Articles du Vendredi : Sélection du 21 avril 2023

Le plastique, la nouvelle bombe climatique de TotalEnergies
Mickaël Correia
www.mediapart.fr/journal/ecologie/210423/le-plastique-la-nouvelle-bombe-climatique-de-totalenergies

Fabriqué à partir de pétrole, le plastique est en train de devenir la nouvelle façon d’engranger des profits pour les industries fossiles. TotalEnergies vient de s’associer avec Saudi Aramco, le plus gros pétrolier du monde, pour ériger un complexe pétrochimique géant en Arabie saoudite. Leur but : nous inonder de plastique, au détriment du climat.

L’information est passée complètement inaperçue. Pour cause, elle a été communiquée juste avant Noël dernier, dans la torpeur des vacances de fin d’année.

TotalEnergies et Saudi Aramco, le plus gros groupe pétrolier mondial, ont annoncé conjointement la construction d’un « complexe pétrochimique géant en Arabie saoudite ».

Baptisé « Amiral », ce site de « taille mondiale » représente un investissement colossal de plus de 10 milliards d’euros, pour un démarrage prévu en 2027. L’objectif de cette méga-usine : fabriquer à partir de pétrole des matières plastiques.

Le plastique est en effet issu à 99 % de composés fossiles. Il est notamment fabriqué à partir de naphta, un liquide issu de la distillation du pétrole. Pour produire du plastique, le secteur pétrochimique utilise donc du pétrole à la fois comme matière première et comme énergie – ce qui le classe au rang des industries les plus énergivores du monde.

Pourquoi les pétroliers misent-ils si gros sur le plastique ? Les ressources en énergies fossiles s’épuisant, et voulant anticiper la fin progressive des moteurs à essence dans les pays du Nord, les multinationales de l’or noir cherchent de nouveaux gisements de croissance pour valoriser leurs barils de brut.

Et utiliser le pétrole pour produire les matériaux plastiques utilisés dans les emballages, les ordinateurs, les smartphones, les détergents ou les vêtements s’avère particulièrement juteux car la demande explose.

Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la consommation de plastique a quadruplé en 30 ans sous l’effet des marchés émergents.

Les perspectives de profits s’annoncent mirifiques : alors qu’en Amérique du Nord, la consommation de plastique par habitant dépasse les 200 kilogrammes par an, elle est de l’ordre de 45 kilogrammes en Chine, à peine une dizaine en Inde.

« Ce sera l’un des projets les plus profitables de notre portefeuille », s’est réjoui Patrick Pouyanné, le patron de TotalEnergies, en 2018, lorsque les deux rois du pétrole ont annoncé un premier accord pour le complexe Amiral. Amin Nasser, le PDG de la compagnie saoudienne Saudi Aramco, a pour sa part déclaré : « Le secteur de la pétrochimie a connu une croissance significative au niveau mondial, il constitue l’un des futurs moteurs de la croissance. »

La pétrochimie mondiale dévore déjà 15 % de la production totale de pétrole et incarne « la principale source de croissance de l’utilisation du pétrole », selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

Au rythme actuel de production, le pétrole sera à terme plus utilisé pour fabriquer du plastique que comme carburant pour les voitures.

Boom climaticide

Aujourd’hui, une tonne de plastique finit dans l’océan toutes les trois secondes. Selon le programme de l’ONU pour l’environnement, les plastiques représentent « au moins 85 % du total des déchets marins » et constituent l’une des principales menaces pour la préservation de notre planète.

1,4 million d’oiseaux et 14 000 mammifères marins meurent tous les ans à cause de l’ingestion de plastique. Par ailleurs, les micro-plastiques sont désormais omniprésents dans la chaîne alimentaire humaine.

Ce matériau constitue également une menace grandissante pour le climat. L’industrie du plastique est la source de gaz à effet de serre industriel qui connaît la croissance la plus rapide au monde.

Rien qu’en 2019, la production et l’incinération du plastique avaient rejeté plus de 850 millions de tonnes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère – soit presque autant que ce qu’a émis l’Allemagne durant cette même année.

Si le plastique se développe comme prévu actuellement, d’ici à 2030, ses émissions pourraient atteindre 1,34 gigatonne par an, l’équivalent des émissions rejetées par près de 300 centrales à charbon.

