Climat, le nerf de la paix
Pascal Canfin Conseiller principal sur le climat au World Resources Institute (WRI)
www.alterecoplus.fr/chronique/pascal-canfin/climat-le-nerf-de-la-paix-201511161600-00002524.html
COP21: déclarons l’état d’urgence climatique !
Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France
http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes/191115/cop21-declarons-letat-durgence-climatique
COP21 : des négociations dans un sale climat
Sophie Chapelle
www.bastamag.net/COP21-des-negociations-dans-un-sale-climat
Climat, le nerf de la paix
Pascal Canfin Conseiller principal sur le climat au World Resources Institute (WRI)
www.alterecoplus.fr/chronique/pascal-canfin/climat-le-nerf-de-la-paix-201511161600-00002524.html
Au-delà de la tenue – nécessaire – de la Cop21 dans la ville de Paris frappée par les attentats, quels liens peut-on faire entre le climat et le terrorisme ?
Il n’y a évidemment aucun lien mécanique entre le fait qu’une région soit frappée par les conséquences du dérèglement climatique et le fait qu’elle devienne, soit victime du terrorisme, soit source du terrorisme. Mais le ministère de la Défense américain a désigné depuis quelques années le changement climatique comme un « multiplicateur de menaces ».
Le cas de la Syrie et du lac Tchad
Le cas de la Syrie est éloquent : 1 million de déplacés internes liés à une sécheresse historique entre 2006 et 2010 ont contribué à la dislocation du pays. Un million de déplacés dans un pays de 20 millions d’habitants comme la Syrie reviendrait à 3 millions de personnes fuyant en France des régions frappées par quatre ans de sécheresse. Imagine-t-on que cela n’aurait pas d’impact sur la stabilité politique du pays ?
Le cas de la Syrie est éloquent : 1 million de déplacés internes liés à une sécheresse historique entre 2006 et 2010 ont contribué à la dislocation du pays
Le deuxième exemple qui frappe les esprits est celui de Boko Haram. Le ministre de la Défense du Niger, Mahamadou Karidjo, était il y a quelques semaines à Paris pour une journée de travail – enfin – organisée par le ministère français de la Défense sur le thème « climat et sécurité ». Il rappelait que le lac Tchad, qui faisait vivre 30 millions de personnes, a perdu 80 % de sa superficie depuis 1980 et que cela engendre pauvreté, instabilité sociale, fragilisation du pouvoir parental vis à vis de jeunes qui n’ont plus aucun avenir dans cette région frontalière du Nigéria, du Niger, du Cameroun et du Tchad. Cette même région où l’influence de Boko Haram grandit et où se multiplient ses exactions.
Financement du terrorisme et pétrole
Je ferai également un deuxième lien entre climat et terrorisme. Et il passe par les pays du Golfe. Chacun le sait, même si la diplomatie française est loin d’en faire une priorité, les mouvements terroristes comme certaines filiales d’al-Qaida, en Syrie notamment, sont en partie financés par des dons en provenance des pays du Golfe comme le Koweït, le Qatar ou l’Arabie Saoudite. Ces dons ne sont pas de financements directs d’Etats (même si certains des alliés d’al-Qaida en bénéficient). Ils transitent par des fondations privées initiées ou situées dans le Golfe et dont les autorités n’ignorent rien… sans pour autant agir.
Directement ou indirectement les revenus du pétrole sont donc à la base de la puissance économique des groupes terroristes qui ont frappés la France
Or, ces financeurs des groupes terroristes tirent leur fortune de l’or noir… que nous consommons. L’EI, de son côté, qui aujourd’hui est autonome sur le plan financier, vend directement du pétrole exploité sur les territoires qu’il contrôle en Syrie et en Irak. Ce pétrole est exporté vers les zones contrôlées par Bachar El Assad en Syrie et vers la Turquie1. La façon dont la France traite – ou non – cette question du financement dans ces relations plus qu’amicales avec le Qatar et l’Arabie Saoudite mérite un débat public qui n’a jusqu’à présent pas eu lieu.
