Articles du Vendredi : Sélection du 2 novembre 2012 !

Une cause nationale

Hervé Kempf
www.reporterre.net/spip.php?article3367

Notre-Dame-des-Landes : un énarque proche de François Hollande s’insurge

Rédaction
www.bastamag.net/article2751.html.

Notre-Dame-des-Landes: projet reconnu d’inutilité publique !

Benoît Thévard
www.avenir-sans-petrole.org/article-notre-dame-des-landes-projet-reconnu-d-inutilite-publique-111725209.html 26-10-2012

Le modèle suédois de la fiscalité « verte » – Le pays a fait sa révolution il y a vingt ans, démontrant que l’écologie n’est pas incompatible avec la compétitivité.

Rémi Barroux
Le Monde du 31-10-2012

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Une cause nationale

Hervé Kempf
www.reporterre.net/spip.php?article3367

« Si ceux pour qui les mots ’crise écologique’ veulent dire quelque chose perdent cette bataille, si cet aéroport se faisait, le mouvement écologique en serait aussi durablement affaibli qu’il l’avait été, en 1977, par les événements de Creys-Malville. »

Le lourd silence de Cécile Duflot, de José Bové, de Daniel Cohn-Bendit, de Nicolas Hulot et de tant d’autres sommités, le désintérêt des médias, la passivité d’Europe Ecologie Les Verts, le « courage fuyons » des élus PS informés des enjeux écologiques, l’apathie de la grande majorité des associations environnementales, le désir si manifeste de tout ce joli monde de tourner la page n’y font rien : ce qui s’est déroulé cette semaine et se poursuit ces jours-ci autour de Notre Dame des Landes, en Loire-Atlantique, est vital, crucial, essentiel.

Si ceux pour qui les mots « crise écologique » veulent dire quelque chose perdent cette bataille, si cet aéroport se faisait, le mouvement écologique en serait aussi durablement affaibli qu’il l’avait été, en 1977, par les événements de Creys-Malville.

On s’étonne que ne soit pas comprise l’importance de ce bras de fer. Mais peut-être faut-il, de nouveau, en expliquer les enjeux. Il s’agit, donc, d’un projet d’aéroport qui occuperait près de 2000 hectares de terres au nord de Nantes. Vieux d’une quarantaine d’années, il a ressurgi au début des années 2000. La résistance tenace, non violente, assise sur des expertises solides, de paysans, d’élus, d’écologistes, de citadins, d’habitants anciens et nouveaux, a retardé le projet. Elle a permis de voir que se cristallisent ici toutes les problématiques qui forment le complexe écologique de ce début du XXIe siècle. Ce n’est pas Trifouilly-les-Oies, c’est une cause nationale.

Alors que le Programme des nations unies pour l’environnement vient d’annoncer que les zones humides, essentielles à la biodiversité et à la régulation des écosystèmes, ont perdu dans le monde la moitié de leur superficie depuis un siècle, on s’apprête en France à détruire un site dont 98 % des terres sont des zones humides. Alors que semaine après semaine, les climatologues publient des études montrant la gravité du changement climatique, on s’apprête en France à construire un aéroport qui stimulera le trafic aérien, important émetteur de gaz à effet de serre. Alors que l’artificialisation des sols et la disparition des paysans sont officiellement déplorées, on la planifie ici, ce qui la justifiera ailleurs. Alors que le pouvoir du capital et les partenariats public-privés sont partout dénoncées, on donne les clés du projet à la multinationale Vinci.

Il y a des moments où il faut savoir dire non. Il est temps que se fassent entendre ces « Non ».

Notre-Dame-des-Landes : un énarque proche de François Hollande s’insurge

Rédaction
www.bastamag.net/article2751.html.

Alors que les affrontements s’intensifient entre forces de l’ordre et résistants au projet d’aéroport, Patrick Warin, énarque et ancien directeur à la Caisse des Dépôts et Consignations, s’indigne. Dans une lettre ouverte à François Hollande, il démontre l’absurdité du projet, que seule une « mégalomanie ridicule » semble justifier. « Ceux de Notre Dame des Landes et ceux du Larzac sont de la même trempe de Français, nous serons des millions à les soutenir pour qu’on les écoute », lance-t-il à son ancien collègue de promo à l’ENA.