« Nos économies sont fortement dépendantes des produits pétrochimiques, mais le secteur fait l’objet de beaucoup moins d’attention qu’il ne le devrait, alertait, dès 2018, Fatih Birol, directeur exécutif de l’AIE. La pétrochimie est l’un des principaux angles morts du débat mondial sur l’énergie. »

Capitalisme plastique

À l’heure actuelle, les géants pétro-gaziers investissent massivement dans le plastique, notamment sur le continent asiatique où se situent 80 % des complexes pétrochimiques que le secteur fossile compte construire d’ici à 2025.

Le top départ vers cette nouvelle manne de pétro-profits a été sifflé par Saudi Aramco, le premier exportateur mondial de pétrole qui a engrangé en mars dernier des bénéfices record gigantesques de 161 milliards de dollars. En novembre 2018, son patron Amin Nasser a en effet annoncé que sa firme investirait 100 milliards de dollars dans la pétrochimie au cours de la prochaine décennie. « L’énorme croissance de la demande de produits chimiques nous offre une fantastique fenêtre d’opportunité, s’est-il targué. Mais de telles fenêtres, par leur nature même, n’offrent un maximum de bénéfices qu’à ceux qui agissent rapidement. »

Pour tisser à toute vitesse son maillage d’usines de plastique à travers l’Asie, Saudi Aramco n’hésite pas à s’allier avec d’autres industriels comme l’américain ExxonMobil, le malaisien Petronas ou la compagnie tricolore TotalEnergies.

Pour leur pôle pétrochimique pharaonique Amiral, la multinationale saoudienne et TotalEnergies ont prévu de s’installer à Al-Jubail, sur la côte est de l’Arabie saoudite, où les deux firmes exploitent déjà depuis 2014 une raffinerie géante, considérée comme l’une des plus rentables au monde.

Contactée par Mediapart (voir notre Boîte noire), TotalEnergies explique que le complexe produira, à destination « du marché domestique et asiatique essentiellement », un million de tonnes de polyéthylène par an, la matière plastique la plus commune qui entre dans le processus de fabrication de nombreux produits de notre vie quotidienne – emballages, bouteilles, sacs plastiques, câbles, etc.

Interrogé sur l’impact climatique d’Amiral, TotalEnergies a répondu que « ce projet s’inscrit pleinement dans l’objectif de la compagnie d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et dans [leur] ambition de promouvoir une économie circulaire des plastiques en Arabie saoudite ».

Et d’ajouter : « Le pétrole sera au service de la fabrication de plastiques, notamment issus du recyclage, et qui contribuent à l’amélioration de l’efficacité énergétique de nombreuses applications finales. »

Les 15 et 16 avril derniers, le G7 a réuni au Japon les ministres du climat, de l’environnement et de l’énergie. Dans leur déclaration finale, les sept grandes puissances économiques mondiales se sont engagées à « mettre fin à la pollution plastique, avec l’ambition de réduire à zéro toute pollution plastique supplémentaire d’ici à 2040 », avec pour optique la mise en place d’un traité juridiquement contraignant.

Des engagements qui apparaissent bien faibles au vu des investissements monstres et des futurs profits sur l’industrie du plastique de TotalEnergies et Saudi Aramco.

En 2018, le groupe saoudien en partenariat avec la compagnie française avait invité la presse à visiter ses installations pétrochimiques à Al-Jubail. En vantant le mégaprojet Amiral, Patrick Pouyanné s’était alors félicité devant un parterre de journalistes que, grâce au plastique, « l’industrie pétrolière a encore de beaux jours devant elle ».

 


Pierre Charbonnier : « Dire que la transition écologique menace les libertés, c’est de la mauvaise foi »
Pierre Charbonnier chargé de recherche CNRS à Sciences Po (Centre d’études européennes et de politique comparée)
www.alternatives-economiques.fr/pierre-charbonnier-dire-transition-ecologique-menace-liberte/00106636

Se détourner des énergies fossiles afin de limiter le réchauffement climatique revient-il à abandonner toute forme d’abondance matérielle et de confort ? Pas pour le philosophe Pierre Charbonnier, qui estime que les technologies décarbonnées alliées à la sobriété collective permettent de répondre à l’impératif écologique sans remettre en cause les libertés et le progrès social.