Directement ou indirectement les revenus du pétrole sont donc à la base de la puissance économique des groupes terroristes qui ont frappés la France, mais aussi bien d’autres pays comme le Liban. Sortir de notre dépendance aux énergies fossiles, qui est bien l’un des enjeux d’une Cop21 réussie, c’est aussi réduire l’argent que nous laissons chaque jour aux monarchies du Golfe et, indirectement, aux groupes terroristes. Ce n’est bien sûr pas la première raison qui doit nous amener à lutter vraiment contre le dérèglement de notre climat. Mais c’est une raison de plus !
- A paraître 30 questions pour comprendre les tensions du monde musulman Yann Mens, éditions Les petits matins.
COP21: déclarons l’état d’urgence climatique !
Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France
http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes/191115/cop21-declarons-letat-durgence-climatique
Le gouvernement interdit les mobilisations citoyennes prévues les 29 novembre et 12 décembre, restreignant les libertés d’expression et de manifestation. Face au chaos climatique que prépare la COP21, impossible pourtant de se résigner. Il est temps de déclarer l’état d’urgence climatique !
En décidant d’annuler arbitrairement les mobilisations prévues les 29 novembre et 12 décembre, et de le faire sans véritable négociation avec les ONG, associations et syndicats qui les préparent depuis plus de deux ans, le gouvernement français vient de fouler au pied les libertés d’expression et de manifestation. Bien-entendu, la situation est grave et personne ne le nie. Mais celles et ceux qui sont « prêts à abandonner une liberté fondamentale, pour obtenir temporairement un peu de sécurité, ne méritent ni la liberté ni la sécurité » disait Benjamin Franklin. Liberté et sécurité vont de pair, comme l’ont prouvé les processus historiques d’émancipation et de démocratisation, en tant que « droits naturels et imprescriptibles » (Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen).
Pendant la COP21, on manifestera partout, sauf à Paris
Nous ne pouvons que « regretter qu’aucune alternative n’ait été trouvée pour permettre nos mobilisations » déclare la Coalition Climat 21, rappelant que des milliers d’initiatives seront organisées aux quatre coins de la planète les 28 et 29 novembre, ainsi que tout au long de la COP21 jusqu’au 12 décembre. Pendant la COP21, on manifestera partout, sauf à Paris. Un comble. Par ces graves atteintes aux libertés publiques, le gouvernement français cède à la terreur que veut imposer Daesh et accepte que la peur guide les décisions publiques et gagne la population. Là où il faudrait accompagner la riposte policière par plus de démocratie, plus d’ouverture et plus de tolérance, le gouvernement français répond par la guerre sans limite et la restriction des libertés.
Ne cédons pas. Refusons cet état de guerre permanent.
Affirmons sans relâche notre détermination à continuer à circuler, à travailler, à nous divertir, à nous réunir. Et à lutter librement. Notre droit est celui de pouvoir lutter librement « contre ce monde pourrissant » et pour imposer nos alternatives. Ces alternatives globales que nous portons comme autant d’exigences envers les gouvernements et ces alternatives locales que nous expérimentons au Sud comme au Nord, dans nos quartiers comme dans nos campagnes, à travers nos expériences propres comme à travers de celles que nous partageons avec nos voisins, nos amis et/ou nos collègues. L’Etat de guerre permanent c’est, nous le savons par expérience, une posture qui engage le monde entier dans une spirale de destruction mortifère.
N’acceptons pas l’arbitraire injustifié !
Le gouvernement interdit les marches citoyennes, interdit aux Restos du coeur de poursuivre leur distribution de repas chaud… mais autorise les marchés de Noël. Le gouvernement profite de la situation pour interdire des manifestations et mobilisations citoyennes revendicatives mais autorisent des activités lucratives en plein air extrêmement difficiles, également, à sécuriser. Ces choix-là ne sont pas techniques, ils ne sont pas liés à des exigences sécuritaires qui sont appliquées de manière indifférenciée, mais à des choix politiques clairement assumés. Les manifestations sont interdites mais le gouvernement s’est empressé de préciser (et de communiquer) que l’espace Génération Climat qui, en marge de la COP21 au Bourget, doit accueillir toute une série d’initiatives, à commencer par celles des entreprises privées, serait bien maintenu.