Lettre ouverte à Monsieur François Hollande, Président de la République,

De la part de Patrick Warin, ancien élève de l’ENA, Promotion Voltaire, ancien Directeur à la Caisse des Dépôts et Consignations, Professeur associé aux Universités, membre de Démocratie 2012.

Monsieur le Président, mon cher camarade, cher François,

J’ai décidé de vous adresser cette lettre, écrite ce matin du 30 octobre, alors qu’une nouvelle opération de police de grande envergure se déroule à quelques dizaines de kilomètres d’Angers, mon lieu de résidence, ville et région qui vous sont également familières.

Sur le territoire prévu pour accueillir le futur aéroport de Nantes/Grand Ouest des hommes et des femmes qui, pour l’écrasante majorité d’entre eux ont voté pour vous, doivent se confronter une nouvelle fois à un déploiement de forces de police dépêchées par un gouvernement de gauche, dirigé par l’ancien maire de Nantes. Alors que depuis des années ces femmes et ces hommes, tous non violents, tous soutenus par une solidarité locale, régionale et nationale demandent simplement à être entendus au-delà des procédures légales et formelles dont ils estiment à juste titre qu’elles ont été menées de manière tronquées, et trompeuses, la seule réponse que votre gouvernement leur apporte est celle de l’emploi de la force. Cette attitude, Monsieur le Président, cher camarade est inacceptable.

Le PS est en train de s’isoler

Parmi bien d’autres, je me suis engagé pour assurer votre élection, puis vous garantir une majorité solide. Dans notre circonscription du Maine et Loire tenue par la droite depuis plusieurs dizaines d’années nous avons failli à 86 voix près envoyer l’ancien ministre Marc Laffineur à une retraite bienvenue. Nous sommes fiers d’avoir mené ce combat et de nous retrouver dans cet Ouest déjà largement conquis par la gauche en terre de futures conquêtes en compagnie de nos alliés écologistes.

Cher François, la manière dont le pouvoir que vous incarnez gère le projet Notre Dame des Landes va totalement bouleverser ces positions politiques chèrement acquises car vous n’imaginez pas l’immense potentiel de sympathie, de soutien militant, de soutiens politiques à la base dont bénéficient ces personnes en lutte, alors que la technostructure du Parti socialiste et des grands élus régionaux est en train de s’isoler.

Vous êtes face à un nouveau Larzac !

Monsieur le Président je vous l’affirme avec la conviction d’un sympathisant socialiste de longue date, de tradition enracinée auprès de mes proches, mon père Jacques Warin, qui collabora avec Pierre Mauroy au moment de l’alternance en 1981, vous êtes face à un nouveau Larzac !

Déjà au moment de votre élection je vous avais alerté discrètement, par l’intermédiaire de nos amis communs de Démocratie 2012, dont Pierre René Lemas, pour éviter qu’en pleine campagne la situation ne provoque des conséquences électorales néfastes. Il me semblait avoir, avec bien d’autres qui avaient intercédé, été entendu.

Aujourd’hui il est temps que vous ne vous contentiez plus de répondre aux lettres qui vous sont adressées à ce sujet par des formules standards qui renvoient à votre ministre Monsieur Cuvillier le soin de traiter le dossier. Outre que cette attitude peu respectueuse de l’écoute citoyenne ne vous ressemble pas, vous êtes face à une situation qui exige une attitude d’homme d’État.

Provocations dont vous porterez seul la responsabilité

La révision du Schéma national des infrastructures de transport, l’emploi parcimonieux de la dépense publique, le souci de la transition écologique, l’application loyale de la Loi sur l’Eau, dans sa dimension universelle et a fortiori européenne, sont autant de motifs pour rouvrir le dialogue et éviter que votre quinquennat ne soit entaché par un abcès de fixation politiquement désastreux. Cela vous fait courir, compte tenu de la manière utilisée aujourd’hui, des risques sérieux de dérapages, de provocations dont vous porterez seul la responsabilité face à des personnes dont la conviction s’exprime de manière pacifique, non violente, respectueuse de la loi républicaine dès lors que celle-ci s’exerce elle aussi dans le respect du dialogue citoyen.