Auteur d’Abondance et liberté, une histoire environnementale des idées politiques (La Découverte, 2020) et de Culture écologique (Presses de Sciences Po, 2022), il appelle les forces de gauche et écologistes à bâtir un nouveau compromis social pour rendre politiquement attractive la transition écologique.

Vous appelez, dans une tribune publiée par Libération, les forces politiques issues de la gauche et de l’écologie à s’entendre pour promouvoir une nouvelle offre politique sociale écologique. Pourquoi une telle offre serait-elle nécessaire ?

Pierre Charbonnier : Aujourd’hui, la question écologique n’est plus seulement une affaire de valeurs, ni même un impératif de préservation des espaces qui environnent l’activité humaine. Elle est désormais complètement intégrée à la question du type de compromis social que l’on veut construire.

Un tel compromis doit viser selon moi à satisfaire des demandes de justice sociale dans les limites écologiques de notre territoire et de la planète. Mais il est difficile de le construire car il a existé pendant longtemps un réel dilemme entre l’impératif de développement – dont découle la justice sociale – et l’impératif de soutenabilité écologique.

Pourquoi ? Parce que les modalités techniques et macroéconomiques du développement étaient polluantes, et liées à l’accès à des ressources fossiles abondantes et peu chères. La résolution du problème écologique était donc repoussée au nom des intérêts économiques, mais aussi par l’intérêt d’une grande partie de la population, notamment ouvrière, qui bénéficiait du développement économique.

Aujourd’hui, le paysage scientifique, technique, ainsi que la conjoncture économique et géopolitique ont changé. Les énergies renouvelables et les moyens de stockage d’électricité arrivant à maturité, ils permettent de créer un développement industriel et des emplois ainsi que des débouchés commerciaux pour ces filières, tout en soutenant une demande sociale fondamentale des sociétés modernes : la mobilité.

On peut considérer désormais que le risque social de la non-transition est plus grand que le risque social lié à un changement de modèle motivé par des considérations écologiques. C’est ce que dit le rapport du groupe 3 du Giec. La balance politique change car le risque de l’inaction est élevé. Les impacts des catastrophes climatiques commencent à coûter cher, impactant la banque, l’assurance, la réassurance. La question climatique devient un risque systémique et militaire, mobilisant les armées pour des catastrophes naturelles.

Ce qui nous manque, maintenant, c’est donc ce compromis social. Autrement dit : quelle va être la coalition d’intérêts qui va s’identifier à ce nouveau régime économique.

Le récent rapprochement des partis de gauche et écologistes n’est-il pas suffisant pour aboutir à ce nouveau compromis social ?

C. : Effectivement, l’ensemble de la gauche – dans le monde industrialisé – a intégré la question écologique et c’est une bonne nouvelle. Mais à l’échelle française, cette alliance entre partis de gauche et écologistes me semble essentiellement défensive, car construite sur un constat commun : les règles qui régissent l’économie, le commerce, les relations de travail ne sont pas compatibles avec les limites écologiques, donc il faut les changer.

Cet accord a minima ne porte pas encore suffisamment sur les modalités concrètes qui permettent de surmonter les impasses de notre modèle de développement actuel.

Au sein de la gauche française, on trouve des variantes qui vont de la planification radicale côté France insoumise, à des modalités plus incitatives et méfiantes envers l’Etat centralisateur chez les écologistes. Cette divergence sur le rôle de l’Etat fait, à mon avis, obstacle à la construction d’un programme commun de transition juste.

Autre problème : l’attitude à l’égard de l’Europe. Depuis la guerre en Ukraine, les attitudes à gauche quant au soutien à apporter à Kiev sont très contrastées. Or l’un des enjeux de la guerre en Ukraine, au-delà de la défense du peuple ukrainien, est la question énergétique, c’est-à-dire ce que l’on fait du pétrole et du gaz russes.

Pour certains segments de la gauche, c’est à l’échelle européenne que la puissance écologique peut se constituer – c’est ce que j’écris dans ma tribune. La gauche planificatrice, elle, semble avoir pour impératif de revenir à une échelle nationale, mais sous-estime le fait que l’Union européenne est en avance sur l’échelon national en matière de réindustrialisation, ou de réorientation écologique de la production, comme le montrent le Green deal ou le Net-zero industry act, en réponse à l’Inflation Reduction Act (IRA) américain.

N’y a-t-il pas aussi une tension à gauche sur la stratégie politique à adopter, entre ceux qui veulent cliver et ceux qui préfèrent rassembler, quitte à paraître moins radical ? Ou placer le curseur ?