L’urgence climatique n’est plus à démontrer
L’urgence climatique ne disparaitra pas d’un coup de baguette magique. Pas plus qu’elle ne disparaitra par l’intermédiaire d’une COP21 aux ambitions terriblement limitées, retranchée derrière barbelés et forces armées.
Sur les dix mois les plus chauds enregistrés depuis 1880, sept appartiennent à l’année 2015, selon l’Agence américaine océanique et atmosphérique (NOAA). L’urgence climatique n’est plus à démontrer. Pourtant, les Etats font semblant. Un nouveau record mondial d’émissions de gaz à effet de serre a été atteint en 2014. Pourtant, la COP21 va entériner des décisions qui conduisent à une augmentation de plus de 10 % des émissions de GES d’ici à 2030, planifiant un nouveau record pour chaque année pendant quinze ans. Résultat ? Un réchauffement climatique supérieur à 3°C (voir nos analyses ici et ici).
Vers de nouveaux crimes climatiques
C’est en toute connaissance de cause que les chefs d’Etat et de gouvernement de la planète préparent donc de nouveau crimes climatiques. Un crime ? Oui, un crime. Le terme n’est pas déplacé. Il est tout à fait approprié, y compris après les terribles attentats qui viennent de frapper Beyrouth, Paris et bien d’autres endroits. Il est légitime de parler de crimes climatiques pour caractériser l’ensemble de ces politiques et décisions des Etats qui portent atteintes au bien-être collectif de la société : 3°C de réchauffement climatique n’est pas une planète vivable. C’est une planète où les déséquilibres géopolitiques déstabiliseront nos sociétés, où des centaines de millions de personnes ne pourront pas se nourrir correctement, se déplacer pour subvenir à leurs besoins, sortir de la pauvreté, ou tout simplement survivre. Un crime, de toute autre nature que les attentats terroristes, mais un crime dûment documenté, répertorié et qu’il serait possible d’éviter (lire et signer l’appel Stoppons les crimes climatiques et le livre qui va avec).
Etat d’urgence climatique
Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l’existence d’un Etat, d’une population, alors les Etats dont la Constitution le permet, peuvent décréter l’Etat d’urgence. Le réchauffement climatique est un danger public d’une exceptionnelle gravité qui menace la pérennité même des conditions d’existence sur une planète vivable. Puisque les Etats et les institutions internationales rechignent à prendre toute la mesure de la gravité de la situation, c’est à nous, citoyennes et citoyens du monde entier, sincères dans nos engagements contre le réchauffement climatique, à décréter l’Etat d’urgence climatique et prendre les mesures qui s’imposent. Les mesures que nous pouvons imposer à travers nos mobilisations. Ce n’est pas en demandant la permission que l’on écrit l’histoire !
Etat de nécessité
L’état de nécessité est une notion juridique qui consiste à autoriser une action illégale pour empêcher la réalisation d’un dommage plus grave. C’est précisément la situation dans laquelle nous nous trouvons en matière de lutte contre les dérèglements climatiques. Pour empêcher de nouveaux crimes climatiques, alors que les Etats et gouvernements sont défaillants et que le gouvernement français nous interdit de manifester, nous n’avons pas d’autre choix que d’invoquer l’état de nécessité et de passer à l’action. Qu’elles soient légales ou illégales, acceptées ou rejetées par des gouvernements incapables de lutter efficacement contre les dérèglements climatiques, nos actions doivent-être déterminées et continues. C’est l’état de nécessité qui les fonde en droit et qui en légitime l’opportunité politique. Désobéir est devenu une nécessité. Pour préserver la démocratie et la planète.
Au-delà des mots
Ce ne sont pas deux manifestations interdites qui vont saper notre détermination et le puissant mouvement pour la justice climatique qui s’organise et se renforce.
Que faire concrètement ?