Monsieur le Président, cher camarade, j’ai eu le privilège de vivre un parcours professionnel dont tous ceux qui furent mes supérieurs, collaborateurs, collègues, partenaires s’accordent à dire qu’il fut toujours ouvert à l’innovation, à l’adaptation au monde changeant, à la recherche de nouveaux paradigmes et à la réalité de la concurrence globalisée. Je continue en tant qu’enseignant universitaire à stimuler la créativité de mes étudiants, dans le monde entier, tout en leur transmettant mon expérience de dirigeant du service public puis d’homme d’entreprise. Je ne suis pas un nostalgique, ni un tenant de la décroissance, ni un « illuminé anti progrès ». Ces traits de caractère sont partagés par les personnes que je côtoie lors des réunions d’information sur le projet Notre Dame des Landes. En vérité, c’est nous qui incarnons la modernité et l’ouverture au 21éme siècle.

Mégalomanie ridicule

En effet, qui peut croire que les opérateurs aériens vont implanter dans le Grand Ouest des infrastructures aéroportuaires renforcées et surdimensionnées, au moment où nous atteignons le pic de l’énergie fossile, et alors que leur modèle économique est de ramener les passagers vers quelques hubs majeurs soit par des avions qui rallient Nantes à Orly, ou Charles De Gaulle, ou Francfort ou Londres, ou Amsterdam ou Madrid ? A partir de ces plateformes le modèle est alors de procéder au remplissage maximum de très gros porteurs économes en carburant. Sauf à souffrir d’une mégalomanie ridicule, qui peut croire qu’un Grand Ouest aujourd’hui déjà bien relié par TGV aux plates formes parisiennes en cours de modernisation a besoin d’un équipement nouveau, coûteux, détruisant plusieurs milliers d’hectares de terres agricoles, déracinant au propre et au figuré paysages et hommes attachés à leur territoire ?

Nantes a déjà 2 aéroports qui figurent dans les codes internationaux de l’IATA, Nantes Atlantique qui croît sans que cela permette de justifier le transfert coûteux et… la gare SNCF de Nantes qui est utilisée dans la tarification aérienne pour acheminer les passagers vers les plateformes parisiennes et retour. Nantes Atlantique va devoir de toutes façons être conservé pour les besoins logistiques de la fabrication d’Airbus sur l’usine nantaise, et la gare de Nantes me parait être une bonne solution pour les voyageurs de notre région pour leur transfert vers les hubs parisiens. Posons donc la question à Air France sur sa vision du transport aérien au 21ème siècle et remettons-nous autour d’une table pour réexaminer les prévisions de trafic utilisées pour justifier le transfert !

Je vous conjure d’écouter ce qui se vit

Monsieur le Président, cher camarade, vous qui êtes aujourd’hui soucieux que vos hautes fonctions et votre agenda ne vous coupent pas de la réalité que vivent nos concitoyens, vous qui vous entourez des avis et opinions issus de la société civile, comme en témoigne la mission confiée à votre proche Bernard Poignant (qu’en dit-on à Quimper ?), je vous conjure d’écouter ce qui se vit dans notre région auprès de personnes qui vous soutiennent, qui partagent vos valeurs, qui se mobiliseront autant qu’il le faudra et aussi longtemps qu’il le faudra pour que leurs arguments soient écoutés une fois que les gaz lacrymogènes de ce matin se seront dissipés.

Cher François, le Larzac a rencontré son homme d’État, le magnifique film qui a retracé cette lutte rend hommage à des Français ordinaires, femmes et hommes de conviction mais aussi à l’homme d’État qui les a entendus.

Ceux de Notre Dame des Landes et ceux du Larzac sont de la même trempe de Français, nous serons des millions à les soutenir pour qu’on les écoute.

Monsieur le Président, cher François Hollande, nous attendons de vous que vous soyez à notre rendez-vous citoyen comme l’a été François Mitterrand.

Je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments respectueux et de mon cordial souvenir,

Patrick Warin, ENA Promotion Voltaire

Copie : Monsieur Jean Marc Ayrault, Monsieur Pierre René Lemas, Monsieur Michel Sapin, Monsieur Jean Pierre Jouyet, Monsieur Bernard Poignant, Monsieur le Préfet de la Région Pays de la Loire.