C. : Prenons les deux espaces politiques où cette question stratégique est posée. D’un côté, la France insoumise a adopté ces dernières années une stratégie « populiste » en appuyant sur le clivage entre l’élite et le peuple. Mais cette stratégie me semble en décalage avec l’impératif écologique car, même s’il faut atteindre une masse critique suffisante et convaincre une majorité de la population de la nécessité de la transition, celle-ci mobilise aussi des élites – ingénieurs, chercheurs… – qui forment une sorte d’avant-garde culturelle et contribuent à diffuser de nouveaux schémas de consommation, et qui sont des acteurs clé de la transition à travers leurs compétences professionnelles.

Du côté de l’écologie politique, c’est le même problème en miroir, car ce camp se réclame d’une cause universelle – le bien de l’humanité et de la communauté nationale – mais cette formulation ne séduit qu’un petit segment électoral, plutôt urbain, favorisé et diplômé. C’est d’ailleurs pour cela que l’écologie politique française n’investit pas vraiment le débat sur la stratégie industrielle de transition : cela l’obligerait, je pense, à faire des concessions sur la question du nucléaire – alors qu’elle en fait un point d’honneur – ou sur la question de l’ouverture de mines en France.

Un débat va avoir lieu à l’intérieur de l’écologie politique entre la préservation du climat et la préservation de l’environnement proche. Une mine de lithium, par exemple, a un impact négatif mais on peut la juger nécessaire pour des raisons écologiques – décarboner la mobilité – et de justice internationale – ne pas se reposer sur les pays du sud pour s’approvisionner en lithium.

Au-delà de ces deux camps, on peine à trouver dans l’espace public des organisations ou lobbies qui défendent une approche réaliste de la transition, afin qu’elle soit techniquement faisable et politiquement majoritaire.

Croyez-vous dans l’existence d’une « classe écologique » qui, comme l’écrivait Bruno Latour, doit devenir consciente d’elle-même ?

C. : Pourquoi pas, on peut parler de classe écologique ou géosociale. Mais l’essentiel est de faire en sorte que ceux qui travaillent dans l’énergie, le bâtiment, les transports ou l’agriculture prennent conscience que leur manière de travailler, ce qu’ils produisent et les consommateurs à qui cette production s’adresse sont des choses centrales dans le processus de transition. Le problème n’est pas de savoir si cette classe existe ou pas, mais de savoir à quelles conditions elle peut émerger.

Tant que nous n’aurons pas de voix politiques fortes qui dessinent les contours de cette classe, qui en dénombre les membres, et qui créent un intérêt effectif pour cette trajectoire sociale, cette classe n’existera pas. Pour l’instant, la coalition au pouvoir a plutôt tendance à défendre le statu quo, au profit des épargnants, des classes moyennes supérieures ou des retraités riches, et ce n’est sans doute pas elle qui va porter les transformations nécessaires.

Le nouveau compromis social auquel vous appelez doit, selon-vous, remplacer le compromis social fordiste d’après-guerre, basé sur la consommation de masse et les énergies fossiles. Mais vous observez aussi que la promotion d’un style de vie moins matérialiste provoque la réticence des classes moyennes et populaires. Comment résoudre cette tension ?

C. : Dans un premier temps, il faut abandonner l’idée que la conquête de l’hégémonie culturelle par les valeurs environnementalistes fera le job. L’enjeu pour moi est de renouer avec le concept de liberté sociale. Cela revient à dire que la liberté n’est pas contradictoire avec la contrainte que fait peser sur nous l’appartenance au collectif, mais qu’elle résulte de cette intégration.

Jusqu’ici, on faisait rimer liberté et appartenance collective en augmentant la production afin de créer des richesses à redistribuer et à convertir en protection sociale et en services publics. Désormais, il s’agit de créer des schémas de consommation à l’impact écologique plus faible.

Cela revient à faire de la sobriété dite « communautaire », donc produire des biens plus durables avec un haut niveau de partage. Ce qui implique de vivre vraiment ensemble et d’aller à l’encontre de l’individualisme libéral, alors que celui-ci a encore beaucoup de succès ! Mais en approfondissant ce nouveau rapport à la liberté sociale, on peut répondre à l’impératif de sobriété et rester fidèle à l’histoire du modèle social français.