- Appeler à manifester partout où c’est possible et transformer les manifestations décentralisées en France et dans le monde en une puissante mobilisation internationale ancrée sur les territoires ;
- La préfecture interdit par arrêté « les manifestations (festives et revendicatives) sur la voie publique » ; c’est sans doute à vérifier, mais l’ensemble des espaces qui nécessitent le franchissement d’une clôture (porte, grille, accès, etc.), tels que les centres commerciaux, ne seraient donc pas couverts par l’arrêté ; occuper un même jour, aux quatre coins du pays (et plus?) une série de centres commerciaux (ce n’est qu’une idée – peut-être pas la meilleure), d’entreprises privées ou de banques pour dénoncer (et bloquer) leurs agissements inacceptables en matière de réchauffement climatique, pourrait donc nous amener à ouvrir pendant la COP21 des mobilisations que nous pourrions poursuivre en 2016 ; le communiqué de Laurent Fabius ne dit-il pas que « la totalité des manifestations organisées dans les espaces fermés et aisément sécurisables seront maintenues » ? Chiche, fonçons dans les centres commerciaux (ou les marchés de Noël qui sont autorisés) … ! ;
- Il doit en être de même dans les transport collectifs ; organiser des actions ciblées pour rendre les transports gratuits en libérant l’accès à ces services essentiels de la transition énergétique, ou bien organiser, sur une même journée, une manifestation festive et informative décentralisée dans tous les transports ferrés d’Ile-de-France (et d’ailleurs), pour échanger avec la population, voilà qui devrait pouvoir être organisé sans tomber sous le coup de l’arrêté préfectoral ;
- Soutenir et amplifier l’action de celles et ceux qui ont d’ores-et-déjà choisi de désobéir à l’arrêté préfectoral, comme le convoi de Notre-Dame des Landes qui a décidé de confirmer son départ pour Paris ce 21 novembre ;
- Le gouvernement a décidé de maintenir l’Espace Génération climat, au Bourget, qui va (notamment) accueillir les initiatives et présentations des multinationales ; c’est un espace qui se veut dédié à la « société civile » : pourquoi ne pas l’occuper, de façon permanente et désobéissante, tout en empêchant tous les porteurs de propositions inacceptables (biotechnologies, géo-ingéniérie, business as usual, etc) de tenir leurs initiatives ?
- Encourager l’ensemble des ONG, associations et syndicats, qui disposent d’une accréditation pour participer aux négociations, à réellement faire entendre leurs voix, quitte à provoquer une crise, au sein même des négociations ; en 2013, lors de la COP19 de Varsovie, l’ensemble des ONG, associations et syndicats avaient quitté les négociations pour dénoncer l’inertie des négociations (voir ici) ; pourquoi ne pourrait-il pas en être de même à Paris alors que rien n’a fondamentalement changé ?
- …
Notre imagination peut-être sans limite
Servons-nous de cette interdiction des manifestations des 29 novembre et 12 décembre pour être super créatifs et super inventifs. Nous sommes dans les dispositions mentales (fatigue, stress, consternation, déception…) pour inventer des pratiques nouvelles, se donner des objectifs nouveaux. A condition de garder des ambitions à la hauteur des enjeux. Il y a créativité et créativité. Ne nous contentons pas de quelques initiatives symboliques.
L’Etat d’urgence climatique nécessite des ruptures, pas des initiatives anecdotiques ou dérisoires. Pas d’être à la remorque d’Etats et de gouvernements défaillants.
Soyons à la hauteur des défis auxquels nous faisons face.
Nous en avons les moyens.
C’est à nous de jouer.
COP21 : des négociations dans un sale climat
Sophie Chapelle
www.bastamag.net/COP21-des-negociations-dans-un-sale-climat
La conférence internationale sur le climat à Paris – la COP21 – sera maintenue malgré les attentats du 13 novembre. Mais au fait, où en est-on depuis vingt ans de négociations internationales ? Le bilan est catastrophique : les émissions de gaz à effet de serre ont explosé, atteignant un record en 2013. « L’alerte scientifique n’a jamais suffi à déclencher l’action », explique l’historienne des sciences Amy Dahan, qui décortique les arènes des négociations où s’entremêlent intérêts électoraux, enjeux économiques et géopolitiques. L’objectif serait d’arriver à zéro émission. Mais de cela on ne discutera pas lors des prochaines négociations. Dès lors, que peut-on attendre de cette COP21 ? Entretien.