Copies adressées par courrier électronique : élus de la région Pays de la Loire, divers collectifs au sein d’ACIPA

Notre-Dame-des-Landes: projet reconnu d’inutilité publique !

Benoît Thévard
www.avenir-sans-petrole.org/article-notre-dame-des-landes-projet-reconnu-d-inutilite-publique-111725209.html 26-10-2012

Alors que j’allais prendre le train pour Nantes, en mars dernier, pour une grande conférence organisée par le groupe citoyen « Nantes en transition« , je me souviens avoir croisé Jean-Marc Ayrault sur le quai de la gare, et avoir regretté (intérieurement) qu’il ne puisse être présent pour entendre ce que j’avais à dire au sujet du pétrole.

Je ne suis pas le seul à être passé par Nantes pour expliquer la situation. Jean-Marc Jancovici, Philippe Labat, Nicolas Hulot, Yves Cochet entre autres ont largement démontré, depuis plus de dix ans, que ce projet de nouvel aéroport était « calamiteux« , mais rien ne semble arrêter ce rouleau compresseur fou.

Voici un bref historique du projet, selon le syndicat mixte d’études de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes:

« L’implantation d’un aéroport sur le site de Notre-Dame-des-Landes, en substitution des installations de Nantes-Atlantique, est envisagée depuis plus de 40 ans. Lorsque les réflexions sur le devenir à long terme de l’actuelle plateforme sont relancées au début des années 90, l’idée du transfert aéroportuaire vers Notre-Dame-des-Landes se présente comme la solution la plus adaptée. En 2000, cette opportunité est confirmée par son inscription à l’occasion de l’adoption des Schémas de Services Collectifs de transport par le gouvernement. Ouvrant ainsi la phase d’études, le projet aéroportuaire fait ensuite l’objet d’un débat public en 2003 puis d’une enquête publique en 2006 pour aboutir à sa déclaration d’utilité publique le 9 février 2008. »

C’est donc en février 2008, cinq mois avant le crash économique mondial et alors que le prix du baril dépasse pour la première fois les 100 dollars, que la construction de ce nouvel aéroport est déclarée d’utilité publique. Nous aurions pu penser que le constat de la situation pétrolière ferait réfléchir les décideurs impliqués dans ce projet, mais ce ne fut pas le cas.

Selon les porteurs du projets, les écologistes se trompent complètement. En effet, il ne s’agit pas vraiment de construire un nouvel aéroport, mais de transférer l’aéroport public pour des raisons environnementales (critères de Haute Qualité Environnementale, bâtiments BBC, diminution des nuisances pour la population etc.). Cette affirmation pourrait prêter à sourire et pourtant, c’est encore au nom du développement durable (et du greenwashing) que ce projet devrait être mené à son terme.

Concrêtement, ce nouvel aéroport détruira 2000 hectares de terres agricoles, coûtera plus de 550 millions d’euros (4 milliards si l’on compte les infrastructures routières tout aussi inutiles) et devrait être mis en service en 2017. Pendant ce temps, l’Europe est en récession, tout comme l’ensemble des pays de l’OCDE, et les politiques publiques oscillent entre austérité et rigueur. Cherchez l’erreur.

Je rappelle qu’en 2017, le prix du pétrole sera tellement élevé qu’il aura détruit la demande, ou il sera très bas à cause de la récession mondiale.

Autrement dit, que ce soit à cause du prix élevé ou de la récession, il n’y a pratiquement aucune chance pour que le trafic aérien soit supérieur en 2017 à ce qu’il est actuellement. La situation est évidente et cet aveuglement des décideurs n’a rien de rationnel, pas plus d’ailleurs que le fait d’injecter des milliards d’euros dans l’industrie automobile ou que celui de faire baisser le prix de l’essence de quelques centimes pour cause de « circonstances exceptionnelles ».