Comment faire concrètement pour que la sobriété ne soit pas interprétée comme une attaque sur les libertés ?

C. : Ça dépend des sujets. Prenons la mobilité, qui est devenue l’une des expressions les plus immédiates de la liberté : pour beaucoup de gens, être libre c’est « aller où je veux ». Et je n’ai pas de problème avec cette idée en elle-même. La focalisation du débat sur les émissions du transport aérien – qu’il faut effectivement réduire – au détriment des émissions liées aux trajets du quotidien en voiture – qui sont plus émissifs globalement – montre qu’on ne s’intéresse pas assez aux infrastructures contraignant ces déplacements. Or il est très important que ces infrastructures de transport permettent par défaut des déplacements moins carbonés.

Même chose pour l’alimentation : le fait de consommer moins de viande et plus d’aliments d’origine végétale ne doit plus être une question de choix délibéré mais un fonctionnement du système « par design ». Et cela doit être rendu possible par des mécanismes de prix ou d’infrastructures qui rendent plus pratique le fait d’adopter des modes de vie écologiques.

Dans ces conditions, la liberté de se déplacer ou de manger n’est pas annulée mais redéfinie. Dire que la transition écologique menace les libertés est de mauvaise foi car la seule liberté que nous avons toujours connue est une liberté sous contrainte. Il ne faut pas confondre la liberté et l’anomie. On devrait considérer que conduire un énorme Hummer thermique ou ne pas porter de masque en pleine vague de Covid ne relève pas de la liberté mais de l’anomie.

Ainsi, la transition s’accompagne de gains en termes de libertés politiques fondamentales – notamment parce que la transition nécessite de discipliner le capital – mais les petites libertés individuelles, comme le fait de prendre l’avion ou la voiture, devront faire l’objet d’arbitrages nouveaux : ce type de voyage sera plus contraint mais il y aura en parallèle moins d’embouteillages…

Dans un texte récent, vous écrivez qu’il n’y a « pas nécessairement à choisir entre la réponse à des demandes de confort, de bien être, de sécurité, et des impératifs écologiques », en prenant l’exemple des pompes à chaleur qui peuvent répondre à ces deux nécessités. Mais ce raisonnement est-il généralisable au reste des activités humaines ? 

C. : Il n’est sûrement pas universalisable. Mais il est tenable sur le confort thermique avec la pompe à chaleur, ainsi que sur la mobilité et l’alimentation en repensant les infrastructures et les modèles de consommation sans perdre en liberté. En agissant sur ces trois domaines, on écrase une bonne partie du faux dilemme entre abondance et liberté.

La question de la pompe à chaleur est moins anecdotique qu’elle pourrait paraître. Notre héritage historique nous a conduit à penser que la seule manière d’avoir un accès abondant à l’énergie est d’utiliser les énergies fossiles, car leur densité énergétique est hallucinante : avec 6 litres de pétrole, et à condition d’avoir un bon convertisseur, on déplace une tonne sur 100 kilomètres !

On a longtemps pensé que se priver de cet apport énergétique revenait à sacrifier l’essentiel des conquêtes modernes. Mais le rayonnement solaire disponible sur Terre dépasse de plusieurs ordres de grandeur les besoins énergétiques des humains. Le problème est de collecter cette énergie, et la pompe à chaleur, ainsi que les énergies renouvelables – qui sont certes plus contraignantes – y parviennent.

Ces techniques nous obligent certes à mieux isoler nos bâtiments, à mieux entretenir nos infrastructures et à les faire fonctionner en réseau, mais elles ne sont pas synonymes de fin de l’abondance. Elles installent juste un autre rapport à l’énergie.

Vous parlez de « faux dilemme » entre abondance et confort, mais on dirait que le champ politique se structure sur cette opposition, entre une écologie « de droite » qui postule que la technologie permettra de ne rien changer, et une écologie technocritique qui a pour préalable de changer les comportements sans espérer un miracle technologique.

C. : Cette polarisation est regrettable. Je défends une position intermédiaire qui consiste à vouloir redéployer des infrastructures techniques, mais aussi politiques et réglementaires, de nature à nous faire manger, bouger et travailler différemment, mais dans des conditions qui répondent toujours à l’idéal moderne de liberté. L’idée n’est pas d’en venir à la pénurie ou la menace permanente ni, plus positivement, à la fin du travail ou à la décroissance.