Basta ! : À quelques semaines de la COP 21, environ 146 pays ont présenté leur feuille de route. Ces contributions volontaires nationales, qui ne sont que des promesses, ne permettent pas de contenir l’augmentation de la température en deçà de l’objectif des 2° C par rapport à la période préindustrielle. Comment expliquer ces atermoiements alors que l’urgence climatique ne fait plus de doute ?
Amy Dahan [1] : Ces atermoiements ne me surprennent absolument pas. Ils sont dans la continuation des problèmes géopolitiques qui se sont exprimés depuis une vingtaine d’années. L’alerte scientifique sur la dégradation du climat et les bouleversements prévisibles n’ont jamais suffi à déclencher l’action. Le problème climatique n’est pas seulement un problème environnemental : il est aussi économique, géopolitique, de civilisation. Il y a des conflits très forts entre toutes ces dimensions du problème, les pays ont des intérêts. La plupart des grandes puissances du monde – États-Unis, pays producteurs de pétrole, puissances émergentes – ne sont pas prêtes à prendre aujourd’hui des engagements plus ambitieux et à aller plus loin.
Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et président de la COP 21, a réaffirmé qu’un accord sur les 2° C est indispensable, au risque, sinon, que notre planète devienne « invivable »…
Laurent Fabius fait le job, c’est son rôle. Mais nous faisons face, depuis des années, à un « schisme de réalité », à une disjonction fondamentale entre les discours et les actes. Nous avons, d’un côté, une gouvernance onusienne, lente, qui déclare traiter le problème et le contrôler. De l’autre, la réalité du monde globalisé avec une explosion des émissions de gaz à effet de serre depuis 20 ans [2] !
Un des aspects très importants de ce schisme, c’est « l’enclavement du climat » : la Conférence des parties (COP) est présentée comme l’instance où le problème du climat va être traité et gouverné. Or des décisions impactant le climat sont prises dans toutes les instances internationales, que ce soit l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et les traités sur le commerce, le G8, le G20, le Fonds monétaire international (FMI) ou d’autres. On y traite des problèmes de développement, des choix stratégiques sur l’agriculture intensive, de l’industrialisation, des forages, de croissance gigantesque de trafic aérien… Des décisions contraires aux intérêts du climat, qui ne relèvent pas de la gouvernance onusienne [3].
Qu’est-ce qui freine le passage à l’action des pays ?
Il y a évidemment beaucoup de facteurs. Certains pays, par exemple, vont plus loin sur leur territoire que ce qu’ils acceptent de signer à l’échelle internationale. À l’exemple de la Chine, qui, après l’échec retentissant de la conférence de Copenhague en 2009, a initié un plan climat assez sérieux et un plan d’investissement important dans les énergies renouvelables. On pourrait souhaiter que ces actions soient beaucoup plus fortes, mais elles sont déjà perceptibles et réelles. Néanmoins, la Chine ne veut pas s’engager pour la COP 21 à davantage qu’un « pic » de ses émissions à l’horizon 2030, sans préciser à quelle hauteur ! Pourquoi cette différence ? Parce que la Chine, comme de nombreux pays, ne veut pas se lier les mains pour vingt ans dans un contexte économique international qu’elle ne maîtrise pas. Les politiques, les gouvernements, sont élus pour de courts mandats, ce qui empêche la prise en charge des problèmes planétaires de très longue durée.
Réduire les émissions pour rester en dessous des 2° C d’augmentation de température, qu’est-ce que cela implique pour les pays développés ?
En l’état, dans le texte de la COP 21, les pays ne s’engagent pas sur les 2° C. Ce seuil décidé à Copenhague est devenu un peu symbolique, et je n’y accorde pas une importance excessive. Car, dans la situation où nous sommes, du fait de la fourchette d’incertitude des modèles, on ne sait pas exactement à quoi correspondent les 2° C, ni à quelle augmentation de température on arrivera si on double les émissions. Certains pays n’ont pas encore donné leur « contribution volontaire nationale » en prévision de la COP, d’autres restent très imprécis… Dire que nous allons vers une augmentation de 2,7° C à 2,9° C d’ici la fin du siècle, alors même que nous ne connaissons par les engagements de tous les pays ni leurs modes de calcul, c’est n’importe quoi ! On n’en sait rien. Comment penser que l’on pourrait, avec les chiffres annoncés, avoir une vision d’aujourd’hui à 2100 ?
