le jour (au point d’inquiéter l’autre métropole Toulouse). Bordeaux nous dit-on vise le million d’habitants. Les bordelais se reproduiraient-ils plus vite que les autres ? Non bien sûr, ce qu’on attend ici (si tant est que ça marche, Reims d’après une étude récente attend toujours l’effet TGV) c’est l’aspiration vers Bordeaux des emplois et des employés d’Angoulème, Marmande, Agen, Mont de Marsan, Dax, Bayonne. Ca c’est du concret M Sivardière, et dans le même temps, RFF annonce qu’avec l’arrivée de la LGV, deux TGV sur trois s’arrêteront à bayonne et un TGV sur deux à Dax. Les LGV batties sur le concept de « l’ultramobilité » sont exactement le contraire de l’aspiration « à vivre et travailler au pays ». Ce déménagement du territoire induit par l’avion sur rail, M Sivardière le qualifie de « neutre économiquement pour les territoires traversés ». le slogan SNCF « le progrès ne vaut que s’il est partagé n’est qu’un rideau de fumée qui masque le contraire. Et comme M Sivardière ne peut ignorer « ces effets pervers » il y consacre un paragraphe pour présenter les rustines que la FNAUT appliquerait à ce système pervers. Mais enfin, cela fait des décennies que « les effets pervers » font leur œuvre et personne n’a pu prendre en compte les délicats conseils de la FNAUT ? C’est qu’en haut lieu on s’en tape car l’objet des LGV est effectivement de cannibaliser la SNCF, de l’endetter jusqu’à l’agonie, de la dépecer et d’en livrer au privé les seuls secteurs rentables. Oui l’endettement colossal des LGV (presque 28 milliards pour RFF) est un cheval de Troie pour liquider le service public ferroviaire.
3) Et M Sivardière de s’en prendre aussi à nos revendications d’amélioration de l’existant en mettant en avant la difficulté de faire circuler sur une même ligne fret, TER et TGV (aujourd’hui au Pays Basque sur la portion nous traversant, environ 25 trains par sens (fret, TER et TGV) passent tous les jours alors qu’il pourrait en passer 132 par sens). Voici poindre la vieille rengaine, les TGV sur la voie nouvelle dégageront de la place pour les marchandises sur les voies existantes. Vieille rengaine battue en brèche par la réalité, des décennies de TGV pour en apporter la preuve et résultat, juste le contraire, jamais le fret n’a été aussi bas. D’autres pays n’ont pas fait le choix des LGV et rencontrent pourtant un succès qui fait pâlir d’envie la SNCF. Sur Goteborg-Stockolm, on a choisi de moderniser la voie existante, la moderniser vraiment, pas la rafistoler, on a conçu un matériel roulant moderne et alors qu’il y a concurrence de l’autoroute et de l’avion, le train capte 50% des voyageurs. Observons encore ce que nous connaissons (je joins à mon article les documents cités) : RFF au cours du débat public nous concernant, dans un des CD distribués, publient les gains de temps entre Bordeaux et le Pays Basque. Avec la ligne actuelle améliorée, gain de temps 17 mn. Avec la LGV 21 mn. Différence 4 mn, prix : 5,5 milliards d’euros non actualisés. Et encore s’agit-il d’aménagements mineurs, qu’en serait-il si on installait le système européenn de contrôle des trains au lieu des Blocs Automatiques Lumineux que la ligne Bayonne-Dax a attendu 64 ans ? Qu’en serait-il si nous avions du matériel pendulaire ? E puisqu’on parle des performances des lignes, revenons à un article du Monde du 19 juillet 2008. Il s’intitulait « les trains pourront aller plus vite, ils arriveront à la même heure ». On y interviewait la responsable stratégie de RFF. Elle réclamait que la France légifère, à l’instar d’autres pays sur la limite de vitesse des trains. Elle soulignait des effets pervers de la grande vitesse : nuisances accrues, usure à grande vitesse des voies et notez bien, la faible performances des lignes nouvelles où, devant un train qui va vite il faut enlever ceux qui vont moins vite. Ainsi nous pouvions comprendre que sur ces lignes ruineuses et fragiles, on faisait passer moins de trains que sur les lignes anciennes. Elle concluait en donnant son « point de performance : 200 km/h. Et puis prenons cela d’un peu plus haut. Une autoroute gaspille 10 hectares au km, une LGV 7h (9h au Pays Basque plus vallonné). Jusqu’à quand allons nous consommer du territoire comme si nous avions 4 planètes de rechange ?
Enfin, M Sivardière lâche ici ou là quelques perfides insinuations selon lesquelles les opposants aux LGV n’évoqueraient jamais les conditions de vie des riverains des aéroports. En d’autres articles, nous serions des pro autoroutes.
Il ignore donc que Julien Milanesi fut et est un des principaux animateurs de la lutte contre l’autoroute A65 (comme nous et d’autres et si peu avec la FNAUT), il ignore qu’avec l’association LEIA membre du CADE et toujours sans la FNAUT, nous avons gagné contre le projet routier de la transnavarraise, qu’avec l’association Bizi, Attac Pays Basque et toujours sans la fantomatique FNAUT nous étions couché sur les quais de la gare de Bayonne en défense des wagons isolés avec les cheminots CGT le 6 février 2010. Il ignore que si nous sommes hostiles au modèle TGV qui détruit du tissu social, nous sommes favorables aux TER et au fret qui en construisent. Il ignore que les élus favorables à la LGV sont aussi des élus qui réclament à corps et à cris des lignes aériennes à bas coûts (la mairesse PS de Pau comme le maire centriste de Biarritz) ; une incohérence qui a fait perdre près de 50 000 voyageurs à la gare de Biarritz lorsque Easy jet est arrivée. La vanité de nos « bâtisseurs » est tout azimut et exclut comme M Sivardière l’heure de l’humilité et d’une meilleure utilisation de l’existant.
Bref, à force de siéger et rien que siéger, sans être une force de mobilisation, la FNAUT prend le chemin de la coquille vide bureaucrate.