Au niveau international, n’est-on pas confronté au même dilemme entre abondance et liberté, dans le sens où l’assise matérielle permise par les énergies fossiles permet aux nations d’assurer leur indépendance, voire leur survie géopolitique ?

C. : Oui. Pour l’expliquer il faut revenir à ce que les spécialistes des relations internationales appellent « dilemme de la sécurité » : pour qu’une entité politique souveraine protège son indépendance, elle développe son système défensif, son armée, son armement, mais plus elle développe sa défense, plus elle apparaît comme une menace aux yeux des autres nations, ce qui crée un effet d’escalade.

Pour contrecarrer cet effet, les nations ont développé des interdépendances sur le plan économique, notamment via les échanges d’énergies fossiles (CECA en Europe en 1951, marchés pétroliers mondiaux, etc) avec l’espoir que la complémentarité économique absorbe les risques engendrés par le dilemme sécuritaire. Mais la crise climatique nous montre que ce qui était conçu comme un outil de pacification par la production et le commerce devient un outil de destruction de la planète.

Pour sortir de ce dilemme de l’insécurité fossile, il est nécessaire de créer une nouvelle coopération effective – et pas seulement déclarative comme celle des COP – fondée non plus sur l’intensité énergétique fossile, mais sur autre chose. Quoi ? L’UE tente de son côté de réintégrer dans son circuit productif tous les secteurs économiques de la transition pour faire converger sécurité géopolitique et impératif écologique – ce que j’ai appelé « écologie de guerre ».

Le risque, en se découplant des économies américaine et chinoise, est d’arriver à la constitution de grands blocs économiques moins interdépendants, plus protectionnistes, et que la transition écologique aille de pair avec une intensification des conflits géoéconomiques.

Derrière le plan IRA de Joe Biden, il y a cette idée de mener une guerre économique face à la Chine. Il faut donc, là encore, envisager un compromis géopolitique entre les différents acteurs de l’ordre international, en fonction des capacités écologiques et productives de chacun, pour que la transition vers de nouveaux modèles économiques n’entraîne pas des rivalités trop importantes, allant jusqu’à la guerre. La diplomatie climatique, dans ce cadre, se fond dans la diplomatie tout court, de la même manière que les politiques climatiques nationales se fondent dans les politiques socio-économiques générales.

 

Euskara Ipar Euskal Herrian: «Ez da beranduegi»

www.berria.eus/paperekoa/1925/002/001/2023-04-05/euskara-ipar-euskal-herrian-ez-da-beranduegi.htm

Inkesta soziolinguistikoaren datu «kezkagarriak» ikusirik, arlo guziak landuko dituen hizkuntza politika eraginkor baten alde egin dute adituek eta euskalgintzak

Ipar Euskal Herrian euskarak duen egoeraz kezkaturik agertu dira euskalgintza eta zenbait aditu. Azpimarratu dute hizkuntza politika publikoa berrikusi eta indartu behar dela egoerari buru egiteko.

Joan den astean argitaratu zituen VII. Inkesta Soziolinguistikoaren datuak EEP Euskararen Erakunde Publikoak, eta, aitzineko inkestek bezala, euskararen beheranzko joera berretsi dute: hiztun kopurua doi bat emendatu bada ere, euskaldunen proportzioa apaldu eta apaldu ari da. 51.000 euskaldun dira Ipar Euskal Herrian, herritarren %20,1.

Eneko Gorri soziolinguista eta euskalgintzako ekintzaileak eman du lehen azpimarra. Datuak «biziki kezkagarriak» badira ere, ez da batzuek espero zuten «sekulako aldaketa» iritsi, haren hitzetan. «Askori iruditzen zaigu jendartea biziki fite aldatu dela, eta euskararen gaiarekin are gehiago. Pentsa genezakeen intzidentzia handia izan zezakeela, eta ez da hainbestekoa», ebatzi du.

Hala ere, joera soziolinguistikoak epe luzera begiratzen direla azpimarratu du. Hor du kezka nagusia: «Azken hamar urteetan lurralde honek bostehun euskaldun irabazi dituela erraten da, baina momentu berean 14.000 erdaldun irabazi ditu». 2001etik hona izandako bilakaeran jarri du arreta: hogei urtez 4.500 euskaldun galdu dira Ipar Euskal Herrian. Orain dela urte batzuk Euskal Konfederazioak egindako prospekzioak aipatu ditu: hizkuntza politika berarekin segituz geroz, 2035ean %15era jautsiko litzateke euskaldunen proportzioa.