Lorsque les décisions n’ont rien de rationnel, qu’elles vont provoquer un véritable gaspillage d’énergie, de matériaux, d’argent, de terres agricoles et de biodiversité, il ne faut pas s’étonner de voir une population qui lutte, qui s’oppose, qui refuse que l’argent et le bien commun soient utilisés pour des projets reconnus d’inutilité publique. Depuis le 16 octobre, une opération policière (500 à 1000 agents) est menée sur place pour déloger les habitants qui refusent de quitter les lieux, ainsi que les militants qui sont venus les rejoindre pour s’opposer jusqu’au bout à ce projet. Aujourd’hui, les événements ressemblent à une guérilla dans laquelle les policiers protègent les pelleteuses et tentent de déloger les opposants avec des grenades lacrymogènes.

Que devons-nous penser de tout cela ? Faut-il soutenir l’obéissance et laisser faire le grignotage des terres agricoles alors que nous courrons vers une catastrophe alimentaire dans les années qui viennent ? Faut-il accepter la dépense de 550 millions d’euros en pleine période de crise, pour la construction d’un futur musée de l’aéronautique, parking d’avions cloués au sol ?

Les opposants à ce projet ne sont pas que des anarchistes, anticapitalistes ou écologistes radicaux. Il sont une multitude de personnes de tous milieux sociaux, de toutes sensibilités, et faisant preuve de responsabilité. Il s’agit ici de défendre l’intérêt collectif à long terme, c’est pourquoi j’utilise mon blog, pour affirmer que je m’oppose et que je soutiens fermement les opposants à ce projet inutile. Je considère que:

– nous devons préserver, autant que possible, les terres agricoles car la priorité des prochaines décennies sera de manger, pas de faire Nantes-Paris en 45 minutes.

– nous devons utiliser l’argent publique pour la reconversion de la société et non pour aggraver son impact et l’affaiblir davantage.

– nous devons stopper tous les projets basés sur une hausse tendancielle trompeuse du trafic routier et aérien, et investir massivement dans des projets alternatifs (transports doux, ferroviaire local et régional, pistes cyclables, etc.)

Je souhaite que les partis, associations et citoyens dans la lutte parviennent à stopper ce projet, symbole d’une méconnaissance totale des défis auxquels nous allons être confrontés.

Le modèle suédois de la fiscalité « verte » – Le pays a fait sa révolution il y a vingt ans, démontrant que l’écologie n’est pas incompatible avec la compétitivité.

Rémi Barroux
Le Monde du 31-10-2012

Les caméras filmant les voitures qui entrent dans Stockholm, sur le pont Liljeholmsbron, au sud-ouest de la capitale suédoise, viennent d’enregistrer l’immatriculation du 4 x 4 blanc Volvo d’Isabelle Ducellier, en ce début de journée de la fin du mois d’octobre. Il lui en coûtera quelque 20 couronnes (2,3 euros) pour ce passage à une heure de pointe et la facture, qui comptabilise tous ses passages en ville, sera à régler le mois suivant.

« Je n’y pense même pas, reconnaît en souriant la directrice générale de Pernod-Ricard Suède. Je sais que je ne suis pas une bonne élève, je devrais moins utiliser la voiture. Beaucoup de nos jeunes collaborateurs n’ont même pas le permis, la voiture est chère et presque inutile. » Cette Française, installée à Stockholm depuis quatre ans, constate chaque jour la conversion du pays à l’économie verte. « La conscience environnementale est très forte ici, contrairement à la France », ajoute Isabelle Ducellier.

La Suède est aujourd’hui une référence en termes de fiscalité verte. Comment les quelque 9,4 millions de Suédois vivent-ils au quotidien cet engagement ?

UNE TAXE CARBONE QUI RAPPORTE 2,3 MILLIARDS D’EUROS

Taxe sur l’électricité, taxe carbone, taxe sur les énergies fossiles, sur les déchets, les pesticides, les produits soufrés, péage urbain, vignette auto… les dispositifs sont nombreux. Quelque 10,4 milliards d’euros ont été prélevés en 2010 au titre de la fiscalité environnementale, soit 10% des impôts perçus environ, dont 2,3 milliards d’euros pour la seule taxe carbone.

Pour les Suédois, soumis à une forte pression fiscale – 57 % du revenu –, cet investissement écologique fait assez peu débat. « Ils ont conscience de cette fiscalité mais ne la connaissent pas vraiment dans le détail des taxes », avance Susanne Akerfeldt, directrice adjointe des impôts au ministère des finances.