L’objectif serait de dire : Il faut arriver à zéro émission ! Évidemment, les pays qui vivent de la production de pétrole, de charbon ou de gaz, comme la Russie, le Canada ou les monarchies du Golfe, ne veulent absolument pas en entendre parler. On ne discute pas du processus de transformation, de ses aspects concrets et de son ampleur. Prétendre qu’il y aura, dès la COP 21, une préfiguration de toute cette transformation n’est pas possible. Ou alors on n’a pas pris conscience de ce qu’il faut faire. C’est tellement énorme que ça ne peut pas se décider là, il faudra des étapes intermédiaires. Ce qui est important, c’est qu’il y ait des objectifs les plus ambitieux possibles pour les quinze années qui viennent, que l’on puisse scruter très précisément ce que font les pays. C’est pour cela que j’accorde une très grande importance au processus de révision des clauses et de l’accroissement des ambitions tous les cinq ans.
Comment peut-on contraindre les pays qui ne respectent pas leurs objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre ? Aucune sanction n’a par exemple été prise contre les États-Unis, qui n’ont jamais ratifié le protocole de Kyoto entré en vigueur en 2005…
Le caractère contraignant est fictif, car il n’existe pas, pour le moment, de droit international contraignant de l’environnement. Nous n’allons pas faire la guerre à des pays qui ne remplissent pas leurs objectifs ! Nous n’en sommes en tout cas pas là, pour le moment. Le Canada s’est retiré du protocole de Kyoto, et il ne s’est rien passé. Il faut des pressions morales, que les sociétés civiles s’expriment… La plupart des pays ne sont pas aujourd’hui très volontaires. Vouloir que les engagements soient contraignants a conduit, de fait, à réduire les ambitions.
Il faut quand même regarder la situation géopolitique. Les émissions de l’Europe sont encore trop élevées, mais ne représentent « que » 11 % des émissions mondiales. L’Union européenne doit montrer l’exemple. Et les États-Unis ? Les négociations de décembre sont contraintes par le fait que le Sénat américain ne ratifiera rien. On propose donc un texte que le Sénat américain ne bloquera pas. La gouvernance du climat est une gouvernance géopolitique, ce n’est pas une révolution.
Les discussions sont vives autour de la Chine, premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, et de l’Inde, troisième émetteur. Comment l’Europe se positionne-t-elle, alors même qu’elle participe aux émissions chinoises et indiennes en délocalisant la production de biens et services dans ces territoires [4] ?
Aujourd’hui, quatre cents millions de personnes en Inde n’ont pas accès à l’électricité. L’Inde veut se développer, personne ne peut le lui refuser. Et sa ressource principale est le charbon. Nous avons une responsabilité historique envers ces pays. Il faut leur donner les moyens de se tourner vers les énergies renouvelables. Les questions de transferts technologiques et financiers ne sont pas une petite affaire : si les négociations capotent, ce sera là-dessus.
La taxe carbone a disparu de la discussion. Les marchés des permis d’émissions – l’idée de compensation – ont été si mal conceptualisés qu’on les a fait disparaître. Pourtant, si on ne pénalise pas ceux qui polluent, comment voulez-vous dégager des moyens pour soutenir la « décarbonisation » mondiale et l’adaptation au changement climatique dans les pays pauvres ? Alors qu’on n’arrive même pas à trouver 100 milliards de dollars pour le Fonds vert pour les pays les plus vulnérables [5] ? Comment va-t-on l’abonder si ce n’est par des taxes ? L’économiste Christian de Perthuis montre, par exemple, que si une taxe carbone à vingt euros la tonne était appliquée aux États-Unis, en Europe et en Chine, on dégagerait 500 milliards d’euros par an [6] !
La gouvernance onusienne présente-t-elle quand même un intérêt ?