Celine Mounole Hiriart-Urruti UPPA Paueko eta Aturrialdeko Unibertsitateko irakasle ikertzaileak adierazi du hiztunen gaitasunari begiratu behar zaiola. Euskal elebidunak, elebidun orekatuak eta erdal elebidunak banatu ditu inkesta soziolinguistikoak, euskaraz mintzatzeko duten erraztasunaren arabera. Ipar Euskal Herrian, euskal hiztunen kasik erdiak erdal elebidunak dira; hau da, hobeki moldatzen dira erdaraz, euskaraz baino. «Horrek are okerrago bilakatzen du inkestaren emaitza. %20ko hori ez da zenbaki erreala. Hiztun horien erdiak bakarrik sentitzen badira gai euskaraz aritzeko, erran nahi du gure hizkuntza eri dela, gure hiztunak eri direla», deitoratu du. «Hizkuntza batek hiztun osoak behar ditu bizitzeko, ez soilik hizkuntzan moldatzen diren hiztunak. Errealitatea iluna da. Ez dugu lortu euskaldun kopurua sendotzea gaitasunean», ebatzi du.

Gazteengan ikusten dituzte datu baikorrak Gorrik eta Mounole Hiriart-Urrutik. 16-24 urtekoen artean, kasik bikoiztu egin da euskaldun kopurua hogei urtean: %12,2 ziren 2001ean, eta %21,5 gaur egun. 25-34 adin tartean ere gorakada nabari da garai berean: %12,1etik %17,2ra igaro da. «16 urtetik beherako hiztunak ez dira ageri, eta hor ere badira datu baikorrak», Gorriren iritziz. «Energia anitz eman da azken hogei urteetan hezkuntzan, eta duela hogei urte espero ez ziren emaitzak lortu dira. Ikaragarria da». Hala ere, ezinbestekoa da beste arloetan ere indarrak ematea, haren ustez. Helduen alfabetatzean eman du lehentasuna. «AEK bizi den prekaritatetik atera behar da; ezinbesteko alorra izanen da ondoko urteetan. Ez gaitezen gazteetan bakarrik fokalizatu».

Erabilerari dagokionez ere ildo beretik jo dute biek ala biek. «Gure hizkuntzak, aitzina egiteko, ez du bakarrik etxeko hizkuntza izan behar. Diglosia hori oraindik izugarri markatua da, eta oraindik eta markatuagoa izanen dela ageri da», aztertu du Mounole Hiriart-Urrutik. «Hiztun kopuruak eragina du erabileran, hiztun dentsitateagatik. Oro har gero eta euskaldun gutxiago gara, eta gero eta aukera gutxiago izanen dugu euskaraz mintzatzeko», ondorioztatu du Gorrik. «Bada dinamika bat adin piramidearen azpitik heldu dena, ezagutza eta erabilera gora emanez. Baina hiztun komunitatea bere osotasunean indartu behar da. Ezin da gazteen bizkar utzi». Hala ere, gaur egun datuak eskas dira, Gorriren hitzetan, erabileraren gaia behar bezala lantzeko.

Hizkuntza politika ardatz

Euskal Konfederazioak ere kezkaz hartu ditu datuak. Hur Gorostiaga Seaskako zuzendaria mintzatu da Ipar Euskal Herriko euskalgintzako eragileen izenean: «Gaur egungo hizkuntza politikak euskaldunak zokoratzen ditu, eta euskara desagertzera kondenatzen du», deitoratu du. «Hizkuntza politika euskalgintzaren bizkar eraiki da, eta eskas dira politika publikoak. Udalekuren gain ezartzen da aisialdi politika garatzea, baina ez dira ezartzen horretarako behar diren ahalak. Gauza bera AEKrekin, ikastolekin… Hori ez da hizkuntza politika bat martxan ematea, eta, emaitzek adierazten dutenez, euskararen gainbehera ekartzen du». Gogor mintzatu da: «Bada garaia instituzioek itxurakeria utz dezaten eta ekin diezaioten».