En Suède, les impôts sur le revenu sont prélevés par les communes, directement à la source, sur le salaire. « Les gens ont conscience qu’ils payent beaucoup de taxes, mais comme ils en constatent les avantages, cela ne les gêne pas », explique de son côté Mats Pertoft, député de Stockholm du Parti vert.

« UNE VILLE DIFFÉRENTE »

Au sud de Stockholm, le quartier de Hammarby Sjöstad, ancienne zone portuaire et industrielle, où résident 26 000 habitants, se veut exemplaire : eaux pluviales récupérées dans des bassins d’écoulement, eaux purifiées et boues réinjectées dans un circuit de gaz pour les usagers ou vendues aux services de transport qui utilisent le biogaz pour les bus, constructions permettant de réduire de moitié l’empreinte carbone, navettes fluviales, voitures partagées… « C’est bien plus qu’un écoquartier, il s’agit d’un autre mode de vie, d’une ville différente, proclame Yves Chantereau, architecte du cabinet Equator et responsable du projet.

Les Suédois, à la différence des Français, s’attachent peu à la forme et privilégient l’usage. Ils sont plus intéressés par la diminution des déchets et la cohérence des systèmes qu’à des façades démonstratives. » Résultat, à Hammarby Sjöstad, des petits immeubles simples, multicolores et de nombreux espaces verts.

« L’enjeu d’une fiscalité environnementale, analyse un diplomate français, ne porte pas seulement sur les finances de l’Etat mais aussi sur sa capacité à modifier les comportements. » Le péage urbain, mis en place en 2006, en est une bonne illustration. A l’époque controversé – les résidents des communes limitrophes s’opposant alors aux habitants du centre-ville favorables au péage –, il est aujourd’hui plébiscité par 67% des habitants du Grand Stockholm, contre 30% avant son instauration, selon une étude du Centre d’études des transports (2012). Le nombre d’automobilistes traversant la ville a baissé de 20% en six ans. Ce sont les plus aisés qui ont été pénalisés, les habitants aux revenus plus modestes utilisant les transports en commun. Le péage est vécu comme une mesure environnementale et sociale efficace.

Pour autant, la Suède devrait faire plus, estime M. Pertoft. « Le gouvernement garde le cap fixé au début des années 1990, mais ne prend pas de nouvelles initiatives »,assure-t-il. Sous la coalition de centre-droit, au pouvoir depuis 2006, l’avion, très polluant, a été privilégié au détriment du train, dont les infrastructures sont quasi centenaires. Une taxe sur les engrais chimiques a été supprimée en 2010, année électorale. « Le gouvernement nous dit que cela fonctionne bien et qu’il est compliqué de faire plus actuellement », dit M. Pertoft qui prône une hausse de la fiscalité environnementale et une baisse des taxes sociales pour défendre l’emploi et la compétitivité.

« Si les gens ont besoin d’aides, les services sociaux leur en fourniront, mais cela ne leur donne pas droit à des réductions sur les tarifs d’énergie par exemple », rétorque Susanne Akerfeldt. Le green tax shift (le « tournant de la taxe verte ») remonte au début des années 1990. L’année où la taxe carbone a été instaurée, en 1991, l’ensemble des taxes environnementales a représenté un accroissement de la fiscalité de 1,8 milliard d’euros.

Dans le même temps, les taxes sur le travail étaient réduites de 6 milliards. Introduite à 27 euros la tonne, la taxe carbone s’élevait à 114 euros la tonne en 2011. Les entreprises soumises à la concurrence internationale ou au régime des quotas carbone de l’Union européenne en sont largement ou totalement exemptées.

 

Aujourd’hui, le meilleur argument en faveur de la fiscalité verte reste sa compatibilité avec la croissance économique. « Nous avons réduit nos émissions de gaz à effet de serre de près de 20% entre 1990 et 2009, alors que notre PIB a crû de 50% sur la même période », se félicite Mme Akerfeldt. Les objectifs que la plupart des pays ont du mal à atteindre sont déjà dépassés. La part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique finale de la Suède sera supérieure à 50% dès 2012. En France, elle était de moins de 13% en 2010.