C’est une instance parmi tant d’autres, faut-il la faire exploser, la sauvegarder à tout prix ou la transformer ? Aujourd’hui, aucun acteur, pas même les ONG, ne dira qu’il faut supprimer la gouvernance onusienne, car les pays pauvres y sont trop attachés. C’est une des très rares arènes dans lesquelles ils peuvent s’exprimer, exister. Ce qui s’est passé à la conférence de Cancun (Mexique) en 2010 le confirme : tout le monde pensait qu’on allait abandonner cette gouvernance, on avait tellement failli à Copenhague. Mais la présidente mexicaine de la COP s’est battue pendant un an, et cela a été l’euphorie dans les pays en développement qui ont sauvé le processus.
Sa survie est donc garantie aujourd’hui, mais il faut la transformer. Le fait que de nouveaux acteurs – les villes et les élus locaux – entrent dans le processus cette année y participe. Le climat doit être gouverné à toutes les échelles : des acteurs plus dynamiques que d’autres et des expériences peuvent faire boule de neige et être bénéfiques à d’autres niveaux.
L’ONU ne peut toutefois rester l’instance unique de traitement du problème, expliquez-vous. Il faut « repolitiser les enjeux » et « changer de direction ». Qu’entendez-vous par là ?
Repolitiser les enjeux, c’est accepter qu’il y a des ennemis du climat, et les considérer en tant que tels. Pendant longtemps, les États-Unis ont constitué la principale force obstructrice des négociations. Aujourd’hui, c’est au tour de l’Arabie Saoudite, de la Russie et de quelques autres. Il faut prendre acte, les désigner. Il est de même évident que la baisse actuelle du prix du pétrole, si elle arrange les pays européens, est très mauvaise pour les investissements dans les énergies renouvelables et dans la transition énergétique. On doit en discuter.
Il s’agit aussi de pointer le double discours de l’Agence internationale de l’énergie, qui, d’un côté, reprend les alertes du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), et, de l’autre, encourage les pays à investir dans les énergies fossiles pour assurer leur sécurité énergétique. Les questions énergétiques doivent être mises au centre des débats : que faire des réserves d’énergie fossile restantes ? Comment réduire et finalement supprimer les subventions aux énergies fossiles ? Politiser l’énergie, c’est également inclure la protection de l’environnement dans les règles de l’OMC. C’est relancer le débat à toutes les échelles de nos modes de production, de consommation, d’échanges.
A lire : Stefan C. Aykut, Amy Dahan, Gouverner le climat ? 20 ans de négociations internationale, éditions Les presses de Sciences, 2015. Pour le commander dans une librairie proche de chez vous, rendez-vous sur La librairie.com.
Notes
[1] Amy Dahan est historienne et sociologue des sciences, directrice de recherche émérite au CNRS (Centre Alexandre Koyré, CNRS-EHESS).
[2] Selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM), les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ont atteint un niveau record en 2013. Source.
[3] La notion de « gouvernance » renvoie, en science politique, au fait de « gouverner sans gouvernement », c’est-à-dire à des situations caractérisées par des négociations complexes et multi-échelles entre administrations, parties prenantes et acteurs de la société civile (définition extraite du livre Gouverner le climat ? 20 ans de négociations internationales, co-écrit par S. Aykut et A. Dahan, éditions Les presses de Sciences Po, 2015).
[4] Le mode de calcul des Nations unies ne tient pas compte de la délocalisation de la production de biens et services, et recense uniquement les émissions sur le territoire national. Si l’on considère les émissions territoriales, la Chine a été le premier émetteur en 2008, devant les États-Unis, l’Inde, la Russie et le Japon. Si l’on tient compte de la consommation, les États-Unis sont en tête devant la Chine, l’Inde, le Japon et la Russie. Source.
[5] Le Fonds vert pour le climat, lancé en 2011 à Durban (Afrique du Sud), doit être abondé à hauteur de 100 milliards de dollars par an, d’ici à 2020, par les pays les plus avancés. Ce fonds doit permettre de mettre en place des projets pour combattre les effets des changements climatiques dans les pays les plus vulnérables.
[6] Exemple tiré de l’ouvrage Le climat, à quel prix ? La négociation climatique, de Christian de Perthuis et Raphael Trotignon (éditions Odile Jacob, août 2015).