Eguneratu beharra ikusten du Gorrik ere: «Iruditzen zait bagenukeela zepo batean erortzeko arriskua: kontsideratzea gaur egun arte egiten dena ongi dela baina intentsitate handiagoan egin beharko litzatekeela». Hiru ardatz azpimarratu ditu. Transmisio kanalak masifikatzea, batetik. «Hiztunak ekoitzi behar ditugu masiboki. Hezkuntza, bai, baina transmisioa egiten den beste esparruak baztertu gabe». Horrez gain, erabileraren aroa zabaltzeko «plan integral bat» beharko dela uste du.

«Ezin da bakarrik pentsatu Euskaraldiari; agerian utzi ditu bere mugak», adierazi du. «Haurrak eta helduak biziki pragmatikoak dira, berehala ulertzen dute Egun on bonjour batekin aski dutela hemen bizitzeko». Azkenik, sentsibilizazio dispositibo berrituen beharra aipatu du. «Nahi dugu transformazio politika bat eraman iritzi publikoan eragin gabe. Uste dugu 2000ko urteetan eraiki den kontsentsu soziopolitikoak iraunen duela luzaz. Baina arraildurak agertzen dira, eta erantzun behar diogu lehenbailehen». Diskurtsoari lotua da, haren ustez. «Zertarako balio du euskarak? Zer ekarriko dio Bordeletik etorritako herritar bati edo Baigorrin sortu den gazte bati?».

Euskaratik urrun direnak hurbiltzeko argumentuak ere landu beharko lirateke. «Jende anitz Euskal Herritik kanpotik etorria da. Ez dute euskal izenik, ez dute errorik Euskal Herrian… Ez dute berezko loturarik euskararekin. Nola lantzen ditugu datu hauek gure komunitatean leku bat dutela ikusarazteko?». Migrazioari buruz Gaindegiak egindako ikerketa hartu du aintzat: «Herritarren erdiak ez dira hemen sortuak, eta horien %94 Frantziako Estatutik heldu dira. Haien buruan, Frantziako eskualde batetik beste eskualde batera etorri dira bizitzera. Hego Euskal Herrian anitz aipatzen da publiko prekarizatua dela; hemen ez da hala».

Gorostiagaren iritziz, erakunde guziek hartu behar dituzte hizkuntza politikako neurriak: Euskal Hirigune Elkargoak, Pirinio Atlantikoetako Departamenduak eta Akitania Berria eskualdeak. «Ez daitezela gorde EEPren edo Frantziako Estatuaren gibelean. Bakoitzak bere ardurak hartu behar ditu». EEPren aurrekontua bikoizteko eskatzen ari da euskalgintza azken urteetan, baina egitura bakoitzak egin litzake aitzinamenduak, haren ustez. «Euskal Elkargoa 2017an sortu zen. Argi da hizkuntza politikan ez duela asmatu. Gauza anitz gehiago egin behar dira euskara biziberritzeko. Hautetsiek ikus dezatela zer politika eraman nahi duten». Apirilaren 22an Baionan eginen duten manifestaziorako deia berretsi du: «Egiazko hizkuntza politika bat martxan ezar dadin, eta ongi uler dezaten gure agintariek gure herriaren etorkizuna dela jokoan. Euskararik gabe ez da gehiago izanen».

Datuen erabilera politikoa egin behar dela erran du Gorrik. «Agintariei ulertarazteko desafioa ez dela batere irabazia baina lorgarria dela. Ohartzen badira azken hamar urteetan sekulako dirua ematen dutela eta ez dela deus mugitzen… Oreka atzeman behar da. Emendatu baliabideak, eta ikusiko duzue gauzak hobetzen direla».

Euskararen egoeraren jakitun direla azpimarratu zuen Antton Kurutxarri EEPko lehendakariak joan den ostegunean, datu soziolinguistikoak argitaratu zituztenean. «Biltzar nagusiak bozkatu du berehalako erantzun bat ematea larrialdian diren egiturei. Badakigu ez dela aski». Frantziako Estatuaren ikuskaritza jaso beharra du EEPk ondoko hilabeteetan, eta erakundearen etorkizunaz erabakiko dute, hala nola estatus juridiko bera atxikiko duen, zer epetarako, zer dirurekin… EEPren beharrak eta euskalgintzaren egoera aurkeztuko dizkietela erran du Kurutxarrik. «Esperantza handia dut arrapostu hobe bat ekartzen ahalko dugula».